Billet : Aqueducs et gazoducs

Les Romains construisaient d’audacieux aqueducs
Mais ils ne savaient rien des présents gazoducs
S’étirant en longueur depuis les gisements
D’où jaillit le méthane au bout du continent
Tels des Pythons issus de la boue primordiale
Et dont la dimension devient enjeu mondial
Depuis la Sibérie au-delà des taïgas
Où le dégel profond ferait de gros dégâts
Jusqu’à la mer Baltique au nord de l’Allemagne
Où le tuyau « Nord Stream » sortant des eaux regagne
Une terre enfin ferme et peut vomir son feu
Inerte jusqu’alors léthargique et gazeux
Comme un monstre mythique à la fin se ranime

Ce dernier verbe attend de rimer avec Nîmes
Jadis pourvue en eau par l’ouvrage romain
Dénommé « Pont du Gard » un pont hors du commun
Dont l’utile beauté depuis deux millénaires
Soutient un aqueduc sur ses arches de pierre

L’Allemagne et Moscou ont presque rassemblé
Les ultimes tronçons permettant de doubler
Ce que peut transporter leur énorme pip(e)line
Mais les Etats-Unis craignent l’indiscipline
En cas de liens plus forts entre Europe et Russie
L’Amérique de plus aimerait vendre aussi
Par bateaux méthaniers sans visée philanthrope
Ses trop-pleins liquéfiés à ses alliés d’Europe
L’Allemagne – elle – attend l’afflux de gaz fluant
Afin de minorer ses rejets polluants
Et confirmer ainsi son refus de l’atome
Transformer son lignite en souvenir fantôme
La France en cette affaire entre l’écologie
et le proche voisin quelle est sa stratégie

 

 

Ce poème confronte en quelque sorte le transport ancien de l’eau (H20) par aqueduc en France au temps de l’empire romain et le transport moderne du gaz méthane (CH4) par gazoduc entre la Russie et l’Allemagne aujourd’hui. Ce sont dans les deux cas des exploits technologiques, mais les ouvrages sont sans commune mesure du point de vue des dimensions et de l’art : d’une part un aqueduc d’environ 53 km passant sur un pont spectaculaire de 275 m de long, d’autre part un double tuyau sous pression de 1400 km, la plupart du temps invisible, enterré ou passant sous les eaux de la Baltique. Au sommet de l’OTAN du 11 juillet 2018 le président américain Donald Trump avait mis en cause l’Allemagne que ce projet rendrait « prisonnière de la Russie ». Depuis la défaite électorale de Donald Trump, l’opposition américaine à ce gazoduc s’est exprimée de manière moins frontale. Ce qui est en cause, c’est la politique énergétique de l’Allemagne, qui a voulu renoncer à l’énergie nucléaire depuis la catastrophe japonaise de Fukushima, mais qui n’a pas d’autre solution évidente que le gaz à l’état gazeux ou liquide pour la remplacer, sauf, à court terme, une utilisation accrue de son charbon ou lignite polluant, et à plus long terme un pari massif en faveur des énergies renouvelables telles que celle des éoliennes.

Dominique Thiébaut Lemaire

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