Billet: la pollution de l’air à Paris

La pollution de fines particules
Que d’ordinaire un vent d’ouest évacue
S’aggrave en gris dans cet anticyclone
En fin d’hiver sous un ciel à huis-clos

Tous les diesels de l’aube au crépuscule
Crachent leurs gaz et trop peu convaincus
Les conducteurs continuent dans l’ozone
En s’asphyxiant les bronches les naseaux

Quel autre choix pour se véhiculer
Ce sera pire en temps de canicule
A des niveaux qu’on n’a jamais vécus

N’y a-t-il rien de meilleur à prôner
Dans l’air toxique oxydant les neurones
Que le vélo ou l’oppressant métro

 

Paris a connu un « pic de pollution » vers la mi-mars 2014, lors d’une période de soleil sans vent.
Le parc automobile français se compose désormais principalement de voitures dotées d’un moteur diesel. Cette motorisation anormalement répandue dans notre pays à cause d’une moindre taxation du carburant est la plus polluante de toutes, depuis que les moteurs à essence fonctionnent sans plomb.
Certes les voitures à essence produisent davantage de gaz carbonique (CO2), mais au moins celui-ci n’est pas nocif pour la santé, contrairement au diesel qui évacue par les pots d’échappement des particules d’hydrocarbures imbrûlés se combinant avec l’oxygène de l’air (O2) pour produire sous l’action du rayonnement solaire des gaz tels que l’ozone (O3) et les oxydes d’azote (NOx), corrosifs pour les organismes.
Pour limiter les émissions de gaz carbonique à effet de serre (mais le principal gaz à effet de serre n’est-il pas la vapeur d’eau ?), on a donc laissé se développer en France de manière irréfléchie et irresponsable, y compris sous des gouvernements mettant en avant des préoccupations écologiques – et incluant même des « écologistes » – des poisons gazeux beaucoup plus toxiques pour l’être humain.
On fait croire aux gens qu’il est possible d’y remédier par les pots  d’échappement dits catalytiques et par les « filtres à particules ». Mais les premiers  ne sont efficaces qu’à partir de 400 °C. Les trajets courts et les parcours en ville ne leur laissent pas le temps de chauffer suffisamment. Quant aux seconds, leur efficacité diminue avec la taille des particules. Or, les plus petites, celles de moins d’un micromètre, sont les plus nocives pour la santé en pénétrant plus profondément dans l’appareil  respiratoire.

Dominique Thiébaut Lemaire

Gustave Doré: exposition au musée d’Orsay jusqu’au 11 mai 2014. Auteur: Annie Birga

GUSTAVE DORE (1832-1883): l’imaginaire au pouvoir
Jusqu’au 11 mai 2014 au Musée d’Orsay

