Billet: temps de Pâque(s)

 

Il  est bien tard pour tailler les fruitiers
Feuillage et fleurs en bourgeons se rénovent
Le cerisier le poirier le pommier
Sont en éveil au gré de la lumière
Il n’est plus temps de couper dans la sève

Quand Pâque arrive on voit c’est immédiat
La primevère en jaune ou blanche ou mauve
S’ouvrir petite après les camélias
La pâquerette idem se met à jour
Il n’est plus temps que la neige les couve

Si les frimas reviennent poudroyants
C’est de la frime et qu’il vente ou qu’il pleuve
Dit l’optimiste et redit l’insouciant
Quand le soleil se révèle moins rare
Il n’est plus temps d’avoir des pensées graves

Mais l’impatient dont les pensées refluent
Lorsque le froid s’obstine dans sa lutte
Répond qu’il manque encore les effluves
Et la douceur pour parfumer la vie
Le mois de mai doit s’approcher plus vite
Il est grand temps que le printemps revive

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: vent et neige (mi-mars 2013)

Au mois de mars quand l’hiver s’exténue
Dans un sursaut d’ultime décadence
Le vent voulait poursuivre ses cadences
Parler plus fort à la blanche ingénue
La neige neuve et qui tombait des nues
Pour lui vanter les charmes de la danse

Dernière neige et candide et chenue
Qu’il invitait à l’ampleur l’abondance
Il a quitté le ton des confidences
Lui a soufflé des mots moins retenus
Presque au printemps donc presque saugrenus
Pour lui vanter les charmes de la danse

Dans l’envolée de flocons soutenus
Tourbillonnante elle est tombée plus dense
Couvrant la route ignorant les prudences
A fait glisser dans cette blancheur nue
Le conducteur hors des trajets connus
Pour lui vanter les charmes de la danse

***

Alors que, pour Météo France, la période d’hiver est celle des mois de décembre, janvier et février, il s’est produit notamment en France du 11 au 16 mars  2013 une vague de froid tardif, avec des chutes de neige et des vent parfois violents (source des chiffres mentionnés: « la chaîne météo » sur internet et meteo-paris.com).

Les températures minimales jusqu’à moins 10-moins 15° C dans le nord mardi 12 et mercredi matin 13 mars (constituant pour Lille et Beauvais des records de froid pour un mois de mars) et les températures maximales basses l’après-midi (sans dégel deux jours d’affilée au nord de la Seine lundi et mardi) montrent l’intensité de ce froid par ailleurs très humide qui s’est accompagné de neige (de 10 à 30 cm d’épaisseur en moyenne) avec un vent qui a créé en particulier en Picardie et en Normandie des congères de plus de deux mètres de haut par endroits. D’où d’énormes difficultés de circulation (trafic ferroviaire interrompu, y compris entre Paris et Londres, routes et voiture ensevelies)…

Le développement d’éclaircies dans les nuits de lundi à mardi et de mardi à mercredi a fait plonger le thermomètre à un niveau très bas pour la saison, la couche de neige au sol et l’absence de nuages ayant accentué le phénomène.

Avec des températures maximales qui sont restées négatives pendant deux jours à Lille, Beauvais, Amiens, Rouen, Abbeville et Caen, les journées de lundi et mardi sont historiques: il s’agit des journées sans dégel les plus tardives dans la saison jamais enregistrées pour les villes citées. A Paris, une record de froid vieux de 141 ans a été enregistré avec moins 1,6° C mardi, journée de mars la plus froide depuis au moins 1872…

Cette situation s’explique par une masse d’air d’origine sibérienne étirée de la Russie à la France, et qui s’est trouvée confrontée à une descente d’air polaire maritime de la Scandinavie vers les Îles Britanniques jusqu’en France. Le conflit entre ces masses d’air, continentale pour l’une et polaire humide pour l’autre, a engendré des chutes de neige exceptionnelles sur les régions du nord de la France. Paris s’est trouvé sous la neige au cours de cette semaine, comme déjà au début de l’année 2013.

Le vent d’Est, d’origine sibérienne, a accentué le ressenti glacial, encore aggravé par l’absence de soleil. Avec moins 1° C à Cherbourg lundi et un vent soufflant à 90 km/h, le ressenti était proche de moins 15, comme aussi à Dieppe, Saint-Brieuc, Lannion…

Après un mercredi 13 mars très froid dans le sud-ouest sans dégel à Pau et Tarbes et seulement + 1,2°C à Toulouse sous la neige, les régions méditerranéennes ont été confrontées à leur tour à cette froidure dans une tempête de tramontane et mistral, dans la nuit du 13 au 14, puis  dans la journée du 14 où, à Marignane par exemple, une rafale a été mesurée à plus de 128 km/h dans une température de 6°C, le ressenti étant de moins 15, sous le soleil…
Vendredi après-midi, de fortes averses de neige et de grêle ont frappé l’agglomération d’Ajaccio. Quelques flocons étaient visibles du côté de Cannes, et de Nice…

