Edition limitée : Vollard, Petiet et l’estampe de maîtres. Exposition au Petit Palais, du 19/5 au 29/8 2021

Le célèbre marchand d’art Ambroise Vollard (1866-1939) avait, de son vivant, fait don de nombreux livres d’art et d’estampes au Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, actuel Petit Palais. Après sa disparition, Henri Marie Petiet (1894-1980) achète le stock Vollard, reprend les nombreux projets inachevés, et continue d’augmenter son fonds propre d’éditeur. Ses héritiers ont suivi l’exemple de Vollard et ont ainsi enrichi la collection du Musée. De cette conjonction est née l’initiative de présenter en même temps l’œuvre de ces deux passionnés dans une exposition dédiée à la création de l’estampe et du livre d’art au dix-neuvième siècle.

Leurs amis peintres se sont empressés de portraiturer et l’un et l’autre. Picasso s’est amusé à dire que « La plus belle femme du monde n’a jamais eu son portrait, peint, dessiné ou gravé, plus souvent que Vollard ». Le portrait le plus connu est celui de Cézanne (1899) qui donna tant de mal au peintre et qui fatigua Vollard par les très longues séances de pose ; il montre un homme grave et concentré dans un cadre dépouillé. Et, à la même date, Renoir cueille au dépourvu Vollard revenant de voyage, désinvolte, un foulard rouge noué sur la tête. En 1924 c’est le tour de Bonnard : Vollard, entouré et comme cerné de tableaux, pose tranquillement, vêtu de noir, un chaton sur les genoux.  Petiet ne sera pas en reste :  Edouard Goerg dessine un Petiet au regard aiguisé sous des lunettes rondes (1931), tandis que Marcel Gromaire figure dans son style synthétique l’amateur d’estampes (1935).

Vollard a commencé sa carrière de galeriste par la vente de tableaux et dès ses débuts révèle son intuition extraordinaire, lorsqu’il achète des toiles à un Cézanne encore inconnu et reconnaît le génie de Gauguin. Il a aussi la passion de l’estampe. Il décide donc de montrer dans sa petite galerie de la rue Laffitte des recueils de gravures. Bien sûr des eaux-fortes, des gravures sur bois, des aquatintes, des pointes sèches, mais surtout – et c’est nouveau – des lithographies en couleurs qui reprendront les dessins des peintres. Ceux-ci seront alors des peintres-graveurs.

Ses goûts littéraires se manifestent  dès ses débuts. Il vend des lithographies d’Odilon Redon :  pour Gustave Flaubert « La Tentation de Saint-Antoine » (1896) ou encore pour Stéphane Mallarmé « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard » (1896). Cette même année il organise une exposition sur « Les Peintres-Graveurs » et édite un album qui regroupe vingt-deux estampes originales, tirées chacune à cent exemplaires. A côté de peintres reconnus comme Fantin-Latour, Albert Besnard, Odilon Redon et Renoir, Vollard donne une place de choix aux tout jeunes Nabis, Vuillard, Denis, Bonnard, Vallotton, dont il a su reconnaître l’inventivité. Figure aussi dans ce choix le génial Edvard Munch qui séjourne alors à Paris, avec la lithographie intitulée « Le Soir ».

Edvard Munch

munch

Il renouvelle l’expérience l’année suivante avec un deuxième recueil, « Album d’estampes originales de la galerie Vollard », composé cette fois de trente-deux estampes, dont celle de Whistler. Toujours sur sa lancée, Vollard fait appel aux Nabis. Vuillard, Denis, Bonnard, Ker-Xavier Roussel. Ils inventent chacun treize lithographies en couleurs  regroupées en album : c’est « Amour » pour Denis, « Quelques aspects de la vie de Paris » pour Bonnard, « Paysages intérieurs » pour Vuillard, « Paysages » pour Ker-Xavier Roussel. Chacun y dévoile son originalité propre et la lithographie y atteint des sommets.

Maurice Denis

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Vollard ne s’arrête pas là : l’idée lui vient de créer des livres d’art. Ce seront les Editions Vollard. Travail acharné qui vise à la perfection. Il en parle ainsi : « Réfléchissez qu’il faut obtenir qu’auteur, imprimeur, graveur, éditeur, que sais-je encore, ne fassent, en quelque sorte, qu’un. Et, à chaque livre nouveau, c’est à recommencer ; c’est toujours la même communion qu’il faut obtenir, c’est la même fusion à réaliser. » Pour illustrer ce processus l’exposition ne se contente pas de montrer les gravures ; elle présente des instruments de travail, elle donne le nom de ces trop cachés praticiens qui ont mis tout leur savoir-faire au service des artistes et de leurs images. Et la dernière salle se clôt sur une photographie géante d’un atelier de gravures avec ses presses et ses ouvriers. Les livres d’art vont désormais se succéder, chefs-d’œuvre dont le visiteur n’a qu’un avant-goût, puisqu’il demeure curieux des autres gravures que laisse présager la gravure choisie pour la montre.

