La peinture en Bretagne (1920-1940) : exposition à Pont-Aven. Par Maryvonne Lemaire

La Modernité en Bretagne-2 : De Jean-Julien Lemordant à Mathurin Méheut (1920-1940). Exposition au Musée de Pont-Aven
Du 1er juillet 2017 au 7 janvier 2018

Il reste quelques jours pour aller voir au musée de Pont-Aven une exposition stimulante et pittoresque : La Modernité en Bretagne-2.

20171011_160700. EXPO.PONT-AVEN. ModernitéYvonne Jean Haffen (1895-1993)
L’Offrande des fraises ou Cueillette des fraises à Plougastel
Caséine sur panneau, 1933

Le premier volet de l’exposition, La Modernité en Bretagne-1 (de 1870 à 1920), était consacré aux peintres qui, parallèlement à Gauguin, à l’Ecole de Pont-Aven et sa révolution du synthétisme, ont posé leur chevalet en Bretagne : Eugène  Boudin, Claude Monet, Paul Signac  et d’autres, qui ont ainsi inspiré ou influencé le renouvellement de l’art en Bretagne. Cette seconde exposition met l’accent sur  les artistes bretons eux-mêmes, peintres, graveurs, sculpteurs. 95 des 111 œuvres exposées sont des prêts de collectionneurs privés.

L’affiche invitant à l’exposition représente une huile sur toile  de Jean-Julien Lemordant, riche de couleur et de mouvement, dont le titre est : Le grand pardon à Saint-Guénolé ou La Révolte des sardinières ou Le Mont de la révolte. Ce tableau met en évidence par son titre et par la représentation qu’il donne de la Bretagne le paradoxe même que constitue le deuxième volet de l’exposition : des thèmes venant de la tradition, ici un pardon, et l’expression d’un dynamisme qui ne se manifeste pas seulement par la modernité de la facture.

Modernité, le mot fait couler beaucoup d’encre. Faut-il dire que le terme correspond à une époque, fin du XIXe siècle, début du XXe, à une sorte de renouveau de la peinture ? Après le grand genre de la peinture mythologique, historique, religieuse, après la désacralisation de l’art que constituent les scènes de genre du XVIIIe siècle, a lieu l’éclatement de la peinture académique en de nombreux mouvements en –isme, impressionnisme, symbolisme, synthétisme, fauvisme, cubisme, pour ne citer que les plus connus. La priorité de la figuration et du dessin semble s’effacer devant les interrogations sur la lumière, la couleur, la forme, la touche, bref sur les ressources elles-mêmes de l’art de peindre.

La modernité bretonne, elle, est toujours figurative. Faut-il rappeler  que l’abstraction des spirales et des triskells a précédé la représentation figurative en Bretagne ? Cette modernité est le fait d’une vingtaine d’artistes, dont les noms pour certains sont familiers depuis longtemps : René-Marie Quillivic auteur du beau monument aux morts de Fouesnant qui représente une vieille bretonne priant les mains jointes sur le haut de son tablier, Mathurin Méheut, souvent exposé à Quimper, Géo Fourrier, dont les portraits de Bretons, popularisés par des cartes postales, m’impressionnaient par leur dureté. Ces artistes se sont fait connaître par des expositions à Paris : en 1921 au musée des Arts décoratifs en ce qui concerne Mathurin Méheut ; en 1925 dans le pavillon breton de l’exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes (dès 1923, Jeanne Malivel a réuni le mouvement « Ar Seiz Breur », les sept frères, en prévision de cette exposition de 1925 où le groupe obtient la médaille d’or) ; en 1937, dans le pavillon breton de l’exposition internationale des arts et des techniques dans la vie moderne.

Ce qui frappe pourtant le visiteur de « La Modernité en Bretagne-2 » à Pont-Aven,  c’est que les motifs et les thèmes représentés semblent sinon intemporels en tout cas traditionnels. Ils offrent dans leurs redites et leurs variations un résumé des éléments, des paysages et des activités traditionnelles, masculines et féminines :

— pour les éléments, citons par exemple Le vent sur les monts d’Arrée, Maurice Le Scouëzec ; Le Vent, Jean-Julien Lemordant ; Les Récifs, Paul-Auguste Masuy ;

— pour les paysages, La cale noire, Douarnenez, Géo Fourrier ; Sur les quais, Jim Sévellec ; Marché à Pont-Labbé , Pierre de Belay ; Le grand pardon à Saint-Guénolé, Jean-Julien Lemordant ; La fontaine Sainte-Marie du Menez Hom, Ernest Guérin ;

— pour les scènes de la vie, citons Les Filets Bleus, Mathurin Méheut ; Pêcheurs à quai, Yves de Kerouallan ; le chargement des huîtres, René-Yves Creston ; la relève des casiers en baie de Morlaix, Mathurin Méheut ; porteurs de goémon, Jean-Julien Lemordant ;  brûleuse de goémon, Mathurin Méheut ; débarquement des bateaux de pêche, Emile Guillaume ; ravaudeuses de filets, Mathurin Méheut ; Les pêcheurs à Concarneau, Pierre de Belay ; L’offrande des fraises, Yvonne Jean-Haffen ; Bretonne au champ, René-Yves Creston.