Ultime assaut de ce froid qui est descendu en une semaine des côtes de la Manche au rivage méditerranéen, après une nuit de vendredi à samedi sous zéro entre Montpellier (moins 2°C), Salon-de-Provence (moins 6°C), Bormes-les-Mimosas (moins 4°C), et de l’ordre de 0° à Fréjus, Cassis et Cannes, de très nombreuses gelées ont été signalées jusqu’en zone littorale à l’aube…

Par le passé, sans atteindre l’ampleur de cette année, d’autres vagues de froid se sont produites en mars: en 1955, 1962, 1975, 1985 (4 jours sans dégel à Amiens du 1er au 4 mars), 1986, 2005, 2006, 2010 (50 cm de neige à Perpignan le 8 mars 2010).
Mais il faut aussi se souvenir de mars 2012, mois exceptionnellement doux et très ensoleillé avec 5 jours consécutifs sans un seul nuage dans le ciel du pays, si exceptionnel que pour certaines villes du nord de la France, il s’est agi du mois le plus ensoleillé de l’année…

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Billet: l’absence de rigueur du mot « rigueur »

A les entendre exalter la rigueur
On voit venir des lendemains rugueux
De vieux démons sont toujours aux aguets
Dans leur chanson de jadis et naguère

Cette rengaine est de mauvais augure
En temps de crise équivoque ambiguë
Elle est pour eux l’alpha et l’oméga
Le double sens de « rigueur » les égare

La pensée droite et la souffrance rude
Quoique les deux puissent nous sembler dures
N’ont pas de lien pour un esprit robuste

Et si les deux sont jugées rigoureuses
L’âpre plaisir des actes douloureux
N’est pas égal au raisonnement juste

La rigueur au sens intellectuel du terme ne se retrouve pas dans la rigueur ou austérité aujourd’hui évoquée abondamment au sens politico-économique, bien que le mot puisse avoir l’un et l’autre sens. C’est un abus de langage que de croire ou de faire croire à l’équivalence des deux significations. Comme de faire croire au caractère rédempteur de la souffrance dans la crise en étendant aux questions économiques et sociales ces vers de Baudelaire :
« Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance
« Comme un divin remède à nos impuretés »,
où Dieu paraît être de nos jours la toute-puissante économie (sociale ?) de marché.

Dominique Thiébaut Lemaire

Autour de Gauguin, les peintres de Pont-Aven. Par Annie Birga

EXPOSITION: LES PEINTRES DE PONT-AVEN. AUTOUR DE GAUGUIN
Atelier Grognard, Rueil-Malmaison, jusqu’au 8 avril 2013

De retour de la Martinique, Gauguin, en 1886, choisit de séjourner en Bretagne. A Pont-Aven, village fréquenté depuis les années 1850 par de nombreux peintres, pour la plupart anglais et américains. La vie y est bon marché. Mais, pour attirer Gauguin, il y a bien davantage que des motifs économiques. Il écrira : «  J’aime la Bretagne. J’y trouve le sauvage, le primitif. Quand mes sabots résonnent sur le sol de granit, j’entends le ton sourd et puissant que je cherche en peinture ». Et, à Emile Bernard: »J’éprouve le plaisir non d’aller plus loin dans ce que j’ai préparé autrefois, mais de trouver quelque chose de plus ».  Il explicite ce « plus » dans une lettre à Maurice Denis, adressée  de Tahiti, en 1899 : « Je voulais à cette époque tout oser, libérer en 1888 en quelque sorte la nouvelle génération ». On ne reviendra pas sur l’épisode capital du tableau intitulé « Le Talisman ». Mais, des contacts avec les autres peintres – on discute fort -, des échanges avec le jeune Emile Bernard – vingt ans et toutes les audaces-, d’une longue et antérieure recherche, naît une nouvelle esthétique. Une déclaration de guerre à l’académisme et à l’Impressionnisme qui se délite. Couleurs vives, posées en aplats, cernées en  zones, perspectives cavalières, effets décoratifs, synthétisme. Sans oublier l’essentiel, la transmission de l’émotion, du ressenti. Ecoutons Gauguin critiquer les peintres naturalistes: « Ils cherchent autour de l’oeil et non au centre mystérieux de la pensée ».

