Images de la prostitution (1850-1910) : exposition au Musée d’Orsay. Par Annie Birga

Splendeurs et misères. Images de la prostitution (1850-1910)

 

Le Musée d’Orsay offre, avec la liberté qui caractérise ses choix, une exposition riche en merveilleux tableaux et œuvres graphiques sur ce thème de la prostitution jamais abordé auparavant d’une manière aussi exhaustive.

Certains peintres académiques, comme Gérôme ou Thomas  Couture,  l’un dans le tableau « Phryné devant l’Aréopage », l’autre dans « Les Romains de la décadence », recourent encore aux images pseudo historiques de la prostituée et de l’orgie. Mais, en 1863, Baudelaire dans l’essai « Le Peintre de la vie moderne » fait l’éloge de Constantin Guys, simple illustrateur qui a osé aborder ce que, faisant le compte-rendu du Salon de 1846, il appelait de ses vœux, la représentation du présent, « la saveur amère ou capiteuse du vin de la Vie »

La femme qui travaille n’est plus cantonnée dans sa maison ; il arrive que de jeunes lorettes  cèdent à l’appât de l’argent. L’ambiguïté des attitudes ne permet pas toujours de discerner le vrai du faux. Quelques toiles rendent bien compte de cette hésitation : de Béraud, que ce soit « L’Attente » ou « La Proposition », de Boldini « En traversant la rue », de Valtat « Sur le boulevard (La Parisienne) ». Béraud, précis dont la rue vide prend une dimension quasi métaphysique, Boldini, post macchiaolo, Valtat fauve avant la lettre, et toujours la femme ou la jeune fille  (lorette ?) au cœur de ces tableaux .

Paris est la toile de fond qui sert d’abri ou de cadre au grand commerce de la prostitution. Les peintres rendent la violence de la lumière électrique, les lampions des jardins, l’éclairage des boulevards, les intérieurs des cafés et des brasseries, les théâtres. On citera encore Baudelaire : « Sur ces fonds  magiques, imitant directement les feux de la rampe, s’élève l’image variée de la beauté interlope ».

La salle centrale de l’exposition, où se remarque particulièrement la mise en scène raffinée de Robert Carsen – qui avait si bien travaillé sur le thème de « l’Impressionnisme et la Mode » – est dédiée aux courtisanes, demi-mondaines aux noms célèbres qui ont triomphé, de la Cour du Second Empire à la haute société de la Troisième République. Sculptures de nus voluptueux, « Femme piquée par un serpent »  de Clésinger,  et « La Danseuse » de Falguière, plâtre moulé sur nature (il s’agit de Cléo de Mérode, étoile du Ballet de l’Opéra). Portraits de celles qu’on appelle « les grandes horizontales » : en pied, très élégante dans une robe à volants, « Madame Valtesse de la Bigne » par Gervex ; la comédienne Julia Tahl, aguichante sur un sofa, rebaptisée « Mademoiselle Alice de Lancey » par Carolus-Duran. Un nu de Paul Baudry, « La Perle et la Vague », acheté par l’Impératrice Eugénie en 1863, tandis que, deux ans après, l’Olympia de Manet est refusée au Salon pour immoralité. Serait-ce une prolétaire, elle regarde avec aplomb. Gervex connaît le même refus avec son  « Rolla », pourtant moral si l’on s’en réfère au texte de Musset… Et si bien peint dans ses blancs !  En face du lit du tableau de Gervex, trône un lit, un vrai, sculpté, qui aurait appartenu à la Païva (surnommée le « Passage des Princes »). Petit coup d’œil humoristique dont l’exposition ne manque pas. Le visiteur peut aussi se faire un peu voyeur et regarder les photos osées de l’époque qui circulaient sous le manteau et dont les modèles étaient des prostituées. Quant aux extraits de films, ils sont lestes et comiques.

Les maisons closes n’ont pas de ces splendeurs ni de ces sourires. En littérature le naturalisme de Zola et de Maupassant  montre bien la triste réalité de la vie des filles. Toulouse-Lautrec  a vécu avec elles, il les dessine, il les peint avec sympathie dans leur vie quotidienne, se lavant, se peignant, s’ennuyant, parfois s’aimant. Stupéfiant dessinateur, resté graphique dans sa peinture aux couleurs audacieuses et créateur de compositions hors pair. Quant à Degas, il réalisa une série de monotypes (dessins imprimés), intitulée « Au bordel », que l’emploi du noir et blanc simplifie et renforce à la fois. Il donne aussi de la prostitution une image vraie et  cruelle, celle de vieux messieurs libidineux entourant les jeunes danseuses  au Foyer de l’Opéra.

Ce regard négatif où entre la critique sociale se retrouve chez des lithographes et dessinateurs comme Steinlen et Forain. Prison, hôpital avec le fléau de la syphilis, alcoolisme, déchéance. Van Gogh qui, à La Haye, avait vécu avec une prostituée, prend pour modèle une « pierreuse « (se dit des filles qui arpentent le pavé) et rend bien la tristesse d’un regard douloureux, et le corps dans sa  laideur directe. Il donne deux de ces tableaux à Emile Bernard que ce thème intéresse et qui peint un étrange et fascinant  « Au bordel »

En cette fin de siècle se multiplient les allégories moralisantes comme «  le Char de la Courtisane » de Thomas Couture.  La prostituée dans les dessins symbolistes de Félicien Rops est dangereuse, dominatrice, à double visage.

Le vingtième siècle naissant (l’exposition chronologiquement présentée se clôt en 1910) poursuit le thème, le traitant parfois sur le mode de la mélancolie, comme Picasso dans sa période bleue, une couleur qui s’accorde avec ce sentiment, tantôt et le plus souvent sur le mode de la violence, dénonçant ainsi le côté noir de la prostitution. Femmes vieillies, outrageusement fardées, mal attifées, cernées de traits noirs. En fait on est dans le fauvisme et dans l’expressionnisme, chez Derain, Vlaminck, Kupka, Van Dongen.

Une « Etude pour les Demoiselles d’Avignon » est datée  de 1907. Mais là on entre dans une autre histoire de la peinture.

Annie Birga

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