Passions premières, poèmes de Dominique Thiébaut Lemaire: vidéo de la soirée de présentation

Le recueil de poèmes Passions premières, de Dominique Thiébaut Lemaire, a été présenté à l’ Espace Le Scribe L’Harmattan (19 rue Frédéric Sauton, 75006 Paris) le 27 septembre 2012.

Voici la vidéo d’introduction dont l’auteur est le directeur de l’Espace Le Scribe, qui l’a projetée au début de la présentation (textes de Dominique Thiébaut Lemaire; tableaux et illustrations de Sergio Birga; lectures de: Paul Henri Lersen, Joséphine Laurens, Yves Letourneur).

Vidéo introductive

 

Billet: plaque commémorative

Il est le chef du bureau de l’histoire
Qui est aussi bureau de la mémoire
Sous-direction du patrimoine
A la mairie c’est l’homme idoine
Reliant la rue à la culture
Sur des murs neufs il voudrait apposer
Plaquer des mots du genre « ici vécurent »
Où le passant fasse une pause

Il est chargé des dossiers de l’histoire
Du souvenir et des lieux de mémoire
Qui ne sont plus que filigrane
Parfois sujets de mythomane
Souvent matière à conjecture
Dans des quartiers tout métamorphosés
Trop rénovés par une architecture
Non poétique écrite en prose

Dans le passé dans ses arcanes
L’ancien bâti dont l’ombre fane
A disparu sans trace en dur
Il n’est plus là et ici semble osé
Dans ce que dit la plaque « ici vécurent »
Une inscription où se mêlent deux choses
Le mur détruit relevant de  l’histoire
Et son fantôme occupant la mémoire

 

Ce poème évoque la distinction à faire entre l’histoire et la mémoire. Il a été inspiré par une lettre de la mairie de Paris (émanant du « bureau de l’histoire et de la mémoire ») qui fait part du souhait exprimé par la ville d’apposer une plaque commémorative sur un immeuble construit bien après la vie des personnes mentionnées dans ce projet de plaque.

D.T. Lemaire

Alain Delrue et Frédéric Lemaire: mises en chansons de poèmes de Dominique Thiébaut Lemaire

D.T. Lemaire lisant deux poèmes de Passions premières. Aux murs, des toiles de  Sergio Birga


Alain Delrue à la guitare

 

Passions premières, Ecrire, 1.2

Musique et interprétation: Alain Delrue

Heureux celui qui s’en revient
Libre d’esprit dont le bagage
S’est enrichi de sens d’images
Dans le parcours des méridiens

Je pense à celui qui jusqu’au rivage
Où l’infranchissable est rêve aérien
S’en va puis retourne au bout du voyage
Se réaccoutume au vieux sol terrien

Heureux celui qui s’en revient
Passé le temps des longs sillages
Plus éclairé sinon plus sage
Comprenant mieux l’amour des siens

Je pense à celui qui redoute l’âge
Et qui sans savoir s’il atteint le bien
Sillonne toujours la blancheur des pages
Dans un long chemin de mots magiciens

Version audio: « Heureux celui qui se souvient »

Version 2: HEUREUX CELUI QUI SE SOUVIENT

 

Passions premières, Fables et adages, 4.16

Musique et interprétation: Frédéric Lemaire

Près de finir sans requiem
Point trop usés mais mal aimés
Le lave-linge est cacochyme
L’ordinateur va rendre l’âme
L’obsolescence est programmée
Votre machine est périmée

Un minuteur a fait la somme
Le temps de vie est consommé
Le compte y est le chiffre ultime
Il interrompt l’électrogramme
L’obsolescence est programmée
Votre machine est périmée

Le son se tait plus de volume
Et cesse enfin de s’allumer
Le voyant rouge ou vert infime
Dans un dernier effort qui rame
L’obsolescence est programmée
Votre machine est périmée

Obsolescence version audio

 

Passions premières, Femmes, 5.4

Musique et interprétation: Alain Delrue

On tient pour grandes langagières
La Marseillaise et l’Arlésienne
Dames de coeur ou poissonnières
La tête haute ou l’air terriennes
Mais des tendrons jusqu’aux doyennes
Pourvues d’un homme ou sans mari
D’allure noble ou plébéienne
Les bons caquets sont de Paris

Il est connu que sans matière
Mais non sans mots les paroissiennes
D’un peu partout sont cancanières
A moins qu’elles n’en disconviennent
Mais qu’elles soient bonnes chrétiennes
Ou bien d’une autre aumônerie
Voire laïques citoyennes
Les bons caquets sont de Paris

