Billet: les temps modernes

 

Bureaux à l’ouest et logements à l’est
Entre les deux l’express bondé s’enfonce
Trisyllabique acronyme RER
Dans les tunnels qui traversent Paris

En regagnant la firme esclavagiste
Et le quartier dénommé La Défense
Les galériens n’ont pas le cœur à rire
Leur cas est grave il ne fait qu’empirer

On leur promet plus de wagons plus vastes
A double pont l’annonce paraît fausse
Le matériel rénové reste rare
Trains moins fréquents que ce qu’ils espéraient

Trop comprimés dans les rames vétustes
Ils sont pressés de refaire surface
Mais dans les tours à la haute carrure
Le stress est là qui n’a pas disparu

Ils bossent dur attachés à leur poste
Le bénéfice est fait de sacrifices
Ils ne voient pas le couchant ni l’aurore
La paye au bout ce n’est pas le Pérou

 

Sur le RER A (métro est-ouest dénommé Réseau Express Régional qui traverse la région parisienne en passant par Paris), deux nouvelles rames inaugurées par Nicolas Sarkozy ont fait un premier aller-retour le 5 décembre 2011. Dans un discours à La Défense, Nicolas Sarkozy s’est félicité du confort et de la sécurité de ce matériel, tout en reconnaissant que des difficultés demeuraient et en suggérant de modifier la co-exploitation des RER A et B par la RATP et la SNCF.
La ligne A, l’une des lignes les plus fréquentées du monde, assure quotidiennement le transport de plus d’un million de voyageurs. L’augmentation de son trafic global, de 20 % sur les dix dernières années, est l’un des principaux aspects de la saturation des réseaux régulièrement dénoncée par les usagers. Il a été prévu qu’à partir de 2014, 60 à 70 rames à deux niveaux et dotés de caméras de vidéosurveillance vont remplacer des trains simples, faisant passer le nombre de places assises de 432 à 948 et la capacité de 1 684 à 2 600 personnes par train. La disparition totale des trains à un seul niveau du RER A étant programmée pour 2017.
Au sujet de cette opération, un rapport très sévère de la Cour des comptes a été révélé fin novembre 2012 par Le Monde. Au cœur des critiques : la pratique de la RATP  pour attribuer le marché du renouvellement de 130 rames du RER A. La commande passée en avril 2009 par la Régie à Alstom-Bombardier n’a pas permis de faire jouer la concurrence, d’après le rapport.  En cause : la volonté de la RATP de commander un matériel aussi proche que possible des trains déjà en service, et construits par le groupement Alstom-Bombardier, pour respecter la promesse présidentielle de livrer en un temps record 65 trains. Ce qui a pu favoriser ce groupement au détriment de concurrents potentiels, dont aucun n’a présenté d’offre alternative. La Cour des comptes a critiqué également la méthode de négociation de la RATP qui a dissimulé la vérité des prix à son conseil d’administration en diffusant « des coûts prévisionnels très inférieurs à l’estimation réelle», et ce « en toute connaissance de cause ».  Un leurre qui, selon la direction de l’entreprise, était censé dissuader les industriels de présenter des offres trop chères. Mais la Cour des comptes a considéré que le bas niveau de l’estimation a pu dissuader les industriels autres qu’Alstom-Bombardier de déposer une offre. Dans la lettre jointe au rapport, datée du 30 août et destinée à Gilles Carrez, président (UMP) de la commission des finances de l’Assemblée nationale, le premier président de la Cour a observé que cette absence de concurrence largement prévisible n’a pas été propice à l’obtention de conditions financières favorables à la RATP, qui, avec l’offre d’une seule entreprise, n’était pas en position de force pour négocier.
Alors que l’estimation établissait le coût par train à 20 millions d’euros, l’offre réelle d’Alstom a atteint plus de 25,8 millions d’euros par train lors de la signature du marché en 2009. Après s’être engagé à payer la moitié du marché sur la base du coût prévisionnel annoncé par la RATP en 2008, c’est-à-dire à verser 650 millions d’euros, le STIF (le Syndicat des Transports d’Ile-de-France, autorité organisatrice des transports dans la région), qui avait « pour la première fois accepté de cofinancer un programme majeur d’acquisition de matériel », a refusé de revoir sa contribution à la hausse quand le prix réel total a été réévalué à 2 milliards d’euros en 2012 et que l’offre réelle d’Alstom a atteint plus de 25,8 millions d’euros par train. La RATP a tenté d’obtenir une participation paritaire du STIF sur la base du coût réel. Elle a essuyé un refus, et s’est vue contrainte de prendre à sa charge190 millions d’euros supplémentaires.
Finalement, la RATP a confirmé fin juin 2012 l’acquisition auprès du groupement Alstom-Bombardier de 70 nouvelles rames pour la  ligne A du RER pour un milliard d’euros. « L’acquisition de ces 70 éléments supplémentaires va permettre, d’ici 2017, de remplacer le plus vieux matériel en service sur la ligne », a indiqué la RATP dans un communiqué, en précisant que cet achat s’inscrit dans un programme d’acquisition de 130 rames identiques représentant un coût total de plus de 2 milliards d’euros. Ce programme est financé à hauteur de 1,35 milliard d’euros par la RATP et pour 650 millions d’euros par le STIF.
Les informations qui précèdent sont tirées de plusieurs articles, publiés par le journal 20 minutes des 6 décembre 2011, 29 juin 2012 et 27 décembre 2012, et par le journal Le Monde sur internet (daté du 27 novembre 2012, mis à jour le 19 décembre 2012).
Le traitement de ce dossier donne l’impression que les autorités publiques, notamment celles qui sont responsables des transports en Ile-de-France, ont du mal à comprendre la gravité du problème.

