Ukraine mi-août 2024

La  Russie par la voix de son porte-parole
Forte de sa richesse en gaz et en pétrole
Serait plus assurée si les Américains
Elisaient président un chef républicain

L’Amérique aa donné plus d’une soixantaine
De milliards de dollars au profit de  l’Ukraine
et comme c’est en plus des précédents crédits
L’affaire prend un tour de tragicomédie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Promesse de milliards supplémentaires pour Kiev

La Russie par la voix de son porte-parole
Forte de sa richesse en  gaz et en pétrole
pourrait rediscuter si les Américains
Elisaient à leur tête un  chef républicain

Le Congrès a vote plus d’une soixantane
de milliards de dollars afin d’aider l’Ukraine
Après avoir tardé à verdé les crédits
Dont la promesse au bout devenait comédie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Ukraine manque de chef et d’obus

 

Elle n’a pas reçu la quantité d’obus
Que lui avaient promis des alliés ambigus
Après avoir compté sur un vaste arsenal
Offert par les surplus du monde occidental
L’Ukraine ne sait pas quel solde lui revient
Peut-être que pour elle il ne restera rien

Nommé ambassadeur en résidence à Londres
Son général en chef risque de  s’y morfondre
Le président l ‘ayant écarté de l’armée
Et le pays bientôt a lieu de s’alarmer

Si pour dynamiser les soldats des tranchées
Il n’y a plus de chef qui les fasse échapper
A la guerre changée en terrible hachoir
Quand les corps ne sont plus que viande sans victoire

Bombardements dans le ciel ukrainien

 

Le chef d’état-major après des nuits de casse
Juge que son pays se trouve dans l’impasse
Il faudrait selon lui réagir sans  tarder
Pour résister au feu répliquer bombarder
Grâce à un armement réinventant la foudre
Impliquant du nouveau comme au temps où la poudre
Avait renouvelé les données du combat
Et se faisait entendre avec perte et fracas

L’Ukraine exige plus que l’aide magnifique
Offerte jusqu’alors  par l’oncle d’Amérique
Mais même à Washington rien n’est illimité
Ni l’argent à donner ni la capacité
d’en donner plus encore à charge de retour
Or l’Ukraine en veut plus elle attend de l’amour

Comprenant que les tanks ne sont pas le moyen
dont elle peut rêver pour atteindre le bien
Celui d’être plus fort que la Russie du diable
Il lui faudrait des chars en nombre inatteignable –
Pour gagner cette guerre et de plus des avions
Afin de remporter ces combats d’attrition

Elle veut maintenant  que l’occident la dote
D’un armement volant c’est-à-dire une flotte
Capable d’assurer la maîtrise des cieux
– Est-ce trop demander sous le regard des dieux –
une arme remplissant de bangs et d’explosions
L’espace traversé plus vite que le son

 

Des mois se sont passés

Des mois se sont passés sans réelle offensive
Sans action qu’on pourrait tenir pour décisive
Les  deux côtés ont pris pour des réaltés
Ce qui était surtout des virtualités
La victoire exigeait de plus en plus d »efforts
Dans une volonté tendue comme un ressort
Pour que l’Ukraine obtienne enfin la panoplie
Des armes dont dispose une armée dernier cri

Il faudra dans ce but donner à Kiev des chars
et des avions coûtant des millions de dollars
Sachant que par ailleurs il suffirait d’un rien
(Une mine par  terre ou un drone aérien)
Pour détruire un engin valant bien davantage
Pour le déchiqueter et le mettre hors d’usage

Chaque camp s’obstinant sur la ligne de front
A poussé  vainement des cris de bûcheron
Pour garder vers l’avant sa part de territoire
Ne pouvant faire mieux qu’un progrès dérisoire
Sur une front qui se fige en petites actions
Dont chacune s’annule en contre-réactions
Sans pouvoir obtenir comme un effet de brèche
Ou de percée faisant comme un effet de flèche

Si vu de près le front nous semble être mouvant
Comme un trait de crayon qu’on gomme à tout moment
Les positions de loin paraissent plus durables
Pour peu qu’on étudie les cartes sur la table
Et qu’on juge en fonction de la longue durée
Mais prédire la fin serait prématuré

 

Souvenir d’Osama Khalil (1949-2023)

J’ai fait la connaissance d’Osama Khalil en 2010. Je cherchais un éditeur pour les sonnets que j’avais écrits à l’occasion de mes missions professionnelles autour du monde .Après une lecture à haute voix par Fatima de mon sonnet consacré au Maroc, Osama m’a donné son accord pour publier ce poème et quelques autres dans sa collection de L’Harmattan intitulée « Le Scribe Cosmopolite ».
A cette publication de 20I0 se sont ajoutés dans la même collection au cours des années suivantes une dizaine de livres (sous la forme de recueils de poésie, de voyages et d’actualité, plus quelques essais en prose). Ces ouvrages mis en pages par Osama ont été illustrés par un autre de mes amis,Sergio Birga, d’origine florentine, décédé fin août 202I lors de ses vacances sur la côte d’Azur.

Osama Khalil et Sergio Birga ont participé à  la création de mes livres – d’abord en tant qu’objets matériels – durant les années allant de 2010 à un peu plus de 2020. Osama faisait le lien dans sa collection Le Scribe entre l’éditeur L’Harmattan à Paris et l’imprimeur Corlet établi en Seine Maritime. Les relations à distance étaient grandement facilitées par l’informatique. Les choix (caractères d’imprimerie, couleurs de couverture, mises en page, dessins, types de papier…) étaient fixés d’un commun accord grâce à la coordination à distance entre l’éditeur, l’imprimeur et l’auteur. Dans ce travail, Osama Khalil qui connaissait bien ses interlocuteurs de L’Harmattan et de Corlet faisait preuve de vraies connaissances professionnelles. En tant qu’éditeur il se conformait autant que possible aux demandes de l’auteur, et il avait la satisfaction de dire en plaisantant: « Osama fait plaisir « . La sortie du livre donnait l’occasion d’une petite fête où Osama nous préparait un plat égyptien.

Né en Egypte, il était fier de son pays natal et de l’ancienneté de sa civilisation. Dans Mes lettres à Elle, il célèbre à la fois la femme aimée et « el », nom de la divinité en arabe. Dans « l’Ether de mes pensées » , écrit- en 2019 dans Figures de l’étreinte romantique (étreinte voulant dire union de l’âme et du corps), il se souvient du philosophe Plotin, né à Assiout en Egypte,  qui reprochait à  certains adeptes d’une secte chrétienne une conception de la transcendance séparant l’Esprit de la matière, privant ainsi de leur âme les plantes, les pierres et les rivières. Or, dans le grand temple de l’univers la  matière de la terre, ici-bas, a déjà du ciel au coeur puisque dans Les Ennéades Plotin nous dit qu’il ne faut pas craindre de penser et de dire que la matière existe au ciel.

On voit ainsi que chez Osama Khalil, amour, poésie et philosophie sont étroitement liées. Ces liens rendent son souvenir d’autant plus cher à notre coeur.

Souvenir d’Osama Khalil

J’ai fait la connaissance d’Osama Khalil en 2010. Je cherchais un éditeur pour éditer les sonnets que j’avais écrits à l’occasion de mes voyages professionnels autour du monde. Après une lecture par Fatima Guemiah de mon sonnet consacré au Maroc, pays de Fatima, Osama m’a donné son accord pour publier entre autres ce poème chez L’Harmattan dans sa collection intitulée « Le scribe cosmopolite ».
A cette publication de 2010 se sont ajoutés dans la même collection au cours de la décennie suivante une dizaine de livres (sous la forme de recueils de poésie, de voyages et d’actualité, plus quelques essais en prose). Ces ouvrages mis en pages par Osama ont été illustrés par un autre de mes amis, Sergio Birga, d’origine florentine, malheureusement décédé en 2021 lors de ses vacances sur la côte d’Azur..

Sergio Birga et Osama Khalil ont été les créateurs de mes livres chez L’Harmattan durant les années allant de 2010 à un peu plus de 2020. Osama pour sa part faisait le lien avec l’éditeur le scribe L’Harmattan et avec l’imprimeur Corlet établi en Seine Maritime, avec lequel les relations à distance étaient grandement facilitées par l’informatique. Le choix des couverture et des pages (couleurs, mises en pages, dessins et des caractères caractères d’imprimerie,type de papier) était fixé à distance d’un commun accord  grâce à la coordination à distance entre l’éditeur, l’imprimeur et l’auteur. Dans ce travail, Osama Khalil qui connaissait bien ses interlocuteurs de Corlet et de LHarmattan faisait preuve de connaissances vraiment professionelles en informatique. Ce qui avait attiré plus particulièrement son attention était sans doute l’évocation des pays de la Méditerranée.

Né en Egypte, Osama Khalil était fier de son pays natal en même temps que l’ancienneté de sa civilisation. Dans Mes lettres à Elle, il célèbre à la fois la  femme aimée et « el »; nom de la divinité en arabe. Dans l’Ether de mes pensées, écrit-il en 2019 dans Figures de l’étreinte romantique (étreinte voulant dire union de l’âme et du corps), il se souvient de la critique de Plotin (né en 204 à Assiout en Egypte) qui reprochait à certains adeptes d’une secte chrétienne une conception de la transcendance qui séparerait l’Esprit de la matière, privant ainsi de leur âme les plantes, les pierres et les rivières. Or dans ce grand temple de l’univers, la matière de la terre, ici-bas, a déjà du ciel au coeur puisque dans les Ennéades Plotin nous dit qu’il ne faut pas craindre de penser et de dire que la matière existe au ciel.

On voit ainsi que chez Osama Khalil,amour; poésie et philosophie sont étroitement liés, et que ces liens nous rendent son souvenir cher à .notre coeur.

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L’Ukraine s’enhardit à frapper la Crimée

L’Ukraine s’enhardit à frapper la Crimée
Dans un acharnement près de s’envenimer
Voulant éradiquer même Sébastopol
D’où la marine russe avec son acropole
Trop visible en hauteur domine la cité
Avec son port de guerre aux multiples jetées

Se signale au sommet le quartier général
Où l’Ukraine à l’attaque a ciblé l’amiral
Qu’elle a compté pour mort impatiente pressée
D’inscrire ce trophée afin de le classer
Parmi ses meilleurs coups mais peu chevaleresques
en tout cas sans ajout  de hauteur dans la fresque

Le conflit désormais ne se limite plus
au domaine terrestre on voit qu’est révolu
le temps où ne veillait sur les côtes d’Ukraine
qu’une force minime une faible gardienne
Et l’Ukraine a compris qu’il faudrait suivre mieux
ses achats pour l’armée les rendre judicieux
Sur le conseil pressant donné par l’Amérique
Un conseil amical (mais en fait hiérarchique)
de ne pas habiller au tarif de l’hiver
La troupe qui l’été s’équipe plus légère

 

 

 

Chaque jour la télé prolonge le récit

Chaque jour la télé prolonge le récit
Qui étire en longueur mainte péripétie
On n’avance plus guère et cette trajectoire
Répète redondante une fiction d’histoire
Dont les mille rebonds et sinuosités
N’apportent plus grand chose aux spectateurs blasés

Pourtant sans nous lasser nous voyons chaque jour
Des images suivant les tours et les détours
D’une actualité qui nous laisse espérer
Ou bien selon les cas nous laissera navrés
Dans la crainte  à la fin d’une vraie catastrophe
Que nous ne pourrons plus juger en philosophes
Comme s’il s’agissait d’événements abstraits
sur lesquels aisément on va tirer un trait

Moscou n’évoque plus comme il faisait naguère
L’éventualité d’un danger nucléaire
Pour l’heure semble-t-il Poutine a le souci
De remettre de l’ordre afin que la Russie
Parvienne à concilier ses troupes mercenaires
et les nécessités d’une armée ordinaire
Quitte à y recourir à des moyens brutaux
Tels que l’assassinat ourdi sous le manteau
Pour se débarrasser de ses reitres complices
Qui prennent trop de place en formant des milices

Des mois se sont passés

Des mois se sont passés sans réelle offensive
en donnant l’illusion des actions décisives

Les deux côtés ont pris pour des réalités
Ce qui était surtout des virtualités
La victoire exigeait de plus en plus d’efforts
Dans une volonté tendue comme un ressort
Pour que l’Ukraine obtienne enfin la panoplie
Des armes dont dispose une armée dernier cri

Il faudrait dans ce but donner à Kiev des chars
Et des avions coûtant des millions de dollars
Sachant que par ailleurs il suffirait d’un rien
(Une mine par terre ou un drone aérien)
Pour détruire un engin valant bien davantage
Pour le déchiqueter et le mettre hors d’usage

Chaque camp s’obstinant sur la ligne de front
A poussé vainement des cris de bûcheron
Pour garder vers l’avant sa part de territoire
Ne pouvant faire mieux qu’un progrès dérisoire
Sur un front qui se fige en petites actions
Dont chacune s’annule en contre-réactions
Sans pouvoir obtenir comme un effet de brèche
Ou de percée faisant comme un effet de flèche

Si vu de près le  front paraît être mouvant
Comme un trait de crayon qu’on gomme à tout moment
Les positions de loin paraissent plus durables
Pour peu qu’on étudie les cartes sur la table
Et qu’on juge en fonction de la longue durée
Mais prédire la fin serait prématuré

Billet: Les îlots de l’embouchure

Confrontée à des revers militaires à l’automne, notamment dans les régions de Kharkiv (est de l’Ukraine) et de Kherson (sud de l’Ukraine), la Russie a appliqué à partir d’octobre 2022 une tactique de bombardements massifs visant à répliquer à son abandon de Kherson en détruisant partout dans le pays les réseaux d’alimentation en électricité et en eau, et en plongeant des millions d’Ukrainiens dans le froid et l’obscurité. L’Ukraine a effectué de nouveaux travaux de réparation pour rétablir le courant après de nouvelles frappes de la Russie. « L’électricité a été rétablie pour près de six millions d’Ukrainiens pendant la journée. Les travaux de réparation sont en cours et continuent sans interruption depuis l’attaque terroriste d’hier », a affirmé, samedi 17 décembre, le président Volodymyr Zelensky. « Bien sûr, il reste encore beaucoup de travail à faire pour stabiliser le système. Il y a des problèmes d’approvisionnement en chaleur, il y a de gros problèmes d’alimentation en eau. La situation est la plus difficile à Kiev et dans sa région », ainsi que dans le centre ouest de l’Ukraine, à Lviv (ouest) et dans sa région, a-t-il reconnu. « 75% des habitants de la capitale ont déjà du chauffage », a dit peu auparavant le maire de Kiev Vitali Klitschko, dont le nez est celui d’un boxeur. Selon lui la circulation du métro, interrompue notamment le vendredi 16 décembre pour que la population puisse s’y réfugier, a repris tôt dans la matinée du lendemain et la distribution de l’eau est revenue. L’électricité a également été rétablie à Kharkiv, la deuxième ville d’Ukraine, d’après le gouverneur régional. Malgré les dégâts infligés aux réseaux d’électricité, de chauffage et d’eau, l’Ukraine croit toujours qu’elle va sortir victorieuse de ce conflit au point de récupérer tous les territoires pris par la Russie depuis 2014.

Par de nombreux canaux tout ce pays s’abreuve
Notamment vers Kherson en captant l’eau du fleuve
Les frères ennemis chacun de leur côté
S’affairent sur les bords mais pas pour canoter
Si l’on excepte un homme habillé tout de noir
Qui rame le matin dans le large couloir
Formé par le cours d’eau sans souci que de loin
Un sniper le surveille et le vise avec soin
Entre belligérants qui s’emparent des berges
Au niveau du courant où des îlots émergent
-Îlots donnant l’envie d’aller y prendre pied-
On échange des feux et des bruits de mortiers
Des soldats ukrainiens déguisés en civils
Dans ce milieu lacustre et non loin de la ville
Plongée dans un jour gris sans électricité
Se déplacent furtifs avec fugacité
Des Ukrainiens disais-je appliqués à l’ouvrage
Qui restent à couvert et fuient les éclairages
Voulant faire voler de petits hélicos
Dont les vrombissements leur semblent musicaux
Pilotés à distance et porteurs d’explosifs
Capables d’obtenir des effets décisifs

Des envoyés spéciaux de la télé française
Disent les avoir vus parcourir très à l’aise
Cet archipel fluvial fanfarons mais certains
De regagner bientôt ce qui leur appartient
Le fleuve tout entier les rives l’estuaire
Et les multiples bras qui forment des rivières
Ils sont aussi certains d’aller jusqu’en Crimée
Pour annexer ce bout de Méditerranée
Pour s’emparer de lui de force ou par astuce
Et le récupérer à la barbe des Russes
Je doute cependant qu’ils aient des droits sérieux
Tels qu’à cette contrée la Russie dise adieu

Billet : Le Dniepr va-t-il devenir une frontière ?

25.11.2022

Dans les espaces de l’est de l’Europe, il n’existe guère de frontières dites « naturelles », sinon celles que dessinent les cours des fleuves, notamment le cours inférieur du Dniepr, fleuve principal de l’ancien Etat cosaque, aujourd’hui jalonné de lacs créés artificiellement dans les vallées par des barrages servant à l’irrigation et au fonctionnement de centrales électriques (telles que la grande centrale de Zaporijjia avec ses cinq réacteurs atomiques). Le Dniepr traverse le territoire de l’Ukraine depuis la frontière de la Biélorussie à partir du nord de Kiev jusqu’à l’embouchure du fleuve qui se jette dans la mer Noire – le Pont-Euxin de l’antiquité – après avoir traversé au sud la plaine semi-aride de la steppe dite pontique. L’Ukraine est un pays composite qui rassemble des morceaux de plusieurs empires, russe, austro-hongrois, byzantin, ottoman. A présent les Russes et les Ukrainiens se combattent, mais ce serait probablement une erreur de croire, d’après ce qu’ils disent, que les seconds ont une fibre patriotique plus forte que les premiers.

Pendant les mois d’hiver durcis de gel tenace
On passait aisément le fleuve sur la glace
Et pour franchir le Dniepr on se passait de ponts
Qui n’auraient pas tenu lorsque la glace fond
Lorsqu’elle se disloque en devenant débâcle
Et qu’elle jette au flot tout ce qui fait obstacle
Aujourd’hui c’est un fleuve au cours domestiqué
Sans rapides rocheux ni tronçons étriqués
Et dans beaucoup d’endroits coupés par des barrages
Les lacs ainsi formés lissent le paysage
Sous une submersion de très vaste étendue
Où l’ancien lit du Dniepr a disparu perdu
L’armée russe a jugé que pour garder sa troupe
Il fallait qu’à l’abri sur la rive on la groupe
Et que l’on interpose entre elle et l’ennemi
La largeur d’un cours d’eau imposant l’accalmie
A toute tentation de forcer le passage
D’intensifier l’assaut d’aller à l’abordage
Pour expliquer l’ardeur des soldats ukrainiens
Qui marcheraient sur l’eau s’il en était besoin
On les dit prêts à tout pour conserver leur terre
Mais je pense d’abord qu’ils sentent qu’à l’arrière
Ils sont très soutenus par les Etats-Unis
Offreurs de liberté contre la tyrannie
Il faudrait cependant que l’Ukraine remarque
Le danger d’un retour aux gangs des oligarques
Quand cessera le temps de la guerre en furie
Et lorsque faiblira l’idée de la patrie
Vivifiée pour l’instant par la lutte commune
Qui unit le pays en butte à l’infortune

De son côté le Russe aime autant sa nation
D’un amour plus ancien qui n’est pas sans passion

Billet : L’Ukraine veut détruire le pont de Crimée

La Russie a ré-annexé dès 2014 la Crimée au climat méditerranéen que Catherine II lui avait rattaché en la prenant aux Turcs au XVIIIe siècle, alors que Krouchtchev l’a donnée à l’Ukraine à la fin de la première moitié du vingtième siècle. Dès qu’il a pu le faire, c’est-à-dire à la fin des années 2010, Vladimir Poutine a relié la Crimée à la Russie par une double voie routière et ferroviaire de plus de 18 km de long passant au-dessus du détroit de Kertch à l’ouest de la Crimée, séparant cette dernière de la mer Noire et faisant de facto de la mer d’Azov une sorte de mer intérieure russe au nord de la mer Noire. Bien entendu, cette double voie routière et ferroviaire ne pouvait que déplaire aux Ukrainiens, qui, en 2022, ont essayé de la détruire. Le pont routier a été ouvert à la circulation en 2018 et sa partie ferroviaire en 2019. Les arches du pont ne permettent pas le passage de navires ayant plus de 33 m de « tirant d’air ». En août 2022, un conseiller de la présidence ukrainienne avait déclaré : « Ce pont est une structure illégale et l’Ukraine n’a pas donné sa permission pour le construire. Il porte préjudice à l’écologie de la péninsule et doit donc être démantelé. Peu importe comment. Volontairement ou non. » Au matin du 8 octobre, au lendemain de l’anniversaire de Vladimir Poutine, le comité national antiterroriste russe a indiqué que l’explosion d’un camion piégé a fait s’effondrer deux arches du pont routier et provoqué l’incendie de sept citernes ferroviaires qui allaient vers la Crimée. Vladimir Poutine a rapidement ordonné la réparation du pont endommagé, avant le premier juillet 2023. Par ailleurs une route côtière peut continuer à ravitailler la Crimée comme auparavant à partir de la région russe de Krasnodar.

Entre la mer Caspienne et l’est de la mer Noire
La Russie s’est taillée ce coin de territoire
De là en trait d’union rapidement construit
Mais à peine achevé risquant d’être détruit
Son pont vers la Crimée dans la guerre bascule
C’est le mauvais côté de cette péninsule
Pourtant aimée des dieux bénie par son climat
A côté de contrées refroidies de frimas
Après avoir été sous le nom de Tauride
Un pays évoqué par le grec Euripide
Aujourd’hui disputé entre Kiev et Moscou
En combats acharnés qui rendent coup pour coup
Dans ce que Moscou nomme opération spéciale
-Pour masquer par des mots une guerre cruciale
Comme avait fait jadis la France en Algérie –
Une attaque laissant Poutine endolori
A provoqué le feu et l’explosion majeure
D’un camion sur le pont aux effets saccageurs
Deux arches d’autoroute en ont été brisées
Et sont tombées en mer après s’être embrasées
L’incendie est parti d’une des voies routières
Etroitement couplées à la voie ferroviaire
Sur laquelle passait un convoi de wagons
Celui-ci s’est changé en moderne dragon
Crachant tout feu tout flamme emportant vers l’enfer
Des carcasses brûlées sur ce chemin de fer

Sans se décourager le césar du Kremlin
A qui chaque revers semblait nouveau tremplin
A lancé sur l’Ukraine une pluie de missiles
Pour mater à la fin ce pays indocile
Lui couper le chauffage et l’électricité
Le plonger dans le noir et dans la cécité

Billet : L’Ukraine passe à l’offensive

 

Après avoir subi pendant longtemps l’artillerie russe, l’Ukraine renforcée par l’armement occidental, majoritairement américain, est passée à l’offensive au nord sur la ligne de front, du côté de Kharkiv (Kharkov en russe), tout en feignant d’attaquer au sud. Puis nos militaires de télévision, après nous avoir dit que les Ukrainiens conseillés par les Américains allaient encercler comme dans une nasse les troupes russes ayant franchi le Dniepr et se trouvant apparemment coincés désormais par le fleuve, se sont tournés vers le nord du front en semblant considérer comme une feinte géniale cette substitution d’objectif géographique entre le nord et le sud, mais nous ne sommes pas forcés de les suivre. Les Russes ont répliqué sur un autre plan au début de l’automne en organisant plusieurs référendums dans les zones ukrainiennes qu’ils occupent totalement ou partiellement. Leur idée serait, dit-on, de renforcer leur position en faisant valoir aux Ukrainiens et aux Américains que des attaques dans ces zones en voie d’être annexées par la Russie équivaudraient à des attaques contre la Russie elle-même, mais rien n’obligerait non plus les attaquants à les suivre dans ce raisonnement même si celui-ci semble faire réfléchir Washington.

Massivement aidée par les Occidentaux
C’est-à-dire d’abord  par tous les capitaux
Et tous les armements donnés par l’Amérique
L’Ukraine désormais confiante revendique
Le pouvoir inédit de contrer la Russie
Et de lui contester une suprématie
Que celle-ci croyait détenir sans conteste
Comme un droit naturel ou divin manifeste
Mais on voit que souvent ce pays empêché
Par trop de gigantisme a du mal à marcher

L’Ukraine récemment a repris l’avantage
Il paraît qu’à la fin le large pourcentage
De terre à ses dépens mangée par l’ennemi
Qui voudrait l’avaler par trop de boulimie
Sera récupéré si l’aide américaine
Persiste à ce niveau sans cassure prochaine
Grâce à du matériel moderne et performant
Qui pourrait surclasser jusqu’à l’épuisement
Les stocks surabondants de l’ère soviétique
Des stocks défectueux manquant d’électronique

C’est l’un de ces sujets dont débattent sans fin
En tenant des propos qui sont loin d’être fins
Nos plateaux de télé palabrant tous les soirs
Parlant à l’unisson fort peu contradictoires
Peuplés de reporters revenus de là-bas
De généraux sachant manœuvrer au combat
Satisfaits d’exprimer le même son de cloche
Ils sont d‘accord entre eux sans peur et sans reproche
Avec la pétroleuse et vraie passionaria
L’ukrainienne au milieu qui chante ses arias

Billet : La Russie peut-elle perdre ?

Massivement aidée par les Occidentaux
C’est-à-dire surtout par tous les capitaux
Et tous les armements donnés par l’Amérique
L’Ukraine désormais confiante revendique
Le pouvoir inédit de contrer la Russie
Et de lui contester une suprématie
Que celle-ci croyait détenir sans conteste
Comme un droit naturel ou divin manifeste
Mais on voit que souvent ce pays empêché
Par trop de gigantisme a du mal à marcher

L’Ukraine récemment a repris l’avantage
Il paraît qu’à la fin le large pourcentage
De terre à ses dépens mangée par l’ennemi
Qui voudrait l’avaler dans trop de boulimie
Peut être regagné si l’aide américaine
Persiste à son niveau sans faiblesse prochaine
Grâce à du matériel moderne et performant
Qui pourrait surclasser jusqu’à l’écroulement
Les stocks inépuisés de l’ère soviétique
Stocks ayant un défaut manquant d’électronique

C’est l’un de ces sujets dont débattent sans fin
En tenant des propos qui ne sont pas très fins
Nos plateaux de télé palabrant tous les soirs
Souvent à l’unisson fort peu contradictoires
Voici le reporter revenu de là-bas
Le général qui sait la manœuvre au combat
La pétroleuse blonde et pleine de reproche
C’est contre la Russie le même son de cloche

 

Billet : De nouveau la question de la Crimée

Déplacement du conflit russo-ukrainien
24.08.2022

 

La Crimée (l’antique Tauride) dont l’atmosphère est proche du climat méditerranéen avec ses vignobles, ses vergers, ses vestiges archéologiques et ses lieux de villégiature, a fait longtemps partie du monde grec devenu romain et byzantin. C’est dans la station balnéaire de Yalta, située dans cette presque île, que le monde a été divisé en 1945 entre la Russie de Staline et les Occidentaux Roosevelt et Churchill. La Crimée, devenue russe à l’issue de la guerre russo-turque de 1787-1792, rattachée à l’Ukraine alors soviétique en 1954 par un décret de Nikita Krouchtchev, est redevenue un enjeu brûlant à la suite de la dislocation de l’Union soviétique sous son propre poids dans sa compétition avec les Etats-Unis d’Amérique. La Russie a fini par s’emparer à nouveau en 2014 de ce territoire où est stationnée sa flotte de la mer Noire et qui a été jusqu’ici une destination touristique importante pour ses ressortissants. L’Ukraine partiellement envahie par l’armée russe à partir de 2022 a réaffirmé sa volonté non seulement de réactiver ses débouchés agricoles (vers quels pays principalement, ce n’est pas encore très clair), mais aussi de récupérer ses territoires qu’elle ne considère que comme provisoirement perdus, y compris la Crimée au sud ainsi que le Dombass à l’est. Ni l’un ni l’autre des deux pays antagonistes n’est manifestement disposé à céder dans l’état actuel du conflit, qui risque donc d’être long si les Etats-Unis d’Amérique continuent à soutenir par les armes l’Ukraine comme ils le font pour l’instant en essayant de ne pas apparaître comme cobelligérants.

 

Grâce aux arrangements d’un premier armistice
Un vraquier a livré des tonnes de maïs
Des côtes de l’Ukraine à celles du Liban
Sans retard ont suivi comme un arrière-ban
Arborant des drapeaux de paradis fiscal
des cargos fatigués qui portaient dans leurs cales
Sous pavillon maltais voire panaméen
Du vrac dont on sait mal à qui il appartient
Juste avant le départ de cette étrange flotte
Un magnat ukrainien dont les bateaux pilotes
Pouvaient réenclencher l’export céréalier
Ciblé avec sa femme en un tir sans pitié
Est mort dans l’explosion lancée par un missile
Qui les a poursuivis jusqu’en leur domicile

Quelques années plus tôt ce magnat à ses frais
Avait constitué – dans son propre intérêt ? –
Une petite armée faite de légionnaires
De soldats stipendiés voire de mercenaires
Pendant que revivait le commerce des grains
Soutenu par l’ONU et par les riverains
Des eaux du Pont-Euxin – y compris vers le sud
La Turquie ambiguë qui changeait d’attitude
Entre belligérants en fonction du moment
Selon les dissensions et les rapprochements –
La guerre Kiev-Moscou s’est réenvenimée
En prenant comme champ désormais la Crimée
Donc le touriste russe a préféré s’enfuir
Pour éviter les coups destinés à détruire
Venus d’un ciel mauvais les tirs les explosions
Pulvérisant de loin les stocks de munitions
Ou les faisant sauter dans quelque sabotage
(Si cette information n’est pas de l’enfumage)

Billet : Disparition de la Prusse orientale en 1945

La disparition de la Prusse orientale
11.07.2022

 

On rapporte que la vie de Kant, qui s’est déroulée toute entière de 1724 à 1804 à Königsberg, ville allemande (aujourd’hui Kaliningrad, ville russe), capitale de la Prusse orientale, était une routine de conférences, d’obligations académiques et de séances d’écriture si régulières que ses voisins réglaient leur montre sur sa promenade quotidienne. Outre ses œuvres philosophiques les plus connues, Kant a notamment écrit un bref essai publié en 1784, intitulé « Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique », suivi en 1795 d’un autre essai titré « Vers la paix universelle » (en allemand : « Zum ewiger Frieden »), où il a considéré que les États républicains (de forme démocratique) ne font pas la guerre entre eux. Il y a formulé les conditions qu’il jugeait fondamentales pour une paix perpétuelle par opposition à une cessation provisoire des hostilités, seule paix possible tant que « l’état de nature » continue à régner entre les États. Bien sûr, Kant n’a pas connu de son vivant la paix perpétuelle, ni personne d’autre. Königsberg a même subi de 1939 à 1945 les ravages de la seconde guerre mondiale, déclenchée par l’Allemagne hitlérienne, ravages qui ont arraché brutalement ce territoire à l’espace germanique, et dont les contrecoups se font toujours sentir aujourd’hui. Tout nom allemand y a été effacé, et la ville a reçu le nom de Kaliningrad, ainsi désignée d’après Mikhaïl Ivanovitch Kalinine, président du Praesidium du soviet suprême, mort à Moscou en 1946.

Les vainqueurs de la guerre ont découpé la Prusse
Dantzig à la Pologne et Königsberg aux Russes
L’Allemagne y a perdu des siècles de poussée
Contre les mondes balte et slave un long passé
Où se sont illustrés son ordre monastique
Et sa chevalerie de l’ordre teutonique
Par le fer de l’épée plutôt que par la foi
Par le glaive agressif plutôt que par la croix
Depuis la fin d’Hitler il subsiste une enclave
D’où l’Allemand chassé a laissé place au Slave
Lequel s’est installé dans ces lieux dévastés
Dans la ville teutonne où seul a subsisté
Contre la cathédrale un temple au philosophe
Qui n’avait pas prévu semblable catastrophe
Rêvant qu’après sa mort optimiste défunt
Pourrait durer la paix n’ayant jamais de fin

La ville où Kant jadis faisait sa promenade
Aurait pu recevoir le nom de Kantograd
Une fois relevée des ruines des combats
Une fois nettoyée des restes mis à bas
Mais rien finalement dans l’ancien territoire
Aucun long souvenir aucun nom de mémoire
N’ont dépassé mille ans et toute appellation
Evoquant le passé d’ancienne occupation
A été remplacée dans la cité détruite
Où Kant avait vécu – russifiée reconstruite –

Königsberg après guerre aurait bien mérité
Un nom rappelant mieux tout ce qu’elle a été
Autre que Kalinine après la fin bestiale
Qui n’a guère apaisé la discorde mondiale

Billet : Les oligarques en Russie et en Ukraine

En Ukraine comme en Russie sont apparus des groupes de parvenus enrichis par les dépouilles du communisme à partir de la chute de l’URSS, mais le sort de ces profiteurs n’a pas été le même dans les deux pays. Après la braderie des biens publics sous Eltsine dans la dernière décennie du XXe siècle, rappelant toutes proportions gardées celle des biens nationaux qui s’est produite en France à la Révolution à la fin du XVIIIe siècle, Vladimir Poutine, successeur d’Eltsine à Moscou, a progressivement remis au pas par des méthodes brutales les profiteurs appelés « oligarques ». En Ukraine ceux-ci ont connu un sort plus doux, par exemple Petro Porochenko, président de l’Ukraine de 2014 à 2019, dont le père a géré des usines au temps de l’Union soviétique, et qui a fait fortune dans le chocolat en profitant de la pénurie de cacao dans les pays de l’ex-URSS. Successeur de Porochenko à la présidence, Volodymyr Zelensky a acquis une réputation d’intégrité en jouant dans une série intitulée Serviteur du peuple à la télévision ukrainienne le rôle d’un professeur intègre. Lors de sa campagne victorieuse à l’élection présidentielle de 2019, l’un des plus importants soutiens de Zelensky a été l’oligarque Kolomoïsky. Le 24 février 2022, les évènements qui avaient déjà abouti à l’annexion de facto de la Crimée par la Russie ont pris un tour nouveau avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, plusieurs années après l’opposition russe au mouvement Euromaïdan lorsque Viktor Ianoukovytch, le président ukrainien pro-russe de l’époque, a été destitué de sa fonction en 2014. A partir de 2022, l’Ukraine a été dévastée par cette guerre d’invasion à laquelle les Etats-Unis ont pris part indirectement en livrant des armes à Kiev pour que le pays résiste.

Le communisme est mort dans un triste gâchis
Lorsque de sa dépouille est née l’oligarchie
Celle que l’on a vu grandir s’épanouir
Puis risquer le déclin jusqu’à s’évanouir
Par la décimation de ses représentants
Quelquefois repentis souvent impénitents
Victimes d’un poison menant au cimetière
Stoppés par un arrêt tellement arbitraire
Qu’on ne sait sous quel angle on devrait protester
Par quel droit quelle force il faut le contester

Le tsar de la Russie a imprimé sa marque
D’après ce que l’on voit sur tous les oligarques
Qui croyaient s’emparer en nouveaux potentats
De trop de biens publics délaissés par l’Etat
Un État incapable à la fin d’accomplir
Les tâches minimums qu’il aurait dû remplir
Une incurie semblable affectait l’autre camp
Quand les biens ukrainiens étaient mis à l’encan
Entre gens enrichis qui tiraient leur fortune
De tout ce qui faisait la richesse commune
Acquérant à bon compte un statut de magnat
Qu’ils avaient pu payer avec des assignats

De son côté à Kiev un humoriste drôle
S’est imposé jouant à la télé le rôle
D’un professeur luttant contre la corruption
Et qui est devenu grâce à cette fiction
Celui qu’on attendait dans le monde réel
Dans la réalité concrète et matérielle
Mais pour être un héros qui ne soit pas flatté
Loin de la scène il faut qu’il ait bien répété
Et que dans l’ovation d’un large applaudimètre
Il soit son personnage au lieu de le paraître
Affranchi des mentors qui l’ont téléguidé
Sans dépendre de ceux qui l’auront secondé

Billet : Le commerce de la mer Noire (anciennement Pont-Euxin)

05.06.2022

 

Toujours préoccupée par son manque d’accès vers les mers du sud, la Russie, après avoir annexé de facto en 2014 la Crimée, territoire devenu ukrainien en 1999, a repris en 2022 son entreprise de dépeçage en exprimant militairement son intention de récupérer au maximum toute l’Ukraine qu’elle possédait naguère et au minimum toute la partie est et sud-est de ce pays en cherchant à établir une continuité territoriale entre sa propre frontière et la Crimée. Le président russe, Vladimir Poutine, accuse l’occident (Amérique du nord et Europe) de faire durer le conflit en livrant des armes à l’Ukraine (notamment des « orgues de Staline » modernes de plus longue portée). De son côté l’Ukraine accuse l’occident de financer l’effort guerrier de la Russie en continuant à lui acheter en grandes quantités du pétrole et du gaz, accusation formulée sans dire que ces achats sont destinés d’abord à approvisionner l’Europe en hydrocarbures dont elle est largement démunie et dont elle a besoin. Ce conflit qui pourrait sembler à première vue principalement européen a en réalité une portée mondiale, car il a comme effet un blocus des ports qui permettaient de livrer par la mer Noire et par le Bosphore les très importants tonnages de céréales (blé et maïs notamment) que produisent l’Ukraine et la Russie méridionale et qui sont exportés habituellement vers le sud de la Méditerranée notamment par Odessa et par la mer d’Azov. Lors d’une rencontre qui a eu lieu le 3 juin 2022 avec Vladimir Poutine à Sotchi au nord du Caucase russe, Macky Sall, président de l’Union africaine et du Sénégal, a déclaré que l’Afrique grosse importatrice de céréales et d’engrais est victime du conflit et des tensions qui en résultent. Selon Poutine, seuls l’Ukraine et les Occidentaux sont responsables de la crise alimentaire qui se dessine. Pour débloquer la situation, il demande que les eaux des ports d’exportation soient déminés par Kiev. Macky Sall a fait remarquer que « malgré d’énormes pressions, la majorité des pays africaines ont évité de condamner la Russie. »

Dans les temps incertains comme aujourd’hui troublés
On craint de voir tarir le commerce du blé
Qui sillonnait la mer que l’on dénomme « Noire »
Où les détroits étroits sont autant de fermoirs
Depuis l’antiquité on sait qu’abondamment
Le nord de cette rive exporte du froment
De même qu’il produit diverses céréales
Dont peuvent se nourrir des bouches plus frugales

Des Scythes laboureurs habitants de ces lieux
Où se perd dans la mer le fleuve mystérieux
Que les Grecs appelaient du nom de Borysthène
Exportaient leurs moissons vers la ville d’Athènes
En plus de leur froment ils écoulaient des biens
Utiles pour nourrir les acheteurs urbains
Qui vivaient dans le sud ils négociaient entre autres
Par la cité d’Olbia le blé l’orge et l’épeautre
Au débouché du Dniepr aujourd’hui disputé
Entre belligérants décidés à lutter

Une confrontation sans merci paralyse
Ce commerce vital qui s’amenuise en crise
L’Ukrainien d’à présent grand pourvoyeur de grain
Qui nourrissait jadis la fleur des Athéniens
Et fournissait naguère en farine l’Afrique
Combat contre Moscou peuplé d’apparatchiks
Pour jouir à son gré de tout ce qu’il produit
Et vivre librement la vie occidentale
Même au prix – s’il le faut – d’une guerre brutale

Il est clair désormais que les Etats-Unis
Voulant que les « méchants » soit durement punis
Sont entrés dans la danse avec force vacarme
Ils prennent de nouveau le rôle du gendarme
Est-ce pour éviter famine et pénurie
Et pour la liberté contre la tyrannie ?
Ils interviennent moins pour le monde et l’Ukraine
Que pour « cogner » Moscou la cible de leur haine

Billet : La fin inattendue du croiseur « Moskva »

21.05.2022

Dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine, qualifiée par le premier belligérant d’ « opération spéciale », le croiseur russe lance-missiles « Moskva » de 186 m de long qui semblait détenir la maîtrise de la mer Noire a été coulé, semble-il, par une attaque ukrainienne le 14 avril 2022. Ce qui pourrait apparaître comme un combat entre le grand Goliath russe et le petit David ulkrainien est probablement en réalité un affrontement entre les deux principales puissances militaires, la Russie et les Etats-Unis, ces derniers fournissant tout ce qui est nécessaire, armement et informations, pour permettre à l’Ukraine de résister. Les Etats-Unis toutefois ne veulent pas l’avouer franchement, craignant d’apparaître comme co-belligérants entrés en guerre.

Le croiseur amiral qui suscitait la haine
Commandait le blocus des côtes de l’Ukraine
Il décrivait des ronds au large d’Odessa
Evitait les canons en restant au-delà
Des plus longues portées du moins se croyait-il
En état d’esquiver les pires des missiles
Mais deux impacts fatals l’ont soudain transpercé
Ces frappes sans appel l’ont d’un coup traversé
L’équipage a pensé que ses causes d’alarme
Venaient d’un feu interne et consumant ses armes
Alors qu’il s’agissait d’une attaque de loin
Qui l’a laissé surpris comme un bref coup de poing

Nul n’a rien détecté peut-être était-ce un drone
Volant en altitude et parcourant la zone
Prèt à faire exploser d’en haut ses munitions
– Un tueur scarabée de science-fiction –
Mais il semble plutôt que seules des torpilles
Ont pu faire subir des percements de vrilles
A un blindage épais cela donne à penser
Que des drones légers ont permis de lancer
En dirigeant le tir de plus forts projectiles
Contre des protections devenues inutiles
Grâce aux renseignements certainement précis
Fournis en temps réel par la suprématie
Anglo-américaine experte en espionnage
En faux renseignements ou même en bidonnages

Tous les commentateurs qu’on voit à la télé
Prennent trop au sérieux ces infos distillées
Qui proviendraient dit-on de mouchards satellites
Autour de notre globe éployant leurs orbites
Mais je me souviens bien qu’au sujet de l’Irak
Trois décennies plus tôt les mêmes de leurs sacs
Américains Anglais sortaient des faussetés
Proférées sans vergogne avec autorité

 

Billet : Bref séjour à Kiev il y a trente ans

29.03.2022

 

Je suis allé en Ukraine vers 1990 et j’en ai rapporté un sonnet qui figure dans mon recueil Aérogrammes, résumant mes impressions assez tristes de ce moment-là, qui ne sont pas plus joyeuses aujourd’hui, à cause de la guerre entre Moscou et Kiev. Il n’y a rien de pire que les antagonismes opposant des frères (ou supposés tels) qui en viennent à se déchirer et à se détester. Il n’y a rien de pire que l’autodestruction à laquelle aboutit ce type de conflits.  C’est probablement ce à quoi on a commencé à assister au début de 2022 en voyant la Russie détruire systématiquement l’Ukraine qui risque d’échappe à son emprise. Staline avait déjà fait montre dans les années 1930 d’une brutalité semblable en affamant les paysans ou « koulaks », notamment ukrainiens, qu’il voulait collectiviser. L’occident (Europe de l’ouest et Amérique du nord) a pris d’emblée le parti de l’Ukraine plus occidentalisée, parce que les services secrets américains y ont vu l’occasion d’abattre définitivement ce qui restait de leur ennemi centenaire, l’URSS, dont Vladimir Poutine est resté pour eux l’incarnation, après un siècle de lutte. L’occident européen croit maintenant pouvoir réduire Poutine à sa merci en cessant de lui acheter son gaz, mais de l’avis de beaucoup il risque surtout de se nuire à lui-même en essayant de renoncer à un bien qui lui est indispensable.

J’ai gardé de l’Ukraine une idée d’hiver triste
Lorsque je suis allé quelque peu masochiste
Passer trois jours à Kiev une brève mission
Que dire à ce sujet ma mémoire est de plomb
Je n’en ai retenu qu’à peine quelques bribes
Dont je n’ai pas été ni le scrupuleux scribe
Ni l’auteur inspiré pouvant transfigurer
Ce pays pourquoi donc m’y suis-je aventuré
J’ai vu dans la banlieue qui déroule sa plaine
Des barres d’habitat des lourdeurs suburbaines
Un fleuve qui est né d’anciennes glaciations
Imposant son long cours ses larges dimensions
Sur cette terre noire au sol riche en humus
Auquel aucun relief ne sert de terminus

Jusqu’ici je croyais que le peuple ukrainien
Était frère du russe un peuple mitoyen
Mais depuis que Poutine en tant que nouveau tsar
A lancé dans l’assaut ses avions et ses chars
L’Occident face à lui ne sait où se tourner
Pour percer le secret des volontés cachées
Dans les explications des vieux kremlinologues
Dans les troubles décrits par les criminologues

Chacun à l’est à l’ouest est prêt à s’estropier
En se tirant vengeur des balles dans le pied
Sous le grand parapluie de forces nucléaires
Dans l’interdépendance où l’on peut payer cher
Des sanctions boomerangs qui vont se retourner
Contre celui qui croit qu’il peut les déclencher
Sans subir en retour aucun effet notable
Au point d’imaginer qu’il est inatteignable
Jusqu’à ce qu’il reçoive un coup inattendu
Qu’il s’inflige à lui-même en ce combat tordu

 

Billet : La Russie contre l’Ukraine

La Russie contre l’Ukraine
29.03.2022

 

Je suis allé en Ukraine vers 1990 et j’en ai rapporté un sonnet qui figure dans mon recueil Aérogrammes, résumant mes impressions assez tristes de ce moment-là, mais qui ne sont pas plus joyeuses aujourd’hui, à cause de la guerre entre Moscou et Kiev. Il n’y a rien de pire que les antagonismes opposant des frères (ou supposés tels) qui en viennent à se déchirer et à se détester. Il n’y a rien de pire que l’autodestruction à laquelle aboutit ce type de conflits.  C’est probablement ce à quoi on a commencé à assister au début de 2022 en voyant la Russie détruire systématiquement l’Ukraine qui risquait d’échapper à son emprise. Staline avait déjà fait montre dans les années 1930 d’une brutalité semblable en affamant les paysans ou « koulaks » ukrainiens qu’il voulait collectiviser. L’occident (Europe de l’ouest et Amérique du nord) a pris d’emblée le parti de l’Ukraine plus occidentalisée, notamment parce que les services secrets américains y ont vu l’occasion d’abattre définitivement ce qui restait de leur ennemi centenaire, l’URSS, dont Vladimir Poutine est resté pour eux l’incarnation, après un siècle de lutte. L’ occident européen croit maintenant pouvoir réduire Poutine à sa merci en cessant de lui acheter le gaz dont il dispose en abondance, mais de l’avis de beaucoup il risque surtout de se nuire à lui-même en essayant de renoncer à un bien qui lui est indispensable.

 

J’ai gardé de l’Ukraine une idée d’hiver triste
Lorsque je suis allé quelque peu masochiste
Passer trois jours à Kiev une brève mission
Que dire à ce sujet ma mémoire est de plomb
Je n’en ai retenu qu’à peine quelques bribes
Dont je n’ai pas été ni le scrupuleux scribe
Ni l’auteur inspiré pouvant transfigurer
Ce pays pourquoi donc m’y suis-je aventuré
J’ai vu dans la banlieue qui déroule sa plaine
Des barres d’habitat des lourdeurs suburbaines
Un fleuve qui est né d’anciennes glaciations
Imposant son long cours ses larges dimensions
Sur cette terre noire au sol riche en humus
Auquel aucun relief ne sert de terminus

Jusqu’ici je croyais que le peuple ukrainien
Était frère du russe un peuple mitoyen
Mais depuis que Poutine en tant que nouveau tsar
A lancé dans l’assaut ses avions et ses chars
L’Occident face à lui ne sait où se tourner
Pour percer le secret des volontés cachées
Dans les explications des vieux kremlinologues
Dans les troubles décrits par les criminologues

Chacun à l’est à l’ouest est prêt à s’estropier
En se tirant vengeur des balles dans le pied
Sous le grand parapluie de forces nucléaires
Dans l’interdépendance où l’on peut payer cher
Des sanctions boomerangs qui vont se retourner
Contre celui qui croit qu’il peut les déclencher
Sans subir en retour aucun effet notable
Au point d’imaginer qu’il est inatteignable
Jusqu’à ce qu’il reçoive un coup inattendu
Qu’il s’inflige à lui-même en ce combat tordu

 

Billet : Souvenir de mes études littéraires

Les protagonistes de la révolution romantique dans la poésie et le théâtre en France au début du XIXe siècle étaient des descendants de militaires, nobles de plus ou moins fraîche date. Ils ont délaissé la carrière des armes qui ne leur offrait plus guère de perspective, pour embrasser celle des lettres où ils ont pu s’illustrer de manière plus pacifique sans renoncer aux batailles dont l’exemple le plus célèbre a été la bataille d’Hernani ayant opposé en 1830 les « Jeune-France » comme Nerval et Gautier aux « perruques » néo-classiques. Le romantisme a pris ensuite des directions diverses. Le parcours politique le plus frappant est celui de Victor Hugo dont le père a été anobli par Napoléon, et dont la poésie a commencé par des odes d’inspiration monarchiste (c’était le temps de la Restauration) avant d’évoluer de manière de plus en plus claire vers la célébration de l’épopée napoléonienne. Cela dit, quand la construction de l’arc de l’Etoile a été achevée en 1836 sous la « monarchie de juillet » pour célébrer quelque 660 noms de généraux et de maréchaux de la Révolution et de l’Empire, Victor Hugo y a cherché en vain le nom de son père, général de brigade en 1809 et gouverneur de province en 1810. Dans son recueil Les Voix intérieures publié en 1837 et dédié à son père, comte d’Empire, il a écrit en guise de protestation à la fin de la dédicace : « Non inscrit sur l’arc de l’Etoile ». Par la suite, notamment à partir des Châtiments, opposant pendant tout le Second Empire Napoléon le grand à Napoléon le petit qui l’a proscrit en s’emparant du pouvoir et en détournant à son profit le mythe de l’Empereur, Hugo est devenu républicain (modéré) après Lamartine dirigeant très éphémère du gouvernement bleu-blanc-rouge de la Seconde République. Notre évocation des poètes français de la première moitié du XIXe siècle se termine par quelques vers optimistes imités de « l’Esprit pur », poème final des Destinées de Vigny.

Après Napoléon ce sont quatre poètes
Que l’histoire a placés dans le groupe de tête
Parmi les écrivains dignes d’être nommés
(Que la gloire posthume accepte d’embaumer)
Lamartine Vigny Victor Hugo et même
Le plus jeune -Musset- faisant le quatrième
La particule noble a décoré leur nom
Chacun d’eux l’a porté supplément de renom
Dans une société qui révérait toujours
Les signes de noblesse objets de trop d’amour

Le père du premier dans la cavalerie
A été officier fier de ses armoiries
Et de ses biens fonciers en Bourgogne du sud
Le poète un instant a pris de l’altitude
Chef d’un gouvernement quasi républicain
Le deuxième -Vigny- descendait de marins
Il devait son domaine à un vieux chef d’escadre
Portraituré jadis enchâssé dans un cadre
Alors que le troisième était un plébéien
Le fils d’un général parti de presque rien
Que l’Empire a promu au rang de nouveau comte
Comme Victor Hugo lui-même le raconte
Ensuite vient Musset dans ma liste en dernier
Sa noblesse datait d’un ancêtre officier
Ainsi récompensé par le roi Charles sept
Qui voulait s’acquitter envers lui d’une dette

Chacun des quatre a mis sur son casque hérité
Une plume d’auteur qui n’est pas sans beauté
Ils ont rendu illustre un nom de peu de gloire
Que nous conserverons quant à nous en mémoire
Si l’on en croit Vigny ces enfants de soldats
Pour dominer la force avaient reçu mandat
De célébrer l’esprit plus haut que la matière
Et créer par l’écrit des foyers de lumière

 

Billet : Hommes de pouvoir et séductrices

Dans la vie politique française les rapports entre les hommes et les femmes ont pris un tour relativement nouveau et souvent assez chaotique depuis quelques décennies, où cette évolution ne fait pas forcément honneur aux uns et des autres. Du temps du général de Gaulle, celui-ci se conduisait de manière digne et en tout cas traditionnelle, probablement rangée, en compagnie de son épouse que le peuple appelait « Tante Yvonne ». La situation a changé à partir du président Giscard d’Estaing et de ses escapades nocturnes révélées notamment par un accident de circulation impliquant au petit matin un camion de laitier. Ensuite nous avons eu le président Mitterrand et sa double famille protégée par un secret qui donnait l’impression d’être trop verrouillé pour être honnête, auquel certains reprochaient d’être organisé aux frais de la République ; puis le président Sarkozy et ses démêlés conjugaux en cours de mandat, en particulier un divorce en 2007 suivi d’un remariage moins d’un an après avec la chanteuse et mannequin Carla Bruni au demeurant charmante (sans compter des relations avec une présentatrice de radio et une écrivaine ayant suivi sa campagne électorale) ; puis le président Hollande ayant eu plusieurs enfants hors mariage de Ségolène Royal et dont les amours ont été divulgués, volontairement ou non, impliquant une journaliste politique puis une actrice de gauche que le président véhiculait en scooter. Notre sujet nous impose aussi une allusion au mariage du président Macron en 2007 avec sa professeur de français et de théâtre ayant presque 25 ans de plus que lui, contrairement à la situation habituelle des couples où l’homme est en général plus âgé que la femme (de 2,5 ans en moyenne en France). Quand on passe en revue différents exemples de ces « nouveaux » rapports, on est frappé par leur caractère parfois cocasse (on se souvient de la journaliste de Hollande lui demandant en public : « embrasse-moi sur la bouche »), cocasserie rendue un peu étrange par un grand contraste avec l’autorité qui s’attache en principe au statut de président.

« Du côté de la barbe est la toute-puissance »
Ainsi parle en barbon dépourvu de bon sens
Arnolphe de Molière à – disons – quarante ans
Il croit avoir vécu suffisamment longtemps
Pour pouvoir imposer à une jouvencelle
L’amour impératif qu’il pense avoir pour elle
Au contraire aujourd’hui lorsqu’un adolescent
A peine devenu jeune homme impertinent
Avec sa professeur convole en justes noces
On ne s’étonne plus de ce genre d’Eros
Idem quand une épouse indignée négligée
Contre un mari connu désire se venger
Et qu’elle apparaît nue dans quelque magazine
Soubrette dévêtue qui nettoie ou cuisine
En laissant dépasser de l’étroit tablier
Plutôt dépoitraillée corset entrebaillé
La panoplie variée des rondeurs de son corps
Montrant qu’elle serait digne d’un meilleur sort

On a vu ces temps-ci des hommes succomber
Détenteurs de pouvoir ils étaient bouche bée
Malgré leur dignité devant des meufs hors normes
Au charme différent singulier peu conforme
Mecs importants séduits par le chant sans façons
D’une bouche sachant fredonner des chansons
Sarkozy par exemple au sortir d’un divorce
Qui voulait retrouver une nouvelle force
En présentant à tous le surprenant tableau
D’un fruste tel que lui avec une intello

Son successeur Hollande était un scootériste
Amoureux lui aussi d’une actrice ou artiste
Il circulait ainsi dans les rues de Paris
Parcourait en deux-roues la ville et sa voirie
Avec je le suppose une envie d’être libre
Sur cet engin risqué trouvant son équilibre

Billet : Voeux de nouvel an au temps du coronavirus

Depuis presque deux ans ce coronavirus
Dont le cours fait penser à des montagnes russes
Avec ses hauts et bas de fort mauvais aloi
Se joue des pronostics nous soumet à sa loi
Déjà l’épidémie a franchi plusieurs pics
Et nous pauvres humains en devenons phobiques
Les bons docteurs censés connaître le comment
Sans savoir le pourquoi de l’invisible agent
Pulmonaire nocif en connaissent-ils plus
Que nous pauvres mortels écoutant leurs laïus

Dans cette pandémie nous voyons à regret
Qu’il y a des humains résistant au progrès
Contre ce mal nouveau quoique la médecine
Ait aussitôt trouvé le produit qui vaccine
Pour mieux nous protéger de cette maladie
Certains ont le désir de fuir au paradis
D’autres sont convaincus que ce qu’on inocule
Est un poison d’enfer qui les rend somnambules
D’autres se voient plus forts que la mort ou la vie
Et croient que cette force est un bien qu’on envie

Me plaçant au niveau des personnes moyennes
Je les vois animées dans les rues parisiennes
Par la crainte surtout qui rend obéissant
A la voix d’un seul chef entouré de « sachants »
Auquel souvent la peur nous incite à complaire
Et la peur quelquefois devient de la colère
Quand on est agité par une appréhension
Créant dans le cerveau des imaginations
Plus noires qu’il ne faut dans des accès de trouille
Tels que les esprits sûrs deviennent des gribouilles

Ne nous abritons pas au temps des giboulées
Dans des mares de pluie qui nous trempent les pieds

 

Nous sommes à ce point habitués à la certitude du savoir que nous sommes désorientés lorsque ce savoir nous fait défaut, même de façon provisoire et momentanée. Dans une situation extrême où il s’agit de vie et de mort, l’incertitude nous semble insupportable au point que nous appelons de nos vœux un remède quel qu’il soit, pourvu qu’il remplisse le vide angoissant que nous ressentons. Il se trouve que l’humanité confrontée à une telle situation caractérisée aujourd’hui par l’irruption dans notre monde d’un coronavirus inconnu et menaçant, a trouvé en un temps record, sous la forme de vaccins efficaces, un début de réponse à notre inquiétude. Le vœu que l’on peut formuler en ce début d’année 2022 est qu’en attendant des réponses encore plus efficaces et encore plus adéquates, les humains que nous sommes continuent à avoir l’intelligence et le courage de faire preuve de ces qualités pour faire les bons choix et pour ne pas s’égarer dans de fausses solutions qui pourraient être pires que le mal.

Billet : Une décennie de voyages aériens

J’ai réuni dans deux recueils de sonnets, Aérogrammes (2010) et Courts poèmes long-courriers (2011) – dont les couvertures sont l’œuvre du peintre et graveur Sergio Birga malheureusement décédé en 2021 – les poèmes que j’ai écrits pour l’essentiel pendant les années 1986-1995 au cours desquelles j’ai dirigé les relations internationales, au service de la législation fiscale du ministère des finances à Paris. Cette fonction m’a donné l’occasion de parcourir le monde pour les négociations nécessitées par mon travail. Je résume dans le présent poème cette période de ma vie caractérisée par une certaine boulimie de voyages et de curiosité pour le monde. J’ai fini par comprendre que cette boulimie était une faim qui n’avait pas de fin, sans savoir clairement si je me suis arrêté par sagesse, par lassitude ou par tempérament casanier qui reprenait le dessus. Peut-être me suis-je dit que j’étais une sorte de collectionneur de voyages inépuisables qui risquaient d’épuiser ma vie.

Sous-directeur chargé de l’international
J’ai dirigé dix ans les relations fiscales
Au Louvre tout d’abord et ensuite à Bercy
Dans un poste touchant à la diplomatie
Jalousé par beaucoup mais que les carriéristes
Jugeaient peu digne d’eux car il menait hors piste
Je me suis occupé de multiples dossiers
Complétant le réseau des accords et traités
Que la France a conclus un peu partout au monde
Dans une activité sans doute trop féconde
Impliquant au total pas loin de cent Etats
Dirigés par le peuple ou par un potentat
Certains d’entre eux dotés d’une longue mémoire
D’autres neufs possesseurs d’un vaste territoire
Avant d’être nommé à une autre fonction
J’ai pu tant bien que mal boucler la convention
Franco-américaine embarrassé peu fier
De laisser après moi ce texte dont Molière
Aurait pu se moquer ce langage mêlait
A des mots provenant de l’ancien droit anglais
d’autres qui rappelaient le latin médiéval
Ils me semblaient dater du temps de Perceval
Lorsque prédominait sur l’anglais le français
Sans besoin de traduire entre Douvre et Calais
– A Londres capitale et dans toute ambassade
On a parlé français bien après les croisades –
Notant mes impressions certes non ex aequo
Tantôt à Washington tantôt à Monaco
Ou en tout autre point entre ces deux extrêmes
Je me suis pris au jeu d’adresser à moi-même
Et à mes êtres chers sous forme de sonnets
Des souvenirs notés comme dans un carnet
Qui parlaient de grandeur parfois de petitesse
Je les accumulais porté par l’allégresse
La terre vue de haut j’en ai été content
Pour mes proches pourtant je rêvais trop distant

Billet : Jersey et Guernesey

Jersey et Guernesey
29.11.2021

Les îles anglo-normandes, principalement Jersey et Guernesey qui sont deux « bailliages » distincts l’un de l’autre, sont les restes de l’ancien duché de Normandie récupéré en l’an 1224 par le roi de France Philippe Auguste à l’exception des confetti insulaires situés dans le golfe de la Manche entre les ports français de Saint-Malo en Bretagne et de Cherbourg en Normandie. Victor Hugo y a vécu réfugié au XIXe siècle pendant le règne de Napoléon III, qu’il appelait Napoléon le Petit (notamment dans Les Châtiments). Elles sont un exemple de la manière dont l’Angleterre a transformé les nombreux points d’appui de son empire maritime en paradis fiscaux comme Gibraltar à la pointe de l’Espagne, sans que Londres soit obligé de les tenir financièrement à bout de bras. George de Carteret, bailli de Jersey, a reçu jadis en Amérique du nord des terres qui sont devenues l’Etat du New Jersey au sein des Etats-Unis. Jersey n’était pas dans l’Union Européenne même avant le Brexit. Administrée sur place notamment par des connétables (maires), l’île dépend, ainsi que Guernesey, du duc de Normandie qui est le roi ou la reine d’Angleterre. Les activités financières très peu taxées représentent aujourd’hui plus de la moitié des activités de Jersey où la société américaine d’informatique Apple fait remonter depuis 2016 les deux-tiers de ses revenus qui transitaient précédemment par l’Irlande. Jersey est aussi devenue, par le miracle de ses circuits financiers, l’un des principaux exportateurs de bananes au monde. La sortie de l’Angleterre hors de l’Union européenne a reposé la question du partage de la pêche entre les Etats européens, en particulier avec la France, le plus proche voisin, de l’Angleterre, en donnant aux autres parties prenantes la claire impression de vouloir profiter de l’occasion pour remettre en cause à son profit les droits acquis. Cela dit, le bailliage de Guernesey qui a recueilli après Jersey pendant plusieurs années Victor Hugo exilé de France par Napoléon le Petit paraît être aujourd’hui le plus accommodant pour l’octroi des licences de pêche aux « travailleurs de la mer ».

