Carpeaux (1827-1875), un sculpteur pour l’Empire, au Musée d’Orsay. Par Annie Birga

Le Musée d’Orsay qui présente l’exposition Carpeaux (jusqu’au 28 septembre) n’a pas déplacé les monumentaux groupes statuaires du fond de la grande nef, éclairés par la lumière naturelle. Autour de ceux-ci  a été mis en place un parcours chronologique de la carrière du sculpteur et diverses sections, celle des portraits occupant une place importante. Appréciable, le souci des commissaires de montrer le maximum de dessins,
terres cuites, modèles en demi-grandeur, plâtres et réalisation du même sujet en divers matériaux.

La période de formation du sculpteur est longue. Etudes profitables à l’Ecole royale gratuite de dessin. Enseignement du sculpteur romantique Rude, puis de Duret qui le prépare au Prix de Rome. Il l’obtient en1854, avec une œuvre d’inspiration traditionnelle et qui témoigne de son don du modelage

Au cours des six années passées à Rome,  il va à la fois continuer à affirmer son œuvre de sculpteur et approfondir sa connaissance des Antiques et de la Renaissance.. Avec enthousiasme (« cet enthousiasme, c’est mon cri vers le sublime, c’est ma puissance », écrit-il à un ami proche en 1861), il délire presque  pour Michel-Ange «  foudroyant de caractère et incomparable comme science ». Ces qualités, force et science,  Carpeaux essaie de les atteindre. On a de ce séjour une première œuvre marquante,  le « Pêcheur à la coquille ». A la fin de la deuxième année chaque élève doit réaliser un nu masculin en plâtre pour l’envoi à l’Académie. Carpeaux s’inspire de Rude qui a traité un sujet voisin, mais il a de personnel un réalisme très affirmé. L’originalité de la pose, l’équilibre instable de l’enfant, ainsi qu’une grâce naturelle dans le sourire et le geste des mains, en font une image charmante qui s’imprime dans la mémoire.

Bientôt sa nature mélancolique l’entraîne vers une plus haute ambition qui est d’illustrer un passage de l’Enfer de Dante, où celui-ci évoque Ugolin, enfermé dans la Tour de la Faim, entouré de ses enfants en fin de vie et dont il mangera les cadavres. « De rage, je me mordis les mains » : c’est ce geste de désespoir que traduit Carpeaux. Le groupe statuaire qui comprend les cinq enfants d’Ugolin, dont l’un est  mort, rappelle le Laocoon. Il est extraordinaire de science de la composition et de tragique retenu. Avec ténacité  le jeune homme a su résister aux critiques du directeur de la Villa Médicis et il a mené à bien sa première très grande œuvre.

Le succès d’Ugolin a été immédiat et Carpeaux, à son retour à Paris, fait partie  des artistes officiels dont Napoléon III aime à s’entourer. Lui, fils d’un maçon et d’une dentellière, le voici admis à la Cour de Compiègne et, à Paris, dans le Salon de la Princesse Mathilde, cousine de l’Empereur.  Dès ce moment il reçoit des commandes de portraits de personnages de l’aristocratie, il réalise l’imposante Mathilde en marbre, l’élégant jeune Prince impérial avec son chien Néro et plus tard l’Empereur en exil. Il portraiture aussi des amis et des proches, comme Gérôme, Gounod, Charles Garnier, de charmantes jeunes femmes, Mademoiselle Fiocre, danseuse, et encore Anna Foucart, dont le sourire rayonnant se retrouve sur tant de visages féminins (mais les peintres flamands, Jordaens et Frans Hals lui ont aussi inspiré sourire et rire). Le réalisme et l’intensité psychologique s’unissent pour faire de ces portraits des chefs-d’œuvre, où Carpeaux continue la tradition du portrait français au dix-huitième siècle et annonce en même temps le naturalisme de son élève Jules Dalou et même l’œuvre de Rodin qui lui rendra hommage : « Carpeaux a fait les plus beaux bustes de notre temps ».