Dominique Thiébaut Lemaire

Sergio Birga « pictor florentinus », peintre de Paris et de New York (mises à jour juin 2014 et novembre 2016). Par D.T.Lemaire

Le peintre et graveur Sergio Birga, né à Florence en 1940, habitant de Paris depuis le milieu des années 1960, visiteur de New York en 2012 (Brooklyn) et en 2014 (Manhattan), a cette faculté de nous dévoiler ce que nous ne savions pas voir, notamment dans les villes, qui lui ont inspiré de nombreux tableaux figurant pour partie sur son site birga.pagesperso-orange.fr, d’où sont tirées avec son autorisation les reproductions qui suivent.

PARIS

Les destructions et transformations de Paris

Comme on a déjà eu l’occasion de l’écrire dans deux articles précédents de Libres Feuillets (« Sergio Birga, une peinture à cinq dimensions », et « Paris vu par le peintre Sergio Birga »), les œuvres du peintre sont remarquables par leur dimension temporelle, et, s’agissant de Paris, cette dimension est illustrée avec force par de nombreuses œuvres montrant par exemple la destruction d’architectures et sites préexistants. Ces œuvres ont pris pour thèmes dans les années 1970 des bâtiments connus de l’ère industrielle, relativement récents mais déjà condamnés (parfois absurdement) à la démolition, dans les quartiers des Halles et de Bercy. Parmi ces tableaux remarquables, on peut mentionner plusieurs huiles sur toile:
–   « Main basse sur la ville », 130 x130 cm, 1976 (voir ci-dessous) ;Main basse sur la ville, 1976, 130 x130 cm. huile sur toile, Musée Carnavalet
–  « Triptyque: grande destruction des halles », ensemble de 130 x385 cm, 1971-2006, avec « le balayeur des Halles » sur le panneau gauche, et « le terrassier des Halles » à droite (à noter aussi la « destruction des Halles », gravure sur linoléum, 1973, triptyque sur les mêmes sujets, collections du Musée Carnavalet);
– « Triptyque : destruction des Halles », ensemble de 100 x278 cm, 1977-2004…
« Main basse sur la ville », qui représente un aspect du chantier de démolition dans le quartier de Beaubourg a été exposé en 1977 au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris lors d’une grande exposition intitulée « Mythologies quotidiennes II ».
Aujourd’hui, plus de quarante ans après, et cette fois dans une relative indifférence sur laquelle il faudrait s’interroger, on a assisté de nouveau à une démolition, celle des pavillons modernes éphémères qui ont évincé les pavillons Baltard du 19ème siècle. Pour justifier cette indifférence d’aujourd’hui, suffit-il de dire que l’on est fondé à détruire à leur tour des architectures de naguère abusivement destructrices?
Toujours en ce qui concerne les grands bâtiments connus, Sergio Birga a peint en 2002 « Les anciennes usines Renault », huile sur toile, 114 x146 cm (collection Villa Tamaris, Centre d’Art, La Seyne-sur-Mer). Il a aussi témoigné de l’évolution-destruction des quartiers populaires dans l’est parisien :
–          « Cordonnerie, Passage de la Duée (Paris XIXe) », huile sur toile, 97 x 130, 1987, collection FDAC Bobigny;
–          « Destruction, rue Haxo (Paris XIXe) », huile sur toile, 97 x130 cm, 1995 ;
–          « Rue de Crimée », 50 x 60 cm, huile sur toile, 1995: voir ci-dessous ; une autre « Rue de Crimée », 162 x 130 cm, de la même année, appartient au Museo d’arte delle generazioni italiane del 1900, G. Bargellini (Pieve di Cento);
–          « Bar de la Liberté (Paris XIXe) », huile sur toile, 100 x100 cm, 1995 (au croisement de la rue de Mouzaïa et de la rue de la Liberté).