 

Quand la déglaciation a fait monter les mers
Dans une élévation de plusieurs millénaires
Des îles sont restées au bord de l’océan
Terres qui paraissaient échapper au néant
Sur la ligne côtière elle-même nouvelle
Avant que les grands fonds privés des feux du ciel
Aillent plonger plus loin vers l’abîme profond
Si noir que le soleil n’en atteint pas le fond

On trouve à cet endroit maritime où se joignent
Le bocage normand et celui de Bretagne
Une île dont le nom est en anglais « Jersy »
C’est-à-dire en français langue de Normandie
Jersey la britannique à quelques encablures
Du Cotentin tout proche un endroit de verdure
Et de prospérité qui semble ex nihilo
Sortir avec ses fleurs de la vague et des flots
Un lieu de production florale et maraîchère
Mais surtout de finance activité plus chère
A la population et bien plus appréciée
Dans ce vert paradis fiscal et financier
Où l’argent à la fois est à l’aise et se planque
En se multipliant dans le trésor des banques

Connaissant leur tendance à garder le secret
Je ne suis pas surpris que l’on soit si discret
A Londres notamment sur cette dépendance
Qui dans son coin travaille et prospère en silence
En rentabilisant tous biens à sa portée
Dans ce temps de Brexit elle essaie d’ écarter
Les concurrents français dont les bateaux l’empêchent
D’exploiter à son gré ses ressources de pêche

Mais Guernesey du moins a soutenu le cri
Du poète jadis de Hugo le proscrit

Billet : La conquête d’Alexandre jusqu’en Afghanistan


Après avoir subi longtemps la pression de la Perse, les Grecs menés par le macédonien Alexandre « le Grand » (né en 356 av. J.-C, mort en 323 av. J.-C.), fils de Philippe contre lequel Démosthène a prononcé ses Philippiques, ont fini par s’emparer de cet empire ennemi qui s’étendait de la Grèce jusqu’à l’Indus. Militairement, ils étaient forts de leur expérience de mercenaires et de leur formation de combat, la phalange. Devenu le maître d’un immense territoire où les Russes puis les Américains, à notre époque, se sont cassé successivement les dents, Alexandre y a fondé des colonies qui ont toutes pris le nom d’Alexandrie. Parmi celles qui se situaient dans la partie la plus orientale, correspondant grosso modo à l’Afghanistan, on peut mentionner entre autres les villes qui s’appellent aujourd’hui Charikar près de Kaboul première ville d’Afghanistan ; Kandahar deuxième ville d’Afghanistan ; Hérat (Farah, c’est-à-dire Alexandria in Aria) ; Begram (Alexandrie du Caucase), etc. Alexandre a épousé en – 327 contre l’avis de ses généraux la belle Roxane, fille du satrape de Bactriane (contrée située dans le nord de l’Afghanistan actuel). Roxane a mis au monde un fils deux mois après la mort d’Alexandre le Grand qui souffrait d’une fièvre sur laquelle on continue à s’interroger. De concert avec Perdiccas, l’un des généraux macédoniens, elle a fait tuer et jeter dans un puits d’après Plutarque Stateira fille de Darius III et seconde épouse d’Alexandre le Grand, lequel avait manifestement l’intention de pratiquer une politique d’unions matrimoniales entre les Grecs et les princesses autochtones. Par la suite, Roxane et son fils ont été tués dans les luttes pour le pouvoir qui faisaient rage entre les proches du conquérant macédonien et entre ses généraux.
(Lire aussi dans Libres Feuillets l’article du 30 octobre 2011 intitulé Alexandre le Grand et la Macédoine antique ).

Issu de roitelets régnant en Macédoine
Il a conquis la Perse et dédaigneux des douanes
Des cadastres bornés des obstacles des freins
De nature à  brider son élan souverain
Il aurait volontiers soumis la terre entière
Et franchi sans effort de multiples frontières
Si ses propres soldats ne l’avaient arrêté
S’ils n’avaient à la fin fortement regretté
D’avoir perdu de vue le temps de leur jeunesse
Certains voulaient revoir – alourdis de richesses
Chargés de souvenirs glanés sans retenue –
Les débuts de leur marche à travers l’inconnu
Sous un chef toujours prêt à conquérir la terre
Mais beaucoup désormais se voulaient sédentaires

On ne décomptait plus le nombre des cités
Qu’ils avaient pu répandre avec rapidité
Comme sans y penser le long de leur passage
Des fortins et des forts devenus des villages
Qui se sont agrandis des postes des relais
Dans un pays peu sûr autant qu’il en fallait
Des places garnisons qui marquaient les étapes
Sur les routes tracées par les anciens satrapes
Des camps d’abord légers désormais permanents
Réédifiés en dur jusqu’en Afghanistan
Qui avaient tous reçu le nom d’Alexandrie
Un nom qui tenait lieu de petite patrie

Alexandre là-bas avait choisi pour femme
Une exquise beauté qui s’appelait Roxane
Elle a commis l’erreur de voir comme un dauphin
Le fils qu’elle avait eu du conquérant défunt
Les Grecs macédoniens refusant la « régence »
Qu’elle aurait exercé sur cette descendance
Ont fini par tuer la mère et l’héritier
Pour les éliminer sans respect ni pitié

Billet : mort de Sergio Birga, peintre et graveur

Sergio Birga, florentin d’origine, peintre et graveur vivant à Paris, est mort brutalement pendant ses vacances à Cannes le jeudi 26 août 2021 à l’âge de 81 ans au milieu de la journée. Il a été inhumé dans un caveau profond le vendredi 3 septembre 2021 au nouveau cimetière de Châtenay-Malabry (92) après la messe célébrée l’après-midi en l’église Saint-Nicolas-des-Champs. Le choeur de cette église est orné d’un retable composé de beaux tableaux de Simon Vouet que Sergio m’avait fait découvrir quelques années auparavant. Je lis dans le livre de Bertrand Dumas, Trésors des églises parisiennes, préfacé par Marc Fumaroli, que ce retable « passé miraculeusement au travers des modes et des révolutions, est l’unique témoin de somptueux décors d’autel parisiens du règne de Louis XIII  » (sous lequel le cercueil de Sergio a été placé pendant la messe de funérailles concélébrée par plusieurs prêtres du diocèse). « Le peintre a tiré profit des deux étages du retable. Vouet relie l’ensemble par le jeu des regards et des gestes et par la cohérence de la couleur et de la lumière. La main levée de saint Pierre conduit le regard du spectateur vers le niveau supérieur ». La lueur du registre terrestre devient apothéose de lumière au registre céleste (Bertrand Dumas).

I
Je roulais vers l’Alsace un coup de téléphone
D’Annie Birga soudain nous laissant comme aphones
S’est frayé non sans mal dans ma tête un accès
Sergio dit-elle est mort l’heure de son décès
Vient d’être constatée par l’hôpital de Cannes
Il nageait dans la mer comme vers la Toscane
En regardant au fond avec masque et tuba
Les eaux ensoleillées qui miroitaient en bas
Je ne sais ce qu’a fait ce petit attirail
De nageur près du bord qui brusquement défaille
– Peut-être une douleur le prenant en tenaille
Au point qu’il a voulu l’écarter de son cou –
Toujours est-il que l’eau qui lui plaisait beaucoup
Mais qui peut devenir un poulpe à tentacules
A dû fermer sur lui sa mâchoire de bulles
Et frapper le baigneur d’une électrocution
Subit arrêt du cœur -mortel sans discussion-
Qui l’a privé de vie dans un flot de lumière
Alors qu’il finissait sa nage coutumière

II
Transporté à Paris sous le retable peint
Par Vouet il gisait dans un cercueil en pin
Avant d’être livré après la messe ultime
A un caveau profond -là le corps se périme-
Nous l’avons escorté vers le bout du trajet
Où la mort l’a réduit en périssable objet
Vers la proche banlieue et vers le cimetière
Etape pour le mort peut-être la dernière
Somnolant pour ma part sur la route bloquée
Par nombre de bouchons qu’on peine à expliquer
Dans la circulation proche de la thrombose
J’ai pensé paradis survie métempsycose
Eternité de l’art qui peut nous consoler
Bien qu’elle soit sans doute un pauvre pis-aller

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : André Breton au hasard de la vie

Quand j’ai passé l’agrégation de lettres classiques en 1971, André Breton figurait au programme de ce concours. Aujourd’hui, cinquante ans après, je me souviens surtout de Nadja qui s’achève par cette phrase où le mot « convulsive » est écrit en majuscules par l’auteur : « La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas ». On m’a fait remarquer récemment que, lorsque Nadja a été enfermée comme folle à « l’asile de Vaucluse » (c’est ainsi que Breton appelle cette institution), le poète ne lui aurait jamais rendu visite. Elle serait morte dans cette institution pendant la guerre de 1939-1945, ce qui m’a rappelé le triste destin de Camille Claudel enfermée par sa famille et morte elle aussi quasiment de faim à l’asile (en 1943). Dans L’Amour fou (1937) qui conclut le cycle de trois œuvres commencé avec Nadja (1928) et continué avec Les Vases Communicants (1932), Breton exprime un souhait adressé à sa fille Aube née à la fin de 1935 de son union avec Jacqueline, la femme aimée de L’Amour fou (« Je vous souhaite d’être follement aimée. ») A la fin de sa vie, le 27 septembre 1966, souffrant d’une insuffisance respiratoire, André Breton est rapatrié de Saint-Cirq-Lapopie, le village du Lot dans lequel il avait acheté en 1951 l’ancienne auberge des mariniers ayant appartenu au peintre postimpressionniste Henri Martin. Il meurt le lendemain à l’hôpital Lariboisière à Paris. Dans les années 2010, lors d’un voyage en voiture dans la région de Toulouse, nous avons visité, Maryvonne et moi, une partie de la région du Lot sans faire attention au fait que Saint-Cirq-Lapopie y était un haut-lieu d’André Breton. Puis, avant l’élection présidentielle, et de nouveau en 2021, je me suis rendu compte que le président Macron manifestait un intérêt particulier pour ce lieu devenu plus touristique que poétique, désigné comme l’un des « villages préférés des Français ». La maison d’André Breton à Saint-Cirq-Lapopie a été transmise à sa fille Aube qui l’a revendue à un couple d’artistes. Après des tergiversations, la commune s’en est portée acquéreuse.

Lorsque j’ai préparé l’agrégation de lettres
J’ai trouvé qu’il fallait pour bien concourir être
-Pas seulement paraître – en face du jury
Sincère avec des mots médités et mûris
Mais bien qu’ayant passé sans encombre l’épreuve
Où le surréalisme était une idée neuve
– Le programme incluait L’Amour fou de Breton –
Ce livre m’a semblé ne pas être d’un ton
Qui pouvait s’accorder à la beauté du titre
Son auteur paraissait trop docte à son pupitre
Ecrivant un essai qui à la poésie
Mêlait l’exaltation dont il était saisi
Quand il se rappelait avoir vu Tenerife
Avec la femme aimée tout était « convulsif »

J’ai découvert plus tard comme un haut nid-de-pie
Les ruelles perchées de Saint-Cirq-Lapopie
Breton en avait fait son rêve le meilleur
– J’ai cessé disait-il de me chercher ailleurs –
Dans un panorama de sauvage beauté
Au pied de ce village où venaient caboter
Jadis au long du Lot suivant leurs attelages
Lentement sûrement les bateaux de halage
Des artisans nombreux travaillaient en ce lieu
En plus des bateliers maints tourneurs ingénieux
Y façonnaient le bois et par la voie des eaux
Expédiaient leurs produits jusqu’au port de Bordeaux

En mil neuf cent cinquante une très vieille auberge
De mariniers devient son bien non loin des berges
Le barde y vient souvent puis le charme se rompt
Le cirque de la vie cesse de tourner rond
Mais la magie d’antan devenue touristique
Alimente toujours la renommée rustique
Du village à présent préféré de Macron
Après avoir été le fief d’André Breton

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Edition limitée : Vollard, Petiet et l’estampe de maîtres, au Petit Palais du 19/5 au 29/8 2021

Le célèbre marchand d’art Ambroise Vollard (1866-1939) avait, de son vivant, fait don de nombreux livres d’art et d’estampes au Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, actuel Petit Palais. Après sa disparition, Henri Marie Petiet (1894-1980) achète le stock Vollard, reprend les nombreux projets inachevés, et continue d’augmenter son fonds propre d’éditeur. Ses héritiers ont suivi l’exemple de Vollard et ont ainsi enrichi la collection du Musée. De cette conjonction est née l’initiative de présenter en même temps l’œuvre de ces deux passionnés dans une exposition dédiée à la création de l’estampe et du livre d’art au dix-neuvième siècle.

Leurs amis peintres se sont empressés de portraiturer et l’un et l’autre. Picasso s’est amusé à dire que « La plus belle femme du monde n’a jamais eu son portrait, peint, dessiné ou gravé, plus souvent que Vollard ». Le portrait le plus connu est celui de Cézanne (1899) qui donna tant de mal au peintre et qui fatigua Vollard par les très longues séances de pose ; il montre un homme grave et concentré dans un cadre dépouillé. Et, à la même date, Renoir cueille au dépourvu Vollard revenant de voyage, désinvolte, un foulard rouge noué sur la tête. En 1924 c’est le tour de Bonnard : Vollard, entouré et comme cerné de tableaux, pose tranquillement, vêtu de noir, un chaton sur les genoux.  Petiet ne sera pas en reste :  Edouard Goerg dessine un Petiet au regard aiguisé sous des lunettes rondes (1931), tandis que Marcel Gromaire figure dans son style synthétique l’amateur d’estampes (1935).

Vollard a commencé sa carrière de galeriste par la vente de tableaux et dès ses débuts révèle son intuition extraordinaire, lorsqu’il achète des toiles à un Cézanne encore inconnu et reconnaît le génie de Gauguin. Il a aussi la passion de l’estampe. Il décide donc de montrer dans sa petite galerie de la rue Laffitte des recueils de gravures. Bien sûr des eaux-fortes, des gravures sur bois, des aquatintes, des pointes sèches, mais surtout – et c’est nouveau – des lithographies en couleurs qui reprendront les dessins des peintres. Ceux-ci seront alors des peintres-graveurs.

Ses goûts littéraires se manifestent  dès ses débuts. Il vend des lithographies d’Odilon Redon :  pour Gustave Flaubert « La Tentation de Saint-Antoine » (1896) ou encore pour Stéphane Mallarmé « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard » (1896). Cette même année il organise une exposition sur « Les Peintres-Graveurs » et édite un album qui regroupe vingt-deux estampes originales, tirées chacune à cent exemplaires. A côté de peintres reconnus comme Fantin-Latour, Albert Besnard, Odilon Redon et Renoir, Vollard donne une place de choix aux tout jeunes Nabis, Vuillard, Denis, Bonnard, Vallotton, dont il a su reconnaître l’inventivité. Figure aussi dans ce choix le génial Edvard Munch qui séjourne alors à Paris, avec la lithographie intitulée « Le Soir ».

Edvard Munch

munch

Il renouvelle l’expérience l’année suivante avec un deuxième recueil, « Album d’estampes originales de la galerie Vollard », composé cette fois de trente-deux estampes, dont celle de Whistler. Toujours sur sa lancée, Vollard fait appel aux Nabis. Vuillard, Denis, Bonnard, Ker-Xavier Roussel. Ils inventent chacun treize lithographies en couleurs  regroupées en album : c’est « Amour » pour Denis, « Quelques aspects de la vie de Paris » pour Bonnard, « Paysages intérieurs » pour Vuillard, « Paysages » pour Ker-Xavier Roussel. Chacun y dévoile son originalité propre et la lithographie y atteint des sommets.

Maurice Denis

denis

Vollard ne s’arrête pas là : l’idée lui vient de créer des livres d’art. Ce seront les Editions Vollard. Travail acharné qui vise à la perfection. Il en parle ainsi : « Réfléchissez qu’il faut obtenir qu’auteur, imprimeur, graveur, éditeur, que sais-je encore, ne fassent, en quelque sorte, qu’un. Et, à chaque livre nouveau, c’est à recommencer ; c’est toujours la même communion qu’il faut obtenir, c’est la même fusion à réaliser. » Pour illustrer ce processus l’exposition ne se contente pas de montrer les gravures ; elle présente des instruments de travail, elle donne le nom de ces trop cachés praticiens qui ont mis tout leur savoir-faire au service des artistes et de leurs images. Et la dernière salle se clôt sur une photographie géante d’un atelier de gravures avec ses presses et ses ouvriers. Les livres d’art vont désormais se succéder, chefs-d’œuvre dont le visiteur n’a qu’un avant-goût, puisqu’il demeure curieux des autres gravures que laisse présager la gravure choisie pour la montre.

Le Parallèlement (1900) qui réunit Verlaine et Bonnard est une réussite ; Bonnard a choisi d’illustrer le texte voluptueux du poète par des lithographies colorées en rose et Vollard a découvert à l’Imprimerie Nationale l’italique du caractère Garamond.  Sans se soucier des censures et critiques d’un siècle pudibond, Vollard publie « Le Jardin des Supplices » d’Octave Mirbeau (1902), accompagné des aquarelles et dessins de Rodin. Verlaine est aussi l’auteur de Sagesse et c’est Maurice Denis qui  correspond au mieux à la sensibilité religieuse du poète (1911). Ses dessins deviennent par la main de Jacques Beltrand avec qui il collaborera ultérieurement des gravures sur bois, inspirées et belles, certaines présentées en bandeau. Si Vollard par sa proximité avec Alfred Jarry est souvent  satirique à l’égard des institutions, on ne peut en dire autant en ce qui concerne la religion. Il publie « L’Imitation de Jésus-Christ » (en 1903,  toujours avec Denis) et, en 1928, « Les Petites Fleurs de saint François » avec des gravures sur bois d’Emile Bernard ; il faudra attendre 1956 pour que le grand éditeur d’art Tériade publie « La Bible » accompagnée des eaux-fortes de Chagall, reprenant l’idée première de Vollard.
La poésie, avec Mallarmé et Verlaine, est une veine également poursuivie par Vollard. Il confie à Bonnard un « Daphnis et Chloé », pastorale de Longus, pour des lithographies en gris. Emile Bernard  dont le talent de graveur sur bois est mis ici en évidence trouve un sujet d’inspiration dans les poèmes de « maistre Villon ». Et il illustrera aussi Les Fleurs du mal.

Vollard ne craint pas de s’attaquer aux grands textes anciens. Emile Bernard travaille sur L’ Odyssée ;  Petiet reprend le projet des Géorgiques de Virgile qu’il confie à l’un de ses illustrateurs préférés, Dunoyer de Segonzac, et la Théogonie d’Hésiode, revisitée par Braque, voit le jour en 1955 aux éditions Maeght. il s’agit aussi d’un projet de Vollard qui ose unir l’art moderne à cette littérature ancienne qui n’a pas vieilli. Il a donc su reconnaître Braque, mais son mérite éclatant reste la découverte du jeune Picasso dès 1901. Il publie alors certaines de ses gravures, comme « Arlequin ». Il  l’engagera plus tard, en 1931,  dans un projet inattendu, l’illustration du roman de Balzac Le Chef d’œuvre inconnu. La maestria de Picasso dessinateur est sans égale. Il le démontre encore dans ses illustrations d’après Buffon. La série d’eaux-fortes sur le thème du Minotaure  (1933-1937), cent gravures commandées par Vollard qui leur a donné son nom dans la « Suite Vollard » , est admirable par sa violence et son érotisme. Picasso a choisi son sujet. On est souvent frappé par l’adéquation entre peintre et thème littéraire.

Picasso

picasso

Cette adéquation est tout aussi évidente dans le choix de Chagall pour le roman de Gogol Les âmes mortes.  Vollard n’a pas découvert Chagall, mais il a pensé à lui  demander d’illustrer le roman russe et c’est une réussite.

A force d’éditer de grands auteurs il est venu à Vollard l’ambition de s’autoéditer. Il a modestement écrit sur les peintres qu’il aime et fréquente, Cézanne et Renoir. Il a publié un album Degas. Il a publié des lettres de Van Gogh à Emile Bernard. Mais il écrit, et comme il a participé au livre de Jarry illustré par Bonnard Almanach illustré du Père Ubu en 1901, il lui vient l’idée d’en être un peu le continuateur, puisque Jarry est mort prématurément en 1907. Il sait qu’il n’a pas son génie, mais il observe, il critique, il s’amuse des travers de ses contemporains, il s’en indigne parfois. Il publie en 1923 avec les dessins de Jean Puy une satire antimilitariste « Ubu et la guerre » (signalons qu’ une exposition Jean Puy/Ambroise Vollard  est en cours au Musée de Pont-Aven). Il a toujours souhaité que Georges Rouault illustre ses écrits,  même si les rapports avec celui-ci sont compliqués, Rouault le trouvant trop exigeant en particulier sur le temps  qu’il lui alloue pour la réalisation de ses gravures. Le style de Rouault, expressionniste  et violent, convient bien au propos de Vollard. Malgré ces problèmes l’album sort enfin en.1932. Il est intitulé Les Réincarnations du Père Ubu. Et Rouault  en 1934 grave en aquatintes en couleurs les images frappantes du « Cirque de l’étoile filante » ; il collabore avec le grand écrivain contemporain, André Suarès, pour Passion, un livre mystique.

On n’en finirait pas de citer les découvertes de Vollard, d’Alfredo Müller à Mary Cassatt et d’exalter cette avidité, et on ne saurait davantage oublier que Petiet qui n’est pas en reste va choisir Maillol ou Derain comme collaborateurs.

Le directeur du Petit Palais promet dans sa préface au catalogue de cette passionnante exposition de « défendre la cause de l’estampe ». Acceptons en l’augure ! Mais il en donne déjà avec son équipe une belle démonstration.

Annie Birga

Billet : Massacres en Afrique dans les années 1990

Avant la venue du président français à Kigali, capitale du Rwanda, le président rwandais Paul Kagame s’est félicité, dans un entretien daté du mercredi 19 mai 2021 avec les journalistes du Monde, que la relation bilatérale entre les deux pays se soit réchauffée. Mais le lecteur français que je suis reste toujours surpris par la teneur des propos que tient Paul Kagame (ou Kagamé) sur le génocide des Tutsi qui a eu lieu au Rwanda dans les années 1990. Je ne sais pas dans quelle mesure il continue à en tenir la France pour responsable, coupable ou complice. Sur la suite du génocide, il s’exprime ainsi, à propos des camps de réfugiés installés en République du Congo : « Il y avait beaucoup de participants au génocide qui se trouvaient parmi les réfugiés. Mais la communauté internationale s’entêtait à nourrir tout le monde, à leur donner tout ce qu’il fallait, comme si c’était seulement des réfugiés. On [?] n’arrêtait pas de le souligner. Une large partie des civils réfugiés au Congo étaient ceux qui avaient massacré avec des machettes. La communauté internationale a essayé de masquer cela. Nous, nous avons organisé le retour de la plupart des réfugiés. On ne pouvait pas à la fois planifier le fait de tuer ces gens et, en même temps les rapatrier. » Dans un autre passage du même entretien, Paul Kagamé précise : « Certains des Hutu qui ont tué, ou ceux qui les ont laissé faire, ont besoin d’une sorte de rédemption pour obtenir la chance d’être des gens normaux, comme ils auraient dû l’être. Les Tutsi qui ont survécu se disent : « ces gens-là ont voulu nous éliminer totalement », et ils les en tiennent pour responsables. Finalement, tous m’en veulent. Les Hutu me reprochent d’être mis en accusation, les Tutsi me reprochent d’oublier nos souffrances. Mais ce qui les réunit, c’est l’idée que cet homme [Paul Kagame] tient les choses ensemble. »

Parfois on se demande où gît la vérité
Qui semble s’entourer de noire obscurité
Profondément plongée dans un passé qui rouille
Complexe à un point tel que le regard se brouille
Une situation dans laquelle on se perd
Quand on veut trop comprendre et que l’on s’exaspère
De n’avoir pas assez de lumière croit-on
Pour s’échapper de l’ombre autrement qu’à tâtons

Dans cette incertitude on entend que dissone
Le cri jamais éteint de toutes les personnes
Qui ont trouvé la mort tuées au Ruanda
Ce n’était nullement le temps d’un concordat
Que cette décennie de fin de siècle atroce
Où l’Afrique a montré son visage féroce
En ce temps je pensais que la France avait fait
Tout ce qu’elle pouvait pour stopper les forfaits
Aucun autre pays n’ayant eu le courage
D’oser s’ interposer  pour arrêter la rage

Tous ceux qui lâchement sont restés à l’écart
Accusent les Français ressortis du placard
D’avoir aidé le crime en voulant entraver
Le châtiment de ceux que rien ne peut sauver
La juste punition qui leur semblait promise

D’être intervenus tard pour leur sauver la mise
Donnant aux assassins au lieu d’être frappés
La chance in extremis de pouvoir décamper
Mais était-ce une chance – en fait tant de fuyards
Ont été poursuivis et traqués sans fanfare
Corps et biens disparus au tréfonds du Congo
Qu’importe dira-t-on c’étaient des saligauds
Qui méritaient leur sort et sans « de profundis »
Non se venger n’est pas faire acte de justice

Et quand le chef tutsi persiste à réprimer
Son peuple de Hutu coupable et mal aimé
On peut se demander s’il est le rédempteur
Ou s’il n’est pas plutôt le parfait dictateur

 

Billet : Aqueducs et gazoducs

Les Romains construisaient d’audacieux aqueducs
Mais ils ne savaient rien des présents gazoducs
S’étirant en longueur depuis les gisements
D’où jaillit le méthane au bout du continent
Tels des Pythons issus de la boue primordiale
Et dont la dimension devient enjeu mondial
Depuis la Sibérie au-delà des taïgas
Où le dégel profond ferait de gros dégâts
Jusqu’à la mer Baltique au nord de l’Allemagne
Où le tuyau « Nord Stream » sortant des eaux regagne
Une terre enfin ferme et peut vomir son feu
Inerte jusqu’alors léthargique et gazeux
Comme un monstre mythique à la fin se ranime

Ce dernier verbe attend de rimer avec Nîmes
Jadis pourvue en eau par l’ouvrage romain
Dénommé « Pont du Gard » un pont hors du commun
Dont l’utile beauté depuis deux millénaires
Soutient un aqueduc sur ses arches de pierre

L’Allemagne et Moscou ont presque rassemblé
Les ultimes tronçons permettant de doubler
Ce que peut transporter leur énorme pip(e)line
Mais les Etats-Unis craignent l’indiscipline
En cas de liens plus forts entre Europe et Russie
L’Amérique de plus aimerait vendre aussi
Par bateaux méthaniers sans visée philanthrope
Ses trop-pleins liquéfiés à ses alliés d’Europe
L’Allemagne – elle – attend l’afflux de gaz fluant
Afin de minorer ses rejets polluants
Et confirmer ainsi son refus de l’atome
Transformer son lignite en souvenir fantôme
La France en cette affaire entre l’écologie
et le proche voisin quelle est sa stratégie

 

 

Ce poème confronte en quelque sorte le transport ancien de l’eau (H20) par aqueduc en France au temps de l’empire romain et le transport moderne du gaz méthane (CH4) par gazoduc entre la Russie et l’Allemagne aujourd’hui. Ce sont dans les deux cas des exploits technologiques, mais les ouvrages sont sans commune mesure du point de vue des dimensions et de l’art : d’une part un aqueduc d’environ 53 km passant sur un pont spectaculaire de 275 m de long, d’autre part un double tuyau sous pression de 1400 km, la plupart du temps invisible, enterré ou passant sous les eaux de la Baltique. Au sommet de l’OTAN du 11 juillet 2018 le président américain Donald Trump avait mis en cause l’Allemagne que ce projet rendrait « prisonnière de la Russie ». Depuis la défaite électorale de Donald Trump, l’opposition américaine à ce gazoduc s’est exprimée de manière moins frontale. Ce qui est en cause, c’est la politique énergétique de l’Allemagne, qui a voulu renoncer à l’énergie nucléaire depuis la catastrophe japonaise de Fukushima, mais qui n’a pas d’autre solution évidente que le gaz à l’état gazeux ou liquide pour la remplacer, sauf, à court terme, une utilisation accrue de son charbon ou lignite polluant, et à plus long terme un pari massif en faveur des énergies renouvelables telles que celle des éoliennes.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : surnoms de rois

Naguère chroniqueur puis éditorialiste
Un homme de médias qui se veut analyste
Cherchant dans le passé les meilleurs des surnoms
Afin de les inscrire à nouveau sur le front
De nos politiciens tantôt jeunes modernes
tantôt traditionnels qui bien ou mal gouvernent
Choisit pour qualifier l’actuel président
L’adjectif de « hardi » qui n’est pas évident
D’autres vont rectifier « Macron le téméraire »
Qu’ils voient à bref délai président honoraire

Parmi les Capétiens Philippe le hardi
Second fils de celui qu’on nomme Saint Louis
A dû son épithète à sa vaillance en guerre
Bien qu’on l’ait dit aussi faible de caractère
Charles le téméraire au surnom plus connu
A cherché pour sa part de façon continue
A grossir son pouvoir contre le roi de France
Auquel il refusait de donner allégeance
Ce roi était Louis surnommé le prudent
Qui préférait la ruse aux moyens plus ardents
La liste des Louis le plaçait en onzième
il était cependant premier en stratagèmes
Imposant face aux ducs ses droits de suzerain
Vainqueur dans son duel s’affirmant souverain
Contre son ennemi le prince de Bourgogne
Il ne rechignait pas aux patientes besognes

Par des paiements royaux par des accords adroits
Contre le téméraire ainsi devenu proie
Grâce à l’argent versé aux mercenaires suisses
Louis XI a gagné fort de cette milice
De ces hallebardiers et piquiers aguerris
Fidèle à son renom de prudence à l’abri
Sans désir de briller au niveau des étoiles
Content d’être araignée qui sait tisser sa toile

 

Dans Le Télégramme du 21 mars 2021, les lecteurs de ce journal brestois ont pu lire un article sous le titre : « Macron est un bonapartiste du XXIe siècle ». L’article commence  ainsi : « Figure médiatique omniprésente et analyste politique respecté, Alain Duhamel décrit dans son dernier livre, Emmanuel le hardi, l’arrivée de Macron au pouvoir « par effraction », un hold-up électoral qui s’inscrit dans la tradition française du bonapartisme. » Puis vient une question du journal à l’auteur du livre : « Pour le titre de votre ouvrage, vous avez hésité avec « Macron le téméraire », pourquoi avoir finalement préféré la hardiesse à la témérité… ? » Réponse d’Alain Duhamel : « parce que la partie n’est pas encore jouée, et il se représentera l’an prochain, lui [contrairement à François Hollande le débonnaire], j’en suis persuadé ». Le questionné aurait pu répondre plus honnêtement : parce que « hardi » est flatteur, alors que « téméraire » est critique, signifiant « hardi à l’excès » (voir le dictionnaire). Le surnom « le téméraire » est bien connu dans le « récit national » français, il est celui du duc Charles de Bourgogne qui, à la fin du XVe siècle, s’est heurté au roi de France Louis XI, appelé « l’universelle araigne » parce qu’au contraire de Charles le téméraire, il tissait patiemment sa toile pour y attraper ses ennemis en usant de moyens peu chevaleresques comme celui de les garder enfermés dans des cages de fer.

Dominique Thiébaut Lemaire

Texte d’Yvi Le Beux : grenouilles et rats dans le Marécage.

 

Libres Feuillets a consacré à Yvi Le Beux un article biographique daté du 9 novembre 2019, intitulé « Le professeur de médecine Yvi Le Beux de Quimper à Québec et à Vancouver »
Yvi Jérôme Joseph Le Beux, né à Kernével (aujourd’hui Rosporden) près de Quimper le 5 août 1932, interne des Hôpitaux de Paris, docteur en médecine en 1962, s’est installé ensuite au Canada où il a été professeur à l’université Laval de Québec. Il s’est ensuite retiré en Colombie-Britannique (État de l’ouest canadien) où il a acquis une maison, à l’endroit le plus chaud du Canada, dans une vallée au climat sec, entourée de lacs, de vignobles et d’arbres fruitiers. Il est mort le 19 mai 2015 à Penticton, non loin de Vancouver, dans une  maison de retraite (Haven Hill Retirement Centre) où il se trouvait depuis quelques mois. L’un de ses fils a été son exécuteur testamentaire.
Sa famille bretonne a appris son décès par une notice sur internet (The British Columbia Gazette du 9 mars 2017), publiée par le gouvernement de la Colombie-Britannique appelant les créanciers éventuels à se faire connaître en vue du règlement de la succession.
La compagne d’Yvi Le Beux, Dorothy Nakos, était entrée en contact avec la famille bretonne en mars 2015 après la lecture d’un article intitulé « Une famille bretonne de la Révolution aux guerres du XXe siècle », publié par Dominique Lemaire (d.t.lemaire@gmail.com), époux de Maryvonne Lemaire née Scavennec (parente d’Yvi Le Beux) sur le site (WordPress) « Libres Feuillets » (www.ouvroir.info/libresfeuillets/).
Dorothy Nakos, née à Paris en 1947, est venue jeune au Canada. Elle a fréquenté l’école anglaise puis obtenu le baccalauréat en philosophie de l’université de Caen (bac français) au Collège Marie de France à Montréal. Ensuite, elle a fait des études universitaires : licence, maîtrise avec thèse et doctorat en linguistique appliquée. Elle a été, comme Yvi Le Beux au côté duquel elle a vécu pendant trente ans, professeur à l’université Laval à Québec, lui à la faculté de médecine, elle à la faculté des lettres. Elle est l’auteur(e) de livres et articles consacrés à l’imagerie médicale (Dictionnaire de l’imagerie médicale) et à la linguistique (terminologie et onomastique).

Dans le présent article, il est question de deux textes (transmis par Dorothy Nakos), rédigés par Yvi Le Beux. au cours des dernières années de sa vie.
L’un est un texte d’histoire, consacré à la découverte de l’Amérique, remontant aux Vikings et détaillant l’exploration de l’embouchure du Saint-Laurent par Jacques Cartier (1491-1557), navigateur breton originaire de Saint-Malo.
L’autre texte, sous forme de fable, décrit la vie des grenouilles et des rats dans un grand marécage de l’Amérique du Nord. D’après Dorothy Nakos, ce serait une parodie de la vie politique au Québec… Des extraits de ce second texte de 36 pages sont cités ci-après.
P.1-8 :
« Dans le frisquet d’une aube blafarde, le ciel a gardé une couleur gris métallique. La grande froidure à peine terminée, le soleil s’est levé avec difficulté, mais, dès l’aurore, se fait éclatant, inondant de ses rayons déjà chauds une végétation encore figée, qui ne
demande qu’à s’épanouir à la lumière d’un été déjà proche. A une dormance prolongée
fait brutalement suite une reprise active de la vie qui, succédant au tumulte des éléments,
s’avère d’autant plus fébrile qu’elle est courte. Dans l’immensité de la contrée vaste comme un continent, parsemée de nombreux lacs s’étendant jusqu’à l’horizon, s’est animé le grand marécage aux frontières indécises, dit le Marécage, d’où s’élève une clameur d’indignation, périodiquement. Faune, flore n’y sont que formes de
l’environnement. La vie des êtres signifie celle du monde qu’ils peuplent mais, d’un lieu
à l’autre, diffère sans pourtant exclure l’une ou l’autre des communautés, car, malgré
leurs particularités, elles n’ont jamais cessé de coexister.
Le marécage revient à la vie, qu’il semblait avoir perdue, au moins momentanément. Grenouilles, crapauds des roseaux, qui la tête enfouie dans la vase, qui abrités dans les anfractuosités de quelques blocs de rochers de la berge, se tenaient
immobiles, s’activent maintenant…. Au fur et à mesure que la chaleur du soleil dissipe les brumes du matin s’élevant du marécage, la frénésie de la vie chasse l’engourdissement du sommeil. À l’approche du marécage, le ciel est empli du bruissement de bestioles grouillantes, débouchant de n’importe où, à n’importe quel moment ! La quête du suc des visiteurs les rend très agressives. Intrépides, elles fondent sur leurs victimes au hasard des rencontres.
Dans ce monde aux actions franches, directes, sans aménité, vivent aussi d’autres
pensionnaires à l’allure paisible, qui sur un lit de verdure, qui assis sur une feuille de
nénuphar, attendent qu’on vienne à eux pour se rassasier à leur tour. La nourriture y est
vraiment abondante. Y vit-il en harmonie, ce petit monde ? On s’entre-dévore et on se
reproduit. La nature le lui a enseigné. Rien ne se perd ni ne se crée dans cet univers….Parmi joncs, roseaux et autres plantes aquatiques, s’ébattent des grenouilles
attroupées. Dans la nonchalance de l’après-midi ensoleillé, elles coassent gaiement.
Sans doute racontent-elles les dernières aventures de leur retour à la vie sociale. La
saison active vient de commencer et ça jase déjà fort. Que de gentilles commères ! Sur
la berge, des crapauds américains prennent leur bain de soleil, tout en zieutant les belles
grenouilles. A l’écart, parmi les nénuphars, se tient toujours au même endroit que la
veille, la tête hors de l’eau, immobile, comme figée, à la façon d’un périscope de sous-
marin, une énorme Grenouille. Elle observe, plutôt elle scrute. Elle est aux aguets. Le
majestueux personnage, c’est Ouaouaron. Grimpée au faîte d’un bouleau, près de la
berge, une petite grenouille d’un bleu-vert tendre, brillant, s’est agrippée à l’une des
branches, à l’aide de ses petites pelotes charnues à l’extrémité des doigts. Une patte
après l’autre, elle avance le long de la branche, se déplaçant lentement. Elle épie entre le
feuillage, tout en ne quittant pas des yeux le moindre geste de son compagnon. De son
poste d’observation, elle scrute aussi à l’entour. Cette gentille créature, c’est Hyla. Dans
cet univers où s’entre-dévorer est la règle, Ouaouaron et Hyla se sont unis pour pouvoir y
continuer à vivre. Ils se sont ainsi liés d’affection.
Après un hiver des plus rigoureux, prolongé d’une quinzaine, l’atmosphère est
désormais à l’optimisme dans le Marécage. La nuit durant, le ronflement continu des
mâles l’a tenu en éveil. Le temps est venu de répondre à l’appel de la race selon le maître
à penser Alonie, le choucas très futé qui veille à la spiritualité de la gent grenouille. Et de
se rendre à l’étang des amours. Le chemin est court. Par une belle journée ensoleillée du
printemps, après s’être réchauffés l’après-midi durant, les sieurs y sont arrivés les
premiers. Qu’ils sont empressés à courir le guilledou ! Et, le crépuscule venu, ils
poussent leur romance et n’auront pas de cesse qu’ils n’aient obtenu ce qu’ils veulent, la
présence des dames. Nageant inlassablement, les sieurs manifestent de l’impatience.
Certains se méprennent et étreignent, qui un compère, qui un crapaud parmi les roseaux.
Ça grogne…et de lâcher prise. Enfin, voilà une dame ! Se ruent nombre de sieurs qui
tentent de la saisir, de l’étreindre, de se cramponner à toute chair encore disponible.
Impossible ! Si ce n’est de s’entasser les uns sur les autres, une marée de grenouilles
engluées en une vaine consommation, sans délices. A la lisière de l’impulsive brutalité
aveugle, le jeu de l’amour et du hasard triomphe enfin ! Un sieur Grenouille, comme tant
d’autres le font encore, appelle sa dame de son chant qui a l’heur de la séduire. Dieu, le
ciel l’aurait-il exaucé ! De son cloaque se dégagent alors des effluves si odoriférants
qu’elle tombe ! Il ne lui reste plus qu’à l’étreindre de ses bras, d’un geste convulsif, à
l’embrasser en arrière des siens et à se cramponner à son dos, la nature l’ayant pourvu de callosités sur les doigts des mains et sur différentes parties du corps. L’énorme dame
Grenouille esquisse quelques pas de danse, un petit sieur agrippé au dos. Au terme d’un
laps de temps plus ou moins long, elle livre à la nature une myriade d’œufs que son
partenaire de petite taille couvre d’une semence épaisse. La nature disposera ainsi de
grappes d’œufs fécondés. Le devoir accompli, l’étreinte se desserre. Le sort en est jeté.
La dame quitte l’étang des amours. Le sieur appelle encore. Il est toujours disponible.
L’accouplement, c’est l’infini mis à la portée des grenouilles aussi longtemps que se
maintiendra l’espèce, pourvu que l’environnement leur prête vie. Ainsi naissent les
têtards, une manne dans le Marécage, qui survit toujours. On va pouvoir continuer à y
faire bonne chère. Elle est délectable, exquise même et abondante.
La gent grenouille va pouvoir maintenant couler des jours paisibles et se prélasser.
En quelque sorte, c’est un coin de paradis. A l’acmé de l’un de ces après-midi tranquilles,
mais étouffants, subitement, voilà que clapote l’onde dans le Marécage. Le calme brisé,
les pensionnaires somnolentes sont frappées de stupeur. Elles se sont instantanément
tues. L’inquiétude grandit. Dérangée, la gent grenouille, fort avisée et peureuse, est prise
d’une grande panique. Peu s’en faut, ces aimables créatures ne font voir leur derrière
qu’à peine l’espace d’un instant, plongent prestement au fond de l’onde et se dissimulent
là où ce n’est qu’eau et vase, en remuant vivement les pattes de derrière au passage.
Encore des flocs incessants ! Elles se cachent aux regards indiscrets dans l’onde.
Pourquoi ce branle-bas ? Nul ne le sait. Sieur Héron, dame Couleuvre ne sont pourtant
pas sur les lieux. Le temps s’écoule, fuyant même. Le danger passé, timidement,
quelques grenouilles se hasardent à remonter à la surface, suivies graduellement par
d’autres. La tête hors de l’eau, elles se mettent à coasser bruyamment, en prenant le ciel
à témoin. Tout va mal, rien ne va bien, les pensionnaires du Marécage coassent les unes
après les autres. Le Marécage en résonne. L’optimisme est de retour. Il n’y pas au
monde plus avisée que la gent marécageuse. Le calme est revenu.
Il n’est d’éden que dans l’imaginaire. Dans l’univers du Marécage grouillant de
pensionnaires, continuer d’être peut dépendre de l’agilité d’un saut ou du camouflage.
Ouaouaron, au rictus superbe, toise encore et toujours. De sa propre initiative, il s’est
proposé d’aider ainsi ce peuple agile et fier, le peuple marécageois. Hyla, sa dulcinée,
n’en est que plus fière. Il suppute, de temps à autre, ses chances de pouvoir
continuer à le faire. Pourquoi ne serait-il pas comblé à son tour ? Cela lui permettrait de
faire honneur à Hyla, la gracieuse rainette, sa fidèle compagne en ce monde, où lutter
pour survivre à la prédation nécessite une attention de tous les instants. Elle lui prodigue
avec constance talent et énergie, tantôt en l’assistant dans l’activité de surveillance, tantôt
en le conseillant. Elle se sent en sécurité avec lui, mais elle déteste tremper dans la mare
aux grenouilles. Elle encourage Ouaouaron à s’entourer de collaborateurs. Camomille,
un sage, devient alors son conseiller. Il réfléchit et se propose de former le Conseil du
Marécage. En cet univers où on subit la loi des dents tranchantes ou des griffes acérées,
qu’importe le nombre ! La mission de Camomille s’avère longue et délicate.
Ouaouaron n’est pas heureux, cependant. Il ne jouit pas de sa propre estime.
Il se sent mal dans sa peau, cette enveloppe brune, molle, humide et froide. Le dos
moucheté de taches diffuses, plus foncées, la lèvre supérieure verte, la gorge jaune, les
pattes postérieures marquées de rayures transversales, autant de détails de son anatomie, qui l’irritent ! Il se sent engoncé dans un costume de carnaval. Le tympan, il est bien plus grand que l’œil. C’est pour mieux écouter ses sujettes, mais elles se tiennent
constamment à distance. Ce ne sont pourtant qu’insignifiantes disgrâces. Pourquoi donc
se tourmenter ? Dans son territoire, il est déjà roi, écouté, vénéré, quoique plutôt craint,
lorsque résonne son chant puissant: Or-woum! Brr-rr-rr-oum ! Un taureau dans le
Marécage, pense-t-on. Le gros pataud inspire ainsi une confiance mitigée. Les dames
Grenouille n’osent pas l’approcher, car il raffole de la chair tendre de ses sujettes. Un
coup de langue charnue instantané et souple suffirait. À l’occasion, il ne dédaigne pas la
jeune couleuvre, dont il ne fait qu’une bouchée.
De la mémoire, Ouaouaron en a. Camomille le Sage, son conseiller, lui a parlé à
la suite de ses périples dans les marécages des tropiques, de ses lointains cousins, les
Dendrobates, dont la peau est vivement colorée, tantôt rouge, parsemée de taches noires
sur les pattes, tantôt jaune et noir, une raie jaune entourée de bandes noires le long du
corps et autour de la tête et des membres. Qu’il serait agréable à la vue de ses sujettes, s’il en était ainsi pourvu. D’aucuns ont même des teintes qui brillent lorsqu’ils bondissent.
Quel spectacle ! De quoi les épater, d’autant plus qu’il saute assez haut. Cela ne
manquerait pas d’impressionner. La peau de ces lointains cousins contient de
nombreuses petites glandes qui sécrètent une substance toxique, pouvant être mortelle.
S’il avait une telle peau aux couleurs éclatantes, cela ferait passer à tout gros goujat
l’envie de le manger tout crû. Point ne serait besoin de s’entourer de gardes du corps
pour aller pique-niquer. La protection de la vie privée serait plus facile à assurer.
Pourquoi donc la nature ne l’a-t-elle pas doté d’une peau pourvue de poisons violents ?
Même si violents qu’ils entraîneraient une mort rapide à celui qui l’ingurgiterait. Et qu’il
lui faudrait un grand gosier pour l’enfourner, tant il est gros ? Ce serait un repas
gargantuesque, quoique funeste pour l’affamé ! Il serait étouffé par sa proie.

Le soleil descend sur l’horizon. Des reflets rougeoyants se dessinent à la surface
de l’onde qui bruit. Une brise tiède court. En cet après-midi sur le déclin, soudain, des
cris déchirent l’air. Ils proviennent d’une hutte située près des rives de l’étang. Acculée
au fond de sa demeure, une ratte défend avec l’énergie du désespoir sa progéniture
contre une intruse qui cherche à prendre possession de son logis. Précipitamment, sort de la hutte une ratte pourchassée par une adversaire plus corpulente qui, de ses pattes, lui agrippe le flanc, puis, de ses incisives tranchantes, lui saisit la nuque. Serrant les
mâchoires, elle la secoue brutalement. Sans lâcher prise, elle l’entraîne en eau profonde.
Ameutées par les cris de détresse, d’autres assaillantes attaquent un rat âgé, qui se défend avec tant d’acharnement qu’elles reculent. Ensanglanté, les flancs lacérés, la fourrure en mue déchirée, il résiste. L’eau est teintée de sang. L’une des rattes, celle qui tenait, de ses mâchoires enserrées, la nuque de sa rivale, refait surface. Le vieux rat réussit à grimper dans la hutte familiale, suivi par sa compagne. A l’aide de leurs griffes et leurs dents, ils ont écarté les assaillantes, qui voulaient s’emparer de leur logis, et ainsi
protégé leur progéniture. La nuque broyée, le corps de la ratte pourchassée flotte. La
guerre de territoire en a fait une victime.
Ouaouaron est d’abord demeuré froid et impassible, mais, dès que le combat
s’aggrave et se fait de plus en plus proche de lui, il est aussi saisi de frayeur, mais il se
garde de rejoindre le peuple déjà caché au plus profond du Marécage. De son poste
d’observation, Hyla, de sa voix fluette, l’encourage à demeurer en place. L’affrontement
entre les rats terminé, les grenouilles remontent à la surface. Elles en ont été quitte pour
la peur. Ouf ! On respire dans le Marécage. Hyla descend alors du bouleau, d’où elle
avait observé les péripéties et exhorté Ouaouaron.
Continuellement, la gent grenouille est côtoyée par les rats dans le Marécage.
Eux ne se soucient guère de la promiscuité des grenouilles. Ils nagent avec une grande
aisance, tant en surface qu’en plongée. Nonchalamment, ils avancent, la tête hors de
l’eau, fendant l’onde, propulsés par les pattes de derrière, guidés par la queue, le
gouvernail en poupe. Ils vaquent à leurs occupations, à la tombée de la nuit, quoique, par
temps gris, ils s’affairent le jour, se déplaçant par-ci, se sustentant par-là. Ils se
nourrissent surtout de végétaux, nénuphars, laîches, quenouilles, scirpes, flèches d’eau,
roseaux creux, aromatiques, d’une quantité d’animaux, mollusques, barbotes, petites
tortues et, à l’occasion, d’une grenouille. Ils vivent en famille dans une hutte, qu’ils
construisent, vers le début de l’automne, à l’aide de quenouilles ou de scirpes à grandes
feuilles, liés avec de la boue. Ils y accèdent par des quais, des canaux d’alimentation,
ainsi que par des couloirs aménagés, en plein milieu du territoire de la gent grenouille.
Très querelleurs, ils se battent avec acharnement, défendant fermement leur espace vital
contre leurs congénères. Quant à Ouaouaron, il regarde passer ces bestioles couvertes de poils, qui, au cours de leurs baignades, relèvent nonchalamment une longue queue
écailleuse hors de l’eau. Surprises, elles plongent promptement, en la faisant claquer.
Alors que de tels rats se tenaient parmi les roseaux, les pattes dans l’eau, Ouaouaron a pu observer tout à loisir leur face, de petits yeux perçants, des narines et de minuscules
oreilles dissimulées dans une épaisse fourrure. Trapus, couverts d’une fourrure d’un
duvet soyeux et touffu, hérissée de longs jars mêlés au poil fin, ils traînent une longue
queue aplatie, portant des franges de poils hérissés. Dans sa peau glabre, Ouaouaron est
désolé, car il ne peut pas couvrir sa nudité, envelopper sa difformité et la cacher à
jamais. Sa présence dans le Marécage indiffère les rats. Ils ignorent tout de lui et s’en
moquent éperdument. Pour eux, seul le respect de l’espace vital compte. Ils assurent leur
descendance dans le choix et pratiquent la monogamie. Mâles et femelles possèdent des
glandes anales qui, le rut durant, augmentent de grosseur et sécrètent un liquide dont
l’odeur rappelle celle du musc. Quand vient la saison, les dames s’emparent des endroits
les plus propices à l’aménagement d’un gîte, près d’une souche, d’une bille ou d’une
touffe de saules, en bordure de la végétation émergente, près des eaux profondes. Elles
forcent alors dames et sieurs en trop à chercher abri, nourriture, conjoint, ailleurs. La
richesse ne contentant que ceux qui ont les dents longues, que reste-t-il aux autres ? Peu
importe les conditions, à se multiplier. La loi du nombre, à son tour, opprime, mais
démocratiquement. Hyla n’est pas sans le savoir, encore faudrait-il qu’il y ait de la
nourriture en quantité suffisante… Et coasse encore, petite grenouille, dans le marécage de la vie. À la nuit tombante, un cri déchirant se répercute le long des collines au profil érodé, entourant les lacs, telle une plainte ensorcelante au sein d’une nature grandiose, sauvage, encore mystérieuse. Dans les marais, dès le crépuscule, à une note grave,
mélancolique, une seconde répond, puis une troisième; à l’unisson, progressivement, le
chœur du Marécage résonne à des lieues et, jusqu’à l’aube…

Covid-19 : Surestimation du nombre de cas et rumeurs de confinement fin mars 2021 ?

Covid-19 : et si le nombre de cas quotidiens était surestimé ?

L’information, relayée dimanche 14 mars sur le compte Twitter du fondateur de CovidTracker, a de quoi interpeller à l’heure où les indicateurs de l’épidémie attestent d’une progression constante à travers tout le territoire, et même très active dans certains départements. « Le nombre de cas en France serait, depuis plusieurs semaines, surestimé, en raison d’un problème lors du dédoublonnage des tests », a ainsi indiqué l’ingénieur en informatique Guillaume Rozier sur son.

Sans préciser d’où lui viennent « ses informations »,  l’ingénieur en informatique spécialisé dans le traitement des masses de données a ajouté que « Santé publique France travaille à résoudre ce problème » et que « les données seront mises à jour. » Ce qu’a confirmé par ailleurs le journal Le Parisien qui s’est également fait l’écho de ce biais ce 14 mars et auprès duquel l’agence sanitaire a effectivement reconnu « un écart ». Mais quel est son ordre de grandeur ? D’autres indicateurs sont-ils impactés ? Cela remet-il en cause l’évaluation globale de la dynamique épidémique actuelle ?

« Pour résumer, on n’a probablement pas 22.200 cas chaque jour, mais un peu moins de 20.000 », poursuit sur Twitter Guillaume Rozier fondateur de CovidTracker , évoquant un niveau du taux d’incidence « donc 10% trop élevé » et l’amenant à déduire que « ça ne change pas fondamentalement l’appréhension de la situation. »

Mais cet écart varierait selon les départements « de façon proportionnelle à la part de tests antigéniques parmi les cas positifs » souligne de son côté Le Parisien citant « un acteur au cœur du système ». Ce qui signifie qu’il pourrait atteindre jusqu’à 20 % dans certains territoires, et être quasi nul dans d’autres, sans toutefois que « Santé Publique France » soit en mesure pour l’heure de confirmer ou de démentir ces ordres de grandeur. Au niveau national, le taux d’incidence se situerait donc plutôt autour de 206 et non de 227 comme relayé actuellement.

« Cela ne devrait pas remettre en cause l’évolution du taux d’incidence (hausse, baisse) mais uniquement son niveau », a en outre spécifié le fondateur de CovidTracker. Informé de ce biais, le ministère de la Santé estime que ce dernier ne remet pas en cause l’évaluation globale de la dynamique épidémique actuelle. « On a toujours raisonné en termes de seuils, mais aussi de dynamique et de part de variants, qui ne sont pas impactés », explique ainsi une source auprès du Parisien. « La dynamique est exactement la même », abonde une autre. En résumé, quand l’incidence augmente, c’est aussi bien le cas concernant le chiffre biaisé que le chiffre réel.

Autre précision d’importance : les chiffres relatifs aux hospitalisations ne sont pas impactés par ce problème lié au « dédoublonnage des tests », mais ont en revanche l’inconvénient de témoigner de la situation épidémique dix à quinze jours plus tôt.

Quelle est l’origine du problème ?

D’après le Parisien, l’incident a d’abord été remonté par les cellules régionales de Santé publique France, de par leurs échanges avec les Agences Régionales de Santé (ARS). Ces dernières « se sont rendu compte qu’il commençait à y avoir un écart entre les taux d’incidence de Santé publique France et ceux annoncés région par région », résume-t-on auprès du quotidien. C’est ainsi des analyses « ont permis d’identifier un écart lié à l’étape de dédoublonnage lors de la « pseudonymisation » des données », lui a indiqué Santé publique France. En clair, depuis la fin du mois de janvier, alors qu’une grande majorité de prélèvements sont désormais passés au crible  afin de déterminer la présence de variant ou non, il arrive qu’un autre pseudonyme soit généré pour une même identité lors du test RT-PCR de criblage si celle-ci n’est pas reconnue par la base de données Si-Dep. D’où le doublon qui s’ensuit dans le comptage des cas positifs.

Toujours auprès du quotidien, l’agence sanitaire, contactée dès vendredi 12 mars, assure qu’une fois le problème résolu, elle mettra « à jour les données en toute transparence, comme pour toutes les évolutions qui sont menées » depuis le début de la pandémie. Le dernier en date remonte pour rappel à début décembre lorsqu’un changement dans la définition des personnes testées avait impacté cette fois le taux de positivité.

Billet : trois palais d’autocrates autour de l’an 2000

On sait que les tyrans préfèrent les palais
Les plus monumentaux qu’importe s’ils sont laids
Ce qu’ils veulent surtout c’est une architecture
Qui montre sans détour au présent au futur
La forte autorité du constructeur des lieux
Ils ne recherchent pas ce qui est harmonieux
L’harmonie à leurs yeux donne à tous édifices
Une apparence aimable et donc les rapetisse
De justes proportions produisent cet effet
Mais ceux qui voient plus grand n’en sont pas satisfaits

Comme exemples montrant ce que je viens de dire
Parmi les dictateurs qui croyaient resplendir
Grâce à leurs constructions je mentionne d’abord
Celui qui se flattait d’être « Conducator »
Le roumain mégalo cherchant à stupéfier
Par sa « Maison du peuple » – un trop vaste chantier
Où vingt mille ouvriers travaillaient nuit et jour –
Dont le gros œuvre énorme allait durer toujours
Conçu pour résister à tous les tremblements
Écrasant sous le poids d’un tel accablement
Sous la laideur d’une verrue monumentale
Une bonne partie de cette capitale

Toujours vers la Mer noire on a incriminé
Poutine et son palais à l’est de la Crimée
Comprenant un amphi une église et des vignes
Dans un beau cadre hors norme et beaucoup s’en indignent
Mais le président tsar a dit que non ce bien
Ne lui appartient pas et qu’il n’y est pour rien
Vers l’orient aussi despote d’autre espèce
Dans un nouveau palais de mille et une pièces
Le Turc veut restaurer la puissance d’antan
S’éloigne de l’Europe et redevient sultan

 

L’édification de nouveaux palais dans la période actuelle est un indice révélateur de l’état politique des sociétés concernées. En occident, en France par exemple, il s’est agi récemment d’édifier surtout de nouveaux bâtiments culturels, musées, salles de concerts, opéras… Les vers ici commentés parlent d’autre chose, ils évoquent la recrudescence du despotisme tel qu’il s’inscrit dans la pierre ou dans les autres matériaux de construction sous la forme de bâtiments destinés plus directement à servir de lieux de résidence, de travail ou de loisir aux autocrates, dictateurs, tyrans, despotes (éclairés ou non), qui en ont ordonné la construction. Trois exemples d’histoire récente, situés non loin de la Mer Noire, illustrent mon propos : le palais de Ceausescu à Bucarest, celui de Poutine (appartenant à Poutine ou à un prête-nom), celui d’Erdogan à Ankara. On pourrait y ajouter, sans remonter plus loin dans le temps, les palais situés à Pyongyang en Corée du nord (dont on dit qu’ils auraient inspiré celui de Bucarest). S’agissant du palais du grand Turc Erdogan, il a suscité des moqueries car on y trouve, dit-on, des sièges de W.-C. en or (est-ce vrai ou est-ce une réminiscence de l’histoire mythologique du roi Midas ?)

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Covid-19 : imminence d’un nouveau confinement en janvier-février 2021 ?

On ne saurait trop recommander la lecture d’un article révélateur intitulé « Imminence grise » écrit par le rédacteur en chef du JDD (directeur général de la rédaction), sorte d’éditorial paru dans le JDD du dimanche 31 janvier 2021.

Cet éditorial reconnaît que « titrant dimanche dernier « Reconfinement imminent », le JDD a eu tort puisque la France, malgré un nouveau train de restrictions, ne s’est finalement pas refermée. A nos lecteurs, légitimement attachés à la fiabilité de l’information et habitués à disposer, grâce à nous, d’une longueur d’avance sur bien des actualités, nous présentons nos excuses ».
S’y ajoutent des explications : « Nous ne voulons jouer ni avec les mots ni avec nos valeurs. Qu’on nous autorise néanmoins à souligner que, si notre titre s’est révélé abusif, nos informations étaient exactes… Qui peut honnêtement soutenir que nous étions dans l’erreur ? »
« En cette circonstance comme en d’autres, nous avons fait notre métier, qui est d’informer […] En nous immisçant dans cette zone grise du pouvoir où s’élaborent les décisions cruciales, pour cueillir l’information à la racine et court-circuiter la communication officielle.
Certains nous ont accusés, comme par réflexe, de servir la propagande gouvernementale. Il se sont ridiculisés. D’autres ont ricané en nous voyant démentis. Libre à eux d’attendre l’autorisation pour publier ce qu’ils savent. D’autres encore nous ont reproché de jouer les Cassandre. Telle n’a jamais été notre intention. »
« Fort d’éléments précis que [le chef de l’Etat] est le seul à détenir, il a pris une décision que lui seul pouvait prendre […] Chacun le mesure : repousser le confinement est un pari. »

Cet article présente des excuses qui n’en sont pas, car elles sont aussitôt assorties d’une rétractation (par exemple : « si notre titre s’est révélé abusif, nos informations étaient exactes »). En disant cela, il met en évidence, au passage, un travers grave des médias consistant à exagérer le message en gros titres par rapport à ce qui est dit dans le corps des articles. Il enchaîne les dénégations qui révèlent des vérités d’autant plus vraies qu’elles sont plus fortement niées (Par exemple ; « certains nous ont accusés […] de servir la propagande gouvernementale. Ils se sont ridiculisés ». Et, à un autre endroit de l’article : « Nous continuerons ».
« Libre à ceux qui nous critiquent, écrit encore le rédacteur en chef du JDD, d’attendre l’autorisation pour publier ce qu’ils savent. » Cet argument présente comme une vertu (publier malgré les censures ce qu’on sait) ce qui est en fait un vice journalistique (publier les rumeurs qu’on entend dans les couloirs du pouvoir).

