Autour de Gauguin, les peintres de Pont-Aven. Par Annie Birga

EXPOSITION: LES PEINTRES DE PONT-AVEN. AUTOUR DE GAUGUIN
Atelier Grognard, Rueil-Malmaison, jusqu’au 8 avril 2013

De retour de la Martinique, Gauguin, en 1886, choisit de séjourner en Bretagne. A Pont-Aven, village fréquenté depuis les années 1850 par de nombreux peintres, pour la plupart anglais et américains. La vie y est bon marché. Mais, pour attirer Gauguin, il y a bien davantage que des motifs économiques. Il écrira : «  J’aime la Bretagne. J’y trouve le sauvage, le primitif. Quand mes sabots résonnent sur le sol de granit, j’entends le ton sourd et puissant que je cherche en peinture ». Et, à Emile Bernard: »J’éprouve le plaisir non d’aller plus loin dans ce que j’ai préparé autrefois, mais de trouver quelque chose de plus ».  Il explicite ce « plus » dans une lettre à Maurice Denis, adressée  de Tahiti, en 1899 : « Je voulais à cette époque tout oser, libérer en 1888 en quelque sorte la nouvelle génération ». On ne reviendra pas sur l’épisode capital du tableau intitulé « Le Talisman ». Mais, des contacts avec les autres peintres – on discute fort -, des échanges avec le jeune Emile Bernard – vingt ans et toutes les audaces-, d’une longue et antérieure recherche, naît une nouvelle esthétique. Une déclaration de guerre à l’académisme et à l’Impressionnisme qui se délite. Couleurs vives, posées en aplats, cernées en  zones, perspectives cavalières, effets décoratifs, synthétisme. Sans oublier l’essentiel, la transmission de l’émotion, du ressenti. Ecoutons Gauguin critiquer les peintres naturalistes: « Ils cherchent autour de l’oeil et non au centre mystérieux de la pensée ».

Les années bretonnes de Gauguin voient se succéder des tableaux superbes. Cette exposition à l’Atelier Grognard à Rueil-Malmaison, aux moyens financiers limités, ne peut les montrer, mais on verra qu’elle est riche de peintres à redécouvrir, marqués par l’empreinte du maître. Elle présente deux tableaux, « La Fenaison en Bretagne » et  « Fête Gloanec », tous deux de l’année 1888. Le premier se ressent encore de l’influence de Pissarro tandis que le second ouvre la voie à une peinture libérée et hardie: guéridon rouge vif et, posés dans un apparent désordre, les cadeaux destinés à l’aubergiste Marie-Jeanne Gloanec, fleurs dans un emballage de papier blanc, galette et poires.

En 1905, Maurice Denis, de passage à Pont-Aven, achètera cette toile. Le théoricien des Nabis, l’un des jeunes héritiers de l’Ecole de Pont-Aven, est représenté  dans l’exposition par deux petites huiles, « Les Toits rouges » (1892) et « La Bolée de cidre » (1894), où la recherche formelle de synthétisme est frappante. Dans la partie du parcours consacrée à Bretagne, terre de croyances, la toile « Les mendiants de la Clarté » (1916) raconte, sur fond de granit rose, un miracle de la Vierge.

En ce qui concerne Emile Bernard, c’est un peu le même discours que pour Gauguin, d’en vouloir davantage. Il faudra se contenter de deux beaux portraits de femmes, d’un bouquet de lilas et, la peinture entrant dans le quotidien, d’un battant d’armoire étroit, dont le format est utilisé pour figurer une falaise, un petit  Meijer de Haan croqué avec humour juché sur le sommet et, en contre-bas, deux Bretonnes au premier plan.

Sérusier, le nabi à la barbe rutilante, occupe une place de choix dans l’exposition. Il est vrai qu’établi à Châteauneuf-du-Faou au milieu du Finistère, il n’abandonne jamais les sujets bretons. Une Bretagne cloisonnée, dominée par les Montagnes Noires, aux forêts profondes, où les paysannes pourraient bien être druidesses, comme elles semblent parfois sortir de lointaines  tapisseries médiévales. Peinture méditée et symbolique.

Le groupe de Pont-Aven est riche de peintres aux personnalités diverses.  Les musées bretons, en particulier celui de Pont-Aven, leur consacrent des expositions. D’excellents historiens de l’art, comme Denise Delouche ou André Cariou, s’attachent à les faire connaître et à les sortir d’une trop rapide étiquette d’épigones Le commissaire de l’exposition, Hervé Duval,  en  fait une très suggestive présentation, à travers des thèmes liés à la Bretagne, terre de légendes, de croyances, de culture et de paysages (de la terre à la mer): tableaux, aquarelles, dessins et gravures, tout un bel éventail. Les dates  retenues vont de 1894 (l’après Gauguin) à 1920.

Il y a là Henry Moret.(1856-1913). Installé à Doélan, près du Pouldu, il peint dans un style post-impressionniste, qui se souvient du synthétisme, des paysages maritimes, sensibles et lumineux. Ses marines d’Ouessant, de Belle-Ile, sont saisissantes, comme ses plages, ses rivages de l’Aven, belles  peintures  d’atmosphère. Maxime Maufra (1861-1918), finit aussi par vivre sur la côte et il peint des paysages au dessin vigoureux (il est également graveur), il sait percevoir et rendre le fantastique d’un groupe d’arbres, d’un arc-en-ciel. Emile Jourdan (1860-1931) n’a pas la belle carrière de ses confrères, mais sont montrés ici des tableaux saisissants, où la matrice nabi, presque expressionniste dans son cas, demeure intacte: on pense au « Retour des goémoniers », toile de 1914. Ferdinand du Puigaudeau (1864-1930), artiste qui vécut à Pont-Aven, puis choisit d’habiter du côté de Nantes dans la région du Croisic, mérite d’être mis en valeur, même si sa facture est beaucoup plus classique. Ses tableaux diurnes évoquent la vie primitive des paysans. Ses études de lumière, couchers de soleil rouges sur la mer, sur un menhir, ses nuits lunaires  sur un manoir, une église, sont d’une grande virtuosité et fascinants.

Il resterait à évoquer, tant le groupe de Pont-Aven est riche de personnalités, Schuffenecker, proche de Gauguin, Meijer de Haan mort trop tôt, Slewinski le polonais qui revint passer ses dernières années en Bretagne, le danois Mogens-Ballin, Filiger l’alsacien mystique, le graveur Delavallée, l’irlandais O’Conor (dont les musées anglo-saxons se disputèrent les toiles lors de la dispersion de l’atelier en 1956), Georges Lacombe, sculpteur et peintre que vient d’exposer le Musée Maurice Denis, au Prieuré à Saint-Germain-en-Laye.

Après cette promenade en terre bretonne, il restera pour l’amateur à continuer la découverte avec la rétrospective de Mathurin Méheut au Musée de la Marine, et l’exposition « Maurice Denis et l’eau » au Musée de Granville.

Annie Birga

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