L’âge d’or de la peinture anglaise. Par Annie Birga.

L’AGE D’OR DE LA PEINTURE ANGLAISE, DE REYNOLDS A TURNER.
MUSEE DU LUXEMBOURG, 11 SEPTEMBRE 2019 -16 FEVRIER 2020.

Aller visiter l’exposition dédiée à la peinture anglaise à l’âge d’or, c’est comme se retrouver au Musée de la Tate Britain : tous les tableaux exposés en proviennent. L’amateur français ne  connaît souvent de la peinture anglaise que des individualités, Turner, Constable ; l’initiative d’une exposition collective qui embrasse une longue période est heureuse, car elle permet de suivre les évolutions de la sensibilité et de saisir mieux différents aspects du génie anglais.

reynoldsJoshua Reynolds : L’honorable Miss Monckton (1771-78)
Huile sur toile

L’âge d’or nous mène donc de Reynolds (1723-1792) à Turner (1775-1851), période historique de grande transformation de la société où la révolution industrielle prend son essor, tandis que l’Angleterre accroît son empire commercial en Inde.

 A l’accroissement de la richesse correspond la naissance d’une nouvelle classe de bourgeoisie ou de petite noblesse, la gentry, et la recrudescence de commandes de portraits pour les peintres. Et les voyages multiplient les échanges culturels.

De fait, l’Angleterre suit l’exemple de l’Italie et de la France. Trente-six peintres décident de se regrouper par l’institution de la Royal  Academy en 1768. Il s’agit de proposer un programme de formation des artistes, basé sur l’étude des maîtres anciens, du dessin d’après l’antique et du modèle vivant. Une exposition annuelle formera la  sensibilité et le goût du public. En tant que théoricien, membre fondateur et premier président, Reynolds y jouera un rôle de premier plan. Gainsborough, Lawrence, Constable, Turner en seront membres.

La première partie de l’exposition, consacrée au portrait, met en regard Gainsborough et Reynolds. Si les sujets sont les mêmes,  portraits des membres de l’aristocratie, les traitements en sont différents. Reynolds qui se veut classique, s’inspire de Van Dyck avec une matière picturale épaisse et forte ; Gainsborough peint plus légèrement, en touches quasi impressionnistes. Tous deux ont sorti  leurs modèles des intérieurs et les représentent dans des parcs avec des jeux de lumière sur les arbres et les ciels. L’objectivité accroît le rendu psychologique.

Ces peintres font école. Si on peut regretter que Lawrence ne soit représenté que par un seul tableau, le portrait d’une artiste dramatique, toute de rouge vêtue, si le grand Raeburn est absent, on  découvre des peintres qui sont loin d’être des artistes mineurs, Francis Cotes, George Romney, Johan Toffany (d’origine allemande). Ce dernier crée le genre des « conversation pieces », portraits qui mettent en scène la vie intime des familles. Les enfants y sont associés ; ils sont représentés avec charme et tendresse dans leurs ébats et leurs jeux. Un grand tableau de Reynolds « Les Archers » (1769) clôt cette partie essentielle de l’exposition. Deux jeunes amis chasseurs au tir à l’arc, au visage de monnaie grecque et aux vêtements  de style Renaissance, tendent leur arc vers une cible indistincte dans le même mouvement de conquête. Par sa force symbolique ce tableau va au-delà du simple portrait.

L’existence de la Tate Britain ne nous fait pas oublier le merveilleux musée londonien consacré au portrait, The National Portrait Gallery, qui témoigne bien de la pérennité de la réussite anglaise dans ce genre essentiel qui n’est pas forcément réservé au portrait historique.

Le paysage apparu en toile de fond dans les portraits va s’imposer comme thème essentiel.  A la mort de Gainsborough en 1788, Reynolds, son rival, le qualifie de « natural painter ».  Les paysages anglais sont très beaux et en nature et en peinture. Les dimensions plutôt exiguës des salles d’exposition ne permettent pas d’en exposer un nombre suffisant pour en rendre l’importance. Passons sur les vues de l’Inde rendues par des toiles banales. Parmi les premiers paysagistes à part entière, Richard Wilson (1714-1782), qui a bien vu et Poussin et le Lorrain en Italie, rend à merveille l’atmosphère des bords de la Tamise. Ruskin dira qu’il introduit « l’art du paysage fondé sur la méditation amoureuse de la nature ». Constable vient plus tard. Il est ici vraiment trop peu montré eu égard à son importance et à son rayonnement, ne serait ce qu’auprès des peintres français impressionnistes. En 1824, il écrivait : «  La tâche du peintre est de faire quelque chose avec rien. Ce faisant, il doit presque nécessairement devenir poète ». C’est le moment aussi où son contemporain, Turner, rapporte de ses nombreux voyages des aquarelles légères, alors que Constable  est un peintre des épaisseurs.

Il existe dans la peinture anglaise une veine fantastique. Le monde shakespearien des sorcières et des fantômes lui est familier. La lecture des grands textes fondateurs, Bible, Paradis perdu de Milton, Divine Comédie, nourrit aussi l’imagination. Une troisième section de l’exposition fait place à ce courant. Fuseli, peintre d’origine suisse, arrivé à Londres en 1779 pour ne pas quitter la ville,  introduit un univers où domine un onirisme noir et inquiétant. Il préfigure le romantisme. Grand dessinateur, il est inspiré par Michel-Ange. On voit de lui une seule belle toile « Le Rêve du berger ». Blake, l’admirait beaucoup, et s’inspirait comme lui aussi de Michel-Ange ; l’exposition présente deux de ses dessins, dont l’un, inspiré par Dante, fait partie d’un cycle d’aquarelles, qu’il qualifie de  « visions de l’éternité ».

Ces rêveries  qui peuvent être mortifères ne sont pas loin de pressentiments et d’évocations de catastrophes. C’est dans l’histoire et dans la religion que les apocalypses aux couleurs de fumées et d’incendies vont trouver leur source d’inspiration, avec « Destruction de Sodome » (1805) de Turner et « Destruction de Pompei et d’Herculanum » (1822) de John Martin, peintre doué qui cultiva toujours cette  même veine.

Le visiteur aimerait que cette approche intéressante d’une peinture anglaise insuffisamment connue se précise par des expositions monographiques et – on peut rêver – qu’elle se prolonge dans ce qui suit le romantisme, l’école des Préraphaélites qui a annoncé le symbolisme européen et a donné lieu à tant de chefs-d’œuvre.

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