Dans ces années du Second Empire triomphant qui voit l’haussmannisation de Paris, l’édification de l’Opéra, la reconstruction du Louvre, le jeune sculpteur va obtenir commande après commande. En 1863 il est chargé d’orner le Pavillon de Flore aux Tuileries, côté Seine. Et son génie éclate dans ce rectangle où il doit inscrire  sa Flore.  Belle jeune femme, accroupie comme les Vénus antiques, étendant ses bras au-dessus d’une ronde de putti, elle semble sortir d’une grotte sombre ; et c’est bien ce que l’architecte Lefuel reproche au sculpteur qui n’a pas respecté la planéité de la façade. Mais l’Empereur tranche et Flore désormais nous accueille depuis le Pont du Carrousel. Le Musée d’Orsay en conserve le modèle en plâtre.

Carpeaux va enchaîner avec un relief pour la façade du nouvel Opéra. Il le travaille pendant trois ans. C’est une sculpture en pierre qui est désormais conservée au musée d’Orsay, depuis que la pollution atmosphérique l’a fait retirer de sa place originelle (remplacée par la belle copie de Paul Belmondo en 1964). Le génie de la danse, grand et radieux jeune homme, autour duquel s’envolent des voiles comme des ailes, domine une ronde de bacchantes orgiastiques emportées par ce mouvement de la danse que  Carpeaux sait si bien suggérer. A leurs pieds un petit Amour brandit le hochet de la folie. On peut deviner que cette hardiesse de conception choqua le conformisme moral et esthétique de certains. L’une des danseuses reçut un jet d’encre qu’un chimiste sut faire disparaître. Et le sculpteur eut gain de cause malgré la polémique. C’est son œuvre la plus connue et  l’une des plus belles.

Dernière grande commande : la Fontaine de l’Observatoire, ou plus exactement le groupe des Quatre parties du monde soutenant la sphère céleste, la base étant constituée des chevaux marins de Frémiet. L’ensemble est superbe. Carpeaux suggère le mouvement des femmes aux beaux corps et  au type ethnique affirmé, puisqu’il travaillait à partir de modèles vivants.  Il suggère leur mission de soutien du monde  et leur donne une expression grave et concentrée. L’exposition présente un modèle en terre crue d’une grande agilité et un plâtre.  Nous avons dans les plâtres la sensibilité de la main du sculpteur, alors que bronzes et marbres sont confiés à des praticiens. Il reprendra le visage de la jeune Africaine au torse enserré de cordes et il  inscrit sur le socle « Pourquoi naître esclave ? » Le bronze du jardin de l’Observatoire est mis en place en 1875. Mais l’année suivante Carpeaux meurt à l’âge de quarante-huit ans.

Sa mort prématurée nous a privés de la réalisation de ces ébauches qui promettaient tant, concernant  en particulier des sujets religieux dramatiques, comme la mise au tombeau ou des Pietà. La statue équestre du Maréchal Moncey, surmontant des bas-reliefs convulsés, prévue pour la Place Clichy et dont on voit le modèle, avait été refusée en raison de son baroquisme ; Carpeaux serait-il revenu à la charge ? En tout cas, même en un temps limité, il a produit des chefs-d’œuvre, et ce que démontre amplement cette très belle exposition, c’est qu’il est un sculpteur de tout premier plan.

Une salle est consacrée à un choix de ses peintures. Elles  montrent l’influence de Géricault. Expressionnistes, en contrastes de noir et blanc, elles recherchent le volume.
Les sujets sont inquiétants ou même tragiques, jusqu’au dernier autoportrait « criant de douleur ». Jamais montrées du vivant de l’auteur, elles ont été redécouvertes et ont fait l’objet d’expositions récentes.

Annie Birga

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Billet: utilité pour le corps des principales passions

 

Notre âme contribue à préserver le corps
Par le ressentiment qu’elle a de la douleur
Ce qui produit d’abord la passion de tristesse
Puis la détestation des causes de souffrance
Et le désir actif d’en être délivré

De même elle ressent ce qui profite au corps
Par un chatouillement qui crée de la chaleur
Faisant monter aux joues la joie ou l’allégresse
Et suscite en nos coeurs l’amour en conséquence
Puis le désir enfin qu’on n’en soit pas sevré

Désir amour et joie bénéficient au corps
Mais souvent la tristesse est première et meilleure
Parfois la haine aussi quoiqu’elle nous abaisse
Quand il importe plus d’éloigner les nuisances
Que d’embrasser le bien qui peut nous enivrer

Quand il importe moins d’élever l’existence
Que d’écarter le mal qui pourrait nous navrer

 

