Billet: palmarès des nations (sport et universités)

On ne saisit qu’une ombre d’apparence
Quand on compare et que l’on met en rangs
Tous les pays pour un grand palmarès
Nous égarant dans l’illusion du vrai

Et derechef la presse fait chorus
Elle commente en long le dernier cru
Des classements aux finesses trop grosses
Où chaque Etat devient un numéro

Palmes lauriers récompenses de princes
Et de tous ceux qu’on aimerait sereins
Sportifs chercheurs la manie notatrice
Fait le total des médailles des prix

Dans ces concours au coude à coude aux trousses
Rivale en peine ou figure de proue
Chaque nation veut imprimer sa trace
Et gagne quoi malin qui le dira

***

Nous venons d’être informés du classement mondial des universités établi chaque année -en ce mois d’août 2013 pour la dixième fois- par l’université Jiao Tong de Shanghaï. Nous avons aussi eu droit à un championnat mondial d’athlétisme à Moscou, après les jeux olympiques de Londres l’an dernier.

Comme précédemment (voir le billet de Libres Feuillets du 19 août 2012 intitulé « Les résultats des JO de 2012 »), le palmarès sportif est faussé par le fait qu’on ne sait pas comment décompter les médailles, ou qu’on préfère ne pas en décider, peut-être à cause d’un scrupule hérité de l’ancienne idée selon laquelle l’important n’est pas de gagner mais de participer. Combien vaut une médaille de bronze ou d’argent par rapport à une médaille d’or? Sans réponse à cette question, à quoi bon présenter un classement?
D’après les seules médailles d’or de 2013, la Russie est première (7 médailles d’or, 4 d’argent, 6 de bronze), les Etats-Unis deuxièmes (6 médailles d’or, 14 d’argent, 5 de bronze), la Jamaïque troisième, où le contrôle anti-dopage est faible voire inexistant (6 médailles d’or, 2 d’argent, 1 de bronze), la France dixième (1 médaille d’or, 2 d’argent, 1 de bronze)…

S’agissant du palmarès universitaire mondial, dans l’ensemble des 500 établissements classés, on en compte 149 pour les Etats-Unis; 42 pour la Chine (mais aucun chinois dans les 100 premiers); 38 pour l’Allemagne; 37 pour le Royaume-Uni; 23 pour le Canada; 20 pour la France; 20 pour le Japon; 19 pour l’Italie.
Les défauts fondamentaux de ce palmarès restent obstinément les mêmes (voir le billet de Libres Feuillets publié le 19 août 2012 sous le titre « Universités, le classement de Shanghai »). En ce qui concerne la France et plusieurs autres pays, une part très importante de la production de recherche est escamotée, car il n’est pas tenu compte des résultats obtenus par les organismes autres que les universités: par exemple, en France, le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), pourtant au premier rang mondial pour les publications dans les domaines des sciences.
En outre, ce palmarès dépend beaucoup de la taille des entités classées (en fonction du nombre d’universitaires, du nombre d’articles publiés, du nombre d’articles cités …) C’est pourquoi plusieurs universités françaises se sont regroupées récemment: à Aix-Marseille, à Bordeaux, en Lorraine, à Strasbourg, grâce à quoi elles ont obtenu un rang meilleur, démontrant ainsi (par l’absurde?) l’importance de l’un des biais majeurs de ce classement.
Dans la mesure où celui-ci aurait l’ambition d’éclairer un étudiant désireux de faire le meilleur choix possible entre les universités de par le monde, il importerait de fournir des éléments sur le coût des études. De ce point de vue, les universités placées en tête du classement de Shanghai sont aussi bien souvent les plus chères, notamment celles d’Amérique du  Nord et du Royaume-Uni.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: naissance d’un enfant

Le quatre août deux mil treize est apparu Sacha
Dans le petit matin la nuit dormait encore
A la maternité rue du Sergent Bauchat
Sur la photo du jour il est beau comme un cœur

Les grands-parents dont moi dès que possible accourent
Il parle avec les doigts s’étire en petit chat
Quand on le voit ainsi la vie n’est plus précaire
Main menue sur le ventre il dort comme un pacha

Je me suis souvenu de quelques mots écrits
Lorsque son père est né même lieu temps solaire
Signe astral du lion bien que son premier cri

Fût doux comme un soupir de rauque délivrance
Accueilli lionceau par nos voix tutélaires
Qu’il écoutait tout neuf d’un air de souvenance

 

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Dans ce sonnet, j’ai emprunté à l’une des grands-mères l’expression « il est beau comme un cœur », et à l’autre grand-mère la rime entre le prénom Sacha, diminutif d’Alexandre, et le nom de la rue du Sergent Bauchat, adresse de la maternité.

