La fabrique du romantisme. Par Annie Birga

LA FABRIQUE DU ROMANTISME.Exposition à Paris au Musée de la Vie romantique

A en croire Stendhal, la Restauration  serait une époque « moutonnière ». On a peine à le croire quand  on s’introduit dans le Salon de Charles Nodier, comme l’exposition du Musée de la Vie romantique   (11 octobre 2014-15 février 2015) nous incite à le faire.

En 1824 Nodier devient directeur de la Bibliothèque de l’Arsenal. Un portrait de Robert-Fleury le montre qui pose, élégant et quelque peu distant, alors qu’en fait il n’est pas homme plus accueillant. Une autre image de lui : un portrait charge de Benjamin Roubaud qui, en 1842, dessine un Nodier à lunettes, courbé sur l’un de ses chers livres. Nodier est à relire ou à redécouvrir, le catalogue de l’exposition nous  livre de lui des pages  d’une écriture sensible.  A  remarquer dans cette présentation des acteurs du salon, deux autres personnages, l’un, le Baron Taylor, initiateur  dès 1810 des « Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France »  et l’autre, le peintre Adrien Dauzats,  qui assurera, sous les ordres du Baron Taylor, la coordination des lithographies illustrant les voyages. Ces deux portraits sont saisissants de vie et de force ; Ils sont l’œuvre d’un jeune Espagnol,  séjournant alors à Paris, Federico de Madrazo. Taylor y semble un nouveau Chateaubriand.

Le salon, depuis la disparition d’une revue, La Muse française, qui regroupait les Romantiques, est devenu leur point de ralliement. S’y croisent et s’y retrouvent Victor Hugo, Balzac, Lamartine, Nerval, Gautier, Dumas, Vigny et d’autres, oubliés. Et des comédiens, des journalistes, des  artistes. C’est aussi un salon où l’on danse, où l’on s’amuse entre très jeunes gens.  La Muse en est Marie Nodier, fille de l’écrivain, dont on voit ici un beau portrait exécuté par Amaury-Duval, élève d’Ingres. Quant aux écrivains, c’est  essentiellement à Achille Devéria que nous devons leur image. A remarquer, un beau lavis  représentant Balzac, une image amusante de Musset,  en costume allemand du XVIe siècle. Victor Hugo, lui, pose devant la cathédrale de Reims (Jean Alaux 1825).

L’un des aspects de cette « fabrique du romantisme » selon l’expression d’Alfred de Musset est de favoriser des rencontres essentielles pour l’essor du mouvement en France. Un mot sur Taylor (extrait du discours d’un collègue académicien) : « Il fut tout: soldat, peintre,  homme de lettres, dramaturge, administrateur de théâtre, inspecteur général  des Beaux-Arts, collectionneur, diplomate, missionnaire   d’art, archéologue ». Ajoutons que nous lui devons l’obélisque amené de Louxor et une partie des tableaux espagnols du Louvre, « enlevés » à l’Espagne. C’est donc Taylor qui va décider Nodier à entreprendre un projet encyclopédique et fou, celui de recenser à travers les provinces de la France, les monuments, de l’Antiquité au Gothique et à la Renaissance,  qui témoignent de la richesse intellectuelle et artistique du patrimoine. Nodier devra écrire les textes, les lithographes assureront les illustrations, on les choisira les meilleurs et Taylor, en compagnie de Cailleux (directeur des musées français), prendra en charge la coordination. Les livres seront achetés par souscription : « Il s’agit plutôt d’élever un monument que de faire une spéculation ». On s’en serait douté ! Le projet se concrétisera peu à peu, malgré les aléas. Les deux premiers livres sur la Normandie sont suivis de la Franche-Comté. Le dernier des 21 volumes sortira en 1878, un an avant la mort de Taylor. Quant à Nodier dont la plume agrémente les premiers volumes, il adopte un point de vue plus artiste : «  Ce voyage n’est donc pas un voyage de découvertes ; c’est un voyage d’impressions ». Livre complexe, à facettes, car il se veut aussi dénonciateur des atteintes au patrimoine, combattant pour sa conservation et sa restauration. Même si certaines ruines sont de belles ruines… Mérimée reprendra le flambeau.

Dans cette pharaonique entreprise, il y eut 3000 lithographies de 182 dessinateurs L’exposition en montre de très belles. Il y a là Isabey, Bonington,  Géricault, Violet-le-Duc. Et puis des artistes moins réputés, mais tous d’excellente qualité, comme Alexandre-Evariste Fragonard, Ciceri, Daguerre et tant d’autres. Les thèmes récurrents sont des dessins de villes médiévales, d’églises gothiques, de ruines. On peut bien supposer que la mode du gothic revival, née en Angleterre au XVIIIe siècle, était venue en France, tout comme les thématiques, propres au romantisme allemand, de pierres druidiques, d’arbres noueux, de montagnes escarpées (on pense à Caspar-David Friedrich) . En fait les monuments n’ont pas été seuls représentés dans ces voyages, on voit que les sites naturels y tiennent une bonne place, avec souvent de beaux effets de lumière, de brume, de  tempête que rend très bien la technique de la lithographie.

La dernière section de l’exposition, consacrée aux peintures issues de cette thématique, peut décevoir. Il nous semble qu’elle est en retrait par rapport à ce que la lithographie semblait promettre. En fait c’est le genre de la peinture dite troubadour, scènes historiques peintes avec minutie et souci de la couleur locale qui a utilisé ce réservoir d’images. Et l’intrusion du récit leur confère un aspect de gentille légende.  La vaisselle, le papier peint y ont cherché des thèmes. Le décor de théâtre aussi dans des mises en scène féériques de Ciceri. L’imaginaire collectif s’en est emparé.

Mais, si l’on désire continuer le voyage pittoresque, il est conseillé, sans quitter la nouvelle Athènes, de visiter la Fondation Taylor qui assure un complément de l’exposition  à travers de précis dessins de Taylor et des tableaux de ce  Dauzats que nous avions croisé plus haut. Au-delà du temps et par ses legs, le baron Taylor aide encore les artistes nécessiteux par des bourses et des prix.

Annie Birga

 

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