Billet: la palme d’or du festival de Cannes 2013


Le film est long cent quatre-vingts minutes
Et quand l’actrice est plus qu’à demi nue
Quand avec elle une autre fait la paire
Les spectateurs demeurent circonspects

C’est qu’ils y voient chatteries de minette
Sexe de femme et plus qu’un tantinet
Mimes de chair entre cri et soupir
Mais peu fervents seulement des copies

C’est que jamais le cinéma n’a pu
Bien évoquer l’amour à son zénith
Parfum toucher font sentir leur absence

Par la vision comment rendre le pur
Le bel amour celui qui réunit
Dans sa magie les plus cachés des sens

*

La critique la plus intéressante du film intitulé La vie d’Adèle, palme d’or au festival de Cannes 2013, est celle qui a été publiée le 27 mai 2013 sur son blog Les Cœurs exacerbés par Julie Maroh, auteure de la bande dessinée Le Bleu est une couleur chaude (2010, prix du public au festival d’Angoulême 2011), dont s’est inspiré le réalisateur du film, Abdellatif Kechiche.

Julie Maroh évoque notamment les scènes de sexe, en précisant que :
« sur les trois heures du film, ces scènes n’occupent que quelques minutes. Si on en parle tant c’est en raison du parti pris du réalisateur.
Je considère que Kechiche et moi avons un traitement esthétique opposé, peut-être complémentaire. La façon dont il a choisi de tourner ces scènes est cohérente avec le reste de ce qu’il a créé. Certes ça me semble très éloigné de mon propre procédé de création et de représentation. Mais je me trouverais vraiment stupide de rejeter quelque chose sous prétexte que c’est différent de la vision que je m’en fais.
Ça c’est en tant qu’auteure. Maintenant, en tant que lesbienne…
Je ne connais pas les sources d’information du réalisateur et des actrices (qui jusqu’à preuve du contraire sont tous hétéros), et je n’ai pas été consultée en amont. Peut-être y a-t-il eu quelqu’un pour leur mimer grossièrement avec les mains les positions possibles, et/ou pour leur visionner un porn dit lesbien… Parce que – excepté quelques passages – c’est ce que ça m’évoque: un étalage brutal et chirurgical, démonstratif et froid de sexe dit lesbien, qui tourne au porn, et qui m’a mise très mal à l’aise. Surtout quand, au milieu d’une salle de cinéma, tout le monde pouffe de rire. Les hérétonormé-e-s parce qu’ils/elles ne comprennent pas et trouvent la scène ridicule. Les homos et autres trans-identités parce que ça n’est pas crédible et qu’ils/elles trouvent tout autant la scène ridicule.  Et parmi les seuls qu’on n’entend pas rire il y a les éventuels mecs qui sont trop occupés à se rincer l’œil devant l’incarnation de l’un de leurs fantasmes.
Je comprends l’intention de Kechiche de filmer la jouissance. Sa manière de filmer ces scènes est à mon sens directement liée à une autre, où plusieurs personnages discutent du mythe de l’orgasme féminin, qui… serait mystique et bien supérieur à celui de l’homme. Mais voilà, sacraliser encore une fois la femme d’une telle manière je trouve cela dangereux. »

Julie Maroh (qui a cédé les droits d’adaptation) réfléchit aussi sur la transposition d’une œuvre au cinéma.
« Quoi qu’il en soit je ne vois pas le film comme une trahison. La notion de trahison dans le cadre de l’adaptation d’une œuvre est à revoir, selon moi. Car j’ai perdu le contrôle sur mon livre dès l’instant où je l’ai donné à lire. C’est un objet destiné à être manipulé, ressenti, interprété.
Kechiche est passé par le même processus que tout autre lecteur, chacun y a pénétré et s’y est identifié de manière unique. En tant qu’auteure je perds totalement le contrôle sur cela, et il ne me serait jamais venu à l’idée d’attendre de Kechiche d’aller dans une direction ou une autre avec ce film, parce qu’il s’est approprié – humainement, émotionnellement – un récit qui ne m’appartient déjà plus dès l’instant où il figure dans les rayons d’une librairie. »
Elle exprime cependant in fine sa tristesse – tout de même amère, quoi qu’elle en dise – de ne pas avoir entendu le réalisateur reconnaître (publiquement) sa dette vis-à-vis de l’œuvre dont il s’est inspiré.

Nous sommes très loin du temps (1857) où Baudelaire a été condamné pour quelques-uns de ses poèmes, parmi lesquels « Lesbos » (l’île de Sapho) et les « Femmes damnées ». Le substitut Pinard qui la même année avait requis contre Gustave Flaubert, l’auteur acquitté de Madame Bovary, a conclu ainsi son réquisitoire :
« Soyez indulgent pour Baudelaire, qui est une nature inquiète et sans équilibre. Soyez-le pour les imprimeurs, qui se mettent à couvert derrière l’auteur. Mais donnez, en condamnant au moins certaines pièces du livre, un avertissement devenu nécessaire. »
Baudelaire a été condamné à 300 francs d’amende, les imprimeurs-éditeurs Poulet-Malassis et De Broise chacun à 100 francs, et six « pièces condamnées » ont été supprimées du recueil des Fleurs du mal. Baudelaire ayant demandé dans une lettre à l’impératrice la réduction de l’amende qui « dépasse les facultés de la pauvreté proverbiale des poëtes », le ministre de la Justice a réduit en janvier 1858 l’amende à cinquante francs. Dès 1869, un Complément aux Fleurs du Mal de Charles Baudelaire comprenant les pièces condamnées a été édité par Michel Lévy. Une loi du 25 septembre 1946 ayant institué un nouveau cas de pourvoi en révision ouvert uniquement à la Société des Gens de Lettres de France, celle-ci a aussitôt agi sur la base de ce texte, et la Cour de Cassation a cassé et annulé le 31 mai 1949 le jugement rendu (presque cent ans auparavant) le 27 août 1857.

