Sergio Birga: dessins (exposition à Marseille en octobre-novembre 2012)

Du 12 octobre au 10 novembre 2012, sous le titre Pierres noires, Sergio Birga a exposé à Marseille à la galerie Anna-Tschopp (197, rue Paradis, 13006 Marseille) des dessins inspirés de plusieurs auteurs: Boris Vian, Karel Capek, Kafka, Edgar Poe, Patrizia Runfola, Verhaeren… Principalement en noir et blanc, mais, comme le dit l’avant-propos du catalogue en ligne, parfois « rehaussés de sanguine et de craie ou de gouache blanches ».

Le catalogue peut être consulté sur le site internet « galerie Anna Tschopp ».

On y retrouve la vigueur habituelle de l’artiste, ainsi que l’inspiration satirique qui a marqué sa période expressionniste.

On connaissait déjà la prédilection de Birga pour Kafka, mais on est (heureusement) surpris de découvrir son goût pour d’autres auteurs, par exemple pour Verhaeren, ses Campagnes hallucinées et ses Villes tentaculaires.

Le dessin intitulé « Le Péché » correspond à un poème des Campagnes hallucinées, qui commence ainsi:
« Sur sa butte que le vent gifle,
Il tourne et fauche et ronfle et siffle,
Le vieux moulin des péchés vieux
Et des forfaits astucieux. »
Et, dans la suite du poème, on apprend que:
« Tous sont venus, jeunes et vieux,
Pour emporter jusque chez eux
Le mauvais grain, coûte que coûte… »

Un autre dessin, intitulé « Le Spectacle », correspond au poème ainsi dénommé dans Les Villes tentaculaires, et dont voici un extrait:
« Des bataillons de danseuses en marche
Grouillent, sur des rampes ou sous des arches;
Jambes, hanches, gorges, maillots, jupes, dentelles
– Attelages de rut, où par couples blafards
Des seins bridés mais bondissants s’attellent,
Passent, crus de sueur ou blancs de fard. »

On découvre la lecture graphique d’un artiste qui a trouvé dans la littérature des thèmes auxquels il a donné beaucoup d’expressivité, en mettant en scène un monde peuplé de personnages dont l’humanité est menacée par l’inhumanité, notamment celle des bureaux, des usines, des robots… et des autorités.

Dans certains dessins, en particulier ceux qu’il a tirés de L’Ecume des jours de Boris Vian, Birga illustre de manière sensuelle ou émouvante la relation entre l’homme et la femme (« La Danse », « Colin et Aline nue », « La Mort de Chloé »…) .

Dans plusieurs autres, par exemple ceux qui illustrent Edgar Poe, il parvient à une puissante représentation du fantastique.

Et il atteint souvent par le dessin cette profondeur mystérieuse qui caractérise nombre de ses huiles sur toile (« Les montagnes glacées », Le chevalier du seau: dessin d’après Kafka; « La chute de la maison Usher »: dessin d’après Edgar Poe; « La Petite madone », Leçons de ténèbres, d’après Patrizia Runfola, dessin de 2006 qu’il nous est donné de pouvoir comparer à une toile de 2007 sur le même sujet…)

Une « Arrivée à New York », inspirée par L’Amérique de Kafka, représente de façon magistrale sur le fond des tours de Manhattan l’arrivant héros du livre, poing sur la hanche, tenant de l’autre main sa valise sur l’épaule, et regardant la statue de la Liberté dans une attitude complexe de perplexité, de défi, d’admiration?
Il est à noter que Birga a représenté la Liberté élevant non pas une torche, mais un glaive qu’elle brandit conformément au texte de Kafka.
Nous attendons maintenant les oeuvres qui lui ont été inspirées par son récent séjour à New York !

Ces dessins nous tracent un parcours frappant, parfois presque dantesque, dans le monde littéraire de leur auteur.

Libres Feuillets

 

  
Sergio Birga
Le pont Charles (Description d’un combat, Kafka)
2006, 114×146 cm, huile sur toile

Billet: les pigeons de Paris

 

Nous aimons bien pour leurs noms la colombe
Le tourtereau la tourterelle
Et leurs cousins ramier palombe
Mais quand si près de notre tête ils passent
En rase-motte et sur la ville fientent
Ils ne sont plus que des pigeons

Nous aimons peu l’air crochu des rapaces
Des pèlerins des crécerelles
Qui dans le ciel font du surplace
Mais à Paris beaucoup voudraient que tombe
Sur les bisets leur chasse foudroyante
En souhaitant plus de faucons

A Notre-Dame on en voit qui surplombent
Du haut des tours ou des tourelles
Des colombins nombreux qui bombent
Leur gorge grise et même se prélassent
Parfois soudain sur les volées fuyantes
Un aquilin fait un plongeon

Colombophile et phobe face à face
Pour tempérer cette querelle
On nous installe inefficaces
Des pigeonniers où les couvées succombent
Dans l’œuf en douce histoire lénifiante
Une invention d’esprits féconds

 

Le journal Le Monde du 30 septembre-1er octobre 2012 nous a informés que le douzième « pigeonnier contraceptif » de Paris a été inauguré, vendredi 28 septembre, dans le 10ème arrondissement de la capitale.

D’après cet article, il s’agirait de dissuader les nourrisseurs, « ces amoureux des volatiles qui sèment graines et mie de pain sur les trottoirs, malgré les interdictions ». Il s’agirait aussi d’assurer « la cohabitation entre les citadins et les oiseaux ».

D’après l’adjointe au maire chargée des espaces verts, interrogée par le journal: « Nous ne sommes pas en train de limiter la population des pigeons. C’est un outil de communication. Aux nourrisseurs, nous expliquons que l’on s’occupe des pigeons. Aux riverains, nous disons que nous tentons de limiter les nuisances » !

Question : qui sont les « pigeons » de cette fable, les oiseaux ou les citadins ? Les nourrisseurs ou les riverains ?

Dominique Thiébaut Lemaire