Etrusques. Un hymne à la vie. Par Maryvonne Lemaire

Etrusques.Un hymne à la vie. Musée Maillol (18 septembre 2013- 9 février 2014)

Comme on l’a déjà lu sur Libres Feuillets pour la Macédoine, les fouilles archéologiques menées dans le monde antique exhument encore de nos jours de nouveaux vestiges. Grâce à ces découvertes, l’exposition  « Etrusques, un hymne à la vie », au musée Maillol, renouvelle notre intérêt, nos questions sur ce qui fut la première civilisation à se développer en Italie.

Les rites funéraires

Rappelons une évidence : même si ce ne sont pas les seules sources archéologiques,  les rites funéraires, que ce soit l’incinération de l’époque villanovienne ou l’inhumation des époques suivantes, ont permis la survie de cette civilisation. Grâce aux richesses retrouvées, nous pouvons déambuler à travers dix siècles de civilisation étrusque, du X° siècle avant Jésus-Christ jusqu’à notre ère,  dans les trois grands foyers que sont  d’abord la région située entre l’Arno, le Tibre et la mer Tyrrhénienne, ensuite la vallée du Pô, enfin la région de Pompéi et Capoue.

L’incinération pratiquée pendant l’époque villanovienne (IX°- VIII°S) nous vaut des témoignages remarquables sur l’architecture grâce aux fameuses urnes-cabanes  en forme de cabanes  ou de temples, qui servaient d’abris aux urnes cinéraires. Les urnes étaient elles-mêmes des jarres à couvercle en têtes d’hommes comme les canopes égyptiens. Ces cabanes ont un style dépouillé, presque moderne. Les antéfixes des temples sont ornés des fameuses figures « apotropaïques » : têtes aplaties de gorgones tirant la langue ou simplement figures d’ancêtres au chapeau pointu, à la longue robe. La  villa romaine  est déjà présente, avec son atrium et les pièces disposées tout autour.

Dans les multiples tombes,  hypogées en forme de melons, on a retrouvé une richesse incroyable de fresques, comme celles de la tombe du Navire reconstituée dans l’exposition ou celles présentées en animation à l’entrée du musée. Nous imaginons la vie quotidienne, les fêtes, les croyances d’un peuple qui a connu la prospérité, la joie de vivre dans la danse et  la musique. Les bijoux en or aux techniques raffinées : repoussé, filigrane, granulation, en témoignent ainsi que  les armes, le matériel de divination, les statuettes. Chapeau pointu, longues nattes  et grosses sandales donnent à cette figurine de chef un petit air de bande dessinée. Une autre nous  rappelle que Giacometti a puisé son inspiration dans l’art étrusque. Les têtes votives en terre cuite modelée, comme la tête de Malavolta, nous touchent par une sorte de modernité, un réalisme apaisé.

L’importance de la mer

Pour l’historien grec Hérodote, la moitié du peuple lydien à la suite d’une famine avait débarqué sous la conduite de Tyrrhenios sur les côtes de  la mer appelée depuis tyrrhénienne, de même que, plus tard, le Troyen Enée et son fils Ascagne débarquèrent  dans le Latium, plus au sud, pour fonder Rome. Telle aurait été l’origine du peuple étrusque (Tyrrhenoi pour les Grecs, Tusci pour les Romains).

Même si  la légende d’Hérodote est fausse, même si les Etrusques furent un peuple autochtone et non oriental, elle met  l’accent sur ce qui permit l’épanouissement de cette civilisation : la mer. La mer permit le commerce des richesses naturelles : le fer, le sel, le vin, l’huile. C’est elle qui permit l’enrichissement des princes d’abord, de la classe moyenne ensuite durant les deux siècles qui furent les siècles d’or de cette civilisation : le VII° et le VI°, juste avant le grand siècle grec.  Le cabotage près des côtes et le commerce lointain avec les régions d’orient, de Grèce et d’Afrique du nord ont multiplié les échanges culturels et artistiques. C’est ainsi que les amphores érotiques présentées dans l’une des vitrines sont des amphores grecques, non étrusques. Mais ce sont les Etrusques qui ont apporté le vin en Gaule, en Provence et dans le Languedoc. Comme on le voit sur certains objets où figure l’inscription : « j’appartiens à Untel », comme on le voit sur les tablettes, la langue utilisée n’est pas indo-européenne mais la graphie adoptée est celle du grec, à la différence près que le C remplace le gamma. A leur tour, les Romains adopteront cet alphabet issu du grec, avec la modification étrusque : A, B, C. Le grand nombre de noms propres dans ces inscriptions nous rappelle que les Etrusques avaient en usage le « nom de famille », le gentilice, et à la différence des Romains, au lieu de porter le nom du père ou du mari, Tullia épouse de Tullius, les femmes avaient leur propre prénom : par exemple Tanaquil (femme de Tarquin l’Ancien).

