L’Impressionnisme et la mode: exposition au Musée d’Orsay. Auteur de l’article: Annie Birga

 Le Musée d’Orsay présente, jusqu’au 26 janvier, une exposition consacrée à « L’Impressionnisme et la Mode ». Elle se prolongera au Museum of Modern Art de New-York et à l’Art Institute de Chicago, mais sous le titre « Impressionnism, Fashion and Modernity », ajout qui a son importance.

Les principaux artisans en sont le commissaire, Guy Cogeval, et le scénographe, Robert Carsen. L’un n’hésite pas à mélanger les genres et privilégie les expositions pluridisciplinaires. L’autre imagine une théâtralisation de l’espace qui donne lieu à la surprise. C’est de leur accord et de la cohésion de leurs points de vue que provient la parfaite réussite de l’exposition. On citera ici Baudelaire, imaginant un drame où les acteurs porteraient des costumes d’autrefois : « Le passé, tout en gardant le piquant du fantôme, reprendra la lumière et le mouvement de la vie et se fera présent ». Ajoutons que les  deux  musées américains ont apporté leur concours par des prêts de tableaux prestigieux et la collaboration de conservateurs, et que différents Musées de la Mode (Galliera en tête) ont restauré vêtements et accessoires.

La première salle s’ouvre sur deux portraits de femmes (Manet et Renoir), lisant des journaux de mode. Estampes, affiches, publicités attestent de la diffusion de la mode dans la vie brillante et mondaine du Paris de l’époque. Les romanciers en témoignent.  Et bien sûr les peintres qui se veulent témoins de la vie moderne. Les artisans font preuve d’un savoir-faire exceptionnel. En témoignent  les vêtements très raffinés qui sont groupés dans cette salle. Citons encore Baudelaire : «  Les costumes qui font rire bien des gens irréfléchis, de ces gens graves sans vraie gravité, présentent un charme d’une nature double, artistique et historique »

Place ensuite au parcours théâtralisé. Décor rouge, papiers peints d’époque, chaises Napoléon III, marquées d’étiquettes portant les noms de personnes illustres, miroirs qui font mirage et dédoublent les tableaux. Comme pour deux défilés, les grandes toiles reposent sur des podiums. Elles représentent des femmes portant des robes à la mode. La première, « La Femme au perroquet », fait surgir le beau personnage énigmatique de Victorine Meurent, Olympia, dans un déshabillé rose superbement peint. Plus loin, « La Dame au gant » de Carolus Duran, avec un jeu sur les deux gants et des couleurs à la Velasquez.  La notion de modernité rassemble ces peintres appartenant à des écoles différentes .Faut-il toujours classifier ? « Octobre » de James Tissot, proche des Préraphaélites,  est confronté à « La Parisienne » de Manet, «  Rolla » de Gervex est exposé avec le « Nana » de Manet.

Des podiums, l’exposition suit la femme dans les scènes intimes, puis dans les spectacles. Le vêtement, en accord avec la psychologie et le milieu social, renforce la véracité et la force de l’expression. Peut-on imaginer plus de dissemblance qu’entre la tenue brillante de l’intellectuelle Nina de Callias (Manet) et la discrétion de  la robe noire de la grande bourgeoise, femme de l’éditeur, Madame Charpentier, peinte par  Renoir ?  Quant aux tenues de théâtre ou robes de bal, ce sont les trois femmes peintres impressionnistes, Eva Gonzalès, Berthe Morisot, Mary Cassatt,  qui en rendent le mieux  l’éclat et l’audace. Un seul nu dans l’exposition (on peut  le concevoir !) mais, au pied du lit,  un amas de sous-vêtements (ce fut Degas qui le conseilla à Gervex) dans ce tableau inspiré de Musset, au contenu dramatique, « Rolla », en face d’une naturaliste « Nana », mutine en corset bleu.

Pour que la revue soit complète, restent à présenter les accessoires de mode, chapeaux, ombrelles, éventails. En voici rassemblés dans de délicieuses vitrines  qui accompagnent des tableaux de petit format, dont on retiendra le délicat profil d’Irma Brunner, un pastel de Manet, et des « Souliers roses » d’Eva Gonzalès. Quant aux vendeuses de mode,  elles ont peu de place dans  l’inspiration des peintres, Degas étant plus intéressé par les chapeaux que par la modiste, et Tissot plus préoccupé par le cadrage de « la demoiselle de magasin » que par la jeune fille elle-même.

Dans cette débauche de femmes, on n’a pas manqué de saisir le contraste entre la  sophistication du vêtement féminin et la sobriété de la tenue masculine. Vestes, redingotes, hauts-de-forme sont irrémédiablement noirs. « Une immense défilade de croque-morts », écrit Baudelaire. Degas suggère les attitudes des joueurs à la Bourse ou celles  d’amis se rencontrant dans les coulisses de l’Opéra.  Cette section est aussi riche en beaux portraits : peintres entre eux, Renoir par Bazille, Manet par Fantin-Latour (un Manet très élégant) et portraits de groupe, toujours de Fantin-Latour, un classique « Atelier aux Batignolles », montrant, autour de Manet, des peintres et amis bourgeoisement vêtus.  Et d’une remarquable précision  de détails, «  Le cercle de la Rue Royale », décrit par Tissot, formé de jeunes aristocrates très chics, qui semblent s’ennuyer (pour les lecteurs de Proust, fait partie du cercle le modèle de Swann, Charles Haas).

La vaste dernière salle rassemble hommes et femmes dans le « pleinairisme », typique de l’Impressionnisme. Robert Carsen, qui  voulait un crescendo, l’a rendue spectaculaire: gazon, chants d’oiseaux, bancs publics où l’on s’arrêterait volontiers pour rêver à ces temps révolus. On y voit « Les demoiselles du bord de Seine » (1857), prostituées légèrement vêtues, de Courbet, le précurseur, la « Réunion de famille » de Bazille, image sereine de bourgeois élégants rassemblés sous les ombres er reflets d’une terrasse. De Tissot, des portraits en plein air, comme dans la peinture anglaise. De beaux Renoir inspirés par les jeux de lumière, « Lise », « La Balançoire », la jeune fille ayant abandonné pouf et tournure pour la liberté d’une robe droite près du corps, blanche aux rubans bleus. Et surtout le merveilleux Monet qui fait danser les mousselines dans les sous-bois des « Femmes au jardin » et promène le soleil sur les cheveux  et les tissus.

On ne s’étonne pas que, par goût du contraste, les organisateurs terminent l’exposition sur  le tableau de Caillebotte « Rue de Paris, temps de pluie », vêtements stricts, parapluies, perspectives vides, couleurs douces et mélancoliques.

Annie Birga

 

 

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