Avec l’exposition consacrée à Gustave Doré, le Musée d’Orsay, sous la direction éclairée de Guy Cogeval, poursuit sa mise en valeur de l’histoire de l’art au XIXe siècle et nous invite à redécouvrir un très grand artiste français qu’on aurait tort  de réduire au statut d’illustrateur doué, vaguement aperçu dans une enfance plus ou moins lointaine. Ce que l’exposition montre et démontre, c’est bien ce qu’elle promet : «  l’imaginaire au pouvoir ».
L’artiste  prolifique – plus de 10.000 illustrations à son actif pour 220 livres – exécutait lavis, gouaches, dessins à la plume et à la pierre noire, destinés à la gravure sur bois. Dans ce XIXe siècle où progressait l’imprimerie à bon marché, les livres ne paraissaient pas forcément dans des éditions de luxe, ce qui explique en partie la popularité de Doré. Son plus grand succès d’édition a été la Bible. Et, à travers ses illustrations, des générations enfantines ont découvert les Contes de Perrault ou les Fables de La Fontaine. Son génie protéiforme passe du comique au tragique et à l’épique. Le comique : Rabelais et le Balzac des Contes drolatiques. Le tragique : Shakespeare, interrompu par une mort prématurée et comme c’est dommage, son  «  Macbeth » est si réussi. L’épique, où excelle son romantisme noir : Le Tasse, Milton, Dante. Jamais de littérature complaisante ou banale. Il va aussi chercher ses auteurs dans la littérature poétique anglo-saxonne : Coleridge, Edgard Poë, Tennyson qui est son contemporain. C’est un merveilleux passeur de littérature. Car son dessin est comme une musique qui accompagnerait les mots et intensifierait leur pouvoir onirique. L’exposition est d’une très grande richesse : elle comporte  de très belles et très variées illustrations.
Il excelle dans la caricature ; à 16 ans il signe un contrat avec le Journal pour rire. On a pu voir en lui un précurseur des bandes dessinées. L’un des visuels permettant de tourner les pages des albums  présente celui de 1870, dans lequel Doré croque, à la Daumier, les députés versaillais et les Communards, sans esprit de parti et sans pitié.
Il fut ami de Nerval et de Théophile Gautier. Du premier, il  évoque le suicide dans une lithographie « Rue de la Vieille Lanterne » (1855). Avec Gautier, il fera un voyage en Espagne, allant y chercher « le parfum local » avant d’illustrer  Cervantès. Ses dessins les plus évocateurs appartiennent au registre du merveilleux : architectures et paysages fantastiques, ombres et lumières, ressouvenances de Rembrandt, de Victor Hugo. Mais ils peuvent être inspirés par la réalité. Ainsi le livre « London : a pilgrimage » (1872), écrit par un journaliste anglais, est accompagné de gravures d’observation sociale, bas-fonds de cette Londres victorienne, mendiants et pauvresses dignes de l’Opéra de Quatre Sous,  docks, ponts, maisons de jeux, images à la fois réelles et fantastiques  qui, jusqu’à notre époque , ont inspiré les cinéastes .
En 1870, Gustave Doré s’est engagé dans la Garde Nationale. La guerre bombarde, laisse des champs de ruines. L’Alsace est annexée à l’Allemagne. Doré, l’Alsacien, écrit qu’il ne reviendra plus jamais à Strasbourg. Il peint dans l’année 71 trois tableaux sombres et gris : « L’aigle noir de Prusse », « l’Enigme », « La Défense de Paris » d’une grande force dramatique.
Car Doré est peintre, pas seulement illustrateur. Critiqué par ses confrères, ignoré du public. C’est  sa grande amertume. Il expose ses tableaux à Londres dans une Doré Gallery fondée en 1868. Ils furent, après sa mort, cachés, perdus, retrouvés en 1947, dispersés dans des musées. La France en possède quelques-uns. L’exposition les montre  et c’est très bien. Dès l’entrée, un Doré intime et pathétique avec « Famille de Saltimbanques. L’enfant blessé » qui a pu inspirer Picasso. Un certain nombre de tableaux religieux, dont l’immense « Christ quittant le prétoire », et des toiles au format plus petit, plus proches de notre sensibilité. Un beau « Dante et Virgile dans le neuvième cercle de l’enfer » », où l’atmosphère est verdâtre et funèbre. Et puis, alors que Manet (son exact contemporain) et les Impressionnistes s’engagent sur des voies nouvelles, Doré continue à peindre des paysages purs, qui sont inspirés par ses ascensions dans les montagnes des Vosges, des Pyrénées et de Suisse ou par sa découverte des lacs écossais. Sa  sensibilité demeure celle d’un romantique aux visions lyriques et contemplatives. Ses séjours en Angleterre le conduisirent à pratiquer l’aquarelle, genre dans lequel il excella bientôt, aquarelles très finies, plus  proches des  tableaux que des esquisses.
Sur le tard, Doré, inlassable et curieux, décida de se mettre à la sculpture en autodidacte. Il progressa vite. Sa manière est plutôt originale et empreinte de baroquisme. On n’est pas étonné de lire que c’est Jean Cocteau qui finit par acquérir le « Roger et Angélique » (encore le Tasse), très récit de chevalerie.  Et cependant on discerne, comme dans sa peinture, des aspects personnels autobiographiques, des statues au sujet patriotique.  On retient surtout des œuvres symboliques qui traduisent sa mélancolie profonde : «  La Parque et l’Amour », « La gloire étouffant le génie ».
L’exposition est accompagnée de spectacles de marionnettes pour les enfants  et, pour les grands, de films et de concerts comme Orsay sait les offrir. La saison Doré est une belle saison, une usines à rêves.

Billet: la retraite

 

L’âge est venu l’âge de la retraite
Et j’ai l’espoir qu’il aura des attraits
Sans perclusion d’arthrose ni d’arthrite
Sans gériatrie soignant le corps meurtri

Dans mon esprit s’accumulent par strates
Et quelquefois dans un certain fatras
Nombre d’années de travail et d’astreinte
Egalement de plaisance et d’entrain

N’est-il pas temps qu’enfin je me retire
Pour mieux goûter même sans garantie
Des jours des ans bien que minoritaires
Beaux comme ceux qui jadis miroitaient

Allons plus loin chassons les mots « trop tard »
Dit mon amour laissons les errata
Dépassons donc les années sans retour
La vie qui reste est le meilleur atout

 

Le mot « retraite » a principalement trois sens, d’après le dictionnaire : action de se retirer ; lieu où l’on se retire ; état d’une personne qui a quitté une fonction, un emploi, et qui a droit à une pension. Le troisième sens est désormais le plus courant, mais ce sont les deux premiers sens qui étaient employés dans le passé. Par jeu, les textes poétiques où ce mot apparaît peuvent être lus avec le sens qu’il a aujourd’hui (voir les trois exemples qui suivent).

 

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Florian: « Le voyage », Fables

Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte,
Sans songer seulement à demander sa route ;
Aller de chute en chute, et, se traînant ainsi,
Faire un tiers du chemin jusqu’à près de midi ;
Voir sur sa tête alors s’amasser les nuages,
Dans un sable mouvant précipiter ses pas,
Courir, en essuyant orages sur orages,
Vers un but incertain où l’on n’arrive pas ;
Détrempé vers le soir, chercher une retraite,
Arriver haletant, se coucher, s’endormir :
On appelle cela naître, vivre et mourir.

 

Lamartine: « Le Golfe de Baya », Méditations poétiques

Horace, dans ce frais séjour,
Dans une retraite embellie
Par le plaisir et le génie,
Fuyait les pompes de la cour…

 

Victor Hugo: « La pente de la rêverie », Les Feuilles d’automne

Paris, les grands ormeaux, maison, dôme, chaumière,
Tout flottait à mes yeux dans la riche lumière
De cet astre de mai dont le rayon charmant
Au bout de tout brin d’herbe allume un diamant !
Je me laissais aller à ces trois harmonies,
Printemps, matin, enfance, en ma retraite unies ;
La Seine, ainsi que moi, laissait son flot vermeil
Suivre nonchalamment sa pente, et le soleil
Faisait évaporer à la fois sur les grèves
L’eau du fleuve en brouillards et ma pensée en rêves !

Petite odyssée d’un marin breton, René Scavennec (3): 1945-1957

Récit de René Scavennec : le débarquement au Tonkin (3)

L’entretien avec René Scavennec a été mené par son neveu Alfred Scavennec et  son père Alfred Scavennec, frère de René. La transcription de l’enregistrement a été assurée par  sa nièce Maryvonne Lemaire, fille d’ André . Les deux premiers récits portent l’un sur les années 39-43: Petite odyssée en Afrique du Nord et l’autre sur les années 43-45: La Libération de Rosporden (43-45).

Une partie de l’enregistrement, au début, est inaudible.

Début de l’entretien:

…Après j’ai eu des missions à bord des bateaux plats qui servaient au transport du riz. C’était des chalands  cuirassés. Et on a fait des missions là-dedans sur des fleuves.

Il y avait déjà du grabuge en Indochine ? 

Oui.

Le Dong Nai, c’est un fleuve qui est parallèle à la rivière de Saigon, qui monte vers le nord. On est parti. La première mission s’est bien passée.  Ce n’est pas méchant. On avait contrôlé pas mal de bateaux qui descendaient le fleuve. On voulait savoir s’ils avaient des armes à bord ; il n’y avait jamais rien de méchant. Mais la deuxième mission a été coriace. Là, on est parti pour occuper, pour attaquer un chantier naval. Il y avait un chantier naval, où il y avait pas mal de constructions. A toute une armada, on arrive là haut, sous le commandement du capitaine Jaubert (qui a donné son nom à un commando), capitaine de frégate. Il est parti dans sa barcasse, sa vedette, avec pavillon blanc, pour se présenter aux autorités là-bas, pour dire que c’était plutôt une mission paisible. Il a été reçu drôlement, il a été reçu par une fusillade générale. Le pauvre gars, il est revenu avec une jambe en moins, à moitié écrabouillé quoi. Et la vedette avec  deux tués à bord. C’était le capitaine Jaubert.Ce jour-là, on a perdu le fils de l’amiral de Penfeunteuniou, un officier des services spéciaux, un officier parachutiste et encore un autre officier. On a perdu quatre officiers. Des pertes sévères. Plus les gars, il y en a eu de tués.

