Billet: concours de voix à la télévision

Micro sans fil oreillette sans casque

Equipement pour mieux nous émouvoir

D’un timbre clair ou d’un son qui se voile

Faisant rêver sans qu’on s’en aperçoive

Qui va gagner le prix des belles voix

 

Qui survivra dans les bacs et les kiosques

Est-ce celui qui se plaît au sensible

Ou l’angoissé(e) que sa recherche oblige

A dépasser les valeurs établies

Qui va gagner la faveur du public

 

Le favori de la maison de disques

L’autre qui croit au travail à la chance

Qui se surmonte ou qui suit son penchant

Quand vient le temps de la dernière manche

Qui va gagner la palme des chansons

 

(Ajout du 19 mai 2013)

Voici le vote et la fin romanesque

Où le vainqueur est celui qui oublie

Son bégaiement dans la beauté du chant

C’est la leçon terminant cet envoi

***

 

L’émission vedette de TF1, le concours de chant intitulé  « The Voice », dont la deuxième saison en France se termine le samedi 18 mai 2013 (une troisième saison est en préparation), est née aux Pays-Bas, et s’est répandue dans plusieurs pays avec un grand succès, aux Etats-Unis à partir d’avril 2011 sur la chaîne NBC, au Royaume-Uni sur la BBC, en Belgique, et ailleurs…

D’après un article publié par Le Point.fr le 16 avril 2013, « The Voice » est au cœur de bien des doutes et polémiques. Beaucoup de téléspectateurs s’interrogent sur le processus d’élimination des candidats par le public et par les professionnels appelés « coaches » (tout est en « franglais »). Ces derniers sont chargés d’entraîner les candidats mais aussi de les sélectionner de manière progressive en participant à la réduction de leur nombre jusqu’à la finale. Les choix ainsi effectués suscitent sur Twitter des centaines de réactions souvent étonnées voire scandalisées.

Par ailleurs, un point intrigue. Pourquoi le dévoilement des choix du public est-il à ce point escamoté? Les téléspectateurs se souviennent des émissions de télé-réalité où l’ouverture de l’enveloppe révélant les votes était l’occasion d’un grand suspense. Musique dramatique à l’appui, le présentateur faisait monter la tension avant de livrer le résultat des votes. Avec « The Voice », le fonctionnement est tout autre. L’huissier garantissant la véracité des chiffres se contente de faire une petite apparition sur la scène, ou n’apparaît même plus, pour remettre l’enveloppe contenant le nom de l’élu.

Contacté par Le Point.fr, le responsable de la communication de Shine (la société de production de « The Voice ») n’a pas grand-chose à déclarer. « Les votes sont secrets », assène-t-il. Il se contente d’une précision : les votes commencent dès lors qu’un nouveau groupe de chanteurs rentre en scène. Impossible d’en apprendre davantage.

Plus surprenant encore, le rôle joué par Universal Music. Le label offrira la production d’un album au vainqueur de la saison. Compte tenu de la situation du marché du disque, Universal ne peut pas se permettre de se tromper. Il faut donc un artiste « bankable », capable de vendre un maximum de CD, et qui ne devra pas seulement être doté d’une belle voix, mais aussi d’une personnalité faisant l’unanimité. Le jury composé de Florent Pagny, Garou, Jenifer et Louis Bertignac ne doit donc pas faire d’erreur. Petite précision, ils ont tous signé chez Universal. De quoi se demander si des instructions ne sont pas données… Et si les votes du public ne sont pas outrepassés par la volonté d’Universal. D’après Le Point.fr, il se murmure de source sûre qu’en dépit de la promesse de l’émission, réservant la production d’un album au gagnant, un des candidats, Olympe, aurait déjà signé son contrat.

Outre les informations et réflexions contenues dans cet article du Point, il est apparu au cours des épreuves qu’il est difficile d’apprécier une voix indépendamment de la chanson à interpréter. Parfois les coaches, involontairement ou non, choisissent une chanson ne permettant pas de mettre en valeur les qualités vocales du candidat (quand ce n’est pas le candidat lui-même qui s’est trompé après avoir été laissé libre de choisir sa chanson).
Il est à remarquer aussi que les choix du public peuvent être faussés par la technique de communication électronique (internet, facebook, twitter…) et par le phénomène de réseaux qui en résulte, pouvant faire intervenir de véritables groupes de pression. Ce phénomène est d’autant plus important qu’en finale, c’est le public seul qui va désigner le gagnant.

Quant aux décisions des quatre professionnels entraîneurs-sélectionneurs, il ne s’agit pas d’un jury aux décisions collectives. Pour les candidats que le public n’a pas choisis, chaque « coach » s’est prononcé individuellement sur les membres de sa propre équipe. Il est clair que ces décisions sont plus arbitraires que les décisions collectives, et plus propices au soupçon. Sans compter que les règles régissant ces décisions ont changé à chaque étape du jeu.
Il y a, de plus, quelque chose de pervers dans le fait de décider du sort de ses propres poulains. Les « coaches » se sont plaints explicitement de ce système les obligeant à choisir entre des candidats qu’ils ont entraînés longuement et avec lesquels se sont forcément créés des rapports affectifs. Ils seraient là pour les repêcher d’après les organisateurs du jeu et de l’émission, mais comme le verre à moitié plein est aussi à moitié vide, la décision de repêchage est en même temps une décision d’élimination du ou des autres candidats restants.

Nous sommes ainsi amenés à quelques considérations un peu désabusées.
D’abord, le jeu dépend grandement des règles du jeu, comme le savent bien ceux qui aiment le football, ou ceux qui attachent de l’importance aux palmarès sportifs (voir le billet de Libres Feuillets publié le 19 août 2012 sur les jeux olympiques d’été). Si les règles sont contestables, le jeu lui-même perd son intérêt.

Ensuite, nous voyons que l’amour évident du public pour les belles voix et les chansons est l’hameçon par lequel on l’attrape pour promouvoir des intérêts beaucoup plus prosaïques, pour preuve l’importance du temps consacré à la publicité dans ce genre d’émission.
Ajoutons encore que les choix de ceux qui  sont investis du pouvoir de trancher ne peuvent être acceptés que s’ils sont suffisamment impartiaux, d’où l’importance des arbitres dans le sport. Or, dans les jeux télévisés, la relative impartialité des choix auxquels sont soumis les candidats, qu’il s’agisse des choix des professionnels ou du public, peut être très douteuse. On passe alors  de « l’arbitrage » à « l’arbitraire ».

 

Complément apporté après la finale française du 18 mai 2013

Finalement, le vainqueur n’est pas Olympe qui avait été présenté comme le favori d’Universal, et qui a été distancé de très peu par Yoann Fréget. Cette fois, l’émission a renoué avec le cérémonial de l’huissier et des scores solennellement révélés (que le présentateur a dévoilés avec lenteur en partant des scores les moins élevés).
Yoann Fréget, âgé de 26 ans, est présenté ainsi par le Journal du dimanche du 19 mai 2013: « Diplômé en musicothérapie, chanteur soliste dans des formations de soul et gospel, le candidat de Garou a convaincu le public par son talent, son énergie (parfois trop) débordante, et son approche viscérale de la musique, qui efface comme par magie son bégaiement » .

Le thème du bégaiement surmonté par l’art est très ancien. Un exemple célèbre est celui de Démosthène qui a réussi à vaincre ce défaut d’élocution et à devenir le plus célèbre orateur de la Grèce antique.

 

Dominique Thiébaut Lemaire

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