Les années bretonnes de Gauguin voient se succéder des tableaux superbes. Cette exposition à l’Atelier Grognard à Rueil-Malmaison, aux moyens financiers limités, ne peut les montrer, mais on verra qu’elle est riche de peintres à redécouvrir, marqués par l’empreinte du maître. Elle présente deux tableaux, « La Fenaison en Bretagne » et  « Fête Gloanec », tous deux de l’année 1888. Le premier se ressent encore de l’influence de Pissarro tandis que le second ouvre la voie à une peinture libérée et hardie: guéridon rouge vif et, posés dans un apparent désordre, les cadeaux destinés à l’aubergiste Marie-Jeanne Gloanec, fleurs dans un emballage de papier blanc, galette et poires.

En 1905, Maurice Denis, de passage à Pont-Aven, achètera cette toile. Le théoricien des Nabis, l’un des jeunes héritiers de l’Ecole de Pont-Aven, est représenté  dans l’exposition par deux petites huiles, « Les Toits rouges » (1892) et « La Bolée de cidre » (1894), où la recherche formelle de synthétisme est frappante. Dans la partie du parcours consacrée à Bretagne, terre de croyances, la toile « Les mendiants de la Clarté » (1916) raconte, sur fond de granit rose, un miracle de la Vierge.

En ce qui concerne Emile Bernard, c’est un peu le même discours que pour Gauguin, d’en vouloir davantage. Il faudra se contenter de deux beaux portraits de femmes, d’un bouquet de lilas et, la peinture entrant dans le quotidien, d’un battant d’armoire étroit, dont le format est utilisé pour figurer une falaise, un petit  Meijer de Haan croqué avec humour juché sur le sommet et, en contre-bas, deux Bretonnes au premier plan.

Sérusier, le nabi à la barbe rutilante, occupe une place de choix dans l’exposition. Il est vrai qu’établi à Châteauneuf-du-Faou au milieu du Finistère, il n’abandonne jamais les sujets bretons. Une Bretagne cloisonnée, dominée par les Montagnes Noires, aux forêts profondes, où les paysannes pourraient bien être druidesses, comme elles semblent parfois sortir de lointaines  tapisseries médiévales. Peinture méditée et symbolique.

Le groupe de Pont-Aven est riche de peintres aux personnalités diverses.  Les musées bretons, en particulier celui de Pont-Aven, leur consacrent des expositions. D’excellents historiens de l’art, comme Denise Delouche ou André Cariou, s’attachent à les faire connaître et à les sortir d’une trop rapide étiquette d’épigones Le commissaire de l’exposition, Hervé Duval,  en  fait une très suggestive présentation, à travers des thèmes liés à la Bretagne, terre de légendes, de croyances, de culture et de paysages (de la terre à la mer): tableaux, aquarelles, dessins et gravures, tout un bel éventail. Les dates  retenues vont de 1894 (l’après Gauguin) à 1920.

Il y a là Henry Moret.(1856-1913). Installé à Doélan, près du Pouldu, il peint dans un style post-impressionniste, qui se souvient du synthétisme, des paysages maritimes, sensibles et lumineux. Ses marines d’Ouessant, de Belle-Ile, sont saisissantes, comme ses plages, ses rivages de l’Aven, belles  peintures  d’atmosphère. Maxime Maufra (1861-1918), finit aussi par vivre sur la côte et il peint des paysages au dessin vigoureux (il est également graveur), il sait percevoir et rendre le fantastique d’un groupe d’arbres, d’un arc-en-ciel. Emile Jourdan (1860-1931) n’a pas la belle carrière de ses confrères, mais sont montrés ici des tableaux saisissants, où la matrice nabi, presque expressionniste dans son cas, demeure intacte: on pense au « Retour des goémoniers », toile de 1914. Ferdinand du Puigaudeau (1864-1930), artiste qui vécut à Pont-Aven, puis choisit d’habiter du côté de Nantes dans la région du Croisic, mérite d’être mis en valeur, même si sa facture est beaucoup plus classique. Ses tableaux diurnes évoquent la vie primitive des paysans. Ses études de lumière, couchers de soleil rouges sur la mer, sur un menhir, ses nuits lunaires  sur un manoir, une église, sont d’une grande virtuosité et fascinants.

Il resterait à évoquer, tant le groupe de Pont-Aven est riche de personnalités, Schuffenecker, proche de Gauguin, Meijer de Haan mort trop tôt, Slewinski le polonais qui revint passer ses dernières années en Bretagne, le danois Mogens-Ballin, Filiger l’alsacien mystique, le graveur Delavallée, l’irlandais O’Conor (dont les musées anglo-saxons se disputèrent les toiles lors de la dispersion de l’atelier en 1956), Georges Lacombe, sculpteur et peintre que vient d’exposer le Musée Maurice Denis, au Prieuré à Saint-Germain-en-Laye.

Après cette promenade en terre bretonne, il restera pour l’amateur à continuer la découverte avec la rétrospective de Mathurin Méheut au Musée de la Marine, et l’exposition « Maurice Denis et l’eau » au Musée de Granville.

Annie Birga