Quant à la qualité poétique des pièces condamnées, en particulier les pièces « saphiques », voici comme exemple le dernier quatrain des « Femmes damnées » (Delphine et Hippolyte) :

Loin des peuples vivants, errantes, condamnées,
A travers les déserts courez comme les loups ;
Faites votre destin, âmes désordonnées,
Et fuyez l’infini que vous portez en vous !

Si les pièces incriminées n’ont pas mérité l’indignité, elles ne méritent probablement pas non plus un excès d’honneur. Leurs vers sont beaux, mais ils donnent parfois l’impression d’en faire trop, et on peut trouver rhétorique leur romantisme, malgré l’admiration que nous inspire par ailleurs le génie de Baudelaire.

 Dominique Thiébaut Lemaire

Petite odyssée d’un marin breton, René Scavennec. (I):1939-1943. Transcription et présentation par Maryvonne Lemaire

 

Fils de Joseph Scavennec et de Marie Hervé, agriculteurs à Rosporden (Finistère), René Scavennec (Rosporden 15 septembre 1908-Quimperlé 27 avril 2007), époux de Marie Donal – sœur d’Eugène Donal, journaliste – a été maître-principal (radio) dans la marine nationale.

La guerre de 1939-1945, avant l’épisode de la Libération de Rosporden à laquelle il a participé comme protagoniste en 1944, l’a conduit sur différents rivages de l’Atlantique et d’un bord à l’autre de la Méditerranée, entre la France et l’Afrique du Nord, dans une véritable petite odyssée dont il a fait le récit, enregistré par son neveu Alfred Scavennec (fils de son frère Alfred) le 19 octobre 1994.

Sa nièce Maryvonne Scavennec-Lemaire (fille de son frère André) en a assuré la transcription que l’on peut lire ci-dessous.

 

***

 

Où étais-tu, René, en septembre 39, à la déclaration de guerre ?

     A la déclaration de guerre,  j’étais à l’école de radio comme instructeur. D’abord à Toulon et ensuite nous sommes venus à Port-Louis, à Lorient.

Que s’est-il passé pendant la drôle de guerre pour toi ?

     En 40, nous nous trouvons à Port-Louis.  Le 16 juin, nous décampons. Nous avons ordre de rejoindre Lorient, où nous devions embarquer sur le Commandant Dominé. Je dois embarquer sur le Commandant Dominé avec mes apprentis radio. Quand nous nous sommes présentés au Commandant Dominé, on nous a dit que nos places étaient prises  par l’Ecole des officiers des transmissions. Qu’est-ce que nous avons fait ? L’officier de marine qui était  à l’embarquement   nous a dit qu’il n’y avait qu’une solution, c’était de rejoindre le port de pêche, Keroman. A Keroman, on a trouvé un chalutier qui était en instance de départ. Quand nous nous sommes présentés à ce chalutier, on nous a dit : « Non, ce n’est pas prévu, nous n’avons pas de vivres pour vous ». Bon gré mal gré, nous avons embarqué. J’ai fait un papier, comme quoi je devais embarquer sur un chalutier sur ordre de la marine de Lorient.

Vous étiez combien ?

     J’étais avec trois apprentis radio.

Les Allemands n’étaient pas encore là ?

     Ils arriveront le 18. Nous sommes embarqués à bord, bon gré mal gré. On verrait bien ce qui allait se passer par la suite.  Mes trois matelots ( les trois apprentis radio) et moi, on est  à bord. Et puis on voit deux officiers mariniers de l’école, qui déambulaient, qui cherchaient quelque chose, qui n’avaient pas pu embarquer. Je leur fais signe. Ils sont venus. Ils ont embarqué en somme sur mes ordres, puisque c’est moi qui avais pris l’initiative de réquisitionner le bateau.

     Départ de Lorient vers les 10 heures du soir. Destination inconnue pour le moment, puisque le commandant avait une lettre cachetée qu’il n’avait droit de décacheter que sorti des eaux territoriales (les trois milles). Évidemment, arrivé au large de Groix, il a ouvert son enveloppe, où il y avait mis : destination Casablanca, avec ordre de prévenir, si on rencontrait en mer des marins-pêcheurs, de rallier autant que possible l’Afrique du Nord et non l’Espagne ou le Portugal , où  ils risquaient d’être internés. On a rencontré effectivement pas mal de bateaux de pêche, qui ont tous été consternés de savoir que les Allemands étaient chez nous. On a mis six jours pour rallier Casa. Mais entre-temps, après avoir prévenu les pêcheurs qu’on rencontrait en cours de route,   le commandant est entré à Tanger. C’était une erreur de route. C’était un enseigne de réserve. Pas beaucoup d’heures de navigation certainement, il s’était trompé. Alors à Tanger le bateau-pilote est venu à notre rencontre. Il a dit : «  Halte là ! Si vous allez plus loin,  vous risquez d’être internés ». Il nous a demandé : « Quelle destination ? » Le commandant a répondu : « Casablanca ». « Alors demi-tour et  longez la côte ». Donc nous avons quitté Lorient le 16 et nous sommes arrivés le 24 à Casa. Le 24 juin 40.

