Misia, reine de Paris, muse et mécène à la Belle Epoque. Auteur: Annie Birga

MISIA, REINE DE PARIS
Musée d’Orsay, exposition du 12 juin au 9 septembre 2012

Par cet été 2012 pluvieux, un plaisir délicat a été de découvrir, après les salles des Impressionnistes, si bien mis en valeur par le nouvel Orsay dans un espace intime du 5ème étage du Musée, une exposition  biographique et pluridisciplinaire mettant en scène une personnalité hors du commun. Non pas créatrice, mais muse et mécène

 Misia Godebska, issue d’une famille d’artistes (père sculpteur, oncle maternel violoncelliste virtuose), très douée pour le piano, a pour professeur Gabriel Fauré, dont elle n’oubliera pas les leçons. Mais, adieu carrière: elle se marie à  21 ans. La voici épouse du directeur de la Revue blanche, Thadée Natanson, son cousin par alliance. Dans le salon aux trois lampes de la rue Saint-Florentin, représenté par Vuillard, Bonnard et Valloton, Misia, si elle ne rêve ni ne lit, joue du piano. Vuillard écoute, les yeux clos: il faut dire qu’il est amoureux. Mais le meilleur auditeur – « il savait écouter comme personne » – c’est Mallarmé. Le hasard a voulu que le père de Misia ait acheté une maison à Valvins, limitrophe de la demeure du poète (qui collabore à la Revue blanche). Mallarmé dédicace un éventail  agrémenté d’un quatrain à la pianiste et amie; on peut le voir dans l’exposition. Les peintres, nabis, Vuillard, Bonnard, Valloton, s’empressent autour de la Revue, rejoints par Toulouse-Lautrec et Renoir. Les soirées à Paris ou dans les maisons de campagne se déroulent dans une atmosphère de bohême libre et gaie. Les photographies de Vuillard qui les multiplie, se constituant comme un « archipel » de souvenirs, ou celles du frère de Thadée, Alfred Athis, en témoignent.  Quand la Revue blanche sort des affiches, c’est Misia que Bonnard prend pour modèle, tout comme Toulouse-Lautrec. A leur habitude les Nabis, qui privilégient les petits formats, multiplient les pochades où se répéte l’image de la jeune femme: Valloton la montre à sa coiffeuse, à son bureau, avec ses coloris francs et son trait vigoureux, Bonnard, au piano ou de profil, Vuillard dans des intérieurs intimes et étranges aux  entrelacs subtils.  Nous ne saurons pas ce que pense l’égérie. Colette  lui dira bien plus tard : « Il n’y a guère qu’au piano que tu te racontes »

La Revue blanche est une entreprise de grande hardiesse et de grande liberté, puisqu’elle convie les plus inspirés et créatifs manieurs d’idées et de formes. Mais les difficultés financières s’accumulent. Et avec elles c’est la dissolution du couple Thadée-Misia. Déjà en 1897 Valloton reprend leurs traits pour raconter une histoire de rupture, où l’argent joue le rôle déterminant, dans une série de  magnifiques xylographies, révolutionnant l’art de la gravure, intitulée « Intimité ». En 1902 un tableau de Bonnard montre Thadée assis, lointain, occupé par son chien, et une Misia, altière, debout, au seuil d’une porte ouverte. Evoque-t-elle le personnage de Nora de Une Maison de poupée d’Ibsen, qu’elle a vu interpréter par la troupe de Lugné-Poë en Norvège devant  le dramaturge ?

Misia et Thadée divorcent en  1904. La Revue blanche a cessé de paraître. La petite nièce des Natanson raconte: « Dans notre maison, à travers la conversation des grandes personnes, un linceul semblait s’étendre sur cette princesse vêtue de neige, évanouie, dont le nom revenait souvent: La Revue blanche ».

Un riche financier est intervenu dans le couple. Misia l’épouse. Mais Alfred Edwards la quitte pour une demi-mondaine, deux ans après leur mariage. Le temps d’habiter Quai Voltaire et de passer commande à Bonnard de tableaux décoratifs. L’exposition montre « Jeux d’eau », d’une belle liberté, rébus fantaisiste, souvenir de tableau (Rubens) et de croisière avec le nouveau couple sur un yacht dédié à Misia. Bonnard en a croqué des vues de ponton et de vie maritime. Ravel faisait partie de la croisière et il dédicace « Le Cygne » à Misia (toujours muse). Elle est cependant devenue plus « dame », un peu épaissie. Renoir, en 1904, en fait une femme de Renoir, plantureuse, au lourd chignon, et Bonnard, en 1907, la représente, « Misia allongée sur un divan », odalisque en robe rouge sur divan rouge.

 Croqueuse d’hommes, Misia noue une liaison avec un peintre catalan José Maria Sert, très en vogue (elle l’épousera  en 1920, avant qu’il ne l’abandonne, et c’est à nouveau un divorce, en 1927). Sert lui fait connaître l’impresario des Ballets russes, Serge Diaghilev. Misia, qui reste une musicienne sensible et vibratoire, assiste à la première de « Boris Godounov » de Moussorgski. La voilà passionnée par la musique russe et par les Ballets russes. Désormais, et jusqu’à la mort de Diaghilev, elle mécénatise, conseille, oriente même. L’exposition montre un bronze de Rodin, saisissant magistralement le mouvement de Nijinski; une affiche pour  « Le Spectre de la Rose » de Cocteau; des photographies de ballet par Adolphe de Meyer. En 1917 a lieu la création  de « Parade », musique d’Erik Satie et costumes de Picasso  qui sont montrés ici, fantaisistes et inventifs.  Quelques grands portraits de Jacques-Emile Blanche  évoquent deux dandies, Cocteau dans un jardin normand, et Stravinski sur une plage, cannes, pantalons blancs, et monocle pour le musicien. Et Gide, et Proust jeune, qui, tous deux, ont approché Misia, deux beaux portraits introspectifs d’un peintre qu’on catalogue trop vite comme « mondain ». Avec une certaine malice, l’amie de Misia, Gabrielle  Chanel, la surnomma « Madame Verdurinska ». Il semble bien que Proust l’ait dépeinte comme Princesse Yourbeletieff (sorte de double de Madame Verdurin). Marraine des Ballets russes, Misia met à contribution ses proches. Sert fait des décors et des costumes, Chanel, lancée par Misia, mécénatise et crée des costumes elle aussi. De Marie Laurencin on voit un projet de rideau pour « Les Biches ». Misia, fidèle en amitié, accompagnera Diaghilev qui meurt à Venise, jusqu’au cimetière de San Michele en 1929.

L’exposition se termine par une photographie, dans cette même Venise, d’une Misia  vieillie et solitaire devant un Veronese qu’elle ne peut voir qu’à peine à cause de ses problèmes oculaires.  Elle meurt en 1950 et c’est son amie Gabrielle Chanel qui fait sa toilette mortuaire.

Un petit film  la montre, en compagnie de Colette et de la femme qui lui a succédé auprès de Sert, en train de jouer avec un singe habillé. Et  une courte pellicule fait voir  ensuite Vuillard, dans son atelier, le visage grave.

Beaucoup d’images et d’impressions, certaines contradictoires , à regarder vivre celle que les journalistes appelèrent « Reine de Paris ». Nous ne choisirons ni la « panthère sanguinaire » d’Eugène Morand (le père de Paul), ni la « bonne et gentille femme » d’une lettre de Vuillard à Valloton. Mais si nous disions les deux ?

Annie Birga

 

 

 

 

 

 

 

 

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