Beaucoup de bâtiments du Paris populaire ont été remplacés, de manière massive jusqu’à la fin des années 1970, par des immeubles sans grâce dans les arrondissements de l’est parisien ou encore à Montreuil à l’écart du Paris prestigieux, quartiers d’artisanat et de bistros que le peintre a parcourus ou près desquels il a habité dans le 19e arrondissement à la limite du 20e .


Rue de Crimée (Paris XIXe),1995, 50 x 60 cm, huile sur toile

Notons que, dans ce tableau de la rue de Crimée (à un endroit situé un peu plus haut que le carrefour avec la rue Botzaris près du parc des Buttes-Chaumont), le peintre s’est représenté avec sa femme Annie à l’arrêt de bus en bas à droite.


Démolition (Montreuil), 2008, 97 x130 cm, huile sur toile

De 2008 date aussi un tableau sur la démolition des environs du « bar le Robespierre » à Montreuil (88/116 cm) où une pelle mécanique qui a épargné (provisoirement?) une cheminée d’usine occupe le centre de l’œuvre, tandis qu’un panneau de signalisation porte la signature « Birga florentinus ».

Ces oeuvres nées de l’indignation du peintre contre le vandalisme du modernisme et de l’argent (voir dans le tableau de 1976 intitulé « Main basse sur la ville » l’affiche: « votre argent m’intéresse », publicité pour une banque à l’époque) semblent prendre aujourd’hui un sens plus large comme témoignage historique, et comme protestation contre les ravages du temps qui passe.

Ciels et toits

Les tableaux de Birga ouvrent des accès que le regard du spectateur doit emprunter pour atteindre l’autre côté de ces passages de frontière que sont les fenêtres, les portes, les ruelles, les arches, les ponts, les gares, les (aéro)ports et les embarcadères…
Les ciels aussi suggèrent un « outre-ciel ». Ils forment des passages, vers la lumière, des ouvertures vers la transfiguration, ou au contraire de sombres fonds qui pourraient convenir à des tableaux de Semaine Sainte.

Les ciels de Paris se sont développés dans l’œuvre du peintre à partir du moment où celui-ci a vendu sa maison du 19ème arrondissement pour venir habiter en 2001 dans le troisième arrondissement, sous les toits, d’où son atelier offre une vue de vaste ampleur depuis Beaubourg jusqu’au nord-ouest de Paris en passant par la tour Eiffel et son grand « gyrophare » de nuit.

Après avoir fait exploser les couleurs dans sa période expressionniste des années 1960 et 1970, le peintre a gardé de cette période une grande vivacité chromatique, mais il est devenu également un maître du gris, que ce soit dans la représentation des pavés ou de l’asphalte, des toits de zinc, ou du ciel vu depuis son atelier.