Les enfants qui viennent de naître ont une période pendant laquelle leurs sens sont particulièrement en éveil, notamment pour la reconnaissance des sons. Je me suis rappelé quelques vers écrits il y a plus de trente ans pour noter l’attention avec laquelle, à sa naissance, le père de Sacha a écouté nos voix qu’il reconnaissait à l’évidence, les ayant probablement mémorisées quand il était encore dans le ventre maternel. Sacha a manifesté la même capacité.

En parcourant L’Art d’être grand-père de Victor Hugo, j’ai noté quelques vers du poème V du début, intitulé « L’Autre »:
« … Ah ! les fils de nos fils nous enchantent.
Ce sont de jeunes voix matinales qui chantent…
Ils ramènent notre âme aux premières années ;
Ils font rouvrir en nous toutes nos fleurs fanées ;
Nous nous retrouvons doux, naïfs, heureux de rien ;
Le cœur serein s’emplit d’un rêve aérien ;
En les voyant on croit se voir soi-même éclore… »

 Les parents et grands-parents ont été eux aussi des enfants !

Dominique Thiébaut Lemaire

Le peintre Mathurin Méheut au Musée national de la marine. Par Maryvonne Lemaire

Exposition Mathurin Méheut (27 février-1er septembre), Musée national de la Marine, Palais de Chaillot, Trocadéro

L’exposition Mathurin Méheut (1882-1958) est prolongée jusqu’au 1er septembre. Peintre  méconnu de l’Art Nouveau, Méheut est pourtant pleinement reconnu dans sa région natale: les Bretons de Bretagne, de Paris ou d’ailleurs ont sûrement déjà vu l’exposition. Mais je ne suis pas sûre que beaucoup d’autres se soient aventurés à traverser la profonde galerie du Musée de la Marine (où sont exposés les fameux ports français de Joseph Vernet) pour atteindre, après une assez longue marche, l’entrée de l’exposition. Celle-ci s’ouvre sur une immense tapisserie des Gobelins, bleue et rouille, intitulée « La Mer » (1946). « Dès mon enfance, j’ai subi l’attraction de l’Océan (…) Je devais y consacrer ma vie (…) Je m’attachais aux travailleurs de la mer, aux combattants de la mer, à ceux qui la ressentent de si près dans leur corps qu’elle leur donne cette allure et ce caractère inimitable » dit Mathurin Méheut dans son discours de réception à l’Académie de marine (1956). Il évoque ainsi sa source d’inspiration privilégiée.

Un simple coup d’œil à l’accrochage permet de voir qu’il ne s’agit pas d’une peinture destinée à orner les murs des demeures bourgeoises: peu de  tableaux aux cadres dorés. La variété des formats et des supports, longues fresques, feuilles de carnets, vaisselle, encyclopédies, la variété des techniques, crayon, gouache, peinture à la caséine, aquarelle, encre,  estampe  donneraient même une impression de fouillis. C’est oublier que Méheut a hérité de son père menuisier à Lamballe une conception de  la peinture qui est celle d’un artisan travaillant la matière. Cette conception trouve naturellement son aboutissement dans la modernité de l’art décoratif et de l’Art Nouveau. L’Art Nouveau  refuse la distinction entre arts majeurs (sculpture, peinture) et arts mineurs (ceux des tapissiers, joailliers, ébénistes, céramistes). C’est ainsi que dans cette exposition on admire autant la délicatesse minutieuse des motifs floraux ou animaliers, inventoriés dans les encyclopédies, que la vigueur  âpre et primitive de l’artisan peignant d’immenses fresques. Fidèle à cette conception de l’art, Mathurin Méheut travaillera après la guerre pour les manufactures (faïencerie Henriot, Manufacture de Sèvres) ; il enseignera à l’école Boulle et l’école Estienne.

