Billet : colère et douceur (II)

Les casseurs de la rue grâce à de bons collyres
S’avancent dans les gaz prolongent leur chienlit
Les maîtres des bureaux parcourent les couloirs
Pour mettre sous tension pour imposer leur loi

C’est un monde agressif où le peuple est colère
Je l’aimerais plus beau sans ire ni pamphlets
Le  tableau n’est pas lisse on y voit des coulures
Ce n’est pas du courroux que viendra le salut

Le libretto réglant nos ballets indécis
Où les esprits chauffés sont de piètres danseurs
A des angles trop vifs manquant d’arrondissure

Chacun dans son chemin qui monte ou qui descend
Croit sur son dos porter le chiffre d’un dossard
Mais bien des concurrents voudraient de la douceur

 

Thomas d’Aquin, à la suite d’Aristote, considère que « toutes les causes de la colère se ramènent au mépris […] On se trouve moins lésé quand le dommage subi a une autre cause que le mépris » (Somme théologique, question 47, 2). Cette considération éclaire notre actualité coincée entre la colère des dirigés et le mépris vertical exprimé contre eux par certains dirigeants. Thomas d’Aquin se réfère aussi à l’Éthique à Nicomaque d’Aristote pour appeler « vifs ceux qui s’emportent soudain, amers ceux qui gardent longtemps leur colère, implacables ceux que seule la vengeance peut apaiser » (Somme théologique, question 46, 8). Descartes, quant à lui, distingue deux espèces de colère, l’une, plus extérieure et plus prompte, qui fait rougir, et l’autre, plus intérieure et plus durable, donc plus dangereuse, qui fait pâlir, dont la force est augmentée peu à peu par le désir de se venger. Cette seconde espèce de colère est en particulier celle des orgueilleux, « car les injures paraissent d’autant plus grandes que l’orgueil fait qu’on s’estime davantage » (Descartes, Les Passions de l’âme, article 202). Il faut traverser la colère pour accéder à la douceur, de même qu’il faut avoir peur pour être vraiment courageux, et connaître le pouvoir de mentir pour donner tout son sens à la sincérité. Ce sont des paradoxes de la vertu, mis en évidence par Jankélévitch dans son Traité des vertus, I, Le sérieux de l’intention, mais aussi, bien avant lui, par La Rochefoucauld : « Nul ne mérite d’être loué de bonté, s’il n’a pas la force d’être méchant », et : « Il n’y a que les personnes qui ont de la fermeté qui puissent avoir une véritable douceur » (maximes 237 et 479).

Dominique Thiébaut Lemaire

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