     Quand nous sommes arrivés à l’école, les gens ont tous levé les bras aux nues : nous étions tous portés disparus. Nous étions portés disparus parce qu’on nous croyait sur La Tanche. La Tanche a sauté le 17 au matin, à 6 heures du matin. Là il n’y a eu aucun rescapé. La Tanche était un chalutier, le même que le nôtre. A titre d’indication, notre chalutier s’appelait le Saint-Pierre d’Alcantara. Ça a été la joie générale à l’école. Quand nous sommes arrivés, ils n’étaient pas encore au courant de l’accident de La Tanche. Ils nous attendaient sur La Tanche. Nous avions l’ordre d’embarquer sur le Commandant Dominé mais quand nous sommes arrivés, notre place était prise par l’Ecole des officiers des transmissions, qui avait la priorité. J’aurais dû me retrouver en Angleterre, au lieu d’aller en Afrique du Nord.

Les Transmissions sont allées en Angleterre ?

     Oui

Ton école à toi, ce n’était pas l’Ecole des transmissions ?

     Si, mais eux, c’était l’Ecole des officiers. Nous, c’était l’école des apprentis radio. On a été bien reçu. Je m’attendais à  une engueulade, parce que prendre un bateau comme ça sans l’autorisation, hein ?… c’était la guerre… mais c’était une bonne initiative que j’avais prise, si bien que j’ai eu un témoignage officiel de satisfaction.

 Qui te l’a donné ?

      ça venait du ministère de la marine.

ça ne venait pas de Paris, en tout cas ?

     Le 16 juin 40, un témoignage officiel de satisfaction…

Vous étiez des rebelles ?

Le 16 juin 40 rien n’est encore fait. Ce n’est que le 18 juin 40 que Pétain va dire que c’est fini.

     J’ai quand même une petite anecdote. Pendant la traversée, comme il n’y avait pas de vivres à bord- il y avait du pain, il y avait du vin mais de viande, il n’y en avait pas-, il s’est trouvé que, parmi mes trois apprentis, il y en avait un qui avait fait la pêche au thon. Il a fait un crochet avec un fil de fer, il a trouvé un morceau de barbaque. On a pêché trois bonites pendant notre traversée, si bien qu’on a eu de sacrés biftecks de thon, formidable ! Il n’y avait pas de viande mais… si, il y avait  des conserves, des boîtes de singe. L’école de radio était au petit lycée Lyautey à Casa. L’instruction s’est déroulée normalement pendant  deux mois ; l’école de radio a continué en juin 40, en Afrique du Nord. En juin et juillet.

Vous avez continué à fonctionner en tant qu’école de radio ?

      En tant qu’école de radio, officiellement. De là, en août,  nous  sommes descendus à Mogador. À Mogador, j’ai continué l’instruction dans une école. L’école des radios a continué, je dirais jusqu’au mois de novembre, novembre 40, où l’école a été dissoute. Pour ma part, j’ai été désigné pour Dakar. J’ai dû embarquer sur un pétrolier, la Garonne.

Je connais la Garonne pour l’avoir vue en rade de Brest…

     La Garonne, c’est un pétrolier qui d’abord a été réarmé, en attendant une destination quelconque. En 41, on a pris un chargement d’huile d’arachide. La moitié, on l’a laissée à Casa, l’autre moitié on l’a envoyée à Alger, parce que les sous-marins marchaient à l’huile d’arachide. Il n’y avait plus de mazout, plus rien.

Les sous-marins français ?

     Oui, la Circé et compagnie. Après, quand on a laissé notre chargement à Alger, on a pris un chargement de balles de caoutchouc, qui était destiné à Michelin. Des balles de caoutchouc qu’on n’a pas pu mettre dans les cuves mais qui étaient sur le pont. Des masses de cinq ou six balles, l’une entassée sur les autres, si bien qu’on ne voyait plus la mâture.

Les balles de caoutchouc, c’est pour quel port ?

     Toulon. D’Alger nous somment venus à Toulon avec un chargement de balles de caoutchouc.

Vous êtes sous quel régime ?

     C’est Vichy.

La France du Sud n’est pas encore occupée.  Il n’y a pas de rupture encore…

     Là, à Toulon, on a désarmé le bateau. Je me suis trouvé sans affectation. Je connaissais le Major à Vichy, qui  était mon ancien patron à Toulon en 1930-31. Je le connaissais, alors je lui ai écrit. Je lui ai dit dans quelle situation je me trouvais : je me trouvais à Toulon, mon bateau désarmé, sans affectation. Je lui ai expliqué que ma famille était à Casa. Tout de suite il a fait le nécessaire pour me redésigner pour Casa. Je suis donc retourné à Casa, à la marine de Casa. Je vais rester jusqu’en septembre 42. Là je suis désigné pour Bizerte, pour la préfecture maritime de Bizerte.

Tu avais quel grade, tonton?

     J’étais second maître. Non, j’ai dû passer en avril 41 maître. J’étais maître radio. J’arrive à la préfecture. Pour aller du Maroc à Bizerte, on a  pris le tortillard, on a fait toute la côte jusqu’à Tunis. Arrivé là-bas, à la préfecture maritime, on me dit…  Non ce n’était pas la préfecture maritime, c’était un coin de Bizerte… on me dit: « Vous allez former des apprentis radio ». Donc c’était une école clandestine. /Ah ?/Mais oui, puisque l’autre déjà était dissoute, à Casa. En  principe, c’était interdit par les conventions d’armistice.

