PASSIONS PREMIERES, troisième recueil poétique de Dominique Thiébaut Lemaire

En couverture de ce recueil publié en juillet 2013, une gravure de Sergio Birga représente la tristesse et la joie :

Voir aussi (et écouter), en complément du présent article :
–  les articles de Libres Feuillets du 15 octobre 2012 (Mises en chansons de poèmes de Dominique Thiébaut Lemaire), et du 29 octobre 2012 (Passions premières, poèmes de Dominique Thiébaut Lemaire: vidéo de la soirée de présentation), ainsi que
–  youtube: Dominique Thiébaut Lemaire.

Passions premières (2012) évoque en 121 poèmes ce que les philosophes du XVIIe siècle ont appelé les passions primitives ou fondamentales dont toutes les autres sont composées, c’est-à-dire la joie, la tristesse et le désir, auxquelles on peut ajouter, plus explicitement, l’amour du côté de la joie, et son contraire du côté de la tristesse, mais aussi l’admiration, suivant Les Passions de l’âme de Descartes, admiration qui transparaît dans ce recueil, à l’égard de la grande et belle poésie française du Moyen-Age à nos jours.

Passions premières se subdivise en six thèmes se répondant les uns aux autres: Ecrire, France, Tristesse, Fables et adages, Femmes, Saisons, qui s’ouvrent chacun par un dessin de Sergio Birga.
Ces dessins illustrent des poèmes dont certains peuvent également se trouver dans d’autres parties du recueil.

« Ecrire »

:

 

 

 

 

 

Passions premières, 1.3:

Entends les mots prête l’oreille
Ils sont consonne ils sont voyelle
Où le poète aussi voyait
De la couleur synesthésie
Plaisir de sens et de musique
En vibrations de fond lointain
Sonorités du plus beau timbre

Au gré du rythme et des phonèmes
Dont tu ne sais où ils te mènent
Ecoute naître en ton esprit
Des airs de ronde et de sonnet
Par la syllabe et la métrique
A pas comptés l’écho d’un chant
Qui passe un mur d’orchestre en chambre

Accueille en toi comme leçon
Venue des mots d’abord le son
Tout en aimant mais sans désastre
Aller chercher le clair des astres
En tête garde issu du nombre
Un art moins haut plus près d’une ombre

« France »

 

 

 

 

 

 

 

Passions premières, 2.1

Contrée de pomme où l’on cueille l’espoir
Entre la terre et le champ des étoiles
Entre les flots de l’océan brestois
La mer du sud et les sommets repères
D’une blancheur qu’on espère éternelle
On y tient tant que l’on cherche pourquoi

Pays mondial qui garde étrange empire
Partout sur terre une myriade d’îles
Que tant d’espace et tant de fonds côtoient
Sa métropole aéroports et ports
A mi-parcours entre équateur et pôle
On y tient tant que l’on cherche pourquoi

Peuple d’idées plus nettes qu’une épure
Mais que le temps complique de scrupules
Inventeur d’art de savoir et de lois
Voulant unir la justice et sans peur
La liberté qui ne marche pas seule
On y tient tant que l’on cherche pourquoi

L’humanité de sept milliards de voix
Voterait-elle afin que ce séjour
De France enfin se fonde dans la foule
On y tient tant qu’on ne voit pas pourquoi

Passions premières, 2.12

De vieux tankers et des chimiquiers baltes
Et des vraquiers qu’on enregistre à Malte
En mer passant comme en un lieu d’aisance
Dans leur sillage allongent les dégâts
D’un fioul qui traîne en nappe en agrégats
Sous pavillon de grande complaisance

Plusieurs s’échouent sur le rivage celte
En s’y vautrant ventrus sans rien de svelte
Si différents des bateaux de plaisance
Et bien plus lourds que lorsqu’ils divaguaient
Dans la tempête où ils fuyaient le guet
Sous pavillon de grande complaisance

Leurs noirs déchets vont servir de récolte
Aux gens d’Armor entre peine et révolte
A chaque fois stupéfaits des nuisances
Fuitant sans fin des soutes des cargos
Qu’on ne veut pas frapper d’un embargo
Sous pavillon de grande complaisance

Dans la marée ses vagues son tumulte
Un coeur de tôle -un ferrailleur l’ausculte-
A l’air de battre avec insuffisance
Environné de cris de mouette aigus
Le bateau meurt comme une orque ambiguë
Sous pavillon de grande complaisance