Thèmes traditionnels sans doute, animés cependant d’un grand dynamisme et remarquables par leur stylisation, en rapport avec « l’art déco » mais aussi avec une certaine inspiration bretonne. La période de 1920-1940 correspond à un bref répit entre deux guerres. Après les ravages de la Première Guerre Mondiale (le peintre Yves de Kerouallan a  été amputé du bras droit), la vie veut reprendre le dessus. Le non-remboursement de l’emprunt russe a ruiné plus d’un rentier et le travail redevient pour tous une nécessité et une valeur.  Les gouaches de René-Yves Creston, ramassage, chargement, déchargement des huîtres, datés de 1929, se ressentent d’une esthétique militante, presque soviétique, glorifiant le travail collectif du peuple. Enfin certains artistes, révoltés par la disparition dans les chapelles et les églises des belles statues bretonnes d’un réalisme presque gallo-romain,  veulent faire barrage à l’art sulpicien qu’ils associent à Paris et préserver la force de l’inspiration régionale. En témoignent les monuments aux morts de René-Marie Quillivic, ses statues présentées dans l’exposition, les xylographies de Jorj Robin. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, certains des Seiz Breur iront jusqu’à faire le choix du nationalisme breton, d’autres, comme Creston, entreront dans la Résistance.

Ce dynamisme de l’art  de l’entre deux guerres, qui s’exprime parfois par une certaine dureté des formes, des couleurs – je pense à Creston, à Géo Fourrier – ne fait qu’accentuer un trait breton caractéristique. La région est confrontée à la rudesse des éléments, de la mer plus particulièrement mais la pluie et le vent  comptent aussi. Pas moyen d’esquiver les risques, comme le montrent les tableaux de Mathurin Méheut  sur la relève des casiers. Les obliques du corps du pêcheur, de la godille, des fanions de bouées, de l’écume des vagues créent une inquiétude forte que réussit à vaincre l’équilibre dû à l’expérience plus ou moins consciente des lois physiques et du métier. Le jeu tonique des couleurs, le fameux « glaz » de la mer et du ciel (bleu-vert, bleu-gris),  le rouge des fanions, le roux des casiers, le blanc de l’écume qui devient neige accentuent l’effet de force du tableau. Les sculpteurs comme Joseph Savina (Saint Gweltas) ou François Méheut, travaillant le bois ou le bronze, excellent à rendre sensibles les lois physiques de l’équilibre quand hommes ou femmes sont confrontés au vent, à la mer, au travail collectif : Marins à la barre, porteuses de bannière, trois marins poussant une barque avec des casiers. Les situations sont celles de tous les jours, les attitudes sont familières, mais à la différence de l’art japonais qui lui aussi représente les situations quotidiennes et familières et le fait avec les courbes de l’idéalisation, l’art moderne breton a recours au trait oblique, au jeu tonique des taches de couleur pour donner le sentiment d’un équilibre qui n’est pas seulement esthétique et que le visiteur ressent physiquement. Les scènes d’oisiveté sur les quais, après le déchargement de la pêche, ou  les commérages dans la rue, après le travail au champ ou la récolte des fraises à Plougastel, viennent en contrepoint des représentations  du travail et de ses risques. Dans ces scènes de répit, la mer n’est jamais loin. Une sorte d’unanimisme,  comme le souffle du vent de Jean-Julien Lemordant, anime toutes les scènes de pêche, de récolte, de pardon, de marché.

Dans la très belle scène d’Offrande des fraises d’Yvonne Jean-Haffen, l’échange du panier, sur un arrière-plan de mer, entre la mère et la fillette dont les rubans de coiffe flottent au vent évoque une cérémonie sacrée. C’est peut-être cela pour moi l’excellence et en même temps les limites de la modernité bretonne. Une transformation unanimiste du quotidien, loin de l’idéalisation japonaise et du triomphe de l’individualisme associé à la peinture moderne.

Maryvonne Lemaire

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