Rome et les Etrusques

La légende d’Hérodote présente aussi l’avantage d’introduire un parallélisme entre la civilisation étrusque et Rome. Les Etrusques ont précédé, et de loin, la naissance de Rome en – 753. Ils se sont organisés en cités fortement tenues par la présence d’un  chef, par la distribution des rôles de l’homme et de la femme, par les liens religieux, politiques et culturels. Les cités elles-mêmes: Vulci, Cerveteri, Véies, Tarquinia, Vetulonia, Chiusi, Pérouse, Volterra, Arezzo, Cortone, Fiesole, Orvieto, se sont unies entre elles en  dodécapole.

Tarquin L’Ancien et l’ambitieuse Tanaquil  sont venus d’Etrurie jusqu’à Rome pour y tenter leur chance ; ils ont fait de la ville naissante de Rome une ville étrusque, jusqu’au moment où Tarquin le Superbe et avec lui la royauté furent chassés de Rome après  le viol par Tarquin de la Romaine Lucrèce (- 509). Rome garde de ses origines étrusques mille particularités dont nous avons des témoignages ou des échos  dans l’exposition : la louve de Romulus et Rémus, le rite de fondation des villes, les jeux funèbres et les banquets d’adieu, les jeux athlétiques et théâtraux. Ajoutons encore la bulle des enfants, la toge pourpre, les faisceaux des licteurs, les chaises curules, les brodequins, le bonnet haut de prêtres, la divination par les entrailles d’animaux, en particulier le foie.
De – 396 à – 264, Rome fit tomber l’une après l’autre les cités de la dodécapole, unie alors  par la seule religion, avant de donner le droit de cité aux Etrusques qui constituèrent la septième région de l’Italie. Mécène et Virgile, l’homme de Mantoue, tous deux d’origine étrusque, témoignent par leur fierté d’être étrusques que la colonisation romaine fut d’une certaine façon une colonisation apaisée.

C’est à Florence, dans la cour des Médicis, au moment de la Renaissance italienne, troisième époque de la splendeur italienne (après celle des Etrusques et celle d’Auguste, comme on l’a dit du temps de l’Unité Italienne) que renaît l’intérêt pour la civilisation étrusque car elle donne à Florence contre Rome la légitimité et le prestige de «premier occupant ».
Ainsi vont les civilisations, mortelles sans doute, continuant cependant à féconder les esprits.

Les femmes étrusques

Les Grecs ne voyaient pas d’un bon oeil les talents de navigateurs des Etrusques  mais ils se scandalisaient plus encore de l’importance accordée aux femmes ainsi que de leur liberté : assister aux banquets, participer aux jeux. On le voit sur les fresques de l’animation proposée à l’entrée de l’exposition, qui ne sont pas sans évoquer la grâce des peintures crétoises. Le sarcophage des époux témoigne même d’une tendresse que l’on a déjà vue dans la Grèce homérique avec Alkinoos et Arêtê chez les Phéaciens ; Hector et Andromaque à Troie.
La femme étrusque est même ambitieuse et indépendante : Tanaquil aurait poussé Tarquin à se faire une place à Rome. L’épisode du viol de Lucrèce renvoie à une opposition avec la femme romaine : pendant que les princes étrusques faisaient la guerre, ils eurent l’idée d’aller épier leurs femmes qu’ils trouvèrent au milieu de jeux et de fêtes. La  seule qui filait était la Romaine Lucrèce au milieu de ses servantes. Cela lui valut la violence du roi Tarquin le Superbe avec pour conséquences la révolte contre la royauté et l’avènement de la République romaine. C’est donc à un portrait de la femme étrusque encore mystérieux que nous introduit l’exposition.

Rares sont en France les expositions sur les Etrusques, même si en 2014 nous sommes comblés, avec une seconde exposition du Louvre-Lens consacrée à Cerveteri. Les Etrusques nous ont apporté le C, le vin, le nom de famille, comme aime le rappeler Jean-Paul Thuillier. On peut ajouter que leurs femmes ont poussé leur indépendance  au point d’avoir un prénom et de provoquer indirectement un changement de régime à Rome.

Pour une introduction à la civilisation étrusque, lisez  Les Etrusques : la fin d’un mystère de Jean-Paul Thuillier dans la collection Découvertes Gallimard.

Maryvonne Lemaire

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