Billet: le retour des saisons et la vie sans retour

 

 

 

Lorsqu’au printemps l’optimisme chantonne

Le cœur nouveau bat sans monotonie

Croit en un feu qui ne crée pas de cendre

Et son aurore est plus rose que sang

 

Lorsqu’en été le bref déluge étonne

Par sa vigueur dans l’orage tonnant

Surgit l’éclair faisant parler la poudre

On sent la foudre accélérer le pouls

 

Puis la saison des nuages d’automne

Etend parfois des voiles cotonneux

Mais forme aussi de puissantes escadres

Où le gris noir se teint de bleu muscat

 

Ce ne sont pas des nuées autochtones

Quelle énergie pourrait les cantonner

Comme exhalées par le souffle d’une hydre

Hors de la mer dans un cycle infini

 

Porteuses d’eau par vagues qui moutonnent

Il y a mieux pour emplir les tonneaux

C’est la vendange où loin de se morfondre

On oubliera que les jours se défont

 

S’en vient l’hiver dans la nature atone

Que la verdure aux beaux jours festonnait

La brume pâle et le froid semblent feindre

Une extinction mais ce n’est pas la fin

 

 

***

 

Ce poème est fondé en partie sur des mots qui riment avec automne, mais permettent d’évoquer aussi d’autres saisons. Les poètes du 19e siècle associent fréquemment à l’automne l’adjectif monotone dans lequel, phoniquement, le nom de cette saison se trouve inclus:

 

Victor Hugo dans « Oceano nox » (Les Rayons et les ombres) :

 

Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre

Dans l’étroit cimetière où l’écho nous répond,

Pas même un saule vert qui s’effeuille à l’automne,

Pas même la chanson naïve et monotone

Que chante un mendiant à l’angle d’un vieux pont !

 

Baudelaire dans « Chant d’automne » I (Les Fleurs du mal):

 

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !

J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres

Le bois retentissant sur le pavé des cours.

Il me semble, bercé par ce choc monotone,

Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.

Pour qui ? – C’était hier l’été ; voici l’automne !

Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

 

Verlaine dans «Nevermore » (Poèmes saturniens) :

 

Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone,

Et le soleil dardait un rayon monotone

Sur le bois jaunissant où la bise détone.

 

Verlaine dans « Chanson d’automne » (Poèmes saturniens) :

 

Les sanglots longs
Des violons

De l’automne

Blessent mon cœur

D’une langueur

Monotone.

 

Verlaine encore dans « Le son du cor s’afflige vers les bois » (Sagesse) :

 

Et l’air a l’air d’être un soupir d’automne,
Tant il fait doux par ce soir monotone

Où se dorlote un paysage lent.

 

Heredia dans « Tranquillus » (Les Trophées) :

 

C’est dans ce doux pays qu’a vécu Suétone ;
Et de l’humble villa voisine de Tibur,

Parmi la vigne, il reste encore un pan de mur,

Un arceau ruiné que le pampre festonne.

 

C’est là qu’il se plaisait à venir, chaque automne,
Loin de Rome, aux rayons des derniers ciels d’azur,

Vendanger ses ormeaux qu’alourdit le cep mûr.

Là sa vie a coulé tranquille et monotone.

 

Au-delà de son apparence métaphorique, le parallèle entre les saisons de la nature et celles de la vie humaine fait réfléchir à deux sortes de temps: celui de l’écoulement linéaire et celui de l’éternel retour.

Le temps cyclique des saisons a inspiré des méditations religieuses probablement très anciennes. On peut se demander si un thème tel que celui de la résurrection aurait pu apparaître et se développer dans des régions du globe dépourvues de saisons bien marquées. Il est banal de noter que, dans le christianisme, la naissance du Christ est placée au moment où les jours recommencent à s’allonger, et sa résurrection au moment où la végétation revit, tandis que la Toussaint et le jour des morts se trouvent au milieu de l’automne.

 

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

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