     Nous sommes déjà en 42, quand je rejoins Bizerte, septembre 42. « Non, ce n’est pas pour la préfecture maritime, c’est pour vous occuper d’apprentis radio ». Il y avait un capitaine de vaisseau et un capitaine de frégate : «  Vous allez vous organiser. Vous allez tout faire : le son, la procédure, les conférences d’électricité, expliquer ce que c’est que l’électricité, la radio et tout ça ». J’avais 11 apprentis, ça marchait bien. J’avais 11 élèves, qui étaient fils de fonctionnaires de là-bas ou bien qui étaient en Tunisie depuis très longtemps. Ils avaient bien sûr de la famille en France mais ils étaient de là-bas. En somme ils faisaient leur service militaire. Il y en avait six qui avaient leur bac et les cinq autres avaient le niveau du brevet. Donc  ce n’était pas des imbéciles, c’était des gars bien disciplinés, qui ne demandaient qu’une chose, c’est de travailler un petit peu. Entre-temps, comme j’avais trouvé un logement à Bizerte, on ne voulait pas me donner l’autorisation de ramener ma famille. Je suis allé voir le chef d’état-major,  lui  expliquer mon cas. Il me dit : « Il n’y a pas de raison majeure ». Allez ! J’ai fait tout le nécessaire pour ramener ma famille là-bas. Puis voilà le débarquement du 6 novembre 42 en Afrique du Nord !

     Les Américains débarquent à Alger, cherchent à débarquer à Casa et ils cherchaient également à débarquer  à Tunis mais là c’était la vraie course. Parce que Rommel arrivait en Tunisie /Il venait de Libye ?/ Il venait de Libye.  Et les autres étaient bloqués à Alger. Évidemment automatiquement tout est coupé. Je me suis trouvé dans une situation … y avait qu’à attendre, quoi ! Je faisais même du ciment pour faire des abris provisoires, on passait notre temps. Moi, je m’occupais de mes apprentis au maximum mais sans plus. C’était l’attente. Moi, j’attendais les Américains et Rommel nous arrivait sur le dos.

Par le sud de la Tunisie…

     Par le sud de la Tunisie. Voilà que Rommel arrive début janvier en Tunisie, à Bizerte.

Rommel est venu jusqu’à Bizerte ?

     Un beau jour, fin janvier 43… On avait des bombardements tous les jours. Les Allemands n’étaient pas encore là. Mais les Américains bombardaient  les bateaux qui étaient  pour Rommel, les bateaux allemands, tout ce qu’on veut. Ils cherchaient à neutraliser au maximum Bizerte, de façon qu’elle ne tombe pas entre les mains de Rommel. Fin janvier, voilà les troupes de Rommel qui arrivent. Je les vois encore  arriver avec leurs bottes, leurs  kakis, tout flambant neufs.

     Un beau jour, on nous affiche : « Vous êtes priés de vous mettre sous l’autorité des occupants, de l’autorité occupante ». Qu’est-ce que je constate ? Je constate qu’il n’y a plus aucun officier  français,  dans l’entourage,  dans mon service. Il y avait encore les sous-marins, la base sous-marine, mais, dans mon service, ils avaient tous mis les bouts. Quand on est libre et de sa propre initiative… Sans me prévenir, évidemment.  On a vu ce papier : « Dès demain vous êtes priés  de vous mettre aux ordres de l’autorité occupante ». On a compris. J’ai dit à mes apprentis : qu’est-ce qu’on va faire ? On savait qu’à la Baie des Carrières, de l’autre côté du goulet, étaient retranchés tous les gars de la préfecture maritime et les gars qui n’avaient plus rien à faire de ce côté-ci. C’était une base arrière en somme. Qu’est-ce qu’on a fait ? On a pris une barcasse et puis avec les 11 bonhommes, nous sommes allés là-bas. Il y avait un service. Une barcasse chargée de ramener en somme des types au hasard, une navette, qui fonctionnait à heures fixes. Pour embarquer sur cette navette- là, il fallait un papier. Nous n’avions pas de papier. Qu’est-ce qu’on a fait ? Bon gré mal gré, on a embarqué sur la navette et puis là-bas nous sommes arrivés.

     On a été accueilli  à peu près comme un chien dans un jeu de quilles. Il y avait un capitaine d’armes, c’était un Alsacien : «  Vous n’avez rien à faire ici, on ne veut pas de vous, vous n’avez pas de paquets ». Après concertation avec mes petits gars, ils parlaient l’arabe, comme ils avaient un certain bagage et qu’ils connaissaient bien le coin, « Ne vous en faites pas, patron, on va se débrouiller ». Très bien. On était logé dans des cuves à mazout,  qui n’avaient jamais servi, c’était immense ! C’était des machins galvanisés, ça pouvait recevoir des milliers de tonnes. C’était propre et à l’abri et sous terre.  Il faisait chaud là-dedans ! On est arrivé là-dedans, on a trouvé les gars de la préfecture maritime. On leur a dit qu’on arrive comme un chien dans un jeu de quilles. Ils nous ont dit : «  Ici, c’est la pagaille, ne vous en faites pas. »  Mes apprentis… Le lendemain matin, qu’est-ce que je vois, cinq ou six sont partis dans le djeb,  je ne sais pas où, ils se sont ramenés avec des poulets, des œufs, un tas de choses. Quand le cuisinier a vu ça (il n’y avait que des boites de singe à manger), il a dit : « on va s’arranger ». Tout de suite, le capitaine d’armes, à midi, on avait notre rôle de plat et tout et tout. Ça a été casé comme ça.