Signalons pour finir deux erreurs fondamentales commises par ceux qui insistent avec une extrême lourdeur sur la nécessité de reconfiner fortement au plus vite.
D’abord, à court terme, les « confinators », parmi lesquels se trouvent beaucoup de journalistes mais aussi de nombreux médecins qui agissent aujourd’hui comme un véritable lobby, apparaissent surtout préoccupés par leur intérêt de « conseillers du prince » et de responsables hospitaliers se sentant en danger d’être débordés, voire dépassés par le nombre de leurs malades. Ils oublient de réfléchir aux chiffres objectifs montrant que l’épidémie donne des signes de diminution même en Angleterre en dépit du « variant anglais » censé être nettement plus virulent.
Ensuite, les « confinators » oublient de se demander ce qui se produirait après un éventuel reconfinement. Sauf vaccination beaucoup plus rapide que celle que l’on constate aujourd’hui, un reconfinement, bien que sévère ou parce que sévère, risque de laisser l’épidémie rebondir avec d’autant plus de force dès qu’il sera desserré.

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Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : Le Brexit au début de 2021

L’Angleterre a quitté l’Union des vingt-huit membres
– En l’an deux mille vingt à la fin de décembre
Elle a bien confirmé qu’elle coupait les ponts –
Désormais la voici délivrée des tampons
Que l’Europe apposait sur les lois « dura lex »
Sur tous les règlements sur les moindres codex
Il ne restera plus associant Britannia
A ses proches voisins les pays immédiats
Qu’un seul épais traité qu’on dit de libre-échange
Laquelle des parties gagnera donc au change

Entre le continent et la Grande-Bretagne
Qui après s’être unis se séparent s’éloignent
A vrai dire on ne peut parler de ponts coupés
Mais de visions du monde et d’occasions loupées
Il n’y a jamais eu de pont sur le channel
Mais sous ce bras de mer va durer le tunnel
Je ne peux l’oublier car j’ai participé
A ce que les années ne pourront dissiper
A cet ouvrage d’art digne de Jules Verne
Cet indéniable exploit des techniques modernes
J’étais alors chargé des problèmes d’impôts
Face aux autres États brandissant leur drapeau
Comme négociateur du côté de la France
Avec l’Anglais j’ai dû m’entendre en l’occurrence
Pour partager en deux tous les aspects fiscaux
De la nouvelle voie sous la Manche ex aequo
On nous a invités à un repas sous terre
Où se sont rencontrés venus l’un d’Angleterre
Et l’autre de Calais les tunneliers géants
Dans un grand cross-over qui paraissait béant
Thatcher y est venue premier ministre à poigne
Retraitée du pouvoir elle a bu du champagne
Pierre Mauroy comme elle a signé le carton
Me conviant au repas sous la voûte en béton

 

A la suite du Brexit, l’accord de libre-échange conclu fin 2020 entre Bruxelles et Londres m’a rappelé le petit rôle que j’ai joué dans la réalisation du tunnel sous la Manche. A cette date, ce n’est pas la mer qui menaçait le tunnel, ni les fractures de la craie bleue dans laquelle ce tunnel ferroviaire a été creusé, mais la crise causée par la maladie appelée covid-19, qui a réduit fortement le trafic et par conséquent les recettes. Le ministre délégué français chargé des transports a annoncé que l’État allait soutenir Eurostar, la compagnie qui, par le tunnel, assure le transport entre Londres et Paris et entre Londres, Bruxelles et Amsterdam. Le ministre a dit devant la commission compétente de l’Assemblée nationale française : « Nous sommes en train de travailler en lien avec les Anglais à des mécanismes d’aide proportionnés au prorata de l’implication de chacun dans Eurostar », précisant qu’il en discutait « depuis de nombreuses semaines » avec son homologue britannique. Il avait été averti qu’Eurostar risquait de se retrouver bientôt en dépôt de bilan. En 2020, du fait de la crise sanitaire, la compagnie transmanche a perdu 80 % de son chiffre d’affaires. Au début de 2021 ne circulaient plus que des trains presque vides : un seul Paris-Londres par jour, contre plus d’une vingtaine en temps normal, et un seul Londres-Bruxelles-Amsterdam, contre une dizaine en 2019. De son côté, l’organisation patronale London First a adressé un courrier au Chancelier de l’Échiquier (ministre des finances) pour appeler Londres à participer au sauvetage. Le patron de SNCF Voyageurs a expliqué qu’Eurostar souffrait de plusieurs handicaps, à commencer par le cumul des restrictions sanitaires édictées par les quatre pays desservis : l’Angleterre, la France, la Belgique, les Pays-Bas. Autre handicap, la singularité d’Eurostar, ayant son siège à Londres mais détenue à 55 % par la SNCF. « C’est une entreprise française en Angleterre, donc elle n’est pas aidée par les Anglais, et elle n’est pas aidée par les Français parce qu’elle est en Angleterre », a expliqué ce dirigeant.

Dominique Thiébaut Lemaire

Covid-19 : les indicateurs de gravité de l’épidémie en France à la fin de 2020

Les pouvoirs publics français ont retenu principalement deux indicateurs leur permettant d’évaluer à la fin de 2020 l’évolution de l’épidémie de COVID-19, afin de décider si le « confinement » décidé à la fin du mois d’octobre 2020 pourrait être levé ou allégé : les deux indicateurs étant d’une part le nombre de lits d’hôpital occupés par les personnes souffrant de cette maladie, d’autre part le « taux d’incidence » de ce coronavirus dans la population, défini comme le taux de nouveaux cas journaliers testés positifs par rapport à l’ensemble de la population.

En ce qui concerne le nombre de lits d’hôpital, le président de la République lui-même avait annoncé que la levée du « confinement » de l’automne serait possible si, à la mi-décembre 2020, ce nombre en réanimation devenait inférieur à 3000. Effectivement, ce seuil a été franchi à peu près à la date prévue.

En revanche, en ce qui concerne le taux d’incidence, alors que le président de la République avait évoqué un taux d’incidence ne devant pas dépasser 5000 nouveaux cas testés positifs par jour (sans justifier le pourquoi de ce chiffre donné sans explication), il a été constaté à la mi-décembre que le niveau atteint a été plus de deux fois supérieur. En conséquence, le confinement a été seulement allégé, et non supprimé. En particulier, la fermeture des lieux tels que les musées, théâtres, cinémas, restaurants a été maintenue.

Le présent article s’appuie sur :
– un article de Léa Sanchez intitulé « Les calculs d’indicateurs-clés de l’épidémie de COVID-19 », publié par le journal Le Monde du 27 novembre 2020 ;
– un article de Nicolas Berrod intitulé « COVID-19 : pourquoi les indicateurs ont-ils été chamboulés en 24 h ? « , publié par Le Parisien du 9 décembre 2020, modifié le 10 décembre.
Il a notamment pour objet de concentrer la réflexion sur la pertinence de l’indicateur appelé taux d’incidence, compte tenu des conséquences importantes déclenchées par la non-atteinte du chiffre de 5000 : quelle réalité, quelle vérité reflète cet indicateur ? Celui-ci n’est-il pas trompeur, voire mensonger ?

RAPPEL DE QUELQUES NOTIONS DE BASE

Le taux d’incidence se fonde sur les résultats des tests (positifs ou négatifs) qui permettent de savoir si une personne a été contaminée par le coronavirus déclenchant la maladie COVID-19. Une formule mathématique associe le taux d’incidence à deux autres indicateurs qui sont le taux de positivité et le taux de dépistage (taux d’incidence = taux de positivité x taux de dépistage) :

Depuis le 08/12/20, en plus des résultats des tests virologiques dits PCR, ceux des tests antigéniques (TAg) entrent dans la production des indicateurs épidémiologiques nationaux et territoriaux.Le résultat des TAg est obtenu en quinze à trente minutes, et non plus en un jour ou deux comme pour les PCR. Les tests pratiqués pour déceler le coronavirus sont donc désormais de deux sortes.
Depuis le mois de mai 2020, la totalité des résultats des tests PCR est intégrée dans la une base nominative « SI-DEP » (Service intégré de dépistage et de prévention).
En revanche, les soignants qui pratiquent les tests antigéniques TAg, hors laboratoires, n’ont pu renseigner (alimenter) ce fichier qu’à partir du 16 novembre. Santé Publique France a d’abord observé les données remplies sans les utiliser, le temps de s’assurer de leur qualité (telle a été l’explication fournie pour justifier les délais de prise en compte). Les TAg ont été autorisés et remboursés depuis le 17 octobre avec un déploiement progressif depuis cette date. Ils sont aujourd’hui pratiqués en laboratoire de biologie médicale (LBM) ainsi que par d’autres professionnels de santé (médecins, pharmaciens, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, sages-femmes, chirurgiens-dentistes). Les résultats des tests antigéniques réalisés hors des LBM sont saisis dans le système SI-DEP depuis le 16 novembre. Après les analyses préalables permettant de vérifier la qualité des données, tous les résultats de tests entrent dorénavant dans la production des indicateurs SI-DEP (taux d’incidence, taux de positivité et taux de dépistage).
Il est à noter que, comme on va le voir, l’inclusion des TAg conduit mécaniquement à augmenter les taux d’incidence.

Ces indicateurs relatifs à la circulation du virus, bien que très scrutés par les autorités sanitaires et politiques, sont fragiles. Il est impossible, par exemple, de calculer le taux de positivité sur l’ensemble des tests, puisqu’on connaît le nombre de cas positifs par des tests antigéniques, mais non  le nombre total de tests antigéniques pratiqués. Il faut aussi prendre ses précautions en analysant les taux d’incidence (nombre de cas pour 100 000 habitants) par département ou par région, exclusivement calculés sur la base des résultats des tests RT-PCR et donc sans doute sous-estimés.

EFFET SUR LE TAUX D’INCIDENCE

« Santé publique France » (SPF) a fait le calcul : sur la période du 16 au 22 novembre, en comptabilisant les tests antigéniques, le taux d’incidence de Covid-19 en France est 12 %, supérieur à un décompte réalisé uniquement à partir des tests PCR. L’écart est encore plus important dans certaines régions, comme l’Ile-de-France (+ 26 % avec les tests antigéniques) ou l’Auvergne-Rhône-Alpes (+ 13 %). SPF précise toutefois que cela ne modifie pas « la tendance qui reste à la diminution » de la circulation du virus.

Quant au taux de positivité en France, il a presque diminué de moitié, du fait du changement de méthode et de la prise en compte des tests antigéniques.

Avant que ces tests antigéniques soient pris en compte dans le calcul des différents indicateurs, cela biaisait notamment le taux d’incidence, c’est-à-dire le nombre de personnes positivé pour 100 000 habitants sur une semaine. Sans les cas recensés par test antigénique, cet indicateur était minimisé d’au moins 10 %, avait averti « Santé publique France » à plusieurs reprises ces dernières semaines.

C’est dans la première semaine de décembre qu’ont été pris en compte pour la première fois les tests antigéniques. Au total, 10 215 nouveaux cas ont été recensés en moyenne chaque jour du 29 novembre au 5 décembre, au lieu de 8000 cas en moyenne par jour du 28 novembre au 4 décembre avec uniquement les tests PCR. Le taux d’incidence est passé à 106,9, alors que 24 heures plus tôt il était à 86,2, ce qui représente une hausse de 24 %.

Covid-19 : pourquoi les indicateurs ont été chamboulés en 24 heures

Logiquement, l’écart a été particulièrement élevé dans les zones où de nombreux tests antigéniques ont été réalisés ces dernières semaines, notamment les grandes villes. À Paris, par exemple, le taux d’incidence est désormais de 87,2, soit près du double du nombre affiché lundi soir 5 décembre (49,2).

EFFET SUR LES TAUX DE POSITIVITE ET DE DEPISTAGE

Auparavant, dans le calcul des indicateurs, étaient prises en compte uniquement les personnes testées positives pour la première fois depuis le 13 mai et celles testées négatives pour la première fois depuis le 13 mai. Ainsi, étaient exclues les personnes multi-testées négatives avec comme conséquence une sous-estimation croissante au cours du temps du nombre de personnes testées. Cela conduisait à une surestimation du taux de positivité et une sous-estimation du taux de dépistage.
A partir du 8 décembre 2020 sont prises en compte d’une part les personnes re-testées positives pour la première fois depuis plus de 60 jours, et d’autre part tous les personnes testées selon la nouvelle définition.

La modification du mode de calcul impacte particulièrement le taux de positivité, calculé en rapportant le nombre de personnes positives à celui des personnes testées sur la même période (on se base le plus souvent sur une semaine). Mais attention : avant cette modification, lorsqu’une personne était testée à plusieurs reprises avec le même résultat (le plus souvent, toujours négative), elle n’apparaissait dans le système qu’à la première date.

Prenons l’exemple de Marie, testée négative en août puis de nouveau la semaine dernière. Jusqu’à mardi, elle était prise en compte dans le calcul du taux de positivité en août, mais pas en décembre. « Ainsi, étaient exclues les personnes multi-testées négatives avec comme conséquence une sous-estimation croissante au cours du temps du nombre de personnes testées », comme l’indique « Santé Publique France« . D’autant qu’il « est fréquent qu’une même personne effectue plusieurs tests, notamment lorsque les précédents étaient négatifs », ajoute l’agence sanitaire.
Désormais est compté dans le nombre de personnes testées sur une semaine tout individu qui a subi un prélèvement durant cette période. Le test de Marie apparaît donc en août et en décembre. Ainsi, pour calculer le taux de positivité, le numérateur reste le même (le nombre de personnes positives) mais le dénominateur (le nombre de personnes testées) est plus élevé. Par conséquent, cet indicateur baisse. Il n’a été que de 6,4 % mardi soir 5 décembre 2020, alors qu’il était affiché à 10,7 % la veille. Finalement, la tendance reste la même, mais non le niveau atteint à un moment donné.

Covid-19 : pourquoi les indicateurs ont été chamboulés en 24 heures
CONCLUSION

« Santé Publique France » fait valoir que la nouvelle méthode avec les nouveaux chiffres incluant les résultats des tests antigéniques (Tag) augmentant le nombre des cas positifs sont plus fidèles à la réalité de la situation épidémique.
Cette affirmation  n’est pas fausse, mais elle n’est pas totalement vraie non plus, pour deux raisons :
– d’une part, les médecins insistent sur le fait que les tests antigéniques, ayant l’avantage d’être nettement plus rapides que les tests PCR, aboutissent toutefois à un pourcentage relativement élevé de faux résultats ;
– d’autre part, l’inclusion des tests antigéniques dans un ensemble englobant les résultats positifs des tests PCR + antigéniques fait apparaître une augmentation des cas de COVID qui n’est pas due à l’aggravation de la maladie, mais à une amélioration des moyens de dépistage, lesquels ne se réduisent plus au seul dépistage PCR mais y ajoutent le dépistage Tag.

Le problème qui se pose à la fin de l’année 2020 est celui de la peur diffuse : les politiques, conduits par la crainte de faire apparaître des chiffres de contagion relativement bas donc trop rassurants pour une population jugée trop prompte à l’euphorie des bonnes nouvelles, préfèrent faire comme si la hausse des cas due à la prise en compte des tests antigéniques reflétait une augmentation réelle de la maladie et non un changement de méthode. En cela, ils sont soutenus par les médecins, très inquiets d’être submergés par une vague de malades qui, étant excessivement rassurés, se laisseraient aller à négliger les « gestes barrières » qui font obstacle à la contagion (respect des distances physiques, lavage des mains, port du masque, aération des locaux…) et « emboliseraient » ainsi par manque de vigilance les services hospitaliers.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : « La Marseillaise », chant de résistance

Le citoyen français connaît surtout la strophe
Qu’a écrite un soldat plutôt qu’un philosophe
Au début de ce chant comportant au complet
Plusieurs groupes de vers strophes nommées couplets
Sans compter le refrain dont la scansion de marche
Est celle d’une armée qui passe sous une arche
Sous un arc de triomphe ouvert aux victorieux
Par sa voûte il encadre une partie des cieux

La musique rythmant notre hymne national
Ne peut faire oublier au chanteur machinal
Les paroles sans fard l’amour de la patrie
Et le prix des valeurs dont nous sommes pétris
La haine qui parfois saisit des adversaires
Changés en ennemis que notre vie ulcère
Le goût du sang versé devenant un poison
Chez ceux que fait agir l’oubli de la raison
Ils viennent – dit ce chant – jusque dans nos campagnes
Égorger dans nos bras nos fils et nos compagnes

Naguère on estimait ces termes trop violents
Pour un hymne officiel ils semblaient trop sanglants
Mieux valait pensait-on rechercher la concorde
Éviter de risquer que l’aversion déborde
Mais l’actualité pousse à changer d’avis
Aujourd’hui des vengeurs agressifs pleins d’envie
Sortis de bleds lointains devenus fanatiques
Venus sur notre sol sous couleur pacifique
Prolongent leur destin de délinquants malsains
Se donnant la mission qui va les rendre saints
Celle d’éliminer en leur tranchant la gorge
Tous les blasphémateurs dont la France regorge
Du satiriste au prof nous sommes à leurs yeux
Des injurieux impies des offenseurs de Dieu

 

Le 16 octobre 2019, la France a appris avec stupeur l’égorgement-décapitation d’un enseignant par un jeune réfugié musulman originaire du Caucase. Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie à Conflans-Sainte-Honorine dans la région parisienne, a subi cette mort horrible pour avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression. L’assassin a revendiqué son crime dans un message audio en russe où il expliquait avoir « vengé le prophète », en accusant le professeur de l’avoir «montré de manière insultante». Menaçant, il a été abattu peu après par la police. Plusieurs adolescents ont été placés en garde à vue pour avoir désigné le professeur à l’assassin contre rémunération. D’après Le Figaro du 7 décembre 2020 (avec l’AFP), l’assassin Abdoullakh Anzorov a été enterré dimanche 6 décembre à Chalaji, village situé à une quarantaine de kilomètres de la capitale tchétchène Grozny. L’accès au village a été bloqué par les autorités le temps de l’enterrement. La messagerie Telegram a publié des vidéos montrant une petite foule chantant en tchétchène et accompagnant le cercueil sous la neige. Selon Baza, une chaîne Telegram très suivie ayant diffusé l’une de ces vidéos, environ 200 personnes – des parents et amis de la famille Anzorov – ont pris part aux obsèques et des policiers ont été déployés dans le village. Les médias officiels tchétchènes, pro-russes, n’ont parlé ni du rapatriement du corps, ni de l’enterrement. Rappelons qu’il existe un lourd contentieux entre la Tchétchénie musulmane et la Russie orthodoxe qui l’a annexée au XIXe siècle. Le dirigeant tchétchène, Ramzan Kadyrov, a condamné l’assassinat en France, mais aussi vivement critiqué le président français, car, a-t-il dit,  celui-ci poussait les musulmans « vers le terrorisme » en laissant republier des caricatures de Mahomet. Déjà en 2015, lors de leur publication dans Charlie Hebdo, plusieurs centaines de milliers de manifestants avaient protesté à Grozny.

Dominique Thiébaut Lemaire

 

L’âge d’or de la peinture danoise. Par Annie Birga.

L’ÂGE D’OR  DE LA PEINTURE DANOISE (1801-1864).

Exposition au MUSEE DU PETIT PALAIS. Dates présumées: 22 sept.2020-3 janv. 2021

Cette exposition est présentée dans les musées de Copenhague, de Stockholm et du Petit Palais. Le catalogue est rédigé essentiellement par les conservateurs et historiens d’art scandinaves. Ils s’expliquent sur les motifs qui les ont amenés à prolonger jusqu’en 1864 la période de « l’âge d’or », identifié ordinairement aux cinq premières décennies du XIXe siècle.  Cette date marque la défaite du Danemark en face de la Prusse qui annexe les duchés de Schleswig et de Holstein; or, depuis 1850, moment des premiers troubles civils, un certain nombre de peintres ont continué à travailler dans l’esprit et le style de leurs prédécesseurs et ce sont ces artistes moins connus à qui l’exposition prétend rendre l’importance qu’ils méritent. D’où le nombre important d’œuvres exposées. Quant au terme de « l’âge d’or », il a d’abord renvoyé à l’essor de la littérature – on pense à  Andersen et à Kierkegaard – pour  s’étendre  au développement artistique et au rayonnement de cette époque.

L’exposition est thématique.  Elle met en évidence dans les premières salles le rôle capital de l’Académie des Beaux-Arts de Copenhague. L’atmosphère de travail studieux et collectif est bien suggérée par de jeunes peintres, Bendz et Blunck. Wilhem Bendz réalise un beau tableau luministe (les cours ayant lieu le soir à la lumière électrique), intitulé « L’école de modèle vivant à l’Académie des Beaux-Arts de Copenhague » (1826). Il fait aussi de son collègue, Ditlev Blunck, un portrait qui le montre regardant une esquisse dans un miroir, remarquable par la virtuosité de la composition. Quant au portraituré, avant de montrer les artistes danois à Rome, il exerce son talent, parfois humoristique, toujours observateur, sur ses camarades, entre autres les frères Sonne, l’un graveur, l’autre qui aspirait à devenir peintre de batailles (Jørgen Sonne, entouré d’attirail guerrier,  devra attendre les années 50 pour évoquer un combat réel) .

 On revoit Bendz dans la section des portraits de famille et on y admire son originalité. Il est mort trop tôt, en 1832, il n’a que 28 ans.

En 1818 les deux chaires principales de l’Académie sont vacantes; elles sont attribuées à deux peintres-professeurs qui vont l’un et l’autre influencer fortement leurs élèves, Eckesberg et Lund.

Numériser 2Christoffer Wilhem Eckesberg : » Vue de Rome à travers trois arches du troisième étage du Colisée » (1815)

Les parcours d »Eckesberg et de Lund sont voisins : ils ont tous les deux reçu les leçons du grand peintre néo-classique Abilgaard, puis suivi à Paris l’enseignement de David. Leurs principes de formation sont les mêmes. Avant de pratiquer la peinture d’histoire comme Lund ou de s’intéresser au paysage comme Eckesberg, l’adolescent entré à l’Ecole doit suivre un cursus astreignant et progressif qui privilégie l’enseignement du dessin : copie de maîtres anciens, copie de modèles classiques en plâtre, étude de modèle vivant, tandis que la peinture est enseignée de maître à élève, individuellement. Les concours de fin d’études attribuent des médailles, celles-ci donnant accès à des bourses de voyage qui permettent aux jeunes artistes de faire le Grand Tour. Rome en est l’étape essentielle, mais cela n’exclut pas des séjours dans certaines académies allemandes comme Dresde ou Munich. A Rome, les Danois se retrouvent entre eux et constituent des sortes de colonies. En 1837 Constantin Hansen peint « un groupe d’artistes danois à Rome », où nous retrouvons des peintres connus, groupés sagement autour d’un ami architecte coiffé d’une chéchia, qui évoque son séjour à Athènes et à Constantinople accompagné de Martinus Rørbye, lui aussi représenté. Certains iront chercher des paysages de rochers à Capri ou des vues idylliques de campagne à Olevano, mais  leur inspiration est surtout alimentée par les monuments romains, le Forum, le temple de Vesta, le Colisée, des églises.  Ces nordiques captent la couleur locale.  Ils séjournent longtemps à Rome et sont aussi sensibles à la ville moderne, à ses quartiers populaires, à certains types de personnages pittoresques. En témoignent de nombreux dessins, des aquarelles et de petites peintures sur carton parfois collées sur toile.

Lund a, de son côté, tiré des leçons de ses nombreuses années romaines, où il a fréquenté les peintres nazaréens. Ceux-ci pratiquent une peinture lisse et sont inspirés par la première Renaissance. Lund suit leur style et leurs aspirations quand il exécute de nombreux tableaux religieux. Mais il va évoluer vers un romantisme national qui éclot vers les années 30, influencé par un historien de l’art, Niels Laurits Høyen. Celui-ci prône le retour aux sources scandinaves, aux mythes premiers, aux paysages nordiques. Lund nous en donne une parfaite et conventionnelle illustration dans la toile intitulée « Le dernier barde » qui montre un vieil homme méditant mélancoliquement, sa lyre à la main, et surplombé par un dolmen, témoignage des temps antiques.

Eckesberg est un grand dessinateur, amoureux de la perspective et du détail précis, et un grand peintre, aussi doué pour le portrait (celui du sculpteur néo-classique Thorvaldsen est un chef-d’œuvre) que pour la peinture de paysages, mer et ciels. Il joua un rôle important dans l’évolution de la peinture au Danemark en préconisant la peinture en plein air, nouveauté capitale dans l’atmosphère du néo-Classicisme. Il conseille aussi à ses élèves de choisir des sujets qu’on peut voir et rendre avec réalisme. Il lui arrive de saisir le fantastique de situations apparemment anodines, ce qui lui inspire « Scène de rue avec la pluie et le vent » ou « Langebro au clair de lune avec des personnages qui courent » (1836). On mesure le chemin parcouru depuis  le froid et très bien peint « Les adieux d’Alcyone à son époux » (1815).

On retrouve cette double postulation chez Constantin Hansen : il représente librement des jeunes garçons s’ébattant et se baignant nus dans la campagne romaine, mais il peindra un tableau d’histoire scandinave « Le banquet d’Aegir » qui met en scène des personnages néo-classique aux poses solennelles.

L’une des caractéristiques essentielles de la peinture danoise est un réalisme si précis qu’il se rapproche de certains mouvements postérieurs, comme celui du réalisme magique au XIXe. C’est particulièrement frappant dans le genre du portrait, que ce soient des portraits individuels ou de groupe, amis ou familles, ou des portraits d’enfants. Evoquons entre autres le portrait du jeune fils d’Eckesberg, Julius, qui, sur l’arrière-fond géométrique  de l’atelier paternel, déploie avec gravité une gravure ou un dessin (Christen Købke 1831) .Le réalisme se double parfois de satire sociale, comme dans les scènes de rue de Wilhem Marstrand. Une toile de Rørbye peint la foule qui se presse devant la Prison de l’Hôtel de ville et du palais de Justice : des gandins s’y affairent au milieu des mendiants, tandis qu’un nouveau Diogène s’avance, lanterne à la main.

Il faut faire une place de choix à l’un des meilleurs peintres parmi cette pléiade d’artistes, Christen Købke (1810-1848). L’exposition montre des copies de sculptures de Thorvaldsen et des dessins, essentiellement des portraits. Les lieux évoqués sont de proximité, selon qu’il habite près de la citadelle (Kastellet) ou près des lacs de la périphérie de la ville. Le traitement est souple et harmonieux, la matière lisse, les couleurs lumineuses. On ressent une impression de temps suspendu. Citons : « Vue du haut d’un grenier à blé dans la citadelle de Copenhague » ( 1831) , « Vue d’Østerbro dans la lumière matinale » (1836). « Petite tour du château de Frederiksborg » (1834-35). Il donne du château des visions romantiques, à la  Friedrich, ou d’une précision extrême et frappante.

 NumériserChristen Købke : « Petite tour du château de Frederiksborg » (1834-35)

Au cours de cette période de l’âge d’or une inflexion particulière est donnée à la peinture de paysages. Deux jeunes artistes représentent ce nouveau courant, Johan Thomas Lundbye (1818-1848) et Peter Christian Skovgaard.(1817-1875) Ils sont liés d’amitié et adhèrent à cette recherche du romantisme national. Ils étudient la géologie de leur pays, la botanique de ses plantes et fleurs. Sac au dos, ils parcourent des régions jusqu’alors négligées par les peintres. Skovgaard peint « Un champ d’avoine à Vejby »(1843), des hêtres, des saules, une route de campagne, une lumineuse clairière. Lundbye dessine un œillet des prés, il peint un groupe d’arbres battus par les vents, des nuages. Une toile comme « Paysage du Sjoelland. Campagne dégagée au nord de l’île » (1842), avec, en premier plan, une pierre volcanique entourée de fleurs, exalte l’harmonie du paysage de « son cher et bien aimé Danemark ».

Numériser 4Peter Christian Skovgaard : « Route de campagne dans le Sjoelland » (1864)

Dankvart Dreyer (1816-1852) et Vilhem Kyhn (1819-1903), s’inscrivent dans cette recherche et représentent la péninsule du Jutland dans son aspect de landes désertiques et de côtes sauvages. Dès 1855, Frederik Vermehren (1823-1910)   campe « un berger jutlandais sur la lande » . Mais la nostalgie fera bientôt place à la modernité. C’est la fin de l’âge d’or.

Après cette incursion dans un art trop peu connu, parce que trop peu montré, nous ne pouvons que souhaiter pouvoir approfondir nos découvertes par des expositions, pourquoi pas, monographiques, comme le furent celles des peintres suédois Larsson et Zorn, dans un Petit Palais dont la direction témoigne d’une curiosité toujours en éveil.

 

Annie Birga

Billet : médecins réduits à l’ignorance par le coronavirus

Face à l’épidémie d’un virus inconnu
Qui rend le peu qu’on sait nul et non avenu
Confraternellement les dévots d’Hippocrate
Qui se tapent dessus drôles d’aristocrates
Plongés dans l’aquarium ou plutôt dans le zoo
De la télévision se traitent de zozos
Ne pouvant s’appuyer sur un noble savoir
Ils cherchent leur salut du côté du pouvoir

Tous ces chefs de service et professeurs titrés
Soudain redevenus ignorants illettrés
(J’épargne cependant un petit nombre d’aigles
Ils sont les exceptions qui confirment la règle)
N’ont plus d’autre argument que leur autorité
Que leur testostérone et leur mordacité
Pour dicter des édits mais qui se contredisent
Dans un monde masqué comme au temps de Venise
Ils bâillonnent celui qui essaie d’enseigner
Que dans la médecine il faut d’abord soigner

Descendants de Purgon et de Diafoirus
Mis en piteux échec par ce nouveau virus
Ils ont la nostalgie du passé moliéresque
Et veulent condamner comme charlatanesque
Le confrère qui place au premier plan le soin
Ils veulent que chacun s’enferme dans son coin
Pour fuir la contagion dans une quarantaine
Quitte à nous faire vivre une vie incertaine
Ils ne comprennent pas l’amour des libertés
Qu’en inspirant la peur ils tentent d’écarter
Ils ont eux-mêmes peur qu’une lente justice
Ayant pris du recul à la fin les punisse

 

Depuis la fin de l’hiver 2019, nous voyons défiler sur les plateaux de la télévision en continu quantité de médecins, épidémiologistes, réanimateurs, urgentistes, hygiénistes, modélisateurs aux prévisions catastrophistes, dont la compétence sur le sujet, la pandémie de coronavirus (covid-19), n’est souvent guère évidente. Ces médecins tapent les uns sur les autres, par exemple le digne professeur Guidet, réanimateur, contre le non moins digne professeur Caumes, infectiologue, traité par lui de zozo, et qui, de son côté, éreinte les professeurs Raoult, Salomon, Delfraissy. Ils se placent surtout, sauf Raoult, sur le terrain de l’action socio-politique en tant que conseillers des décideurs, insistant sur un moyen archaïque de lutte contre les épidémies, celui de la quarantaine (réduite finalement à la quinzaine et même à la « septaine » après une meilleure analyse des données). Mais ce moyen de lutte autoritaire contre la contagion est profondément inadapté au principe de nos sociétés modernes fondées sur la liberté, de la philosophie à l’économie. De plus, l’émotion que manipule cet autoritarisme mal dissimulé est principalement celle de la peur, passion triste qui fait violence à ceux auxquels elle s’impose. Cette peur est contraire à l’espérance animant depuis très longtemps notre société. Au lieu de nous revigorer, de nombreux éditorialistes complices ont un penchant pour l’anxiogène. Heureusement, la nouvelle d’un vaccin possible a suscité récemment un petit optimisme très perceptible, mais mal vu des médecins et des politiques ennemis du « rassurisme » qu’ils jugent propice au relâchement, alors que l’immoralité est en fait plutôt de l’autre côté, celui des alarmistes pour qui la peur est bonne conseillère.

Dominique Thiébaut Lemaire

 

 

Mythologie : Les Muses

L’aède Orphée passait pour le fils d’une muse
Mais de laquelle au vrai la légende est confuse
Devait-il tout enfant ses belles euphonies
A la haute Calliope ou bien à Polymnie
A celle qui pouvait chanter comme une reine
Ou bien à l’autre muse à la voix de sirène
Savante en harmonies qu’elle renouvelait
Réinventait sans cesse en prodiguant son lait
Pour nourrir cet enfant l’inciter à grandir
Au rythme de ses chants le faire s’enhardir

Il recevait de plus les leçons d’Érato
Qui chantait caressante avec des vibratos
Experte en poésie d’amour sans rhétorique
Dont le nom évoquait Eros et la musique
Souvent représentée une lyre à la main
Et célébrée par tous par les Grecs Romains

Orphée savait aussi dès son âge précoce
Produire de beaux sons grâce à la flûte « aulos »
Par Euterpe guidé muse des musiciens
Il modulait parfois des airs de magicien
Ayant la faculté de faire agir les corps
Si bien que dans la danse arrivait Terpsichore

Le poète inspiré par la tendre affection
De ces filles de Zeus débordant d’attentions
Loin de s’en contenter réclamait Eurydice
Avec elle il voulait que les muses soient dix
Il avait l’ambition qu’avec elle Uranie
Les placerait au ciel dans l’espace infini
Où l’on verrait toujours quand la nuit tend ses voiles
Eurydice et Orphée ainsi que des étoiles
Brillant de tous leurs feux prolongeant la passion
De l’amour lumineux dans les constellations

 

Orphée était considéré comme le fils d’une des neuf muses et par conséquent comme le neveu aimé des autres. Rappelons que ces neuf muses, inspiratrices des arts, étaient Calliope pour la poésie héroïque ; Clio pour l’histoire ; Érato pour la poésie amoureuse et élégiaque ; Euterpe pour la musique ; Melpomène pour la tragédie ; Polymnie pour les hymnes ; Terpsichore pour la danse ; Thalie pour la comédie ; Uranie pour l’astronomie. Orphée passait généralement pour être le fils de Calliope, la plus haute en dignité de ces neuf sœurs, nées de Zeus et de Mnémosyne personnification de la Mémoire. Certains disaient que sa mère n’était pas Calliope mais Polymnie. Orphée était d’origine thrace. Comme les Muses, il était donc voisin de l’Olympe. Le mythe le plus célèbre des légendes le concernant est celui de sa descente aux Enfers pour l’amour de sa femme Eurydice (voir dans le présent recueil le poème daté du 28.02.2019). Après la mort d’Orphée, sa lyre a été transportée au ciel où elle est devenue une constellation. Son âme elle-même a été transportée aux Champs Elysées où elle continuait ses chants pour les Bienheureux.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Perséphone

Quand le dieu des Enfers Hadès a entraîné
Vers le règne d’en bas pour un sombre hyménée
Sa nièce qu’il aimait la jeune Perséphone
Celle-ci a crié au point d’en être aphone
Sollicitant sa mère et de loin demandant
Qu’on ne la livre pas à un tel prétendant
Tyran qui régentait le noir empire des ombres
Où finissent les morts et leur troupe sans nombre

Déméter a perçu que sa fille implorait
Du secours par des pleurs venant d’un lieu secret
Du levant au couchant elle cherche sa trace
Et malgré la fatigue elle parcourt l’espace
Elle erre sans manger sans boire sans repos
Même si son esprit lui semble moins dispos
Pour suivre son idée qui tourne à l’aventure
Aux abords de l’Etna elle voit la ceinture
Que sa fille portait – le brasier du volcan
Lui permet d’éclairer cet indice éloquent –
Et scrute avec des pins qu’elle allume en torchères
Le gouffre où est tombée celle qui lui est chère

Dès lors elle rechigne à remplir sa mission
D’être la nourricière assurant les moissons
Tant que sa fille est prise en un cachot profond
Où la lumière est faible où la vie se morfond
En Sicile les blés sont devenus des herbes
Qui ne méritent plus d’être liés en gerbes
Zeus qui s’en préoccupe ordonne qu’au printemps
Perséphone revienne et partage son temps
Moitié en compagnie de Déméter sa mère
Et moitié chez Hadès pendant les mois d’hiver

 

Pendant qu’elle cueillait des fleurs, narcisses ou lis, dans la plaine d’Enna en Sicile, Perséphone, fille de Zeus et de Déméter elle-même sœur de Zeus, a été enlevée par Hadès – Pluton pour les Romains – frère de Zeus (en raison du petit nombre des dieux originels qu’il était possible de marier, les unions divines étaient propices aux incestes). C’est principalement dans les régions du monde gréco-latin où poussait le froment, avec pour lieux d’élection les plaines d’Eleusis et la Sicile, que s’est développé le mythe de Déméter, déesse de la terre cultivée, essentiellement divinité du blé, appelée Cérès à Rome où Perséphone était nommée Proserpine (voir Ovide, Les Métamorphoses, livre cinquième, vers 393 et suivants). A partir de l’enlèvement de sa fille par Hadès a commencé pour Déméter la recherche de la disparue. Pendant le temps où Déméter était absente, la terre restait stérile, et l’ordre du monde s’en trouvait bouleversé, de sorte que Zeus a ordonné à Hadès de rendre Perséphone. Un compromis a été trouvé : Déméter reprendrait sa place sur l’Olympe, et Perséphone partagerait l’année entre les Enfers et sa mère. Aussi longtemps que les deux déesses restaient séparées, c’était la saison triste de l’hiver, et le sol demeurait stérile. Puis, chaque printemps, Perséphone s’échappait du séjour souterrain et montait vers le ciel avec les premières pousses sortant des sillons, avant de s’enfouir à nouveau parmi les ombres au moment des semailles. Une autre légende, déjà connue de l’Odyssée (V, vers 125 et suivants), raconte l’amour de Déméter et d’Iasion, qui a donné à la déesse un fils, Ploutos. Quant à Perséphone, on disait, d’après une légende syrienne, qu’elle était devenue amoureuse du bel Adonis, qui, aimé d’Aphrodite-Vénus, a dû partager son temps entre la terre et les Enfers, avant d’être tué à la chasse par un sanglier (Ovide, Les Métamorphoses, livre dixième).

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : écriture de « poèmes antiques »

Je me suis aperçu que sans trop amoindrir
La qualité des vers que je pouvais produire
La rime appelée plate était à ma portée
Pour franchir la distance et me réconforter
Devant la feuille blanche afin que se propage
Le discours intérieur jusqu’au bout de la page
C’est la rime adoptée par de grands écrivains
Dans leurs œuvres passées mais dont on se souvient
Ils étaient raconteurs mais aussi démiurges
Poètes créateurs mais aussi dramaturges
Classiques du grand siècle et deux cents ans après
Romantiques trouvant de nouveau les secrets
Du bel alexandrin qui s’accroche à la lyre
Malgré tous les essais tentés pour l’abolir

Poésie dite antique elle privilégie
Les diverses couleurs de la mythologie
Qui me faisant monter dans une tour d’ivoire
M’a permis d’oublier pour une large part
Le martèlement sourd de l’actualité
Les débordants malheurs de la réalité
Je suis pourtant conscient qu’en dépit du folklore
Des mythes en péplum on peut y voir éclore
Des leçons au présent sur notre humanité
Et sur les apories de la divinité
Sur ce qui est fatal et sur l’accidentel
Sur les deux conditions mortelle et immortelle

Zeus même y apparaît impuissant à conduire
Selon son bon plaisir le soleil qui doit luire
L’Olympien n’y est pas le maître des destins
Et je crois qu’en amour il envie les humains

 

 

Leconte de Lisle, chef de l’école poétique du Parnasse à la fin du romantisme, a donné le titre de Poèmes antiques à l’un de ses recueils. Dans sa préface au Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, de Pierre Grimal, le professeur Charles Picard a évoqué Chateaubriand pour qui le christianisme aurait débarrassé le monde d’un troupeau de « dieux ridicules ». Charles Picard a exprimé aussitôt une désapprobation courtoise envers l’auteur du Génie du christianisme : « Aussi bien ces dieux prétendus chassés sont-ils toujours là parmi nous, et avec eux toutes les allégories de la fable. » Et ils ne sont pas présents seulement dans les musées par la statuaire ou la peinture, ni seulement dans les textes que l’Antiquité nous a transmis. Cette mythologie a inspiré, et continue à inspirer, de nombreuses œuvres artistiques et littéraires. Elle touche également à la philosophie et nous fournit quelques éléments d’une sorte de théologie polythéiste. Par exemple, elle nous permet de comprendre que, dans le mythe de Tithon, l’immortalité n’est rien sans l’éternelle jeunesse en bonne santé (voir Éôs et Tithon ; voir aussi Khiron), ou que, dans le mythe de Phaéton, le Soleil essaie d’enseigner à son fils cette vérité : « Aucun dieu ne peut se tenir sur le char qui porte la flamme, excepté moi. Même le souverain de l’Olympe ne conduira jamais mon char. Pourtant, qu’ai-je de plus grand que lui ? » Dans le même ordre d’idées, Eschyle fait dire à Prométhée : « Zeus ne saurait échapper à son destin ». Les épisodes mythologiques sont en effet nombreux où Zeus est soumis à la fatalité.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : le 11 mai 2020 de Paris à Quimper

J’ai saisi l’occasion d’un vide juridique
Entre deux lois nous enlevant la Liberté
Dans un confinement qui semblait fatidique
Et laissait le pays frileux déconcerté

Nous avons parcouru d’un cœur presque ludique
De Paris à Quimper la route désertée
Sans gendarme ni flic jusqu’à ce qu’elle indique
Sur un panneau breton la joie et la fierté

La fierté d’avoir pu Maryvonne et moi-même
Enfreindre l’interdit d’aller et de venir
Qui un instant sans loi s’était trouvé caduc

La joie de transgresser la crainte à face blême
Qui voulait nous bannir du pays des menhirs
Comme un spectre gravé dans un faux marbre en stuc

 

 

Le « confinement » décrété pour cause d’épidémie virale, qui aurait pu s’appeler quarantaine, ou plus précisément quatorzaine compte tenu de la durée d’incubation et de contagiosité de ce coronavirus jusqu’alors inconnu, a mis à l’arrêt l’Europe après avoir infecté la Chine et l’Asie, avant de poursuivre son tour du monde en contaminant les Amériques et l’hémisphère austral. A la suite de l’Italie, la France entière et plus modérément d’autres pays européens ont été mis aux arrêts, emprisonnés, plus encore que mis à l’arrêt. La population française a été assignée à résidence de la mi-mars jusqu’au 2 juin, selon des modalités assouplies à partir du 11 mai, avec toutefois une interdiction de se déplacer à plus de 100 km du domicile. Il a été mis fin progressivement à cette bureaucratie tâtillonne avec ses méticuleuses « attestations de déplacement », bureaucratie mise en place (vraiment pour notre bien ?) sur les conseils des docteurs Folamour, conformément à « l’état d’urgence sanitaire » entré en vigueur le 24 mars 2020, état d’urgence permettant de restreindre les libertés publiques, dont la liberté de circulation. Les docteurs Folamour recommandaient sans état d’âme au nom du bien sanitaire les mesures liberticides les plus draconiennes. Ils se présentaient comme des « sachants », mais il était clair qu’ils n’avaient dans leur besace aucun sachet de savoir : ignorantus, ignoranta, ignorantum, dit Molière. Heureusement, un « trou dans la raquette » juridique, pour reprendre une expression politico-médiatique toute faite, nous a permis, à Maryvonne et à moi, de franchir le 11 mai 2020 la distance nous séparant de notre maison bretonne. A 150 lieues de Paris, la plage au début magnifiquement vide est redevenue accessible peu de jours après. Elle s’est couverte de Bretons et Bretonnes venant y goûter la douceur printanière et le ciel bleu nettoyé de toutes les sillages blancs laissés habituellement par les réacteurs des jets en partance pour l’Afrique de l’ouest et pour les Amériques.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Midas

Séparé d’Eurydice aux Enfers disparue
Orphée charmait le monde à ses pieds accouru
Il attirait à lui les animaux sauvages
qui goûtaient le plaisir d’être mis en servage
Par sa voix sa musique aux clairs enchantements
Plus puissants que le bruit de tous les festoiements

Mais le voici pressé par un chœur de ménades
Qui exigeaient de lui plus que des sérénades
Et voulaient se venger de ses trop longs mépris
Elles coupent son corps en multiples débris
Sauf sa tête changée par Apollon en marbre
Et la troupe assassine est transformée en arbres
Enchaînée à ce lieu par Bacchus désolé
Qu’elle ait pu massacrer ce chantre inconsolé

Un jour le roi Midas qui aimait la musique
Du moins celle qui crée le plus d’effet physique
Organise un concours de plusieurs instruments
C’est-à-dire en premier les roseaux du dieu Pan
puis place en second lieu les tambours de Bacchus
Et en troisième enfin les cordes de Phébus
Dans cet ordre douteux sont décernés les prix

Apollon mécontent se déclare surpris
Que l’on classe derniers ses instruments à corde
La lyre et la cithare associées sans discorde
A la voix du poète ainsi que l’a prouvé
Son disciple fameux l’inoubliable Orphée
Capable d’envoûter les êtres doués d’âme
Et les inanimés transportés par ses gammes

Dans son irritation le dieu punit le roi
D’avoir étourdîment imposé un tel choix
Il remplit de poils gris le creux de ses oreilles
qu’il allonge en montrant que l’âne est son pareil

 

 

Ovide raconte la vie et la mort d’Orphée dans les livres X et XI de ses Métamorphoses. Le livre XI dont le début est consacré à la mort d’Orphée relate aussi les mésaventures de Midas (roi de Phrygie en Asie Mineure) dans ses relations avec Dionysos-Bacchus et Apollon. Grâce à Bacchus qui exauce son vœu, Midas obtient de changer en or tout ce que son corps aura touché. Mais il déchante en découvrant qu’il ne peut plus boire ni manger, car il transforme tout en métal précieux. Dégoûté de la richesse, renonçant à son vœu, il  préfère désormais la nature où le dieu Pan a pour séjour les antres des montagnes et en particulier du Tmolus qui se dresse à une grande hauteur au-dessus de la mer en Lydie voisine de la Phrygie. C’est là que Pan vantait aux jeunes nymphes son talent musical et modulait des airs sur ses roseaux enduits de cire. Un jour ce dieu a eu l’audace de prétendre que les accords d’Apollon ne valaient pas les siens. Il a fait résonner sa flûte dont l’harmonie sauvage charmait l’auditoire, au premier rang duquel se tenait le roi Midas. Mais lorsque Phébus Apollon a fait entendre à son tour sa musique, tous ont fini par reconnaître que sa cithare (qui était aussi l’instrument d’Orphée) était victorieuse des roseaux. Tous, sauf Midas. Apollon ne veut pas que les oreilles de ce roi, grossièrement insensibles à son chant, conservent une forme humaine ; il les allonge et les remplit de poils gris ; il leur donne la faculté de se mouvoir en tous sens. Midas a tout le reste d’un homme, il n’est puni que dans cette partie de son corps, désormais coiffé des oreilles de l’âne, qu’il cache sous un bandeau de pourpre. Le serviteur qui a l’habitude de raccourcir les cheveux de son maître n’ose révéler à personne cette difformité, il en murmure le secret à un trou qu’il creuse dans le sol avant de le refermer rapidement. Des roseaux se mettent  à croître en ce lieu. Balancés par le vent, ils répètent les paroles enfouies par le serviteur : « Midas, le roi Midas a des oreilles d’âne. »

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Tirésias

Tirésias – dont la mère avait nom Chariclo
Suivante d’Athéna – n’avait pas les yeux clos
Quand il a vu Pallas à portée de regard
Se baigner toute nue et mis trop peu d’égards
Dans son amour fervent pour ce corps de statue
Aussi pour le punir Athéna dévêtue
A-t-elle ôté la vue à ce voyant voyeur
Qui dès son jeune temps regardait sans frayeur
Des serpents s’accoupler mais un jour séparant
Deux de ces animaux pareils mais différents
Les avait déchirés et tué la femelle
A force de vouloir que leurs corps se démêlent
Changé dès lors en femme à cause du venin
Que lui avait craché l’animal féminin
Il avait retrouvé après sept ans son sexe
dans un aller-retour laissant les dieux perplexes

Ovide sur ce point dit qu’ils ont consulté
Celui qui par sa vie savait la vérité
Et pouvait révéler sans discours dilatoire
Qui de la femme ou l’homme emporte la victoire
D’un plaisir supérieur quand les corps sont unis
– La jouissance en l’homme est moindre en harmonie
Et en intensité a jugé Tirésias
Même quand elle est vive on la sent plus fugace –
Au lieu d’être flattées les divas dépitées
D’être ainsi consacrées reines des voluptés
– Divinités fâchées qu’un aveugle promulgue
Un secret bien gardé que nulle ne divulgue –
Ont voulu le frapper d’un pire aveuglement
Mais Zeus a refusé l’excès du châtiment
Tirésias a gardé toute sa clairvoyance
Combinée aux leçons tirées de l’expérience
Et confirmé que jouir qu’on prétend masculin
Appartient plus encore au sexe féminin

 

Le thébain Tirésias, personnage important de la tragédie de Sophocle, Oedipe-roi, y dévoile les crimes dont le roi s’est rendu coupable à son insu. Il est l’un des nombreux voyants de la mythologie gréco-latine, parmi lesquels figurent les devins de sa descendance, sa fille Manto et son petit-fils Mopsos, fils de Manto. L’anecdote des serpents dont la séparation a fait changer de sexe Tirésias est rapportée par Ovide. Celui-ci a mis en scène un débat entre Zeus et Héra, qui avaient bu, sur les plaisirs comparés du sexe masculin et du sexe féminin dans l’amour (Les Métamorphoses, III, vers 320 et suivants). Dans les légendes d’un autre cycle mythologique, celles de la guerre de Troie, on trouve comme devins Cassandre, fille du roi Priam, dont le nom est devenu un nom commun (on dit « une Cassandre » pour désigner une prophétesse de malheurs), et Hélénos, frère jumeau de Cassandre. Dans le camp adverse, Calchas est le devin officiel de l’expédition grecque. C’est lui qui a annoncé que les vents ne favoriseraient pas la flotte amarrée à Aulis, sauf si la colère d’Artémis, outragée par Agamemnon, chef de l’expédition, était conjurée par le sacrifice d’Iphigénie, fille aînée de celui qui avait provoqué la colère de la déesse. Calchas a été du nombre des guerriers qui ont pris place dans les flancs du « cheval de Troie ». L’oracle avait prédit qu’il mourrait quand il aurait fait la rencontre d’un devin plus expert que lui. Ce cas s’est produit quand au retour de la guerre il a eu l’occasion de connaître Mopsos (voir ci-dessus). Mopsos s’étant révélé plus habile en voyance, Calchas se serait donné la mort de dépit.

Dominique THiébaut Lemaire

Coronavirus : polémique au sujet du traitement par (hydroxy)chloroquine. Mise à jour du 5 juin 2020

Caractéristiques de la maladie dénommée Covid-19

L’appellation « Covid-19 » donnée au début de 2019 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) veut dire « COronaVIrus Disease-19« , le 19 final faisant référence au chiffre de l’année.
L’une des caractéristiques majeures de cette maladie est celle de l’ignorance humaine, en ce sens que,  jusqu’au début de 2020, la médecine ne connaissait à peu près rien d’elle. A la fin du premier semestre de 2020, on en sait un peu plus, en particulier sur l’agent pathogène appartenant à la « famille » des coronavirus à laquelle appartiennent notamment les virus du rhume. Cette parenté a fait croire au tout début que la maladie était inoffensive, mais on a vite constaté que l’infection pouvait dégénérer en une pneumonie extrêmement dangereuse, induisant des inflammations plus ravageuses que le virus lui-même.

La double nature virale et inflammatoire du Covid-19 (au masculin au sens de virus) ou de la Covid-19 (au féminin au sens de maladie) est ce qui pose les problèmes de traitement médical les plus cruciaux. Il est en effet désormais connu que la maladie peut avoir deux phases, la première bénigne et souvent dépourvue de symptômes, alors que la seconde devient quelquefois mortelle.
S’agissant du traitement, notamment par (hydroxy)chloroquine, il semble que celui-ci doit être administré à doses modérées non toxiques au stade précoce pour être efficace. Or la médecine des pays les plus « avancés » a eu tendance à se concentrer jusqu’ici sur les cas les plus graves, devenant souvent irrémédiables, relevant d’une médecine lourde de réanimation avec administration de curare et intubation qui risquent d’ajouter des séquelles à celles de la maladie proprement dite.

Les prémisses de la polémique

La polémique, qui a largement débordé du cadre de la médecine proprement dite, est née de la conviction exprimée haut et fort par le professeur Didier Raoult, épidémiologiste renommé, qui a testé dans son centre de Marseille (IHU Méditerranée Infection) les patients infectés par le nouveau coronavirus (Covid-19) et les a traités avec de l’hydroxychloroquine, médicament bon marché dérivé de la chloroquine, un antipaludique, auquel est associée l’azithromicine, un antibiotique aux propriétés antivirales efficace contre des maladies auto-immunes telles que le lupus et la polyarthrite rhumatoïde. L’hydroxychloroquine commercialisée sous le nom de Plaquénil en France fait partie des nombreux traitements envisagés depuis le début de l’épidémie de coronavirus, testés y compris en Chine d’où est partie l’épidémie. En mars 2020, en France, des textes réglementaires ont été publiés pour encadrer l’utilisation de ce médicament qui pouvait être prescrit « sous la responsabilité d’un médecin aux patients atteints de Covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile. » Depuis lors, outre les divers essais cliniques chargés d’en évaluer l’efficacité, l’hydroxychloroquine pouvait être prescrite à titre dérogatoire à l’hôpital et uniquement pour les patients gravement atteints, sur décision collégiale des médecins.
La question a pris un caractère mondial notamment parce qu’à un moment de l’épidémie le président des Etats-Unis, Donald Trump, a révélé publiquement qu’il prenait de la chloroquine à titre préventif en accord avec son médecin, et parce que le président du Brésil a fait de ce médicament son cheval de bataille contre le Covid-19.

L’article de la revue The Lancet du 22 mai 2020

La célèbre revue médicale The Lancet de Londres a publié le 22 mai 2020, sous la signature de Mandeep R. Mehra (professeur de cardiologie à la Harvard Medical School) avec Sapan S Desai (fondateur de la société qui a fourni les données), Frank Ruschitzka (professeur de cardiologie lui aussi, mais à l’hôpital universitaire de Zurich) et Amit N Patel (université de l’Utah) un article attirant l’attention sur les effets cardiaques négatifs de l’hydroxychloroquine dans le traitement du covid-19. Cette vaste étude rétrospective, embrassant divers résultats antérieurs obtenus en milieu hospitalier et portant au total sur 96 032 patients hospitalisés entre décembre 2019 et avril 2020 dans 671 hôpitaux, se termine par une « discussion » qui conclut ainsi :« In summary, this multinational, observational, real-world study of patients with COVID-19 requiring hospitalisation found that the use of a regimen containing hydroxychloroquine or chloroquine (with or without a macrolide [antibiotique]) was associated with no evidence of benefit, but instead was associated with an increase in the risk of ventricular arrhythmias and a greater hazard for in-hospital death with COVID-19. These findings suggest that these drug regimens should not be used outside of clinical trials and urgent confirmation from randomised clinical trials is needed. » Les auteurs terminent donc leur article en appelant à une confirmation grâce à des essais cliniques « randomisés » (fondés sur des cas pris au hasard pour une comparaison objective entre une population traitée et une population témoin non traitée).

Les réactions de l’OMS et des autorités médicales françaises

Sans attendre la confirmation susceptible d’être donnée par des essais randomisés, l’Organisation mondiale de la Santé a annoncé le 25 mai qu’elle suspendait temporairement ses essais cliniques sur les effets de l’hydroxychloroquine pour lutter contre le coronavirus, en particulier son essai international appelé « Solidarity ». Les responsables de l’essai français « Discovery » à vocation européenne conduit par l’Inserm ont fait de même, mais non l’essai britannique « Recovery ». La même décision de suspension vise aussi les essais entrepris en France pour tester l’intérêt d’antiviraux tels que le remdesivir, proposé par la firme américaine Gilead, pour lequel l’OMS avait  d’abord pris parti, et tels que la combinaison lopinavir-ritonavir connue en France sous le nom de Kaletra.
Le décret français autorisant l’hydroxychloroquine pour traiter le Covid-19 a aussitôt été abrogé, le mercredi 27 mai. La substance n’est donc plus autorisée dans le cadre du traitement du coronavirus en France. Cette décision va dans le sens des avis donnés en début de semaine par le Haut Conseil de la Santé publique (HCSP) et l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), après la parution de l’étude publiée dans le Lancet (voir plus haut). Mardi 26 mai, le HCSP, saisi par le ministre de la Santé Olivier Véran, avait recommandé de « ne pas utiliser l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19 » hors essais cliniques, que ce soit seule ou associée à un antibiotique. Dans son avis, le HCSP a passé en revue plusieurs études pour les rejeter, en particulier celles qui ont été conduites par le professeur Raoult et ses collabarateurs, au motif qu’elles ne comprenaient pas de comparaison avec un groupe témoin, ou à cause de la petite taille de l’échantillon. Parmi les études examinées, le HCSP a relativement épargné celle du Lancet en concluant que « malgré l’absence de randomisation, cette étude observationnelle comparative portant sur de grands nombres de patients homogènes par rapport au début des symptômes, traités pour Covid-19 confirmé, et correctement menée, n’a montré aucun bénéfice mais suggère au contraire un « surrisque » cardiaque et une surmortalité intra-hospitalière ». L’ANSM a annoncé en parallèle mardi avoir « lancé » la procédure de suspension « par précaution » des essais cliniques évaluant l’hydroxychloroquine chez les patients atteints de Covid-19. Rappelons que le médicament était déjà interdit en ville pour traiter le covid-19. Le décret paru au JO « tire les conclusions de l’avis du Haut conseil de la santé publique », lui-même saisi par le ministre de la Santé Olivier Véran, explique le ministère, en soulignant qu’antérieurement « la France a été marquée par des drames sanitaires liés au mésusage de certains médicaments ».

Les critiques contre l’article du Lancet qui a entraîné les positions prises par l’OMS et par la France

Plus de 100 médecins et scientifiques ont signé une lettre ouverte pour critiquer l’étude parue le 22 mai dans The Lancet, qui a suggéré l’inefficacité ou même la nocivité de l’hydroxychloroquine tout en demandant une poursuite des recherches en vue d’une étude « randomisée ». On vient de voir que cette parution a conduit la France à interdire ce médicament pour le traitement du Covid-19, non seulement en ville mais à l’hôpital. La lettre ouverte, signée notamment par deux médecins exerçant en France (le professeur Annane Djilalli, de l’UFR des Sciences de la Santé Simone Veil, et le professeur Philippe Parola, collaborateur et collègue de Didier Raoult à l’IHU Marseille), critique notamment l’absence d’indication sur la sévérité de la maladie des patients étudiés et sur les doses utilisées (l’étude du Lancet risque de reposer sur des données hospitalières prises à un stade relativement avancé caractérisé par de très fortes réactions immunitaires difficilement maîtrisables). La lettre ouverte critique aussi l’absence de précisions sur les hôpitaux pris en compte dans l’étude et sur les doses de chloroquine ou d’hydroxychloroquine. Les signataires estiment en particulier qu’une erreur avérée en Australie, où un hôpital a été comptabilisé à tort alors qu’il est situé en Asie, conduit à « la nécessité d’une nouvelle vérification de toutes les données ». Le Dr Sapan Desai, l’un des signataires de l’étude du Lancet, par ailleurs fondateur de « Surgisphere », la société dont sont issues les données, a indiqué dans un communiqué que « cet hôpital [comptabilisé dans un premier temps en Australie] aurait dû être mieux attribué à la catégorie Asie continentale ». Plusieurs médecins ou administrations australiennes ont indiqué au journal britannique The Guardian qu’ils continuent à s’interroger sur la concordance entre le nombre de patients recensés dans l’étude et le nombre pris en charge dans leurs propres services hospitaliers. « Nous avons demandé des éclaircissements aux auteurs, nous savons qu’ils enquêtent de toute urgence et nous attendons leur réponse », a indiqué au Guardian un responsable du Lancet.
Dans une expression of concern publiée en ligne le 2 juin 2020, le Lancet reconnaît des inquiétudes majeures concernant les données publiées par MM. Mehra et Depai : « Serious scientific questions have been brought to our attention ». La démarche est la même du côté du New England Journal of medecine. Le Lancet a annoncé le 4 juin 2020 le retrait de son étude, retrait demandé par les auteurs à l’exception de Sapan S Desai dont la société Surgisphère a fourni les données contestées. Le bien fondé du jugement sévère prononcé par le professeur Raoult dès la parution (une étude « foireuse ») est donc confirmé.

En revanche, l’efficacité de l’hydroxychloroquine in vivo contre le virus n’est toujours pas prouvée selon les critères habituels d’une étude « randomisée » procédant par comparaison au hasard entre un groupe de patients traités et un groupe comparable de patients non traités. Quand on demande au professeur Raoult pourquoi il n’a pas mené lui-même une telle étude, il répond que, notamment dans le contexte de cette épidémie, il ne juge pas éthique, à supposer que ce fût possible, d’expérimenter en constituant un groupe contrôle comparable de patients livrés sans traitement à la maladie.