C’est à peu près à la fin de 45 ?

Non, début 46, ça s’est produit début février 46.

Donc la rébellion était déjà..

C’est bien enclenché.  En Cochinchine, ça devient calme ; en Cochinchine. Alors là  j’ai été cité, parce que j’ai eu un matelot radio tué et mon quartier maître radio qui eu une balle qui  est entrée par là près du bonnet, qui est sortie par le pompon. Les cheveux éraflés. Il était légèrement blessé à la tête. Il s’appelle Boivin. On a été cité tous les deux.

Tu étais toujours maître radio principal ?

Je suis toujours maître radio. Je n’ai pas encore de galons. Enfin là on était avec les Poncharlier. Vous avez peut-être entendu parler d’eux, des officiers Poncharlier ? C’est des grands résistants, le capitaine du vaisseau Poncharlier et Quillien. Quand on est monté à Tien Yen pour le chantier naval, ils ont débarqué, ils n’avaient pas froid aux yeux. D’ailleurs le Poncharlier a été commandant du porte-avion La Fayette après. Il a commencé son discours à bord du Lafayette : « Ceux qui n’ont pas de couilles au cul, qu’ils débarquent. »  C’est dire, c’était cru (rire) ! C’était un type, un dur.
Là, c’est terminé pour tout le Sud ; on est arrivé à peu près au calme. ça va être le débarquement au Tonkin le 6 mars. Le 1er mars le général Leclerc nous réunit, réunit toute la compagnie et  il commence son allocution. Il dit : « Ici c’est devenu à peu près calme. Maintenant nous allons remonter dans le nord. Et là, du travail nous attend. Il faudra être ferme et ne pas avoir peur » Voilà. Moi, je suis toujours bon pour une mission, j’avais toujours des bécanes :« Vous allez être le patron radio du général Leclerc. Sur le croiseur Émile Bertin » Moi, maître radio, j’arrive à avoir des officiers en sous-ordre !
Alors là j’avais quatre émetteurs, complètement indépendants du poste et puis des récepteurs. Les quatre émetteurs, c’étaient des ASP 59, qui étaient livrés par SFL, destinés aux Allemands. C’était un matériel plus ou moins saboté mais enfin, j’ai quand même réussi à les équiper normalement. Comme j’avais pas mal de rechange, j’ai réussi à les équiper. Les récepteurs étaient  des récepteurs japonais, que personne ne connaissait. On s’y est mis ; ça a marché. On a quitté donc Saigon le 2 mars et on est arrivé là-bas dans la Baie d’Along le 6 mars. On a roulé un peusur les côtes, on n’est pas parti brutalement comme ça  dans la gueule du loup.  Alors Baie d’Along : là grande conférence du 6 mars. Il y a Ho Chi Minh. Il y a le général Giap, qui était  à l’époque lieutenant.

De l’armée française ?

Non, de l’ennemi. Le Giap a fait toutes ses études en France et Hô Chi Minh, c’était un ancien ouvrier de chez Renault mais qui a gravi les échelons. Il a été fichu à la porte de la France en 36. Il est parti à Moscou. A Moscou, il a été éduqué et en 40 il a regagné son pays, le Tonkin : voilà le grand patron.

Entretemps, il a été au congrès de Tours en 1920.

Exactement

Il n’est pas encore dans la clandestinité quand vous le rencontrez ?

Non. Eux  sont les maîtres.Vous marchandez avec eux. Nous allons là-bas, comme c’était une colonie française, pour avoir un peu de poids mais eux, Ho Chi Minh et Giap, ils  défendent leur patrimoine ; ce sont quand même les enfants du pays ; ils cherchent l’indépendance.

Ils ont connu les Japonais entre-temps.

Bon, il y a Giap, le lieutenant, Ho Chi Minh bien sûr, qui est le grand patron, avec sa blouse aux pans coupés sur le côté. Et en face, il y a le général Leclerc. Il y a l’amiral Auboyneau, qui commande en somme toute la Marine Extrême Orient et puis le commandant du bateau évidemment,  je ne me rappelle même plus  son nom. Et alors il y a le capitaine qui était là-bas en Algérie, le barbu, comment s’appelle celui-là…

Un barbu ? Massu?