Même si battant des paupières
La Tahitienne ou l’Arcadienne
En disent long à leur manière
Avec des airs de magiciennes
Et bien que Brettes et Vosgiennes
sans employer de mots fleuris
Soient des bavardes quotidiennes
Les bons caquets sont de Paris

Prince poète aux parisiennes
Vous avez décerné le prix
Car aussi loin qu’on se souvienne
Les bons caquets sont de Paris

Version audio 3: les bons caquets


Passions premières, Femmes, 5.20

Musique et interprétation: Alain Delrue

J’entends ses mots toujours en vie
Dire qu’il a mis sa plaisance
En son aimée sa désirance
Depuis le temps où il la vit

Qu’il en reste comme ébahi
Dans une ardente souvenance
Bien que les ans soient en partance
J’entends ses mots toujours en vie

Dire un plaisir inassouvi
D’avoir avec elle accointance
Et dans un charme de jouvence
J’entends ses mots toujours en vie

Version audio: j’entends ses mots

Première version audio: j’entends ses mots

 

Passions premières, Saisons, 6.10

Musique et interprétation: Alain Delrue

Comment au printemps l’empêcher
Cette rivière de courir
Et ces oiseaux les retenir
Quand on les voit si haut voler

Voudriez-vous les repêcher
Ces reflets qui dans l’eau chavirent
Comment au printemps l’empêcher
Cette rivière de courir

Laissez le cours des jours passer
Laissez le futur au désir
Et si l’amour veut s’étourdir
Sans se lasser de s’enlacer
Comment au printemps l’empêcher

Version audio: COMMENT AU PRINTEMPS

 

Passions premières, saisons, 6.19

Musique et interprétation: Alain Delrue

L’Hiver a vêtu son manteau
De nuit de froidure et de neige
Sous les flocons que vent allège
Il sort des glaces d’un château

Il marche seul murmure ou vais-je
Dessous sa barbe de cristaux
L’Hiver a vêtu son manteau
De nuit de froidure et de neige

C’est un géant qui sans cortège
Tandis qu’Orion cherche au plus tôt
L’or des soleils orientaux
Médite lui des sortilèges
de vent de froidure et de neige

Version audio: l’hiver a vêtu son manteau

 

Courts poèmes long-courriers, poème introductif

Musique et interprétation: Alain Delrue

Il faut de tout pour faire un monde
Il faut d’abord l’idée du tout
Se dire aussi la terre est ronde
Mais on ne peut en voir le bout

Des hauts des bas du plein des trous
Des jours de joie des nuits profondes
Il faut de tout pour faire un monde
Il faut d’abord l’idée du tout

De la violence et des yeux doux
Sous un ciel qui s’ouvre en rotonde
Le bien qui donne un espoir fou
Le mal qui bruit avec faconde
Il faut de tout pour faire un monde

Version audio: il faut de tout pour faire un monde

 

 

 

Sergio Birga: dessins (exposition à Marseille en octobre-novembre 2012)

Du 12 octobre au 10 novembre 2012, sous le titre Pierres noires, Sergio Birga a exposé à Marseille à la galerie Anna-Tschopp (197, rue Paradis, 13006 Marseille) des dessins inspirés de plusieurs auteurs: Boris Vian, Karel Capek, Kafka, Edgar Poe, Patrizia Runfola, Verhaeren… Principalement en noir et blanc, mais, comme le dit l’avant-propos du catalogue en ligne, parfois « rehaussés de sanguine et de craie ou de gouache blanches ».

Le catalogue peut être consulté sur le site internet « galerie Anna Tschopp ».

On y retrouve la vigueur habituelle de l’artiste, ainsi que l’inspiration satirique qui a marqué sa période expressionniste.

On connaissait déjà la prédilection de Birga pour Kafka, mais on est (heureusement) surpris de découvrir son goût pour d’autres auteurs, par exemple pour Verhaeren, ses Campagnes hallucinées et ses Villes tentaculaires.