De mon atelier, 2002, 81×130 cm, huile sur toile

La même année 2002, Birga a peint depuis chez lui un « Orage sur Beaubourg », huile sur toile, 81 x 130 cm, remarquable par ses tourbillons de nuages, mélanges de blanc, de bleu et de gris.

Souvent ses gris deviennent des bleus nocturnes :


Nocturne vers la rue Sainte Apolline, 2003, 100 x100 cm, huile sur toile
(depuis l’atelier du peintre)


Grand nocturne vers Beaubourg, 2003, 130 x162 cm, huile sur toile
(depuis l’atelier du peintre)

Paris étrange et familier

Birga s’inscrit dans les quatre dimensions de l’espace et du temps, plus une cinquième que lui-même appelle « réalisme magique » en reprenant une appellation utilisée pour qualifier l’une des postérités de l’expressionnisme (voir la rubrique ainsi dénommée sur son site internet). Il y englobe le concept que Freud a dénommé « Das Unheimliche », traduit en français par « l’inquiétante étrangeté », qui désigne l’évocation décalée, inhabituelle, d’éléments familiers.

Il a annexé à son univers l’étrangeté des nocturnes parisiens, et s’est représenté dans son atelier sur un fond sombre au clair de lune où, de l’autre côté du passage que constitue le vitrage vers l’au-delà pictural, on aperçoit la tour Montparnasse et le bâtiment faussement industriel du musée Beaubourg (présents aussi tous deux dans le « Grand nocturne vers Beaubourg » de 2003), en intégrant ce paysage urbain comme arrière-plan de son autoportrait de 2009, avec un premier plan vert et rose-rouge sous la forme de pots de géraniums à la fenêtre:


Autoportrait dans l’atelier, 2009, 81×100 cm, huile sur toile

Dans le tableau suivant, on aperçoit le peintre coiffé d’une casquette, avec sa femme Annie vue de dos à gauche, sur le quai de la ligne 2 du métro. Cet autoportrait discret rappelle celui de 1995 représentant le peintre et sa femme au bord du tableau en bas à droite, face à des immeubles aujourd’hui disparus de la rue de Crimée dans le XIXe arrondissement (voir plus haut).


Métro Barbès, soir de neige, 2011, 82 x113 cm, huile sur toile

Birga avait déjà peint le métro de Londres (« The Tube ») en 1974, en souterrain. Ici, sur un tronçon aérien, dans une atmosphère de neige, les rails sont animés d’une ondulation magique.
Peut-être la couleur blanche s’est-elle développée dans la peinture de Birga à partir de ses tableaux religieux où le blanc crée de très beaux effets en enveloppant les personnages.

NEW YORK

Parmi les tableaux qui ont été exposés du 14 janvier au 2 mars 2014 dans la galerie Colette Clavreul (25 place des Vosges 75003 Paris) figurent plusieurs huiles sur toile que New York a inspirées à Sergio Birga lors de son séjour au printemps 2012. Une partie d’entre eux a été exposée du 4 juin au 3 juillet 2013 à la galerie Concha de Nazelle, 5 rue du Puits Vert, à Toulouse.
Précédemment, le peintre avait présenté une série de dessins (exposition à Marseille en octobre-novembre 2012) parmi lesquels une « Arrivée à New York », inspirée par L’Amérique de Kafka, représentait de façon magistrale sur le fond des tours de Manhattan l’arrivant héros du livre, poing sur la hanche, tenant de l’autre main sa valise sur l’épaule, et regardant la statue de la Liberté dans une attitude complexe de perplexité, de défi, d’admiration. Il est à noter que Birga a représenté la Liberté élevant non pas une torche, mais un glaive, conformément au texte de Kafka.

Le pont de Brooklyn et Manhattan

Les tours de Manhattan sont présentes au-delà du pont de Brooklyn, auquel le peintre donne la fonction d’un passage, comme il le fait souvent, entre l’ici et l’ailleurs.
Manhattan est aussi un lieu de bâtiments industriels, thème cher au peintre.
Comme à son habitude, le peintre refuse de se complaire dans les apparences spectaculaires d’une ville de carte postale.