     Là, on va rester huit jours. Le huitième jour, il y a un papier, une affiche : « Ce soir, trois torpilleurs italiens vont accoster. Ceux qui désirent rentrer en France sont priés de donner leur nom ». Je consulte mes 11 gars. D’accord on va rentrer en France. On met tous nos noms. Les torpilleurs italiens sont arrivés à 11 heures du soir. On est arrivé à 3 heures du matin à Palerme. Ils avaient mis la gomme. Je ne vois pas bien la distance, ce n’est pas tellement large mais enfin il a fallu qu’ils marchent. Et en effet ça marchait. On entendait les turbines qui tournaient à toute gomme. Tous les jours, il y avait des torpillages, il y avait les sous-marins qui torpillaient et puis l’aviation qui donnait / L’aviation alliée ?/l’aviation allemande, même alliée. Les Italiens déjà avaient abandonné la guerre. Les soldats italiens- finie la guerre !-  avaient lâché prise. C’était en 43, janvier 43.

Les torpilleurs italiens n’étaient pas pro-allemands ?

     La preuve, c’est qu’ils mettaient leur bateau à la disposition des Français. Les Italiens étaient déjà avec nous. Ils avaient viré casaque.

Et Rommel ?

     Rommel était toujours en Tunisie. Je suis arrivé à Palerme début février 43. À Palerme, on est resté deux jours. On était dans une caserne. Il n’y avait rien à manger. Ils n’avaient que des maquereaux salés, pas de pain, des fruits peut-être. Quand nous sommes arrivés, ils ont été très heureux d’avoir une miche de pain.

     Voilà ce qui s’est encore produit. Les gars avant d’embarquer avaient mis des sacs de pain et des sacs de conserve pour embarquer à bord. Seulement les gars n’ont pas eu peur de crocher : ils ont pris des sacs de pain au maximum, ils ont pris des sacs de conserves, ils étaient chargés comme des bourriques et d’autres n’avaient rien, rien. Mais quand on a pris le chemin pour rentrer, le 5-6 février, quand on a embarqué dans le train -c’était des trains à banquettes en bois- à Palerme, il y avait déjà des ferry-boats qui traversaient là, des trains qui passaient, comme exactement la traversée d’Angleterre à ici /Entre la Sicile et la Calabre ?/ Oui. Il y a les ferries. On a pris les ferries pour arriver de l’autre côté. On continue  le long de la côte italienne, dans les wagons, dans le train,  avec des banquettes en bois, des wagons de marchandises  où il y avait de la paille-  on pouvait coucher là-dedans. On va mettre huit jours pour aller de Palerme à Nice. A chaque instant, il fallait s’arrêter pour laisser passer les trains allemands qui allaient au front. Les Italiens avaient  déjà décroché. C’était la misère chez eux. Avec nos pains et nos conserves, on a fait des heureux ! On avait des fruits à gogo…

René, vous étiez en civil ou en militaires français ?

     En militaires, on était resté en tenue, quoi !

Les chleuhs vous laissaient passer ? Vous n’avez pas eu de problèmes pour traverser l’Italie ?

      On était dans des wagons italiens. Les Italiens avaient déjà décroché. / Vous n’aviez pas de mal à passer en tenue ?/ A chaque instant nous étions obligés de nous arrêter et les trains allemands avaient priorité absolue. On voyait des trains allemands bourrés d’hommes,  de canons, qui allaient vers le front, vers la Sicile. Ils faisaient l’inverse de nous.

Vous étiez en militaires dans les wagons ?

     On était bien vu, on nous applaudissait. On nous donnait des fruits à gogo. Nous, on leur donnait du pain,  des conserves, tout ce qu’on avait. Arrivés à Nice, on a été bien reçu par la Croix-Rouge : café, croissants,  tout ce qu’on veut. De Nice on a été dévié vers Toulon, nous les marins. À Toulon, on nous a mis de suite en congé d’armistice. Il n’y avait personne. Comme gens qui stationnaient là, il n’y avait personne. J’ai dû arriver en Bretagne  vers le huit ou 10 février 43, je ne me rappelle plus très bien.

En janvier, tu es  à Palerme; en février 43,  tu es revenu en Bretagne…

      En congé d’armistice. J’étais démobilisé.  J’étais en tenue. Je suis arrivé à Rosporden en tenue. Si bien que j’ai traversé toute la zone libre en tenue, traversé Paris en tenue. Tout le monde me regardait. A Paris, en grande tenue, au mois de février 43, hein… Tout le monde disait : « Qui c’est ce gars-là, d’où il vient ? »

Aucun Allemand ne t’a rien demandé?

     Il y a juste eu le passage de la zone libre à la zone occupée, un contrôle. Donc j’ai montré mon papier de congé d’armistice, ils m’ont fouillé et ils ont regardé ce qu’il y avait dans ma valise. J’étais en règle. J’arrive à Rosporden, tout le monde se demandait d’où je sortais. Aussitôt je me suis mis en civil. Et puis terminé. Le va-et-vient entre  Rosanduc et Rosporden, et c’est tout.