A partir de mai-juin 2020 en Europe, les études en cours se sont arrêtées les uns après les autres, par impuissance à tirer des conclusions sur l’efficacité jugée selon les normes des essais « randomisés ». L’un des principaux aspects mis en avant pour justifier ces arrêts a été, vu notamment le recul de la maladie, la difficulté de recruter suffisamment de malades pouvant participer aux études.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : naissance au temps du coronavirus

Au début du printemps mon petit-fils Oscar
A découvert le jour étonné sans fracas
En l’année deux mil vingt lorsque le temps qui court
A congédié l’hiver évincé tout à coup

Par cet enfant la vie m’a paru moins obscure
Elle m’a dit par lui qu’elle était invaincue
Bien que la pandémie ne laissât rien d’équerre
Ni les peurs mal fichues ni les espoirs à quai

Plus forte que le mal rampant vers les vieux corps
Sous un ciel sans avion la vie était d’accord
Avec l’azur tout bleu lui servant de décor

Elle s’est déclarée robuste comme un cœur
Qui bat dans l’allégresse et marche avec bonheur
Comme une poésie dont le rythme est vainqueur

 

 

 

Mon petit-fils Oscar (frère Sacha, six ans et demi, bien connu des lecteurs de Libres Feuillets) est né le 21 mars 2020, au tout début du printemps, en pleine épidémie de coronavirus qui, heureusement, ne fait rien aux enfants. C’est seulement après deux mois de météo généralement radieuse, contrastant avec la contagion de la maladie, que je me suis senti psychologiquement en état de fêter cette naissance par un poème.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Erysichton

Triopas était roi célèbre en Thessalie
Mais son nom et sa ville ont sombré dans l’oubli
Son fils Erysichton « celui qui fend la terre »
En somme un laboureur offensant Déméter
A décidé un jour une hache à la main
Sans autre réflexion ni plus ample examen
De couper un grand chêne orné de bandelettes
Avec une guirlande et des vœux sur tablettes
Qui pourtant témoignait par ses branches parées
Qu’il fallait respecter ce rouvre consacré
A celle que dans Rome on appelait Cérès
Déesse des moissons porteuse de richesses
Ce chêne dépassait ses voisins du bosquet
Qui comparés à lui paraissaient freluquets

Un premier bûcheron lui fait une blessure
Il voit du sang couler par cette meurtrissure
Et retient sa cognée qui s’attaquait au tronc
Erysichton furieux le traite de poltron
Se saisit de ce fer tuant et l’homme et l’arbre
Impie sans repentir il demeure de marbre
Alors Cérès le livre aux tourments de la Faim
Si forts qu’il a besoin de se nourrir sans fin
Sans pouvoir rassasier le vide en ses entrailles
impuissant à calmer le feu qui le tenaille
Lorsqu’il a consommé ses biens en aliments
Mais sans en obtenir aucun rassasiement
Il imagine aussi de monnayer sa fille
Qui se métamorphose ou bien se remaquille
Si bien qu’il va la vendre un grand nombre de fois
Mais ce n’est pas assez pour l’avide aux abois
Il s’engloutit lui-même il se donne en pâture
En devenant ainsi sa propre nourriture
Sa fille multiplie les apparences lui
Se mange par morceaux s’absorbe et se détruit

 

Erysichton, fils de Triopas et père de la protéiforme Mnestra, est un contempteur des dieux, comme Lycaon, Pirithoüs, Ixion… Il décide un jour de couper un bois consacré à Déméter-Cérès, fille de Cronos et de Rhéa, dont les frères et sœurs sont Hestia, Héra, Hadès, Poséidon et Zeus. Pour châtier Erysichton qui a abattu un immense chêne sacré au tronc séculaire, Déméter, déesse de la terre productrice, principalement divinité du blé, lui envoie une faim dévorante à la demande des dryades, nymphes protectrices des chênaies et des glandées. La Faim toujours à jeun entre sans tarder dans la chambre du coupable, plongé dans un profond sommeil. Elle remplit de son souffle le gosier, la poitrine et la bouche du dormeur, et répand dans ses veines le besoin permanent de nourriture. Le malheureux, dans son rêve, « cherche des aliments, il agite en vain ses mâchoires, fatigue ses dents sur ses dents […] La bouche de l’impie Erysichton avale et réclame en même temps tous les mets ; toute nourriture l’excite à en vouloir davantage ; il fait sans cesse le vide en lui à force de manger. Déjà, pour satisfaire sa faim et pour remplir jusqu’au fond le gouffre de son ventre, il avait diminué son patrimoine ; mais il n’avait pas diminué sa faim cruelle ; la flamme de sa gloutonnerie insatiable subsistait aussi ardente. Enfin, quand il eut jeté tout son bien dans ses entrailles, il lui restait une fille, digne d’un autre père […] Voyant que la petite-fille de Triopas avait le don de se métamorphoser, son père la vend plusieurs fois à des maîtres différents ; changée tantôt en cavale, tantôt en oiseau, un jour en bœuf, un autre en cerf, elle leur échappait et fournissait à l’avidité paternelle des aliments acquis par la fraude. Mais quand l’excès de la souffrance, ayant consumé tout ce qui lui servait de matière, donna une pâture nouvelle à son horrible maladie, Erysichton se mit à déchirer lui-même ses propres membres à coups de dents ; l’infortuné nourrit son corps en le diminuant » (Ovide, Les Métamorphoses, VIII, vers 725-884).

Dominique Thiébaut Lemaire

Coronavirus : un taux de décès en réanimation très sous-estimé

Un article du journal Le Monde daté du 28 avril 2020, annoncé en première page ( » Un taux de décès en réanimation très sous-estimé »), nous apprend que, contrairement à ce qui a été avancé par le ministère français de la santé, le taux de mortalité des patients malades du Covid-19 en réanimation ne serait pas de 10 % (chiffre annoncé par Jérôme Salomon, le directeur général de la santé, lors de sa conférence de presse du 17 avril), mais de l’ordre de 30 % à 40 %. Cette estimation a été établie à partir des données compilées par le Réseau européen de recherche en ventilation artificielle (REVA), d’après les premiers résultats d’une étude dont Le Monde a pris connaissance, et qui est mentionnée également par le service CheckNews du quotidien Libération (article de Luc Peillon daté du 22 avril 2020, ainsi que par le quotidien Ouest France du 27 avril 2020 et par l’hebdomadaire L’Express du 27 avril 2020. Créé en 2009, lors de la grippe H1N1, le REVA constitue de fait le registre national des formes graves en réanimation en France. Avec la pandémie due au coronavirus, le réseau est passé de 70 à environ 200 centres de réanimation. Quotidiennement, chaque centre renseigne un registre informatique avec des informations sur le parcours de soins des patients atteints du Covid-19 en réanimation (décès, transferts, sorties…). A partir de 4 000 malades, un groupe d’un peu plus de 1 000 patients a ainsi pu être constitué et suivi pendant vingt-huit jours : il s’agit de personnes entrées en service de réanimation avant le 28 mars, et dont le parcours a été suivi jusqu’au 25 avril. Cette étude, inédite par son envergure et sa durée (des médecins chinois avaient suivi une centaine de patients), doit être soumise à une grande revue médicale internationale pour une publication attendue en mai.

« Nous nous dirigeons vers une mortalité qui sera très vraisemblablement entre 30 % et 40 %. C’est un chiffre énorme », commente Matthieu Schmidt, médecin réanimateur à la Pitié-Salpétrière, à Paris, coordinateur du REVA. Ce médecin est en train de finaliser l’étude. « Il y a encore des données à analyser en provenance de certains centres pour affiner ce chiffre, mais on sera sur cette tendance, représentative de l’ensemble des réanimations en France », précise le docteur Schmidt, qui ajoute : « On n’a jamais vu de tels taux de mortalité. Avec le [virus de la grippe] H1N1, même avec les formes les plus graves, on était à 25 %. » Contactés par le journal Le Monde, plusieurs médecins réanimateurs confirment l’estimation. « A Bicêtre, on est sur une fourchette « de 40 % à 60 % de décès », témoigne le docteur Tai Pham, médecin réanimateur à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre, dans le Val-de-Marne.  » Pour les syndromes de détresse respiratoire aiguë, on n’est jamais au-dessous de 30 % à l’échelle nationale », observe le professeur Djillali Annane, chef du service de réanimation à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches dans les Hauts-de-Seine et responsable du Syndicat des réanimateurs, qui précise qu’à Garches, « on a un taux de 37 % de décès covid en réa. »

Le directeur général de la santé s’est fondé sur le point épidémiologique de Santé publique France en date du 16 avril. Mais à cette époque, seuls 55 de ces patients avaient fait l’objet d’une ventilation invasive, contre 80 % dans le groupe REVA. Contacté par Le Monde, le ministère de la santé confirme, mais sans donner plus de précision, que les propos de M. Salomon se fondent  » sur le nombre de patients décédés parmi les patients admis en réanimation, soit la mortalité à l’instant T au niveau de l’échantillon de Santé publique France « . Pour le docteur Pham, « les chiffres de M. Salomon correspondent à une fourchette très très basse, au début du pic épidémique et des entrées en réa, soit la deuxième moitié de mars, avec beaucoup de patients dont on ne connaissait pas alors le devenir. Au tout début de l’épidémie, des cas moins graves, sans grande détresse respiratoire, pouvaient être admis en réa. Le profil des patients a beaucoup évolué depuis mi-mars. » A l’instar de nombre de ses confrères, le professeur Annane juge la « déclaration de M. Salomon prématurée, avec une étude qui commence quinze jours avant le début du moment critique.

Outre le calendrier peu pertinent choisi pour l’estimation de M. Salomon, Yvon Le Flohic, médecin généraliste chargé du suivi épidémiologique H1N1 en Bretagne en Bretagne fait une autre remarque de méthode que fait aussi en substance le docteur Pham) : il est trompeur de « calculer la mortalité sur un lieu et sur une période, il faut le faire sur les personnes, en prenant le parcours des patients et voir s’ils sont sortis vivants ou pas et ce qu’ils sont devenus « . C’est justement le travail de l’étude REVA. A cela le professeur Annane ajoute qu’il « faudra aussi connaître le taux de mortalité dans les services de réanimation créés en urgence ».

En complément de ces éléments sur la mortalité dues au Covid en réanimation, on peut mentionner les remarques critiques du professeur Didier Raoult au sujet de l’essai anglais Recovery (Twitter, 8 juin 2020) : « les taux de mortalité de l’essai sont effroyables (près de 25%) pour des patients hospitalisés sans critères de gravité supplémentaires. C’est davantage que chez les patients hospitalisés en France (12%) et que chez les patients en réanimation à Marseille (16%) ».

En ce qui concerne les données relatives à la réanimation des malades du Covid-19, il faudra sans doute plus d’explications sur des éléments tels que :
– la durée souvent interminable des séjours en réanimation ;
– la possibilité de recourir à des traitements permettant d’éviter ces séjours ;
– la possibilité de limiter les intubations « pour éviter ce tournant très agressif pour les poumons » (voir à ce sujet la déclaration du chef du service de réanimation au CHU de Rouen, cité dans  CheckNews du 22 avril 2020: voir ci-dessus).

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Philomèle et Procné

Filles du roi Pandion les deux sœurs – Philomèle
Et sa chère Procné – semblaient être jumelles
Tant elles s’appréciaient et se voulaient unies
Procné s’est donc sentie en exil et bannie
Livrée par son mariage au despote de Thrace
Térée fils d’Arès-Mars un brutal dont la race
Gardait toujours en elle un reste inassouvi
Pandion qui redoutait de finir asservi
Face à ses ennemis voulant abattre Athènes
Avait dû faire alliance avec ce capitaine
Fort de nombreux guerriers puissant par son argent
Qui apportait de l’aide et un secours urgent

Frustrée au bout d’un lustre en manque de douceur
Procné a souhaité voir à nouveau sa sœur
Pour ce faire Térée a lancé un bateau
Qu’il a conduit lui-même et dirigé bientôt
Jusqu’au port du Pirée la porte de l’Attique
Où Pandion l’attendait d’un air diplomatique
En dissimulant mal sa vive appréhension
Mais l’Athénien s’apaise il oublie les tensions
Quand Térée lui donnant l’affectueux message
Envoyé par Procné promet sur un ton sage
De ramener la sœur qui lui sera confiée
Son interlocuteur omet de se méfier
Sur la voie du retour enflammé de désir
Le Thrace  a regardé avec un grand plaisir
Sur le navire étroit Philomèle endormie
Dénuder les appas de son anatomie
Ce violent fils d’Arès la prend pour une gouge
L’assaille sans vergogne à coups de sexe rouge
Procné avec sa sœur veut tuer son mari
Ainsi que son enfant fruit d’un amour tari
Mais un dieu les protège indigné par le viol
Change l’une en aronde et l’autre en rossignol

 

La mythologie gréco-romaine raconte la légende des filles de Pandion (roi d’Athènes), Philomèle et Procné, transformées en oiseaux, rossignol et hirondelle, dont l’histoire a été rapportée longuement par Ovide (Les Métamorphoses, livres VI, vers 424-674). Il existe aussi une version thébaine racontant l’histoire d’Aédon dont le nom est celui du rossignol en grec ancien. Aédon, fille de Pandaréos, est l’épouse de Zéthos, roi de Thèbes. Aédon, jalouse de Niobé, sa belle-sœur dotée d’une postérité nombreuse, veut tuer le fils aîné de cette rivale, mais dans la nuit elle se trompe et immole son propre fils, Itylos, dont le nom est à rapprocher de celui d’Itys, fils de Procné. Zéthos, fou de colère, court après Aédon pour la tuer, mais elle lui échappe car elle s’envole changée en rossignol. Itylos-Itys serait l’onomatopée plaintive que les Anciens reconnaissaient dans le chant de ce passereau. Homère se réfère à ce mythe dans L’Odyssée (chant XIX, vers 519-534) quand Pénélope s’abandonne un moment à la tristesse en écoutant un rossignol : « Fille de Pandareos, la chanteuse verdière se perche au plus épais des arbres refeuillés pour chanter ses doux airs quand le printemps renaît ; ses roulades pressées remplissent les échos ; elle pleure Itylos, l’enfant du roi Zéthos, ce fils qu’en sa folie son poignard immola… » Dans la version racontée par Ovide, l’enfant Itylos-Itys est tué dans une ambiance moins mélancolique et beaucoup plus sauvage, car il y est question du viol de Philomèle par Térée l’époux de Procné, et de l’assassinat du fils de Térée par sa propre mère, infanticide vengeur qui rappelle le meurtre de ses enfants par Médée.

Dominique Thiébaut Lemaire

Coronavirus : les chiffres des décès résultent souvent de mensonges (mise à jour du 15 juin 2020)

Les pays d’Europe et d’Amérique du nord ne se sont pas privés de mettre en question la sincérité des chiffres invraisemblables relatifs aux décès provoqués en Chine par le coronavirus (covid-19). Mais les chiffres chinois ne sont pas les seuls à susciter la critique, les comptages sont aussi biaisés en Europe, comme le montre l’article publié les 3-4 mai 2020 par le journal Le Monde sous le gros titre en première page : « Les milliers de morts invisibles du coronavirus ».

Les États européens communiquent régulièrement les chiffres de leur situation sanitaire au regard de l’épidémie : combien de malades, combien de guérisons, combien de décès. La plupart ont « confiné » (mis en quarantaine) leur population, mais il subsiste, en dépit de cette communication, des écarts de mortalité entre les États dûs en particulier à des différences de traitement de l’information selon les États. Ces différences sont le sujet d’un « point de vue » de l’eurodéputé Pascal Canfin, publié le 15 avril 2020 par le journal Ouest-France. L’eurodéputé se place du point de vue de l’harmonisation européenne qu’il appelle de ses voeux, mais ce qu’il écrit peut être repris d’un autre point de vue, celui de la vérité tout simplement. On ne peut se satisfaire de statistiques biaisées en fonction d’intentions inexprimées (encore que souvent bien visibles, tendant à minimiser la gravité de l’épidémie dans tel ou tel pays).

Les types de dissimulation sont généralement les suivantes : mauvaise désignation de la maladie ayant entraîné la mort, omission de catégories de malades, retards de comptabilisation.
En ce qui concerne la mauvaise désignation de la maladie ayant entraîné la mort, on peut mentionner :
– l’attribution des décès à une autre pathologie que le coronavirus, par exemple en les considérant comme le résultat d’une pneumonie qualifiée d’atypique ;
– la non prise en compte des décès provoqués par le coronavirus, par exemple lorsque les malades n’ont pas été précédemment testés positifs, ou lorsque les tests post-mortem ne sont pas pratiqués de manière systématique, comme l’a reconnu le président de l’institut allemand de santé publique Robert-Koch ; on voit que, dans ces cas, les tests permettent d’élargir les possibilités de mensonge par omission ;
– le classement des décès dans la catégorie des dégâts collatéraux du coronavirus et non comme conséquence directe de l’épidémie, quand des malades sont décédés de ne pas avoir pu voir leur médecin pour une comorbidité.
En ce qui concerne les omissions de certaines catégories de malades en fonction du lieu du décès (hôpital, maison de retraite, domicile) :
Certaines pays ne comptent que les morts du coronavirus décédés à l’hôpital, mais omettent ceux qui sont décédés dans un établissement autre qu’un hôpital. C’est le cas des Pays-Bas ainsi que du Royaume-Uni qui, jusqu’au 29 avril inclus, a refusé de comptabiliser les décès survenus dans les maisons de retraite. C’était aussi le cas en France avant le 7 avril 2020.
En ce qui concerne les retards de comptabilisation :
Les retards de comptabilisation sont dues soit à la lenteur voire à l’insuffisance de certains systèmes statistiques, soit au fait que les différents pays ne se trouvent pas au même stade de l’épidémie, soit à la structure fédérale du pays, soit à l’addition de ces causes.

Les comptages à peu près compréhensibles

France

La France, qui comptait les décès seulement dans les hôpitaux, s’est engagée depuis le début d’avril 2020 dans le décompte des morts des établissements hors hôpitaux, en particulier dans les Ehpad (Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes), dont l’exclusion statistique devenait choquante, vu l’importance de la mortalité dans ces établissements souvent à but lucratif et mal équipés. Au 25 avril 2020, le nombre des morts du covid-19 en France s’est élevé à 22 614 au total, dont 14050 à l’hôpital et 8564 dans les établissements sociaux et médico-sociaux y compris les EHPAD. Les morts à domicile ne sont pas comptés dans ces chiffres. Leur nombre pourra être établi par différence en comparant la mortalité constatée mensuellement pendant l’épidémie avec les chiffres de la mortalité normale constatée pour les mois correspondants des années précédentes.

Italie et Espagne

Les décès sont comptabilisés dans les hôpitaux ainsi que dans les maisons de retraite et au domicile des défunts. Ce sont les pays où les statistiques sont à la fois les catastrophiques et peut-être les plus sincères. Au 25 avril 2020, on a compté en chiffres cumulés depuis le début de l’épidémie 25 969 morts en Italie et 22 524 morts en Espagne. Ces chiffres se sont aggravés depuis (voir in fine).

Belgique et Pays-Bas

La Belgique se demande si elle connaît effectivement une surmortalité, et pourquoi (voir l’article publié dans le journal Le Monde du 17 avril 2020 sous le titre « Le nombre élevé de morts inquiète la Belgique ». Avec ses 11,4 millions d’habitants, elle totalisait, mercredi 15 avril, 4440 morts du covid-19, tandis que l’Autriche (9 millions d’habitants) et la Suède (10,2 millions d’habitants) en ont annoncé respectivement 393 et 1203 à cette date.

Aux Pays-Bas (voir l’article publié dans le journal Le Monde du 23 avril 2020 sous le titre : « Mark Rutte prône la prudence avant de dé-confiner les Pays-Bas »), seuls les décès à l’hôpital sont comptabilisés. Le total des personnes décédées du coronavirus aux Pays-Bas a été de 3916 morts selon le décompte du mardi 21 avril. Les méthodes de comptage des autorités néerlandaises sont contestées, certaines sources affirmant que le nombre de personnes décédées serait en fait deux fois plus élevé. Si la Belgique comptabilise les décès de personnes qui présentaient les symptômes du covid-19, à l’hôpital comme dans les maisons de retraite, les autorités sanitaires des Pays-Bas s’y refusent. Elles concentrent par ailleurs leurs capacités de test sur les personnels de santé et les personnes les plus vulnérables. Leur approche a un impact négatif considérable sur la fiabilité des statistiques.

Royaume-Uni

La Grande-Bretagne a inclus dans ses statistiques les maisons de retraite seulement à partir du 29 avril 2020. Dans les comparaisons internationales publiées quotidiennement au Royaume-Uni, celui-ci restait apparemment en meilleure situation que la France au 25 avril 2020 (19 506 morts contre 22 614 en France), alors qu’à en croire les médias britanniques, le nombre des victimes devait être nettement augmenté si le pays recensait ses morts comme le fait la France depuis début avril. Interrogée mardi 14 avril, Yvonne Doyle, directrice médicale de Public Health England a refusé de reconnaître que la comparaison avec la France était trompeuse, tout en en affirmant la « moralité » de sa démarche : « Nous parlons constamment à nos voisins européens pour comprendre ce qu’ils prennent en compte, quelles sont leurs bonnes pratiques et de quelle manière nous pouvons apprendre les uns des autres » (voir l’article intitulé « Polémiques sur le recensement des décès dus au coronavirus au Royaume-Uni » dans Le Monde du 17 avril 2020).

Le cas peu compréhensible de l’Allemagne

C’est en Allemagne que les chiffrages sont les plus déroutants. La population allemande, comme la population italienne, est l’une des plus âgées, ce qui la rend vulnérable au covid-19, et son espérance de vie, avant l’épidémie, était inférieure  à celles de l’Espagne, de l’Italie, de la France… Le chiffre disponible fourni le 25 avril 2020 par le European Centre for Disease Prevention and Control était de 5500 morts causés en Allemagne par le covid-19 depuis le début de l’épidémie.

Ce nombre de morts, très faible par rapport à celui des autres grands pays d’Europe, est d’autant plus étrange que le virologue Christian Drosten, directeur du département de virologie de l’hôpital de la Charité à Berlin, présenté comme un oracle en Allemagne, a évoqué la possibilité de 280 000 décès dans le pays (280 000 = population allemande de 83 millions d’habitants x 2/3 x 0,5 %) en appliquant une  létalité de 0,5 % à une contamination de deux-tiers (ou 70%) de la population, à partir de laquelle l’épidémie s’arrêterait grâce à l’immunité de groupe ainsi acquise (voir CheckNews de Libération, article de Jacques Pezet daté du 13 mars 2020). Ces calculs contrastent fortement avec les comptages des décès dus au Covid-19. Ceux-ci sont très ralentis par le confinement, mais en outre ils remontent très lentement au niveau fédéral à partir des Länder (compétents en matière de santé, sans que l’on puisse connaître vraiment la méthodologie utilisée pour comptabiliser les victimes).

D’après l’article du Monde déjà mentionné, intitulé « Le nombre élevé de morts inquiète la Belgique », daté du 17 avril 2020, la Belgique totalisait alors, par rapport à l’Allemagne (83 millions d’habitants, 3528 morts), en proportion huit fois plus de morts ! Face à ce genre de situation, les médias français expriment en général soit un scepticisme poli, soit une admiration débordante dont on a l’habitude, exprimée depuis longtemps par ceux qui ne manquent pas une occasion de stigmatiser par comparaison les supposées carences et déficiences françaises. Ce n’est généralement pas l’Allemagne qui intéresse ces « germanophiles », mais la France qu’ils se plaisent à fustiger.

Denis Wirtz, vice-recteur à la recherche de l’université américaine Johns Hopkins (JHU) de Baltimore qui fait autorité en matière de statistiques notamment pour la pandémie de Covid-19, a indiqué au magazine du journal Le Monde daté du 6 juin 2020 que « le modèle français mis en place est l’un des meilleurs, car c’est celui qui a le mieux pris en compte les morts excédentaires [la publication du nombre de décès, toutes causes confondues, a permis une analyse en temps réel de la surmortalité], alors que l’Allemagne, par exemple, a effectué un décompte très restrictif. »

Les biais (voulus ou involontaires) de l’Allemagne en matière de statistiques ne sont pas une nouveauté. Comme exemple frappant de ces biais, on peut mentionner ceux qui, après le recensement général de 2011 en Allemagne, ont conduit à une importante rectification annoncée en 2013 par l’office fédéral des statistiques Destatis. A la suite de ce tout premier recensement – très tardif – de l’Allemagne réunifiée, la population totale a été revue à la baisse de 1,5 million de personnes, et ramenée à 80,2 millions d’habitants au 9 mai 2011. Jusqu’alors la population de l’Allemagne était évaluée à 81,7 millions d’habitants. L’estimation se basait sur des recensements menés dans les années 1980 en Allemagne de l’Ouest et en Allemagne de l’Est. Le recensement de 2011 visait à rectifier ces chiffres à la fiabilité contestée. Le nouveau chiffre de population s’est trouvé inférieur de 1,8 % au chiffre précédent. La différence concernait surtout la population étrangère qui est passée de 7,3 millions à 6,2 millions. Le nombre d’habitants étrangers représentait désormais 7,7 % de la population allemande. Le nombre de ressortissants allemands, lui, a été revu à la baisse de 428.000 personnes. L’explication de ces bizarreries serait la suivante : les personnes quittant un Land, notamment les étrangers quittant le territoire, seraient peu portées à faire enregistrer leur départ dans les registres tenus par les mairies, selon Sabine Bechtold, chef du département Population de Destatis. Par la suite, l’afflux de réfugiés du Proche-Orient fuyant la guerre en Syrie et en Irak a de nouveau modifié les chiffres de l’immigration en Allemagne. La question qui se pose à présent est de savoir dans quelle proportion ces immigrés, pour diverses raisons, ont finalement trouvé refuge ailleurs, comme la population française de l’est de la France a l’impression de le constater, par exemple en Alsace.

Les biais de comptage résultant de la structure fédérale des Etats-Unis

Un article publié dans le journal Le Monde daté de dimanche 14-lundi 15 juin 2020, sous le titre « Les Etats-Unis peinent à faire refluer la « première vague » de l’épidémie de Covid-19″, nous apprend que :  » La maladie a, pour l’heure, fait plus de 114 669 morts aux Etats-Unis, un chiffre sans doute inférieur à la réalité. Tous les Etats des Etats-Unis ne rapportent pas les données de la même manière et la moitié d’entre eux ne comptabilisent pas les morts « probables » dues au virus, un choix en contradiction avec les recommandations des CDC [Centres de prévention et de lutte contre les maladies].

                                                               ***

Au total, d’après le tableau de bord en temps réel de Johns Hopkins University de Baltimore (site internet consulté le 6 juin 2020), les morts par Covid-19 comptabilisés à la date de la consultation étaient de :
9566 en Belgique (83,75 pour 100 000 habitants)
40344 au Royaume-Uni (60,68 pour 100 000 h)
27134 en Espagne (58,08 pour 100 000 h)
33774 en Italie (55,89 pour 100 000 h)
4639 en Suède (45,56 pour 100 000 h)
29114 en France (43,46 pour 100 000 h)
6024 aux Pays-Bas (34,96 pour 100 000 h)
109 132 aux Etats-Unis (33,36 pour 100 000 h ; consultation du 20/6/ 2020 : 119 112, soit 36,41 pour 100 000 h )
34021 au Brésil (16,24 pour 100 000 h)
8658 en Allemagne (10,44 pour 100 000 h).
Ces chiffres dépendent évidemment de la sincérité des comptages (voir à ce sujet ce qui est dit plus haut pour plusieurs pays).

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Cassandre

Personne n’écoutait ce que disait Cassandre
Elle annonçait que Troie serait réduite en cendres
Et tous demeuraient sourds à ses divinations
Qui étaient pensaient-ils pure élucubration
Depuis qu’en acquérant le don de clairvoyance
Elle n’inspirait plus qu’une obscure méfiance
Ainsi l’avait voulu le divin Apollon
Faux ange d’innocence avec ses cheveux blonds
Dépité que Cassandre ait refusé son coeur
Fille du roi troyen plus belle que ses sœurs
Ayant reçu du dieu le don de prophétie
Sans l’aimer en retour ni lui dire merci

On aurait dû la croire aux moments fatidiques
Lorsqu’elle prédisait en transe véridique
L’avenir deviné dans le présent brumeux
Quand elle a vu le sort qui deviendrait fameux
De son frère Pâris quand elle a vu Hector
L’aîné de sa fratrie s’approcher de la mort
Et qu’elle a pressenti que le cheval de Troie
Renfermait des guerriers prêts à semer l’effroi
Parmi eux se trouvait le querelleur Ajax
Il savait manier l’arc et bomber le thorax
Et c’est lui qui pendant le saccage d’Ilion
Oubliant excité la noblesse du lion
Sans souci d’héroïsme a violé la princesse
Fille du roi Priam la triste prophétesse
Elle implorait secours à l’autel dans un temple
Auprès d’une Athéna beauté que l’on contemple
Eclatante et sévère en bronze ou marbre blanc
Qui inspirait à tous un sentiment troublant
Unissant dans ses traits la religion et l’art
La déesse offensée a noyé le soudard
Mais a laissé plus tard tuer Agamemnon
Et avec lui Cassandre une tuerie sans nom

 

Dans L’Iliade, Cassandre est considérée comme « la plus belle des filles de Priam » (chant XIII, vers 365) et elle est dite « pareille à l’Aphrodite d’or » (chant XXIV, vers 799). Lors de la chute de Troie elle a été violée par Ajax le Petit, fils d’Oïlée, qui pour ce sacrilège profanateur commis alors qu’elle s’était placée sous la protection d’Athéna, a péri dans une tempête provoquée par la déesse qui a déclenché de surcroît dans le pays du coupable des épidémies et des famines. Lors de son voyage au pays des morts (L’Odyssée, chant XI), Ulysse rencontre Agamemnon qui lui raconte comment Cassandre a été assassinée, avec lui, par Égisthe et Clytemnestre. Le texte est reproduit ci-après  dans la traduction de Victor Bérard, qui présente l’originalité d’avoir été rédigée en alexandrins, sans rimes : « au manoir d’Égisthe, où je fus invité, c’est lui qui me tua, et ma maudite femme ! Voilà de quelle mort infâme j’ai péri ! Ils ont, autour de moi, égorgé tous mes gens, sans en épargner un, tels les porcs aux dents blanches qu’au jour d’un mariage, d’un dîner par écot ou d’un repas de fête, on tue chez un richard ou chez un haut seigneur. Tu ne fus pas sans voir déjà beaucoup de meurtres, soit dans le corps à corps soit en pleine mêlée ; mais c’est à cette vue que ton cœur eût gémi ! Tout autour du cratère et des tables chargées, nous jonchions la grand-salle : le sol fumait de sang ! Et ce que j’entendis de plus atroce encor, c’est le cri de Cassandre, la fille de Priam, qu’égorgeait sur mon corps la fourbe Clytemnestre ; je voulus la couvrir de mes bras ; mais un coup de glaive m’acheva… Et la chienne sortit, m’envoyant vers l’Hadès, sans daigner me fermer ni les yeux ni les lèvres. » Cette tuerie s’explique par le double ressentiment de Clytemnestre contre son époux Agamemnon qui ne s’est pas assez fortement opposé au sacrifice de leur fille Iphigénie, et qui, de plus, s’est épris de Cassandre sa captive troyenne.

Dominique Thiébaut Lemaire

Coronavirus : les distances interpersonnelles, moyen de lutte contre la contagion

La nécessité de garder ses distances pour limiter les risques de contamination entre les personnes dans le cas de l’épidémie actuelle du coronavirus (covid-19) fait penser aux recherches du professeur américain d’anthropologie Edward T. Hall.

Biographie

Edward T. Hall (1914-2009) a enseigné dans divers établissements universitaires des États-Unis, à l’université de Denver, au Bennington College dans le Vermont, à Harvard Business School, à l’Institut de Technologie de l’Illinois, à Northwestern University, etc. Le fondement de la recherche qu’il a poursuivie toute sa vie sur la perception culturelle de l’espace remonte à la Seconde Guerre mondiale pendant laquelle il a servi dans l’armée des Etats-Unis en Europe et aux Philippines. Entre 1933 et 1937, il a vécu et travaillé avec les nations Navajo et Hopi dans les réserves dans le Nord-Ouest de l’Arizona. Il a été diplômé en anthropologie (PhD) de l’université Columbia en 1942 et a continué son travail sur le terrain en Europe, au Proche-Orient et en Asie. Dans les années 1950, il a travaillé pour le département d’Etat des Etats-Unis où il enseignait les techniques de communication interculturelle au personnel du service étranger.

Son concept le plus connu : la « proxémie »

Dans The Silent Language (Le Langage silencieux) publié en 1959, Edward T. Hall introduit le néologisme « polychronique » pour décrire la capacité à assister à de multiples événements simultanément, par opposition à « monochronique » (individu ou culture qui gère les événements séquentiellement, selon un programme ou un horaire à respecter).

Dans son livre de 1966 The hidden dimension (publié en français en 1971 par les Éditions du Seuil) sous le titre La Dimension cachée, il décrit la dimension subjective qui entoure quelqu’un et la distance physique à laquelle les individus se tiennent les uns par rapport aux autres selon des règles culturelles subtiles. Selon lui, quatre distances principales s’établissent entre les individus : l’intime, la personnelle, la sociale et la publique. Cette notion a été reprise notamment par l’universitaire français Abraham Moles pour qui la personnalité humaine est formée de zones concentriques

Diversité de la distanciation physique interpersonnelle en Europe

L’expression anglaise : « tenir quelqu’un à la longueur du bras » (at arm’s length » peut offrir une définition du mode lointain de la distance personnelle. Cette distance est comprise entre le point qui est juste au-delà de la distance de contact facile et le point où les doigts se touchent quand deux individus étendent simultanément leurs bras. Il s’agit en somme de la limite de l’emprise physique sur autrui. » (La dimension cachée, chapitre I0 intitulé « Les distances chez l’homme »). Edward T. Hall montre que les Européens respectent des distances physiques interpersonnelles plus proches en Europe du sud qu’en Europe du nord. Le principe at arm’s length auquel les Anglais et les Américains se réfèrent fréquemment est invoqué non seulement au sens propre mais aussi au sens figuré dans les cas où les participants à une transaction doivent être indépendants et placés sur un pied d’égalité. Il est un élément-clé de la fiscalité internationale en tant que critère pour la juste répartition des profits à taxer entre les États concernés dans le cas d’un groupe international. Dans ce cas, les États concernés, du moins ceux qui appartiennent à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), sont en général d’accord pour considérer que les prix pratiqués entre les entreprises d’un tel groupe doivent correspondre à ceux qui sont constatés entre entreprises indépendantes. Le principe at arm’s length  peut aussi être invoqué entre enfants et parents, par exemple lorsque ceux-ci souhaiteraient vendre leur bien à un prix inférieur à celui du marché, alors qu’une telle transaction risquerait ensuite d’être considérée comme un don par l’administration ou le juge, avec les conséquences qui pourraient en découler.

Edward T. Hall a étudié les distances physiques interpersonnelles pratiquées dans d’autres pays, en les comparant en particulier à celles que l’on observe en Europe du sud. « Les Français du Sud-Est, écrit-il, appartiennent en général au complexe culturel méditerranéen. Les membres de ce groupe s’agglutinent plus volontiers que les Européens du Nord, les Anglais ou les Américains. Le rapport des Méditerranéens avec l’espace se révèle dans dans leurs train bondés, leurs autobus, leurs cafés, leurs autos et leurs demeures » (La dimension cachée, chapitre 11 intitulé : « Proxémie comparée des cultures allemande, anglaise, française »).

Leçons applicables dans le cas de l’épidémie de coronavirus ?

Les « distances barrières » interpersonnelles préconisées pour lutter contre la contagion du coronavirus covid-19 sont d’un mètre au moins pour l’OMS et les autorités sanitaires en France, d’un  mètre et demi en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas ; de 2 mètres en Espagne, en Italie, au Royaume-Uni (comme aux Etats-Unis et au Japon) : voir checkNews de Libération (18 avril 2020). Aux Pays-Bas le premier ministre a déclaré : « Nous entrons dans la société du mètre et demi »  (voir dans le journal Le Monde l’article intitulé  » Mark Rutte prône la prudence avant  de déconfiner les Pays-Bas », daté du 23 avril 2020)
On peut penser que les distances sont plus faciles à respecter dans les pays européens du nord que dans ceux du sud, où la tendance spontanée à l’agglutination de la population est plus forte.
Mais il faut prendre également en compte, comme facteur négatif en cas d’épidémie, la densité de la population, très forte dans les Etats du Benelux (Belgique, Pays -Bas, Luxembourg) et dans les mégapoles que sont Londres et Paris notamment, où les risques de contagion sont aggravés par le réseau serré et la promiscuité des transports en commun.
Cela dit, le respect des distances n’est que l’une des mesures efficaces contre l’épidémie. En attendant les médicaments, sérum et vaccin, un autre facteur est le degré d’acceptation des contraintes (distance et confinement), c’est-à-dire le degré de renonciation à la liberté individuelle, renonciation difficile à obtenir dans les pays démocratiques, n’en déplaise à certains, journalistes, politiciens et médecins, qui ont parfois tendance à s’exprimer en « docteurs Folamour » pour lesquels la santé devrait primer de manière inconditionnelle sur la liberté.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : épidémies

Châtiment des humains la contagion des pestes
Est l’un des plus cruels et ses aspects funestes
Ont de tout temps frappé ceux qui en ont parlé
Dans l’histoire ou le mythe on a vu déferler
Sous les yeux de l’esprit des vagues de victimes
Un ressac répété qui n’est jamais l’ultime
Mais pourquoi les fléaux seraient-ils châtiments
C’est une explication qui sans doute nous ment
Lorsqu’un Idoménée a dû tuer son fils
Après avoir promis d’offrir en sacrifice
Au dieu Poséidon s’il réchappait des flots
Le premier être vu au sortir du bateau
Et lorsque peu après son royaume de Crète
A été affligé d’une infection secrète
On doute de ce lien entre cause et effet
Qui ne vaut pas non plus entre peste et forfait
Quand Oedipe est banni lors d’une épidémie
Parce que sans savoir coupable d’infamies
Il aurait déclenché cette plaie par des crimes
C’est un lien poétique à la façon des rimes
Qui connectent des vers par l’imagination
Mais ne créent pas toujours la bonne association
Parfois même il vaut mieux qu’il y ait dissonance
Que la chose nous trouble  et nous décontenance

Mais pour en revenir à cette tragédie
Que joue dans la cité soudain la maladie
Lorsque nul n’a trouvé comment on s’en vaccine
Et que n’y peuvent rien les pauvres médecines
J’évoquerai le temps où Athènes devait
– Pour contrer le malheur qui toujours survivait
Qu’on l’appelle microbe ou virus agressif –
Livrer tous les neuf ans à un monstre abusif
Minotaure affamé deux fois sept jeunes gens
Destinés à calmer ce Moloch exigeant

 

Dans ce poème sont regroupés trois exemples mythologiques où les épidémies sont le résultat de crimes volontaires ou même involontaires commis par les hommes, comme si les lieux mêmes où vivent ces derniers pouvaient souffrir de maladies déclenchées par leur comportement. La recherche des causes est toujours consolante, écrit Spinoza dans son Éthique. Je préciserai : « même si l’explication n’est finalement pas la bonne. » Dans les mythes grecs tels que ceux d’Idoménée, d’Œdipe, du Minotaure, comme ailleurs dans les textes religieux ou semi-religieux, l’explication, si mystérieuse soit-elle, paraît généralement plus facile à accepter quand elle fait intervenir l’intention divine ou le destin. Aujourd’hui, quand une épidémie inconnue apparaît – sida, ebola, coronavirus –  nous nous trouvons replongés dans les réflexes d’ignorance des temps anciens, où les conséquences des actions humaines étaient facilement imputables à des fautes. Ainsi l’émergence actuelle de nouvelles maladies potentiellement dévastatrices peut-elle être attribuée aux agressions humaines contre la nature, notamment contre les forêts tropicales et équatoriales où se trouvent des réservoirs d’agents pathogènes susceptibles d’entrer en contact avec l’espèce humaine par l’intermédiaire d’animaux comme naguère les rats et leurs puces, aujourd’hui les singes, pangolins, chauve-souris et autres… Nous savons bien grâce aux progrès de la science qu’il ne s’agit pas d’une punition infligée à l’humanité, mais nous ne pouvons pas nous empêcher de croire, en ces circonstances, que les erreurs commises sont les nôtres et que ce sont des fautes dont nous sommes collectivement coupables.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Typhon

Lorsque Zeus a chassé les Titans de son ciel
La terrestre Gaia qui n’était pas de miel
A enfanté Typhon dernier de ses enfants
Qui devait la venger de la mort des géants
Ces révoltés déchus souffrant d’un sort amer
Ces monstres mutinés dont elle était la mère

Typhon faisait mouvoir entre ses deux épaules
Distantes comme sont sur un globe les pôles
Cent têtes de serpent d’où jaillissait le feu
D’où s’écoulait le noir d’un liquide suiffeux
Quand il faisait flasher ses yeux sans crier gare
Et que flambait alors chacun de ses regards
Sur ses proies convoitées dans un monde ennemi
Qu’il cherchait à brûler sans aucun compromis

Il détestait ce règne où pesait le pouvoir
De ces divinités qu’il ne voulait plus voir
Celles qui prétendaient créer la nouveauté
En mettant sans piété les Anciens de côté
Tandis que lui voulait reléguer à l’écart
Les nouveaux dominants mettre Zeus au rancart
Attaquer pour cela sa membrure d’humain
En coupant les tendons de ses pieds de ses mains
Que Pallas et Hermès ont pu remettre en place

Les Olympiens vaincus qui s’écriaient « hélas »
Ont pu réafficher leurs visages normaux
Après s’être cachés sous forme d’animaux
Ils ont quitté la peur en sortant de leurs cryptes
Où ils s’étaient plongés dans le désert d’Egypte
Et Zeus revigoré a projeté Typhon
Sous l’Etna qui crachait la lave des tréfonds
Là se trouvait déjà le géant Encelade
Qui secouait la terre à force de ruades

 

Le grec Hésiode ayant vécu au VIIIe siècle av. J.-C. a consacré les vers 820 à 880 de sa Théogonie, qui en compte un millier, au monstre Typhon, le dernier enfant de Gaïa la Terre, mère de nombreuses divinités primordiales et monstrueuses parmi lesquelles se trouvent les Titans et les Géants, sans parler des Cyclopes et des Hécatonchires (êtres aux cent bras, gigantesques et violents). A cette généalogie se rattachent les dieux grecs « classiques », en particulier Zeus, le plus puissant de leur Panthéon, né de l’union entre le Titan Cronos et la Titanide Rhéa, sa soeur. Dans cette mythologie, les dieux et les monstres ont une même origine, ils descendent tous de Gaïa « aux larges flancs », comme la nomme Hésiode au vers 117 de la Théogonie. Aujourd’hui le nom de Gaïa, pour des raisons écologiques sur lesquelles il n’est pas besoin de s’étendre, a pris une valeur positive, mais l’Antiquité ne le présente pas ainsi, pas plus qu’elle ne flatte les divinités masculines des origines, telles qu’Ouranos et Cronos. Ce dernier a aidé sa mère à tirer vengeance de son père Ouranos, qu’il a castré avec la faucille (harpè) qu’elle lui a donnée. Par la suite Zeus, avec l’aide de ses frères et sœurs, s’est emparé du pouvoir en attaquant Cronos et les Titans (titanomachie). Puis il a dû, avec les Olympiens, lutter contre les Géants, nés du sang d’Ouranos, excités par leur mère Gaïa (gigantomachie). Enfin, il a affronté Typhon ou Typhée, autre fils de Gaïa, qui a d’abord mis en fuite les Olympiens obligés de se réfugier en Egypte et de se dissimuler sous une apparence animale (Ovide, Les Métamorphoses, V, vers 321 et suivants) : Héra-Junon s’est transformée en génisse blanche, Apollon en corbeau, Dionysos en bouc, Artémis-Diane en chatte, Hermès-Mercure en ibis… Typhon a pu désarmer Zeus pourtant aidé par Athéna. Il lui a coupé les tendons des bras et des jambes avec la harpé. Mais Hermès et Pan ont remis les tendons dans le corps de Zeus, qui a réussi à écraser Typhon en jetant sur lui l’Etna.

Dominique Thiébaut Lemaire

Coronavirus : la pollution comme cause aggravante de l’épidémie

Le Canard enchaîné de la première semaine d’avril 2020 (n°5186), p. 4 dans la rubrique « Le Petit Dicoronavirus », nous donne l’information suivante.
« Moins de voitures, moins de pollution ? Non. Les pics se multiplient en Ile-de-France et dans le Grand-Est. A cause des épandages agricoles de fertilisants, qui battent leur plein en ce moment. Ils dégagent du gaz ammoniac, lequel forme des particules fines qui se promènent partout. Particulièrement dangereuses, elles « véhiculent les virus au fond des voies aériennes », note une chercheuse de l’Inserm dans Le Monde (31/3). »

En effet, cet article du Monde, signé par Stéphane Mandard, intitulé « Coronavirus : la pollution de l’air est un facteur aggravant, alertent médecins et chercheurs », note que les mesures de confinement prises pour limiter la propagation du virus, si elles ont réduit la pollution du trafic routier,  n’ont pas eu d’effet sur les niveaux de particules fines qui pénètrent profondément dans les voies respiratoires. Ces niveaux ont même augmenté du fait de l’ensoleillement et de l’absence de vent, et elles ont dépassé, le samedi 28 mars, les limite légales dans l’agglomération parisienne et en Alsace, de Mulhouse à Strasbourg. Il s’agit de particules formées à partir d’ammoniac et d’oxydes d’azote, l’ammoniac provenant majoritairement des épandages de fertilisants. Lors de ces épandages, l’ammoniac (NH3) réagit dans l’atmosphère avec les oxydes d’azote (NOx).

La détérioration des muqueuses des voies respiratoires et des poumons

En 2003, une étude, publiée dans la revue scientifique de santé publique Environmental Health, avait analysé le lien entre la pollution de l’air et les cas létaux de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS, causé par le SARS-CoV) en Chine. Elle montrait que les patients contaminés vivant dans des régions modérément polluées avaient 84 % plus de risques de mourir que les patients de régions peu polluées. De même, les patients vivant dans des zones fortement polluées avaient deux fois plus de risques de mourir du SRAS que ceux des régions peu polluées.

En 2020, plusieurs médecins et chercheurs, spécialistes de la pollution de l’air, ont donné l’alerte. Leur collectif Air-Santé-Climat, dans un courrier, adressé le 21 mars à l’ensemble des préfets, a interpellé l’Etat sur « la nécessité de limiter drastiquement les épandages agricoles, afin de tout mettre en œuvre pour limiter la propagation du virus». Membre du collectif et directrice du département d’épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires de l’Inserm, Isabella Annesi-Maesano détaille le mécanisme: « La pollution abîme les muqueuses des voies respiratoires et du poumon, ce qui fait pénétrer plus facilement les virus et, par agrégation, les particules fines et ultrafines véhiculent les virus au fond des voies aériennes. »

En attendant des recherches plus poussées, le collectif Air-Santé-Climat en appelle  au « principe de précaution », afin de limiter les émissions de particules fines liées aux épandages dont la saison débute. « Si on ne limite pas rapidement les épandages, cela risque d’annihiler l’effet des mesures de confinement qui ont permis de réduire la pollution liée au trafic routier », estime un médecin de Strasbourg à l’origine du collectif. Il rappelle que des solutions techniques d’enfouissement dans le sol permettent de réduire considérablement les émissions d’ammoniac dans l’air. Parmi les rares préfets qui ont répondu au courrier du collectif, celui de Vendée a fait savoir que « l’alerte » avait été «signalée à la région et au niveau national », « une position nationale étant nécessaire sur un sujet aussi important ». De son côté, le Syndicat des exploitants agricoles du Finistère, dans un communiqué, a jugé « difficilement acceptable, au vu du contexte particulier du Covid-19, que les agriculteurs, plébiscités par l’ensemble de la population pour assurer leur approvisionnement alimentaire, soient ainsi montrés du doigt et empêchés de réaliser les travaux agricoles nécessaires à leur acte de production ».

La propagation du virus dans l’air

Une étude italienne, publiée le 17 mars 2020 par la Société italienne de médecine environnementale. En se basant sur la corrélation entre les niveaux de pollution élevés, constatés en Lombardie, et le nombre important de victimes du coronavirus, elle suggère que les particules fines pourraient aussi contribuer à la propagation du Covid-19 en le transportant dans l’air. Les spécialistes italiens des aérosols ont toutefois pris leurs distances avec ces résultats, en estimant que le lien de causalité reste à prouver « au moyen d’enquêtes approfondies ».

Une autre étude, publiée également le 17 mars 2020, dans le New England Journal of Medicine, montre pour sa part que le coronavirus pourrait persister dans l’air pendant trois heures. Mais l’article ne mentionne pas le rôle des particules fines ni de la charge virale (c’est-à-dire à partir de quelle dose le virus serait infectant via les aérosols). Dans un avis rendu le même jour, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), organisme français, rappelle que « la présence d’un virus dans l’air ne signifie pas qu’il est infectieux ni qu’il y a une transmission respiratoire de type “air” ». Pour le HCSP, « il n’existe pas d’études prouvant une transmission interhumaine du virus par des aérosols sur de longues distances. Néanmoins, s’il existe, ce mode de transmission n’est pas le mode de transmission majoritaire ».

La prudence est la même à l’Organisation mondiale de santé (OMS). « Le fait que les particules fines puissent servir de vecteur à la propagation du coronavirus reste une hypothèse, commente Maria Neira, la directrice du département santé publique et environnement. Il va falloir plusieurs mois pour la confirmer ou l’infirmer, car la propagation du virus dépend d’une multitude de paramètres comme les conditions météorologiques, la démographie ou les mesures de confinement prises par les pays. » Plusieurs équipes commencent à travailler sur le sujet, à l’OMS, au service européen de surveillance de l’atmosphère Copernicus ou encore parmi les épidémiologistes de la London School of Hygiene & Tropical Medicine. « Nous cherchons à étendre notre réseau de collaboration avec les équipes de recherche médicales qui souhaiteraient tester des hypothèses quant au transport et à la survie du virus dans l’air », indique le directeur de Copernicus, Vincent-Henri Peuch.

                                                          ***

En analysant de plus près ces échanges d’arguments, il paraît nécessaire de distinguer deux sortes d’effets néfastes dus à la pollution :
-d’une part ceux qui pourraient être dus au transport du virus par voie aérienne dans l’atmosphère,
-d’autre part ceux qui pourraient être dus à une fragilisation du système respiratoire propice au développement du virus dans le corps, même si la maladie n’a pas été contractée par la voix aérienne, mais par exemple par le contact des mains.
Sur la base de cette distinction, il semble qu’on ne peut tenir pour valable les arguments qui « dédouanent » la pollution en se fondant sur la faible transmission aérienne du virus, car il reste en tout état de cause que, selon la directrice du département d’épidémiologie des maladies allergiques et respiratoires de l’Inserm: « La pollution abîme les muqueuses des voies respiratoires et du poumon, ce qui fait pénétrer plus facilement les virus ».

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Hermès

Heredia parnassien le poète savant
A écrit sur Hermès aux semelles de vent
Qu’il présente en berger compagnon des Naïades
Fils de Zeus et Maïa la plus jeune Pléiade
Dernière de sept sœurs au ciel perennisées
Nées d’Atlas le géant toutes divinisées

Mais je le vois plutôt dieu libre comme l’air
Messager qui filait en sandales légères
Ami des chemineaux le long des grands chemins
Vers le but de leur marche il guidait les humains
Et montrait son visage à chaque carrefour
Accompagnait ainsi constamment le parcours
Du voyageur cherchant ainsi qu’un écriteau
Sa tête familière au sommet des poteaux
Sa présence à l’étape était une assistance
Elle indiquait la route et scandait la distance

Il faudrait cependant ne pas perdre de vue
Toute l’habileté dont il était pourvu
Ingénieux qu’il était – parfois même voleur –
Depuis qu’à  sa naissance en inventant des leurres
Il avait dérobé les vaches d’Apollon
Cachées dans une grotte ou au creux d’un vallon

Il obtenait toujours une grande indulgence
Par exemple en ce cas quand par intelligence
Contre les animaux qu’il venait de voler
Il a offert la lyre instrument bricolé
A l’aide de boyaux et d’une carapace
De tortue évidée pour charmer le Parnasse
Créer de l’harmonie et gagner le pardon
Dès lors que son larcin s’achevait par un don

 

José-Maria de Heredia, dans la partie de ses Trophées consacrée à la Grèce et à la Sicile, a dédié un sonnet à Hermès criophore, c’est-à-dire porte-bélier ou porte-agneau: « Il faut lui faire fête et qu’il se sente à l’aise / Sous le toit de roseaux du pâtre hospitalier ; / Le sacrifice est doux au Démon familier [dieu de la maison] /Sur la table de marbre ou sur un bloc de glaise. / » Le surnom de « criophore » a été donné à Hermès en souvenir d’un service rendu à la ville de Tanagra, que le dieu coiffé d’un bonnet de pâtre, revêtu d’un manteau et d’une tunique, avait sauvée de la peste en portant un bélier sous le bras ou sur l’épaule autour de la ville. Hermès passait pour le plus rusé des immortels. On redoutait ses facéties, mais il était généralement au service du bien, agent des dieux, protecteur des héros, quoiqu’ il fût aussi le dieu du commerce et même du vol. Dans la Gigantomachie, il est coiffé du casque d’Hadès qui rend invisible celui qui le porte, ce qui lui permet de tuer le géant Hippolytos. C’est lui qui sauve Zeus pendant la lutte contre Typhon. Souvent, il est le messager de la volonté divine. Dans L’Odyssée il intervient deux fois au bénéfice d’Ulysse, une fois en transmettant à Calypso l’ordre de le relâcher et de l’aider à construire un radeau pour le porter jusqu’à Ithaque, une autre fois, chez Circé, en lui faisant connaître la plante magique qui le protégera des enchantements. Une des aventures d’Hermès les plus connues est la mort d’Argos-Argus aux cent yeux qu’Héra avait posté comme gardien de la belle Iô transformée en génisse. Et c’est lui qui a été chargé d’accompagner les trois déesses Héra, Aphrodite et Athéna en Phrygie sur le mont Ida pour que Pâris désigne la plus belle. Enfin, il avait pour tâche de conduire les âmes des défunts aux Enfers, d’où son surnom de « psychopompe », accompagnateur des âmes.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : la gigantomachie

Pour venger les Titans enfermés au Tartare
– Le cachot des Enfers un terrible mitard –
Gaia la primordiale a lancé les géants
Qui étaient ses enfants brutaux et malséants
Contre Zeus et sa cour afin qu’ils montent grimpent
Progéniture énorme à l’assaut de l’Olympe
Capable en quelques bonds d’escalader les cieux
Et de mettre en danger la cohorte des dieux
En dardant vers le ciel des troncs d’arbre enflammés
Comme s’il s’agissait de vulgaires framées
Catapultant aussi de leur bras des montagnes
Qu’ils saisissaient sans peine en leur énorme poigne

Entre tous remarquable était Alcyonée
Tué par Héraclès d’un trait empoisonné
Ainsi que Damysos qui courait le plus vite
Pas assez néanmoins pour que la mort l’évite
Les flèches décochées par le même héros
– Qui n’était certes pas un galant archerot
Et qui était venu prêter aux dieux main forte
Par l’arc et la massue plus puissant qu’une escorte –
Ont rayé Ephialtès du monde des vivants

Encelade fuyant son divin poursuivant
Se  trouve enseveli sous l’île de Sicile
Jetée sur lui par Zeus écrasant projectile
Le souffle du géant s’échappe par l’Etna
Cependant que Pallas tombe sous Athéna
Qui par un roc massif l’enfonce et le terrasse
Ecorché il devient une peau de cuirasse
Dont elle se revêt on voit sur les frontons
Qu’elle apprécie la guerre autant que la raison
Et qu’elle prend plaisir au cours de la bataille
A saisir aux cheveux les géants pleins d’écailles

 

La Gigantomachie ou lutte des géants et des dieux, était, comme le note Pierre Grimal dans son Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, un thème favori de la sculpture, « en particulier destiné à orner les frontons des temples : les corps des monstres, terminés en serpents, se prêtaient admirablement à remplir les angles et à terminer une composition. » La mythologie nous apprend que les dieux ont été aidés dans leur combat par Héraclès-Hercule. La gigantomachie la plus célèbre est celle de la frise qui ornait l’autel de Pergame en Asie mineure, et qui se trouve depuis la fin du XIXe siècle à Berlin, au « Pergamon museum », où je l’ai vue à la fin de 1989. J’étais alors chargé des relations fiscales internationales au ministère de l’économie et des finances à Paris. J’en ai parlé dans mon livre intitulé Quatre familles dans les guerres (2014) : « Au musée abritant les frises hellénistiques de Pergame, animées de combats opposant aux géants le parti de Zeus, cette gigantomachie aurait pu représenter sur un mode mythologique l’affrontement [de la Guerre froide] entre l’est et l’ouest. Les déesses grecques, athlètes émérites, même les intellectuelles comme Athéna, n’étaient pas les dernières à empoigner l’adversaire… Ce voyage a eu pour principal résultat  la mise au point d’un accord fiscal, l’un des derniers traités, sinon le dernier (jamais appliqué), de l’Allemagne de l’Est avant son effondrement. »

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Ulysse rencontre sa mère et celle d’Œdipe aux Enfers

Dans l’Odyssée chant onze Ulysse a raconté
Qu’il a rencontré ceux dont on ne peut compter
Les jours encore à vivre ils n »étaient que fantômes
Ombres constituées de transparents atomes
Ulysse était venu consulter un défunt
Au bord du monde noir Tirésias le devin
Une vision paraît qui sitôt le désarme
A sa vue la pitié remplit ses yeux de larmes
C’était Anticleia sa mère qui lui dit
D’une voix qui sonnait comme une mélodie
Surprenante venant d’une forme sans corps
« Mon fils j’en suis heureuse ainsi tu vis encore
Voguant à l’aventure après un si long temps
Quel bonheur de savoir que tu vis cœur battant
Quant  à moi je suis morte accablée de tristesse
Mon âme n’avait plus force ni robustesse »
Ulysse aurait voulu mieux regarder ses traits
Se disant que jamais il ne la reverrait

Tandis qu’Anticléia lui tenait ce discours
Des âmes s’assemblaient pour venir à leur tour
Evoquer la noirceur de leurs chagrins passés
Dans la foule il voyait tant de morts se presser
Au premier plan desquels cette belle Epicaste
Que les Tragiques grecs ont appelée Jocaste
Malheureuse elle a fait ce que la loi défend
ayant perdu son homme épouser son enfant
Cause de son veuvage Oedipe parricide
Et dans son désespoir aller jusqu’au suicide
Pour oublier enfin l’inceste ce forfait
La honte le regret le remords l’étouffaient

 

Au chant XI de L’Odyssée, Ulysse atteint l’entrée des Enfers et y rencontre notamment sa mère Anticleia ainsi que la mère d’Œdipe, présentée par Homère comme « cette belle Epicaste [Jocaste chez les Tragiques grecs] qui, d’un cœur ignorant, commit le grand forfait : elle épousa son fils ! Meurtrier de son père et mari de sa mère ! … Affolée de chagrin, elle avait, au plafond de sa haute demeure, suspendu le lacet [pour se pendre].» La douceur émouvante et triste du dialogue entre Ulysse et sa mère contraste avec la violence des forfaits du côté de Jocaste. Cette dernière a eu quatre enfants avec Œdipe : deux fils, Étéocle et Polynice, et deux filles,  Antigone et Ismène. Œdipe roi de Sophocle révèle ce qui s’est réellement passé. Pour sauver Thèbes, en proie à une terrible peste, Œdipe devait découvrir et punir le meurtrier du roi Laïos, premier époux de Jocaste. Au fil de ses recherches, il découvre qu’il est lui-même le meurtrier, que c’est son véritable père qu’il a tué, et qu’il a en outre épousé sa mère. Il se crève les yeux pour ne plus voir ce qu’il a fait. D’après L’Odyssée, il reste à Thèbes, mais d’après les Tragiques, il quitte la ville, soit avant (Sophocle dans Œdipe roi et Œdipe à Colone), soit après la mort de ses deux fils (Euripide dans Les Phéniciennes). Dans les deux cas, avant de mourir, il maudit ses fils, qui ont négligé leur devoir en ne prenant pas soin de lui. C’est cette malédiction qui les amène à se battre et à s’entretuer pour le trône de Thèbes (c’est le sujet des Sept contre Thèbes). Dans cette famille, le crime de fratricide s’ajoute ainsi au parricide, à l’inceste et au suicide.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Jason et Médée

Quand Jason fils d’Eson natif de Thessalie
(Qui est tournée vers l’est et non vers l’Italie)
Est revenu chez lui réclamer face à face
Le trône qu’usurpait le dénommé Pélias
– Le frère de son père – il a vite compris
Que celui-ci cherchait à l’envoyer au diable
Afin de transformer en fait irrémédiable
Une appropriation douteuse à confirmer
En douceur sans léser sa propre renommée
Certain que son neveu ne pourrait que périr
S’il acceptait d’aller si loin pour conquérir
La toison d’or gardée par un serpent dragon
Furieux comme un dément qui sortait de ses gonds

Jason plein de confiance accepte cette épreuve
C’est l’occasion pour lui de voir des terres neuves
Sur son navire Argo cinquante compagnons
partageaient de bon coeur cette même ambition
Manoeuvrant à la rame aussi bien qu’à la voile
Suivant tantôt la côte et tantôt les étoiles
Ils ont réalisé leur périlleux dessein
Celui d’aller chercher au bout du Pont-Euxin
La toison au pays qu’on appelait Colchide
La princesse du lieu magicienne sans bride
Médée l’experte en sucs philtres noirs et poisons
Les a beaucoup aidés par passion pour Jason
Mais elle a égorgé ses enfants nés d’amour
Quand les serments trahis sont devenus discours

Le récit d’aventure aurait l’air incomplet
Si je me dispensais d’ajouter un couplet
Pour préciser qu’Orphée membre de l’équipage
Déployait sa musique au cours de ce voyage
Dès qu’il fallait brouiller par un chant plus puissant
Les appels de sirène au charme ensorcelant

 

Eson a été dépossédé par son frère Pélias du trône d’Iolcos en Thessalie (aujourd’hui Volos, au pied du mont Pélion). Son fils Jason, sauvé des intentions homicides de Pélias par sa mère qui l’a fait passer pour mort, a été recueilli et élevé par le savant centaure Chiron, éducateur aussi d’Actéon, d’Asclépios et d’Achille. Devenu adulte, Jason est venu réclamer le trône d’Iolcos à Pélias qui a promis de le lui rendre à condition que le jeune homme traverse la Mer Noire jusqu’en Colchide pour en rapporter la toison d’or. Ayant pris la tête de l’expédition des Argonautes, Jason est parvenu auprès du roi de Colchide, gardien de la toison, qui l’a soumis à des épreuves dont il a triomphé grâce à la fille du roi, Médée la magicienne, tombée amoureuse de lui. Il s’est emparé de la toison en profitant de l’endormissement du dragon qui veillait sur ce bien, endormissement obtenu par l’effet d’une plante magique jetée sur le monstre par Médée (Ovide, Les Métamorphoses, VII, 1-403). Après un grand circuit de navigation et d’exploration maritime et fluviale passant de la Mer Noire au Danube puis du Danube au Pô et au Rhône, puis de ces fleuves à la Méditerranée, l’expédition à rejoint la Grèce, à Corinthe, où Jason et Médée qui s’étaient mariés ont vécu heureux pendant dix ans. Les choses se sont gâtées quand le roi de Corinthe a poussé Jason à épouser sa fille en répudiant Médée. Celle-ci s’est vengée de manière sauvage en égorgeant les enfants que Jason lui avait donnés et en envoyant à sa rivale une robe de noces qui s’est enflammée dès qu’elle a été revêtue par la destinataire. Comme sources littéraires de l’Antiquité relatives à Jason et Médée, on peut citer, outre les Métamorphoses d’Ovide déjà mentionnées, la Médée d’Euripide et les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes  (poète épique du IIIe siècle av. J.-C., directeur de la fameuse bibliothèque d’Alexandrie…)

 

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Mythologie : Polyphème le Cyclope

Fils de Poséidon le monstre Polyphème
Etait l’un des Yeux-Ronds grands diseurs de blasphèmes
Qui n’avaient à leur front qu’un seul œil menaçant
Hostile coléreux tout injecté de sang
C’est ainsi qu’a paru le cyclope rageur
Devant le sage Ulysse et ses navigateurs
Quand ils ont débarqué sur une île inconnue
Et qu’ils ont essayé d’adoucir leur venue
En invoquant les dieux garants de la coutume
Orale mais sacrée non écrite à la plume
Assurant l’étranger de l’hospitalité
Qu’on doit aux voyageurs même sans qualité
Venus de l’horizon c’est-à-dire du ciel
Au-delà du visible et du superficiel

Le cyclope dont l’œil bizarrement reluit
Répond par un sarcasme adressé à celui
Qui se conduit en chef meneur de petits hommes
Sortis de l’océan comme d’un aquarium
« Tu veux que moi je craigne et respecte les dieux
« Sache que les Yeux-Ronds ne sont pas religieux
« Qu’ils n’ont pas de pitié sous une rude écorce
« Et qu’ils ne croient à rien si ce n’est à la force »
A ces mots il saisit en ouvrant ses deux mains
Deux compagnons d’Ulysse et sans autre examen
Les déchire et les brise il en fait sa mangeaille
Alors se souvenant des combats des batailles
Ulysse prend un pieu qu’il avait préparé
Pour le lancer dans l’œil du monstre sidéré
« N’oublie pas lui crie-t-il que mon nom est Personne »
Polyphème aveuglé dans l’antre qui résonne
par ses éclats de voix bat le rappel des siens
Mais il ne peut leur dire à quel liliputien
A quel mortel chétif imputer sa blessure
Dans son aveuglement plus rien n’est clair ni sûr

 

Le nom de « Cyclope » (Œil-Rond en grec ancien) fait allusion à l’œil unique que ces géants possédaient au front. On a pensé qu’ils personnifiaient les volcans au cratère arrondi, du côté de la Sicile (Etna, Stroboli, Vulcano) et du côté de Naples (Champs Phlégréens, Vésuve qui a causé l’ensevelissement de Pompéi). Le Cyclope le plus connu, immortalisé par Homère (L’Odyssée, IX) est Polyphème, qui vivait du lait et du fromage de ses brebis. Tombé amoureux de la Néréide Galatée (dont le nom signifie « blanche comme le lait ») qui lui préférait le berger Acis, il a écrasé son rival sous un rocher (Ovide, Les Métamorphoses, XIII, 705-897). Il a été l’hôte involontaire d’Ulysse qui, réfugié dans la caverne du monstre à un moment de son errance après la guerre de Troie, lui a crevé l’œil pour se sauver. Polyphème, à qui Ulysse avait prétendu s’appeler Personne, hurlant de douleur et de rage, a ameuté les autres Cyclopes, mais lorsque ceux-ci lui ont demandé qui était responsable de son mal, il n’a su répondre que : « Personne ». Ulysse, le sage mais surtout « aux mille ruses », a pu s’échapper avec ses compagnons encore vivants en se dissimulant sous les bêtes du troupeau qui se pressait pour sortir de l’antre où Polyphème les gardait.

Dominique Thiébaut Lemaire

L’âge d’or de la peinture anglaise. Par Annie Birga.

L’AGE D’OR DE LA PEINTURE ANGLAISE, DE REYNOLDS A TURNER.
MUSEE DU LUXEMBOURG, 11 SEPTEMBRE 2019 -16 FEVRIER 2020.

Aller visiter l’exposition dédiée à la peinture anglaise à l’âge d’or, c’est comme se retrouver au Musée de la Tate Britain : tous les tableaux exposés en proviennent. L’amateur français ne  connaît souvent de la peinture anglaise que des individualités, Turner, Constable ; l’initiative d’une exposition collective qui embrasse une longue période est heureuse, car elle permet de suivre les évolutions de la sensibilité et de saisir mieux différents aspects du génie anglais.

reynoldsJoshua Reynolds : L’honorable Miss Monckton (1771-78)
Huile sur toile

L’âge d’or nous mène donc de Reynolds (1723-1792) à Turner (1775-1851), période historique de grande transformation de la société où la révolution industrielle prend son essor, tandis que l’Angleterre accroît son empire commercial en Inde.

 A l’accroissement de la richesse correspond la naissance d’une nouvelle classe de bourgeoisie ou de petite noblesse, la gentry, et la recrudescence de commandes de portraits pour les peintres. Et les voyages multiplient les échanges culturels.

De fait, l’Angleterre suit l’exemple de l’Italie et de la France. Trente-six peintres décident de se regrouper par l’institution de la Royal  Academy en 1768. Il s’agit de proposer un programme de formation des artistes, basé sur l’étude des maîtres anciens, du dessin d’après l’antique et du modèle vivant. Une exposition annuelle formera la  sensibilité et le goût du public. En tant que théoricien, membre fondateur et premier président, Reynolds y jouera un rôle de premier plan. Gainsborough, Lawrence, Constable, Turner en seront membres.

La première partie de l’exposition, consacrée au portrait, met en regard Gainsborough et Reynolds. Si les sujets sont les mêmes,  portraits des membres de l’aristocratie, les traitements en sont différents. Reynolds qui se veut classique, s’inspire de Van Dyck avec une matière picturale épaisse et forte ; Gainsborough peint plus légèrement, en touches quasi impressionnistes. Tous deux ont sorti  leurs modèles des intérieurs et les représentent dans des parcs avec des jeux de lumière sur les arbres et les ciels. L’objectivité accroît le rendu psychologique.

Ces peintres font école. Si on peut regretter que Lawrence ne soit représenté que par un seul tableau, le portrait d’une artiste dramatique, toute de rouge vêtue, si le grand Raeburn est absent, on  découvre des peintres qui sont loin d’être des artistes mineurs, Francis Cotes, George Romney, Johan Toffany (d’origine allemande). Ce dernier crée le genre des « conversation pieces », portraits qui mettent en scène la vie intime des familles. Les enfants y sont associés ; ils sont représentés avec charme et tendresse dans leurs ébats et leurs jeux. Un grand tableau de Reynolds « Les Archers » (1769) clôt cette partie essentielle de l’exposition. Deux jeunes amis chasseurs au tir à l’arc, au visage de monnaie grecque et aux vêtements  de style Renaissance, tendent leur arc vers une cible indistincte dans le même mouvement de conquête. Par sa force symbolique ce tableau va au-delà du simple portrait.

L’existence de la Tate Britain ne nous fait pas oublier le merveilleux musée londonien consacré au portrait, The National Portrait Gallery, qui témoigne bien de la pérennité de la réussite anglaise dans ce genre essentiel qui n’est pas forcément réservé au portrait historique.

Le paysage apparu en toile de fond dans les portraits va s’imposer comme thème essentiel.  A la mort de Gainsborough en 1788, Reynolds, son rival, le qualifie de « natural painter ».  Les paysages anglais sont très beaux et en nature et en peinture. Les dimensions plutôt exiguës des salles d’exposition ne permettent pas d’en exposer un nombre suffisant pour en rendre l’importance. Passons sur les vues de l’Inde rendues par des toiles banales. Parmi les premiers paysagistes à part entière, Richard Wilson (1714-1782), qui a bien vu et Poussin et le Lorrain en Italie, rend à merveille l’atmosphère des bords de la Tamise. Ruskin dira qu’il introduit « l’art du paysage fondé sur la méditation amoureuse de la nature ». Constable vient plus tard. Il est ici vraiment trop peu montré eu égard à son importance et à son rayonnement, ne serait ce qu’auprès des peintres français impressionnistes. En 1824, il écrivait : «  La tâche du peintre est de faire quelque chose avec rien. Ce faisant, il doit presque nécessairement devenir poète ». C’est le moment aussi où son contemporain, Turner, rapporte de ses nombreux voyages des aquarelles légères, alors que Constable  est un peintre des épaisseurs.

Il existe dans la peinture anglaise une veine fantastique. Le monde shakespearien des sorcières et des fantômes lui est familier. La lecture des grands textes fondateurs, Bible, Paradis perdu de Milton, Divine Comédie, nourrit aussi l’imagination. Une troisième section de l’exposition fait place à ce courant. Fuseli, peintre d’origine suisse, arrivé à Londres en 1779 pour ne pas quitter la ville,  introduit un univers où domine un onirisme noir et inquiétant. Il préfigure le romantisme. Grand dessinateur, il est inspiré par Michel-Ange. On voit de lui une seule belle toile « Le Rêve du berger ». Blake, l’admirait beaucoup, et s’inspirait comme lui aussi de Michel-Ange ; l’exposition présente deux de ses dessins, dont l’un, inspiré par Dante, fait partie d’un cycle d’aquarelles, qu’il qualifie de  « visions de l’éternité ».

Ces rêveries  qui peuvent être mortifères ne sont pas loin de pressentiments et d’évocations de catastrophes. C’est dans l’histoire et dans la religion que les apocalypses aux couleurs de fumées et d’incendies vont trouver leur source d’inspiration, avec « Destruction de Sodome » (1805) de Turner et « Destruction de Pompei et d’Herculanum » (1822) de John Martin, peintre doué qui cultiva toujours cette  même veine.

Le visiteur aimerait que cette approche intéressante d’une peinture anglaise insuffisamment connue se précise par des expositions monographiques et – on peut rêver – qu’elle se prolonge dans ce qui suit le romantisme, l’école des Préraphaélites qui a annoncé le symbolisme européen et a donné lieu à tant de chefs-d’œuvre.

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Mythologie : Khiron (Chiron)

Khiron fils de Cronos  et d’une océanide
Semblait une chimère à l’apparence hybride
Mi-homme mi-cheval car il était le fruit
Des amours du titan lequel avait séduit
Par un corps d’étalon portant haut sa crinière
La fille d’Océan fougueuse cavalière
Qui prenait du plaisir dans la vague au galop
Et courait sur les eaux plus vite que les flots
De cette union est née Ocyrhoé la rousse
Dont les membres tremblaient de profondes secousses
Quand elle prévoyait l’avenir incertain
Et qu’elle prédisait les secrets des Destins
Si bien que ces derniers craignant cette rivale
L’ont métamorphosée en muette cavale

Khiron frère de Zeus était d’un plus haut rang
Qu’un centaure ordinaire il était différent
Se montrait supérieur en savoir et sagesse
Dispensait ses leçons avec grande largesse
Précepteur d’Asclépios d’Actéon de Jason
Sur les flancs du Pélion et sous les frondaisons
Il leur communiquait sa science multiple
Achille était du nombre un excellent disciple
Héritier d’une lance incommode à manier
Mais puissante taillée (par le bon façonnier
Qu’était son instructeur) dans un long bois de frêne
Une arme qui volait sans que rien ne la freine
Vers la cible et le but à savoir l’ennemi
Khiron blessé lui-même et tué à demi
-il était immortel sans être invulnérable-
Atteint par accident d’une flèche incurable
Au côté d’Héraclès comprenant que sans fin
Sans mort il souffrirait vivant jamais défunt
A préféré troquer l’existence éternelle
Contre un repos final dans une vie mortelle

 

Dans la mythologie grecque et latine, Khiron (Chiron en français) est un bon centaure, fils de Cronos et de l’océanide Philyra. Contrairement aux autres centaures, il est non seulement immortel mais aussi réputé pour sa sagesse et ses connaissances. On lui a confié l’éducation de nombreux héros qui sont devenus ses disciples, notamment Asclépios, les Dioscures, Jason, sans omettre Achille fils de Pélée. Parmi les cadeaux reçus par Pélée lors de son mariage avec la néréide Thétis figurait une lance de frêne coupée par Chiron sur le mont Pélion (Iliade, XVI, vers 139-144 et XIX, vers 387-391 ; voir aussi Ovide, Les Métamorphoses, XII, vers 70-97), arme longue, lourde et puissante, que seul Achille savait manier. La fin de Chiron fait partie d’un épisode connu sous le nom de Centauromachie. Chiron avait été l’hôte d’Héraclès qui l’aimait et l’estimait. Il a combattu aux côtés de ce héros dans sa lutte contre les centaures lorsqu’il a fallu chercher puis ramener le sanglier d’Érymanthe (le troisième des douze travaux d’Hercule). Dans une mêlée, Héraclès a tiré une flèche qui a atteint par mégarde Chiron au genou. Le blessé a tenté d’appliquer un onguent sur la plaie, mais celle-ci n’était pas guérissable : Héraclès avait trempé les pointes de ses flèches dans le sang empoisonné de l’Hydre de Lerne (le deuxième des travaux d’Hercule). Souffrant de douleurs intolérables, Chiron, bien qu’immortel, a demandé la mort aux dieux. Ceux-ci lui ont accordé d’échanger sa nature avec celle d’un mortel qui était Prométhée. Zeus a aussitôt fait de Chiron la constellation du Centaure, ou du Sagittaire.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Penthée contre Dionysos-Bacchus

Ainsi qu’un champ fertile où lèvent des semailles
Sémélé de Cadmos portait dans ses entrailles
La semence de Zeus mais Héra déguisée
En femme aux cheveux blancs pour mieux s’humaniser
Se montrant sous les traits d’une vieille nourrice
A celle que le dieu tenait sous son caprice
Par des propos trompeurs sans peine la convainc
De voir si cet amour est humain ou divin
L’amant veut bien prouver qu’il commande à l’orage
Au tonnerre à la foudre imprudent il fait rage
Autour de Sémélé de son corps délicat
Elle meurt consumée de feux et de fracas
Son enfant qui n’était qu’un être embryonnaire
Prématuré sauvé du ventre de sa mère
Dans sa cuisse ou son flanc Zeus le met à l’abri
Avant qu’il naisse enfin sautant comme un cabri

Ainsi a commencé le grand Dionysos
Dont le culte violent pouvait être féroce
Dans des festivités finissant en orgies
Où l’hallucination semblait une magie
De ce dieu dénommé chez les Romains Bacchus
Qui avait voyagé au-delà de l’Indus
Souvent ses initiés dans leur sauvagerie
Avaient l’air de sortir de quelque fauverie
Penthée les combattait résolu contempteur
Roi de Thèbes châtié comme profanateur
Démembré par les mains de sa mère en furie
Dans un état second de folle barbarie
Par les mains d’Agavé meneuse de Bacchantes
Ivres d’une boisson volée aux Corybantes
Ou d’un breuvage pire altérant leur vision
Et leur faisant l’effet d’une étrange explosion
Tandis qu’elles couraient vêtues de peaux de bêtes
Comme si dans leur crâne éclataient des tempêtes

Leconte de Lisle a écrit dans ses Poèmes antiques (1886) une « Mort de Penthée » (roi de Thèbes d’après la version la plus courante du mythe) qui se trouvait être un cousin de Sémélé, mère de Dionysos. Penthée, hostile à cette divinité du vin et de l’ivresse dont les sectateurs et sectatrices créaient du désordre, avait essayé d’espionner les mystères de ce culte, mais il a été repéré sur le mont Cithéron proche de Thèbes par des femmes hallucinées soeurs de Sémélé, Autonoé, Ino et Agavé, cette dernière étant la propre mère du roi. Chassé par ses poursuivantes qui le prenaient pour un sanglier, il voulait s’enfuir :
Mais les femmes, nouant leurs longues draperies,
Bondissaient après lui, pareilles aux furies,
La chevelure éparse et l’œil ensanglanté.
-D’où vient que la fureur en vos regards éclate,
Ô femmes ? criait-il ; pourquoi me suivre ainsi ?-
Et de l’ongle et des dents toutes trois l’ont saisi :
L’une arrache du coup l’épaule et l’omoplate ;
Agavé frappe au coeur le fils qui lui fut cher ;
Inô coupe la tête ; et, vers le soir, dans Thèbe,
Ayant chassé cette âme au plus noir de l’Érèbe,
Elles rentraient, traînant quelques lambeaux de chair.
C’est le sujet d’une tragédie d’Euripide : Les Bacchantes, représentée en 405 av. J.C. Ovide a parlé de Penthée aux livres III et IV de ses Métamorphoses. Quand, de la même manière que Penthée, Lycurgue roi de Thrace a voulu traiter Dionysos comme un imposteur étranger, il a été égaré au point de tuer son propre fils. Et contre Argos qui le rejetait, c’est aussi par l’arme du délire que Dionysos a manifesté sa puissance : les Argiennes, frappées de démence, ont dévoré leurs enfants. La répétition de ces épisodes mythologiques conduit à penser que le culte alors récent de Dionysos a rencontré en plusieurs endroits une même opposition, que le dieu a châtiée par la folie furieuse poussant des parents à tuer leurs propres enfants.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : voeu pour 2020

Dire une chose et son contraire
Faire les deux en même temps
C’est désirer que l’on enterre
Ce qui est clair et consistant

Celui qui croit ainsi s’abstraire
De la logique en répandant
La confusion et l’arbitraire
Finalement sera perdant

Il n’est pas bon qu’un dirigeant
Soit attiré par ces errances
Dans le pays qu’on nomme France

Quand on a peur d’être Gros-Jean
Et qu’on se fie à Machiavel
Gare aux retours de manivelle

Il faut rester intelligent
Comprendre agir avec scrupule
Tel est le vœu que je formule

 

Je souhaite pour 2020 moins de philistinisme déguisé en machiavélisme et moins de DRH (directeurs des ressources humaines en entreprise) propulsés au gouvernement pour traiter des questions sociales qui agitent le pays. De petits machiavels qui ne se veulent ni de droite ni de gauche mais « en même temps » des deux côtés, persuadés qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment et que les mots n’engagent que ceux qui les écoutent, sont à l’œuvre dans les palais de la République. Quant aux DRH, typiques d’un certain caporalisme régnant dans le secteur privé, ils sont devenus aujourd’hui ministre du travail et secrétaire d’État chargé des retraites (ce dernier nommé le 18 décembre 2019). Selon L’Express se référant au journal Le Monde du même jour : « pendant que le nouveau secrétaire d’État aux retraites était responsable des ressources humaines dans le magasin Auchan de Béthune, en 2002, une employée du rayon boulangerie, qui est aussi déléguée CFDT, avait été mise à pied à titre conservatoire, selon le syndicat. En cause : une erreur de commande sur deux viennoiseries. La salariée en question aurait été convoquée au commissariat et placée en garde à vue, selon la CFDT, avant d’être finalement réintégrée. » (Voir aussi des variantes peu différentes de la même histoire parues le 18 décembre 2019 par exemple dans La Voix du Nord ou dans l’Obs). Élu député macroniste en 2017, le nouveau secrétaire d’État, « candidat à la présidence de la commission des affaires sociales [de l’Assemblée nationale] en juillet 2019 […] a pourtant été éliminé dès le premier tour », d’après Le Point du 18 décembre 2019. Mais, désormais, il a obtenu sa promotion.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : Noël à l’âge de raison

 

A six ans et demi Sacha n’est plus très sûr
Qu’un vieux père Noël passant à son insu
Dépose des cadeaux fin décembre le soir
Visiteur mystérieux qui se cachant déçoit

Cette histoire est peut-être un conte peu sincère
Bien que tous alentour lui fassent grand succès
Se dit l’enfant cherchant lui-même à l’éclaircir
Lorsqu’en début d’hiver la nuit s’est obscurcie

Des copains certifient avoir vu de leurs yeux
Ce bon distributeur en rouge et barbe blanche
sortir plus d’un paquet de ses poches ses manches

Mais malgré son désir d’un monde merveilleux
– Qui est aussi le lieu des monstres qu’il redoute –
Sacha rentre dans l’âge où l’on raisonne et doute

 

Peu avant le 24 décembre, Sacha qui participait à la décoration du sapin en fixant aux branches des guirlandes lumineuses et une boule décorative marquée à son nom nous a confié ses réflexions au sujet du père Noël. Il nous a dit qu’un de ses camarades de classe était certain d’avoir aperçu cet être mystérieux, mais que lui-même, Sacha, avait des doutes, de même qu’il doutait finalement de l’existence des monstres qui parfois lui faisaient peur, tapis dans l’ombre. En tant que grands-parents respectueux de ce qu’il pensait et de ce que d’autres proches avaient pu lui dire, nous ne l’avons pas exhorté à cesser de « croire au père Noël ». Je me suis toutefois interrogé sur cette croyance qui est probablement surtout le fait des adultes, prêts à rêver de manière nostalgique sur leur propre passé et à se reprocher tout ce qui pourrait désenchanter le monde des enfants, alors même que ceux-ci, en grandissant, demandent de l’aide pour bien exercer leur jugement, y compris le soir de Noël.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : le jugement de Pâris

Lorsque Pâris est né sa mère a vu en songe
Qu’il ferait brûler Troie n’était-ce qu’un mensonge
Ou le rêve était-il héraut de vérité
Le père se méfiant de sa postérité
Superstitieux en diable et soumis aux présages
Croyant que l’avenir n’appartient pas aux sages
Aux flancs du mont Ida laisse le nouveau-né

Des bergers vont sauver l’enfant abandonné
Qui grandit et devient après l’adolescence
Un Troyen séducteur à la belle prestance
Choisi par l’Olympien l’assembleur de nuées
– Non parmi les guerriers avides de tuer
Mais parmi les mortels que leurs amours enflamment –
Pour dire qui des trois est la plus belle femme
Entre Junon Vénus Minerve les divas
Dignes de récolter les plus fervents vivats

Héra-Junon parée de ses boucles d’oreilles
Arbore un vêtement reflétant le soleil
Ses cheveux sont en ordre artistement tressés
Mais Pâris n’a pas l’air de s’y intéresser
Et c’est  aussi d’un œil négligent qu’il observe
Les beaux atours portés par Athéna-Minerve
La déesse aux yeux pers qui les a fabriqués
Sans drapés superflus sans plissés compliqués

Le juge du concours – sa religion est faite –
Préfère la troisième à la beauté parfaite
Et lui tend donc la pomme où Discorde a écrit
Ces mots « A la plus belle » il n’entend pas les cris
Des déesses battues par Vénus-Aphrodite
Qui vont faire de Troie des ruines décrépites
A force de vouloir détruire la cité
Dont est issu cet homme arbitre des beautés

 

 

Aux noces des futurs parents d’Achille, Pélée et la néréide Thétis, Eris la Discorde a lancé parmi les Olympiens une pomme d’or destinée à être offerte à la plus belle des déesses. Aucun invité divin n’ayant voulu s’aventurer à porter un tel jugement, Zeus a prié Hermès de conduire les candidates sur le mont Ida, qui domine la ville de Troie, pour comparaître devant le beau Pâris, fils cadet du roi troyen Priam. Dans l’espoir de l’emporter, Héra a promis à cet arbitre trop humain l’empire de l’Asie, tandis qu’Athéna lui offrait la sagesse et la victoire. Mais Aphrodite lui a proposé l’amour de la plus belle femme qui fût au monde, et elle l’a emporté en gagnant le prix prévu, c’est-à-dire le fruit d’or, la « pomme de Discorde ». La plus belle des femmes était Hélène, épouse de Ménélas le roi de Sparte. Il en est résulté une conflagration générale, celle de la guerre de Troie entre les Troyens d’Asie mineure dont faisait partie Pâris et les Grecs d’Europe dont faisait partie Ménélas, soutenus les premiers par Aphrodite et les seconds par Athéna et par Héra. Les Grecs étaient unis par un pacte, celui de défendre personnellement, si besoin était, l’honneur de l’homme qu’Hélène aurait choisi. Ce pacte était une idée d’Ulysse qui, pour prix de son conseil, a été introduit dans la famille royale de Sparte en recevant la main de Pénélope, nièce de Tyndare (père de Ménélas et d’Agamemnon). C’est notamment de cette manière qu’Ulysse fait le lien entre l’Iliade et l’Odyssée dont il est le héros principal. Pour revenir à Pâris – dont la réputation guerrière était médiocre – Homère ne parle pas de la façon dont il aurait tué Achille. Les Latins Virgile (l’Enéide, VI, 56-58) et Ovide (Les Métamorphoses, fin du livre XII, 598-606) nous racontent que Pâris serait parvenu, avec l’aide d’Apollon, l’archer divin, à blesser mortellement Achille « aux pieds rapides » d’une flèche à l’endroit de son corps le plus vulnérable, la cheville, talus en latin (le « talon d’Achille »). Pâris lui-même aurait été tué par une flèche de Philoctète.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : variations vénusiennes

Au début de ses vers le poète Lucrèce
Pour obtenir de l’aide invoque la déesse
Grâce  à qui tout fleurit dès que vient le printemps
Saison du renouveau celle des cœurs battants
La déesse qui donne aux naissants la lumière
En remplissant leurs yeux d’une clarté première
Par qui les animaux ressentent l’appétit
De propager la vie entre corps assortis
Par qui ce qu’il y a de joyeux et d’aimable
Embellit l’existence avec de l’inflammable
Et par qui la beauté qu’on nomme vénusté
Même chez les mortels parvient à exister

***

Le Soleil attentif se vante de tout voir
Il a surpris Vénus qui dans un lit d’ivoire
Pudique apparemment sans pourtant renâcler
S’abandonnait à Mars à ses ardeurs musclées
L’astre-dieu clairvoyant a rapporté la scène
– La trouvant disait-il peu digne et presque obscène –
A Vulcain le mari trahi par ces ébats
lesquels mimaient plutôt la passion d’un combat
Presque aussitôt Vulcain que la colère anime
Prépare dans sa forge usine avec sa lime
Un fin filet de bronze où il prend les amants
Capturés dans ce piège en plein chevauchement
L’Olympe tout entier convié au spectacle
Est venu voir Vénus qu’on portait au pinacle
Elle a un air honteux prise avec son coquin
Dans le feu de l’action par son boiteux Vulcain
L’assemblée d’immortels en cercle autour du couple
Enserré sous leurs yeux dans des mailles peu souples
Eclate d’un grand rire impossible à celer
A la vue de ces nus drôlement ficelés

 

Aphrodite-Vénus, dont le nom évoquait pour les Grecs celui de l’écume (aphros), est née des flots. Le doux Zéphyr l’a apercue alors qu’elle sortait de l’onde non loin des côtes de Palestine. Il l’a transportée dans une conque de nacre jusqu’à Chypre, ancienne colonie phénicienne. La première passion d’Aphrodite a été le jeune syrien Adonis, mortellement blessé à la chasse. Tous les dieux ont été frappés d’admiration dès l’apparition de la déesse dans l’Olympe, c’est le plus disgracié, le laid et boiteux Héphaïstos-Vulcain, qui l’a obtenue en mariage. La mère d’Héphaïstos, Héra autrement dit Junon, l’aurait engendré sans l’intervention d’aucun mâle, pour montrer à Zeus-Jupiter (qui avait engendré seul Athéna-Minerve) qu’elle pouvait elle aussi se passer de l’autre sexe. Aphrodite, quant à elle, s’est dédommagée de son union mal assortie en devenant l’amante d’Arès-Mars, dieu de la guerre, dont elle a eu de nombreux enfants, en particulier Eros. Ovide raconte dans Les Métamorphoses (livre IV, vers 171-189), en suivant L’Odyssée, VIII, que Vulcain « prépare avec sa lime de minces chaînes de bronze, des filets et des lacets imperceptibles à l’œil, qui ne le cèdent ni aux fils les plus fins, ni aux toiles que l’araignée suspend aux poutres dans les hauteurs […] ; il en entoure le lit et les dispose adroitement ; à peine l’épouse et le dieu adultère se sont-ils réunis dans la même couche que, grâce à l’habileté de l’époux, pris tous les deux dans les liens de cette invention nouvelle, ils sont immobilisés au milieu de leurs embrassements. Aussitôt l’artisan de Lemnos [Vulcain] ouvre les portes d’ivoire et fait entrer les dieux ; les amants sont restés étendus, enchaînés, tout honteux ; parmi les dieux, qui n’étaient point tristes, l’un d’eux souhaita la même honte au même prix ; les immortels se mirent à rire et pendant longtemps ce fut un sujet d’entretien favori dans tout l’espace céleste » (Les Métamorphoses, livre IV, vers 171-189). Ce « rire homérique » apparaît pour la première fois dans l’Iliade, I, 599, précisément au sujet d’Hephaïstos le boiteux.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Léda et ses enfants

Lorsque le roi Tyndare a honoré les dieux
D’un coûteux sacrifice ostensible mais pieux
Avec à ses côtés de nombreux acolytes
Il aurait dû donner à Vénus-Aphrodite
Une meilleure part non la « portion congrue »
Qu’elle a considérée comme injuste incongrue
Au point d’avoir voulu tramer une vengeance
Afin que l’humain sache où est son allégeance

Un soir où se baignait Léda femme du roi
Dans le fleuve côtier quand la chaleur décroît
Elle voit accourir poursuivi par un aigle
Un cygne blanc vers elle et comme il est de règle
Que le blanc est candide et que le cygne est bon
L’aigle au plumage noir prend son envol d’un bond
Reste l’oiseau des eaux qui contre elle se presse
De ses ailes l’embrasse et même la caresse
De son long col flexible adouci de duvet
Plus tard elle saura que c’est Zeus qui revêt
Souvent pour ses amours une forme inédite
Et qu’il a mainte fois pour complice Aphrodite

Tyndare voit sa femme exaltée sans raison
Lorsque le crépuscule embrase l’horizon
Dans la nuit qui succède aux caresses du cygne
Elle se prête aussi sans humeur qui rechigne
Au désir conjugal et dans son ventre sent
Que des enfants naîtront humains de chair et sang
Ou d’une autre nature animale ou divine
Entre qui l’origine à peine se devine
Ce seront Clytemnestre Hélène et les Gémeaux
L’amour les mènera vers de terribles maux
Car ils seront toujours en dépit des prouesses
Par leurs passions sans frein les proies de la déesse

 

Des étreintes de Léda d’une part avec Zeus-Jupiter qui a pris la forme d’un cygne, et d’autre part avec son mari humain Tyndare le roi de Sparte, sont nés dans deux œufs quatre enfants d’origine soit purement humaine (Castor et Clytemnestre) soit à moitié divine (Pollux et Hélène). Les amours des sœurs Hélène et Clytemnestre, épouses des frères Ménélas et Agamemnon, ont joué un rôle funeste dans la guerre de Troie : l’enlèvement de la belle Hélène par le troyen Paris a été à l’origine de cette guerre («Amour tu perdis Troie », écrit Jean de La Fontaine dans sa fable ironique intitulée « Les deux coqs ») ; quant à Clytemnestre, femme d’Agamemnon chef victorieux de l’armée grecque, aidée par son amant Egisthe, elle a tué ou fait tuer son mari quand il est revenu de la guerre de Troie. De leur côté, avant cette guerre, Castor et Pollux (appelés les Dioscures, mot qui signifie « les garçons de Zeus »), ayant assisté aux noces de leurs cousins Idas et Lyncée, ont enlevé les deux fiancées. Dans le combat qui a suivi, les protagonistes, sauf Pollux, ont été tués. La mort de Castor n’a finalement pas séparé les Dioscures, qui ont été transportés ensemble parmi les astres où ils forment la constellation des Gémeaux.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Persée fils de Danaé

 

Le roi d’Argos pour assurer sa descendance
A consulté l’oracle était-ce par prudence
Ou voulait-il forcer l’avenir incertain
Cherchait-il à contrer les ruses du destin
Il a reçu l’avis qu’il deviendrait grand-père
Mais cette prophétie du genre qu’on espère
Etait en vérité une malédiction
Puisqu’elle prédisait aussi de l’affliction
Dès lors qu’à l’avenir Persée le petit-fils
Dans un concours sportif comme par maléfice
Discobole amateur au lancer imprudent
Tuerait sans le vouloir son royal ascendant

Celui-ci désireux de déjouer l’oracle
Avait emprisonné dans un triste habitacle
– Un réduit sans fenêtre au toit bardé d’airain
Dépendant tout entier des limbes souterrains –
Sa fille Danaé privée de tout contact
Mais Zeus a traversé les voûte et mur compacts
En  se faisant pluie d’or afin que cette ondée
Puisse atteindre la belle ainsi la féconder
C’est alors que Persée dans un sombre séjour
A commencé sa vie et qu’il a vu le jour
Par la suite – exerçant les multiples emplois
D’un héros qui remplit du bruit de ses exploits
L’espace d’ouest en est – il a tué Méduse
Dont la vue pétrifiait contrairement aux muses
Tous ceux qu’elle approchait paralysés d’effroi
Même lorsque Persée l’intrépide à sang froid
Lui a tranché la gorge et brandissant la tête
Frappant les ennemis d’une horreur stupéfaite
Avec la chevelure emmêlée de serpents
Qui se tenaient dressés au lieu d’être rampants
Tandis que le héros conscient de la menace
Evitait avec soin de la saisir de face

 

Acrisios, roi d’Argos, a séquestré sa fille unique Danaé dans un réduit souterrain quand un oracle lui a prédit qu’il deviendrait grand-père mais serait mortellement blessé par son petit-fils. Or Zeus, qui avait été séduit par la beauté de Danaé,  est entré dans cette prison sous la forme d’une pluie d’or, s’est uni à la jeune femme et lui a donné un fils, Persée. Furieux, Acrisios a mis la coupable et l’enfant dans un coffre qu’il a jeté à la dérive dans la mer. Le coffre est parvenu à Sériphos, une île des Cyclades, où le roi Polydecte, tombé amoureux de Danaé, a tenté de la forcer à l’épouser. Pour éloigner Persée, devenu un robuste jeune homme qui pouvait menacer ce projet de mariage, Polydecte l’a envoyé combattre Méduse, la pire des trois Gorgones. Persée en est revenu vainqueur avec la tête de la Gorgone qu’il a décapitée grâce à l’aide d’Athéna. Il s’est servi du pouvoir pétrifiant de cette tête utilisée comme une arme notamment dans ses rencontres à l’ouest de l’Afrique avec Atlas qu’il a changé en montagne et à l’est de l’Afrique avec Andromède qu’il a délivrée d’un monstre marin avant de l’épouser (Ovide, Les Métamorphoses, IV, vers 603-803). Il voyageait porté par des ailes attachées à ses pieds « de la façon qu’on nous peint Mercure », écrit Corneille (voir ci-dessous), qui le présente en « chevalier errant », évoquant ainsi les romans de chevalerie en vogue du temps du dramaturge. De retour en Grèce, Persée a changé en pierre Polydecte qui niait la mort de Méduse (Ovide, Les Métamorphoses, V, vers 236-242). Et comme l’avait annoncé l’oracle, il a tué accidentellement Acrisios. Sa mère Danaé est mentionnée dans les tragédies d’Eschyle, d’Euripide et de Sophocle (on dit qu’elle symbolise la fécondité de la terre sur laquelle descend la pluie fertilisante). Corneille a tiré des Métamorphoses d’Ovide une Andromède avec des parties lyriques, tragédie en cinq actes écrite en 1647 et jouée avec succès en 1650.

Mythologie : Actéon

Petit-fils de Cadmos le fondateur de Thèbes
Actéon le chasseur était un bel éphèbe
Qui courait les forêts et prenait au filet
Des animaux furieux très loin de son palais
Avec ses compagnons et leur troupe canine
Inspirant de la crainte à la gent féminine
Quand ils s’en revenaient heureux comme des rois
Fiers de leur corps musclé trempé du sang des proies

Le jour avait atteint plus qu’à moitié sa course
Dans un lieu retiré fréquenté par les ours
Les sangliers les loups au milieu des cyprès
Et des épicéas qui le gardaient secret
Protecteurs d’une grotte aux légères voussures
Où Diane court vêtue trouvait un abri sûr
Et quittait son carquois son arc son javelot
Son vêtement léger pour se baigner dans l’eau
Qu’une source épanchait au rythme d’un murmure
A peine un chuchotis ténu sous la ramure

Actéon la surprend par hasard en ce lieu
Des nymphes faisaient cercle autour d’elle au milieu
Signalée par sa taille et sa figure altière
Avec pour seul habit la senteur forestière
Ce qui selon certains a causé le trépas
Du héros qui a vu sans voile ses appas
D’autres pensent plutôt que l’implacable Diane
N’a fait qu’éliminer celui qui se condamne
Quand il se dit meilleur que la reine des bois
Quoi qu’il en soit voici dans le bruit des abois
Qu’elle change Actéon le transforme en chevreuil
Aussitôt les limiers font très mauvais accueil
– Surtout les favoris du métamorphosé –
A ce gibier timide à l’air dépaysé
Sans pitié tous les chiens déchirent l’herbivore
Redevenus des loups en meute qui dévorent

 

Fils d’Aristée (lui-même fils d’Apollon) et d’Autonoé (fille de Cadmos), Actéon est élevé par le centaure Chiron et devient un chasseur très habile. Selon la version la plus courante du mythe, il surprend un jour sans le vouloir, après une chasse, la déesse Artémis prenant son bain. Furieuse d’être vue nue, la chasseresse divine le transforme en cerf. « Elle fait naître sur la tête ruisselante du malheureux [auquel elle a jeté de l’eau] les cornes du cerf vivace [vivace car la légende attribuait à cet animal une grande longévité], elle allonge son cou, termine en pointe le bout de ses oreilles, change ses mains en pieds, ses bras en longues jambes et couvre son corps d’une peau tachetée. Elle y ajoute une âme craintive » (Les métamorphoses, III, 194-197). Actéon meurt déchiré par ses propres chiens qui ne le reconnaissent plus. Les mythographes, après les poètes, se sont ingéniés à donner une liste des chiens d’Actéon. Ovide en nomme trente-six. Chacun de leurs noms a en grec un sens qui rappelle leur vitesse, leur sagacité, leur couleur, etc. Les énumérations de noms propres dans la poésie gréco-latine s’inscrivent dans une tradition qui remonte à Homère. D’autres raisons sont données au courroux de la déesse : par exemple Actéon se serait vanté d’être plus habile qu’elle à la chasse. Cette explication est celle d’Euripide dans ses Bacchantes. Selon une tradition minoritaire, Actéon est métamorphosé par Zeus pour avoir poursuivi de ses assiduités Sémélé, princesse thébaine fille de Cadmos et mère de Dionysos. A la fin de « La chose freudienne ou sens du retour à Freud en psychanalyse », texte de 1956 recueilli dans ses Ecrits, Jacques Lacan consacre un étrange quatrain d’alexandrins à Actéon auquel il semble identifier Freud cherchant la déesse Vérité et déchiré par ses disciples : « Actéon trop coupable à courre la déesse,/proie où se prend, veneur, l’ombre que tu deviens,/laisse la meute aller sans que ton pas se presse,/Diane à ce qu’ils vaudront reconnaîtra les chiens… »

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Daphné

Daphné premier amour de Phébus Apollon
N’a pas subi grand mal d’une fléchette en plomb
tirée par Cupidon si l’on en croit Ovide
Au contraire Phébus d’habitude impavide
A été transpercé par une pointe aiguë
Du même qui voulait dessein non ambigu
Lui montrer quel archer est le plus redoutable
Et darde mieux les traits les plus inéluctables
Armés d’un métal dur offensif et doré
Que la douceur d’aimer ne peut édulcorer

Daphné dont les cheveux bouclaient en vaguelettes
A peine retenus par une bandelette
Imitait Artémis et parcourait les bois
Solitaire chassant le gibier aux abois
Souvent son père inquiet lui avait dit ma fille
Tu dois par des enfants prolonger ma famille
Mais elle voulait jouir de sa virginité
Comme Diane-Artémis en toute impunité
Cependant sa beauté semblait y faire obstacle
Ainsi que les désirs et les puissants oracles
Exprimés par les dieux notamment Apollon
Lequel semblait poussé porté par l’aquilon
Pour courir après elle en admirant sa nuque
Et ses cheveux au vent sans voile ni perruque
Ses bras nus dans l’effort qui battaient presque ailés
D’un mouvement rythmé proche de s’envoler
Plus rapide le dieu déjoue toutes les feintes
Stimulé par l’espoir comme elle par la crainte
Il est déjà penché vers elle qui le fuit
Elle sent dans son dos celui qui la poursuit
Elle implore son père et lui dit « si tu l’oses
Toi qui sais pratiquer l’art des métamorphoses
Pour arrêter Phébus change-moi en laurier »
Ainsi finit Daphné craignant de se marier

 

La nymphe Daphné, fille du Pénée qui était un dieu-fleuve de la région grecque de Thessalie, avait pour modèle Artémis-Diane, et, comme elle, « se refusait au joug d’un époux ». Mais, après l’avoir vue, le frère d’Artémis, Apollon, a désiré s’unir à elle. « Il voit ses yeux brillants comme les astres ; il voit sa petite bouche qu’il ne lui suffit pas de voir ; il admire ses doigts, ses mains, ses poignets et ses bras plus qu’à demi nus ; ce qui lui est caché, il l’imagine plus parfait encore » (Ovide, Les Métamorphoses, I, vers 498-502). Il tente un discours pour se faire valoir, mais elle ne veut rien entendre et se lance dans une fuite éperdue, ce qui redouble le désir du dieu. A la fin, à bout de forces, elle implore son propre père : « viens à mon secours, lui dit-elle, si les fleuves comme toi ont un pouvoir divin ; délivre-moi par une métamorphose de cette beauté trop séduisante. A peine a-t-elle achevé sa prière qu’une lourde torpeur s’empare de ses membres ; une mince écorce entoure son sein délicat ; ses cheveux qui s’allongent se changent en feuillage ; ses bras, en rameaux ; ses pieds, tout à l’heure si agiles, adhèrent au sol par des racines incapables de se mouvoir ; la cime d’un arbre couronne sa tête ; de ses charmes il ne reste plus que l’éclat [allusion aux feuilles brillantes du laurier]. Phébus cependant l’aime toujours ; sa main posée sur le tronc, il sent encore le cœur palpiter sous l’écorce nouvelle ; entourant de ses bras les rameaux qui remplacent les membres de la nymphe, il couvre le bois de ses baisers ; mais le bois repousse ses baisers. Alors le dieu : Eh bien, dit-il, puisque tu ne peux être mon épouse, du moins tu seras mon arbre ; à tout jamais tu orneras, ô laurier, ma chevelure, mes cithares, mes carquois »(Ovide, Les Métamorphoses, I, 545-559). Est-il besoin de préciser que « Daphné » signifie « laurier » en grec ?

Dominique Thiébaut Lemaire

Généalogie : le professeur de médecine Yvi Le Beux (1932-2015), de Quimper à Québec et à Vancouver

 

Par sa réussite professionnelle en tant que médecin, chercheur et professeur, mais aussi par le parcours de sa vie, qui l’a mené de la Bretagne à l’Amérique du Nord, d’abord au Québec puis après sa retraite jusqu’à la côte ouest du Canada, Yvi le Beux mériterait un hommage de sa ville natale (Rosporden-Kernével).

Les grandes étapes de sa vie

Yvi Jérôme Joseph Le Beux est né à Kernével (aujourd’hui Rosporden) près de Quimper le 5 août 1932. Il est à noter qu’une commune proche de Rosporden s’ appelle Saint-Yvi.
Yvi Le Beux faisait partie à Rosporden de l’équipe de football de l’ASR (Association Sportive Rospordinoise) et se rappelait à la fin de sa vie les matchs de football, appelés joutes au Canada.

Interne des Hôpitaux de Paris, docteur en médecine en 1962, il s’est installé ensuite au Canada où il a été professeur à l’université Laval de Québec.

Il s’est ensuite retiré en Colombie-Britannique (État de l’ouest canadien) où il a acquis une maison, à l’endroit le plus chaud du Canada, dans une vallée au climat sec, entourée de lacs, de vignobles et d’arbres fruitiers.

Il était toujours heureux d’avoir des nouvelles de sa Bretagne natale. Il gardait de bons souvenirs de sa jeunesse. Il pensait souvent aux gens de son ancien pays et parlait de la beauté des lieux.

Il est mort le 19 mai 2015 à Penticton, non loin de Vancouver, dans la maison de retraite (Haven Hill Retirement Centre) où il se trouvait depuis quelques mois. L’un de ses fils est ou a été son exécuteur testamentaire.
Sa famille bretonne a appris son décès par une notice sur internet (The British Columbia Gazette du 9 mars 2017), publiée par le gouvernement de la Colombie-Britannique appelant les créanciers éventuels à se faire connaître en vue du règlement de la succession.

Sa carrière professionnelle

Yvi Le Beux a soutenu sa thèse de médecine (Contribution à l’étude de la maladie de Waldenström) à Paris le 5 juin 1962 sous la présidence du professeur Jacques Delarue.
Il a travaillé pendant de nombreuses années à l’université Laval de Québec comme professeur de médecine et chercheur, publiant de nombreux articles de recherche médicale mentionnés sur internet.  Il a aussi rédigé une étude sur l’histoire des Amériques.

Sa famille

En Bretagne

La grand-mère d’Yvi Le Beux est Perrine Rivière (1881-1958), épouse de Joseph Bourbigot, mort pour la France pendant la première guerre mondiale en 1915, et sœur aînée de l’entrepreneur en bâtiment François Rivier (1892-1955). Sa mère Jeanne Bourbigot (1909-1981), qu’on appelait couramment Jeannette, cousine germaine des enfants de François Rivier, a épousé Jérôme Le Beux (1905-1950) et a eu deux enfants, Pierre et Yvi. La tombe des époux Le Beux-Bourbigot – une trop simple dalle de ciment sur laquelle est posée une plaque funéraire avec les dates des défunts – se trouve au cimetière de Rosporden, dans la rangée située le long du mur sud où se trouve aussi la tombe de Louis Rivier, ancien président de l’Association Sportive Rospordinoise (ASR), oncle paternel de Perrine Rivière et de l’entrepreneur François Rivier frère de Perrine.

Yvi Le Beux est un cousin issu de germains (petit-cousin) des quatre enfants de François Rivier : Albert (1919-1997), entrepreneur en bâtiment ; Jeanne (1921-2002), épouse d’André Scavennec, polytechnicien, mère de Maryvonne Lemaire née Scavennec ; Andrée Rivier (1927-2005), professeur d’anglais, épouse de Jean Kerhervé qui a participé à la direction de l’entreprise de bâtiment, ancien capitaine de l’équipe de football L’Etoile, « rivale » de l’équipe laïque de l’Association Sportive Rospordinoise ; et Marie Yvonne (née en 1930), qui a enseigné l’économie dans l’enseignement secondaire ainsi que l’anglais comme sa sœur Andrée.

Yvi le Beux, d’après sa compagne (voir plus loin les sources des informations), pensait souvent à sa ville natale et en gardait des souvenirs qui lui étaient précieux. Il avait conservé des photos de ses parents ainsi que de ses cousines et cousin en costume breton traditionnel.

Au Canada

Yvi Le Beux, marié avec Yvette Tardivet, puis divorcé, a eu six enfants (cinq garçons et une fille), demeurant au Québec :

  • Jean-Patrick Lebeux, coordinateur–chargé de projets, coop de solidarité santé, Bedford et région (formation : HEC Montréal, MBA) ;
  • Serge Le Beux, à Austin ;
  • Claude Le Beux, à Québec (service des programmes d’aide financière et des municipalités, direction du rétablissement, ministère de la sécurité publique) ;
  • Éric Lebeux-Tardivet ou Eric L.Tardivet, ingénieur, gestionnaire immobilier de la ville de Montréal (au Québec, on peut choisir de porter le nom de sa mère) ;
  • Laurence Le Beux, architecte à Montréal ;
  • Joël Lebeux, domicilié à Montréal.

Les enfants d’Yvi Le Beux ont eu eux-mêmes des enfants : Jean-Patrick, deux garçons ; Laurence, un fils ; Éric, deux filles jumelles…

Sources des informations

Les renseignements figurant dans le présent article proviennent d’internet pour une grande part. La compagne d’Yvi Le Beux, Dorothy Nakos, est entrée en contact avec la famille bretonne en mars 2015 après la lecture d’un article intitulé « Une famille bretonne de la Révolution aux guerres du XXe siècle », publié par Dominique Lemaire (d.t.lemaire@gmail.com), époux de Maryvonne Lemaire née Scavennec (voir ci-dessus) sur le site (WordPress) « Libres Feuillets » www.ouvroir.info/libresfeuillets/.
Dorothy Nakos, née à Paris en 1947, est venue jeune au Canada. Elle a fréquenté l’école anglaise puis obtenu le baccalauréat en philosophie de l’université de Caen (bac français) au Collège Marie de France à Montréal. Ensuite, elle a fait des études universitaires : licence, maîtrise avec thèse et doctorat en linguistique appliquée. Elle a été, comme Yvi Le Beux au côté duquel elle a vécu pendant trente ans, professeur à l’université Laval à Québec, lui à la faculté de médecine, elle à la faculté des lettres. Elle est l’auteur(e) de livres et articles consacrés à l’imagerie médicale (Dictionnaire de l’imagerie médicale) et à la linguistique (terminologie et onomastique).

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Héraclès

Zeus avait résolu pour incarner la force
De produire un héros doté d’un puissant torse
De jambes et de bras tout aussi vigoureux
Régis par une tête aux accès coléreux
Il a donc engrossé la vertueuse Alcmène
Hercule a résulté de ce douteux hymen
A l’insu de l’époux nommé Amphitryon
Un général sérieux sans rien d’un histrion
A partir de ce jour déesse combative
Junon qui se targuait de ses prérogatives
Toujours trompée par Zeus le Jupiter latin
N’a cessé de soumettre aux dangers du destin
Le héros confronté à toutes les chimères
Lion dévorateur hydre des temps primaires
Sanglier monstrueux biche aux cornes dorées
Oiseaux de fer grinçants charognards abhorrés
Bestiaux dont le fumier saturait les étables
Et génisses nourries d’aliments détestables
Attirées par le goût des cadavres humains
Dragon dévastateur écumant les chemins
Géant nommé Géryon riche d’un troupeau rouge
A surveiller de près avec ses bœufs qui bougent
Antée fils de Gaia qu’il fallait embrasser
Pour lui couper le souffle et non le terrasser
Car il reprenait vie quand il touchait la terre

Plus terrible a été la lutte avec Cerbère
D’où notre fils d’Alcmène est sorti sans trépas
Mais ensuite l’amour qu’il ne maîtrisait pas
L’a conduit à la mort dès lors que pour finir
La tunique endossée reçue de Déjanire
Qui croyait bien agir lui a brûlé la peau
Au point qu’il a quitté la vie pour le repos
« Oh quel farouche bruit font dans le crépuscule
Les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule »

 

Héraclès (Hercule chez les Romains), fils de Zeus et d’Alcmène, est le plus fameux héros de la mythologie gréco-latine qui lui prête un grand nombre d’aventures le faisant voyager jusqu’aux Enfers à travers le monde des Grecs avant Alexandre, entre l’est qui commence au Caucase et l’ouest borné par les « Colonnes d’Hercule », autrement dit le détroit de Gibraltar. Il est mentionné dès Homère. En Gaule il a connu une très grande popularité chez les Celtes romanisés. Les plus célèbres de ses exploits sont « Les douze travaux d’Hercule ». Redresseur de torts, personnification de la force physique, dont l’arme est la massue, il est l’ennemi des méchants et l’ami, le conseiller, le protecteur des hommes, en particulier contre les monstres, bien qu’il se laisse parfois emporter violemment par la colère et la vengeance. A la fin (Ovide, Les Métamorphoses, IX, vers 101-272), Hercule est consumé par la « tunique de Nessus » (une expression toujours utilisée pour désigner un cadeau empoisonné), que sa femme Déjanire lui a offerte en pensant que ce vêtement imprégné du sang maléfique mais magique de l’hydre de Lerne assurerait la fidélité amoureuse du héros. Il meurt sur le bûcher qu’il a construit ou fait construire pour mourir, avant d’être accueilli dans l’Olympe. Cette mort a inspiré à Victor Hugo deux vers de son « Tombeau de Théophile Gautier », écrit au décès de ce dernier en 1872 :
« Oh ! Quel farouche bruit font dans le crépuscule
« Les arbres qu’on abat pour le bûcher d’Hercule ! »

Dominique Thiébaut Lemaire

Degas à l’Opéra. Par Annie Birga

Exposition au Musée d’Orsay
24 septembre 2019-19 janvier 2020

 

 

Degas à l'Opéra, la classe de danseLa classe de danse (85,5/65 cm, 1876, huile sur toile, Musée d’Orsay)

Cette exposition est organisée par les Musées d’Orsay et de l’Orangerie et la National Gallery of Art de Washington, à l’occasion du trois cent cinquantième anniversaire de l’Opéra de Paris. Ces musées possèdent un fonds important d’œuvres de Degas. L’exposition a lieu successivement en France, puis en Amérique. Le commissariat général en est assuré par Henri Loyrette, éminent connaisseur  de l’artiste.

L’introduction de l’exposition fait voir des copies exécutées par Degas au Musée du Louvre ou bien pendant son séjour de trois ans en Italie, sculptures classiques, peintures de la Renaissance. Le champ de curiosité est vaste et Degas se fait un apprentissage de peintre classique qui va étayer sa création ultérieure. Suivent des dessins multiples réalisés au cours du temps ; ils marquent une attention soutenue aux mouvements du corps que le nu ou la silhouette des danseuses mettent en valeur. Le très beau tableau de 1860, «  Petites filles spartiates provoquant des garçons », est loin d’être un tableau d’histoire. Il s’agirait plutôt d’un exercice gymnique, ou, n’étaient les nus, d’une figure de ballet.

Le monde de la musique va entrer très tôt dans  la sensibilité du jeune homme. Son père, mélomane passionné, organise des soirées musicales dans le salon familial. Degas conservera longtemps un tableau qui en restitue le souvenir ému, « Lorenzo Pagans et Auguste  De Gas » (vers 1871-1872). Lorenzo Pagans, ténor espagnol, s’accompagne à la guitare ; avec la même précision observatrice de l’instrumentiste et de son instrument, Degas dessine et peint, dans leurs attitudes de musicien, pianiste, violoniste, violoncelliste. Mais c’est un bassoniste de l’Orchestre de l’Opéra, Désiré Dihau, qui, en lui passant commande de son portrait, finit de lui ouvrir les portes de l’Opéra. On voit le musicien en premier plan dans la toile « Musiciens à l’orchestre » (1870), et autour de lui d’autres membres de l’orchestre aux physionomies rendues avec vérité et science du portrait. Il en reprendra le thème la même année dans une version bien différente ; il est homme non de la correction, mais de la variation. Et il y étudie cet élément moderne du contraste entre la fosse obscure et la lumière vibrante de la scène, éclairage au gaz qui va devenir électrique. Deux toiles importantes de cette période évoquent des spectacles à succès. En 1867-1868, il réalise un tableau de grandes dimensions – ce qui va devenir très rare dans sa production -, un  « Portrait  de Mlle E(génie) F(iocre)  à propos du ballet de « la Source » ; il semble surprendre dans un moment de pause la belle danseuse en costume exotique, accompagnée de deux autres danseuses et d’un cheval (inspiré par l’une de ses sculptures et, plus tard, repris par Gauguin), tandis que le décor de roches et d’eau courante fait hésiter entre réalité ou théâtre. En 1872 c’est une scène à succès que Degas choisit de représenter, le ballet sarabande des nonnes dans l’opéra « Robert le Diable » de Meyerbeer. Il s’attache à rendre le contraste entre la lumière lunaire du cloître et les mouvements frénétiques du ballet blanc, tandis que les musiciens, partitions mises à part, demeurent dans la pénombre. En 1876, il peint une variation sur ce même thème.  A nous de confronter les deux versions.

Degas est donc devenu un spectateur assidu de l’Opéra. Il privilégie l’opéra français. La salle de la rue Le Peletier brûle en 1873 et en 1875, c’est l’Opéra de Garnier qui la remplace. Mais Degas n’aime pas le Second Empire et il continuera à placer ses scènes de danse dans les ambiances de la rue Le Peletier. Une salle de l’exposition présente des livrets, des maquettes de décors  (en particulier ceux de Ciceri), des affiches, des images de chanteurs en vogue, tous documents prêtés par la B.N. Bibliothèque de l’Opéra.

A partir de sa maturité, les thèmes choisis par Degas se raréfient et la danse y tient une place de choix. Toutes les techniques y sont employées. Les dessins sont un répertoire d’images qu’il reprend dans les peintures ou pastels. Parfois il en isole un sur papier coloré bleu ou vert. Il note les positions des danseuses, les mouvements de pieds, de bras, de jambes. La pierre noire, le fusain, la gouache peuvent se mélanger ou se superposer. Dans ses toutes dernières années quand sa vue a beaucoup baissé, il crayonne, cernées d’un noir épais, de grandes silhouettes de nus en mouvement, dessins quasi expressionnistes d’une violence inattendue.  Il recommande à son ami Forain de lui consacrer une seule phrase en guise d’oraison funèbre : « Il aimait le dessin ». Il est aussi graveur et, à la recherche de techniques rares, il pratique le monotype. Il lui réserve des scènes de genre à caractère social. Il illustre ainsi un récit de son ami, le librettiste et écrivain Ludovic Halévy. Celui-ci relate les aventures de deux jeunes ballerines, les Petites Cardinal, dans les coulisses de l’Opéra, guettées par des aspirants protecteurs avec la bénédiction de leur mère maquerelle. Petites gravures très incisives, bien vues plus tard par Toulouse-Lautrec. On sait que les sculptures de Degas sont toutes à la cire et que ce n’est qu’après sa mort qu’on en tirera des bronzes. Les petites sculptures à la cire sont des études de position et leur titre technique est la preuve de l’extraordinaire précision et attention au mouvement du peintre-dessinateur. Un exemple : « Danseuse, position de quatrième devant sur la jambe gauche ». On revoit aussi la fameuse « Petite danseuse de quatorze ans », complétée d’accessoires véritables, jupe et cheveux, pause tendue qui passa pour provocatrice auprès des censeurs .

La partie – phare de l’exposition demeure la succession de pastels et tableaux, dont le thème unique est la danse dans tous ses états. Et où se manifeste la maestria de l’artiste et sa variété d‘ exécution, son sens de la composition, son maniement de la lumière, son goût pour les couleurs. A côté des tableaux vus habituellement au Musée d’Orsay sont venus des chefs-d’œuvre de nombreux musées du monde. De vastes salles de répétition avec des miroirs, des portes et des perspectives. Des parquets parfois semés d’un arrosoir, d’un tissu, de chaussons. Là-dedans, des danseuses parfois isolées ou à la barre, parfois en grappes. Des couleurs vives, par ci par là, de nœuds de ceintures sur le tutu, .Des lumières sur les cheveux, sur les joues, une atmosphère de travail sous la houlette du maître de danse (Jules Perrot avec sa canne dans «  La Leçon de danse » (1874).  Des moments de fatigue, surpris. Un salut de la danseuse étoile, bouquet à la main. Une danseuse posant chez le photographe dans une atmosphère bleutée de crépuscule. Au passage, on ne s’étonne pas que Degas ait lui-même fait de si bonnes photographies, certaines utilisées pour son travail. Des vues panoramiques dans des « tableaux en long » avec seulement des aperçus de jambes qui descendent un escalier tournant. Le pastel lui permet d’aller vite et de rendre l’immédiateté du mouvement. Degas y a de plus en plus recours (redoutant pour la vision du peintre les effets négatifs de la térébenthine employée dans la peinture à l’huile) et il y trouve la délectation de la couleur, « des orgies de couleurs », dit-il  : «  Trois danseuses en jupe saumon » (1904), « Deux danseuses en jaune », « Trois danseuses (jupes bleues, corsages rouges) ». A ce moment il est plus proche d’Odilon Redon ou de Gustave Moreau que de l’Ingres de sa jeunesse.