Au milieu des tours de Manhattan, vus du pont de Brooklyn peint au moins deux fois (le tableau exposé à la galerie Clavreul de la place des Vosges s’intitule « Brooklyn II »), on aperçoit le « World Trade Center » en cours de reconstruction, provisoirement surmonté de deux grues ressemblant à des antennes. Les destructions et reconstructions urbaines, l’histoire faite mais aussi en train de se faire, constituent l’un des aspects importants de l’oeuvre de Birga.
Sur le pont de Brooklyn se déplacent de nombreux personnages, dont celui de la « joggeuse ». On marche et on court beaucoup dans cette ville !

Sergio Birga


Brooklyn Bridge, Brooklyn, 2013, 116 x 89 cm, huile sur toile

On retrouve au-dessus du pont un de ces ciels gris puissamment tourmentés chers au peintre.

A Manhattan, les « Réservoirs à Riverside Drive. Manhattan » (73/92 cm, 2012) apparaissent en quelque sorte comme des modèles réduits de gratte-ciel.


Réservoirs à Riverside Drive. Manhattan », 73/92 cm, 2012 (Galerie Clavreul)

Manhattan la nuit

D’un deuxième séjour à New York, Sergio Birga a rapporté de nouvelles visions de Manhattan. Deux d’entre elles, des nocturnes, sont présentées ici.
La première est une plongée dans la forêt des gratte-ciels depuis l’Empire State Building, la seconde est une vue depuis la fenêtre du peintre sur la 92e rue. Elles pourraient faire penser au vers de Baudelaire :
« Grands bois vous m’effrayez comme des cathédrales »,
mais la ville est ici plus mystérieuse qu’effrayante. Elle ressemble à une immense cathédrale dont la voûte serait le ciel bleu sombre, légèrement soutenu par une multitude de colonnes. Dans cette cathédrale brille un fourmillement de petites étoiles, non pas au niveau de la voûte céleste, mais en paillettes semées au milieu des colonnes. Le second tableau montre en son centre une église en situation inverse de la situation habituelle, c’est-à-dire non pas dominante au milieu de son environnement, mais dominé par lui, sans toutefois en être écrasée. Les lumières s’y agrandissent comme des lanternes rassurantes dans la nuit.


Manhattan (de l’Empire State Building)
2014, 90 x 116 cm, huile sur toile


Nocturne de la fenêtre (92e street )
2014, 80 x 100 cm, huile sur toile

Brooklyn

Contrastant avec les tours de Manhattan, les immeubles bas de Brooklyn n’ont pas moins attiré l’attention du peintre.

Ils abritent de petites activités signalées par des enseignes aux couleurs vives, à propos desquelles on pourrait parler de « réclame » à l’ancienne plutôt que de publicité.
Ils font penser à Hopper, que Birga mentionne comme l’un de ses peintres préférés. Les immeubles aux enseignes semblent proches de notre ancien monde, mais avec une certaine étrangeté.


Cat’s clinic (Brooklyn), huile sur toile, 73/60, 2012

« Cat’s clinic » et son immeuble biscornu qui défie la perspective font  partie de ces nocturnes que Birga réussit à merveille. Ici, la nuit n’est pas vraiment mystérieuse. Les fenêtres éclairées témoignent de la présence humaine autant que l’homme et la femme se tenant tranquillement par la main. Peut-être y a-t-il une intention du peintre, une suggestion de sécurité, dans le fait qu’ils traversent la rue « en dehors des clous ». Mais une voiture arrive.


Great Bear, Brooklyn,  2013, 100 x 81 cm, huile sur toile

Dans « Great bear », les immeubles ont une apparence un peu décalée par rapport à ceux qui nous sont familiers, mais c’est aussi le cas des véhicules, à l’apparence desquels nous sommes toutefois plus habitués.

Le métro

Birga est inspiré par le métro, bien que ses tableaux sur ce thème soient peu nombreux (voir plus haut le « Métro Barbès »). Le tableaux intitulé « Subway » est remarquable  par ce qui rend sensible l’assoupissement des personnages, mais aussi par la présence et  le volume des corps, même s’ils ne sont pas particulièrement corpulents.
Les passagers sont noirs, la seule personne blanche est celle de l’affiche.
Il est intéressant de voir comment l’assoupissement est rendu, dans un cas par la tête penchée en avant, soutenue par la main dans une pose plus lasse que mélancolique, dans l’autre cas par la tête penchée  en arrière, bras serré sur un cabas. Dans le métro chacun se replie dans son monde intérieur, sous la protection d’un casque ou derrière des lunettes sombres. Dans le métro parisien, c’est en général par leur téléphone magique que les gens se protègent.