Billet: concours de voix à la télévision

Micro sans fil oreillette sans casque

Equipement pour mieux nous émouvoir

D’un timbre clair ou d’un son qui se voile

Faisant rêver sans qu’on s’en aperçoive

Qui va gagner le prix des belles voix

 

Qui survivra dans les bacs et les kiosques

Est-ce celui qui se plaît au sensible

Ou l’angoissé(e) que sa recherche oblige

A dépasser les valeurs établies

Qui va gagner la faveur du public

 

Le favori de la maison de disques

L’autre qui croit au travail à la chance

Qui se surmonte ou qui suit son penchant

Quand vient le temps de la dernière manche

Qui va gagner la palme des chansons

 

(Ajout du 19 mai 2013)

Voici le vote et la fin romanesque

Où le vainqueur est celui qui oublie

Son bégaiement dans la beauté du chant

C’est la leçon terminant cet envoi

***

 

L’émission vedette de TF1, le concours de chant intitulé  « The Voice », dont la deuxième saison en France se termine le samedi 18 mai 2013 (une troisième saison est en préparation), est née aux Pays-Bas, et s’est répandue dans plusieurs pays avec un grand succès, aux Etats-Unis à partir d’avril 2011 sur la chaîne NBC, au Royaume-Uni sur la BBC, en Belgique, et ailleurs…

D’après un article publié par Le Point.fr le 16 avril 2013, « The Voice » est au cœur de bien des doutes et polémiques. Beaucoup de téléspectateurs s’interrogent sur le processus d’élimination des candidats par le public et par les professionnels appelés « coaches » (tout est en « franglais »). Ces derniers sont chargés d’entraîner les candidats mais aussi de les sélectionner de manière progressive en participant à la réduction de leur nombre jusqu’à la finale. Les choix ainsi effectués suscitent sur Twitter des centaines de réactions souvent étonnées voire scandalisées.

Par ailleurs, un point intrigue. Pourquoi le dévoilement des choix du public est-il à ce point escamoté? Les téléspectateurs se souviennent des émissions de télé-réalité où l’ouverture de l’enveloppe révélant les votes était l’occasion d’un grand suspense. Musique dramatique à l’appui, le présentateur faisait monter la tension avant de livrer le résultat des votes. Avec « The Voice », le fonctionnement est tout autre. L’huissier garantissant la véracité des chiffres se contente de faire une petite apparition sur la scène, ou n’apparaît même plus, pour remettre l’enveloppe contenant le nom de l’élu.

Contacté par Le Point.fr, le responsable de la communication de Shine (la société de production de « The Voice ») n’a pas grand-chose à déclarer. « Les votes sont secrets », assène-t-il. Il se contente d’une précision : les votes commencent dès lors qu’un nouveau groupe de chanteurs rentre en scène. Impossible d’en apprendre davantage.

Plus surprenant encore, le rôle joué par Universal Music. Le label offrira la production d’un album au vainqueur de la saison. Compte tenu de la situation du marché du disque, Universal ne peut pas se permettre de se tromper. Il faut donc un artiste « bankable », capable de vendre un maximum de CD, et qui ne devra pas seulement être doté d’une belle voix, mais aussi d’une personnalité faisant l’unanimité. Le jury composé de Florent Pagny, Garou, Jenifer et Louis Bertignac ne doit donc pas faire d’erreur. Petite précision, ils ont tous signé chez Universal. De quoi se demander si des instructions ne sont pas données… Et si les votes du public ne sont pas outrepassés par la volonté d’Universal. D’après Le Point.fr, il se murmure de source sûre qu’en dépit de la promesse de l’émission, réservant la production d’un album au gagnant, un des candidats, Olympe, aurait déjà signé son contrat.

Outre les informations et réflexions contenues dans cet article du Point, il est apparu au cours des épreuves qu’il est difficile d’apprécier une voix indépendamment de la chanson à interpréter. Parfois les coaches, involontairement ou non, choisissent une chanson ne permettant pas de mettre en valeur les qualités vocales du candidat (quand ce n’est pas le candidat lui-même qui s’est trompé après avoir été laissé libre de choisir sa chanson).
Il est à remarquer aussi que les choix du public peuvent être faussés par la technique de communication électronique (internet, facebook, twitter…) et par le phénomène de réseaux qui en résulte, pouvant faire intervenir de véritables groupes de pression. Ce phénomène est d’autant plus important qu’en finale, c’est le public seul qui va désigner le gagnant.

Quant aux décisions des quatre professionnels entraîneurs-sélectionneurs, il ne s’agit pas d’un jury aux décisions collectives. Pour les candidats que le public n’a pas choisis, chaque « coach » s’est prononcé individuellement sur les membres de sa propre équipe. Il est clair que ces décisions sont plus arbitraires que les décisions collectives, et plus propices au soupçon. Sans compter que les règles régissant ces décisions ont changé à chaque étape du jeu.
Il y a, de plus, quelque chose de pervers dans le fait de décider du sort de ses propres poulains. Les « coaches » se sont plaints explicitement de ce système les obligeant à choisir entre des candidats qu’ils ont entraînés longuement et avec lesquels se sont forcément créés des rapports affectifs. Ils seraient là pour les repêcher d’après les organisateurs du jeu et de l’émission, mais comme le verre à moitié plein est aussi à moitié vide, la décision de repêchage est en même temps une décision d’élimination du ou des autres candidats restants.

Nous sommes ainsi amenés à quelques considérations un peu désabusées.
D’abord, le jeu dépend grandement des règles du jeu, comme le savent bien ceux qui aiment le football, ou ceux qui attachent de l’importance aux palmarès sportifs (voir le billet de Libres Feuillets publié le 19 août 2012 sur les jeux olympiques d’été). Si les règles sont contestables, le jeu lui-même perd son intérêt.

Ensuite, nous voyons que l’amour évident du public pour les belles voix et les chansons est l’hameçon par lequel on l’attrape pour promouvoir des intérêts beaucoup plus prosaïques, pour preuve l’importance du temps consacré à la publicité dans ce genre d’émission.
Ajoutons encore que les choix de ceux qui  sont investis du pouvoir de trancher ne peuvent être acceptés que s’ils sont suffisamment impartiaux, d’où l’importance des arbitres dans le sport. Or, dans les jeux télévisés, la relative impartialité des choix auxquels sont soumis les candidats, qu’il s’agisse des choix des professionnels ou du public, peut être très douteuse. On passe alors  de « l’arbitrage » à « l’arbitraire ».

 

Complément apporté après la finale française du 18 mai 2013

Finalement, le vainqueur n’est pas Olympe qui avait été présenté comme le favori d’Universal, et qui a été distancé de très peu par Yoann Fréget. Cette fois, l’émission a renoué avec le cérémonial de l’huissier et des scores solennellement révélés (que le présentateur a dévoilés avec lenteur en partant des scores les moins élevés).
Yoann Fréget, âgé de 26 ans, est présenté ainsi par le Journal du dimanche du 19 mai 2013: « Diplômé en musicothérapie, chanteur soliste dans des formations de soul et gospel, le candidat de Garou a convaincu le public par son talent, son énergie (parfois trop) débordante, et son approche viscérale de la musique, qui efface comme par magie son bégaiement » .

Le thème du bégaiement surmonté par l’art est très ancien. Un exemple célèbre est celui de Démosthène qui a réussi à vaincre ce défaut d’élocution et à devenir le plus célèbre orateur de la Grèce antique.

 

Dominique Thiébaut Lemaire

La peinture romantique de Caspar David Friedrich dans trois expositions. Par Annie Birga

 

Femme dans le soleil du matin 1818

Deux expositions, « De l’Allemagne » au Musée du Louvre (28 mars-24 juin), « L’Ange du Bizarre » au Musée d’Orsay (5 mars-9 juin), présentent des tableaux du grand peintre romantique. Le Louvre en a rassemblé une vingtaine et, pour compléter l’oeuvre peint, le visiteur a la surprise de découvrir, dans l’exposition consacrée au sculpteur David d’Angers, deux lavis que celui-ci avait achetés au peintre lui-même, lorsqu’il  alla le visiter dans son atelier de Dresde en 1834 – Friedrich alors a 60 ans – et David d’Angers, avant de modeler son médaillon, le saisit dans son journal: « Ce soir, nous avons rendu visite au peintre Friedrich. C’est lui qui nous a ouvert la porte. Il est grand et mince, pâle, des sourcils très épais, les yeux enfoncés. Il nous a introduits dans son atelier: une petite table, un lit, semblable à un cercueil, un chevalet sur lequel il n’y avait rien… »

Quelques éléments biographiques permettent de mieux entrer dans l’univers du peintre. Orphelin de mère à huit ans, il perd au cours de son adolescence un frère et une soeur. Il vit solitaire et ne se marie qu’à quarante-quatre ans avec une jeune fille pauvre; ils auront deux enfants.La maladie le frappe tôt et ses dernières années sont assombries par le manque de santé et un certain délaissement de son oeuvre, la mode ayant tourné, au point qu’on le décrit comme neurasthénique. Pour contrebalancer ces épreuves, il y a dans la vie du peintre un nombre certain de satisfactions.
Pouvoir étudier à Copenhague – il est natif de Poméranie, région qui faisait alors partie de la Suède – dans la meilleure Académie d’Europe du Nord avec des peintres-professeurs de haut niveau, comme Juel et Abilgaard.
Avoir près de lui un disciple, Carus, grand intellectuel et bon peintre, et abriter dans son atelier-maison des bords de l’Elbe le célèbre peintre norvégien, Christian Dahl.
Après une exposition à Weimar, être élu membre de l’Académie de Berlin, puis de celle de Dresde.
Recevoir, en 1810, la visite de Goethe, avec lequel il échange une correspondance, et en être admiré ( « Paysage merveilleux », note celui-ci à propos de l’ « Abbaye dans un bois »).
Participer au grand essor du mouvement romantique avec ses amis Tieck, Kleist et Novalis et en être, par son oeuvre, l’un des principaux protagonistes.
Par la marche, par le regard, par la contemplation, connaître les joies mystiques de la fusion avec la nature et les transmuer en peinture initiatique.

En effet, dans ses conseils à un jeune peintre,Friedrich écrit : « Tu tiendras pour sacré tout mouvement pur de ton âme, car il est l’art en nous. Ce sera la forme évidente et cette forme est ton tableau ». Ou encore : « Ferme l’oeil de ton corps afin de voir ton tableau d’abord par l’oeil de l’esprit. Mets au jour ce que tu as vu dans l’obscurité, afin que ta vision agisse sur d’autres, de l’intérieur vers l’extérieur ».

Si nous nous intéressons à l’aspect technique de sa peinture, nous constatons que la facture est lisse, proche des lavis qu’il a exécutés en nombre dans ses années d’apprentissage, toute en nuances de gris ou de subtils dégradés, proche par cela de l’ancienne peinture chinoise, d’une palette de couleurs économe, avec seulement des jaunes et rouges éclatants dans certains couchers de soleil. Les compositions, qui semblent simples, sont très étudiées et parfaites de proportions. Le petit nombre total de ses tableaux (autour de trois cents) suggère une élaboration lente.

Chaque tableau mériterait d’être longuement étudié. Nous nous bornerons à en citer quelques-uns. Ils sont, dans les deux expositions, présentés par thèmes et non chronologiquement.

