La peinture romantique de Caspar David Friedrich dans trois expositions. Par Annie Birga

 

Femme dans le soleil du matin 1818

Deux expositions, « De l’Allemagne » au Musée du Louvre (28 mars-24 juin), « L’Ange du Bizarre » au Musée d’Orsay (5 mars-9 juin), présentent des tableaux du grand peintre romantique. Le Louvre en a rassemblé une vingtaine et, pour compléter l’oeuvre peint, le visiteur a la surprise de découvrir, dans l’exposition consacrée au sculpteur David d’Angers, deux lavis que celui-ci avait achetés au peintre lui-même, lorsqu’il  alla le visiter dans son atelier de Dresde en 1834 – Friedrich alors a 60 ans – et David d’Angers, avant de modeler son médaillon, le saisit dans son journal: « Ce soir, nous avons rendu visite au peintre Friedrich. C’est lui qui nous a ouvert la porte. Il est grand et mince, pâle, des sourcils très épais, les yeux enfoncés. Il nous a introduits dans son atelier: une petite table, un lit, semblable à un cercueil, un chevalet sur lequel il n’y avait rien… »

Quelques éléments biographiques permettent de mieux entrer dans l’univers du peintre. Orphelin de mère à huit ans, il perd au cours de son adolescence un frère et une soeur. Il vit solitaire et ne se marie qu’à quarante-quatre ans avec une jeune fille pauvre; ils auront deux enfants.La maladie le frappe tôt et ses dernières années sont assombries par le manque de santé et un certain délaissement de son oeuvre, la mode ayant tourné, au point qu’on le décrit comme neurasthénique. Pour contrebalancer ces épreuves, il y a dans la vie du peintre un nombre certain de satisfactions.
Pouvoir étudier à Copenhague – il est natif de Poméranie, région qui faisait alors partie de la Suède – dans la meilleure Académie d’Europe du Nord avec des peintres-professeurs de haut niveau, comme Juel et Abilgaard.
Avoir près de lui un disciple, Carus, grand intellectuel et bon peintre, et abriter dans son atelier-maison des bords de l’Elbe le célèbre peintre norvégien, Christian Dahl.
Après une exposition à Weimar, être élu membre de l’Académie de Berlin, puis de celle de Dresde.
Recevoir, en 1810, la visite de Goethe, avec lequel il échange une correspondance, et en être admiré ( « Paysage merveilleux », note celui-ci à propos de l’ « Abbaye dans un bois »).
Participer au grand essor du mouvement romantique avec ses amis Tieck, Kleist et Novalis et en être, par son oeuvre, l’un des principaux protagonistes.
Par la marche, par le regard, par la contemplation, connaître les joies mystiques de la fusion avec la nature et les transmuer en peinture initiatique.

En effet, dans ses conseils à un jeune peintre,Friedrich écrit : « Tu tiendras pour sacré tout mouvement pur de ton âme, car il est l’art en nous. Ce sera la forme évidente et cette forme est ton tableau ». Ou encore : « Ferme l’oeil de ton corps afin de voir ton tableau d’abord par l’oeil de l’esprit. Mets au jour ce que tu as vu dans l’obscurité, afin que ta vision agisse sur d’autres, de l’intérieur vers l’extérieur ».

Si nous nous intéressons à l’aspect technique de sa peinture, nous constatons que la facture est lisse, proche des lavis qu’il a exécutés en nombre dans ses années d’apprentissage, toute en nuances de gris ou de subtils dégradés, proche par cela de l’ancienne peinture chinoise, d’une palette de couleurs économe, avec seulement des jaunes et rouges éclatants dans certains couchers de soleil. Les compositions, qui semblent simples, sont très étudiées et parfaites de proportions. Le petit nombre total de ses tableaux (autour de trois cents) suggère une élaboration lente.

Chaque tableau mériterait d’être longuement étudié. Nous nous bornerons à en citer quelques-uns. Ils sont, dans les deux expositions, présentés par thèmes et non chronologiquement.

Ils sont, tous, reflet de la sensibilité et d’un état d’âme, ce qui les différencie aussi bien des paysages, étudiés au musée de Copenhague, des maîtres hollandais que de ceux de ses  contemporains, plus descriptifs ou plus héroïques. Une salle le montre très bien, qui réunit  pour la comparaison « Le Watzmann » (1825) et deux paysages de montagnes de Koch et de Richter.

Les lignes tantôt sinueuses, tantôt escarpées des monts de Bohême voisins, parcourus à pied, la géologie des roches, les lumières aux différents moments du jour ou de la nuit, sont l’une des constantes de sa thématique. et de sa recherche.  Retenons « Le matin sur les montagnes » (1823).

« L’arbre aux corbeaux » (1822) montre un grand chêne aux ramures squelettiques sur lequel tournoie un vol de corbeaux dans le ciel rouge du couchant. L’arbre est planté dans un tumulus-tombe. C’est le tragique de la guerre napoléonienne en Allemagne que le patriote Friedrich veut ici suggérer. Mais le paysage paradisiaque de mer et de falaises blanches de son île de Rügen apparaît dans le lointain. Une issue ?

Les campagnes ou les forêts enneigées – Friedrich est un nordique qui a voulu le demeurer et a toujours refusé le fameux tour en Italie – offrent au promeneur rêveur des ruines, des abbayes ou des églises gothiques, quelquefois des tombes d’anciens héros germains, mythiques ou réels, ainsi la « Tombe Hunnique en automne » (1820), surplombée d’un nuage sombre et étrange. Les cimetières souvent brumeux, parcourus de formes indistinctes, parsemés de croix, se discernent au-delà de barrières ou de portes. Ainsi, « L’entrée du cimetière » (1825).

Il est cependant des moments heureux dans cette peinture mélancolique. La « Femme dans le soleil du matin » (1818), baignée de la forte couleur orangée du soleil levant, ouvre ses bras et accueille le  spectacle de la nature. La famille du peintre est rassemblée devant la ville natale de Greifswald et contemple le crépuscule de « L’Etoile du soir » (1830).
A remarquer que dans ces deux tableaux, nous ne voyons les personnages que de dos, de sorte que, nous identifiant à leurs regards, c’est par leur intermédiaire que nous entrons dans le paysage.

L’inventive exposition du Musée d’Orsay montre, comme image du sublime, le « Rivage avec la lune cachée par les nuages » (1835-36), l’un des derniers tableaux de Friedrich. Nuages plombés, quelques lointains voiliers, une lune fantomatique et, au centre de la toile, le reflet brillant de l’astre  qui devient diffus sur la surface de la mer étale. Symbole de cette période menacée par la mort, mais où subsiste l’espérance du chrétien ? L’on peut faire cette lecture.

A qui souhaiterait  en savoir plus sur le merveilleux romantisme allemand, on conseillerait de lire de Marcel Brion l’introduction à l’édition C.G.Carus/C.D.Friedrich, « De la peinture de paysage dans l’Allemagne romantique » Paris,Klincksieck, 1983; d’Albert Béguin « L’âme romantique et le rêve », Paris, José Corti, 1956; et dans la collection de la Pléiade « Les Romantiques allemands ».

Annie Birga

 

 

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