La Renaissance et le rêve au Musée du Luxembourg. Présentation par Annie Birga

 

LA RENAISSANCE ET LE REVE

Musée du Luxembourg  9 octobre 2013-26 janvier 2014

 

Précisons d’emblée que cette exposition a pris naissance au Palais Pitti,  qu’elle est le fruit d’une collaboration franco-italienne et  que sa matrice originelle est déterminante, même si les commissaires ont élargi leurs recherches aux écoles nordiques. En effet la Renaissance italienne, tout en se développant dans les cours des principales cités de la péninsule, connaît son acmé dans la capitale des Médicis, où, encouragées par la politique des Princes, les Académies enseignent le néoplatonisme de Marsile Ficin et de Poliziano, et se référent à l’Umanesimo, apparu dès le Moyen-Age avec Dante et Giotto. L’exposition  « Le Printemps de la Renaissance » qui se tient concurremment à celle-ci au Musée du Louvre, vient enrichir nos vues sur cette période passionnante pour ses recherches et foisonnante en chefs-d’oeuvre.

A travers les salles plongées dans la pénombre et quelque peu labyrinthiques, nous sommes conduits de la nuit à l’aurore et invités à partager rêves, visions et cauchemars . Nous y serons parfois aidés par nos connaissances littéraires, mythologiques ou religieuses,  parfois aussi, les clefs étant multiples, nous devrons en demeurer à l’image . Mais que de  variété dans les oeuvres exposées et que de liens subtils entre elles ! Nous y trouverons grand plaisir.

La sculpture de Michel-Ange, la Nuit, a eu une forte prégnance sur l’imaginaire de son époque. Sculptures de taille réduite, dessins, tableaux reprennent la pose mélancolique de l’allégorie, accompagnée de ses attributs, chouette et masques. Mais il s’opère comme un transfert d’image que l’on perçoit dans le tableau de Michele di Ridolfo del Ghirlandaio, peint à la manière de Bronzino,  où la statue est devenue une  femme environnée de fleurs et de  guirlandes, accompagnée d’un putto (Cupidon ?) qui allume une torche.  Et, plutôt que le rêve, le peintre suggère le désir que peut provoquer la nudité abandonnée au sommeil dans un décor champêtre, toiles de Paris Bordone et du Corrège. Même désir  de Diane pour Endymion endormi dans la nuit, chez Garofalo, peignant pour le duc Ercole 1er d’Este à Ferrare un tableau luministe et délicat.

 Mais le rêve s’introduit dans le sommeil qui est appelé « vacatio animae », vacance de l’âme, par Marsile Ficin, reprenant Platon. Il est figuré dans le ciel, ou dans une  portion d’espace voisine  de l’endormi(e), ou dans une mandorle , ou une fenêtre. Il peut reprendre des épisodes littéraires, vision  prophétique d’Enée, rêve de Pâris. Il peut être lubrique, mais rarement. Il peut être teinté de malice; Lotto peint une Chasteté, entourée de satyre et satyresse, ou encore un Apollon endormi sur le Parnasse, près de qui les Muses ont déposé leurs vêtements, tandis qu’elles dansent nues et effrénées.Tableaux d’une rare poésie.

Dans ces siècles de piété forte, les visions religieuses tiennent une grande place. Depuis les prédelles, siennoises et florentines du Quattrocento,  qui montrent des apparitions de Saints, jusqu’au Maniérisme, Bronzino, dans son style d’une élégance froide, peignant une Sainte Famille, recueillie devant Jésus endormi, figure du futur crucifié (suaire et pierre), Véronèse peignant une Sainte Hélène, yeux fermés, tandis que la croix apparaît dans le ciel. L’apothéose de la représentation religieuse, c’est le magnifique tableau du Greco « Le Rêve de Philippe II » ,conservé à l’Escurial. qui nous l’offre. Verticalité ascensionnelle, couleurs vives, ciel d’anges et de vision, assemblée les yeux levés vers l’au-delà. Mais menace du Léviathan qui vomit les âmes des damnés. Les récits bibliques constituent aussi une source d’inspiration. L’exposition présente quatre versions du Songe de Jacob. L’une, nordique, d’Elsheimer, qui peint un paysan voyageur reposant dans un beau paysage bleuté et lumineux et une très lointaine échelle. Les trois italiens,  Ligozzi, Cigoli et Vasari ont  un style plus cérébral. Mais ils traitent différemment l’un de l’autre le personnage, les anges , l’échelle, et la lumière.

A ces visions religieuses succèdent des images de cauchemars, venues de Jérôme Bosch et de ses imitateurs, où la cruauté le dispute à la lubricité, univers grouillant de monstres hybrides qui apparaissent entre incendies, fumées et marécages. En contraste Bosch a peint un Paradis terrestre et une  ascension des Bienheureux vers l’autre monde, sorte de tunnel où l’âme s’avance vers la lumière .

Les gravures ne sont pas oubliées et elles ont la force du dessin  qui frappe l’imagination.  Ainsi l’homme-loup est représenté dans un burin d’Agostino Veneziano. Lycaon marche, hache sur l’épaule, vers le lit de Jupiter qu’il a l’intention de tuer.  Dans une xylographie de Hans Baldung Grien, un palefrenier ensorcelé repose  sous  l’image ricanante d’une sorcière-prostituée et le cheval libre fait contraste avec l’homme prisonnier du maléfice. La gravure de Dürer « Le Songe du Docteur » n’est pas cauchemardesque. Sauf tout de même qu’un démon  actionne un soufflet dirigé contre l’oreille du docteur endormi. Une très grande femme nue se tient à ses côtés et un enfant ailé  joue avec des échasses et une sphère. On imagine le foisonnement de commentaires et hypothèses d’interprétation.

L’exposition abandonne ces mondes inquiétants et nous entraîne à Florence  du côté d’un amateur de rêveries et de rêves. François Ier de Médicis, jeune prince qui s’intéressait à l’alchimie, à la poésie, aux arts, fit construire et  orner de peintures allégoriques  le célèbre Studiolo du Palazzo Vecchio. Il désira que, lors de la célébration de son mariage avec Bianca Cappello, la fête fût nocturne et qu’y apparût un char de la  Nuit.  Alessandro Allori, peintre de la cour,  a fait le portrait de Bianca, et Francesco a souhaité que le verso reprenne le dessin célèbre de Michel Ange, « Le Rêve de la vie humaine », où un jeune homme, appuyé sur une sphère, entouré de représentations des péchés capitaux, foulant aux pieds des masques trompeurs, est éveillé par un génie ailé qui souffle  de la trompette et ainsi va le faire s’élever vers les sphères de la beauté et de la pensée.  Les  Sonnets de Michel-Ange reprennent ces idées néoplatoniciennes de l’aimé qui par le reflet de sa beauté peut mener l’amant vers la lumière divine. Nous avons dans l’exposition le manuscrit de l’un des sonnets du génie universel, dédié à son ami, Tommaso de Cavalieri.

La nuit s’achève. Surgit l’aurore. Robe  orangée au milieu des nuages sombres. C’est un tableau de Battista Dossi, peintre de Ferrare, moins connu que son frère, Dosso Dossi, et que deux  belles oeuvres nous ont permis de découvrir. Puis c’est dans une toile de Zucchi  le thème, tant repris, de Amour et Psyché qui clôt le parcours. La lumière illumine les corps harmonieux. Psyché allume la lampe,qui va éveiller le jeune dieu. Il repose dans l’attitude de la sculpture de Michel-Ange, l’ Aurore.

Annie Birga

 

 

 

Billet: ballade des putains de Paris

 

 

 

Fille de peine ou de joie mais putain

Belle escorteuse ou péripatétique

Faisant la ronde autour du libertin

Soi disant tel mais d’humeur putassière

Grand amateur de leurs corps élastiques

Il est douteux qu’elles soient jacassières

La vérité ne sera pas publique

 

Elles tiendraient le mac entre leurs mains

En dévoilant ses mœurs proxénétiques

Aucune hélas ne prendra ce chemin

Les mots rapport performance boursière

Vont prudemment rester anatomiques

Dans le déni des dessous pécuniaires

La vérité ne sera pas publique

 

Désir plaisir ne sont que baratin

La liberté prétexte pathétique

Aux transactions prestations de catins

Achats de sexe et de rondeurs fessières

Ventes de chairs aux formes pneumatiques

Traite trafics de putes sans frontières

La vérité ne sera pas publique

 

L’amour vénal est un mal vénérien

Mais on prétend qu’il peut être hygiénique

Et le client le pauvre galantin

Qui se croit mec se frotte à la misère

Du sexe usé dans ce commerce antique

Ce sont des faits dont nul ne sera fier

La vérité ne sera pas publique

 

 

Les journalistes Christophe Deloire et Christophe Dubois ont publié en 2006 aux éditions Albin Michel un livre intitulé Sexus Politicus qui a eu sans doute un certain nombre de lecteurs, mais beaucoup trop peu si l’on en juge par les péripéties qui ont agité depuis cette date la vie politique française. En particulier, on peut trouver ahurissante la campagne médiatique menée en faveur du pré-candidat DSK et les sondages obtenus par lui, alors que Sexus Politicus, même  pour un lecteur peu averti, annonçait clairement une catastrophe en cas d’élection.

Depuis cette affaire DSK, on a redécouvert la prostitution et le proxénétisme dans les hôtels, ainsi que l’hypocrisie glauque d’un  prétendu « libertinage ».

 

Il est question à présent d’une proposition de loi visant à sanctionner les clients des prostituées (sans interdire formellement la prostitution!).

Le journal Causeur (dans son numéro de novembre) et son site internet causeur.fr à partir du 30 octobre se sont « mobilisés » contre cette proposition de loi. Il a publié un manifeste des 343 « salauds » (« Touche pas à ma pute ») inspiré notamment par F. Beigbeder de Lui, et lancé une pétition, en utilisant les mots de précédentes campagnes pour l’avortement et contre le racisme. Causeur prétend que « sous couvert de protéger les femmes, c’est une guerre contre les hommes, considérés comme des délinquants sexuels en puissance, qui a été ouverte » par la proposition de loi. Il affirme : « Nous ne défendons pas la prostitution, nous défendons la liberté ».

 

Touche pas à ma pute!

Texte du « manifeste des 343 salauds »

 

« En matière de prostitution, nous sommes croyants, pratiquants ou agnostiques.

Certains d’entre nous sont allés, vont, ou iront aux « putes » – et n’en ont même pas honte.

D’autres, sans  avoir été personnellement clients (pour des raisons qui ne regardent qu’eux), n’ont jamais eu et n’auront jamais le réflexe citoyen de dénoncer ceux de leurs proches qui ont recours à l’amour tarifé.

Homos ou hétéros, libertins ou monogames, fidèles ou volages, nous sommes des hommes. Cela ne fait pas de nous les frustrés, pervers ou psychopathes décrits par les partisans d’une répression déguisée en combat féministe. Qu’il nous arrive ou pas de payer pour des relations charnelles, nous ne saurions sous aucun prétexte nous passer du consentement de nos partenaires. Mais nous considérons que chacun a le droit de vendre librement ses charmes – et même d’aimer ça. Et nous refusons que des députés édictent des normes sur nos désirs et nos plaisirs.

Nous n’aimons ni  la violence, ni l’exploitation, ni le trafic des êtres humains. Et nous attendons de la puissance publique qu’elle mette tout en œuvre pour lutter contre les réseaux et sanctionner les maquereaux.

Nous aimons la liberté, la littérature et l’intimité. Et quand l’Etat s’occupe de nos fesses, elles sont toutes les trois en danger.

Aujourd’hui la prostitution, demain la pornographie : qu’interdira-t-on après-demain ?

Nous ne céderons pas aux ligues de vertu qui en veulent aux dames (et aux hommes) de petite vertu. Contre le sexuellement correct, nous entendons vivre en adultes.

Tous ensemble nous proclamons :

Touche pas à ma pute ! »

 

***

 

En mettant de côté les soupçons d’intérêts mercantiles (faire vendre les journaux Causeur et Lui), on comprend l’idée de départ, qui est de s’opposer au conformisme moral et au politiquement correct. Mais le conformisme moral n’aurait-il pas changé de camp ? Il est de bon ton, désormais, de se poser en esprit libre, en détournant la formule de saint Augustin « dilige et quod vis fac » (aime et fais ce que voudras).

 

Causeur cause en proclamant : « Nous défendons la liberté ». Il faut mettre en cause, à ce sujet, le mythe de la « geisha », cultivée, libre de disposer d’elle-même, un mythe qui encombre la tête de beaucoup de « salauds ». S’il y a un domaine où la liberté n’existe pas, c’est bien celui de la prostitution. C’est évident pour la prostituée qui vit sous la contrainte, c’est vrai aussi pour le client, prisonnier du désir de fric qui anime la putain et son souteneur.

 

Quant à l’intimité (« Nous aimons la liberté, la littérature et l’intimité »), ce n’est que littérature, effectivement. La prostitution, loin de relever de l’intime, se déploie dans l’espace public, comme on le voit aujourd’hui à Paris, par exemple. Le comble, c’est que beaucoup de bien-pensants demandent qu’elle reste dans les rues et les espaces verts, et même qu’elle s’y étende, sous prétexte qu’elle doit rester visible pour que leurs associations compatissantes (qui sont aussi des « lobbies ») puissent mieux s’en occuper !

 

Donc, les pouvoirs publics ont bien raison d’intervenir. Mais ils devraient le faire plus vigoureusement contre une activité oppressive accaparant l’espace public.

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire