Coronavirus : les distances interpersonnelles, moyen de lutte contre la contagion

La nécessité de garder ses distances pour limiter les risques de contamination entre les personnes dans le cas de l’épidémie actuelle du coronavirus (covid-19) fait penser aux recherches du professeur américain d’anthropologie Edward T. Hall.

Biographie

Edward T. Hall (1914-2009) a enseigné dans divers établissements universitaires des États-Unis, à l’université de Denver, au Bennington College dans le Vermont, à Harvard Business School, à l’Institut de Technologie de l’Illinois, à Northwestern University, etc. Le fondement de la recherche qu’il a poursuivie toute sa vie sur la perception culturelle de l’espace remonte à la Seconde Guerre mondiale pendant laquelle il a servi dans l’armée des Etats-Unis en Europe et aux Philippines. Entre 1933 et 1937, il a vécu et travaillé avec les nations Navajo et Hopi dans les réserves dans le Nord-Ouest de l’Arizona. Il a été diplômé en anthropologie (PhD) de l’université Columbia en 1942 et a continué son travail sur le terrain en Europe, au Proche-Orient et en Asie. Dans les années 1950, il a travaillé pour le département d’Etat des Etats-Unis où il enseignait les techniques de communication interculturelle au personnel du service étranger.

Son concept le plus connu : la « proxémie »

Dans The Silent Language (Le Langage silencieux) publié en 1959, Edward T. Hall introduit le néologisme « polychronique » pour décrire la capacité à assister à de multiples événements simultanément, par opposition à « monochronique » (individu ou culture qui gère les événements séquentiellement, selon un programme ou un horaire à respecter).

Dans son livre de 1966 The hidden dimension (publié en français en 1971 par les Éditions du Seuil) sous le titre La Dimension cachée, il décrit la dimension subjective qui entoure quelqu’un et la distance physique à laquelle les individus se tiennent les uns par rapport aux autres selon des règles culturelles subtiles. Selon lui, quatre distances principales s’établissent entre les individus : l’intime, la personnelle, la sociale et la publique. Cette notion a été reprise notamment par l’universitaire français Abraham Moles pour qui la personnalité humaine est formée de zones concentriques

Diversité de la distanciation physique interpersonnelle en Europe

L’expression anglaise : « tenir quelqu’un à la longueur du bras » (at arm’s length » peut offrir une définition du mode lointain de la distance personnelle. Cette distance est comprise entre le point qui est juste au-delà de la distance de contact facile et le point où les doigts se touchent quand deux individus étendent simultanément leurs bras. Il s’agit en somme de la limite de l’emprise physique sur autrui. » (La dimension cachée, chapitre I0 intitulé « Les distances chez l’homme »). Edward T. Hall montre que les Européens respectent des distances physiques interpersonnelles plus proches en Europe du sud qu’en Europe du nord. Le principe at arm’s length auquel les Anglais et les Américains se réfèrent fréquemment est invoqué non seulement au sens propre mais aussi au sens figuré dans les cas où les participants à une transaction doivent être indépendants et placés sur un pied d’égalité. Il est un élément-clé de la fiscalité internationale en tant que critère pour la juste répartition des profits à taxer entre les États concernés dans le cas d’un groupe international. Dans ce cas, les États concernés, du moins ceux qui appartiennent à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), sont en général d’accord pour considérer que les prix pratiqués entre les entreprises d’un tel groupe doivent correspondre à ceux qui sont constatés entre entreprises indépendantes. Le principe at arm’s length  peut aussi être invoqué entre enfants et parents, par exemple lorsque ceux-ci souhaiteraient vendre leur bien à un prix inférieur à celui du marché, alors qu’une telle transaction risquerait ensuite d’être considérée comme un don par l’administration ou le juge, avec les conséquences qui pourraient en découler.

Edward T. Hall a étudié les distances physiques interpersonnelles pratiquées dans d’autres pays, en les comparant en particulier à celles que l’on observe en Europe du sud. « Les Français du Sud-Est, écrit-il, appartiennent en général au complexe culturel méditerranéen. Les membres de ce groupe s’agglutinent plus volontiers que les Européens du Nord, les Anglais ou les Américains. Le rapport des Méditerranéens avec l’espace se révèle dans dans leurs train bondés, leurs autobus, leurs cafés, leurs autos et leurs demeures » (La dimension cachée, chapitre 11 intitulé : « Proxémie comparée des cultures allemande, anglaise, française »).

Leçons applicables dans le cas de l’épidémie de coronavirus ?

Les « distances barrières » interpersonnelles préconisées pour lutter contre la contagion du coronavirus covid-19 sont d’un mètre au moins pour l’OMS et les autorités sanitaires en France, d’un  mètre et demi en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas ; de 2 mètres en Espagne, en Italie, au Royaume-Uni (comme aux Etats-Unis et au Japon) : voir checkNews de Libération (18 avril 2020). Aux Pays-Bas le premier ministre a déclaré : « Nous entrons dans la société du mètre et demi »  (voir dans le journal Le Monde l’article intitulé  » Mark Rutte prône la prudence avant  de déconfiner les Pays-Bas », daté du 23 avril 2020)
On peut penser que les distances sont plus faciles à respecter dans les pays européens du nord que dans ceux du sud, où la tendance spontanée à l’agglutination de la population est plus forte.
Mais il faut prendre également en compte, comme facteur négatif en cas d’épidémie, la densité de la population, très forte dans les Etats du Benelux (Belgique, Pays -Bas, Luxembourg) et dans les mégapoles que sont Londres et Paris notamment, où les risques de contagion sont aggravés par le réseau serré et la promiscuité des transports en commun.
Cela dit, le respect des distances n’est que l’une des mesures efficaces contre l’épidémie. En attendant les médicaments, sérum et vaccin, un autre facteur est le degré d’acceptation des contraintes (distance et confinement), c’est-à-dire le degré de renonciation à la liberté individuelle, renonciation difficile à obtenir dans les pays démocratiques, n’en déplaise à certains, journalistes, politiciens et médecins, qui ont parfois tendance à s’exprimer en « docteurs Folamour » pour lesquels la santé devrait primer de manière inconditionnelle sur la liberté.

Dominique Thiébaut Lemaire

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