Massu . On a une réunion sur le bateau. Moi comme je suis lepatron radio  de Leclerc, évidemment je suis aux premières loges. J’ai le droit de m’approcher. Là il y a des journalistes, des journalistes américains, des anglais, des français, si bien que là j’ai quatre émetteurs et j’ai une liaison purement journal avec Saigon. Le journal est diffusé sur Saigon par un des émetteurs. Un autre est en liaison avec Tien Tsin, avec la Chine ; un autre en liaison avec Hanoi et puis l’autre qui est en Baie d’Along, c’était un petit poste clandestin.  Voilà j’avais quatre liaisons. Tout était correct. Tout le monde est content. Et voilà le débarquement, autorisé par HoChi Minh. S’il n’autorise pas le débarquement, que faire ?  Attendre ? Des pourparlers ? Toujoursest-il  qu’ils sont d’accord, le débarquement français a lieu.

Je pensais que la France était maîtresse absolue  même sur le Tonkin.

C’est toujours pareil. Ho Chi Minh est dans son pays. Il s’est dit : « Je suis maître chez
moi ». Il sait bien que c’est une colonie française mais on voit qu’il cherche l’indépendance.

Je ne savais pas qu’il était déjà considéré comme interlocuteur.

Si, à cette époque-là. Bon voilà le débarquement. Mais les Chinois ont refusé d’évacuer Haiphong. Les Chinois ont refusé. Ils voulaient  rester. Il y a eu les Japonais : eux, ils ont été prisonniers. Mais les Chinois, qui étaient nos alliés,  disent : « non nous restons là ». Et au débarquement, c’est les Chinois qui nous ont tiré dessus. Si bien qu’il y a eu, on a dit, plus de 100 tués. Il y a eu 77 tués, d’après mes chiffres.  Il y a eu 77 tués officiellement et  plus de 100 blessés, grièvement, parce que les Chinois ont tiré sur les LCI,  sur les bateaux de transport.

Donc c’est des militaires tués.

Tous des militaires tués. Si bien que les Chinois au bout de quelques jours ont décidé de partir. Mais ça a été dur. Moi j’ai vu les Chinoisdéfiler  vers Haiphong. Ils étaient en bleu horizon, comme en 14, d’ailleurs l’équipement des Français. Des bandes molletières, exactement comme les Français, et tous en espadrilles et une casquette avec une cocarde rouge, une étoile rouge. C’est tout ce qu’ils avaient comme habillement. Et je les ai vus : certains avaient des voletssous le bras, des couvercles de water – des couvercles de water, comme ça sous le bras ! Ils avaient tous quelque chose. Ils partaient tous avec quelque chose. Ils n’avaient pas de fusil.

C’était une sorte de pillage.

Exactement. D’ailleurs avant de partir ils ont, à Haiphong, tout démoli, tous les fours des boulangers. Il n’y avait plus rien. Les maisons… Une rue, je prends une rue comme ça. Eh bien toutes les maisons de la première à la dernière, il y avait un couloir, si bien que je n’ai jamais pu  les attaquer. Partout c’était des problèmes, c’était comme ça. D’ailleurs, à Haiphong, on a été trois mois sans pain, sans vin, uniquement des conserves. C’est dire… Chez eux il n’y a pas de viande, il n’y a que du poisson, des crevettes et des trucs comme ça. Notre premier pain a été fourni par les croiseurs qui sont montés en Baie d’Along pour nous ravitailler. Sans ça on n’avait aucun ravitaillement. Et autrement le vin nous a été apporté par une colonie portugaise qui se trouve là-bas , dans le coin de la Chine.

Macao ?

Macao, exactement.  Après, à Haiphong, j’ai été chargé du message sans terre. J’étais chargé du central radio, du P.C centre. Tous les messages me passaient entre les mains. Et tous les jours j’allais présenter ma collection au chef d’état-major d’Haiphong qui était le colonel Rey, commandant le vingt-troisième RI ; d’ailleurs, il a été tué, il a été descendu au cours d’une expédition en hélicoptère. Tous les jours j’allais le voir.

Tu as fait combien de temps en Indochine ?