Peintre original, qui n’est rattachable à aucun mouvement précis, même s’il a exposé dans de nombreux salons des Impressionnistes, faisant jonction avec le vingtième siècle – et ce n’est pas pour rien qu’il suscita l’admiration de Gauguin et de Maurice Denis – Degas est l’un des plus grands artistes français et cette belle exposition lui rend honneur. Elle le montre dans ses recherches, dans son évolution, dans sa variété à facettes.

Annie Birga

Mythologie : Dédale et Icare

Légendaire ingénieur Dédale a inventé
Plus d’une nouveauté que les Grecs ont vantée
En Crète il a bâti le fameux labyrinthe
Auquel il a laissé sa marque son empreinte
C’est-à-dire son nom quand on y est entré
Le risque que l’on court est d’y rester cloîtré
Bien qu’il ne soit muni d’aucune fermeture
Pour clore les issues c’est une architecture
D’où seuls peuvent sortir les plus malins des rats
Et les plus ingénieux des gens dans l’embarras
Qui savent dérouler perdus dans ces arcanes
Sans le perdre en chemin le fameux fil d’Ariane

Après avoir pu fuir les tortuosités
Compliquant les couloirs où tout fait hésiter
Dédale en lui sentait renaître le désir
De son pays natal avec le déplaisir
D’être sur une terre environnée de flots
Gardé loin de chez lui comme dans un enclos
Il déclare à son fils ne restons pas captifs
Prenons la voie des airs à défaut d’un esquif
Il se fabrique une aile imitant les oiseaux
Attachée à l’épaule avec de fins roseaux
Faite pour chaque bras d’un ensemble de plumes
Collées par de la cire et non par du bitume
Il en dote son fils et s’en revêt aussi
Lui donne des conseils qui montrent du souci
L’exhorte en lui disant « pas d’imprudence Icare
Demeure près de moi évite les écarts »
Mais son fils qui se livre au plaisir de voler
S’élève dans l’espace où il a décollé
Cède à l’attrait du ciel abandonne son guide
S’approche du soleil glissade dans le vide
Et ses ailes de plume et de cire en fondant
Le plongent dans la mer sous les rayons ardents

 

Le dieu de la mer, Poséidon, pour se venger, a éveillé chez Pasiphaé, épouse du roi Minos, une passion monstrueuse pour un taureau que le roi avait refusé de sacrifier à ce dieu. Elle a demandé Dédale de lui créer un simulacre de vache afin qu’elle puisse se glisser à l’intérieur et s’unir avec le taureau grâce à ce subterfuge. De cet accouplement est né le Minotaure que Minos a enfermé dans un labyrinthe construit par Dédale, décidément très sollicité. La seule solution pour en ressortir était de dérouler un fil de laine et de le suivre jusqu’à la sortie. Dédale a donné la solution à une fille de Pasiphaé, Ariane, qui a remis une pelote de laine à Thésée pour qu’il s’en serve afin de s’échapper après y avoir tué le Minotaure (voir « Les Enfants de Pasiphaé » dans le présent recueil). Le mythe du labyrinthe et le mythe d’Icare sont liés par le personnage de Dédale : Icare, fils de ce dernier, s’est tué en essayant de voler avec les ailes fabriquées par son père. L’esprit d’invention s’est manifesté chez d’autres membres de cette famille. La sœur de Dédale avait confié à celui-ci l’instruction de son fils, âgé de douze ans, « capable de bien profiter des leçons d’un maître ». Ce neveu, « ayant remarqué chez les poissons l’arête du milieu et l’ayant prise pour modèle, tailla dans un fer acéré une série de dents et inventa la scie. Il fut aussi le premier qui unit l’un à l’autre par un lien commun deux bras de fer, de sorte que, toujours séparés par la même distance, l’un restait en place, tandis que l’autre traçait un cercle. Dédale, jaloux de lui, le précipita du haut de la citadelle de Minerve [Pallas Athéna en grec], puis il répandit le bruit mensonger d’une mort accidentelle ; mais Pallas, protectrice du génie, le reçut dans ses bras ; elle en fit un oiseau [nommé Perdrix, nom du jeune homme ou de sa mère] et, au milieu même des airs, le couvrit de plumes. La vigueur de son esprit jadis si prompt a passé dans ses ailes et dans ses pieds ; il a gardé son ancien nom. » (Ovide, Les Métamorphoses, livre VIII, vers 236 et suivants).

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Eôs et Tithon

Déesse de l’aurore Eôs aux doigts de rose
Apparaît après l’aube en robe de safran
Séduisante en couleur plus belle en vers qu’en prose
Dans le ciel pâle encore elle a le premier rang

D’elle naît au matin l’étoile Phosphoros
Qui n’est autre le soir que l’étoile Hespéros
Les larmes de ses yeux sont des pleurs de rosée
Que  la mort de Memnon son cher fils a causés
Et causera toujours malgré tous ses amours
Qui la consolent mal quand débute le jour
Malgré son aventure avec Mars le guerrier
Trahison dont Vénus a été contrariée

Sœur du soleil Hélios de Séléné la lune
Toujours jeune attisant de jalouses rancunes
Eôs a enjôlé le beau chasseur Orion
Aimé par Artémis tué par un scorpion
Elle a ravi Tithon dans les deux sens du verbe
Tithon qu’a évoqué le poète Malherbe
Dans sa consolation à Monsieur du Périer
Qui s’affligeait d’un deuil tout de noir colorié
Eôs a obtenu le statut d’immortel
– Oubliant d’ajouter la jeunesse éternelle –
Pour son amant humain lequel a donc vécu
Victorieux de la mort mais le temps l’a vaincu
Dans une longue vie de durée sans égale
Peu à peu desséché transformé en cigale
Voué à supporter son âge à l’infini
Dans un corps consumé peu à peu raccorni
Il endure sans fin les maux de l’existence
Excepté le trépas dont nous faisons des stances

 

Fille des Titans Hypérion et Théia, Eôs qualifiée par Homère de déesse « aux doigts de rose » et « en robe de safran » appartient à la catégorie des divinités gréco-romaines personnifiant la nature, comme son frère Hélios ou Sol le Soleil et sa sœur Séléné ou Luna la Lune. Comme le note Georges Hacquard dans son Guide mythologique de la Grèce et de Rome (1984) : « Essentiel dans la religion primitive, le culte de l’astre solaire perdra de son importance à l’époque classique – au bénéfice notamment d’Apollon, dieu du soleil – mais retrouvera toute sa puissance sous l’Empire, grâce à l’influence des religions orientales […] et tendra de plus en plus vers un monothéisme dont le christianisme recueillera les traditions. » Sa sœur Eôs ou Aurore s’est éprise de nombreux mortels, en particulier du beau Tithon, Troyen frère de Priam, qui lui a donné deux fils, Memnon (tué par Achille) et Emathon. Pour éviter qu’il ne connaisse un sort semblable à celui d’Orion, Eôs a supplié Zeus d’accorder à son amant l’immortalité. Mais elle n’a pas pensé à demander aussi pour lui l’éternelle jeunesse. Impotent et desséché au long d’une vie interminable, bien que nourri d’ambroisie, il est finalement réduit aux dimensions d’une cigale. Au XVIIe siècle, Dans les stances de sa « Consolation à M. Du Périer » qui a perdu sa fille, morte jeune, Malherbe mentionne ce personnage mythologique en disant dans un bel alexandrin que, pour lui, « Tithon n’a plus les ans qui le firent cigale » et que le mérite d’une vie ne se mesure pas à sa longueur  :

Non, non, mon Du Périer, aussitôt que la Parque
Ote l’âme du corps,
L’âge s’évanouit au-deçà de la barque [des Enfers]
Et ne suit point les morts.

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Phaéton

Phaéton veut savoir s’il est fils du Soleil
Dont la demeure au ciel resplendit sans pareille
Il gravit le chemin qui monte à ce palais
Lumineux plein d’éclat de feux et de reflets
Il s’approche du dieu mais s’arrête à distance
Ne pouvant soutenir son regard trop intense
Et demande de loin au maître de ces lieux
Qu’il prouve son amour paternel et radieux
En donnant à son fils permission de conduire
Les chevaux du soleil dès que le jour va luire
Jusqu’à ce qu’il s’éteigne à l’heure du couchant
L’astre dieu qui rayonne hésite en s’approchant
–  Après avoir ôté sa couronne de flamme –
A prononcer l’accord que son fils lui réclame
Puis il cède et dit oui mais il craint le destin
Si Phaéton se montre un pilote incertain

L’aurige trop léger dès l’effort matinal
Fait craindre une déroute en phase terminale
Son char monte la pente escarpée du début
Tiré par des chevaux déjà presque fourbus
D’avoir dû la gravir livrés à leur humeur
Sans avoir bien senti la main du  conducteur
Puis il faut traverser dans les hennissements
Les signes du zodiaque un bestiaire inclément
Les cornes du Taureau la mâchoire du Lion
Doivent être esquivées scorpion
Phaéton ne sait plus comment tirer les rênes
Tantôt il monte au ciel tantôt il plonge et freine
Ses gestes sont rythmés par sa tachycardie
Il allume au passage un immense incendie
Son errance fantasque est proche du désastre
Entre la terre basse et le lointain des astres
Alors pour leur salut tous prient Zeus roi des cieux
De foudroyer ce fou son char et son essieu
L’aventure finit par des pleurs élégiaques
Après avoir atteint les confins du zodiaque

 

Tandis qu’au temps du déluge, le monde a été dominé par l’eau, lors de l’aventure de Phaéton il a été soumis au feu. L’eau et le feu sont les deux éléments naturels dans lesquels les humains ne peuvent pas vivre, à la différence de la terre et de l’air qui leur sont davantage propices, même si, de nos jours, c’est l’air qui nous menace le plus par l’oxyde de carbone invisible dans l’atmosphère. Phaéton va être victime de sa prétention, comme le lui dit d’emblée le Soleil : « Ton destin est d’un mortel, ton ambition d’un immortel. Et encore il n’est pas permis aux dieux d’obéir un tel honneur [conduire le char du soleil] ; dans ton inconscience, tu dépasses leurs prétentions ; que chacun d’eux soit fier de sa puissance, j’y consens ; mais aucun ne peut se tenir sur le char qui porte la flamme, excepté moi. Même le souverain du vaste Olympe, dont la main terrible lance la foudre sauvage, ne conduira jamais mon char ; pourtant qu’ai-je de plus grand que Jupiter ? » (Ovide, Les Métamorphoses, II, vers 1-366). Ce passage fait ressortir des incohérences mythologiques, la première étant celle d’une double hiérarchie divine : la hiérarchie des dieux à visage humain, au sommet de laquelle se trouve Zeus-Jupiter, mais aussi la hiérarchie des dieux en tant que puissances naturelles, au sommet de laquelle se trouve le Soleil. Autre incohérence de la mythologie, un immortel peut y être le père d’un mortel. En l’occurrence le soleil immortel est le père du mortel Phaéton, induit en erreur par la logique humaine qui le pousse à se croire capable de tout faire comme son père.Les Naïades de l’Hespérie (située au couchant) ont déposé dans un tombeau son corps consumé par la flamme « aux trois dards », et elles ont inscrit sur la pierre : « Ci-gît Phaéton, conducteur du char de son père. S’il n’a pas réussi à le gouverner, du moins il est tombé victime d’une noble audace » (Ovide, Les Métamorphoses, II, vers 327-328).

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Iô

Lorsque le roi des dieux succombe au charme d’Iô
Il suit comme toujours le même scénario
Une forêt complice entourait le bocage
Et formait alentour en douceur une cage
Où vivaient à l’abri plusieurs divinités
Des nymphes dans la fleur de leur féminité
S’allongeaient alanguies sous l’ombrage des arbres
Et des ondins puissants arrondissaient le marbre
En sculpteurs avisés pour y creuser des lits
Et donner plus de lustre à la roche polie
Dans cette compagnie la plus belle naïade
Iô qui s’est dénudée sans fard pour la baignade
Est remarquée par Zeus aussitôt celui-ci
Libère son désir de tout autre souci
Que celui d’exercer son pouvoir de cuissage
il ne mérite pas qu’on le dénomme sage
Héra pendant ce temps s’étonne des nuées
Qui jettent sur ce lieu de l’ombre accentuée
Connaissant son époux ses petites malices
Et découvrant alors une blanche génisse
Avatar de la nymphe aimée de l’Olympien
Elle dépêche Argus à qui n’échappe rien
Pour garder cette vache et faire le veilleur

Quand Argus est tué sur ordre supérieur
Elle répand ses yeux sur les plumes du paon
L’oiseau qu’elle préfère et elle excite un taon
Derrière la korê changée en animal
Poursuivie jusqu’au Nil par l’insecte anormal
C’est là que Zeus demande indulgence et pitié
Circonvient de ses bras sa jalouse moitié
Héra s’apaise alors et Iô perdant ses cornes
Retrouve une beauté qui dépasse les bornes
Au point de réveiller après un bref répit
Chez la reine des dieux la passion du dépit

 

Zeus-Jupiter s’intéresse beaucoup aux jeunes femmes dans des histoires d’amour subalterne ayant beaucoup de liens avec la race bovine, soit qu’il se déguise lui-même en taureau (voir le mythe d’Europe), soit qu’il transforme en génisse la nymphe qu’il a convoitée comme dans la légende d’Iô pour essayer de dissimuler son aventure (Ovide, Les Métamorphoses, I, vers 624 et suivants). Héra-Junon n’est pas dupe des stratagèmes de son époux et frère, qui se laisse aller à ses désirs. Elle s’en irrite au point d’acquérir une réputation de jalouse qui répond à la réputation de Zeus comme « cavaleur » impénitent, souvent ridicule à nos yeux. Elle surveille la nymphe devenue génisse par l’intermédiaire du géant Argus aux cent yeux que Zeus fait tuer. Dans l’antiquité, les troupeaux étaient synonymes de richesse, ce que montre le mot latin pecunia qui désigne l’argent en général, mais qui signifiait étymologiquement fortune venant du bétail (pecus). La légende d’Iô est le sujet de nombreux tableaux (Corrège, Tintoret, Vélasquez, Rubens, Jordaens…) De même qu’Europe (qui est censée descendre d’Iô par Epaphos, Libye, Agénor : voir ci-dessous) franchit la Méditerranée d’est en ouest, de la Phénicie à la Crète, Iô traverse cette mer du nord au sud. En Egypte, elle aurait donné naissance à Épaphos (identifié par Hérodote au dieu-boeuf Hâpi, Apis en grec) qui a une querelle avec Phaéton, contestant que celui-ci soit fils du Soleil (Hélios) comme il s’en vante. Epaphos devient roi d’Égypte et épouse Memphis, née du Nil, en l’honneur de laquelle il fonde la ville de Memphis et de qui il a une fille, Libye (Apollodore, Bibliothèque, II, 1, 1-4).

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : le serpent Python

De l’épaisse alluvion laissée par le déluge
Est sortie une vie qui paraissait transfuge
D’un monde différent né de l’interaction
Entre sol et soleil après la submersion
Lorsque la chaleur moite a fait gonfler la fange
Et qu’elle y a produit non pas des sortes d’anges
Mais d’effrayants dragons à partir de la boue
Certains si monstrueux qu’ils en étaient tabous
Par exemple Python le serpent colossal
Qui sur la terre neuve allongeait sa dorsale
Ainsi qu’une montagne enchaîne les sommets
De sa ligne de crête on croyait qu’il dormait
Pour tout homme il était un objet de terreur
Il maîtrisait ses proies qu’il serrait constricteur
Dans ses nœuds et replis dans ses embrassements
Jusqu’à couper le souffle et arrêter le sang
Des victimes pressées par cet étau mortel
Oxygène bloqué dans leur corps qui pantèle

Apollon a tué cet énorme rampant
Dont le danger tenait tout le monde en suspens
Dès sa prime jeunesse il avait manié l’arc
Désormais sauroctone il en a fait sa marque
En se remémorant sa mère menacée
Qui le portait enfant chasseur alors chassé
Comme elle poursuivi par ce puissant reptile
Que l’épouse de Zeus jalousement hostile
Avait lancé contre eux mais vidant son carquois
Vengeur il a fait feu de ses tirs adéquats
Ses flèches ressemblant à des rayons de flamme
Ont transpercé Python qui poussait de longs brames
Comme n’en pousse pas dans les jours anodins
L’habituel gibier de chevreuils et de daims
C’est ainsi qu’a fini criblé dans la douleur
Ce serpent peau trouée dépourvue de valeur

 

Les humains seraient nés des pierres que Deucalion et Pyrrha ont semées après le déluge. « La terre enfanta d’elle-même les autres animaux sous des formes diverses, lorsque l’humidité qu’elle retenait encore se fut échauffée sous les feux du soleil, lorsque la chaleur eut enflé la fange et les eaux marécageuses, lorsque les germes féconds des choses, nourris par un sol vivifiant, se développèrent comme dans le sein d’une mère. Ainsi quand le Nil aux sept embouchures a quitté les champs inondés et ramené ses flots dans leur ancien lit, quand du haut des airs l’astre du jour a fait sentir sa flamme au limon récent, les cultivateurs, en retournant la glèbe, y trouvent un très grand nombre d’animaux […] En effet, lorsque l’humidité et la chaleur se sont combinées l’une avec l’autre, elles conçoivent ; c’est de ces deux principes que naissent tous les êtres ; quoique le feu soit ennemi de l’eau, un rayonnement humide engendre toutes choses et la concorde dans la discorde convient à la reproduction. Donc, aussitôt que la terre, couverte de boue par le déluge récent, recommença à recevoir du haut des airs la chaleur des rayons du soleil, elle donna naissance à des espèces innombrables […] Ce fut bien contre son gré qu’elle t’enfanta aussi à cette époque, colossal Python ; pour les peuples nouveau-nés, serpent alors inconnu, tu étais un objet de terreur, tant tu occupais d’espace le long de la montagne. L’archer divin, qui jamais auparavant ne s’était servi de ses armes que contre les daims et les chevreuils, l’accabla de mille traits » (Ovide, Les Métamorphoses, I, vers 416-444). Python est mort éliminé par Apollon fils de Zeus et de Léto ou Latone rivale de Junon, mais le python en tant que nom commun existe toujours. Le traducteur du texte latin, le professeur Georges Lafaye, note que la fable de la génération spontanée du vivant produit par la boue, « qui est probablement d’origine égyptienne, a été acceptée sans contrôle par d’autres écrivains de l’antiquité comme l’expression d’un fait réel. »

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Niobé

Niobé se vantait d’être riche de tout
Parée de ses atours fière de ses atouts
Descendante de Zeus et fille de Tantale
Epouse d’un grand roi dont le pouvoir mental
Allait jusqu’à mouvoir les pierres par son chant
Un pouvoir de créer à Thèbes sur le champ
Des remparts et palais pour loger la famille
Issue de son union sept garçons et sept filles
Une fécondité que Niobé tenait
Pour signe du bonheur qui lui appartenait
Pour marque qu’elle était de celles qui étonnent
Pour preuve d’être en tout supérieure à Latone
Autrement dit Léto qui avait seulement
Des jumeaux fils et fille à peine deux enfants
Certes mais quels enfants Phébus et Artémis
Niobé aurait dû se les rendre propices
Plutôt que d’exciter ces dangereux archers
Et leur amour filial prêts à se revancher

Niobé l’excessive enflammée d’un orgueil
Qui l’a bientôt conduite au plus cruel des deuils
Proclame que ses biens font sa sécurité
Qu’elle a plus de grandeur que ces deux déités
Mais celles-ci sans trouble ont ajusté leurs flèches
Avec une rigueur que nul remords n’empêche
En se mettant d’accord pour transpercer de traits
Artémis les sept sœurs comme on chasse en forêt
Et Phébus Apollon les sept frères qui mordent
La terre dès l’instant qu’il fait vibrer sa corde
Désormais Niobé n’est plus objet d’envie
Son visage a perdu la couleur de la vie
Figée par la souffrance elle devient de pierre
Si ce n’est que le roc dessinant ses paupières
Sur le sommet d’un mont fait ruisseler de l’eau
Que le vent des hauteurs change en pleur et sanglot

 

Niobé, qui était d’après la légende une Lycienne originaire du même pays qu’Arachné, en Asie Mineure, était animée d’un orgueil semblable à celui de sa compatriote. Elle avait épousé Amphion, roi musicien de Thèbes, fils de Zeus. Il semble que son histoire, comparée à celle de l’experte tisseuse changée en araignée, reflète le même antagonisme entre la Grèce d’Europe où se trouve Thèbes et la Grèce d’Asie Mineure où se trouve la Lycie. Elle prétendait obtenir pour elle les hommages que les Thébaines avaient l’habitude de rendre à Latone ou Léto, mère des jumeaux Phébus-Apollon et Diane-Artémis. « Pourquoi des autels destinés au culte de Latone, disait-elle, alors que l’encens n’a pas encore été offert à ma divinité ? » (Ovide, Les Métamorphoses, livre VI, vers 146 et suivants). Elle se vantait d’être supérieure en particulier par le nombre de ses fils et filles (douze au total chez Homère, quatorze chez Euripide et Ovide, dix-huit chez Sappho, vingt chez Pindare). C’est la raison pour laquelle, à la demande de leur mère, Apollon et Artémis ont tué de leurs flèches les enfants de Niobé. Celle-ci, pétrifiée par ces meurtres, a été transportée par un vent impétueux de Thèbes jusqu’en Lydie, sur le mont Sypile où régnait son père, et où l’on montrait un roc de marbre qui continuait à verser des larmes. Le sort de ce personnage mythologique a inspiré de nombreux sculpteurs et peintres. Les poètes Théophile Gautier et dans ses Poèmes antiques Leconte de Lisle, ayant gardé quelque chose de l’esprit romantique,  ont consacré chacun une invocation à Niobé. « Niobé sans enfants, mère des sept douleurs… / Quel fleuve d’Amérique est plus grand que tes pleurs ? » se demande Gautier à la fin de son poème. Et Leconte de Lisle termine le sien par ces vers : « Oh ! Qui soulèvera le fardeau de tes jours ? / Niobé ! Niobé ! souffriras-tu toujours ? »

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Arachné

La lydienne Arachné plus experte que sage
Prétendait surpasser en filage et tissage
La déesse des arts la divine Athéna
Qui patronait aussi tous les artisanats
Celle qu’en Italie on appelait Minerve

Arachné aurait dû rester sur la réserve
Au lieu de lui lancer son ambitieux défi
Mais Athéna veut voir cet orgueil déconfit
Après avoir compris que cette tisserande
Sûre d’être des deux l’artiste la plus grande
Dotée d’un beau talent certaine de ses dons
Refuserait toujours d’en demander pardon

Deux métiers sont dressés pour commencer l’épreuve
Entre les fils croisés les navettes se meuvent
Athéna va montrer sur sa pièce tissée
Plus belle qu’une ébauche aux contours esquissés
Des scènes en couleurs illustrant l’infortune
Que réservent les dieux capables de rancune
A tous les insolents à tous les orgueilleux
Qui croient pouvoir braver la puissance des cieux
Arachné pour autant n’en devient pas modeste
Consacre son ouvrage aux abus manifestes
Aux écarts de conduite auxquels se sont livrés
Sans vergogne les dieux trop souvent enfiévrés
Au premier rang desquels se trouve Jupiter
Descendant des hauteurs pour séduire sur terre
Sous ses déguisements de trompeur enjoué
Europe Danaé Léda femmes flouées

Athéna est blessée deux fois par cet ouvrage
Insolence et beauté double motif de rage
Aussi transforme-t-elle en sinistre araignée
Cette Arachné douée qu’il fallait calomnier

 

Arachné, fille d’un teinturier en pourpre, était une jeune tisserande de Lydie (ou Méonie), contrée d’Asie mineure proche de la mer Égée, dont le roi le plus célèbre a été Crésus. Le nom de cette tisserande est celui que les Grecs de l’Antiquité donnaient à l’araignée, qui produit une soie avec laquelle elle tisse sa toile « arachnéenne » et se soutient dans l’air lorsqu’elle se laisse tomber. Experte dans l’art du tissage, elle a osé comparer son talent à celui d’Athéna-Minerve. Un concours ayant été organisé, la déesse illustre sur sa toile la puissance des dieux de l’Olympe tandis qu’Arachné préfère tisser les frasques de Zeus avec ses nombreuses amantes. Athéna irritée à la fois par la beauté et par le sujet de l’étoffe produite par sa rivale pour montrer son talent, la déchire et frappe de sa navette le front d’Arachné. Celle-ci, outragée, veut se pendre (allusion sans doute aux araignées pendues à leur fil), mais Pallas Athéna adoucit ce triste destin de mortelle en la transformant en l’animal aux maigres doigts qui continue jusqu’à nos jours à tisser ses toiles (Ovide, Les Métamorphoses, livre VI, vers 1 et suivants). Peut-être ce mythe fait-il allusion à la rivalité entre la Grèce européenne où se trouve Athènes, ville d’Athéna, et la Grèce d’Asie mineure où se trouve le pays d’Arachné. Celle-ci fait partie des personnages qui, dans la mythologie gréco-latine, font preuve d’hubris ou hybris et subissent le châtiment que leur attire leur prétention à rivaliser avec les divinités.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Europe

 

Le dieu mythologique est prompt aux coups de foudre
Et comme c’est un dieu nous devons l’en absoudre
En amour par exemple il craque lorsqu’il voit
Du haut de son Olympe une femme de choix
Dans la présente histoire elle s’appelle Europe
Digne de dithyrambe embellie par les tropes
Fille du roi de Tyr elle aime les troupeaux
Pour lui complaire Zeus prend forme de taureau
C’était à une époque où l’attrait du bétail
Etait plus important que celui des batailles
L’animal apparaît comme paré de blanc
Europe se rapproche elle a le cœur tremblant
Mais il a des yeux doux n’inspirant pas de crainte
Sur lui nulle noirceur n’a laissé son empreinte
Et bien qu’il n’ait pas l’air de chercher le combat
Dans son allure noble il n’y a rien de bas
Lorsqu’elle tend vers lui une poignée de fleurs
Il mange ce qu’elle offre et de sa langue effleure
La belle donatrice en lui léchant les doigts
De sorte qu’elle oublie dans le pré qui verdoie
D’être en tout temps princesse et voici qu’elle adorne
De guirlandes la bête en décorant ses cornes
Voici qu’elle s’assoit folâtre sur son dos
Avant de prendre peur dès lors que crescendo
La course du taureau dans sa hâte secrète
L’emporte sur les flots jusqu’à l’île de Crète

Le roi Minos est né de ce dieu ruminant
Qui a couru sur l’eau entre deux continents
Ce mythe est un rappel des migrations humaines
Ayant transmis jadis par la force ou l’hymen
Au monde occidental élevage et culture
Esprit de découverte et goût de l’aventure
En franchissant la mer entre la Phénicie
Et la Grèce crétoise aux fabuleux récits

 

Dans la mythologie gréco-latine, Europe n’est pas encore le nom d’un continent, mais celui d’une étrangère venue du Proche-Orient, fille d’Agénor roi de Phénicie. Il existe plusieurs versions du mythe, et plusieurs interprétations. D’après la plus raisonnable, celle de Boccace (De claris mulieribus), Europe aurait été enlevée par le roi de Crète sur un navire qui portait sur sa proue ou sa voile le dessin d’un taureau. Le poème qui suit s’inspire d’Ovide, selon lequel Europe a plu à Zeus-Jupiter, qui lui est apparu dans une prairie sous la forme d’un taureau blanc, et qui a traversé à la nage ou à la course une partie de la Méditerranée en emportant la jeune fille jusqu’en Crète. Ce poème rajoute que le mythe d’Europe pourrait être une réminiscence d’un temps où se sont produites d’importantes migrations d’éleveurs-agriculteurs venus du Proche-Orient vers l’Europe. « La princesse ose même, ignorant qui la porte, s‘asseoir sur le dos du taureau. Alors le dieu, quittant par degrés le terrain sec du rivage, baigne dans les premiers flots ses pieds trompeurs ; puis il s’en va plus loin et il emporte sa proie en pleine mer. La jeune fille, effrayée, se retourne vers la plage d’où il l’a enlevée ; de sa main droite elle tient une corne ; elle a posé son autre main sur la croupe ; ses vêtements, agités d’un frisson, ondulent au gré des vents » (Ovide, Les Métamorphoses, II, vers 868-875). « Europe paraissait tourner ses regards vers la terre qu’elle avait quittée, appeler ses compagnes et, pour ne pas être touchée par les flots qui l’assaillaient, ramener en arrière ses pieds craintifs. » (Ovide, Les Métamorphoses, VI, vers 104 et suivants). En Crète où elle est arrivée au terme de cette course échevelée, elle a donné naissance à Minos qui est devenu par la suite roi de l’île, père de plusieurs enfants dont Ariane, Phèdre, Deucalion. De nombreux artistes ont peint l’enlèvement d’Europe, entre autres Titien, Véronèse, Rembrandt, et plus récemment Vallotton ou Botero avec moins d’art et plus d’ironie.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Prométhée

Du céleste Ouranos et de Gaia la terre
Sont nés Kronos Rhéa parents de Jupiter
Dans un accouplement violent tempétueux
Dans un engendrement d’amour incestueux
Filiation titanesque à laquelle appartiennent
Des êtres surhumains d’époques très anciennes
Atlas est de ce nombre ainsi qu’Epiméthée
Et le voleur de feu leur frère Prométhée
Soutien du globe Atlas porte haut les montagnes
Il aide Jupiter par sa force et sa poigne
Avec sur son épaule un froid manteau neigeux
D’où sa tête dépasse en sommet nuageux

Tandis qu’Epiméthée dans le règne animal
Se plaît à sa mission d’agir tant bien que mal
Pour donner à chacun une aptitude un don
Et pour que nul vivant ne reste à l’abandon
Il distribue des crocs des griffes des mâchoires
Des écailles des pieds des mains ou des nageoires
Et des adaptations aux déserts aux forêts
Des ailes pour certains pour d’autres des jarrets
L’un obtient l’énergie et l’autre la prudence
L’un est prompt à l’attaque et l’autre à la défense
Mais Prométhée comprend que son frère agité
N’a doté les humains d’aucune qualité
Leur permettant de vivre avec plus d’assurance
Car il ne leur échoit que la faible Espérance
Une vertu qui n’est souvent qu’un faux-semblant
Dans le fond de la boîte enfermant les talents
N’importe Prométhée va trouver pour les hommes
Le feu qu’il vole au ciel malgré l’ultimatum
du dieu prêt à punir et c’est finalement
Le courage excédant la peur du châtiment
Le courage associé avec l’intelligence
Qui fait diminuer le manque et l’indigence

 

Les généalogies deviennent facilement complexes dès qu’elles englobent des liens de parenté autres que les liens directs entre parents et enfants. Dans la mythologie grecque, Prométhée (« le Prévoyant » en grec ancien), frère d’Atlas et d’Épiméthée, est un Titan cousin germain de Zeus-Jupiter et père de Deucalion qui a engendré les nouveaux hommes après le déluge. Il est connu pour avoir dérobé le feu sacré de l’Olympe et pour l’avoir donné aux humains. Courroucé par cet acte déloyal, Zeus, avant de renoncer à ce châtiment, a condamné le coupable à être attaché à un rocher sur le mont Caucase, son foie dévoré par un aigle chaque jour, mais repoussant chaque nuit. Prométhée apparaît au VIIe siècle av. J.-C. dans la Théogonie d’Hésiode, puis au Ve siècle av. J.-C. dans Prométhée enchaîné, tragédie attribuée à Eschyle. Au mythe de Prométhée et d’Épiméthée se rattache celui de Pandore, belle jeune femme créée sur l’ordre de Zeus avec l’aide d’Athéna, et qui est devenue l’épouse d’Épiméthée. Pandore apportait dans ses bagages une boîte mystérieuse que le roi des dieux lui a interdit d’ouvrir, sachant qu’elle ne résisterait pas à la curiosité. De cette boîte à peine ouverte se sont échappés et se sont répandus dans le monde tous les maux qu’elle contenait. Dans le présent poème il est imaginé qu’à côté de la « boîte de Pandore » existait une « boîte d’Épiméthée », d’où celui-ci a sorti non pas les maux, mais les qualités à distribuer aux êtres vivants. Dans ce cas, où placer l’espérance? Le mythe la range dans la boîte des maux, parce qu’elle aiguillonne les désirs des humains à la poursuite de vains fantômes, mais peut-être faudrait-il la ranger plutôt dans la boîte des biens, comme le font par exemple la tradition chrétienne et les philosophes rationalistes européens tels que Descartes et Spinoza, parce qu’elle incite à ne pas se résigner mais à dépasser la tristesse pour tendre vers plus de joie.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : châtiments éternels

Il est dans les Enfers un lieu de privilèges
Où des tourments de choix sans rien qui les allège
Durent l’éternité pour ceux que le destin
Condamne à l’ombre épaisse au brouillard indistinct
Après qu’ils ont suivi jusqu’au bas de la pente
Le chemin qui dévale ou qui parfois serpente
Entre l’épine dure et le fruit vénéneux
Vers un lieu près du Styx aux miasmes charbonneux
C’est là que peine en vain le malheureux Sisyphe
Qui ne peut accomplir cet effort décisif
De hisser d’accrocher son rocher au sommet
Qu’il voudrait couronner sans réussir jamais
Le fardeau qu’il élève au moindre faux pas roule
Toute sa pesanteur en contrebas s’écroule
Camus nous dit d’imaginer Sisyphe heureux
Est-ce possible en ce séjour si ténébreux
Lorsque sans cesse échoue son rêve d’acropole
Un rêve dont les dieux gardent le monopole

Non loin Tantale expie le vol des mets divins
Le nectar délicieux plus goûteux que le vin
L’ambroisie surpassant toute autre nourriture
Boire et manger pour lui sont désormais torture
En plus d’avoir volé les aliments des dieux
Le coupable a convié les habitants des cieux
En servant au banquet bonne chère son fils
Qu’ils ont ressuscité car l’odieux sacrifice
Les a tous indignés avant d’autres méfaits
Commis par sa lignée coutumière en forfaits
Famille criminelle où la mort se débride
De Tantale est issu la race des Atrides
Mais revenons à lui rien ne peut étancher
Sa soif l’eau des Enfers est bonne à recracher
Quant aux branches de fruits qu’il trouve dans son bagne
Il voudrait les cueillir un souffle les éloigne

 

Sisyphe, fils d’Éole, est le fondateur mythique de Corinthe. C’est peut-être parce qu’il aurait construit un palais démesuré sur l’Acrocorinthe, que son châtiment dans l’au-delà a consisté à rouler sans cesse un rocher au sommet d’une montagne. En entendant Orphée, Sisyphe se serait assis un moment sur son rocher (Ovide, Les Métamorphoses, X, 44). Lorsque le dieu de la Mort, Thanatos, est venu le chercher, Sisyphe lui a montré l’une de ses inventions : des menottes, avec lesquels il l’a immobilisé. S’apercevant que plus personne ne mourait, Zeus-Jupiter a envoyé le dieu de la guerre délivrer Thanatos afin que celui-ci (ou Hermès-Mercure) emmène de force Sisyphe aux Enfers. Autre transgresseur célèbre, Tantale est à l’origine de la famille des Atrides. Pélops, fils de Tantale, a été tué par son père qui voulait offrir sa chair aux dieux dans un banquet. Ressuscité par Zeus, il a régné sur le Péloponnèse après avoir gagné contre le roi une course de char. Par la suite ses fils Atrée et Thyeste se sont disputé la royauté. Au festin de réconciliation, Atrée a servi les membres et la tête des enfants de son frère à l’exception d’Égisthe. Agamemnon et Ménélas, fils d’Atrée (les différentes versions ne sont pas unanimes sur cette filiation) ont régné l’un sur Mycènes, l’autre sur Sparte. Agamemnon était l’époux de Clytemnestre, Ménélas l’époux de la belle Hélène, sœur de Clytemnestre. Lorsqu’il s’est agi de récupérer Hélène enlevée par le troyen Paris (motif de la guerre de Troie), le devin Calchas a consulté l’oracle de la déesse Artémis-Diane : pour réussir il fallait immoler Iphigénie, fille d’Agamemnon et de Clytemnestre (voir l’Iphigénie de Racine). Agamemnon était d’accord, mais la déesse a remplacé Iphigénie par une biche. Clytemnestre, ayant concu une aversion profonde contre son époux, l’a tué au retour de la guerre de Troie avec l’aide d’Egisthe, fils de Thyeste. Elle a été tuée à son tour par ses propres enfants Electre et Oreste, qui voulaient venger leur père (voir Les Mouches de Sartre).

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : les enfants de Pasiphaé

 

Minos trouvait si beau le taureau que Neptune
Avait fait émerger comme bonne fortune
Des vagues de la mer si beau qu’il a voulu
Garder pour ses troupeaux l’animal né du flux
et reflux de l’écume à son seul bénéfice
Au lieu d’en faire au dieu le juste sacrifice

Neptune par colère a soufflé la passion
De ce taureau si blanc qu’il jetait des rayons
Dans le cœur de la reine épouse de Minos
Mais ce qui plus que tout donnait envie de noces
Contre nature à l’insensée Pasiphaé
C’est le sexe taurin désiré prohibé
dont le fantasme a engendré le minotaure
Etre d’un genre hybride ainsi que les centaures

Cet être à double forme à tête de taureau
Sur un corps de jeune homme il fallait un héros
Pour en débarrasser les Crétois et l’Attique
C’est l’exploit de Thésée d’après le mythe antique
Aidé par une sœur du monstre redouté
Demi-sœur toute humaine on ne peut en douter
Il a suivi le fil au fond du labyrinthe
Edifié par Dédale où l’on ressent la crainte
De rester prisonnier perpétuellement
Sans rencontrer de mur en pierre et en ciment
Mais grâce au fil d’Ariane et au bon horoscope
Thésée a pu tuer l’étrange tauranthrope
En ressortir vivant bien qu’il n’ait pas tenu
Sa promesse d’amour à la belle ingénue
Celle qui l’a aidé d’où les vers de Racine
Quand Phèdre a mieux compris son mal sans médecine
« Ari-ane ma sœur de quel amour blessée
Vous mourûtes au bord où vous fûtes laissée »

 

Pasiphaé, épouse du roi crétois Minos, a donné naissance à des enfants qui se sont laissé aller comme elle à des excès passionnels, en particulier ses filles Phèdre et Ariane, sans oublier le Minotaure lui-même, bête féroce plutôt qu’être humain, qui est ce qu’on pourrait appeler un « tauranthrope », né de l’union de Pasiphaé avec un taureau blanc. Phèdre est le personnage principal de la tragédie de Racine qui lui doit son titre, épouse de l’Athénien Thésée ayant tué le Minotaure dans le labyrinthe crétois construit par Dédale. Elle est devenue passionnément amoureuse d’Hippolyte fils de Thésée, ce qui a conduit finalement Phèdre et Hippolyte à la mort. Quant à Ariane sœur de Phèdre, elle avait aidé précédemment Thésée à se retrouver dans le labyrinthe, grâce à une pelote de fil qu’elle lui a donnée et qu’il a déroulée en y entrant avant de suivre le fil en sens inverse pour sortir. Après avoir accompli sa mission, Thésée, d’après la version la plus connue de cette légende, celle que Racine a retenue, s’est désintéressé de l’intelligente Ariane et l’a abandonnée sur un rivage où elle est morte de chagrin. De ce mythe qui met en exergue la passion féminine interdite et/ou malheureuse, la langue a retenu notamment le mot « dédale », nom propre devenu commun, et l’expression « fil d’Ariane ».

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Atalante et Hippomène

Ovide a raconté le mythe d’Atalante
Plus rapide en courant qu’une étoile filante
Elle se distinguait par ces deux qualités
Sa beauté remarquable et sa vélocité
L’une lui attirait des prétendants en foule
L’autre comme un tapis sous elle se déroule
Lui servait à gagner ses concours dont le prix
Etait pour le vaincu la mort et le mépris
Toujours elle battait l’adversaire à la course
On ne sait d’où ses pieds tiraient cette ressource

Hippomène est venu blâmer les concurrents
Les traiter d’insensés mais bientôt il comprend
Ce qui les fait courir il admire Atalante
Qui foule à pas ailés de manière insolente
Le sol obéissant plus belle qu’Athéna
Tandis que son corps blanc se teinte d’incarnat
Et que sur son épaule ondoient ses cheveux noirs
Flottant comme un drapeau de triomphe et de gloire
Elle pourrait voler sur l’eau sans la troubler
Courir sans les courber sur les épis de blé
Séduit par cette femme il ne touche plus terre
Il invoque Vénus déesse de Cythère
Avec les  mots du cœur la priant de l’aider
Car il a sur le champ mieux que tous décidé
De préférer l’amour plutôt que la victoire
La déesse l’écoute émue par cette histoire
Retarde la championne au point qu’elle est vaincue
Par ce bel Hippomène amoureux convaincu
D’Atalante à laquelle il brûle de s’unir
Amour fort jusqu’au jour où les dieux vont punir
En les changeant tous deux en lions de combat
Ces amants qui osaient abriter leurs ébats
Dans un temple isolé lieu sacré jusqu’alors
Hors d’atteinte gardé par la faune et la flore

 

Atalante, une sorte de Diane, ne voulait d’autre époux que celui qui la vaincrait à la course, mais elle était toujours la plus forte et tuait ou faisait tuer ses concurrents malheureux. Hippomène, ébloui par le spectacle qu’elle donnait en courant, tomba amoureux d’elle. Bien que conscient du risque qu’il prenait, il participa à la compétition, et grâce à la protection de Vénus, il réussit à dépasser la championne, en jetant, pendant la course, des pommes dorées qu’elle s’attardait à ramasser. La pomme était consacrée à Vénus. Celles dont la déesse s’est servie pour favoriser Hippomène provenaient d’un de ses sanctuaires à Chypre, ou du Jardin des Hespérides selon une autre tradition. Hippomène a donc obtenu Atalante. Mais les deux époux, ayant profané par leurs ébats amoureux un temple élevé à la mère des dieux, Cybèle, personnification de la nature sauvage, ont été changés en lions (Ovide, Les Métamorphoses, livre dixième). Atalante apparaît sur des vases grecs décorés de scènes mythologiques : une hydrie à figures noires façonnée et peinte vers 530 avant J.-C. (musée de Munich) ; un lécythe attique à fond blanc datant d’environ 500 avant J.-C. (musée de Cleveland)… Une statue hellénistique de l’héroïne poursuivie par Hippomène a fait l’objet d’une copie par le sculpteur français Pierre Lepautre au début du XVIIIe siècle (conservée dans la cour Marly au Musée du Louvre).

Dominique Thiébaut Lemaire

Charles Filiger (Thann 1863-Brest 1928), peintre du groupe de Pont-Aven, ami de Gauguin. Par Maryvonne Lemaire.

FILIGER, galerie Malingue, 26 avenue Matignon du 27 mars au 22 juin 2019.
Commissaire de l’exposition : André Cariou.

« Depuis près de vingt ans la programmation de la galerie Daniel Malingue oscille entre les innovations de la toute fin du XIX° siècle (groupe de Pont-Aven et Nabis) et les découvertes du surréalisme (…). ces deux pôles sont réunis grâce à la présentation d’un exceptionnel ensemble d’œuvres d’un artiste cher à André Breton, Charles Filiger. » C’est sur ces phrases que s’ouvre le  catalogue de l’exposition que Daniel et Eléonore Malingue consacrent à ce peintre mal connu du groupe de Pont-Aven, particulièrement apprécié par Paul Gauguin : «  Il a un art bien à lui et un art bien moderne », écrit-il à Octave Maus, en le recommandant pour le Salon des XX en 1890.  Près de soixante-dix œuvres ont été rassemblées, provenant des musées de Quimper, de Saint-Germain-en-Laye, d’Albi, de Brest, d’Indianapolis ainsi que du cercle passionné de ses collectionneurs.

Une rapide biographie de ce peintre permet de le situer dans son époque. Charles Filiger est né à Thann en Alsace le 28 novembre 1863, troisième enfant de Martin Villiger et de Justine Chicherio, qui se sont mariés à Thann le 14 octobre 1844. Martin Villiger (le V germanique se prononce F) était dessinateur à la fabrique de tissus imprimés Scheurer-Lauth de Thann. Le père de Martin, présent au mariage de son fils, est mentionné comme « artiste-vétérinaire » donc technicien d’art aussi. L’Alsace devenant allemande après la guerre de 1870, Martin Villiger et Justine Chicherio choisissent de rester français. Quant à Charles, il renonce à travailler à la fabrique après y être resté quelque temps et décide, en 1880, de suivre une école d’arts décoratifs, contre la volonté de son père. A l’Atelier Colarossi, à Paris, il se lie à quelques peintres dont Claude-Emile Schuffenecker et Paul-Emile Colin, qui lui fait connaître Paul Gauguin.

Charles Filiger (il a simplifié l’orthographe de son nom) attire l’attention du collectionneur Antoine de la Rochefoucauld. En 1888, il quitte Paris après une agression dont il est l’objet dans le milieu homosexuel. Il part en Bretagne et retrouve à la Pension Gloanec de Pont-Aven Emile Bernard, Gauguin, Meyer de Haan. C’est l’année où le groupe des Nabis se constitue. Charles Filiger reste en Bretagne jusqu’à sa mort en 1928. Il passe treize années au Pouldu, près de Pont-Aven, hébergé chez Marie Henry ; puis ce sont deux errances à travers la Bretagne en 1901/1904 et 1905/1910, suivies de différents séjours dans les environs de Pont-Aven. Sur la recommandation de l’abbé Guillerm, il est accueilli et hébergé dans la famille Le Guellec en 1913 à Trégunc puis à Plougastel-Daoulas de 1915 à 1928, année où il meurt après une intervention chirurgicale à Brest.

Ainsi à partir de l’incident parisien, Charles Filiger qui est pourtant un artiste reconnu de ses pairs et de ses contemporains (l’écrivain Rémy de Gourmont, le poète Jules Bois, le critique Albert Aurier), qui expose au Salon des XX, au Salon de la Rose+Croix,  fait le choix de se retirer  loin de « la Ville » dans un isolement et un mal de vivre entretenus par « ses méchants besoins » d’alcool et d’éther. Sa peinture, sa foi religieuse et sa vie tendent alors à se confondre dans une même recherche d’absolu.

Ce qui surprend quand on entre dans la galerie Malingue, c’est d’abord le format des tableaux : ce sont de petits tableaux. Le plus grand, que l’on trouve dans la troisième salle, est celui du « Cheval blanc de l’Apocalypse » (37,5 x 50,5 cm). Le travail  semblerait parfois celui d’un miniaturiste, non seulement par la perfection de la ligne mais aussi par le fini décoratif des motifs qui ornent le tableau et le cadre lui-même, hermines, calices, fleurs oiseaux…  Un vrai travail de bénédictin, de la part de celui qui disait : « Ma peinture est une prière » ! Peut-être que  cette inspiration décorative qui annonce certaines préoccupations de l’Art Nouveau est aussi mémoire des impressions de la fabrique de Thann. Le format en trapèze irrégulier de certains tableaux surprend aussi. Beaucoup de couleurs pures très vives et vibrantes, bleu profond, vert, orange, rehaussées parfois d’or et d’argent.  Quand on se rapproche des œuvres,  on se rend compte qu’il s’agit tout simplement de gouaches – parfois un peu d’aquarelle – sur papier ou carton. Et la vibration de ces couleurs est loin d’être rendue dans les reproductions  La pauvreté du peintre ne suffit pas à expliquer ce choix constant et particulièrement risqué pour la survie des tableaux.

La première salle d’exposition met en évidence une évolution de la peinture, du pointillisme des paysages d’Ile-de-France aux aplats du synthétisme de Pont-Aven. «La Sainte endormie », œuvre offerte à Gauguin par Filiger, « La Prière », oeuvre reproduite dans un article du critique Aurier dans l’article « Les Symbolistes », représentent de longues figures gracieuses évoquant, selon Antoine de La Rochefoucauld, « les lointaines beautés de nos chers primitifs ». Le rêve, la prière apparaissent comme  des moments de spiritualité,  de communication mystique, un apaisement des peines. Telle est aussi la marche : la « Marche du pauvre chemineau », un tableau aux couleurs vives, surtout vertes, ne peut manquer de nous faire penser aux longues et malheureuses errances du peintre dans les années 1900.

Pour son ami et mécène La Rochefoucauld, dont le portrait orne un mur de la galerie, « Tel qu’il était à ses débuts, le symbolisme est surtout représenté par Filiger qui n’a jamais quitté sa lande armoricaine où le symbolisme prit naissance » (mai 1903). Ruiner le réalisme et le positivisme, resacraliser l’art est un enjeu social pour les partisans du symbolisme mais, pour Filiger, il s’agit surtout d’une aventure spirituelle, personnelle et solitaire. « Vous êtes Gauguin et vous jouez avec la lumière, et moi, je suis Filiger et je peins avec l’absolu » écrit-il à celui qui a été un temps son maître. Malgré son isolement, Filiger est reconnu dans le milieu regroupant peintres de Pont-Aven, Nabis  et symbolistes. Il participe aux expositions  des XX à Bruxelles (1891), au Salon de la Rose+Croix à Paris, au Salon « Pour l’art » à Bruxelles (1992). Mais il s’isole de plus en plus, peignant les paysages du Pouldu, près de Pont-Aven, et des tableaux à sujet religieux, où les paysages figurant à l’arrière-plan sont quasiment tout le temps des paysages familiers. Filiger fait du quotidien une expérience mystique.

« Faut-il qu’il l’ait aimé pour le reproduire ainsi » écrit Filiger du jeune garçon ayant servi de modèle au peintre primitif italien Cimabue pour les anges de sa «  Maesta ». De la même façon, dans le «  Christ aux anges » et plus loin  dans « le Christ en buste entre deux anges et la vierge », les anges au visage grave, aux yeux comme absorbés dans leurs visions, se ressemblent tous. Qu’il s’agisse d’un autoportrait ou du portait d’un jeune modèle aimé, la répétition du même visage aux traits purs, celui que l’on retrouve dans le « Génie à la guirlande », participe de la simplification que recherchait Filiger dans sa peinture (La simplification de son nom, de Filliger à Filiger, pourrait s’expliquer de la même façon). Le « Saint Jean-Baptiste » atteint une harmonie remarquable entre  ligne et  couleur, inspiration religieuse et  inspiration décorative ; les sinuosités et les tons de l’étoffe recouvrant saint Jean-Baptiste s’intègrent naturellement à ceux du paysage. «  C’est le beau rêvé et presque inconcevable », écrit A. de la Rochefoucauld.

La seconde salle présente des œuvres d’une inspiration nouvelle, témoignant de « tout l’absolu qui se peut exprimer par la ligne et par la couleur ».

Ces oeuvres, que le peintre appelle « mes petits sujets », «  malgré leurs dimensions  /ont/ toute l’allure d’une fresque ou d’un vitrail très grand ». A propos de « Mosaïque » représentant l’impératrice Théodora de Ravenne, « tu pourras t’imaginer une mosaïque ou un projet de mosaïque » écrit-il à son frère Paul en 1907. Les couleurs vibrantes, les harmonies de couleurs (souvent bleu, vert, corail) sont plus « décoratives » et « plus poussées » que celles qu’il faisait « autrefois ». La mise en forme puise dans la tradition : mosaïque, icône, tiré sous verre comme dans les musées alsaciens. Le cadre lui-même est de plus en plus travaillé pour lui-même.

« Le Juif errant » (1910)  semble bien être, comme le pauvre chemineau de la première salle, une figure autobiographique de Filiger. Depuis 1901 A. de la Rochefoucauld a cessé de lui verser sa rente mensuelle ; une période d’errance à travers la Bretagne commence en 1905. Le peintre n’a plus de modèles, il trouve ses sujets dans  l’Ymagier de Jarry et Gourmont (C’est le cas du « Juif errant »), dans les images d’Epinal, les gargouilles et  les chapelles de la région.

La Croix est un motif récurrent : la composition du « Christ en croix »,  de la « Légende de la vie » et de la «  Légende de l’éternité », du «  Christ au brin de bruyère » s’organise autour d’une, voire deux croix : « Ma peinture ressemble à ma vie, comme elle,  elle est semée de croix » écrit-il à sa jeune nièce Anna, fille de son frère Paul. Le caractère autobiographique de l’inspiration apparaît dans son commentaire de la « Légende de la vie » : « La nature est un décor séduisant et superbe, mais le drame qui s’y joue est brutal et triste ».

Verkade, un peintre hollandais que Filiger a initié à la spiritualité catholique dès 1891 à Pont-Aven, découvre dans la congrégation de Beuron en Allemagne les expériences esthétiques des «  Saintes Mesures » du père Desiderius Lenz.  Les dernières œuvres de Filiger, rassemblées sous le nom de « Notations chromatiques », sont des variations répétées  de formes géométriques tracées « au compas et à la règle » et  d’harmonies de couleurs : « Portrait de Remy de Gourmont », « Adam et Eve », au charme particulier de non finito. Le motif central figuratif, madone, sainte, Christ, figure mi-homme mi-animal, se dissout  dans un cadre abstrait de plus en plus travaillé aux effets de kaléidoscope. Géométrie des formes, effets méthodiques de couleurs triomphent du coup de pinceau et du trait à main libre mais Filiger, ainsi que Sérusier, qui a traduit en 1905 « Les Saintes Mesures », reste au seuil de l’abstraction, au moment même où Kandinski  franchit le pas.

Deux œuvres ésotériques présentées dans cette salle, « Salomon I° roi de Bretagne » et « Architecture symboliste aux deux taureaux verts », ont été acquises en 1948 par André Breton, le fondateur du surréalisme, qui les accroche dans son bureau. Il sait reconnaître la beauté énigmatique du peintre et l’arrache à l’oubli. Nous pensons aux mots de Filiger, écrivant : «  Je flotte à la dérive, il y a longtemps déjà ; et j’appelle en vain le pilote dans ma solitude de malheur… J’ai tout fait pour atteindre l’extrême Rocher où nul ne viendra me chercher jamais… si ce n’est par miracle … »

Les dix-sept tableaux de la troisième salle sont peints de 1891 à 1895. Ils font écho à ceux de la première salle : trois  paysages bretons à la manière de l’école de Pont-Aven, vastes aplats sinueux, couleurs fortes, composition audacieuse et décentrée pour le « Paysage du Pouldu » à l’arbre tordu.csm_Filiger-Le-Pouldu_3476469919

Paysage du Pouldu (gouache sur papier vers 1892)
Musée des Beaux-Arts de Quimper

Quelques portraits : le «  Jeune Breton aux sabots », sans doute son modèle préféré, Joseph Pobla, rappelle le Saint Jean-Baptiste par la pose, la simplicité et la distinction de l’attitude, une famille de pêcheurs, de jeunes bretonnes ayant peut-être servi de modèles pour le «  Jugement dernier », «  L’homme nu assis devant un paysage ». Le paysage  en question est un paysage de « sa maudite petite patrie », « sa pauvre Bretagne, dont il emportera partout l’impérissable souvenir ».

Arbre tordu, plage du Pouldu, chapelle du Mordet, apparaissent, en arrière-plan de scènes religieuses toutes inspirées par la mort du Christ et la fin des temps : Mise au tombeau, Lamentations sur le Christ mort, Pietà, Déploration sur le corps du Christ. Le Christ au tombeau, par sa sérénité, fait penser à ces mots écrits à Schuffenecker :
«  Eternel dormir est le meilleur de ma vie. »

Mais c’est la Jérusalem céleste qui figure à l’arrière-plan du « Cheval blanc de L’Apocalypse ». Le blanc du cheval illumine le tableau, le format arrondi de tondo cher aux primitifs italiens donne une grande harmonie à ce qui apparaît comme une séparation et un adieu. Dans les deux panneaux du «  Jugement dernier », Damnés d’un côté,  Elus de l’autre,  ont souvent  même visage, ils ne se distinguent guère : évoquant Filiger et son violon, un jeune garçon joue de la mandoline, une jeune fille élue est en pleurs tandis qu’ un autre jeune garçon, damné, tient dans les mains un agneau, symbole d’innocence. La foi de Filiger n’est pas conformiste ni cléricale, c’est un mysticisme duquel sa peinture participe :« Une seule chose dont je ne puis me départir : mon art que j’accomplis comme une tâche forcée, imposée par un juste destin ; je demeure à la source où j’ai puisé la véritable vie. »

Maryvonne Lemaire

Lisez le livre très riche d’André Cariou  FILIGER correspondance et sources anciennes, aux éditions Locus Solus, 2019.

Billet : Notre-Dame de Paris en flammes

Dans les hauteurs du toit l’incendie faisait rage
Un diable de brasier brûlant ex cathedra
Comme un mauvais génie malfaisant jaune et rouge
Crachait vers le ciel sombre et fumait en courroux

Les couleurs mélangées devenaient de l’orange
Et les gens regardaient ce spectacle navrant
Le voyaient perdurer sans que rien ne l’abrège
Dans la charpente à nu la ci-devant « forêt »

Comment oublierait-on la flamme qui s’érige
Au-dessus du transept en substitut de flèche
Quand celle-ci s’effondre en un dernier vertige

A l’instant où le feu jusqu’à la moelle ronge
Cette structure en bois mangée par les flammèches
Qui tombe et troue la voûte au fond de la nef plonge

 

Entre le 15 et le 16 avril 2019 sont partis en fumée le toit de la cathédrale de Paris recouvert de tuiles de plomb et sa charpente du XIIIe siècle appelée « forêt » en raison du très grand nombre de ses poutres multiséculaires, un sinistre tel que le monument n’en avait pas connu en 850 ans d’existence. Dans le passé, plusieurs autres cathédrales ont dû être dotées de nouvelles charpentes : celle de Chartres avec des poutrelles en fonte remplaçant les poutres de châtaignier après l’incendie provoqué en 1836 par la négligence de deux ouvriers plombiers ; celle de Metz avec ses fermes en fer recouvertes de cuivre, construites après l’incendie de 1877 causé par un feu d’artifice tiré depuis le toit pour fêter une visite de l’empereur allemand ; celle de Reims avec ses poutres en béton armé en remplacement de la charpente de chêne incendiée lors d’un bombardement intentionnel de 25 obus allemands en 1914 ; celle de Nantes où le bois a été remplacé également par le béton après un gigantesque incendie dû à la manipulation d’un chalumeau par un couvreur en 1972… Quant à la flèche néogothique en mauvais état de Notre-Dame de Paris, grandement responsable de la catastrophe de 2019 (car l’incendie est probablement parti du chantier entrepris pour sa rénovation, et c’est la chute de cette flèche en feu qui a crevé les voûtes de l’édifice), un éditorial du journal Le Monde daté du vendredi 19 avril 2019 a eu le courage de dire qu’elle a été « rajoutée de façon intempestive au XIXe siècle par Viollet-le-Duc ». Dans l’ordre des responsabilités depuis deux cents ans, le début XXIe siècle n’est pas en reste, par son laisser-aller, sa présomption, son « je-m’en-foutisme » qui ont caractérisé la politique de sécurité et le piètre comportement de ceux qui ont laissé de multiples mégots au niveau de la charpente malgré l’interdiction de fumer. En ce sens, on peut dire que ce sont les vices du monde moderne qui ont failli détruire ce chef-d’œuvre témoin de l’histoire de France.

Dominique Thiébaut Lemaire.

Mythologie : Deucalion et Pyrrha

Le maître de l’Olympe affligé des humains
Décide de frapper sans attendre demain
Devant tous les méfaits commis par cette engeance
Il sent que la colère excite sa vengeance
Contre ceux qu’il voulait traiter en père aimant
Mais dont le cœur de fer a le mal pour aimant
Quand il voit Lycaon tenter le pire crime
Obsédé par l’idée qui sur toute autre prime
Celle d’assassiner les plus puissants des dieux
Pour montrer qu’ils ne sont que des mortels odieux

Jupiter en courroux d’abord lance la foudre
Et les biens du coupable en sont réduits en poudre
Après quoi Lycaon rageur comme un dément
Changé en animal pousse des hurlements
Qui l’éloignent de l’homme et séduisent les louves
Il ne peut plus calmer les passions qu’il éprouve
Il se noie pour finir dans la férocité
D’une eau qui engloutit campagnards et cités

Le déluge envoyé par le dieu de l’éther
Et son frère Neptune a lavé mer et terre
En pleurs dans ce grand vide il reste deux humains
Deucalion et Pyrrha qui sont cousins germains
Thémis leur dit alors voyant leur peine amère
« Jetez derrière vous les os de votre mère »
Ils sont longs à saisir que les os en question
Sont les cailloux à terre extraits des alluvions
Finissant par trouver le sens de cet oracle
Ils jettent derrière eux ces pierres qui miracle
Deviennent des humains qu’ils sèment en marchant
Comme font des semeurs en parcourant leur champ

 

Dans le livre premier de ses Métamorphoses, Ovide nous donne une version gréco-romaine du déluge, qui nettoie la terre des méchants tels que Lycaon assoiffé de carnage, homme tranformé en loup pour avoir fait bouillir et rôtir ses otages et pour avoir voulu tuer Zeus-Jupiter afin de montrer que les dieux sont mortels. Le déluge déclenché par le maître de l’Olympe contre les impies ne laisse subsister que deux humains vertueux, Deucalion fils de Prométhée et Pyrrha fille d’Epiméthée (lui-même frère de Prométhée). Ces deux survivants, dans la tenue des prêtres et des magiciens, tête voilée et ceinture détachée, repeuplent l’humanité, conformément à l’oracle sybillin de la déesse Thémis, en jetant derrière eux les os, c’est-à-dire les pierres, de leur grande mère, la terre. Ces pierres se métamorphosent les unes en hommes quand elles sont jetées par Deucalion et les autres en femmes quand elles sont jetées par Pyrrha. « Voilà pourquoi, conclut Ovide, nous sommes une race dure, à l’épreuve de la fatigue ; nous donnons nous-mêmes la preuve de notre origine première. »

Dominique Thiébaut Lemaire

 

 

 

Les Nabis et le décor. Par Annie Birga.

Exposition au Musée du Luxembourg (du 13 mars au 30 juin 2019)

C’est un vrai printemps nabi, puisque, en même temps que l’exposition du « Talisman » au Musée d’Orsay, voici que le Musée du Luxembourg présente « Les Nabis et le décor » . On passe ainsi du petit tableau initiateur que Sérusier exécuta sur les conseils de son aîné Gauguin aux grandes toiles destinées à décorer des intérieurs et aux objets d’arts appliqués. Mais c’est la même esthétique de liberté dans les formes et les couleurs qui est partagée par ces très jeunes gens désireux de se libérer des contraintes de l’académisme et de l’impressionnisme pour atteindre la poésie et le symbole.  Chacun a sa façon de peindre et sa nature propre, de sorte que l’exposition  n’a rien de la monotonie d’une école qui se répéterait.
Les Nabis mettent à l’honneur les arts dits « appliqués » qu’on  aurait tort de classer comme inférieurs puisqu’ils concourent à la beauté du quotidien. On découvre des tapisseries de Maillol, des boîtes à cigares de Ranson, des papiers peints du même Ranson et de Maurice Denis, des éventails, un paravent « aux colombes », toujours de Denis, des abat-jour de Valloton, des faïences de Vuillard, une série de vitraux opalescents exécutés selon la méthode nouvelle de Tiffany.  Toutes ces créations, ingénieuses et belles, ont eu non seulement un diffuseur, mais aussi un instigateur, le marchand-galeriste Siegfried Bing, qui les exposait et les vendait dans sa galerie intitulée La Maison de l’Art Nouveau. Il avait, dès ses débuts, contribué à faire connaître l’art des estampes japonaises qui devait avoir tant d’influence sur l’esthétique des peintres  de l’époque.

Le Japon, on le retrouve de suite dans le paravent démonté, devenu tableau, « Femmes au jardin », (1891), du « Nabi très japonard». Quatre silhouettes de femmes, élégantes dans leurs arabesques et leurs couleurs vives et hardies, peintes en aplats. A côté de ce prélude étincelant, voici, du même Bonnard,  quatre grandes toiles aux sujets champêtres. Beaucoup de verts différents, du rose, du jaune, des perspectives raccourcies. Dans ces prairies riantes apparaissent des petits enfants,  occupés à des jeux ou à des cueillettes de pommes rouges, des animaux de la ferme, des femmes d’apparence rustique  sauf l’une qui s’avance,  hiératique. Ces toiles furent conservées par Bonnard dans son atelier jusqu’à sa disparition, souvenirs de l’adolescence dans la maison familiale du Dauphiné. Bonnard, peintre de la mémoire ?

Vuillard, introduit par les frères Natanson dans le monde de la grande bourgeoisie bohême, se voit de suite commander des décors peints. Désormais ceux-ci se trouvent aux Musées d’Orsay et du Petit-Palais. Ils sont ici réunis, et, bonne surprise, complétés par les panneaux autrefois dispersés et qui proviennent de différents musées dans le monde et de collections particulières.  Il s’agit de trois séries : les «  Jardins publics » (1894), « L’album » (1895) et « Personnages dans un intérieur » (1896). On y retrouve les mêmes qualités : l’intelligence de la composition, le travail sur la matière peinte. On sait que Vuillard a recours à la technique de la détrempe, sorte de gouache, employée jusqu’à cette époque seulement pour les décors de théâtre, parce que non brillante. Que ce soit une évocation des jardins peuplés d’enfants et de nourrices, jouant ou devisant dans des allées ombreuses ou ensoleillées, que ce soit l’intérieur mystérieux et flou à l’image de Misia Natanson, aimée du peintre, que ce soit l’appartement complexe du Docteur Vaquez où voisinent bibliothèque, table de travail et salon de musique, habité d’apparitions  perdues dans le rêve, où se mêlent fleurs et tapis, on sent que le peintre est habité par son sujet  et qu’il y entraîne le regard. Gide dit que Vuillard « parle tout bas. »

Edouard Vuillard. Personnages dans un intérieur. L’intimité

0En 1893,  Ker-Xavier Roussel concourt pour une décoration de mairie ; son projet n’est pas retenu, mais on en a conservé les études préparatoires. Elles nous montrent un Ker-Xavier Roussel,qui, influencé par Puvis de Chavannes, peint des personnages hiératiques dans des jardins stylisés et géométriques. On est bien loin  du paganisme néo-baroque de la période suivante.
De Paul-Emile Ranson sont montrés six panneaux formant une frise, destinés  à la décoration de la salle à manger d’un appartement Art Nouveau, imaginé par Siegfried Bing dans sa galerie du même nom. Ranson a choisi un sujet rustique évoquant des femmes au travail, peintes dans des tons vifs d’orangé et de jaune.

Quant à  Maurice Denis, sa présence est en filigrane dans toute l’exposition. Il a été l’un des plus grands peintres décorateurs du dix-neuvième siècle. Il a revendiqué de faire une peinture « décorative », mais il n’est pas pour autant enfermé dans le formalisme. Bien au contraire, ses tableaux induisent le rêve et l’émotion. Il intitule « Sujet poétique » sa décoration pour une chambre de jeune fille  dans laquelle apparaissent des thèmes  qui lui seront chers, jeunes filles délicates, douces promenades, arbres, ciel changeant selon la saison, méandres des chemins. De la même inspiration sont les deux panneaux qui subsistent de la décoration de la chambre à coucher dans l’appartement de l’Art Nouveau. Puis, cette fois pour son appartement personnel, la chambre de Marthe,  Denis réalise, en camaïeu bleu,  une série de longs  panneaux horizontaux où il s’inspire du cycle de Schumann, « L’amour et la vie d’une femme ». L’un des panneaux plus évocateurs est celui de la « Broderie devant la mer », mouvements recommencés qui semblent arrêter le temps.
Ce goût profond pour la musique trouve à s’épanouir dans la commande de l’intendant de théâtre de Wiesbaden qui souhaite « un sujet religieux qui aurait, en même temps, rapport à la musique ». Denis peint alors « L’Eternel Eté ». Les tableaux ont disparu. Il en  subsiste une gouache préparatoire, très soignée,  de quatre panneaux, montés en paravent. Denis écrit dans sa conception spiritualiste de l’art : « J’exprime, je crois dans l’ensemble, que chaque âme manifeste le meilleur d’elle-même, sa musique intime ».  Vierges et anges, vêtus de blanc, jouent  des instruments de musique ou chantent ou dansent.  On discerne dans l’ordonnance du tableau,  daté de 1905, un classicisme qui s’est affirmé après le voyage de Denis à Rome et sa découverte in situ des tableaux de Raphaël. « La Légende de Saint-Hubert » (1897) laissait présager cette évolution. Sur la demande de Denys Cochin pour qui est réalisé l’ensemble peint, Denis a portraituré la famille Cochin, a suivi les chasses à courre, et a dessiné avec réalisme chiens et chevaux.  Mais il n’abandonne pas ses recherches nabies, et son mysticisme se manifeste dans le choix et le traitement du sujet, fantastique et religieux.

Les concepteurs de l’exposition font voisiner Denis et Sérusier sous le titre « Rites Sacrés ». Sérusier a réalisé un ensemble décoratif pour la maison de son ami le sculpteur Georges Lacombe. Il s’y mêle sa veine réaliste et son esprit mystique, l’observation de la terre celtique, eaux et forêts, paysans et paysannes aux pieds nus, et rêveries symbolistes de cortèges de fées ou de cérémonies druidiques  Sérusier qui reste un théoricien est influencé par les conceptions des « saintes mesures » élaborées dans le monastère de Beuron par le Père Desiderius Lenz auprès duquel il a séjourné.
D’autres peintres du groupe, Verkade, Filiger,  se réclamaient de cet enseignement ésotérique ; c’est dire la complexité et la richesse du mouvement des Nabis que cette exposition très belle et très bien conçue met en pleine lumière.

Annie Birga

Invitation à la présentation de deux livres

 

Les lecteurs de Libres Feuillets sont amicalement invités à la présentation de COLERE ET DOUCEUR (2019), recueil des poèmes écrits sur l’air du temps de janvier 2016 à janvier 2019. A cette présentation est jointe celle d’un livre de réflexions sur LES PASSIONS ET LA RAISON (2019), qui, sous une forme concise, apporte des éclaircissements et des compléments à PASSIONS ET RAISON AUJOURD’HUI A LA LUMIERE DE DESCARTES ET DE SPINOZA (2018).

Libres Feuillets

Invitation Dédicace Colére Passions 8 avril 19(2)

 

 

La chatte métamorphosée en femme

Un quidam excessif chérissait trop sa chatte
Qui était fort mignonne et belle et délicate
Et qui miaulait d’un ton si doux
Le pauvre en était presque fou
Comme ensorcelé par son charme
Cet homme donc par supplique et par larmes
Fait tant qu’il obtient du destin
Que cette chatte un beau matin
Devienne femme et le jour même
Désormais fou d’amour extrême
Plus question de douce amitié
Le sot la prend pour sa moitié
Trouvant à cette épouse nouvelle
Plus de charme qu’à la plus belle
Il la caresse elle le flatte
Elle est câline et mieux que chatte
Tandis que lui dans l’erreur jusqu’au bout
La croit femme en tout et partout
Tels sont les mots du fabuliste
Qui n’était pas un catéchiste
Mais les plaisirs de ces récents mariés
Sont vite contrariés
Par un bruit de petits rongeurs
Aussitôt pour chasser les grignoteurs
Qui réveillaient son instinct
Mal éteint
La femme d’un seul bond délaissant les caresses
Est  redevenue chasseresse
Avec d’autant plus de succès
Que nul ne la reconnaissait
Chez les trotte-menu n’ayant plus assez peur
De son aspect trompeur

 

Ce texte s’inspire d’une fable de La Fontaine (Livre II, 18) dont l’origine est un apologue d’Esope intitulé « La chatte et Aphrodite », où une jeune femme, amoureuse d’un jeune homme, demande à Aphrodite-Vénus d’être transformée en chatte pour être près de lui. La déesse exauce cette prière, mais elle met la belle à l’épreuve en lâchant une souris dans la chambre. Cette fable transformée par La Fontaine fait penser à une autre du fabuliste français, « La souris métamorphosée en fille » (Livre IX, fable 7), où la fille en question, laissée libre d’épouser le parti le plus avantageux, finit par donner sa préférence à un rat. Dans « La chatte métamorphosée en femme » et dans « La souris métamorphosée en fille », la morale selon laquelle le « naturel » est le plus fort se rapproche de celle qui conclut « Le loup et le renard » (Livre XII, fable 9) : « Que sert-il qu’on se contrefasse ? / Prétendre ainsi changer est une illusion : / L’on reprend sa première trace / A la première occasion » (vers 61-64).

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Narcisse et la nymphe Echo

« Enfin soupire-t-il au milieu des roseaux
Je me vois au miroir que me tendent les eaux
Mais pour désaltérer cette passion curieuse
Nymphes ne brouillez pas votre onde mystérieuse
Il ne faut pas mouvoir cet univers dormant
Votre sommeil importe à mon enchantement
Même si des secrets que je crains de savoir
Peuvent paraître ainsi dans le calme du soir
Nymphes de cet étang faites-moi voir mes yeux
Mon front tout mon visage en un reflet précieux
Faut-il qu’à peine aimés la nuit les obscurcisse
Et que la nuit déjà me cache ce Narcisse
Je le vois s’estomper dans un profond regret
Je me penche vers lui plus près de son secret
Sans jamais parvenir à embrasser ce double
Aussitôt disparu dès que l’onde se trouble »

Il aime ce reflet qui renvoie son image
Comme la nymphe Écho reproduit son langage
Et semble lui parler de plus loin que les sons
Répercute sa voix prolonge ses frissons
S’éloigne en ricochet sur le revers d’un songe
Avant de s’arrêter comme une pierre plonge
C’est l’écho redisant au jeune homme l’émoi
Qu’il exprime lui-même en s’approchant de soi
Si près qu’il tombe à l’eau dans un dernier je t’aime
Tandis qu’au bord on voit rustique chrysanthème
Fleurir une jonquille ornée d’un cœur safran
Ses pétales sont blancs couleur d’amour souffrant

 

L’histoire de Narcisse est rapportée dans les Métamorphoses du poète latin Ovide qui s’est inspiré d’auteurs grecs de l’époque alexandrine tels que le poète Parthenios de Nicée, auquel on attribue une version composée vers 50 avant J.-C., redécouverte dans des papyrus à Oxford en 2004. La nymphe Écho, « qui ne sait ni se taire quand on lui parle, ni parler la première », était amoureuse du beau Narcisse et voulait l’aborder avec des paroles caressantes, mais sa nature ne lui permettait pas de commencer. Elle sort de la forêt et veut l’embrasser. Narcisse fuit, et tout en fuyant : « Retire ces mains qui m’enlacent, lui dit-il ; plutôt mourir que de m’abandonner à toi ! » Elle ne répète que la fin de ces paroles : « M’abandonner à toi ! » Honteuse, elle se cache, mais tout le monde l’entend. Une autre nymphe, dédaignée elle aussi, prie la déesse Némésis, personnification de la vengeance : « Puisse-t-il aimer lui aussi, et ne jamais posséder l’objet de son amour ! » La déesse exauce cette prière,  et Narcisse se consume, épris de sa propre image qu’il ne peut embrasser. Même après sa mort, il se mire encore dans l’eau du Styx, le fleuve des Enfers (Ovide, Les Métamorphoses, livre III, vers 356 à 510). Le sujet de Narcisse a hanté Paul Valéry qui l’a abordé à plusieurs reprises, dans « Narcisse parle » (Album de vers anciens), dans « Fragments du Narcisse » (Charmes), puis dans « Cantate du Narcisse ». Le poème ci-dessus s’inspire en partie des « fragments » de Charmes.

Dominique Thiébaut Lemaire

La poésie d’Osama Khalil dans « Figures de l’étreinte romantique ».

Textes et images, le recueil intitulé Figures de l’étreinte romantique, qualifié par Osama Khalil de « Textament » (texte-amant plutôt que testament ?),  nous donne de bons et beaux exemples de cette poésie.

Celle-ci est d’abord langage, en arabe et en français. A son premier niveau, elle est jeu de mots. L’un des sous-titres du recueil s’intitule « Du coq au loup », ce qui fait penser au goût de l’auteur pour les coq-à-l’âne et les calembours, un goût qui, dans la vie courante, l’incite à répondre par plaisanterie « à trois mains » quand on le quitte en lui disant « à demain ». C’est de la même manière qu’il écrit en deux mots « main-tenant», y faisant apparaître l’image de la main tendue et tenue comme un lien entre les êtres humains. En arabe, l’un des principaux jeux de mots, déjà présent dans un précédent recueil, Mes lettres à Elle, porte sur « El », c’est-à-dire Dieu, ce qui nous évoque simultanément l’amour de la femme.

Cette poésie qui s’affirme en premier lieu comme langage est aussi conscience de l’origine. Né en Egypte, Osama Khalil se souvient, comme dans une réminiscence, du glorieux et profond passé de son pays, où domine à ses yeux la figure d’Isis, retrouvée chez les auteurs et artistes des pays de langue allemande au temps du romantisme. Les liens entre ces pays et le culte de la déesse sont mis en évidence. Mozart et les écrivains de la même époque se réfèrent à elle, et Kant lui-même cite cette inscription du temple d’Isis : « Aucun mortel n’a levé mon voile. » D’où l’importance du voile et de ses plis dans les images féminines accompagnant le texte d’Osama Khalil. Ajoutons que, dans un passé plus lointain que le romantisme, une partie des Germains offrait des sacrifices à Isis, d’après l’historien latin Tacite (La Germanie, IX).

Cette poésie est sans doute avant tout célébration de l’amour incarné par la déesse. L’étreinte y apparaît dans son sens physique mais aussi sous une forme spirituelle. Du point de vue philosophique, la principale question posée est celle de l’union, de l’étreinte, entre la matière et l’esprit. Osama Khalil emploie l’expression de « tiers inclus» pour récuser le principe du tiers exclu qui conduit au dualisme séparant l’âme et le corps. Il situe le «tiers inclus » dans un monde quasiment mystique où l’âme et le corps ne sont plus dissociables. On y sent l’espoir, incertain mais merveilleux, que l’amour pourra vaincre la mort.

Dominique Thiébaut Lemaire

***

J’ai aimé la préface de Gianfranco Stroppini de Focara et je partage ce qu’elle dit sur «les énigmatiques accents de paraboles…. », « la fleur bleue d’un imaginaire romantique…»

Ce qui m’a plu, c’est le jeu des quatre « collages », de quatre figures de l’étreinte, présentant des points de vue différents sur une même quête, la recherche du Un dans le multiple ou dans la dualité :
– D’un coup de fil amoureux à l’odyssée dans le romantisme allemand de l’étreinte,
– Ce que représente la voyelle « a » brodée par la voix d’Om Kalthoum par rapport à la racine consonantique du verbe aimer arabe WSL,
– le scribe, le potier du verbe, entre petit homme et Grand Anthropos, tentant de reconstruire la Tour de Babel effondrée.
– Enfin un tissage entre des poèmes inspirés par l’antiquité, biblique ou égyptienne, et des poèmes d’un lyrisme plus personnel.
Le syncrétisme de l’espace et du temps imaginaires (passant du voile d’Isis à l’Immaculée Conception du culte de Marie, du romantisme allemand aux avancées scientifiques sur le tiers inclus) pourrait donner le vertige si nous n’étions pas embarqués dans la barque du scribe, partageant ses belles images (les graines d’amour apportées de loin par les oiseaux), ses néologismes (l’hybrisse et le pathématique), son humour et ses calembours : le Vesoul de Jacques Brel comparé à Ninive, le coup de dé / le coup d’idée.
Le « multiple » du texte en prose, du poème, du tableau, de la photo, de la couleur, du noir et blanc, de la graphie arabe et française résonne avec le textament lui-même.

Maryvonne Lemaire

Mythologie : Philémon et Baucis

Ni l’or ni la grandeur ne peuvent rendre heureux
Ce sont des biens pervers n’accordant à nos vœux
Que du contentement fugace et peu tranquille
Que du souci creusant dans le cœur son asile

On voit chez les humains que le luxe environne
La fortune qui vend ce qu’on croit qu’elle donne
Mais sous son toit sans peur sans destinée funeste
Le sage vit paisible et dédaigne le reste

Philémon et Baucis nous en donnent l’exemple
Au point que leur cabane est transformée en temple
Après qu’ils ont offert le cristal d’une source
A Zeus et à Hermès altérés de leur course

Chercheurs incognito d’une hospitalité
Frugale et cependant de belle qualité
Ces hôtes n’ont réduit ni le pain dans la huche
Ni la boisson non plus contenue dans la cruche

Les époux sont témoins du miracle évident
De l’eau bien que versée jamais ne se vidant
Ils prient les dieux puissants de confier leur autel
A leurs soins de vieux couple aimé des immortels

Au moment de leur mort qu’ils ont sentie prochaine
Pour vivre encore unis Philémon devient chêne
Baucis devient tilleul elle lui tend les bras
Il veut tendre les siens mais il ne le peut pas

Ils voudraient se parler mais ils n’ont plus de voix
Leur corps n’est bientôt plus que feuillage et que bois
Leur parole est trop faible inaudible sans force
Leur bouche s’est fermée dans un nœud de l’écorce

 

Cette légende nous est connue par Les métamorphoses d’Ovide (Livre VIII, vers 615 à 724). Elle raconte qu’il y a dans les collines de Phrygie, à côté d’un tilleul, un chêne entouré d’un petit mur. Jupiter (Zeus) y est venu sous les traits d’un mortel, avec son fils Hermès (Mercure). Ils se sont présentés dans mille maisons, demandant un endroit où se reposer. Dans mille maisons les habitants ont fermé les verrous. Une seule les a accueillis, celle des vieux Philémon et Baucis, qui ont émis le vœu de devenir les prêtres de ce lieu, cabane transformée en temple, et de ne pas être séparés par la mort. C’est ainsi qu’ils sont devenus arbres l’un à côté de l’autre. Le poème s’inspire de la fable que La Fontaine a consacrée à ce sujet (Livre XII, fable 22).

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Orphée et d’Eurydice

Le mythique poète en quête d’Eurydice
A l’entrée des Enfers avec ses mélodies
S’est joué de Cerbère et de manière douce
A dompté l’animal un chien qu’on amadoue

Aède il a montré du cœur et de l’audace
L’amour lui a donné la force d’un soldat
Peut-être a-t-il manqué d’un surcroît de prudence
D’un surplus de patience il était trop ardent

Avec une passion moins proche du pathos
Il aurait pu ravir sa femme à Thanatos
Dans l’ombre où il était pour elle descendu

De même un très beau vers qui nous prend de vitesse
Le temps de le saisir en songe avec prestesse
Disparaît dans la nuit tel un fruit défendu

 

Orphée, poète et musicien, fils de la muse Calliope, aurait inventé la cithare et reçu d’Apollon la lyre à sept cordes qu’il a portée à neuf cordes pour atteindre le nombre des Muses. Son chant charmait les dieux et les mortels, apprivoisait les bêtes sauvages, parvenait même à émouvoir les êtres inanimés. Descendu aux Enfers pour chercher Eurydice, mortellement mordue par un serpent, il a obtenu de la divinité infernale, Hadès en grec, Pluton en latin, le retour à la vie de son épouse disparue, à la condition qu’il sortirait des Enfers devant elle, sans se retourner, et ne la regarderait pas avant d’avoir franchi le seuil de la lumière. Ayant oublié cette condition au moment de regagner le monde des vivants, il a perdu Eurydice pour toujours. Inconsolable, il a été tué par les Bacchantes, furieuses de cet amour exclusif. Aujourd’hui encore, les poètes croient pouvoir sauver la beauté perdue dans ce royaume des ombres qu’est le songe et la rattraper tandis qu’elle miroite à la frontière de la lumière, mais elle échappe bien souvent à ce désir.

Dominique Thiébaut Lemaire

Le peintre Fernand Khnopff (1858-1921) : exposition au Musée du Petit-Palais. Par Annie Birga.

 

FERNAND KHNOPFF Le Maître de l’Enigme
Exposition au Musée du Petit-Palais du 11 Décembre 2018 au 17 Mars 2019

Le Musée du Petit-Palais présente une passionnante exposition  consacrée au peintre belge Fernand Khnopff, figure marquante du Symbolisme européen.

L’Art ou Des caresses, huile sur toile (1896)0

Dès la première salle le visiteur est invité à pénétrer dans l’univers secret du peintre, une maison-atelier que des plans, une maquette, des photographies permettent d’imaginer. Blanche et élégante, elle est inspirée par les architectures de la Sécession viennoise. Construite dans un beau quartier de Bruxelles entre 1900 et 1902, elle sera malheureusement détruite en 1938 pour laisser place à un immeuble de six étages. Le pignon en est surmonté d’une statue d’Aphrodite. Sur le fronton de la porte se lit l’inscription « Passé-Futur ». Un parcours initiatique conduit à ce point central de l’atelier, où s’inscrivent trois cercles d’or, le plus large étant celui réservé à l’acte même de création. Cette théâtralité est voulue par un égotiste, soucieux de son image et pénétré du caractère quasi sacré de l’inspiration artistique. « On n’a que soi », telle est sa devise.

La présentation générale de l’exposition tente de restituer avec bonheur cette atmosphère raffinée : on y découvre, comme dans la maison de Khnopff, des diffuseurs de parfums et, pour la synesthésie, des émetteurs de musique et poésie symbolistes. Les œuvres sont rassemblées à la fois selon leur thématique et leur chronologie. Dans le parcours on aura témoignage de la curiosité intellectuelle du peintre et de son rayonnement ; on trouvera deux tableaux de Préraphaélites, Burne-Jones et Rossetti, car Khnopff se lia avec ce mouvement novateur, d’esprit littéraire ; des dessins de Klimt, car il participa aux deux Sécessions, munichoise et viennoise ; des illustrations de livres de poésies ou des frontispices qui rappellent qu’il fut un ami proche de Verhaeren, de Rodenbach, de Maeterlinck, fervent admirateur aussi de Mallarmé, amateur des musiques nouvelles de Wagner et de Debussy pour les opéras desquels il créa des décors et des costumes.

Les paysages du peintre sont inspirés par Fosset, petite localité des Ardennes belges où il passe l’été avec sa famille. Un pont romain à trois arches, une étroite rivière, quelques simples maisons, des champs, des groupes d’arbres, autant d’humbles éléments rendus par des couleurs sourdes et une peinture légère à glacis. Une forêt de « vivants piliers » et une clairière. Rarement des figures, ou alors comme figées.

Les portraits sont nombreux, car ils correspondent à des commandes de la grande bourgeoisie. Les enfants sont déjà de petits hommes ou de petites femmes, bien vêtus, énigmatiques. Les jeunes filles ou jeunes femmes sont gantées et lointaines. C’est très bien peint. Mais le chef-d’œuvre demeure le « Portrait de Marguerite Khnopff » (1887). Sa sœur, photographiée à de nombreuses reprises, fut son modèle d’élection. Là, elle pose, devant les verticales d’une porte mettant en relief la silhouette fine de la jeune fille qui semble sur la réserve, comme retranchée dans son monde intérieur. Le raffinement des tons blanc, beige, gris évoque Whistler.

Le célèbre pastel « Memories » (1891) ne pouvait être transporté de par sa fragilité. Mais il est montré par une projection géante. Il s’agit d’une frise panoramique, une sorte de cortège de sept jeunes filles en costume de ville, chacune sauf une tenant une raquette. Le modèle unique et répété en est Marguerite. L’horizon est bas. Les couleurs sont estompées et harmonieuses. L’impression est énigmatique. Khnopff se plaisait à citer Paul Bourget : « Qui dira le signe qui vous distingue, ô souvenirs de la vie vécue, ô mirages de la vie rêvée ? »

Les commissaires de l’exposition ont intitulé la séquence suivante « Sous le signe d’Hypnos ». Il s’agit d’une petite tête du dieu du sommeil que Khnopff a vue au British Museum, amputée d’une aile, attribuée à Scopas, mais trouvée en terre étrusque. Il en a fait mouler un plâtre exposé chez lui sur une sorte d’autel votif, il a coloré de bleu l’aile restante et il l’introduit dans ses compositions souvent accompagnée d’un voile bleu, couleur de l’idéal. Le sommeil induit le rêve. Certaines toiles de cette dernière décennie du siècle ont une forte puissance onirique. On retrouve l’image d’Hypnos dans un tableau inspiré d’un poème de Christina Rossetti, sœur du peintre, « I lock my door upon myself » (1891). Trois fleurs orangées rythment la largeur de la toile ; ce sont des hémérocalles, étymologiquement beautés d’un jour. Un tableau dans le tableau évoque une cour cernée de hautes maisons où passe une silhouette noire.  La jeune femme qui dit « je » se penche mélancoliquement sur ce qui pourrait être un piano.  Elle semble penser – c’est le titre d’un dessin qui reprend son visage – : «  Who shall deliver me ? ». Il est un tableau tout aussi fascinant et intriguant : « L’art » ou « Des caresses » (1895) ; il y a hésitation du peintre sur le titre à choisir. On reste interdit entre la référence au roman de Balzac « Une passion dans le désert » et le fond de la toile, paysage sec et ocre, peut y faire référence. «  L’art » ? Le sceptre brandi par Œdipe serait un possible appui-main et Œdipe lui-même, le peintre, figure androgyne et jumelle de la sœur devenue sphinge. «  Des caresses » ? L’union tendre de la femme animale et de l’homme, apeuré mais qui garde les yeux ouverts .Cette contradiction apparente de douceur et de violence, on la retrouve dans deux sculptures ; en 1893  Khnopff réalise un plâtre polychromé, intitulé « Futur ou Masque de jeune femme anglaise », tête délicate, couronnée de lauriers, et, quelques années plus tard, il retrouve  l’image qui lui est familière de Méduse incarnée cette fois dans un bronze de facture baroque, une Méduse, entourée de serpents, et qui crie.

Si Khnopff a fait réaliser un nombre restreint de sculptures, il se révèle autant dessinateur que peintre.  Pastels, fusains, crayons de couleur, parfois photographies retouchées – il recourt à un photographe d’art, Alexandre, dont il inclut la signature dans ses dessins. Il exécute ainsi de savantes variations sur ses thèmes habituels, la femme y tenant une place essentielle. Le papier choisi, granuleux, accroche le crayon et confère un aspect diffus au dessin, comme brumeux.

Dans un questionnaire de 1891, Khnopff revendique de « se taire et agir en conséquence ». On en sait très peu sur sa vie affective. A travers son œuvre, on découvre que, le temps avançant,  la femme est plus souvent peinte ou dessinée dans sa nudité, bien que l’image de la femme guerrière ou voilée continue d’apparaître. Un triptyque groupe « L’isolement », portrait de la sœur brandissant un glaive avec à ses pieds une boule de cristal qui renferme l’image du tableau « I lock… », à sa gauche, une image voluptueuse, baptisée Acrasie, à sa droite, l’image de la chasteté,  personnifiée par Britomart, héroïne de légendes anglaises, et revêtue d’une armure. Alternances de rêveries ? Interdits ?

La dernière salle de l’exposition nous ramène au paysage, mais au paysage urbain, autant rêvé que vu. En effet en 1892  Georges Rodenbach demande au dessinateur un frontispice destiné à illustrer son roman « Bruges-la-morte ». Or Khnopff avait vécu à Bruges ses six premières années, mais il disait n’y être jamais retourné pour en préserver le souvenir intact. Le livre étant accompagné de photographies, il reprend celles-ci et les métamorphose en pastels noirs de petite taille, rehaussés de craie. Il retrouve les images d’une ville ancienne de l’époque de Memling, que la modernité n’avait pas touchée. Il en évoque les maisons gothiques qui se mirent dans les canaux. Il dessine l’intérieur de la cathédrale Notre-Dame et l’entrée du Béguinage. Ces dessins datent de 1902-1904, tant leur thème est récurrent. Il faut dire que l’homme est demeuré fidèle à la foi de son enfance, même s’il a cédé aux charmes de l’ésotérisme peu orthodoxe des Salons de la Rose-Croix, organisés par Joséphin Péladan.

Il convient, quand on évoque ce grand artiste, de citer son meilleur critique, Emile Verhaeren, qui écrivait dans un numéro de la revue L’Art moderne (1886) :
« Sa patiente construction le détachait chaque jour de la contingence et du fait…Il fallait tendre le plus possible vers le définitif qui est un fruit de réflexion ardente et de volonté supérieure. »

 

Annie Birga

 

 

Billet : colère et douceur (II)

Les casseurs de la rue grâce à de bons collyres
S’avancent dans les gaz prolongent leur chienlit
Les maîtres des bureaux parcourent les couloirs
Pour mettre sous tension pour imposer leur loi

C’est un monde agressif où le peuple est colère
Je l’aimerais plus beau sans ire ni pamphlets
Le  tableau n’est pas lisse on y voit des coulures
Ce n’est pas du courroux que viendra le salut

Le libretto réglant nos ballets indécis
Où les esprits chauffés sont de piètres danseurs
A des angles trop vifs manquant d’arrondissure

Chacun dans son chemin qui monte ou qui descend
Croit sur son dos porter le chiffre d’un dossard
Mais bien des concurrents voudraient de la douceur

 

Thomas d’Aquin, à la suite d’Aristote, considère que « toutes les causes de la colère se ramènent au mépris […] On se trouve moins lésé quand le dommage subi a une autre cause que le mépris » (Somme théologique, question 47, 2). Cette considération éclaire notre actualité coincée entre la colère des dirigés et le mépris vertical exprimé contre eux par certains dirigeants. Thomas d’Aquin se réfère aussi à l’Éthique à Nicomaque d’Aristote pour appeler « vifs ceux qui s’emportent soudain, amers ceux qui gardent longtemps leur colère, implacables ceux que seule la vengeance peut apaiser » (Somme théologique, question 46, 8). Descartes, quant à lui, distingue deux espèces de colère, l’une, plus extérieure et plus prompte, qui fait rougir, et l’autre, plus intérieure et plus durable, donc plus dangereuse, qui fait pâlir, dont la force est augmentée peu à peu par le désir de se venger. Cette seconde espèce de colère est en particulier celle des orgueilleux, « car les injures paraissent d’autant plus grandes que l’orgueil fait qu’on s’estime davantage » (Descartes, Les Passions de l’âme, article 202). Il faut traverser la colère pour accéder à la douceur, de même qu’il faut avoir peur pour être vraiment courageux, et connaître le pouvoir de mentir pour donner tout son sens à la sincérité. Ce sont des paradoxes de la vertu, mis en évidence par Jankélévitch dans son Traité des vertus, I, Le sérieux de l’intention, mais aussi, bien avant lui, par La Rochefoucauld : « Nul ne mérite d’être loué de bonté, s’il n’a pas la force d’être méchant », et : « Il n’y a que les personnes qui ont de la fermeté qui puissent avoir une véritable douceur » (maximes 237 et 479).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : colère et douceur

Nous voudrions du calme en ce monde de brutes
Où règnent l’esprit dur la violence membrue
Pour atteindre un refuge où la douceur s’abrite
Il faut sur notre route écarter les débris

Nous rêvons de pensées qui soient moins encombrantes
Portées par des espoirs plus légers moins vibrants
Nous voudrions du calme en ce monde de brutes
Où règnent l’esprit dur la violence membrue

Douceur fait souvent mieux que force qui se cabre
Encore que parfois les gens inquiets dans l’ombre
Aient le besoin de se remettre en équilibre
En faisant éclater la colère salubre
Au cœur de leurs désirs en ce monde de brutes

 

Maryvonne m’a suggéré d’écrire un poème sur la douceur. Ce n’est pas un sujet négligeable. Aristote oppose la douceur à la colère et en fait une vertu. « Etre doux veut dire en effet rester imperturbable, et ne pas se laisser emporter par son affect(ion), mais comme le prescrirait la raison, manifester sa mauvaise humeur pour les motifs et pour le temps qu’il faut […] La douceur cependant passe pour une faute qui va plutôt dans le sens du défaut […] En effet, ceux qui ne s’irritent pas pour les motifs qu’il faut passent pour des sots […] Car on donne alors l’impression d’être insensible ou de ne pas être peiné, et faute de manifester sa colère, on donne le sentiment de n’être pas capable de se défendre. Or accepter d’être traîné dans la boue ou détourner les yeux quand ses intimes le sont semblent des attitudes serviles » (Éthique à Nicomaque, IV, 1125 b 25 – 1126 a 10). Dans les évangiles, la douceur fait partie des béatitudes : « Heureux les doux, ils auront la terre en partage », dit Jésus dans le discours sur la montagne (Matthieu, 5, 5-2). « Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur », dit-il encore (Matthieu 11, 29). La douceur est liée à l’humilité, mais cette dernière n’est pas toujours vertueuse, si l’on en croit Descartes. Cela dit, plutôt que d’invoquer la philosophie et la spiritualité pour parler de ce sujet, on pourrait se contenter d’adopter le ton familier d’un proverbe cité par le dictionnaire de Littré : « On prend plus de mouches avec du miel qu’avec du vinaigre. »

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : veille de nouvel an

L’année s’estompe à la fin de décembre
En un jour gris mais sans souffle glaçant
Elle s’en va dans le noir elle sombre
Il est trop tôt pour en tirer leçon

Dans la semaine a brillé comme l’ambre
Un soleil pâle avec des rayons lents
L’année s’estompe à la fin de décembre
En un jour gris mais sans souffle glaçant

On ne sait pas s’il faut garder la chambre
Ou s’élargir en se donnant du champ
Ce qui est sûr c’est que dans la nuit sombre
Où l’avenir est malgré tout chanson
L’année s’estompe à la fin de décembre

 

 

Les souhaits et les vœux sont des désirs de voir un évènement s’accomplir. Selon qu’il y a beaucoup ou peu d’apparence qu’on obtienne ce qu’on désire, ce qui nous fait penser qu’il y en a beaucoup excite en nous l’espérance, et ce qui nous fait penser qu’il y en a peu excite en nous la crainte. L’espérance est une disposition de l’âme à se persuader que ce qu’elle désire adviendra, disposition causée par un mouvement de la joie et du désir mêlés ensemble, et la crainte est une autre passion de l’âme, qui tend à la persuader que ce qu’elle désire n’adviendra pas. Bien que ces deux passions soient contraires, on peut néanmoins les avoir toutes deux ensemble, lorsqu’on se représente en même temps diverses raisons, dont les unes font juger que l’accomplissement du désir est facile, tandis que les autres le font paraître difficile. Ainsi parlait René Descartes, je m’en souviens en cette veille de nouvel an.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : premières lectures, dent de lait, chagrin de Noël

Dans ses livres d’enfant où le vocabulaire
A l’image est couplée l’exercice lui plaît
A cinq ans et demi Sacha se met à lire
Comme pour un début de bibliophilie

Il nous dit sa fierté quand sa maman déclare
« Je suis impressionnée » ou quand un chocolat
Lui enlève une dent (de lait) nous fait conclure
Que sa première enfance est bientôt révolue

La boule du sapin – il en a le cœur lourd –
Sur laquelle est inscrit son nom de petit loup
S’est cassée en tombant malgré son soin jaloux
On croit le consoler mais le chagrin redouble

A quelque chose est bon cet enfantin malheur
Qui rend un bref instant ton regard ténébreux
Ne cherche pas Sacha le secret d’être heureux
Dans les objets de rien dont notre esprit se meuble

 

En tant qu’adulte ayant dépassé depuis longtemps l’âge de raison, je crois avoir raison de dire à Sacha : « Ne cherche pas le bonheur dans des objets de rien, et ne te crois pas malheureux s’ils te manquent ». Mais sa Mamie me dit à juste titre que j’ai tort, et que je devrais le savoir en tant qu’ancien enfant, car le charme et la magie du jeune âge  consistent dans les petits malheurs et dans les petits bonheurs causés par ces riens. Une autre magie est d’apprendre à lire et à écrire, et de faire des progrès en grandissant, même s’il faut accepter pour cela de perdre ses premières dents et de s’éloigner peu à peu de la première enfance.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les gilets jaunes

Canons d’eau sous pression grenades fumigènes
Sur les Champs Élysées c’est le premier sujet
D’une actualité qui a pour origine
Le prix des carburants la coûteuse énergie

Il faut y ajouter les gaz lacrymogènes
Les flash-balls dont mieux vaut éviter le trajet
Les groupes de casseurs comme des djinns en jean
Courant dans un brouillard de folle tabagie

Honnêtes provinciaux flanqués d’affreux jojos
C’est le mélange habituel des gilets jaunes
Qui viennent à Paris les samedis dès l’aube

Beaucoup pour qui l’auto demeure un grand enjeu
Voient dans la Société unissant vieux et jeunes
Une autre dimension d’« automobile club »

 

Tous les automobilistes doivent avoir dans leur voiture un gilet jaune fluorescent, imposé par l’Etat depuis 2008, à endosser notamment en cas d’urgence ou de détresse pour être bien visibles, par exemple en cas d’arrêt sur le bord d’une route ou d’une autoroute. A partir d’un mot d’ordre lancé fin octobre 2018, ce vêtement est devenu en quelques semaines un symbole de ralliement incarnant d’abord la contestation des automobilistes contre le prix du carburant, contre la vie chère en général, et par extension contre les injustices sociales et le manque de démocratie directe. Manifestations, blocages, violences parfois : on a retrouvé partout en France (en particulier sur les ronds-points ou carrefours giratoires qui seraient 50 000 aujourd’hui dans notre pays, un record du monde) les porteurs de ce fameux gilet, qui permet d’être à la fois très visible et de rassembler des gens très différents. En le choisissant comme emblème, le mouvement a aussi changé le sens que l’on donne à ce vêtement. Initialement imposé, devenu un symbole de révolte un demi-siècle après mai 1968.

Dominique Thiébaut Lemaire

La gravure en clair-obscur. Par Annie Birga.

LA GRAVURE EN CLAIR-OBSCUR (CRANACH, RAPHAËL, RUBENS…)
Exposition au musée du Louvre du 18 octobre 2018 au 14 janvier 2019.

Le Département des Arts Graphiques du Musée du Louvre dispose désormais d’une salle de médiation (aile Sully), où sont projetés des films d’art et montrés les matériaux et instruments nécessaires à l’élaboration des œuvres, dans le cas de la gravure sur bois en couleurs, les papiers, les gouges et les encres. Ce type de gravure nécessite en effet une explication pour le néophyte. Elle est obtenue par le passage sous presse de plusieurs planches, l’une appelée « de trait », l’autre (ou les autres, car on peut en dénombrer jusqu’à quatre) « de teinte ». Il arrive parfois que le graveur n’utilise pas de planche de trait et recoure seulement aux planches de teinte. La superposition des planches aboutit à une image en couleurs, moins abstraite que le noir et le blanc, souvent proche du lavis et même de la peinture à l’huile par le modelé des formes et par les jeux d’ombre et de lumière. Certains peintres gravent eux-mêmes à partir de leur dessin, mais en général ils confient celui-ci à un artisan graveur. Les curateurs de l’exposition mettent l’accent sur cette collaboration et sortent ainsi de l’ombre des graveurs dont chacun a sa manière de travailler et sa personnalité.

De 1510 à 1650 s’épanouit le siècle d’or de la gravure en clair-obscur, nommée chiaroscuro par les Italiens et camaïeu par les Français. Inventée en Allemagne, elle passe successivement en Italie, dans les Pays-Bas et en France. Les premières gravures de ce type sont signées Cranach l’Ancien, Hans Burgkmair, Hans Wechtlin, Hans Baldung Grien. Elles évoquent le monde germanique, ses forêts profondes, ses châteaux gothiques, ses chevaliers. Elles sont toutes merveilleusement élaborées. Une même image peut être tirée en teintes diverses et acquérir de ce fait une autre atmosphère : la version des « Sorcières » de Baldung Grien est différente selon qu’elle est imprimée en orange ou dans un gris sombre.

Hans Baldung Grien : Sorcières

SorcièresLe « Portrait de Hans Baumgartner » de Burgkmair, daté de 1512, est considéré comme un chef-d’œuvre : le graveur emploie trois planches de teinte rose et obtient ainsi des dégradés de tons subtils, des traitements fins de la fourrure et des cheveux du modèle, sans que cette recherche esthétique nuise à l’intensité psychologique du portrait, on pourrait dire, bien au contraire, qu’elle la renforce.

On retient en Italie les noms de trois graveurs qui se sont succédé dans la première partie du seizième siècle : ce sont Ugo da Carpi, Antonio da Trento, Niccolo Vicentino. Le plus doué qui revendique d’avoir introduit en Italie le chiaroscuro est Ugo da Carpi. Il grave d’après Titien, d’après Raphaël, d’après Parmigianino, avec une parfaite connaissance du métier. Dans cette époque d’humanisme et de foi, les sujets sont inspirés par la Bible ou par la mythologie gréco-romaine. Ainsi Ugo da Carpi part d’une composition de Raphaël, quand il exécute la gravure « Enée, Anchise et Ascagne fuyant la ville de Troie en flammes », datée de 1518, qui, au-delà du récit virgilien de l’exil, peut évoquer les trois âges de la vie. Antonio da Trento travaille en collaboration directe avec Parmigianino, mais celui-ci exécute lui-même des eaux-fortes. L’élégance des lignes chez le peintre maniériste est soulignée par le trait de la gravure. Un dessin au lavis, avec des rehauts blancs, « Le désarroi d’Olympos » (1526), semble une préparation pour une gravure. Et, en effet, celle-ci a été exécutée bien plus tard, en 1640, par  un graveur qui pourrait être Niccolo Vicentino.

Domenico Beccafumi, autre figure du maniérisme italien, grave lui-même des estampes en clair-obscur dont Vasari dans son « Libro dei disegni » écrit qu’elles sont « disegnate magnificamente ». On connaît son rôle majeur dans la décoration du Duomo de Sienne,  en particulier dans les dessins du merveilleux pavement de marbre. Il reprend en gravure des images d’apôtres au caractère monumental. Un dessin à la plume, un burin, une gravure sur bois montrent des nus masculins en position allongée, traités avec une grande élégance.

L’Ecole de Fontainebleau prendra le relais, au milieu du seizième siècle, avec la venue  en France de Rosso Fiorentino et de Luca Penni, qui travaillent à la décoration du château. Les sujets mythologiques alternent avec les thèmes d’inspiration religieuse ; Penni traite aussi bien le sujet d’Actéon et Diane que celui de la fuite en Egypte. Il s’intéresse aux techniques de gravure et élabore des dessins préparatoires, tirés par des Italiens ou par l’allemand Georg Matheus.

Mais l’Italie va aussi rejoindre les Pays-Bas par l’intermédiaire du peintre et graveur Frans Floris qui a séjourné à Rome. Il y a étudié les bas-reliefs et les sarcophages et il y a vu les sculptures et les fresques de Michel-Ange. De retour à Anvers, il travaille de concert avec le bon graveur Joos Gietleughen. Ils réalisent une très grande gravure en six parties, intitulée « Les Chasses », datée de 1555, de style héroïque et violent. Ses belles gravures, dont une magnifique « Cérès »,  suscitent le désir d’en savoir plus sur ce peintre qui fut surnommé le « Raphaël flamand ».

Le dernier volet de l’exposition dont on a bien noté le caractère chronologique établit un va-et-vient entre l’Italie et les pays nordiques.. A Mantoue, le graveur Andrea Andreani reprend une sculpture en bronze de Giambologna dans la série de la Passion du Christ. Il exécute aussi en 1586 un dramatique « Sacrifice d’Abraham » d’après le pavement de Beccafumi à Sienne. Il grave d’après Mantegna, mantouan lui aussi, les « Triomphes de César », dont une gravure imprimée sur soie violette qui est une curiosité, mais n’égale pas l’impression sur papier, plus nette. Dans ces mêmes années de fin de siècle, Hendrick Goltzius qui s’est installé à Haarlem entreprend d’illustrer les « Métamorphoses » d’Ovide en partant de dessins au lavis rehaussés de gouache blanche. Il expérimente les techniques avec inventivité : on peut comparer quatre versions de la gravure « Hercule tuant Cacus » .

On remarque que la France est assez peu représentée dans l’exposition. C’est un lorrain, Georges Lallemant, qui sauve l’honneur.  Deux aspects de sa production sont montrés ici : une scène de genre, inspirée par la Commedia dell’arte, « L’entremetteuse » et un sujet religieux « Moïse tenant les tables de la Loi » (1623-24). Dans les années 1600, Abraham Blomaert avait traité le même sujet de Moïse, mais il lui avait ajouté, en pendant, le personnage biblique d’Aaron. De Rubens, deux gravures, «  Repos pendant la fuite en Egypte » et « Portrait d’homme barbu », exécuté sans planche de trait et en quatre planches de teinte par le bon graveur Christoffel Jegher (vers 1632-36).

Ainsi la médiation n’est pas seulement le recours à l’audiovisuel, elle est assurée dans cette exposition par les explications qui accompagnent chaque œuvre, stimulant et sollicitant et l’attention et l’intelligence du visiteur. Ajoutons que les estampes proviennent du fond de la BNF, de la Fondation Custodia, du Louvre et de grands musées européens, ce qui est une garantie de leur authenticité et de leur qualité.  Et leur beauté est source de notre plaisir.

Annie Birga

Billet: ma Normandie de 1993 à 2018

J’ai fréquenté longtemps la campagne normande
Où nous avions acquis dans un recoin dormant
Pour un temps qui devait n’être qu’un intermède
Une grande maison fleurie au mois de mai
J’y rêvais de vraies fleurs qui ne fanent jamais

Nous trouvions là de l’air modérément humide
C’étaient près de Paris des instants d’accalmie
Tandis que par métier je parcourais le monde
En respirant la vie qui gonfle les poumons
En survolant de haut l’argile et le limon

J’ai planté des fruitiers produisant en septembre
Des paniers des cageots de pommes parfumées
Mûries dans un verger où l’herbe tiède fume
Dans les matins frisquets que le soleil rallume

Je m’en suis détaché lorsqu’un soir de novembre
En ce lieu j’ai senti ma confiance meurtrie
Par un commencement d’incendie électrique
Noircissant l’intérieur de la maison de brique

 

Après quelques années de location dans le département de Haute-Normandie à 110 km de Paris, Maryvonne et moi avons acheté un peu plus loin en 1993 comme résidence secondaire une solide maison de brique datant sans doute de 1850 (d’après une pierre insérée dans le mur du jardin) près de Forges-les-Eaux dans la région où Flaubert a situé madame Bovary. J’ai acheté de l’autre côté de la place du village un terrain de 2000 m2 qui devait servir de terrain de jeu pour les enfants, où j’ai planté des haies de lauriers-palmes et un verger. Nous avons fait refaire en 1999 le toit d’ardoises de l’habitation puis nous avons subi en 2004 un incendie électrique qui a fait fondre le compteur en plastique d’EDF, brûlé en partie la porte d’entrée et tapissé de suie l’intérieur de la maison. La mutuelle d’assurances a payé les dégâts qui ont été réparés péniblement, mais à partir de cette date j’ai cessé de planter des rosiers et des arbres fruitiers. Je me suis détaché de cette résidence secondaire en y investissant de moins en moins, psychologiquement et matériellement. En 2011, nous avons décidé de mettre en vente la maison et le terrain en accord avec nos enfants auxquels nous en avons fait donation. Cela dit, le moment n’était guère favorable : la crise économique faisait sentir ses effets, et les résidences secondaires étaient passées de mode. Après quelques années de patience dans un marché immobilier atone, des acheteurs normands se sont présentés, à des conditions limitant autant que possible le montant de la moins-value. Le terrain a pu être vendu comme terrain à bâtir, et le dossier a été enfin clos avec la vente de la maison en septembre 2018.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : La francophonie aujourd’hui

Qu’on ne nous vante plus l’espace francophone
Dont l’organisation sonne creux sonne faux
On n’y entend n’y voit que phosphène acouphène
Vient d’y être promu l’anglophone surfait

Kagamé du Rwanda depuis longtemps peaufine
Sa haine du F(f)rançais sa vraie philosophie
A travers sa ministre admiratrice fan
Il pourra sur l’estrade être le mâle alpha

Sa force s’est forgée en un temps de massacre
Où il pensait qu’enfin ses semblables vaincraient
Bien qu’en minorité même tués proscrits

Ce qui paraît hors jeu après ce génocide
C’est la majorité qui a versé leur sang
Pas de démocratie dans ce pays d’excès

 

Le Rwanda, petit pays francophone d’Afrique surpeuplé de 12 millions d’habitants, situé dans la région des grands lacs, continue à nous faire marcher sur la tête. Dans les années 1990 il a connu une guerre civile atroce, où le groupe majoritaire, celui des Hutus soutenus sur place par l’Eglise catholique, a essayé de se débarrasser de la minorité tutsie qui continuait, semble-t-il, à diriger la société. Il en est résulté tout ce qui suit : un génocide, le plus souvent à la machette, qui a fait des centaines de milliers de victimes ; la reprise du pays par les Tutsis exilés notamment dans l’Ouganda voisin et soutenus par l’anglophonie de la région ; l’interposition momentanée, sous mandat de l’ONU, de l’armée française entre les Tutsis et les forces hutues en déroute ; la fuite de ces dernières au Congo voisin (Zaïre devenu RDC, République Démocratique du Congo, le plus grand Etat francophone du monde, peuplé à présent d’au moins 80 millions d’habitants) ; la traque des fuyards par les Tutsis à travers le Congo, traque qui a fait à nouveau un très grand nombre de morts, cette fois chez les Hutus ; les tentatives faites par le chef des Tutsis, Paul Kagamé, pour annexer de facto les zones du Congo oriental limitrophes du Rwanda ; la dictature du même Kagamé dans son pays, qui s’est maintenue pour au moins trois raisons : son « groupe ethnique » a subi un génocide, il assure l’ordre intérieur, il est appuyé par les pays du Commonwealth britannique dont le Rwanda est devenu membre en 2009. Aujourd’hui, la perte de repères s’accentue : Paul Kagamé, président de l’Union africaine jusqu’en janvier 2019, soutenu par le président français bien qu’il n’ait cessé depuis les années 1990 de vilipender la France, vient de faire élire sa ministre des affaires étrangères Louise Mushikiwabo à la tête de la francophonie avec le soutien du président français ! Mais le véritable enjeu, c’est sans doute celui des élections prochaines en RDC.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : navires et avions comparés aux grands animaux

Vingt mille conteneurs sur un même navire
Et huit cents passagers qui vont confier leur vie
Au même gros avion les morceaux de bravoure
Qu’il faut pour en parler j’y renonce j’avoue

Je me contenterai de tourner quelques vers
Sur le transport en mer comme si je pouvais
Agrémenter ici de quelque enjolivure
Des chiffres qui d’abord en semblent dépourvus

La course au gigantisme au début les baleines
En ont lancé l’idée l’homme a pris le relais
Sous ses bateaux géants la houle est vaguelette

Hyperdimensionnés ne chôment ni ne flânent
A travers l’océan sans être jamais las
Ces monstres de métal dont l’armateur se flatte

 

Les plus grands navires d’aujourd’hui sont les porte-conteneurs de quatre-cents mètres de long et cinquante-cinq mètres de large, qui se déplacent à la vitesse moyenne de 20 nœuds (37 km/h). Le transport maritime des passagers et celui des hydrocarbures ont également donné naissance à des navires gigantesques (paquebots, pétroliers et méthaniers). Les avions, comme on le sait, sont nettement moins volumineux mais beaucoup plus rapides. Par exemple, l’Airbus A380 a les caractéristiques suivantes : longueur : 73 m ; envergure : 80 m, supérieure à sa longueur ; masse au décollage : 575 tonnes ; vitesse maximale : 1000 km/h. Dans la nature, on constate des similitudes, selon le milieu, eau, air, terre, avec les moyens de transport fabriqués par l’homme. Parmi ceux-ci, les records de taille sont détenus par les navires, de même que c’est dans les océans que vivent les plus grands animaux. Les baleines bleues ont une vitesse de croisière de 20 km/h, une longueur de trente mètres, un poids de 170 tonnes, alors que les éléphants d’Afrique pèsent au maximum 12 tonnes. Chez les oiseaux, la capacité de voler dépend de la « charge alaire », rapport entre le poids du corps et la surface portante des ailes. Le cygne, oiseau emblématique de Mallarmé et de plusieurs autres poètes, a un poids de 11,5 kg en moyenne et des ailes dont l’envergure est de l’ordre de 2,5 m. Il a besoin d’une course de 8 à 20 m avant de décoller. Dans les airs, il peut atteindre la vitesse de 80 km/h. C’est l’oiseau volant le plus lourd avec l’albatros, oiseau emblématique de Baudelaire, dont l’envergure peut atteindre 3,5 m. « Ses ailes de géant l’empêchent de marcher », écrit Baudelaire (qui voit en lui une figure du poète maladroit à terre mais capable de s’élever haut et d’aller loin). L’albatros a une « finesse aérodynamique » telle que pour chaque mètre descendu, il peut parcourir 22 mètres de distance horizontale.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : effondrement d’un viaduc

La construction des ponts est œuvre délicate
Et leur effondrement ne va pas sans fracas
Gênes l’a constaté lorsque son long viaduc
A brusquement cessé d’être un pont suspendu

Ouvrage d’art usé que le trafic esquinte
Il souffrait de surcroît d’un entretien mesquin
Sans oublier que vu ses faiblesses techniques
Il n’aurait pu durer plus de cinq décennies

En France il est exclu qu’un tel ouvrage craque
Nous dit-on doctement exclu qu’il se disloque
Et que l’ingénierie subisse un tel échec

Mais en parlant ainsi on ne sera pas quitte
Car l’ingénieur français – tendance trop fréquente –
Préfère désormais la finance et les comptes

 

Le viaduc autoroutier de Gênes, pont suspendu d’une longueur de 1100 m, s’est écroulé sur 250 m le 14 août 2018, probablement à cause d’une défaillance de ses haubans. Cet équipement indispensable doit être reconstruit au plus vite. « Le célèbre architecte italien Renzo Piano [architecte du centre Pompidou à Paris] a présenté le 7 septembre à Gênes un projet de nouveau pont pour sa ville natale, après l’effondrement du viaduc Morandi qui a fait 43 morts au mois d’août. A la fin de la conférence de presse, le patron d’ASPI, la compagnie des autoroutes italiennes, Giovanni Castellucci, a examiné un élément de la maquette présentée par le bureau de Renzo Piano et l’a fait tomber par mégarde : le morceau de plastique s’est brisé, provoquant un sourire et un geste d’impuissance de Renzo Piano. « Ça porte chance », a fini par s’exclamer l’architecte devant cet incident malencontreux » (Le HuffPost). Cette information a été publiée en première page du Canard enchaîné daté du 12 septembre 2018 : « Le futur pont de Gênes est calculé, selon son architecte, Renzo Piano, pour durer mille ans, mais sa maquette, elle, s’est effondrée au bout de quelques minutes lors de sa présentation à la presse le 7 septembre dans la capitale ligure. Ce n’est pas sa structure qui est en cause – elle sera en acier, a précisé Piano – mais un geste malheureux de Giovanni Castellucci, patron d’Autostrade per l’Italia, propriétaire du viaduc Morandi… » A l’heure actuelle, les ouvrages d’art sont souvent en mauvais état un peu partout, pas seulement en Italie. C’est un symptôme d’une tendance générale des pouvoirs publics et des jeunes ingénieurs, notamment ceux des ponts et chaussées, à délaisser les routes, le béton et l’acier pour des activités moins lourdement matérielles, plus « à la mode » et apparemment plus rémunératrices comme l’urbanisme, l’écologie, l’informatique, la finance.

Dominique Thiébaut Lemaire

La poésie engagée. Par D.T. Lemaire.

Les mots « engagé » et « engagement » sont utilisés depuis le temps de Sartre et Camus après la Seconde Guerre mondiale pour désigner l’attitude de l’intellectuel ou de l’artiste qui, conscient de son appartenance à la société et au monde de son temps, met sa pensée ou son art au service d’une cause. Mais l’attitude qu’ils désignent est beaucoup plus ancienne, comme le montrent en France les interventions des philosophes (Voltaire notamment) dans la vie publique au XVIIIe siècle, de Zola dans l’affaire Dreyfus en 1898, ainsi qu’en poésie les exemples d’Agrippa d’Aubigné au XVIe siècle et de Lamartine et Hugo au XIXe siècle.
A la poésie engagée s’oppose le repli des poètes dans leur « tour d’ivoire ». Cette expression, employée d’abord au XIXe siècle par Sainte-Beuve à propos de Vigny dont l’attitude contrastait avec celle de Hugo, sert à qualifier la position indépendante et solitaire, la retraite hautaine de celui qui refuse de se compromettre dans l’agitation du monde. « Il ne nous restait pour asile que cette tour d’ivoire des poètes, a écrit Nerval, où nous montions toujours plus haut pour nous isoler de la foule ».
La poésie engagée dépend beaucoup des circonstances. C’est par excellence l’un des cas où, contrairement à ce que nous répète une certaine tendance de la critique littéraire, il paraît difficile de séparer la vie et l’écriture, de dissocier la biographie et l’oeuvre d’un auteur. Cette poésie s’affirme en particulier dans les époques de crise, où elle permet aux poètes d’exprimer une inspiration parfois trop éclipsée par la primauté donnée au lyrisme, de redonner une place aux passions de la colère et de l’espérance collective, de retrouver l’usage des moyens stylistiques les plus simples et les plus efficaces (répétitions des refrains et des anaphores, parallélismes, antithèses, strophes et autres périodes oratoires…) pour traduire ces passions en mots.