Le dessin intitulé « Le Péché » correspond à un poème des Campagnes hallucinées, qui commence ainsi:
« Sur sa butte que le vent gifle,
Il tourne et fauche et ronfle et siffle,
Le vieux moulin des péchés vieux
Et des forfaits astucieux. »
Et, dans la suite du poème, on apprend que:
« Tous sont venus, jeunes et vieux,
Pour emporter jusque chez eux
Le mauvais grain, coûte que coûte… »

Un autre dessin, intitulé « Le Spectacle », correspond au poème ainsi dénommé dans Les Villes tentaculaires, et dont voici un extrait:
« Des bataillons de danseuses en marche
Grouillent, sur des rampes ou sous des arches;
Jambes, hanches, gorges, maillots, jupes, dentelles
– Attelages de rut, où par couples blafards
Des seins bridés mais bondissants s’attellent,
Passent, crus de sueur ou blancs de fard. »

On découvre la lecture graphique d’un artiste qui a trouvé dans la littérature des thèmes auxquels il a donné beaucoup d’expressivité, en mettant en scène un monde peuplé de personnages dont l’humanité est menacée par l’inhumanité, notamment celle des bureaux, des usines, des robots… et des autorités.

Dans certains dessins, en particulier ceux qu’il a tirés de L’Ecume des jours de Boris Vian, Birga illustre de manière sensuelle ou émouvante la relation entre l’homme et la femme (« La Danse », « Colin et Aline nue », « La Mort de Chloé »…) .

Dans plusieurs autres, par exemple ceux qui illustrent Edgar Poe, il parvient à une puissante représentation du fantastique.

Et il atteint souvent par le dessin cette profondeur mystérieuse qui caractérise nombre de ses huiles sur toile (« Les montagnes glacées », Le chevalier du seau: dessin d’après Kafka; « La chute de la maison Usher »: dessin d’après Edgar Poe; « La Petite madone », Leçons de ténèbres, d’après Patrizia Runfola, dessin de 2006 qu’il nous est donné de pouvoir comparer à une toile de 2007 sur le même sujet…)

Une « Arrivée à New York », inspirée par L’Amérique de Kafka, représente de façon magistrale sur le fond des tours de Manhattan l’arrivant héros du livre, poing sur la hanche, tenant de l’autre main sa valise sur l’épaule, et regardant la statue de la Liberté dans une attitude complexe de perplexité, de défi, d’admiration?
Il est à noter que Birga a représenté la Liberté élevant non pas une torche, mais un glaive qu’elle brandit conformément au texte de Kafka.
Nous attendons maintenant les oeuvres qui lui ont été inspirées par son récent séjour à New York !

Ces dessins nous tracent un parcours frappant, parfois presque dantesque, dans le monde littéraire de leur auteur.

Libres Feuillets

 

  
Sergio Birga
Le pont Charles (Description d’un combat, Kafka)
2006, 114×146 cm, huile sur toile

Billet: les pigeons de Paris

 

Nous aimons bien pour leurs noms la colombe
Le tourtereau la tourterelle
Et leurs cousins ramier palombe
Mais quand si près de notre tête ils passent
En rase-motte et sur la ville fientent
Ils ne sont plus que des pigeons

Nous aimons peu l’air crochu des rapaces
Des pèlerins des crécerelles
Qui dans le ciel font du surplace
Mais à Paris beaucoup voudraient que tombe
Sur les bisets leur chasse foudroyante
En souhaitant plus de faucons

A Notre-Dame on en voit qui surplombent
Du haut des tours ou des tourelles
Des colombins nombreux qui bombent
Leur gorge grise et même se prélassent
Parfois soudain sur les volées fuyantes
Un aquilin fait un plongeon

Colombophile et phobe face à face
Pour tempérer cette querelle
On nous installe inefficaces
Des pigeonniers où les couvées succombent
Dans l’œuf en douce histoire lénifiante
Une invention d’esprits féconds

 

Le journal Le Monde du 30 septembre-1er octobre 2012 nous a informés que le douzième « pigeonnier contraceptif » de Paris a été inauguré, vendredi 28 septembre, dans le 10ème arrondissement de la capitale.

D’après cet article, il s’agirait de dissuader les nourrisseurs, « ces amoureux des volatiles qui sèment graines et mie de pain sur les trottoirs, malgré les interdictions ». Il s’agirait aussi d’assurer « la cohabitation entre les citadins et les oiseaux ».

D’après l’adjointe au maire chargée des espaces verts, interrogée par le journal: « Nous ne sommes pas en train de limiter la population des pigeons. C’est un outil de communication. Aux nourrisseurs, nous expliquons que l’on s’occupe des pigeons. Aux riverains, nous disons que nous tentons de limiter les nuisances » !

Question : qui sont les « pigeons » de cette fable, les oiseaux ou les citadins ? Les nourrisseurs ou les riverains ?

Dominique Thiébaut Lemaire

La remise des dettes en Grèce au temps de Solon (VIe siècle av.J.-C.)

La littérature grecque ancienne a gardé le souvenir de questions qui font parfois écho avec notre actualité. Les textes cités dans cet article montrent comment, au début du VI° siècle, Solon s’est attaché à résoudre la question des dettes qui paralysaient l’économie et la société athéniennes.

De même que, à l’époque, les emprunteurs devenaient les esclaves de leurs prêteurs, la Grèce actuelle semble désormais être devenue esclave de ses créanciers. Pourtant aujourd’hui, on n’envisage qu’avec beaucoup de réticence une solution analogue à celle de Solon : la levée même partielle du fardeau financier.

Pages choisies dans la Constitution d’Athènes d’Aristote (C.A.) et dans la Vie de Solon de Plutarque (V.S.), par Maryvonne Lemaire.

***

Au début du VI° siècle av J.C., Athènes connaît une grave situation de crise. Il se produit une longue lutte civile du fait de l’inégalité sociale : les prêts étant gagés sur la personne du débiteur.

C.A. II 1-3

« Après cela, il survint entre l’aristocratie et le peuple un conflit qui fut de longue durée. En effet, leur constitution était en tout point oligarchique ; et, en particulier, les pauvres étaient les esclaves des riches, aussi bien les hommes que les femmes et les enfants. On les appelait clients et « hectémores » (soumis au paiement du sixième) ; car c’était moyennant ce fermage des cinq sixièmes qu’ils travaillaient les terres des riches.

Toute la terre était entre les mains de quelques-uns ; et, si les paysans ne s’acquittaient pas de leur fermage, on pouvait les emmener en captivité, eux et leurs enfants ; et les prêts, pour tous, étaient garantis par la personne du débiteur jusqu’à la venue de Solon, premier chef du parti populaire.

Donc, ce qu’il y avait de plus pénible, de plus amer dans la constitution, c’était, pour le plus grand nombre, l’esclavage. Toutefois, les autres dispositions étaient aussi un sujet de mécontentement : car, pour ainsi dire, le peuple n’avait aucune part aux affaires. »

Solon, élu archonte en 594, entreprend de résoudre cette crise. Il est choisi comme médiateur entre le peuple et l’aristocratie.

C.A. V-VI, 1

« Telle était l’organisation de la constitution ; le plus grand nombre était l’esclave de la minorité : aussi le peuple se souleva contre l’aristocratie. Comme le conflit était violent et que, depuis longtemps, ils se faisaient face les uns et les autres, d’un commun accord, on choisit Solon comme médiateur on lui donna pour mission de réformer la constitution, après qu’il eut écrit une élégie dont voici le début :

« Je comprends ce qu’il en est et, dans mon cœur, je ressens de la douleur en voyant la plus vieille terre d’Ionie que l’on est en train d’assassiner »

Dans cette élégie, il lutte et discute avec les deux partis dans l’intérêt de chacun d’eux et après cela, il les exhorte en commun à mettre fin à leur rivalité actuelle. Solon, par sa naissance et sa renommée, faisait partie des premiers de la cité, mais par sa fortune et son activité, il appartenait à la classe moyenne, comme les autres auteurs le reconnaissent et comme lui-même l’atteste dans le poème que voici, où il exhorte les riches à ne pas prendre plus que leur part :

« Vous, apaisez dans votre poitrine la violence de votre cœur, vous qui en êtes arrivés au dégoût de nombreux biens, disposez à la modération votre esprit hautain : car nous n’obéirons pas et tout ne se conformera pas à vos désirs.»

Et, d’une façon générale, il rejette la responsabilité du conflit sur les riches…

Placé à la tête des affaires, Solon libéra le peuple pour le présent et pour l’avenir en défendant de prendre pour gage la personne du débiteur ; il établit des lois, il annula les dettes tant privées que publiques, ce que l’on appelle du nom de « seisachtie » (levée du fardeau), voulant signifier par là que l’on s’était débarrassé de son fardeau.« 

Solon est accusé de délit d’initié

V.S. XV 7-8-9

« Mais ces mesures lui attirèrent, dit-on, une affaire fâcheuse. Comme il s’apprêtait à abolir les dettes, et cherchait des arguments convaincants et un préambule adapté, il s’en ouvrit à ceux de ses amis à qui il se fiait le plus : Conon, Clinias et Hipponicos. Il leur dit qu’il ne toucherait pas aux terres, mais qu’il avait décidé d’annuler les dettes. Les trois hommes prirent aussitôt les devants : sans attendre, ils empruntèrent aux riches des sommes considérables, et achetèrent de grands domaines.

Quand ensuite le décret fut publié, ils gardèrent les biens qu’ils avaient acquis, et ne remboursèrent pas ceux qui leur avaient prêté de l’argent. Cette affaire exposa Solon à des accusations et à des calomnies très graves: on prétendait qu’il n’avait pas été trompé par ses amis, mais qu’il était leur complice.

Toutefois, il se lava bientôt de ce reproche, car on découvrit qu’il avait prêté cinq talents, et il fut le premier à remettre cette dette, conformément à la loi : selon certains, notamment Polyzélos de Rhodes, il s’agissait même de quinze talents. Quant à ses amis, ils furent désormais surnommés Chréocopides (Coupe-dettes).« 

Des mesures juridiques, politiques, économiques  complètent la seisachteia 

C.A, XII, 4.  Poème de Solon, cité par Aristote :

« Quant à moi, le but pour lequel j’ai rassemblé le peuple, en quoi y ai-je renoncé avant de l’avoir atteint ? Elle peut en porter témoignage devant la justice du Temps, la mère toute-puissante des Olympiens, mieux que quiconque, elle, la Terre noire, dont j’ai un jour arraché les bornes plantées en maints endroits dans le sol; auparavant esclave, maintenant elle est libre.

Ils sont nombreux, ceux qu’à Athènes, leur patrie fondée par les dieux, j’ai fait revenir : ils avaient été vendus, celui-ci injustement, celui-là au nom de la justice, les uns partis en exil sous l’effet d’une implacable nécessité, ne parlant plus la langue attique, comme il arrive à des gens qui errent en tous lieux; les autres, qui connaissaient ici même un esclavage indigne et redoutaient l’humeur de leurs maîtres, j’ai fait d’eux des hommes libres.

Ceci, je l’ai accompli par la force de la loi, en associant la contrainte et la justice, et j’ai suivi ma route comme je l’avais promis. J’ai rédigé des lois aussi bien pour le méchant que pour l’homme de bien, préparant pour chacun une justice droite. (…) Pour ces raisons, faisant front de toutes parts, je me suis débattu comme un loup au milieu d’une meute de chiens. »

Solon part pour un voyage de dix ans en Egypte pour permettre l’application des lois écrites.

C.A. XI, 1-2

« Après qu’il eut organisé le régime politique de la façon qu’on a dite, puisqu’on l’ennuyait en venant le voir à propos de ses lois, en critiquant certains points, en demandant des précisions sur d’autres, comme il ne voulait ni les changer ni se faire détester en restant, il partit en voyage en Egypte, pour ses affaires en même temps que pour la visiter, et dit qu’il ne reviendrait pas de dix ans.

Car la justice, estimait-il, ne consistait pas à ce qu’il reste pour expliquer ses lois, mais à ce que chacun fasse ce qui était écrit. Il arrivait à la fois que beaucoup de nobles lui étaient devenus hostiles à cause de la réduction des dettes, et que les deux camps opposés avaient changé d’avis, parce que la situation avait trompé leur attente.

En effet, le peuple croyait qu’il ferait un nouveau partage général, et les nobles qu’il remettrait tout dans le même ordre, ou ne ferait que des changements mineurs. Mais Solon s’opposa aux deux camps et, alors qu’il lui était possible de s’appuyer sur celui des deux qu’il voulait pour exercer la tyrannie, il préféra s’attirer la haine des deux pour avoir sauvé la patrie et établi les meilleures lois.« 

Telle fut, selon Aristote « la troisième des onze étapes des Athéniens vers la démocratie », sous l’archontat de Solon,  poète et législateur, désigné comme l’un des sept Sages.

Maryvonne Lemaire

Bibliographie indicative :
– Aristote: Constitution d’Athènes. Le Livre de Poche, 2006.
– Gravil, Mauroy, Pauliat: Le grec par les textes 2°/1°. Magnard, 1997.
– Mossé (Claude): Histoire d’une démocratie : Athènes. Le Seuil, 1971.
– Plutarque: Vies parallèles (Vie de Solon). Quarto Gallimard, 2001.