« Après avoir donné les définitions de l’amour, de la haine, du désir, de la joie, de la tristesse, et traité de tous les mouvements corporels qui les causent ou les accompagnent, nous n’avons plus ici à considérer que leur usage. Touchant quoi il est à remarquer que selon l’institution de la nature elles se rapportent toutes au corps et ne sont données à l’âme qu’en tant qu’elle est jointe avec lui : en sorte que leur usage naturel est est d’inciter l’âme à consentir et contribuer aux actions qui peuvent servir à conserver le corps, ou à le rendre en quelque façon plus parfait. Et en ce sens, la tristesse et la joie sont les deux premières qui sont employées. Car l’âme n’est immédiatement avertie des choses qui nuisent au corps que par le sentiment qu’elle a de la douleur, lequel produit en elle premièrement la passion de la tristesse, puis ensuite la haine de ce qui cause cette douleur, et en troisième lieu le désir de s’en délivrer. Comme aussi l’âme n’est immédiatement avertie des choses utiles au corps que par quelque sorte de chatouillement, qui, excitant en elle de la joie, fait ensuite naître l’amour de ce qu’on croit en être la cause, et enfin le désir d’acquérir ce qui peut faire qu’on continue en cette joie, ou bien qu’on jouisse encore après d’une semblable. Ce qui fait voir qu’elles sont toutes cinq très utiles au regard du corps; et même que la tristesse est en quelque façon première et plus nécessaire que la joie, et la haine que l’amour : à cause qu’il importe davantage de repousser les choses qui nuisent, et peuvent détruire, que d’acquérir celles qui ajoutent quelque perfection sans laquelle on peut subsister » (Descartes, Les Passions de l’âme, article 137).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: les conflits du Proche-Orient

 

Irak Syrie Liban Palestine s’agitent
et des peuples entiers y sont pris en otages
Aux crimes des tyrans mortellement s’ajoute
Une guerre des Dieux dont nul ne nous protège

Drapés dans leur bon droit vêtus de fausses toges
Israël Ismaël en lutte intransigeante
Invoquent leurs Très-Hauts pour cibler sans vertige
L’adversaire à tuer dans les foules sujettes

Pris dans l’ébullition des fureurs qui voient rouge
Sunnite ou bien Chiite aucun n’a de refuge
La bonne volonté n’essuie que des refus

Ce ne sont que chaudrons où la passion mijote
Et se met à bouillir où  se remuent des juntes
L’affamé de justice attend toujours à jeun

 

Bien que les Chrétiens n’aient guère de leçon à donner, les conflits actuels du Moyen-Orient incitent à citer les évangiles: « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté », et: « heureux les doux, car ils auront la terre en partage; heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu; heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés » (béatitudes du sermon sur la montagne, dans les évangiles de Matthieu et de Luc). Il ne s’agit pas seulement de religion, mais quasiment de morale politique sous une forme paradoxale déniant aux belliqueux la possession du monde.
Le Christ a poussé très loi la subversion de l’ancienne conception, celle du talion, présente dans la Bible et dans le Coran, et apparemment toujours à l’oeuvre dans les événements d’aujourd’hui :
– Matthieu, 5, 38-4: « Vous avez appris qu’il a été dit: oeil pour oeil, dent pour dent. Et moi je vous dis: … si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tend-lui aussi la gauche »;
– Luc, 6, 29: « Si quelqu’un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l’autre. Si quelqu’un prend ton manteau, ne l’empêche pas de prendre encore ta tunique ».
Il s’agit d’une opposition radicale à la loi du talion, mais qui ne peut pas non plus, à elle seule, rendre viables et vivables les sociétés.

 

Dominique Thiébaut  Lemaire

 

 

Billet: premier anniversaire

 

Sacha trotte partout véloce à quatre pattes
Se met aussi debout pour essayer des pas
Depuis le bord d’un siège on le voit qui chaloupe
Qui s’avance hardiment dans une marche floue

Atterrit en douceur comme en légère pente
Fier d’avoir dépassé l’étape du rampant
Se hausse de nouveau grâce au pied d’une chaise
Et réussit son coup quand hier il trébuchait

Il rit se fâche explore et manoeuvre les portes
Appelle ada mama lorsque ses parents partent
Cherche à tourner les clés de ses mains inexpertes

C’est son anniversaire en un an quel parcours
En douze mois à peine et tant d’autres encore
Vont le faire grandir de corps d’esprit de coeur

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire