Sergio Birga : xylographies, variations sur Kafka

Exposition du 1er décembre 2016 au 15 janvier 2017

 

vernissage-birga-invitationLa galerie Saphir au Marais présente plus de vingt xylographies de Sergio Birga, inspirées par l’oeuvre de Kafka. Les plus anciennes (sur La Métamorphose, Le Procès, Un rêve) datent de 1963, dix ont été réalisées en 2014-2015, les trois plus récentes en 2016 d’après Le Château de l’écrivain pragois.
L’ensemble de ces xylographies donne une puissante impression d’univers onirique où le fantastique est parfois proche de l’angoisse. Cette impression est renforcée par le nombre d’oeuvres ainsi réunies, et par l’unité et la forte sincérité de l’inspiration.
L’exposition montre aussi quelques toiles de la période néo-expressionniste du peintre graveur.

L’influence de la technique de gravure sur les formes

La gravure sur bois de fil (en l’occurrence du cerisier) a des lignes anguleuses dues à la résistance du matériau. Elle impose une vigoureuse simplification des formes.
Elle a été pratiquée par les expressionnistes allemands, avec lesquels Sergio Birga a noué des liens d’amitié. Il a rencontré en Allemagne les protagonistes encore vivants de ce mouvement dans les années 1960 et 1970, Heckel, Meidner, Kokoschka, et plus particulièrement Otto Dix et Conrad Felixmüller.

Gravure et peinture

Les toiles exposées (de la première période de Sergio Birga) se caractérisent par la vivacité de leur chromatisme et par leurs formes convulsives ou géométriques, en correspondance avec les gravures.
Des huiles sur toile d’une période ultérieure ont servi de modèles aux xylographies intitulées « Un artiste du jeûne » ou le cirque K : tableau de 2005 et gravure de 2006 ; et « Description d’un combat (le pont Charles) » à Prague : tableau de 2005 et gravure de 2006 également. On peut ainsi comparer sur les mêmes thèmes la peinture et la gravure : les huiles permettent la nuance ne serait-ce que par la diversité des couleurs, en même temps leur grand format « en met plein la vue » comme on dit familièrement, et le support de la toile leur promet un avenir probablement plus durable ; les gravures sont par nature plus petites, plus fragiles sur papier, elles se passent le plus souvent de couleur, ce sont des figurations plus épurées qui concentrent la force du dessin.

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Sergio Birga
Description d’un combat (le pont Charles) 114×146 cm
huile sur toile, 2005

Quatre exemples parmi les xylograhies exposées

Les reproductions ci-dessous, reprises du site de l’artiste et du dossier de presse de l’exposition, donnent une idée de la qualité de ces gravures, accompagnées chacune de l’extrait de Kafka qui leur a donné naissance.


Le chevalier du seau I, 30 x 45 cm, 2006
« … Furibond, mais subissant l’éblouissant rayon du commandement : « Tu ne tueras point », le marchand sera obligé de lancer dans mon seau une pleine pelletée de charbon…
… Mais la charbonnière « dénoue son tablier et essaie de me repousser en l’agitant. Malheureusement elle y parvient. Mon seau a toutes les qualités d’une bonne monture ; mais aucune force de résistance ; il est trop léger ; un tablier de femme lui fait déjà quitter le sol. »

L’enseigne « Köhler » en allemand au-dessus de la porte à droite signifie « Charbonnier ».

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Le Soutier (Amerika), 30 x 45 cm, 2014
« Lorsque Karl Rossmann, jeune homme de dix-sept ans… entra dans le port de New York sur le bateau à l’allure déjà plus lente, il s’aperçut que la statue de la déesse de la Liberté qu’il observait depuis longtemps déjà était baignée par des rayons de soleil soudain plus forts. Le bras qui brandissait l’épée semblait s’être dressé à l’instant, et autour de son grand corps soufflaient les vents libres. »

Il est à noter que Kafka fait brandir à la Liberté un glaive au lieu d’un flambeau.

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Un médecin de campagne, 30 x 45 cm, 2014
« Tu m’accompagnes, dis-je au palefrenier, sinon je renonce à cette course, si urgente soit-elle. Je n’ai pas l’intention de t’abandonner ma servante pour prix de mon trajet. » « Hue !  » dit-il, et il frappe dans ses mains ; la voiture est emportée d’un seul coup, comme une branche par le courant ; j’entends encore la porte de ma maison qui se fend et vole en morceaux sous l’assaut du palefrenier, puis mes yeux et mes oreilles s’emplissent d’un puissant sifflement qui envahit tous mes sens à la fois. »

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Le chevalier du seau II (Dans les montagnes glacées), 30 x 45 cm, 2014
« Je m’élève vers la région des Montagnes glacées où je me perds sans espoir de retour. »

Le seau léger de la première gravure (Le Chevalier du seau I) devient ici un fardeau que le personnage porte avec difficulté, jambes et bras pliés dans l’effort.

Le noir et blanc – et parfois la couleur – dans les gravures de Sergio Birga

Le chevalier du seau  » I et II, et « Un médecin de campagne » montrent tout le parti que l’artiste peut tirer du noir et blanc de la xylographie : le noir devient un ciel nocturne sombre mais constellé, tandis que le blanc devient de la neige glacée.

Parfois, les gravures de Sergio Birga sont rehaussées de couleurs, par exemple dans la série qu’il a consacrée au jazz antérieurement, où le nombre de couleurs peut aller jusqu’à quatre. Deux des xylographies de la série « kafkaïenne » sont colorées. L’une d’elles représente le peintre Titorelli du Procès en train d’achever un tableau en rouge de la justice et du juge ; l’autre, « Les Passants qui courent dans la nuit », reprise d’un dessin de 2002 mais plus élaborée, montre deux personnages qui, dans une rue rectiligne pareille à celle où habite Sergio Birga, semblent fuir éperdument une énorme lune rouge. Il arrive en effet que la lune, éclipsée par l’ombre de notre planète, ne soit plus éclairée directement par le soleil, mais reçoive une lumière solaire diffusée en traversant l’atmosphère terrestre : un phénomène astronomique connu sous le nom de lune rousse, plus spectaculaire encore lorsqu’elle est à son périgée, au point de son orbite le plus proche de la terre.

 

Dominique Thiébaut Lemaire

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