Le homard bleu, repris sur l’affiche de l’exposition,  est à lui seul un manifeste. Il est extrait d’un album fait en collaboration avec Colette, en 1929, qui s’intitule : « Regarde…». Le mot pourrait résumer l’enseignement du maître de Méheut à l’Ecole nationale des arts décoratifs de Paris, Eugène Grasset: observer, analyser, interpréter. Un art s’inspirant de la richesse de la réalité, qui en extrait l’essentiel et l’interprète synthétiquement d’un trait puissant, dans une palette élémentaire comme celle des Fauves, et même « primaire », puisqu’elle fait contraster le bleu, le rouge, le jaune, le blanc.

Pour la revue Art et Décoration d’Emile Levy, consacrée à  l’Art Nouveau, Méheut explore les possibilités décoratives de la flore et de la faune marine. Il séjourne pour cela deux ans au laboratoire de biologie marine de Roscoff et publie en 1913 une Etude de la mer.  Flore et faune de la Manche et de l’Océan. Déjà, « il scrute le vivant pour en restituer la complexité » (D.M. Boëll). Comme en 1913 au musée des Arts Décoratifs, installé au Pavillon de Marsan du Louvre, nous voyons une large sélection de ces oeuvres: buissons de corail, poissons de toutes formes, homards, seiches, calmars, pieuvres, oursins. Moules et hippocampes donnent lieu à des interprétations décoratives particulièrement  réussies. Ces études annoncent la tapisserie de « La Mer » mentionnée plus haut, qui constitue, comme certaines mosaïques de l’antiquité romaine, un inventaire des formes marines de la nature  (et des activités liées à la mer).

Les motifs de la peinture viennent de l’enfance bretonne à Lamballe, au contact de travailleurs façonnés par l’océan : Méheut  peint dans une inspiration  presque unanimiste les pêcheurs, les goémoniers, les bateaux. Il est attentif aux  postures et particularités des métiers : Arracheuses de pommes de terre, Vieillard étendant les goémons, Pause dans les marais salants. Il saisit les corps dans l’effort, à coups de traits obliques, souvent vus de dos. Il peint les marées et les saisons, les travaux et les jours, avec un goût particulier pour les jours de fête (Le Pardon de Sainte Anne la Paludles Troménies de Locronan ).

C’est la veine du réalisme breton, illustré aussi  par d’autres artistes, par exemple la céramiste Berthe Savigny saisissant les enfants dans la concentration de la lecture ou du jeu. Ce réalisme n’est pas un réalisme du trivial, de l’aliénation malheureuse (comme celui de Degas ou de Toulouse Lautrec) mais un réalisme familier, accentuant le trait pour saisir poses et gestes quotidiens dans leur nécessité. Réalisme proche de celui de statues bretonnes  que l’on voit dans les chapelles, lui même issu lointainement du réalisme gallo-romain.

Quand Mathurin Méheut obtient une bourse « Autour du monde» d’Albert Kahn et s’embarque en 1914 pour faire un tour du monde,  il peut visiter  Hawaï et le Japon (avant de rentrer en France en raison de la déclaration de guerre). Il sait déjà déchiffrer et peindre la flore et la faune marine,  les activités des ports, les travaux de paysans. Mais il accueille aussi une inspiration nouvelle,  trouvée dans l’architecture,  les costumes, les animaux sacrés (les biches remplacent la faune marine) ainsi que dans les techniques, la fameuse représentation japonisante sans modelé ni  profondeur qui convient à sa propre manière.

Pendant la guerre de 14, il combat d’abord dans les tranchées puis, en raison de ses qualités d’observateur, dans le service topographique. Nous voyons quelques croquetons extraits de sa correspondance avec sa femme: comme il le faisait pour les gens de la mer, il saisit la vie des Poilus au jour le jour, sans pathos. Il peint le sentiment collectif,  l’attente surtout, non sans humour parfois (L’entrée d’une tranchée de luxe) ou bien des scènes de foule qui l’ont spontanément marqué et qui prennent avec le temps valeur significative ou historique ( l’Exécution capitale, l’Arrivée des plénipotentiaires allemands le 11 novembre).

