Coronavirus : la pollution comme cause aggravante de l’épidémie

Le Canard enchaîné de la première semaine d’avril 2020 (n°5186), p. 4 dans la rubrique « Le Petit Dicoronavirus », nous donne l’information suivante.
« Moins de voitures, moins de pollution ? Non. Les pics se multiplient en Ile-de-France et dans le Grand-Est. A cause des épandages agricoles de fertilisants, qui battent leur plein en ce moment. Ils dégagent du gaz ammoniac, lequel forme des particules fines qui se promènent partout. Particulièrement dangereuses, elles « véhiculent les virus au fond des voies aériennes », note une chercheuse de l’Inserm dans Le Monde (31/3). »

En effet, cet article du Monde, signé par Stéphane Mandard, intitulé « Coronavirus : la pollution de l’air est un facteur aggravant, alertent médecins et chercheurs », note que les mesures de confinement prises pour limiter la propagation du virus, si elles ont réduit la pollution du trafic routier,  n’ont pas eu d’effet sur les niveaux de particules fines qui pénètrent profondément dans les voies respiratoires. Ces niveaux ont même augmenté du fait de l’ensoleillement et de l’absence de vent, et elles ont dépassé, le samedi 28 mars, les limite légales dans l’agglomération parisienne et en Alsace, de Mulhouse à Strasbourg. Il s’agit de particules formées à partir d’ammoniac et d’oxydes d’azote, l’ammoniac provenant majoritairement des épandages de fertilisants. Lors de ces épandages, l’ammoniac (NH3) réagit dans l’atmosphère avec les oxydes d’azote (NOx).

La détérioration des muqueuses des voies respiratoires et des poumons

En 2003, une étude, publiée dans la revue scientifique de santé publique Environmental Health, avait analysé le lien entre la pollution de l’air et les cas létaux de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS, causé par le SARS-CoV) en Chine. Elle montrait que les patients contaminés vivant dans des régions modérément polluées avaient 84 % plus de risques de mourir que les patients de régions peu polluées. De même, les patients vivant dans des zones fortement polluées avaient deux fois plus de risques de mourir du SRAS que ceux des régions peu polluées.

En 2020, plusieurs médecins et chercheurs, spécialistes de la pollution de l’air, ont donné l’alerte. Leur collectif Air-Santé-Climat, dans un courrier, adressé le 21 mars à l’ensemble des préfets, a interpellé l’Etat sur « la nécessité de limiter drastiquement les épandages agricoles, afin de tout mettre en œuvre pour limiter la propagation du virus». Membre du collectif et directrice du département d’épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires de l’Inserm, Isabella Annesi-Maesano détaille le mécanisme: « La pollution abîme les muqueuses des voies respiratoires et du poumon, ce qui fait pénétrer plus facilement les virus et, par agrégation, les particules fines et ultrafines véhiculent les virus au fond des voies aériennes. »

En attendant des recherches plus poussées, le collectif Air-Santé-Climat en appelle  au « principe de précaution », afin de limiter les émissions de particules fines liées aux épandages dont la saison débute. « Si on ne limite pas rapidement les épandages, cela risque d’annihiler l’effet des mesures de confinement qui ont permis de réduire la pollution liée au trafic routier », estime un médecin de Strasbourg à l’origine du collectif. Il rappelle que des solutions techniques d’enfouissement dans le sol permettent de réduire considérablement les émissions d’ammoniac dans l’air. Parmi les rares préfets qui ont répondu au courrier du collectif, celui de Vendée a fait savoir que « l’alerte » avait été «signalée à la région et au niveau national », « une position nationale étant nécessaire sur un sujet aussi important ». De son côté, le Syndicat des exploitants agricoles du Finistère, dans un communiqué, a jugé « difficilement acceptable, au vu du contexte particulier du Covid-19, que les agriculteurs, plébiscités par l’ensemble de la population pour assurer leur approvisionnement alimentaire, soient ainsi montrés du doigt et empêchés de réaliser les travaux agricoles nécessaires à leur acte de production ».

La propagation du virus dans l’air

Une étude italienne, publiée le 17 mars 2020 par la Société italienne de médecine environnementale. En se basant sur la corrélation entre les niveaux de pollution élevés, constatés en Lombardie, et le nombre important de victimes du coronavirus, elle suggère que les particules fines pourraient aussi contribuer à la propagation du Covid-19 en le transportant dans l’air. Les spécialistes italiens des aérosols ont toutefois pris leurs distances avec ces résultats, en estimant que le lien de causalité reste à prouver « au moyen d’enquêtes approfondies ».

Une autre étude, publiée également le 17 mars 2020, dans le New England Journal of Medicine, montre pour sa part que le coronavirus pourrait persister dans l’air pendant trois heures. Mais l’article ne mentionne pas le rôle des particules fines ni de la charge virale (c’est-à-dire à partir de quelle dose le virus serait infectant via les aérosols). Dans un avis rendu le même jour, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), organisme français, rappelle que « la présence d’un virus dans l’air ne signifie pas qu’il est infectieux ni qu’il y a une transmission respiratoire de type “air” ». Pour le HCSP, « il n’existe pas d’études prouvant une transmission interhumaine du virus par des aérosols sur de longues distances. Néanmoins, s’il existe, ce mode de transmission n’est pas le mode de transmission majoritaire ».

La prudence est la même à l’Organisation mondiale de santé (OMS). « Le fait que les particules fines puissent servir de vecteur à la propagation du coronavirus reste une hypothèse, commente Maria Neira, la directrice du département santé publique et environnement. Il va falloir plusieurs mois pour la confirmer ou l’infirmer, car la propagation du virus dépend d’une multitude de paramètres comme les conditions météorologiques, la démographie ou les mesures de confinement prises par les pays. » Plusieurs équipes commencent à travailler sur le sujet, à l’OMS, au service européen de surveillance de l’atmosphère Copernicus ou encore parmi les épidémiologistes de la London School of Hygiene & Tropical Medicine. « Nous cherchons à étendre notre réseau de collaboration avec les équipes de recherche médicales qui souhaiteraient tester des hypothèses quant au transport et à la survie du virus dans l’air », indique le directeur de Copernicus, Vincent-Henri Peuch.

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En analysant de plus près ces échanges d’arguments, il paraît nécessaire de distinguer deux sortes d’effets néfastes dus à la pollution :
-d’une part ceux qui pourraient être dus au transport du virus par voie aérienne dans l’atmosphère,
-d’autre part ceux qui pourraient être dus à une fragilisation du système respiratoire propice au développement du virus dans le corps, même si la maladie n’a pas été contractée par la voix aérienne, mais par exemple par le contact des mains.
Sur la base de cette distinction, il semble qu’on ne peut tenir pour valable les arguments qui « dédouanent » la pollution en se fondant sur la faible transmission aérienne du virus, car il reste en tout état de cause que, selon la directrice du département d’épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires de l’Inserm: « La pollution abîme les muqueuses des voies respiratoires et du poumon, ce qui fait pénétrer plus facilement les virus ».

Dominique Thiébaut Lemaire

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