Subway I , 2013, 92 x 73 cm, huile sur toile

Birga s’est attaché, comme toujours, à représenter l’esprit des lieux, en cherchant non pas l’image flatteuse, mais une qualité de beauté sans concession.

 

Dominique Thiébaut Lemaire

 

 

Quelques articles sur Birga peintre de la ville

Kölnische Rundschau, n° 128, 15-6-1976, article de Monika Juhlen (sur la destruction des Halles)

Revue Nunc, n°9, février 2006, article de Gérard-Georges Lemaire: « Sergio Birga pinxit: de la peinture, de son idéal et de sa corruption »

Revue Verso, n°44, janvier 2007, dossier Sergio Birga (articles de: Jean-Luc Chalumeau, Gérard-Georges Lemaire, Yves Kobry, Adrien Salmieri)

Revue Aréa, n°26, printemps 2008, article de Gérard-Georges Lemaire: « 3 théories de la ville. Les déambulations nostalgiques de Sergio Birga »

Revue Verso, éditorial du 8 décembre 2011, de Jean-Luc Chalumeau: « Les portraits de villes par Birga »

Revue sur internet Levure littéraire, numéro 9, 2014, entretien avec Sergio Birga (deux extraits)
LL: – Vous avez parcouru une carrière longue et variée. Vous avez toujours suivi un chemin personnel, hors des modes. Ainsi, dès les années 60, vivant à Florence, votre ville natale, vous vous êtes intéressé à la peinture allemande expressionniste.
SB : – J’avais 19 ans. Je fus frappé par la couverture d’un livre aperçu à la vitrine d’une librairie. Ce livre, je l’ai conservé, c’est «L’ Expressionnisme» de Waldemar George et le tableau, «le Cri» de Munch, dans sa meilleure version. Depuis mes 17 ans, j’avais commencé à peindre des paysages et des portraits. Je découvris alors les peintres du mouvement Die Brücke. Ils étaient en totale contradiction avec un réalisme socialiste, noir et misérabiliste, et avec l’abstraction géométrique, les deux mouvements alors à la mode en Italie. La vivacité des couleurs et la force de l’expression, voilà ce que je cherchais et qui correspondaient à mon état d’esprit et à ma situation de jeune homme en révolte.

LL: – Mais ces premières années où l’expressionnisme vous a marqué, sont-elles définitivement effacées dans votre manière de peindre?
SB : – Absolument pas. Leur trace est très nette dans toute ma production graphique, aussi bien dessins que gravures. Les Allemands ne s’y sont pas trompés: l’Institut français de Dresde a présenté en 2010 une exposition de mes xylographies. J’ai pu voir enfin au Musée «La Tranchée», le si beau tableau de Dix. Et dans ma peinture, les coupes, la composition et les couleurs, même assagies, attestent bien de ces origines-là, même si je viens aussi de Florence.

 

 

 

Etrusques. Un hymne à la vie. Par Maryvonne Lemaire

Etrusques.Un hymne à la vie. Musée Maillol (18 septembre 2013- 9 février 2014)

Comme on l’a déjà lu sur Libres Feuillets pour la Macédoine, les fouilles archéologiques menées dans le monde antique exhument encore de nos jours de nouveaux vestiges. Grâce à ces découvertes, l’exposition  « Etrusques, un hymne à la vie », au musée Maillol, renouvelle notre intérêt, nos questions sur ce qui fut la première civilisation à se développer en Italie.

Les rites funéraires

Rappelons une évidence : même si ce ne sont pas les seules sources archéologiques,  les rites funéraires, que ce soit l’incinération de l’époque villanovienne ou l’inhumation des époques suivantes, ont permis la survie de cette civilisation. Grâce aux richesses retrouvées, nous pouvons déambuler à travers dix siècles de civilisation étrusque, du X° siècle avant Jésus-Christ jusqu’à notre ère,  dans les trois grands foyers que sont  d’abord la région située entre l’Arno, le Tibre et la mer Tyrrhénienne, ensuite la vallée du Pô, enfin la région de Pompéi et Capoue.

L’incinération pratiquée pendant l’époque villanovienne (IX°- VIII°S) nous vaut des témoignages remarquables sur l’architecture grâce aux fameuses urnes-cabanes  en forme de cabanes  ou de temples, qui servaient d’abris aux urnes cinéraires. Les urnes étaient elles-mêmes des jarres à couvercle en têtes d’hommes comme les canopes égyptiens. Ces cabanes ont un style dépouillé, presque moderne. Les antéfixes des temples sont ornés des fameuses figures « apotropaïques » : têtes aplaties de gorgones tirant la langue ou simplement figures d’ancêtres au chapeau pointu, à la longue robe. La  villa romaine  est déjà présente, avec son atrium et les pièces disposées tout autour.

Dans les multiples tombes,  hypogées en forme de melons, on a retrouvé une richesse incroyable de fresques, comme celles de la tombe du Navire reconstituée dans l’exposition ou celles présentées en animation à l’entrée du musée. Nous imaginons la vie quotidienne, les fêtes, les croyances d’un peuple qui a connu la prospérité, la joie de vivre dans la danse et  la musique. Les bijoux en or aux techniques raffinées : repoussé, filigrane, granulation, en témoignent ainsi que  les armes, le matériel de divination, les statuettes. Chapeau pointu, longues nattes  et grosses sandales donnent à cette figurine de chef un petit air de bande dessinée. Une autre nous  rappelle que Giacometti a puisé son inspiration dans l’art étrusque. Les têtes votives en terre cuite modelée, comme la tête de Malavolta, nous touchent par une sorte de modernité, un réalisme apaisé.

L’importance de la mer

Pour l’historien grec Hérodote, la moitié du peuple lydien à la suite d’une famine avait débarqué sous la conduite de Tyrrhenios sur les côtes de  la mer appelée depuis tyrrhénienne, de même que, plus tard, le Troyen Enée et son fils Ascagne débarquèrent  dans le Latium, plus au sud, pour fonder Rome. Telle aurait été l’origine du peuple étrusque (Tyrrhenoi pour les Grecs, Tusci pour les Romains).

Même si  la légende d’Hérodote est fausse, même si les Etrusques furent un peuple autochtone et non oriental, elle met  l’accent sur ce qui permit l’épanouissement de cette civilisation : la mer. La mer permit le commerce des richesses naturelles : le fer, le sel, le vin, l’huile. C’est elle qui permit l’enrichissement des princes d’abord, de la classe moyenne ensuite durant les deux siècles qui furent les siècles d’or de cette civilisation : le VII° et le VI°, juste avant le grand siècle grec.  Le cabotage près des côtes et le commerce lointain avec les régions d’orient, de Grèce et d’Afrique du nord ont multiplié les échanges culturels et artistiques. C’est ainsi que les amphores érotiques présentées dans l’une des vitrines sont des amphores grecques, non étrusques. Mais ce sont les Etrusques qui ont apporté le vin en Gaule, en Provence et dans le Languedoc. Comme on le voit sur certains objets où figure l’inscription : « j’appartiens à Untel », comme on le voit sur les tablettes, la langue utilisée n’est pas indo-européenne mais la graphie adoptée est celle du grec, à la différence près que le C remplace le gamma. A leur tour, les Romains adopteront cet alphabet issu du grec, avec la modification étrusque : A, B, C. Le grand nombre de noms propres dans ces inscriptions nous rappelle que les Etrusques avaient en usage le « nom de famille », le gentilice, et à la différence des Romains, au lieu de porter le nom du père ou du mari, Tullia épouse de Tullius, les femmes avaient leur propre prénom : par exemple Tanaquil (femme de Tarquin l’Ancien).