Reconnu officiellement peintre de la Marine en 1921, Mathurin Méheut reçoit de nombreuses commandes des compagnies maritimes pour la décoration de paquebots et cargos (l’Anjou). Après le succès que connaît  la faïencerie quimpéroise Henriot pour les services de table La Mer et La Galette, dont les motifs géométrisés sont  inspirés par la flore et la faune marine, les restaurateurs commandent à leur tour services de table (le restaurant Prunier), décoration intérieure (le restaurant lillois A l’Huitrière). Consacré « génie français » à San Francisco, le peintre y décore sa première villa, activité qu’il poursuit en France (villa Miramar d’Albert Kahn au cap Martin ; villa Le Caruhel à Etables).

La pêche, devenue industrielle, continue à l’inspirer. Mathurin Méheut fait revivre  l’animation du Débarquement de la pêche sur les quais de Boulogne: tonnes de poissons débarquées par un équipage  manœuvrant  de lourds  treuils.  Mais si, lors de sa dernière exposition en 1955 à la galerie Bernheim, un tiers seulement des œuvres fait référence à la Bretagne, c’est que Mathurin Méheut, au-delà de son histoire personnelle, a voulu peindre de façon plus générale, sans intérêt pour le pittoresque ou l’exotisme, un monde  dont il observe les changements, voire la disparition. Le réalisme du quotidien se double  d’un réalisme historique. La force du témoignage tient au dynamisme du  trait, allant à l’essentiel, aux puissants contrastes de la palette, aux cadrages mettant l’accent avant tout sur la mer, vue du bateau ou du rivage, et dont il a su capter l’énergie.

Le Musée de la Marine ne possède malheureusement pas de librairie qui permettrait de donner des prolongements à la visite. On peut cependant se procurer au musée  l’album de l’exposition fait par Denis-Michel Boëll, conservateur général du patrimoine et directeur-adjoint du musée. Notons que l’historienne de l’art Denise Delouche, spécialiste des peintres bretons, a consacré un livre entier à Mathurin Méheut aux Editions Chasse-marée. On trouve aussi quelques monographies plus courtes, comme celle de Michel Glémarec et celle de Dominique Le Brun  aux Editions du Télégramme.

Maryvonne Lemaire

 

Billet: le dominicain et le jésuite

 

Frais débarqué dans la ville éternelle
-Il n’est pas dit d’où cet homme venait-
L’été à Rome un révérend jésuite

Qui s’échauffait dans d’étranges circuits
Cherchait Saint Pierre à travers les venelles

Où semblait fuir le but de sa poursuite


De guerre lasse il interroge un frère
Dominicain l’air ouvert mais discret

Lui demandant c’est presque une supplique
De bien vouloir éviter l’homélie

Pour expliquer par quel itinéraire
On peut trouver la grande basilique

 

L’autre répond ravi de l’intermède
Mon père hélas finirez-vous jamais
Votre recherche errante infructueuse

Vous aimez trop les parcours sinueux
J’en ai bien peur le mal est sans remède

Car c’est tout droit sans marche tortueuse

 

C’était le jour de la Saint Dominique
Fête changée presque en catimini
Quatre août naguère et maintenant le huit

Qu’on nous l’explique est-ce un coup des Jésuites

 

 

***

 

La fête de Saint Dominique, fixée au 4 août à partir de 1234, et au 8 août depuis le concile de Vatican II, donne l’occasion d’évoquer les dominicains, ainsi que les jésuites auxquels ils se sont souvent opposés.

Les dominicains (de l’ordre des frères prêcheurs, fondé en 1214 par l’espagnol Dominique de Guzman à Toulouse) et les jésuites (clercs réguliers de la Compagnie de Jésus, fondée en 1537 par l’espagnol Ignace de Loyola, saint fêté le 31 juillet) ont la réputation de ne pas faire bon ménage. Entre ces deux grands ordres, la rivalité n’a guère cessé depuis des siècles… Cette concurrence a atteint des sommets notamment aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Ce qui oppose finalement le plus les deux ordres, c’est qu’ils œuvrent sur le même terrain, celui de la formation et de la réflexion intellectuelles. De nos jours, la concurrence est plus policée. Mais le petit sourire qui naît sur les lèvres, lorsqu’on évoque les confrères d’en face, confirme la persistance d’une émulation bien réelle.

La Compagnie de Jésus aurait une propension plus marquée pour l’enseignement, domaine dans lequel son modèle a été reproduit dans de nombreux pays à partir du 16e siècle. Mais leur influence dans l’enseignement français, par exemple, est devenue très faible, malgré une réputation demeurée forte dans certains milieux où on se targue d’avoir été « élève des Jésuites ». Leur établissement français le plus connu est actuellement le lycée Sainte Geneviève à Versailles (classes préparatoires aux grandes écoles).

