Le peintre Charles Walch (1896-1948), exposition à Mulhouse. Par Maryvonne Lemaire

Charles Walch  (1896-1948), un univers poétique et coloré. Exposition au Musée des Beaux-Arts de Mulhouse (juin-septembre 2015). Catalogue édité par l’association « Les amis de Charles Walch ».

Nantaise venue habiter à Strasbourg à l’âge de seize ans, changement que j’ai d’abord pris pour un exil, j’ai été surprise devant les couleurs de mon nouvel univers. Quittant un monde plus austère d’ardoise, de calcaire et de granit, j’ai été presque gênée par la fantaisie des grès rose et jaune, par les tuiles vernissées multicolores, par l’omniprésence des fleurs, et pas seulement le rouge-orange des géraniums. Aujourd’hui au contraire la lumière des couleurs que le peintre Charles Walch, né à Thann, au sud de l’Alsace, a empruntée à ses origines, m’atteint de tout son éclat. La mémoire rayonnant dans ces tableaux de l’enfance accroche ma propre mémoire, à moi qui n’ai pas eu d’enfance alsacienne. Le triomphe de ses bouquets scande, comme une prière familière, la nécessité de l’art et de la joie.

La Fenêtre bleue. 1939. Centre Pompidou, Paris

L’exposition à Mulhouse d’une centaine d’œuvres de Walch, issues en majorité de collections particulières mais provenant aussi de galeries et  de musées à Paris et en province, est organisée par l’association des Amis de Walch et la ville de Mulhouse. Le musée des beaux-arts de cette ville, en dépit de la mode envahissante de « l’art contemporain », n’a pas hésité à préférer l’accrochage d’un peintre moderne maintenant méconnu.

Walch a connu le succès dans la période de l’Entre-deux-guerres et après la Deuxième Guerre Mondiale. Son fameux Coq, peint pour  être l’affiche du Salon d’Automne de la Libération, où une salle entière était réservée à Picasso, a connu une diffusion mondiale. Une centaine de ses œuvres  a été exposée au Musée d’Art Moderne de Paris en 1949-50. Mais depuis les années 70, rares ont été les expositions de ses œuvres. On rappellera toutefois l’exposition de 64 de ses oeuvres au Musée d’Unterlinden, à Colmar, en 1968, « Hommage à Charles Walch » et les belles commémorations autour du centenaire de sa naissance, au musée de Thann.

L’industrie de l’impression sur tissus était encore très florissante dans la région de Mulhouse  au début du XX° siècle. Le jeune Walch, doué en dessin – il suivit les cours du peintre Robert Kammerer -, issu d’un milieu modeste, était destiné tout naturellement, comme un autre peintre d’origine thannoise, Filiger, à l’atelier de dessin industriel. Handicapé par une atrophie de la main droite et par une jambe plus courte que l’autre, il n’a pas participé à la guerre de 1914-1918. Alors qu’il dessinait sur le motif sa ville de Thann sous les bombardements – Thann a été la première ville d’Alsace  à redevenir française dès 1914 -, il a été remarqué par un officier français, qui lui a conseillé de poursuivre des études d’art à Paris. Grâce à une bourse militaire, il a pu entrer à l’Ecole des Arts décoratifs. Par la suite c’est à Paris, dans son atelier de la rue Borromée, que cet homme jovial, qui rencontre Marquet, Bonnard, que Georges Rouault vient voir chaque jour, a consacré sa vie à la peinture. Il est mort devant son chevalet.

Au Musée des Beaux-arts de Mulhouse, les salles du bas sont consacrées aux fusains et aux dessins des années d’Occupation. Couleurs et toiles étaient difficiles à trouver pendant cette période. La grande finesse de certains dessins,  pourtant marqués par la rigueur du Cubisme, étonne (La Table mise). D’autres nous saisissent par la  vigueur du trait (Au bord de l’eau). Les forts contrastes de valeur ont comme un effet de  couleur.

Justement, dans les  sept ou huit salles du haut, c’est  le triomphe de la couleur. Malgré la méfiance du peintre à l’égard des courants en –isme dans la peinture du début du XXe siècle, fauvisme et même expressionnisme se rappellent au visiteur. Walch posait des couleurs sur la toile, dit-on, et ensuite seulement, il donnait une plastique à cette composition chromatique : un visage, un animal, un pot. Même les couleurs sombres, dans la salle consacrée aux tableaux de l’hiver, font ressentir la vivacité du froid (Froid glacial). Les toiles sont de formats très divers. Parmi elles, beaucoup de grandes toiles (dans tous les sens du terme). Ce sont surtout des scènes de genre comme La Fenêtre bleue, La Médisance, La Charrette, l’Innocent, où l’œil se réjouit de la surabondance des motifs et des couleurs.

Comme la différence entre deux types de dessins l’annonçait au rez-de-chaussée du musée, certaines compositions presque cloisonnées à la manière d’un vitrail, gouaches et huiles, forment un univers vigoureusement dessiné, où  le trait cernant les formes est aussi net que la juxtaposition parfois très vive des couleurs. La palette est souvent plus bleue, plus froide (L’Ouvrage. Coupe de cerises et soleil couchant). Tandis que dans d’autres tableaux aux couleurs pures, lumineuses, solaires, la superposition indécise des plans semblerait de l’ordre du rêve, à la manière de Chagall, s’il ne s’agissait pas de réalités familières (Le Bouquet triomphal).

On reconnaît la campagne et les villages des vallées alsaciennes : toits de tuile émergeant çà et là de prés et de vergers, la barrière d’un jardin, une église. C’est un univers de femmes, celui de l’enfance. Les hommes sont absents, sauf l’acrobate du cirque, l’innocent du village, le jardinier peut-être. Les enfants jouent au cheval de bois, au billard, au cerf-volant ; ils font une ronde, fêtent un anniversaire. Des silhouettes féminines passent ; certaines sont assises, absorbées dans leur ouvrage, avec près d’elles les bobines de fil, les ciseaux, des aiguilles. On entrevoit  un couple d’amoureux. Est-on dans le jardin ou dans la maison, dehors ou dedans ? Une fenêtre permet le passage de l’un à l’autre ou plutôt la confusion entre l’un et l’autre. Est-ce la fenêtre de la rêverie et du souvenir ? En tout cas, l’armoire à linge dite « l’armoire à l’ange » car un ange apparaît dans le miroir du meuble est bien plantée dehors, dans le jardin. C’est l’enfance qui donne au souvenir ses couleurs vives.

Dans presque tous les tableaux, un bouquet, plus ou moins somptueux, revient, parfois de façon délibérément incongrue : digitales, dahlias éclatants, cosmos. Ce bouquet de couleurs occupe le premier plan, même dans les scènes d’extérieur, sans souci de vraisemblance. Certains peintres n’aiment pas peindre de bouquets. Exercice trop académique ? Maîtres indépassables ? Les bouquets de Walch sont faits de fleurs du jardin ou de la montagne. Célébrations de la couleur, comme aussi les motifs de broderie, ils sont composés par des femmes. Ils ne cessent de rappeler  que Walch puise dans sa mémoire les ressources de son art : l’inspiration de la plupart des scènes peintes mais aussi le goût obstiné de l’ouvrage, qui devient œuvre d’art.

Maryvonne Lemaire

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