Deux ans. Continuons. Nous en sommes  à ma collection. Mais en plus de ma charge, j’ai eu l’instruction d’apprentis radio. J’ai formé des apprentis radio là-bas. Si bien qu’il y a un gendarme, un adjudant-chef de  gendarmerie, qui vient me voir depuis deux ans de rang ; il était à l’époque au matériel radio, c’est moi qui l’ai formé, il est devenu radio mais il a continué radio dans la gendarmerie après. Il est en retraite, dans les Ardennes : René Pierre. J’ai formé six apprentis radio.
A Haiphong là-bas il nous est arrivé quand même des coups durs. On a été encerclé  pendant trois mois par les Viet. En plus ils nous avaient coupé l’électricité. Alors heureusement qu’on avait des groupes électrogènes et de l’eau. On a creusé des puits artésiens mais on n’a jamais réussi qu’à avoir de l’eau saumâtre et on avait de l’eau saumâtre pour tout.

La guerre est déclarée ?

La guerre va être déclarée plus tard officiellement. Ça va être au mois de septembre 46, seulement à 11:00 heures. Il y a d’abord les incidents. On commence par empêcher le chef d’état-major, le général commandant-en-chef, qui est à Hanoï, de sortir de chez lui, en creusant des tranchées, soi-disant pour mettre des lignes de téléphone mais non, c’était pour l’empêcher de sortir. Il s’est laissé faire, ça a commencé comme ça. Petit à petit, ça s’est envenimé et ça été la bagarre générale.

Il n’y a pas eu une réunion spéciale, entre Hô Chi Minh et Thierry d’Argenlieu?

Non. Ici, c’est le général Leclerc qui a tout fait. Thierry d’Argenlieu, c’était…

 Ce n’est pas Thierry d’Argenlieu qui a vraiment déclaré… qui aurait vraiment tiré, au fusil ?

Non, Thierry d’Argenlieu n’aurait jamais… avec un fusil. Non, en Indochine, non, rien. C’est le général Leclerc ! Quand le Général Leclerc a été rappelé en France, alors là c’était la débandade. La guerre à outrance. C’était fini. Parce  que Leclerc lui était arrivé à un équilibre. Il n’y avait pas à tortiller. Ils étaient appelés à avoir leur indépendance, un point, c’est tout. C’est comme les autres colonies, ça a été exactement pareil. Ils étaient chez eux, ils étaient chez eux, un point c’est tout.

Autrement dit l’ère des colonies, c’était dépassé.

C’était révolu.

Ça avait commencé avec la guerre.
Donc tu as fait deux ans en Indochine.

Deux ans en Indochine en premier. Puis deux ans après comme patron radio du port de Saigon.

Tu as fait deux séjours ?

Deux séjours. Alors à Saigon, deuxième séjour, j’étais chargé du contrôle de tous les bateaux passant par Saigon.

De quelle année à quelle année ton deuxième séjour ?

53 à 57. Là je contrôlais tous les bateaux, les paquebots. Tous les bateaux me passaient entre les mains. J’avais de grosses responsabilités et j’avais une équipe formidable. J’avais douze bonshommes. Des gars dévoués à tout, nuit et jour, quoi que ce soit, toujours prêts. Et s’il fallait travailler de nuit, pas de rechigne. Mais en conséquence aussi on ne regardait pas par exemple à l’heure, c’est l’heure. Il n’était pas question de ça.
Le Pasteur par exemple quand il passait à Saigon c’était pour amener des gars jeunes qui partaient au front, qui partaient au Tonkin, et il y avait un chargement de blessés qui descendait.
J’ai eu également deux patrons épatants à Saigon, vraiment épatants, deux lieutenants de vaisseau. Ils m’ont dit : « Scavennec, vous vous occupez de la partie radio. Moi je m’occupe de la partie sonar et radar ». Donc il y avait une barrière bien délimitée. Comme ça au point de vue des responsabilités, j’étais tranquille.
Ce qu’il y a de formidable, c’est que j’ai retrouvé à Saigon l’amiral Antoine qui était mon
patron à  Marine (Pareil)  quand j’étais à Houilles.  C’est lui qui nous notait tout. Là j’ai retrouvé l’amiral Antoine, en Indochine, comme grand patron. Si bien que s’il y avait n’importe quoi, je n’avais qu’à m’adresser à lui. D’ailleurs il m’avait appelé pour prendre la présidence du foyer des officiers mariniers, que j’ai assurée pendant six mois.

Combien de temps tu as fait à Houilles ?

Près de quatre ans,  48 à 52. Là, j’ai été désigné pour l’école des officiers de France, l’école des officiers de transmission, comme instructeur.

Fin du récit concernant l’Indochine.