En philosophie et en théologie, les dominicains ont donné des auteurs aussi éminents que saint Thomas d’Aquin (dont le tombeau se trouve à Toulouse) et saint Albert le Grand. Ils ont contribué par ailleurs au développement de l’art religieux avec des peintres prestigieux, en particulier Fra Angelico.

Ils professaient l’idéal de pauvreté et, à la différence des ordres monastiques plus anciens, refusaient même la possession de biens communs. Ils ont été au départ un ordre mendiant, à l’image des franciscains.

Veillant à la pureté de l’enseignement de l’Église catholique romaine, ils ont combattu les dérives doctrinales par le prêche, l’enseignement et l’érudition, et se sont vu confier le contrôle peu glorieux de l’Inquisition tant qu’elle est demeurée une institution ecclésiastique.

Les jésuites se sont adressés de préférence aux milieux aisés et instruits, avec des méthodes qui leur ont valu des qualificatifs dépréciatifs. Le jésuite est devenu dans le langage courant un personnage recourant à des astuces hypocrites, d’après la définition du dictionnaire, confirmée par le sens des mots « jésuitisme » et « jésuitique ».

Très contestés au cours de l’histoire, interdits dans de nombreux pays, en particulier en France sous la royauté (en 1764 Louis XV les expulse) puis sous la Troisième République, les jésuites ont rencontré de sérieux problèmes dans la période récente, mais paradoxalement, souvent en opposition à leur image traditionnelle. A la fin du 20e siècle, un conflit d’autorité les a opposés à Jean Paul II, au début du pontificat. La destitution de Pedro Arrupe, leur « général », en 1981, ou l’admonestation papale au père Ernesto Cardenal, ministre sandiniste (d’extrême gauche) du Nicaragua, en 1983, ont laissé des traces. Plus près de nous, l’assassinat de Mgr Claverie, évêque d’Alger et dominicain, a conféré aux dominicains, aux yeux du public français, le lustre du martyr.

Du point de vue démographique, les frères prêcheurs français (de la province de France, au Nord, et de la province de Toulouse, au Sud) ont accentué leur avantage. En 2013, ils sont 550 contre 400 jésuites, ce qui  ne reflète pas le rapport de force planétaire entre les deux ordres. Au niveau mondial, les jésuites comptent aujourd’hui 18.000 membres dont 13.000 prêtres environ, et les dominicains 6.000 dont 4.500 prêtres.

Les uns et les autres ont leurs revues qui sont, en France: Vie spirituelle, Revue des sciences philosophiques et théologiques pour les dominicains; Études, Christus, Projet pour les jésuites. Les éditions dominicaines du Cerf accueillent, de manière œcuménique, les auteurs des deux ordres.

Le concile de Vatican II a mis en lumière, parmi les théologiens, les dominicains Marie-Dominique Chenu et Yves Congar, et le jésuite Henri de Lubac.

L’habit traduit, dans chaque ordre, une façon différente de gérer la « communication ». On a beaucoup disserté sur la bure que les dominicains aiment arborer dans leur couvent, et même à l’extérieur. Vêtus d’un long manteau muni d’un capuchon noir recouvrant une tunique de laine blanche, ils étaient parfois appelés « frères noirs » dans le monde anglo-saxon. En France, on les nommait « jacobins » par référence à leur couvent parisien situé rue Saint Jacques, jusqu’à la suppression de l’ordre pendant la Révolution. Les jésuites, eux, préfèrent depuis longtemps se fondre dans le paysage.

Les dominicains ont occupé d’importantes fonctions dans l’Église. Quatre papes (Innocent V, Benoît XI, Pie V et Benoît XIII) et plus de soixante cardinaux sont issus de leurs rangs.
En mars 2013 est devenu pape pour la première fois un jésuite, l’argentin Jorge Mario Bergoglio, archevêque de Buenos Aires, nommé cardinal en 2001. Ce chimiste de formation, philosophe et théologien, a été le maître des novices, puis le provincial de la Compagnie en Argentine dans les années 1970. Elu pape, il a pris le nom de François, et affirmé des positions qui font penser que, jésuite d’origine, il a aussi des ambitions franciscaines.

 

 

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire