Billet: le dominicain et le jésuite

 

Frais débarqué dans la ville éternelle
-Il n’est pas dit d’où cet homme venait-
L’été à Rome un révérend jésuite

Qui s’échauffait dans d’étranges circuits
Cherchait Saint Pierre à travers les venelles

Où semblait fuir le but de sa poursuite


De guerre lasse il interroge un frère
Dominicain l’air ouvert mais discret

Lui demandant c’est presque une supplique
De bien vouloir éviter l’homélie

Pour expliquer par quel itinéraire
On peut trouver la grande basilique

 

L’autre répond ravi de l’intermède
Mon père hélas finirez-vous jamais
Votre recherche errante infructueuse

Vous aimez trop les parcours sinueux
J’en ai bien peur le mal est sans remède

Car c’est tout droit sans marche tortueuse

 

C’était le jour de la Saint Dominique
Fête changée presque en catimini
Quatre août naguère et maintenant le huit

Qu’on nous l’explique est-ce un coup des Jésuites

 

 

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La fête de Saint Dominique, fixée au 4 août à partir de 1234, et au 8 août depuis le concile de Vatican II, donne l’occasion d’évoquer les dominicains, ainsi que les jésuites auxquels ils se sont souvent opposés.

Les dominicains (de l’ordre des frères prêcheurs, fondé en 1214 par l’espagnol Dominique de Guzman à Toulouse) et les jésuites (clercs réguliers de la Compagnie de Jésus, fondée en 1537 par l’espagnol Ignace de Loyola, saint fêté le 31 juillet) ont la réputation de ne pas faire bon ménage. Entre ces deux grands ordres, la rivalité n’a guère cessé depuis des siècles… Cette concurrence a atteint des sommets notamment aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Ce qui oppose finalement le plus les deux ordres, c’est qu’ils œuvrent sur le même terrain, celui de la formation et de la réflexion intellectuelles. De nos jours, la concurrence est plus policée. Mais le petit sourire qui naît sur les lèvres, lorsqu’on évoque les confrères d’en face, confirme la persistance d’une émulation bien réelle.

La Compagnie de Jésus aurait une propension plus marquée pour l’enseignement, domaine dans lequel son modèle a été reproduit dans de nombreux pays à partir du 16e siècle. Mais leur influence dans l’enseignement français, par exemple, est devenue très faible, malgré une réputation demeurée forte dans certains milieux où on se targue d’avoir été « élève des Jésuites ». Leur établissement français le plus connu est actuellement le lycée Sainte Geneviève à Versailles (classes préparatoires aux grandes écoles).

En philosophie et en théologie, les dominicains ont donné des auteurs aussi éminents que saint Thomas d’Aquin (dont le tombeau se trouve à Toulouse) et saint Albert le Grand. Ils ont contribué par ailleurs au développement de l’art religieux avec des peintres prestigieux, en particulier Fra Angelico.

Ils professaient l’idéal de pauvreté et, à la différence des ordres monastiques plus anciens, refusaient même la possession de biens communs. Ils ont été au départ un ordre mendiant, à l’image des franciscains.

Veillant à la pureté de l’enseignement de l’Église catholique romaine, ils ont combattu les dérives doctrinales par le prêche, l’enseignement et l’érudition, et se sont vu confier le contrôle peu glorieux de l’Inquisition tant qu’elle est demeurée une institution ecclésiastique.

Les jésuites se sont adressés de préférence aux milieux aisés et instruits, avec des méthodes qui leur ont valu des qualificatifs dépréciatifs. Le jésuite est devenu dans le langage courant un personnage recourant à des astuces hypocrites, d’après la définition du dictionnaire, confirmée par le sens des mots « jésuitisme » et « jésuitique ».

Très contestés au cours de l’histoire, interdits dans de nombreux pays, en particulier en France sous la royauté (en 1764 Louis XV les expulse) puis sous la Troisième République, les jésuites ont rencontré de sérieux problèmes dans la période récente, mais paradoxalement, souvent en opposition à leur image traditionnelle. A la fin du 20e siècle, un conflit d’autorité les a opposés à Jean Paul II, au début du pontificat. La destitution de Pedro Arrupe, leur « général », en 1981, ou l’admonestation papale au père Ernesto Cardenal, ministre sandiniste (d’extrême gauche) du Nicaragua, en 1983, ont laissé des traces. Plus près de nous, l’assassinat de Mgr Claverie, évêque d’Alger et dominicain, a conféré aux dominicains, aux yeux du public français, le lustre du martyr.

Du point de vue démographique, les frères prêcheurs français (de la province de France, au Nord, et de la province de Toulouse, au Sud) ont accentué leur avantage. En 2013, ils sont 550 contre 400 jésuites, ce qui  ne reflète pas le rapport de force planétaire entre les deux ordres. Au niveau mondial, les jésuites comptent aujourd’hui 18.000 membres dont 13.000 prêtres environ, et les dominicains 6.000 dont 4.500 prêtres.

Les uns et les autres ont leurs revues qui sont, en France: Vie spirituelle, Revue des sciences philosophiques et théologiques pour les dominicains; Études, Christus, Projet pour les jésuites. Les éditions dominicaines du Cerf accueillent, de manière œcuménique, les auteurs des deux ordres.

Le concile de Vatican II a mis en lumière, parmi les théologiens, les dominicains Marie-Dominique Chenu et Yves Congar, et le jésuite Henri de Lubac.

L’habit traduit, dans chaque ordre, une façon différente de gérer la « communication ». On a beaucoup disserté sur la bure que les dominicains aiment arborer dans leur couvent, et même à l’extérieur. Vêtus d’un long manteau muni d’un capuchon noir recouvrant une tunique de laine blanche, ils étaient parfois appelés « frères noirs » dans le monde anglo-saxon. En France, on les nommait « jacobins » par référence à leur couvent parisien situé rue Saint Jacques, jusqu’à la suppression de l’ordre pendant la Révolution. Les jésuites, eux, préfèrent depuis longtemps se fondre dans le paysage.

Les dominicains ont occupé d’importantes fonctions dans l’Église. Quatre papes (Innocent V, Benoît XI, Pie V et Benoît XIII) et plus de soixante cardinaux sont issus de leurs rangs.
En mars 2013 est devenu pape pour la première fois un jésuite, l’argentin Jorge Mario Bergoglio, archevêque de Buenos Aires, nommé cardinal en 2001. Ce chimiste de formation, philosophe et théologien, a été le maître des novices, puis le provincial de la Compagnie en Argentine dans les années 1970. Elu pape, il a pris le nom de François, et affirmé des positions qui font penser que, jésuite d’origine, il a aussi des ambitions franciscaines.

 

 

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

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