Rome et les Etrusques

La légende d’Hérodote présente aussi l’avantage d’introduire un parallélisme entre la civilisation étrusque et Rome. Les Etrusques ont précédé, et de loin, la naissance de Rome en – 753. Ils se sont organisés en cités fortement tenues par la présence d’un  chef, par la distribution des rôles de l’homme et de la femme, par les liens religieux, politiques et culturels. Les cités elles-mêmes: Vulci, Cerveteri, Véies, Tarquinia, Vetulonia, Chiusi, Pérouse, Volterra, Arezzo, Cortone, Fiesole, Orvieto, se sont unies entre elles en  dodécapole.

Tarquin L’Ancien et l’ambitieuse Tanaquil  sont venus d’Etrurie jusqu’à Rome pour y tenter leur chance ; ils ont fait de la ville naissante de Rome une ville étrusque, jusqu’au moment où Tarquin le Superbe et avec lui la royauté furent chassés de Rome après  le viol par Tarquin de la Romaine Lucrèce (- 509). Rome garde de ses origines étrusques mille particularités dont nous avons des témoignages ou des échos  dans l’exposition : la louve de Romulus et Rémus, le rite de fondation des villes, les jeux funèbres et les banquets d’adieu, les jeux athlétiques et théâtraux. Ajoutons encore la bulle des enfants, la toge pourpre, les faisceaux des licteurs, les chaises curules, les brodequins, le bonnet haut de prêtres, la divination par les entrailles d’animaux, en particulier le foie.
De – 396 à – 264, Rome fit tomber l’une après l’autre les cités de la dodécapole, unie alors  par la seule religion, avant de donner le droit de cité aux Etrusques qui constituèrent la septième région de l’Italie. Mécène et Virgile, l’homme de Mantoue, tous deux d’origine étrusque, témoignent par leur fierté d’être étrusques que la colonisation romaine fut d’une certaine façon une colonisation apaisée.

C’est à Florence, dans la cour des Médicis, au moment de la Renaissance italienne, troisième époque de la splendeur italienne (après celle des Etrusques et celle d’Auguste, comme on l’a dit du temps de l’Unité Italienne) que renaît l’intérêt pour la civilisation étrusque car elle donne à Florence contre Rome la légitimité et le prestige de «premier occupant ».
Ainsi vont les civilisations, mortelles sans doute, continuant cependant à féconder les esprits.

Les femmes étrusques

Les Grecs ne voyaient pas d’un bon oeil les talents de navigateurs des Etrusques  mais ils se scandalisaient plus encore de l’importance accordée aux femmes ainsi que de leur liberté : assister aux banquets, participer aux jeux. On le voit sur les fresques de l’animation proposée à l’entrée de l’exposition, qui ne sont pas sans évoquer la grâce des peintures crétoises. Le sarcophage des époux témoigne même d’une tendresse que l’on a déjà vue dans la Grèce homérique avec Alkinoos et Arêtê chez les Phéaciens ; Hector et Andromaque à Troie.
La femme étrusque est même ambitieuse et indépendante : Tanaquil aurait poussé Tarquin à se faire une place à Rome. L’épisode du viol de Lucrèce renvoie à une opposition avec la femme romaine : pendant que les princes étrusques faisaient la guerre, ils eurent l’idée d’aller épier leurs femmes qu’ils trouvèrent au milieu de jeux et de fêtes. La  seule qui filait était la Romaine Lucrèce au milieu de ses servantes. Cela lui valut la violence du roi Tarquin le Superbe avec pour conséquences la révolte contre la royauté et l’avènement de la République romaine. C’est donc à un portrait de la femme étrusque encore mystérieux que nous introduit l’exposition.

Rares sont en France les expositions sur les Etrusques, même si en 2014 nous sommes comblés, avec une seconde exposition du Louvre-Lens consacrée à Cerveteri. Les Etrusques nous ont apporté le C, le vin, le nom de famille, comme aime le rappeler Jean-Paul Thuillier. On peut ajouter que leurs femmes ont poussé leur indépendance  au point d’avoir un prénom et de provoquer indirectement un changement de régime à Rome.

Pour une introduction à la civilisation étrusque, lisez  Les Etrusques : la fin d’un mystère de Jean-Paul Thuillier dans la collection Découvertes Gallimard.

Maryvonne Lemaire