« Tristesse »

Un poème (6.19) de la partie « Saisons », écrit en contrepoint d’un célèbre rondeau de Charles d’Orléans sur le printemps, peut être cité à propos de ce dessin placé en tête de la partie « Tristesse »:

L’Hiver a vêtu son manteau
De nuit de froidure et de neige
Sous les flocons que vent allège
Il sort des glaces d’un château

Il marche seul murmure où vais-je
Dessous sa barbe de cristaux
L’Hiver a vêtu son manteau
De nuit de froidure et de neige

C’est un géant qui sans cortège
Tandis qu’Orion cherche au plus tôt
L’or des soleils orientaux
Médite lui des sortilèges
De nuit de froidure et de neige

« Fables et adages »

Les fables et adages, qui mettent souvent en scène les passions premières, cherchent à les dépasser par une sagesse que l’on croit élémentaire, mais qui donne souvent à réfléchir.

Le rondeau 4.3 de Passions premières met en relation et en scène, dans le gris de l’obscurité où se confondent la présence et l’absence, trois proverbes au sujet d’un animal qui n’est pas aussi familier qu’on l’imagine: « la nuit tous les chats sont gris » (mais Birga a bien vu leurs yeux!); « quand le chat n’est pas là, les souris dansent »; « à bon chat bon rat ».

Tous les chats dans la nuit sont gris
Sont-ils ailleurs les souris dansent
Confiantes dans leur providence
En oubliant le mistigri

Elles font du charivari
Scandant ce refrain redondance
Tous les chats dans la nuit sont gris
Sont-ils ailleurs les souris dansent

Reprennent l’air et en cadence
« A bon chat bon rat » chantent rient
Mais dans l’obscurité plus dense
On ne compte plus leurs absences
Tous les chats dans la nuit sont gris

Passions premières, 4.5

A la baleine et au dauphin
On fixe à présent des balises
A l’albacore et au requin
C’est ainsi qu’on les civilise

Tout en leur parlant franciscain
Pour leur montrer qu’on sympathise
A la baleine et au dauphin
On fixe à présent des balises

C’est pour leur bien qu’on les incise
Qu’on les perce au vilebrequin
Puis comme chasse est mieux que prise
On fait repartir à leur guise
Et la baleine et le dauphin

« Femmes »

 

 

 

 

 

 

Passions premières, 5.2

Les rayons de ses roues l’argentent
En liberté dans le trafic
Portée par l’air des pneumatiques
Inoxydable sur ses jantes

C’est la cycliste voltigeante
Sur un vélo chorégraphique
En liberté dans le trafic
Les rayons de ses roues l’argentent

En esquivant par la tangente
Les conducteurs somnambuliques
Ou dont la course est trop urgente
Equilibriste elle est confiante
En liberté dans le trafic

Passions premières, 5.9

Libre esprit de la genèse au-dessus des eaux
Je flottais planais dans l’apesanteur des dieux
Jubilation d’exister comme glissement
Dans la luminosité des violents cristaux
Mouvants sur la mer ce magma de fusion bleue
Rappelé à l’ordre obstinément par le vent

L’ondoiement formait le diapason de mon corps
Son rythme réglait l’équilibre impondérable
Allégeant mon poids sur la planche à fuselage
De plastique blanc pieds couplés dans un accord
Avec mes mains et la voile aile défroissable
Et qui s’emplit s’amplifie griserie volage

La durée flottait pareillement suspendue
Dans l’exaltation l’exultation dans l’éther
Où m’étourdissait une brève éternité
Puis l’apparition d’une planchiste aux seins nus
Me fit ressentir la friction de l’atmosphère
Et la pesanteur d’un plongeon précipité

« Saisons »

Le dessin de la partie « Saisons » représente la « pierre de Merlin » dans la forêt de Brocéliande, dont parle par ailleurs un rondeau de la partie « France » (2.8).

Passions premières, 2.8

Dans la forêt de Brocéliande
En route vers le Finistère
On voit des ajoncs des bruyères
A la lisière de la lande

Où le gui s’accroche en guirlande
A de grands chênes centenaires
Dans la forêt de Brocéliande
En route vers le Finistère

Ceux qui passent peut-être entendent
La fée chanter une légende
A l’enchanteur d’Apollinaire
Qu’elle a bloqué sous une pierre
Dans la forêt de Brocéliande

Les commentaires sont fermés.