Ils sont, tous, reflet de la sensibilité et d’un état d’âme, ce qui les différencie aussi bien des paysages, étudiés au musée de Copenhague, des maîtres hollandais que de ceux de ses  contemporains, plus descriptifs ou plus héroïques. Une salle le montre très bien, qui réunit  pour la comparaison « Le Watzmann » (1825) et deux paysages de montagnes de Koch et de Richter.

Les lignes tantôt sinueuses, tantôt escarpées des monts de Bohême voisins, parcourus à pied, la géologie des roches, les lumières aux différents moments du jour ou de la nuit, sont l’une des constantes de sa thématique. et de sa recherche.  Retenons « Le matin sur les montagnes » (1823).

« L’arbre aux corbeaux » (1822) montre un grand chêne aux ramures squelettiques sur lequel tournoie un vol de corbeaux dans le ciel rouge du couchant. L’arbre est planté dans un tumulus-tombe. C’est le tragique de la guerre napoléonienne en Allemagne que le patriote Friedrich veut ici suggérer. Mais le paysage paradisiaque de mer et de falaises blanches de son île de Rügen apparaît dans le lointain. Une issue ?

Les campagnes ou les forêts enneigées – Friedrich est un nordique qui a voulu le demeurer et a toujours refusé le fameux tour en Italie – offrent au promeneur rêveur des ruines, des abbayes ou des églises gothiques, quelquefois des tombes d’anciens héros germains, mythiques ou réels, ainsi la « Tombe Hunnique en automne » (1820), surplombée d’un nuage sombre et étrange. Les cimetières souvent brumeux, parcourus de formes indistinctes, parsemés de croix, se discernent au-delà de barrières ou de portes. Ainsi, « L’entrée du cimetière » (1825).

Il est cependant des moments heureux dans cette peinture mélancolique. La « Femme dans le soleil du matin » (1818), baignée de la forte couleur orangée du soleil levant, ouvre ses bras et accueille le  spectacle de la nature. La famille du peintre est rassemblée devant la ville natale de Greifswald et contemple le crépuscule de « L’Etoile du soir » (1830).
A remarquer que dans ces deux tableaux, nous ne voyons les personnages que de dos, de sorte que, nous identifiant à leurs regards, c’est par leur intermédiaire que nous entrons dans le paysage.

L’inventive exposition du Musée d’Orsay montre, comme image du sublime, le « Rivage avec la lune cachée par les nuages » (1835-36), l’un des derniers tableaux de Friedrich. Nuages plombés, quelques lointains voiliers, une lune fantomatique et, au centre de la toile, le reflet brillant de l’astre  qui devient diffus sur la surface de la mer étale. Symbole de cette période menacée par la mort, mais où subsiste l’espérance du chrétien ? L’on peut faire cette lecture.

A qui souhaiterait  en savoir plus sur le merveilleux romantisme allemand, on conseillerait de lire de Marcel Brion l’introduction à l’édition C.G.Carus/C.D.Friedrich, « De la peinture de paysage dans l’Allemagne romantique » Paris,Klincksieck, 1983; d’Albert Béguin « L’âme romantique et le rêve », Paris, José Corti, 1956; et dans la collection de la Pléiade « Les Romantiques allemands ».

Annie Birga

 

 

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Billet: situation de la France

L’Europe admet de plus forts déficits
Pendant deux ans la France en attendant
S’enfonce encor c’est ce que nous récitent
Ceux qui voudraient des excès d’excédents

Si les prêteurs néanmoins plébiscitent
L’emprunt français maintiennent cependant
Leur appétence et leur satisfecit
La presse en parle à son corps défendant

France dit-on n’est plus un très bon site
Car trop d’enfants y grèvent la dépense
Et trop de vieux trop de gens dépendants

Ces coûts pesants que rien ne nécessite
Allégeons-les c’est ce que d’aucuns pensent
Mais l’avenir est aux cœurs plus ardents

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Samedi 4 mai 2013, gros titre du Figaro: « Déficit: le grand dérapage de la France », et en plus petits caractères: « Bruxelles, qui prévoit une récession de – 0,1 % du PIB en 2013, accorde deux ans supplémentaires au gouvernement pour respecter le pacte de stabilité ».
Selon l’article, la Commission de Bruxelles a été conduite à anticiper un « dérapage » du déficit public français à 3,9 % du PIB en 2013, et à « offrir au gouvernement un sursis » de deux ans pour ramener son déficit sous la barre des 3 %. En réalité, la Commission n’ « offre » rien au gouvernement français. Il y a des raisons de penser qu’elle a été fermement priée de prendre cette mesure de bon sens par le FMI, l’OCDE, les Etats-Unis, sans même parler de plusieurs Etats membres de l’Union européenne, dont la France.

Notons l’habileté avec laquelle une même mesure peut être utilisée en deux sens opposés. En l’occurrence, ce qui peut être considéré comme une bonne nouvelle (le desserrage d’une contrainte trop dure) est interprété comme une mauvaise nouvelle (l’impossiblité d’atteindre l’objectif).

Le sonnet ci-dessus évoque quelques autres aspects du sujet: à quoi servent les déficits: à financer des dépenses inutiles ou des dépenses utiles, à quel horizon temporel ? L’éducation et l’espérance de vie, sources de dépenses, ne sont-elles pas considérées pourtant comme des critères de développement humain, dont une natalité raisonnable devrait aussi faire partie? A quoi peuvent servir les excédents: à préparer l’avenir ou à réaliser des excès d’excédents? Et pourquoi les « marchés  » continuent-ils à prêter à taux réduits à une France que certains voient au bord de la faillite ?

Dominique Thiébaut Lemaire