Le Parallèlement (1900) qui réunit Verlaine et Bonnard est une réussite ; Bonnard a choisi d’illustrer le texte voluptueux du poète par des lithographies colorées en rose et Vollard a découvert à l’Imprimerie Nationale l’italique du caractère Garamond.  Sans se soucier des censures et critiques d’un siècle pudibond, Vollard publie « Le Jardin des Supplices » d’Octave Mirbeau (1902), accompagné des aquarelles et dessins de Rodin. Verlaine est aussi l’auteur de Sagesse et c’est Maurice Denis qui  correspond au mieux à la sensibilité religieuse du poète (1911). Ses dessins deviennent par la main de Jacques Beltrand avec qui il collaborera ultérieurement des gravures sur bois, inspirées et belles, certaines présentées en bandeau. Si Vollard par sa proximité avec Alfred Jarry est souvent  satirique à l’égard des institutions, on ne peut en dire autant en ce qui concerne la religion. Il publie « L’Imitation de Jésus-Christ » (en 1903,  toujours avec Denis) et, en 1928, « Les Petites Fleurs de saint François » avec des gravures sur bois d’Emile Bernard ; il faudra attendre 1956 pour que le grand éditeur d’art Tériade publie « La Bible » accompagnée des eaux-fortes de Chagall, reprenant l’idée première de Vollard.
La poésie, avec Mallarmé et Verlaine, est une veine également poursuivie par Vollard. Il confie à Bonnard un « Daphnis et Chloé », pastorale de Longus, pour des lithographies en gris. Emile Bernard  dont le talent de graveur sur bois est mis ici en évidence trouve un sujet d’inspiration dans les poèmes de « maistre Villon ». Et il illustrera aussi Les Fleurs du mal.

Vollard ne craint pas de s’attaquer aux grands textes anciens. Emile Bernard travaille sur L’ Odyssée ;  Petiet reprend le projet des Géorgiques de Virgile qu’il confie à l’un de ses illustrateurs préférés, Dunoyer de Segonzac, et la Théogonie d’Hésiode, revisitée par Braque, voit le jour en 1955 aux éditions Maeght. il s’agit aussi d’un projet de Vollard qui ose unir l’art moderne à cette littérature ancienne qui n’a pas vieilli. Il a donc su reconnaître Braque, mais son mérite éclatant reste la découverte du jeune Picasso dès 1901. Il publie alors certaines de ses gravures, comme « Arlequin ». Il  l’engagera plus tard, en 1931,  dans un projet inattendu, l’illustration du roman de Balzac Le Chef d’œuvre inconnu. La maestria de Picasso dessinateur est sans égale. Il le démontre encore dans ses illustrations d’après Buffon. La série d’eaux-fortes sur le thème du Minotaure  (1933-1937), cent gravures commandées par Vollard qui leur a donné son nom dans la « Suite Vollard » , est admirable par sa violence et son érotisme. Picasso a choisi son sujet. On est souvent frappé par l’adéquation entre peintre et thème littéraire.

Picasso

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Cette adéquation est tout aussi évidente dans le choix de Chagall pour le roman de Gogol Les âmes mortes.  Vollard n’a pas découvert Chagall, mais il a pensé à lui  demander d’illustrer le roman russe et c’est une réussite.

A force d’éditer de grands auteurs il est venu à Vollard l’ambition de s’autoéditer. Il a modestement écrit sur les peintres qu’il aime et fréquente, Cézanne et Renoir. Il a publié un album Degas. Il a publié des lettres de Van Gogh à Emile Bernard. Mais il écrit, et comme il a participé au livre de Jarry illustré par Bonnard Almanach illustré du Père Ubu en 1901, il lui vient l’idée d’en être un peu le continuateur, puisque Jarry est mort prématurément en 1907. Il sait qu’il n’a pas son génie, mais il observe, il critique, il s’amuse des travers de ses contemporains, il s’en indigne parfois. Il publie en 1923 avec les dessins de Jean Puy une satire antimilitariste « Ubu et la guerre » (signalons qu’ une exposition Jean Puy/Ambroise Vollard  est en cours au Musée de Pont-Aven). Il a toujours souhaité que Georges Rouault illustre ses écrits,  même si les rapports avec celui-ci sont compliqués, Rouault le trouvant trop exigeant en particulier sur le temps  qu’il lui alloue pour la réalisation de ses gravures. Le style de Rouault, expressionniste  et violent, convient bien au propos de Vollard. Malgré ces problèmes l’album sort enfin en.1932. Il est intitulé Les Réincarnations du Père Ubu. Et Rouault  en 1934 grave en aquatintes en couleurs les images frappantes du « Cirque de l’étoile filante » ; il collabore avec le grand écrivain contemporain, André Suarès, pour Passion, un livre mystique.

On n’en finirait pas de citer les découvertes de Vollard, d’Alfredo Müller à Mary Cassatt et d’exalter cette avidité, et on ne saurait davantage oublier que Petiet qui n’est pas en reste va choisir Maillol ou Derain comme collaborateurs.

Le directeur du Petit Palais promet dans sa préface au catalogue de cette passionnante exposition de « défendre la cause de l’estampe ». Acceptons en l’augure ! Mais il en donne déjà avec son équipe une belle démonstration.

Annie Birga

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