L’art du pastel au Musée du Petit Palais. Par Annie Birga

L’Art du Pastel : de Degas à Redon, au Musée du Petit Palais
Exposition du 15 septembre 2017 au 8 avril 2018

Le Musée du Petit Palais dispose d’un fonds exceptionnel de 220 pastels dont plus de la moitié sont exposés pour une durée de 6 mois. Ensuite leur fragilité à la lumière leur fera rejoindre les réserves. Mais désormais ils sont restaurés, photographiés, classés, puisque leur Catalogue raisonné vient d’être réalisé. Le Petit Palais, ouvert en 1902, s’est enrichi au cours des années de multiples achats, dons et legs. Si on connaît les pastellistes Maurice Quentin de La Tour et Jean-Baptiste Perronneau, ou encore Elisabeth Vigée-Le Brun, on sait moins qu’après l’époque des Lumières, le XIXe siècle a connu, lui aussi, un âge d’or du pastel avec pour date charnière la fondation de la Société des Pastellistes français en 1885.

L’exposition, qui se veut chronologique, va du pastel d’Elisabeth Vigée-Le Brun, « Portrait de la Princesse Radziwill », daté de 1801, à la  « Scène antique »  de Ker-Xavier Roussel, œuvre des années 1920-25 : c’est dire le chemin parcouru.

A côté des pastels traditionnels qui sont des ébauches de futurs tableaux, le pastel s’inscrit comme une technique à part entière, avec son immédiateté, ce qui convient bien à la représentation de paysages, faite en plein air. L’exposition présente deux pastels de Troyon, de l’Ecole de Barbizon, qui sont plutôt des dessins agrémentés de traits de pastel.

Mais le rendu des lumières, des reflets, des brumes, des nuits, de la neige, est véritablement magique chez des artistes considérés encore comme mineurs et que l’exposition met bien en valeur, Iwill, Alexandre Nozal, François Cachoud, Joseph-Félix Bouchor.

Cette section dite « naturaliste » comprend aussi des portraits. Le fusain avec son noir cerne le trait et dramatise le  sujet. Il s’équilibre avec le pastel ou bien parfois prend nettement le dessus. Les modèles sont des jeunes filles du peuple, Bretonnes de Charles Cottet, mendiante de Bartholomé (celui-ci n’est pas le seul sculpteur, Carpeaux, Bourdelle ont fait eux aussi des pastels rapides), adolescente malingre dans « Retour du marché » de Louise Breslau. A remarquer que les femmes pastellistes ont été nombreuses. Degas admirait cette dernière ainsi que Mary Cassatt et Berthe Morisot. Quant à Léon Lhermitte dont on montre « Les lieuses de gerbes », il se réfère à Millet, et cela lui vaut l’estime de Van Gogh.

Du pastel naturaliste on passe au pastel impressionniste. On peut regretter l’absence de Manet, mais il y a là des œuvres de Berthe Morisot, de Renoir, de Degas, de Mary Cassatt, de Gauguin.  La plus « impressionniste » au sens strict du terme, c’est Berthe Morisot avec « Dans le parc », une belle variation de verts, éclairés d’une douce lumière. Renoir fait le portrait de Berthe Morisot avec sa fille Julie Manet, ébauche pour un tableau plus fini. On sait que Degas, qui avait des problèmes oculaires, fut contraint de pratiquer surtout le pastel en fin de vie. « Madame Alexis Rouart et ses enfants » évoque un litige familial, une vraie scène entre mère et fille ; Degas est incisif, original. A côté des portraits d’enfants où Mary Cassatt excelle, on expose une remarquable figure d’homme,  « Portrait de Moïse Dreyfus ». Un Gauguin  des débuts, un diptyque coloré, représentation d’un père sculpteur et d’un enfant absorbé dans sa lecture. Armand Guillaumin, un marginal de l’impressionnisme, a donné au Musée un grand nombre de dessins et pastels. Il dessine d’un trait vigoureux, emploie des couleurs fortes et ses dernières œuvres sont proches du fauvisme.

Avant d’aborder la catégorie du Pastel mondain, on a plaisir à lire ces lignes poétiques de Judith Gautier qui exaltent les qualités propres au pastel :  « Le pastel, cette matière si souple et si fragile, qui tient du pollen des fleurs et de la cendre brillante qui poudre les ailes des papillons, convient surtout pour reproduire la suavité des chairs féminines et les chiffonnements soyeux des belles étoffes. »

On peut douter que soient mondains ces portraits, si l’on associe à l’adjectif l’idée d’une certaine mièvrerie ou d’un joli conventionnel. Il est plutôt fait référence aux commandes qui émanent d’une riche bourgeoisie.  Mais James Tissot  aussi bien que Jacques-Emile Blanche donnent de la femme une image originale et moderne, Tissot portraiturant son amie lisant un journal, Blanche représentant l’égérie, belle et un peu insolente, de Claude Debussy. Charles Léandre, qui est un peu oublié, est bien représenté par une série d’œuvres très habilement exécutées, il est maître dans l’art du pastel. « Sur champ d’or » qui fait l’affiche de l’exposition, représente une femme de rêve, comme une apparition en contre-jour.  « La suavité des chairs féminines », c’est Pierre Carrier-Belleuse (fils du sculpteur) qui la met en valeur de façon presque photographique  dans l’image d’un corps nu de femme comme échouée sur le sable fin de la dune. Roll, plus dessinateur, privilégie les poses contorsionnées ; avec sa « Démoniaque », cet ami de Rodin va dans le sens d’un romantisme noir.

Le tableau « Sur champ d’or » nous entraînait vers le symbolisme et c’est ce mouvement qui va donner naissance à une floraison de pastels évocateurs et oniriques.  Il y a une nostalgie de l’Arcadie dans ce début de siècle. René Ménard avec un pastel de très grand format, prouesse technique, Osbert, avec ses délicats étangs et sous-bois, tous deux imprégnés du souvenir de Puvis de Chavannes,  nous emmènent dans des mondes imaginaires voisins. Ker-Xavier Roussel aussi, même si son chromatisme est violent et éclatant.

Les dernières salles de l’exposition sont comme une apothéose : elles montrent Odilon Redon et Lévy-Dhurmer.

Lévy-Dhurmer est un virtuose du pastel. Son univers part du réel qu’il transforme par le flou et le vaporeux que sait suggérer cette technique. Ainsi les nus féminins apparaissent comme à travers un miroir. Son « Feu d’artifice à Venise » est une rêverie sur les reflets dans l’eau et le camaïeu bleu sombre. Artiste ami des poètes, de Rodenbach en particulier.

« Fictions », « petite porte ouverte sur le mystère », « les tons ont une joie qui me repose », dit Odilon Redon à propos du pastel : la salle qui lui est consacrée groupe un « Sphinx ailé accoudé sur un rocher », « Le Christ du silence », « La naissance de Vénus », « Anémones dans un vase bleu », et « Anémones et lilas dans un vase bleu ».

Autant de chefs-d’œuvre qui motiveraient à eux seuls la visite de cette collection du musée remarquablement commentée et  mise en valeur.

Annie Birga

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