Au dix-neuvième siècle

Lamartine (1790-1869)

Après le triomphe de son premier recueil de poèmes, Les Méditations (1820), chef-d’œuvre de lyrisme intime, Lamartine entre dans la diplomatie, qu’il abandonne après la révolution de 1830 pour entrer dans la vie politique. Il exprime des préoccupations nouvelles. Dans l’ode « A Némésis » (1831), il s’écrie : « Honte à qui peut chanter pendant que Rome brûle. » Dans « Les Révolutions » (1831), il exhorte les hommes de bonne  volonté à marcher dans la voie du progrès. Au cours d’un voyage en Orient en 1832-1833, il perd sa fille Julia, et son deuil lui inspire un poème poignant, « Gethsémani ». Elu député en 1833, il refuse de se rattacher à un parti et prétend siéger « au plafond ». Ses Recueillements poétiques (1839) se signalent par une inspiration sociale : dans la lettre « à M. Félix Guillemardet » (en vers), qui commence par le mot « Frère », le poète exprime le remords de s’être égoïstement attendri, dans ses recueils intimes, sur ses émotions personnelles ; dans « Utopie », il proclame sa foi dans le génie humain et célèbre un avenir démocratique vers lequel il faut marcher. Dans le « Toast porté dans un banquet des Gallois et des Bretons » à Abergavenny (pays de Galles), il chante la fraternité des deux peuples. Sous le ministère Guizot, il passe à l’opposition et fait campagne, avec Ledru-Rollin, pour un suffrage élargi. Dans L’Histoire des Girondins (1847), il manifeste sa sympathie pour les Girondins contre les Montagnards de Robespierre. Cette œuvre reçoit un accueil enthousiaste et contribue largement à la popularité politique de son auteur. Le 24 février 1848, après l’abdication du roi Louis-Philippe, Lamartine proclame à l’hôtel de ville de Paris la Seconde République (1848-1852) dirigée par un Gouvernement provisoire dont il est membre. Le 25 février, dans un discours célèbre, il s’oppose à l’adoption du drapeau rouge, et il obtient le maintien du drapeau tricolore. C’est lui qui signe le décret du 27 avril 1848 abolissant l’esclavage. Mais sa popularité s’effondre après ses prises de position en faveur d’une république modérée, et après la fermeture des ateliers nationaux qualifiés par certains de « râteliers nationaux », fermeture suivie par la révolte des journées de juin et la répression du général Cavaignac. Candidat à la présidence de la République, Lamartine ne recueille en décembre 1848 qu’un petit nombre de voix, très loin derrière Louis-Napoléon, le futur Napoléon III. En 1851, l’avènement du Second Empire marque la fin de sa carrière politique. Pour payer ses dettes il travaille sans répit et rédige à la hâte un grand nombre d’œuvres en prose : récits autobiographiques, romans, compilations historiques. A partir de 1856, il écrit un Cours familier de littérature qu’il sert mensuellement à ses abonnés. On se moque de ses travaux alimentaires en le surnommant « tire-lyre ». En 1857, s’étant rendu dans le pays de son enfance à Milly près de Macon pour les vendanges, il publie dans son Cours son chef-d’œuvre lyrique, La vigne et la maison. A la fin, ruiné, il doit accepter de la ville de Paris un chalet à Passy et de l’empereur une rente viagère. Terrassé par une attaque en 1867, il vit à peu près inconscient jusqu’en février 1869. Sa famille décline les funérailles nationales.

Hugo (1802-1885)

En 1822, Hugo publie un recueil d’Odes et reçoit pour ce premier recueil une pension de Louis XVIII. Il fait paraître en 1824 de Nouvelles Odes, puis les Odes et ballades (1826-1828). Dans ses odes, il exprime des convictions légitimistes et catholiques. Les ballades témoignent d’une grande virtuosité dans un cadre moyenâgeux de fantaisie qui doit beaucoup aux romans de Walter Scott. Dans Les Orientales (1829), il profite de l’occasion que lui offre l’insurrection des Grecs contre les Turcs et le mouvement de sympathie qu’elle déclenche en France, pour affirmer sa conversion aux idées « libérales », et pour renouveler son inspiration poétique, bien qu’il n’ait jamais vu l’Orient. Il évoque ses souvenirs de l’Espagne, qu’il rattache à l’Orient par l’influence arabe. A partir de 1830, quatre recueils, Les Feuilles d’automne (1831), Les Chants du crépuscule (1835), Les Voix intérieures (1837), puis Les Rayons et les ombres (1840), jalonnent son évolution. Dans Les Rayons et les ombres, il exige du poète qu’il prenne toute sa place dans la société pour « faire flamboyer l’avenir » :
Malheur à qui dit à ses frères :
je retourne dans le désert !
Malheur à qui prend des sandales
Quand les haines et les scandales
Tourmentent le peuple agité ;
Honte au penseur qui se mutile,
Et s’en va, penseur inutile,
Par la porte de la cité !
(« Fonction du poète »).
Après la noyade accidentelle dans la Seine de sa fille aînée, Léopoldine, le 4 septembre 1843, Hugo cherche dans la politique une diversion à sa douleur. Nommé pair de France en 1845, il intervient souvent à la tribune, pour plaider la cause des Polonais opprimés, pour combattre la peine de mort, pour dénoncer la misère du peuple… Il est partisan de la liberté sans être républicain, humanitaire sans être socialiste. En février, tandis qu’il fait acclamer le gouvernement provisoire, il recommande en vain aux insurgés la candidature de la duchesse d’Orléans à la régence, et l’agitation ouvrière l’alarme. Elu représentant du peuple avec les voix bourgeoises, il se prononce pour la fermeture des ateliers nationaux. Pendant les journées de juin 1848, il se résigne à la répression. Cependant, il combat le gouvernement Cavaignac qui menace la liberté de la presse et s’aliène ainsi les conservateurs. Il croit un moment que Louis-Napoléon est celui qui réalisera un programme d’ordre et de progrès, et fait même campagne pour son élection à la présidence de la République. Après l’élection, il brigue le portefeuille de l’instruction publique, mais Louis-Napoléon, désormais président, écarte sa candidature. Hugo passe alors à l’opposition. Le 17 juillet 1851, il prononce à l’assemblée un violent discours contre « Napoléon le Petit », antithèse de son oncle Napoléon le Grand. Au moment du coup d’Etat du 2 décembre 1851, il tente d’organiser une résistance, mais le 4 décembre, il doit s’enfuir. Après un séjour à Bruxelles, il se réfugie en août 1852 à Jersey, où il compose contre « l’usurpateur » sous la dictée de la « Muse Indignation » les Châtiments, pamphlet de 6000 vers publié à Bruxelles en 1853, dominé par l’invective et la satire épique, qui obtient un succès considérable et circule en France sous le manteau. En octobre 1855, sur l’ordre du gouvernement anglais, il doit quitter Jersey et s’installe à Guernesey, où il travaille beaucoup et produit des œuvres majeures : en 1856, Les Contemplations, « mémoires d’une âme », recueil de poésie à dominante lyrique  (enfance, amour, douleur, mort et au-delà) ; en 1859, 1877 et 1883, La Légende des siècles, ensemble de « petites épopées » parcourant  les étapes de l’humanité ; en 1862, le grand roman social des Misérables. Devenu ardemment républicain, il a refusé avec dédain en 1859 l’amnistie accordée par Napoléon III. Après la chute du Second Empire, il retrouve Paris, où on l’acclame. En 1871, il est élu député à l’Assemblée nationale, mais il se démet de son mandat. Les événements de la guerre (militaire et civile) de 1870-1871 le bouleversent, et il évoque en vers L’Année terrible. Quoique nommé sénateur en 1876, il ne se mêle plus guère à la vie publique. A sa mort en 1885, son cercueil est exposé sous l’Arc de triomphe puis transporté au Panthéon.

Autres poètes du XIXe siècle témoins de leur temps

Baudelaire (1821-1867), qui est à première vue le contraire d’un poète engagé, a pourtant laissé un témoignage important sur les transformations de Paris décidées par Napoléon III et son préfet Haussmann, notamment dans les « Tableaux parisiens » des Fleurs du Mal et plus précisément dans certains pièces telles que le poème LXXXIX intitulé « Le Cygne », où il déplore la disparition de la ville ancienne :
« Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville
« Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel) »

Rimbaud (1854-1891), dans ses premiers poèmes, ceux des années 1870 et 1871, avant de devenir le voyant du « Bateau ivre » et des Illuminations, est l’auteur d’une acerbe critique sociale et politique dans une série de poèmes révoltés : « Les étrennes des orphelins » ; « A la musique », caricature de la bourgeoisie de Charleville ; « Les effarés », mettant en scène des enfants pauvres qui, au soupirail, regardent dans le froid le boulanger cuire le pain ; « Les chercheuses de poux » ; « L’éclatante victoire de Sarrebruck », « Chant de guerre parisien », « Rages de César » : pamphlets contre Napoléon III et les politiciens ; « Les Pauvres à l’église », « Les Premières communions » , « Le Mal » : attaques contre la religion ; et « Le Dormeur du val », bien connu, où l’horreur de la guerre de 1870 est d’autant plus frappante que le dormeur dans son cadre champêtre est mort avec deux trous rouges au côté.

Au vingtième siècle

L’avant-guerre et la guerre de 1914-1918

Péguy (1873-1914) est l’un des grands noms de l’engagement politique et poétique dans les années qui précèdent la guerre de 1914-1918. Dans leur Manuel des études littéraires françaises (XXe siècle), P.-G. Castex et P. Surer le présentent ainsi : « Charles Péguy, socialiste ardent, puis polémiste fougueux, chrétien convaincu, soldat héroïque, a conçu son œuvre littéraire comme un apostolat. » Il manifeste son caractère entier et son sens de la justice aussi bien dans la défense de son pays que dans la défense de Dreyfus. En 1914, lieutenant âgé plus de quarante ans, persuadé de la nécessité de protéger la civilisation française les armes à la main contre l’Allemagne, il part au combat sur le terrain dès la déclaration de guerre et meurt un mois plus tard à la tête d’une compagnie d’infanterie, tué d’une balle en plein front. Dans Eve (1913), poème de mille neuf-cent-onze quatrains, tous en alexandrins (si l’on excepte l’ultime dernier vers de  six syllabes), il avait écrit :
Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.

Apollinaire (1880-1918) né à Rome d’une polonaise exilée et d’un officier italien, fait de bonnes études au collège Saint-Charles de Monaco et devient un grand poète français d’avant-garde avec Alcools (1913). Il s’engage dans l’armée française en 1914 lorsque la guerre éclate, et il est envoyé au front, sur sa demande, en avril 1915. Versé dans l’infanterie, nommé sous-lieutenant, il est blessé en mars 1916 d’un éclat d’obus à la tête. Trépané, réformé, il rentre à Paris. En 1918, il fait paraître un nouveau recueil de poèmes, Calligrammes, qui contient de nombreuses pièces nées de la guerre, dont « Tristesse d’une étoile » qui évoque sa blessure :
Une belle Minerve est l’enfant de ma tête
Une étoile de sang me couronne à jamais
La raison est au fond et le ciel est au faîte
Du chef où dès longtemps Déesse tu t’armais
D’autres pièces de Calligrammes, qui sont en même temps des dessins, suggèrent leur objet ou leur thème par leur disposition typographique : c’est ainsi que les mots du poème « Ecoute s’il pleut » s’étalent sur la page en traits parallèles comme des traînées de pluie. Le poète ne résiste pas à l’épidémie de grippe espagnole et meurt l’avant-veille de l’armistice.

Les membres du mouvement surréaliste (Breton, Eluard, Soupault, Aragon, Péret, Desnos…) ont été profondément marqués par les répercussions sociales, psychologiques et morales de la « Grande guerre » de 1914-1918. Ils s’en sont probablement souvenus lorsque plusieurs d’entre eux sont passés quelques années plus tard de la poésie expérimentale à la poésie engagée.

La guerre de 1939-1945

Pierre Jean Jouve (1887-1976) n’a pas été surréaliste, mais unanimiste pendant un temps, dans le mouvement de Jules Romains, Georges Duhamel, Charles Vildrac. En 1914, il est infirmier volontaire dans un hôpital militaire. Menacé de tuberculose, il est envoyé en Suisse, à la montagne. C’est à cette époque que s’épanouit son amitié pour Romain Rolland « au-dessus de la mêlée ». Au début des années 1920, il rencontre Blanche Reverchon, psychiatre et psychanalyste genevoise traductrice de Freud, avec laquelle il se marie en 1925. Ayant trouvé sa voie de poète et de romancier entre érotisme et mysticisme chrétien, il cherche à faire parler dans ses œuvres l’inconscient, l’éros et la pulsion de mort. A partir de 1940, il est en exil à Genève où il participe aux publications qui, en Suisse, défendent la culture française contre le nazisme. « Si la confrontation des idées de cette guerre (ou de ce qui paraissait alors être des idées), n’était pas un objet de poésie, a-t-il  écrit, la catastrophe l’était à n’en pas douter. La poésie n’est pas limitée. Pourquoi eût-elle refusé de sentir, d’exprimer un événement tragique national, c’est-à-dire enraciné dans le sol comme la poésie elle-même ? Pour moi, je désirais de toutes mes forces faire un livre [La Vierge de Paris, 1944 et 1946] qui ne fût pas lié seulement au fait historique, et portât plus haut, avec tout ce que j’avais acquis antérieurement. Je vivais de l’idée de Résistance, mais je n’oubliais pas l’art… » (Texte cité p. 71-72 dans Pierre Jean Jouve, par René Micha, dans la collection Poètes d’aujourd’hui chez Seghers). On trouve par exemple dans La Vierge de Paris un poème en l’honneur du drapeau français, dont la première strophe est la suivante :
Je te revois tendue et sans vent dans les ombres
Propice et large soie étalée sans un pli
Tendre comme un discours de musique profonde
Et suave de trois cruautés agrandies ».
Le 12 mai 1945, le général de Gaulle lui envoie  un télégramme, reproduit dans le Cahier de l’Herne, Pierre Jean Jouve (1972) : « Merci d’avoir été un interprète de l’âme française pendant ces dernières années ». Comme exemple des rapports entre les deux hommes, on peut citer la lettre que de Gaulle adresse au poète le 9 octobre 1957, sans doute pour accuser réception du recueil intitulé Mélodrame, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de Jouve né le 11 octobre 1887 : « Mon cher maître, Mon esprit et mon cœur se portent vers vous plus fidèlement que jamais en ce jour où vous commencez une nouvelle décade de votre vie et où l’anniversaire vous couronne. J’admire et j’aime votre talent dont je m’enchante souvent. Et puis, j’ai pour votre caractère la plus haute estime possible, car j’y trouve l’exemple de la probité et de la dignité. Ce qui fait honneur à l’homme est, avec la poésie, le plus beau don qu’on puisse faire à ses semblables et à la France. J’espère et je crois que de longues années sont devant vous pour poursuivre votre œuvre et je vous prie d’être assuré, mon cher Maître, de mes sentiments les plus dévoués. » D’après un entretien accordé à l’hebdomadaire L’Express, le 27 mai 2010, par Jean-Luc Barré, qui a édité dans la bibliothèque de la Pléiade le général de Gaulle, celui-ci « a entretenu une correspondance confidentielle avec le poète Pierre Jean Jouve, qui lui fera découvrir Hölderlin. Il existe 77 lettres de Charles de Gaulle à ce poète considéré comme plutôt hermétique qui, tout comme Albert Cohen, avait composé un admirable texte sur le Général [L’Homme du 18 juin, Egloff, Paris 1945]. Les lettres que de Gaulle adresse à Pierre Jean Jouve sont tout sauf convenues. Faisant allusion à des phrases de Ténèbre, en 1965, il commente : « Quel est ce monde sombre où leur harmonie [nous] entraîne ? Le nôtre ou bien l’autre ? » Sa fidélité ne se démentira pas : « Détaché de tout, je le suis moins que jamais de vous », lui écrit-il par exemple le 6 octobre 1970, un mois avant sa mort. »
Avec Jouve il convient de mentionner Pierre Emmanuel (1916-1984) qui se réclame de lui et qui se fait connaître au cours de la seconde Guerre mondiale par une poésie partagée entre une inspiration « résistante » et une inspiration chrétienne. De cette dernière naissent après la guerre plusieurs recueils qui ne se soucient pas des modes.

Eluard (1895-1952), après la guerre de 1914-1918 où il a été gazé, publie d’abord des poèmes dans lesquels se chevauchent, à la manière surréaliste, le monde réel et le monde du rêve. En 1927, il adhère au parti communiste. Il en est exclu dans les années 1930, mais continue ses combats pour la liberté. Des désaccords politiques mais aussi littéraires (refus de l’écriture automatique) le conduisent à la rupture d’avec le groupe surréaliste. Entré dans la Résistance, il se réinscrit clandestinement au parti communiste. Il met au service de ses causes, sans dégrader ses qualités littéraires,  une poésie simple et harmonieuse. L’un de ses poèmes les plus célèbres de la période de guerre commence ainsi :
« Sur mes cahiers d’écolier
« Sur mon pupitre et les arbres
« Sur le sable sur la neige
« J’écris ton nom »
« Poésie et vérité, 1942)
Le vers : « J’écris ton nom » est répété à la fin de chacune des vingt-et-une strophes, et le poème se termine par le nom enfin prononcé qui pourrait être un nom de femme et qui est « Liberté ».

Aragon (1897-1982) est en deuxième année de médecine avec André Breton quand il est mobilisé en 1914 comme brancardier puis comme médecin auxiliaire. Il fait l’expérience du front puis reste mobilisé deux ans en Rhénanie occupée par la France. Il figure comme Eluard en bonne place dans le tableau (« Au rendez-vous des amis ») où Max Ernst a peint en 1922 les animateurs du groupe surréaliste. En 1927, il adhère au parti communiste, dont il reste officiellement membre jusqu’à sa mort. La guerre, puis la Résistance, sont pour lui une nouvelle source d’inspiration. Sur le front en mai 1940, subissant la débâcle de l’armée française, il fait preuve d’un courage qui lui vaut d’être décoré de la croix de guerre et de la médaille militaire. Cette guerre désastreuse est à l’origine du Crève-cœur (1941) où se trouve le poème intitulé « Les Lilas et les roses », écrit après l’armistice, publié dans Le Figaro des 21 et 28 septembre 1940 :
O mois des floraisons mois des métamorphoses
Mai qui fut sans nuage et Juin poignardé
Je n’oublierai jamais les lilas ni les roses
Ni ceux que le printemps dans ses plis a gardés
Après Le Crève-coeur paraissent les Yeux d’Elsa (1942), le Musée Grévin (1943, sous le pseudonyme de François la Colère), La Diane française (1944). Aragon, désormais virtuose du vers régulier, crée dans ces recueils une poésie à la fois savante et populaire, remarquable par son souffle, qui développe les thèmes jumelés de l’amour et du patriotisme, et qui retient les leçons de Villon, de Hugo, de Rimbaud, d’Apollinaire, de Péguy. Il publie en 1956 Le Roman inachevé, autobiographie poétique où il parle de ses engagements et des grandes étapes de sa vie, à commencer par la guerre de 1914-1918 et l’occupation de la Rhénanie, et dont plusieurs poèmes ont été mis en chansons par Léo Ferré et par Jean Ferrat.

Desnos (1900-1945), dans l’entre-deux guerres, s’est imposé au sein du mouvement surréaliste grâce à ses dons dans les domaines de l’automatisme verbal et de l’improvisation inspirée par le rêve. Il refuse de devenir le compagnon de route des communistes. Sous l’Occupation, il entre dans la Résistance et écrit des poèmes de belle facture classique :
« Agé de cent mille ans, j’aurais encor la force
« De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir. »
(Etat de veille, 1943).
Déporté en Bohème, il y meurt du typhus.

René Char (1907-1988), d’abord surréaliste, est animé ensuite par une inspiration plus largement humaine et sociale. Sous l’Occupation, il commande un maquis provençal sous le nom d’Hypnos et transcrit cette expérience dans Feuillets d’Hypnos (1946), dédiés à son ami Albert Camus (repris dans Fureur et mystère en 1948). Feuillets d’Hypnos s’ouvre par cet exergue :
Hypnos saisit l’hiver et le vêtit de granit. l’hiver se fit sommeil et Hypnos devint feu. La suite appartient aux hommes.
Voici quelques-unes des 237 « notes » composant ce recueil, numérotées par leur auteur:
19. Le poète ne peut pas longtemps demeurer dans la stratosphère du Verbe. Il doit se lover dans de nouvelles larmes et pousser plus avant dans son ordre.
24. La France a des réactions d’épave dérangée dans sa sieste. Pourvu que les caréniers et les charpentiers qui s’affairent dans le camp allié ne soient pas de nouveaux naufrageurs !
40. Discipline, comme tu saignes !
81. L’acquiescement éclaire le visage. Le refus lui donne la beauté. [Voir aussi la note 114 : Je n’écrirai pas de poème d’acquiescement].
91. Nous errons auprès de margelles dont on a soustrait les puits.
96. Tu ne peux pas te relire mais tu peux signer.
104. Les yeux seuls sont encore capables de pousser un cri.
127. L’homme, d’un pas de somnambule, marche vers les mines meurtrières, conduit par le chant des inventeurs…
131. A tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir. La place demeure vide mais le couvert reste mis.
161. Tiens vis-à-vis des autres ce que tu t’es promis à toi seul. Là est ton contrat.
199. Il y a deux âges pour le poète : l’âge durant lequel la poésie, à tous égards, le maltraite, et celui où elle se laisse follement embrasser. Mais aucun n’est entièrement défini. Et le second n’est pas souverain.
201. Le chemin du secret danse à la chaleur.
214. Je n’ai pas vu d’étoile s’allumer au front de ceux qui allaient mourir mais le dessin d’une persienne qui, soulevée, permettait d’entrevoir un ordre d’objets déchirants ou résignés, dans un vaste local où des servantes heureuses circulaient.
224. Autrefois au moment de me mettre au lit, l’idée d’une mort temporaire au sein du sommeil me rassérénait, aujourd’hui je m’endors pour vivre quelques heures.
Dans sa préface à l’édition allemande des Poésies de Char, parue en 1959, Albert Camus écrit : « Je tiens René Char pour notre plus grand poète vivant et Fureur et mystère pour ce que la poésie française nous a donné de plus surprenant depuis Les Illuminations et Alcools […] L’homme et l’artiste, qui marchent du même pas, se sont trempés hier dans la lutte contre le totalitarisme hitlérien, aujourd’hui dans la dénonciation des nihilismes contraires et complices qui déchirent notre monde. […] Poète de la révolte et de la liberté, il n’a jamais accepté la complaisance, ni confondu, selon son expression, la révolte avec l’humeur […] Sans l’avoir voulu, et seulement pour n’avoir rien refusé de son temps, Char fait plus que nous exprimer : il est aussi le poète de nos lendemains. Il rassemble, quoique solitaire, et à l’admiration qu’il suscite se mêle cette grande chaleur fraternelle où les hommes portent leurs meilleurs fruits.»

                                                               ***

Le tour d’horizon que nous venons de faire parmi les poètes français des XIXe et XIXe siècles confirme que lyrisme et engagement, satire et cithare, ne sont pas incompatibles, mais toutes les époques ne sont pas également propices à la poésie engagée. Celle-ci, dans les périodes de calme, a tendance à s’étioler et à passer de mode. C’est dans les crises (transformations sociales profondes, changements politiques, guerres…) qu’elle retrouve du prix, se revivifie et peut s’épanouir, ce qui a été particulièrement manifeste au XIXe siècle avec la fin des guerres napoléoniennes, les révolutions de 1815, 1830 et 1848, le Second Empire balayé par la guerre franco-allemande de 1870-1871. Au XXe siècle, les périodes propices à l’engagement des poètes ont été les guerres mondiales, celle de 1914-1918, puis celle de 1939-1945 et les années qui l’ont suivie. Il faut y ajouter, comme événement majeur suscitant l’engagement poétique, la décolonisation, qui a inspiré, entre autres poètes francophones, les chantres de la négritude : Senghor (1906-2001), académicien français, premier président de la République du Sénégal de 1960 à 1980, et Césaire (1913-2008), député de la Martinique de 1945 à 1993, maire de Fort-de-France de 1945 à 2001.
Pour donner un exemple de la poésie de Senghor, citons le poème de Chants d’ombre (1945) où il fait l’éloge de la femme noire :
Femme nue, femme noire
Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté
J’ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux
Et voilà qu’au coeur de l’Été et de Midi,
Je te découvre, Terre promise, du haut d’un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein coeur, comme l’éclair d’un aigle…
Quinze ans plus tard, au moment où les pays de l’Afrique française deviennent tous indépendants, Césaire écrit dans Ferrements (1960) un poème dédié à Léopold Sédar Senghor, intitulé « Pour saluer le Tiers Monde », qui commence ainsi :
Ah !
mon demi-sommeil d’île si trouble
sur la mer ! /
Et voici de tous les points du péril
l’histoire qui me fait le signe que j’attendais,
je vois pousser des nations.
Vertes et rouges, je vous salue,
bannières, gorges du vent ancien,
Mali, Guinée, Ghana /
et je vous vois, hommes,
points maladroits sous ce soleil nouveau !
Si Césaire a eu des obsèques nationales en Martinique en présence du chef de l’Etat (Jacques Chirac), les obsèques de Senghor au Sénégal ont eu lieu en l’absence du président de la République française et en l’absence du premier ministre français Lionel Jospin. Ces absences anormales ont été jugées sévèrement par beaucoup, en France et ailleurs.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : cinquième anniversaire

Sacha cinq ans questionne expérimente observe
C’est l’âge où il comprend après plusieurs essais
L’art de la bicyclette et roule de conserve
Avec ses deux parents nous montre ce qu’il sait

File sous les rayons d’une lumière en verve
Soleil tapant sur l’estivant qui se dévêt
Pas sous la pluie dont Sacha dit qu’elle « s’énerve »
En ruisselant d’un ciel brièvement mauvais

Il vaut mieux éviter piste ou sentier qui servent
A visiter la rive où les oiseaux se plaisent
Le cycliste apprenti ne peut y être à l’aise

Trop de piétons vélos rallient cette réserve
Circulent font du bruit les non-humains se taisent
Dans l’arrière-marais où la chaleur s’apaise

 

 

L’enfance fascine par l’aventure de ses progrès, dont l’une des étapes importantes est la maîtrise de la bicyclette, maîtrise acquise par Sacha peu avant ses cinq ans. Mais qui dit progrès dit nouveaux problèmes. Vers le quinze août à Fouesnant (Finistère) où Sacha a passé quinze jours après l’île de Ré, les sentiers de randonnée et les pistes cyclables dans le « site naturel classé » de Penfoulic sont victimes de leur succès, d’autant qu’une confusion s’est instaurée involontairement (ou peut-être volontairement de la part des responsables du tourisme et des cyclistes) entre ce qui est piétonnier et ce qui est cyclable. J’avais déjà pu constater cette confusion à Quiberon, il y a quelques années, comme si la coexistence des marcheurs plus lents et des deux-roues véloces pouvait être assurée en toute liberté. A Fouesnant, les promeneurs sont sans cesse dérangés par des cyclistes qui piaffent dans leur dos, et les petits comme Sacha qui se lancent sans l’aide de roulettes stabilisatrices ne peuvent pas vraiment profiter de leur nouveau savoir-faire sur ces itinéraires qui seraient pourtant à leur portée. Quant à l’île de Ré, d’après le journal Sud-Ouest (10 juillet 2017), « avec près de 110 km de pistes cyclables, [elle] attire bon nombre d’adeptes de la petite reine. Mais les accidents se multiplient malgré les avertissements des communes […] Sur les pistes certains se prennent à rêver du maillot jaune au milieu des familles en balade » ; des sentiers de l’île sont interdits aux vélos, mais les interdictions sont mal respectées.

Dominique Thiébaut Lemaire

Une exposition sur les impressionnistes à Londres. Par Annie Birga.

LES IMPRESSIONNISTES A  LONDRES
Artistes français en exil, 1870-1904
Musée du Petit Palais, 20 juin-14 octobre 2018

 

Cette exposition est le fruit d’une collaboration franco-britannique entre conservateurs de la Tate Britain et du Musée du Petit Palais. Elle embrasse une période comprise entre 1870 et 1904. Elle tente de mettre au jour les réseaux de solidarité, de mécénat et d’amitiés qui ont aidé les artistes français réfugiés en Angleterre en 1870-71 et, ce faisant, elle donne à voir et à mieux comprendre  une quantité d’œuvres de premier plan.

Dans ces années 70-71 qui voient la guerre franco-prussienne, la défaite de Sedan, le siège de Paris, la semaine sanglante de la Commune, avec les obus qui pleuvent, le froid de cet hiver-là et la famine, les artistes réagissent de façon individuelle selon leur tempérament. Certains se terrent dans leur habitation, d’autres partent en province,  les plus courageux s’engagent dans la Garde Nationale, un grand nombre s’exile pour un temps à Londres. Les témoignages artistiques de cette période sont frappants et dramatiques. Dès septembre 1870, comme les Prussiens se dirigent vers Paris, Corot imagine l’incendie de la capitale, tableau qu’il considérera comme prémonitoire. L’incendie bien réel s’entrevoit dans le ciel d’un « Episode du  siège de Paris », toile de Gustave Doré. Garde national comme Doré, Tissot fait de nombreux dessins sur le vif, transposés parfois en eaux-fortes. Une aquarelle peu connue représente (29 mai 1871) l’exécution des communards devant les fortifications du Bois de Boulogne. Manet, lui aussi engagé, exécute une série de lithographies intitulée « Guerre civile » d’après des choses vues. Des photographies montrent « Paris en ruine » (Charles Soulier. mai 1871), Tuileries, Hôtel de Ville, Colonne Vendôme et des pans entiers de la capitale. Des toiles  appartenant au Musée Carnavalet  évoquent bien ce climat délétère.

Le contraste est grand avec le restant de l’exposition qui emmène le spectateur dans la capitale anglaise. Elle est alors en plein essor industriel. L’un des premiers artistes français à en découvrir la complexité a été Gustave Doré : dès 1869, il a travaillé à l’illustration d’un album écrit par un ami anglais, « London : a Pilgrimage », dessinant directement sur les blocs de bois qui donneraient la gravure. En 1870 un journaliste du Times remarque : « Exilé de Paris par la guerre, l’art français a provisoirement trouvé à s’héberger en Angleterre ». Et, de fait, Daubigny, Monet et Pissarro se retrouvent à Londres.  Ils peignent en plein air. Daubigny, qui fait partie de l’Ecole de Barbizon, garde une facture hollandaise. Mais Monet et Pissarro qui n’en ont peut-être pas vraiment conscience, sont déjà des « impressionnistes », nom donné à cette réunion de jeunes peintres qui exposeront en 1874 dans l’atelier de Nadar. Comme Daubigny qu’il admire, Monet peint des vues de la Tamise, où se profile déjà la silhouette du palais de Westminster dans la brume. Sa reconstruction vient de s’achever et des ouvriers défont les échafaudages du quai Victoria. Cette toile a été achetée par le marchand d’art Durand-Ruel établi à Londrès dès 1870 et qui y fonda la «  Society of french artists ». Pissarro  choisit d’habiter dans une banlieue semi-rurale et réalise une série de petites toiles lumineuses. Trois ans plus tard, un  autre impressionniste, d’origine anglaise, Alfred Sisley, vient à Londres et  y peint des toiles où le ciel et l’eau sont traités en  bleus et gris légers.

Le plus anglais des peintres français est sans contredit James Tissot.  Il a la part du lion dans cette exposition. Tant de merveilleux tableaux réunis rappellent qu’il est une figure originale de premier plan dans l’histoire de la peinture. Ami de Degas et de Manet, il est déjà connu et riche lorsqu’en 1871 il arrive à Londres. Il va y connaître un succès fulgurant. De formation classique – il a été l’élève de Flandrin – il en conserve des connaissances techniques de premier ordre. Mais il a découvert le japonisme avec ses coupes et ses perspectives et le préraphaélisme, sa peinture lisse de glacis et de demi-pâtes. Il est moderne. Il évoque le Londres des salons fréquentés par la gentry, mais aussi les jardins de sa luxueuse résidence, les promenades en bateau dans le port. La présence de la femme est une constante. Il fait de son amie tuberculeuse un saisissant portrait. Après sa mort Tissot quitte l’Angleterre.

Il a invité l’italien Giuseppe de Nittis à le rejoindre. Celui-ci donne de la ville une image plus réaliste, à la façon des Macchiaioli de son pays d’origine.

Quittant James Tissot, l’exposition révèle au public français un peintre resté dans l’ombre, peut-être parce que l’essentiel de sa carrière s’est déroulée à Londres. Il s’agit d’Alphonse Legros, naturalisé anglais.en 1880, qui avait rejoint l’Angleterre avant l’exil de 70 et joua un rôle important dans l’accueil de ses compatriotes. Son style, réaliste, s’apparente à celui de Courbet ; son grand tableau de l’ « Ex Voto » (1860) rappelle « L’Enterrement à Ornans ». Certes Legros se réfère aux peintres du passé, mais il n’a pas une originalité qui le ferait émerger. Cependant ses talents de graveur sont remarquables et il va enseigner dans des écoles d’art. Il initie Rodin à la technique de la pointe sèche, ce dont le sculpteur le remercie en réalisant son portrait.

On ne connaît pas assez le rôle important joué par les sculpteurs français, Dalou et Lantéri, dans le renouveau de la sculpture anglaise, engluée dans l’académisme. Ils enseignent le modelage et Lantéri compose des manuels techniques. Dalou n’a pas encore réalisé ses sculptures parisiennes (il est alors un communard condamné à l’exil), mais on discerne son remarquable talent et son intérêt pour le social dans ses terres cuites et bronzes. Les amitiés artistiques et humaines se nouent alors, comme en témoignent des portraits croisés entre Alma-Tadema et Dalou ou entre Legros et Dalou, et l’exposition en témoigne avec précision.

Il faut aussi évoquer la présence du maître de Dalou à Londres, Jean-Baptiste Carpeaux. Il y a suivi Napoléon III en exil. Il réalisera son portrait après l’avoir dessiné sur son lit de mort. Son séjour à Londres lui permet de réaliser des commandes, un délicieux « Daphnis et Chloé », une « Flore » qui reprend la figure du Louvre, des bustes de ses amis, Gérôme et Gounod.

Après une parenthèse qui permet de revoir les sublimes Nocturnes de Whistler, bleu et argent et bleu et or des années 1870, dont on ne sait s’ils ont pu influencer Monet, cette exposition se déroulant comme en volutes nous ramène à nouveau auprès de Pissarro et Monet. Ceux-ci sont retournés à Londres dans les dernières années du dix-neuvième siècle et les premières du  vingtième, Pissarro pour y peindre dans un style pointilliste les jardins de Kew, Monet, fidèle à la Tamise et à Westminster. Sauf que Monet a mûri et que cette fois il élabore avec passion une série. Ce sont les trente-sept « Vues de la Tamise », exposées en 1904 dans la galerie parisienne de Durand-Ruel. Vollard les voit et somme le jeune Derain qui a 23 ans de traiter le même sujet. Mais Derain est fauve et c’est une autre Tamise, merveilleuse aussi, qui clôt l’exposition, si riche en déroulements variés.

Annie Birga

 

 

Billet : les footballeurs français champions du monde

Tant pis si le trophée attestant la prouesse
N’est plus l’ancien calice où l’on boit pétillants
Des breuvages de joie rendant le cœur vaillant
Demi-sphère moulée sur un sein de déesse

A la divinité de la victoire en liesse
Les supporteurs de foot déclarent chauds bouillants
Quand la bière ou le champ’ leur font des yeux brillants
« C’est dans ta coupe en or que nous buvons l’ivresse »

On a vu que le ciel à la fin s’est ouvert
Pour l’ondoiement de ceux qui jouent d’un pied agile
Et d’étoiles soudain l’horizon s’est couvert

Les Bleus redevenus vulnérables fragiles
Se sont montrés en bus encadrés de vigiles
Sur eux la gloire a la couleur des lauriers verts

 

 

Ce poème est parti d’un vers de Nerval qui se trouve dans « Myrtho », sonnet des Chimères : « C’est dans ta coupe aussi que j’avais bu l’ ivresse ». Il est dommage que, matériellement, le trophée de la coupe du monde ne soit plus une coupe, mais une sorte de statuette en or surmontée d’un ballon qui fait l’effet d’une grosse tête. Le 15 juillet 2018 à Moscou, juste avant la pluie, l’équipe de France, appelée « Les Bleus » bien qu’elle n’ait pas l’exclusivité de cette couleur, a gagné cette compétition pour la deuxième fois. On a pu constater à nouveau que les passions affectent non seulement les individus, mais aussi les nations, dans la joie ou dans la tristesse. Dans la tristesse, ce qui s’est manifesté dans les pays concurrents de la France, c’est une forte envie presque naïve dont l’expression a dérapé. Comme l’a noté Ouest France les 18 et 19 juillet 2018, plusieurs médias étrangers ont voulu minimiser le succès de l’équipe française, en insistant sur les origines africaines des joueurs. Cette envie perçait parfois sous une bienveillance ambiguë feignant de vanter la diversité française. Elle trahissait souvent un racisme inconscient ou maladroitement dissimulé. « Merveilleuse impureté de la sélection française », a écrit le journal barcelonais Sport, illustrant son propos par la mention de Griezmann, Pogba et Mbappé, pourtant tous trois nés français. En Italie, le Corriere della Sera a critiqué cette équipe «pleine de champions africains mélangés à de très bons joueurs blancs face à une équipe composée seulement de blancs représentant un pays au centre de trois grandes écoles de football, les écoles slave, allemande et italienne. » Pour le journal allemand Bild, la France ne doit pas s’illusionner : « Les banlieues de Paris peuplées d’immigrés sont souvent le théâtre d’émeutes, Marseille a été péniblement arraché à la mainmise de clans maghrébins et les 30 % d’électeurs FN n’ont pas disparu en une nuit. » C’est beau, l’amitié entre Européens.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : le temps ne fait rien à l’affaire

Les jeunes cons deviennent vieux
Pourvu que Dieu leur prête vie
Brassens l’a dit fort peu gracieux
Mais véridique à mon avis

Qu’importe l’âge auquel sévit
La présomption des prétentieux
Les jeunes cons deviennent vieux
Pourvu que Dieu leur prête vie

De leur ornière ils ne dévient
Que rarement souvent odieux
Dans le chemin qu’ils ont suivi
Blancs-becs d’abord puis sentencieux
Les jeunes cons deviennent vieux

 

Brassens a fait une chanson sur ce thème :
« Le temps ne fait rien à l’affaire,
Quand on est con, on est con.
Qu’on ait vingt ans, qu’on soit grand-père,
Quand on est con, on est con.
Entre vous, plus de controverses,
Cons caducs ou cons débutants,
Petits cons d’la dernière averse,
Vieux cons des neiges d’antan. »
Le premier vers de cette citation peut faire penser à une réplique d’Alceste à son rival Oronte, auteur d’un sonnet du genre précieux, dans Le Misanthrope de Molière.
Oronte (à propos de son sonnet) :
« … Au reste vous saurez
Que je n’ai demeuré qu’un quart d’heure à le faire. »
Alceste :
« Voyons, Monsieur, le temps ne fait rien à l’affaire. »

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Le téléphone mobile

N’appuyez plus geste ringard
Sur un clavier comme naguère
Mais effleurez l’écran tactile
Avec doigté glissons mortels

Penchez sur lui votre figure
Dans un plaisir qui revigore
Caressez donc l’écran tactile
Avec doigté glissons mortels

Il n’est pas bon pour les doigts gourds
Cet appareil tout digital
Fait pour l’image et le bagou
Plus de clavier comme naguère
Effleurez donc l’écran tactile

 

Les réseaux sociaux permettent à ceux qui y participent d’interagir entre eux grâce au téléphone informatisé, « portable » ou « mobile » (la langue française hésite encore entre ces deux adjectifs), notamment en activant sur le petit écran de ces appareils des icônes d’émotion appelées émoticônes, qui donnent la possiblité d’exprimer une réponse minimale à ce qui est publié sur le réseau : un pouce levé ou baissé pour signifier « j’aime bien » ou « je n’aime pas » comme on le faisait dans les amphithéâtres antiques pour décider du sort des gladiateurs ; un cœur pour « j’adore » ; des visages réduits à leurs traits essentiels pour représenter par le dessin de la bouche, des yeux et des sourcils l’étonnement, la joie et le rire, la tristesse, la colère, bref, le répertoire simplifié des passions de l’âme. Il est remarquable que la sophistication incorporée dans ces objets aboutisse finalement à l’expression d’émotions élémentaires, dans un contraste frappant entre la complexité rationnelle du matériel et la communication rudimentaire des passions. L’apparence de ces objets est désormais si lisse que leurs possesseurs ne sont plus conscients de toute la technologie leur permettant de fonctionner. Pour activer les téléphones de nouvelle génération, le glissement du doigt a remplacé la pression sur un bouton. Ce glissement apparente leurs utilisateurs aux patineurs du librettiste Pierre Charles Roy (1683-1764) :
Sur un mince cristal l’hiver conduit leurs pas :
Le précipice est sous la glace ;
Tel est de vos plaisirs la légère surface.
Glissez mortels, n’appuyez pas.

Dominique Thiébaut Lemaire

Descartes et Spinoza à la galerie Saphir (conférence et gravures)

 

Saphir 2

Saphir

Dans ce livre, l’auteur réfléchit à l’actualité des Passions de l’âme de Descartes (1649) et de l’Éthique de Spinoza (1677),  deux philosophes qui ont vécu à peu près à la même époque et dans le même pays, les Pays-Bas. Le premier livre de Spinoza s’intitule Les principes de la philosophie de René Descartes.
Descartes dénombre six passions primitives, auxquelles toutes les autres se rattachent, et que Spinoza réduit à trois affects primitifs, le désir, la joie et la tristesse (représentés, de même que les six de Descartes, par le peintre et graveur Sergio Birga). Aujourd’hui prédominent la tristesse de la compassion nourrie par des médias désormais planétaires, et la tristesse de l’envie liée au désir légitime d’égalité selon Descartes. Ce sont les deux faces d’un même sentiment consistant à trouver injuste ce qui arrive à un semblable, soit en mal, soit en bien. De plus, comme l’a remarqué Spinoza bien avant René Girard au XXe siècle, souvent on envie un bien non parce qu’il est désirable en lui-même, mais du seul fait qu’un autre le désire ou le possède.
Outre ces analyses éclairantes, Descartes et Spinoza peuvent apporter des réponses aux questions du XXIe siècle dans la mesure où l’une de leurs leçons est la lutte toujours nécessaire contre les idées reçues. Leurs oeuvres, écrites au début du grand développement de la raison scientifique, ont toujours quelque chose à nous dire à ce sujet.
Spinoza écrit dans la quatrième partie de l’Éthique que les hommes sont contraires les uns aux autres quand ils sont la proie des affects, mais s’accordent en tant qu’ils vivent sous la conduite de la raison. Descartes s’est prononcé dans le même sens. Il distingue dans l’âme d’une part ses passions, qui naissent de l’union entre l’âme et le corps, d’autre part ses actions, c’est-à-dire ses volontés. Plusieurs des vertus traditionnelles, qui sont de l’ordre de la raison et de la volonté, commencent par être des passions : l’espérance, l’amour ou charité, le courage, la justice qui n’est pas sans relation avec l’envie, et même la prudence qui n’est pas sans relation avec la crainte. Le lien entre passion et raison vertueuse existe également dans la générosité qui est pour Descartes la clé de toutes les vertus, et que Spinoza adopte comme une composante de sa vertu majeure, la force d’âme (fortitudo).
En ce qui concerne les principaux moyens d’agir sur les passions ou affects, Dominique Thiébaut Lemaire met en évidence à la suite des deux philosophes : comment une passion peut en contrebalancer une autre ; comment se fortifier en bien par l’habitude ; comment le régime politique peut modérer les passions ; comment la maîtrise des passions est possible par la volonté pratique et par la connaissance. A la différence de la volonté pure qui agit par le seul fait d’être formulée, la volonté pratique, au sujet de laquelle Spinoza s’accorde finalement avec Descartes malgré leurs différences de principe, s’appuie sur les efforts répétés de l’exercice ; sur l’anticipation à laquelle contribue le savoir ; sur la capacité de ménager un temps de réflexion quand la passion se fait pressante. La volonté ne sert à rien sans la connaissance, dont l’aspect le plus spectaculaire est le pouvoir de l’esprit sur les corps.

Libres feuillets

La bataille du Côa : gravures rupestres contre barrage au Portugal. Par Maryonne Lemaire

La bataille du Côa
Une leçon portugaise

Un film de Jean-Luc Bouvret.
Projection tous les jours jusqu’au 21 mai 2018, ainsi que les mardis 29 mai et 5 juin, au cinéma Saint André des Arts 30 rue Saint André des Arts, Paris, métro Saint Michel ou Odéon.

C’est presque un cas d’école : « Ou bien les roches gravées ou bien le barrage ».

Dans les années quatre-vingt-dix, la construction d’un barrage par la compagnie EDP (Electricité du Portugal), sur la rivière Côa, affluent du Douro, apporte du travail dans cette petite ville de montagne du nord du Portugal, Vila Nova de Foz Côa. Sa réalisation apporterait aussi, pensent certains villageois, la certitude d’avoir toujours de l’eau.

Mais, sur dix-sept kilomètres,  la vallée de la rivière est un véritable monument à ciel ouvert, datant de l’ère glaciaire. Les roches gravées de profils d’animaux se succèdent, elles témoignent, de la part de lointains ancêtres, du désir de se survivre à eux-mêmes. Le site sera englouti sous les eaux du barrage. C’est ce que veulent éviter quelques habitants, fiers de leur histoire, de leurs vignes et de leurs amandiers, ainsi qu’une équipe d’ archéologues, relayés par l’opinion internationale (médias, UNESCO), et  les lycéens, convaincus que le mot patrimoine ne concerne pas seulement leur église au chœur entièrement doré.

D’un côté la majorité des habitants et la compagnie d’électricité, appuyée par le gouvernement, de l’autre des amoureux du site, des savants et des jeunes. Goliath contre David.

EDP assure qu’un compromis est possible : on peut découper les roches gravées, comme à Assouan, on peut en faire des visites sous-marines ! Les lycéens répliquent par des pétitions, des spectacles de guignol,  de théâtre : « Les gravures ne savent pas nager », scandent-ils sans répit. Est-ce l’esprit de la Révolution des œillets qui leur donne l’énergie de résister ou alors la conscience d’une richesse sans pareille ?

Nous suivons les multiples étapes de l’affrontement sans pouvoir préjuger du dénouement.

La bataille du Côa est un documentaire riche en archives, d’une forte intensité narrative, très émouvant.

A présent, un parc  archéologique de la préhistoire occupe à Foz Côa le site qui devait être celui du barrage.

Maryvonne Lemaire

Billet : présidentiel mépris

 

Le président élu par surprise ou méprise
Continue de montrer un étonnant mépris
Contre les gens du peuple un dédain que n’entame
A peu près nul remords c’est le chef de l’Etat

Chez lui les mots vachards et les méchantes phrases
Franchissent librement sans guère d’embarras
La barrière des dents * n’expriment pas d’estime
A l’égard des sans grade aucune modestie

L’ouvrière d’usine encourt ses anathèmes
Le gréviste en teeshirt qui n’a pas de costume
Le pauvre en son logis trop cher et mal foutu

Il nomme zigoto l’homme de la Corrèze
Auquel il doit son poste il recourt à la ruse
Mais croit en la vertu du parler cash et cru

* Formule homérique

 

D’après un récent sondage, 39 % des Français pensent qu’Emmanuel Macron est méprisant, 31 % qu’il ne l’est pas. En tant que ministre de l’économie, en septembre 2014, à propos de la société Gad en difficulté, il avait déclaré que : « il y a dans cette société une majorité de femmes, il y en a qui sont pour beaucoup illettrées… On leur explique : allez travailler à 50 ou 60 km ! Ces gens-là n’ont pas le permis de conduire, on va leur dire quoi ? » Il avait ensuite présenté à l’Assemblée nationale ses « excuses les plus plates » (sic). Par la suite se sont succédé d’autres déclarations à l’emporte-pièce : « Bien souvent, la vie d’un entrepreneur est bien plus dure que celle d’un salarié » (janvier 2016) ; à un gréviste : « vous n’allez pas me faire peur avec votre teeshirt, la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler » (mai 2016) ; en septembre 2017 il s’en est pris aux « fainéants » opposés à la « loi travail » ; en octobre 2017, il a demandé à des salariés licenciés d’aller chercher du travail ailleurs au lieu de « foutre le bordel » en marge d’un de ses déplacements. Dans un documentaire télédiffusé le 7 mai 2018 pour le premier anniversaire de son élection, il s’emporte contre « les petits bourgeois de la pensée » : « Il n’y a plus d’aventure importante parce qu’on ne risque plus sa vie. Et même l’amour a moins de sel parce qu’il est rendu possible. Les histoires amoureuses sont possibles parce qu’il y a des interdits. » Il s’emporte aussi contre « ceux qui pensent que la France est une espèce de syndic[at] de copropriété » et que « le summum de la lutte, c’est les 50 euros d’APL [aide personnalisée au logement], ces gens-là ne savent pas ce qu’est l’histoire de notre pays. L’histoire de notre pays, c’est une histoire d’absolu ». Oui mais pour Descartes, les généreux, libres, égaux et fraternels, « ne méprisent jamais personne. » (Les Passions de l’âme, article 154).

Dominique Thiébaut Lemaire

E. Macron au bout d’un an : un sondage négatif bizarrement commenté par ceux qui l’ont commandé

Le journal Le Monde a publié dans son numéro daté des 6-7 mai 2018 un sondage d’Ipsos-Sopra Steria réalisé par internet auprès de 13 540 personnes du 25 avril au 2 mai pour le Centre de recherche de Sciences Po (Cevipof), pour la Fondation Jean-Jaurès et pour Le Monde lui-même.

Ce sondage présenté et commenté sur deux pages à l’intérieur du journal est annoncé en première page sous le titre : « Le chef de l’Etat résiste dans l’opinion » assorti d’une sorte de sous-titre affirmant qu’il «  conserve les faveurs de son électorat ». Par un glissement de sens, une équivalence est donc suggérée entre résister dans l’opinion et conserver les faveurs de son électorat. Ce n’est pourtant pas la même chose.

Les approximations et glissements du commentaire s’accentuent dans les pages intérieures où un très gros titre affirme : « Un an après, Macron fort de son bilan », gros titre doublement contredit, par la constatation d’« un bilan mitigé » en caractères beaucoup plus petits, et de surcroît par les chiffres montrant clairement que le bilan est jugé négatif par 55 % des sondés (assez négatif par 39 %, très négatif par 16 %). Les réformes menées sont estimées trop autoritaires par 55 % d’entre eux et trop nombreuses par 49 % contre 13 % de réponses les jugeant « pas assez nombreuses » (à noter que les auteurs du sondage explicitent « trop nombreuses » par : « il faut aller plus lentement », ce qui, de nouveau, n’est pas la même chose). Pour essayer de justifier le glissement de sens de la première page, le journaliste Gérard Courtois, auteur de « Macron fort de son bilan », considère, en dépit de l’évidence, que le Président « peut se rassurer en constatant qu’il conserve le soutien des Français qui l’ont élu » : 68 % de ses électeurs du premier tour jugeant son bilan positif, 56 % de ceux du second tour. 56 % de 66 % des suffrages ne font pourtant qu’une minorité de 37 %, et l’indice de popularité du chef de l’Etat a chuté de 20 points en un an, passant de 64 % à 44 % entre juin 2017 et avril 2018.

« Sur une échelle de 0 (très à gauche) à 10 (très à droite), où classeriez-vous Emmanuel Macron ? » A cette question, les sondés ont donné en moyenne comme réponse 6,7, contre 5,2 en mars 2017 et 6 en novembre 2017. Le chef de l’Etat est perçu de plus en plus à droite. Pour les Français, la promesse « ni gauche, ni droite » n’est donc pas tenue.

43 % des sondés apprécient son action (à distinguer de son image), 57 % ne l’apprécient pas.

60 % considèrent qu’il « veut faire passer son programme en force sans respecter ceux qui ne pensent pas comme lui », 27 % répondent que cette phrase « s’applique moyennement », 13 % qu’elle ne s’applique pas.

La phrase « il vous inquiète » s’applique-t-il à lui ? Les sondés sont 42 % à répondre oui, 28 % répondent que cette phrase « s’applique moyennement », 30 % répondent non.

La phrase « il comprend bien les problèmes des gens comme nous » s’applique-t-elle à lui ? Ils sont 15 % à répondre oui, 32 % répondent que cette phrase « s’applique moyennement », 53 % répondent non.

La phrase « il est méprisant » s’applique-t-elle à lui ? Ils sont 39 % à répondre oui, 30 % répondent que cette phrase « s’applique moyennement », 31 % répondent non.

La phrase « il est sympathique » s’applique-t-elle à lui ? Ils sont 35 % à répondre oui, 36 % répondent que cette phrase « s’applique moyennement », 29 % répondent non.

Logiquement, on s’attendrait à ce que les résultats concernant le mépris soient à peu près  l’inverse des résultats concernant la sympathie, mais ce n’est pas tout à fait le cas. Par exemple, les 39 % de sondés qui trouvent Emmanuel Macron nettement méprisant sont significativement plus nombreux que les 29 % qui ne le trouvent pas sympathique. Peut-être les 10 % de différence se trouvent-ils parmi ceux qui répondent que la phrase « il est sympathique » ne s’applique que « moyennement » à lui.

D’après Martial Foucault, directeur du Cevipof, « près de 4 Français sur 10 le jugent méprisant, indiquant par là qu’il n’incarne pas le rassemblement ». Mais, si les mots ont encore un sens, le mépris est une passion forte qui déborde la question du rassemblement. Selon Descartes, « la passion du mépris est une inclination qu’a l’âme à considérer la bassesse ou petitesse de ce qu’elle méprise » (Les Passions de l’âme, article 149). Spinoza va jusqu’à dire que « le mépris est de faire de quelqu’un, par haine, moins de cas qu’il n’est juste » (Ethique, III, définitions des affects, définition XXII).

Dominique Thiébaut Lemaire

Passions et raison aujourd’hui à la lumière de Descartes et de Spinoza (II). Par Dominique Thiébaut Lemaire.

 

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Après l’analyse des passions au chapitre II de Passions et raison aujourd’hui à la lumière de Descartes et de Spinoza, le chapitre III traite de la raison.
Freud a écrit en 1933 : « Quand la vie nous impose sa sévère discipline, une résistance s’éveille… contre l’inexorabilité et la monotonie des lois de la pensée et contre les exigences de l’épreuve de réalité. La raison devient l’ennemie qui nous prive d’une foule de possibilités de plaisir. On découvre quel plaisir cela procure de se soustraire à elle au moins temporairement et de s’abandonner aux séductions de l’absurde. » Contre cette tentation, Freud va jusqu’à dire que « c’est notre meilleur espoir pour l’avenir que l’intellect – l’esprit scientifique, la raison – parvienne avec le temps à la dictature dans la vie psychique de l’homme. » Cette expression de « dictature de la raison » peut sembler exagérée, mais il faut garder à l’esprit que ce texte date de la décennie qui a vu grandir les dictatures à la veille de la seconde Guerre mondiale.

Le début du chapitre III évoque les liens entre la raison et la vertu. Dans l’Antiquité gréco-latine, la vertu désigne le caractère distinctif, le mérite essentiel d’un être, qu’il s’agisse de l’homme, du cheval ou de l’arbre. Le mérite essentiel de l’être humain, le caractère qui le distingue en principe des autres êtres est la raison. La vertu de l’être humain n’est pas l’émotion ni le bon sentiment, elle est la raison, pour Descartes et Spinoza comme pour les philosophes de l’Antiquité. Par ailleurs la vertu n’est pas seulement raisonnable, elle est aussi volontaire, c’est-à-dire une habitude acquise par l’effort. Descartes, bien qu’il soit ennemi de l’école scolastique héritière de Thomas d’Aquin, se déclare pourtant d’accord avec cette école sur ce point, il l’écrit dans sa correspondance : « On a raison dans l’Ecole, de dire que les vertus sont des habitudes ». La vertu s’exerce grâce à l’habitude acquise en ce qui dépend de nous. Descartes insiste sur cette idée venue du stoïcisme antique : il faut éviter de désirer vainement ce qui ne dépend pas de nous. Spinoza acquiesce à cette idée, en disant que la vertu est l’effort (conatus en latin) de celui qui persévère dans son être au lieu d’être conduit par ce qui est en dehors de lui. Toutefois, on peut objecter qu’il nous est souvent difficile de savoir ce qui dépend de nous, soit du fait des passions qui nous font nous sous-estimer ou nous surestimer, soit du fait du progrès qui améliore objectivement le savoir et les moyens d’action.

A propos de la raison vertueuse, non seulement individuelle mais aussi collective, Spinoza écrit dans la quatrième partie de l’Ethique : « C’est en tant seulement qu’ils vivent sous la conduite de la raison que les hommes nécessairement s’accordent toujours en nature », alors que : « En tant qu’ils sont la proie des affects qui sont des passions, les hommes peuvent être contraires les uns aux autres ». Cela dit, les passions ne sont pas forcément à l’opposé de la raison vertueuse. En effet, beaucoup d’entre elles peuvent être considérées comme bonnes, ce qui est une première étape vers la vertu. Dans l’avant-dernier article des Passions de l’âme, Descartes n’hésite pas à affirmer : « Et maintenant que nous les connaissons toutes… nous voyons qu’elles sont toutes bonnes de leur nature, et que nous n’avions rien à éviter que leurs mauvais usages ou leurs excès… » Quand on passe en revue les sept vertus traditionnelles (quatre provenant de la philosophie gréco-latine, prudence, justice, courage, tempérance, plus trois provenant du christianisme, foi, espérance, charité), on constate que plusieurs commencent par être des passions : le courage, l’espérance, l’amour, même la justice née de l’envie qui pousse à l’égalité, et même la prudence, qui n’est pas sans lien avec la crainte. On est amené au même constat si l’on considère les vertus majeures de Descartes et de Spinoza. La générosité que Descartes considère comme la clé de toutes les vertus est d’abord une passion de joie, d’amour et d’estime justifiée de soi. Comme l’écrit l’auteur des Passions de l’âme, « on peut exciter en soi la passion et ensuite acquérir la vertu de générosité ». A la suite de Descartes, Spinoza adopte la générosité comme l’une des deux composantes de sa vertu majeure. A la fin de la troisième partie de l’Ethique, il écrit ceci : « Toutes les actions qui résultent d’affects se rapportant à l’esprit en tant qu’il comprend, je les rapporte à la force d’âme (fortitudo en latin, fortitude en traduction littérale) que je divise en vaillance et générosité. Par vaillance j’entends le désir par lequel chacun s’efforce de conserver son être sous la seule dictée de la raison. Et par générosité j’entends le désir par lequel chacun, sous la dictée de la raison, s’efforce d’aider les autres et de se lier d’amitié avec eux. » La vertu n’est pas seulement individuelle, elle est aussi politique, comme l’ont dit Montesquieu et Rousseau. Par exemple Montesquieu écrit dans l’Esprit des lois au milieu du XVIIIe siècle : « Il est clair que dans une monarchie, où celui qui fait exécuter les lois se juge au-dessus des lois, on a besoin de moins de vertu que dans un gouvernement populaire, où celui qui fait exécuter les lois sent qu’il y est soumis lui-même et qu’il en portera le poids. »

Toujours dans le chapitre III de Passions et raison aujourd’hui, après l’étude des liens entre la raison et la vertu, un développement est consacré aux principaux moyens d’agir sur les passions.

Un premier moyen d’agir sur les passions consiste à limiter leurs excès en les opposant les unes aux autres. Descartes, qui a connu la vie militaire, décrit le combat entre la peur et l’ambition de vaincre. Spinoza, de son côté, exprime une sorte de foi dans la puissance de l’amour capable de désarmer la haine, sans faire preuve de naïveté, car il accepte aussi l’idée que la crainte ressentie par les orgueilleux est utile comme affect modérateur.

Deuxième moyen d’agir sur les passions et d’en faire bon usage : l’exercice et l’habitude. L’habitude a un double visage : elle fait courir un risque de sclérose en devenant routine, mais elle peut aussi devenir une bonne accoutumance qui transforme la nature des chiens qu’on dresse (exemple utilisé par Descartes), ou qui transforme la nature des humains trouvant dans leur passion l’énergie de répéter pour les perfectionner des gestes sportifs ou la récitation d’un texte, ou encore  un morceau de musique à jouer le mieux possible. Spinoza, quant à lui, face aux offenses, aux dangers, aux vices, recommande de se répéter toujours les réponses de la force d’âme, vaillance et générosité…

Troisième moyen d’agir sur les passions, l’institution d’un régime politique adéquat. Il s’agit par exemple d’établir un régime qui contrebalance les passions des uns par les passions des autres, et qui évite de donner libre cours aux excès passionnels d’un seul ou d’un petit nombre de privilégiés.

Quatrième moyen d’agir de manière bénéfique sur les passions, la volonté pratique alliée à la connaissance. Il convient d’abord de distinguer le désir qui est passion et la volonté qui est action. Il faut dire aussi qu’on peut désirer sans volonté, mais qu’on ne peut vouloir sans désir. Ensuite, ce que j’appelle la volonté pratique est différente de la volonté pure qui consiste à dire « je le veux » et à attendre l’autoréalisation de cette parole. La volonté pratique n’est pas une volonté « performative » qui serait obéie par le seul fait d’être énoncée, elle s’appuie sur les efforts répétés de l’exercice et de l’habitude ; elle met en œuvre ce que Descartes dénomme la préméditation, c’est-à-dire l’anticipation ; elle est capable de ménager un temps de réflexion quand la passion se fait pressante. La question de la volonté comme moyen d’agir sur les passions oppose Descartes et Spinoza. Mais le second, sans trop le reconnaître, tend à rejoindre le premier au niveau de la volonté pratique.
La volonté ne sert à rien sans la connaissance. A propos de la connaissance, du savoir, de la science, sans se lancer dans des considérations complexes sur la question de leurs mauvais usages, Passions et raison aujourd’hui se contente de citer Rabelais et sa maxime célèbre : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». L’aspect le plus spectaculaire de la connaissance est le pouvoir d’action de l’esprit sur les corps. Pour illustrer cet aspect, l’exemple mis en avant est celui de l’optique, qui a beaucoup intéressé nos deux philosophes. Spinoza pratiquait avec succès le polissage des verres pour la fabrication d’instruments permettant de dépasser les limites de la vision humaine. Cette activité était très répandue aux Pays-Bas où le télescope et le microscope ont été inventés ou du moins considérablement perfectionnés au XVIIe siècle. Passion et raison aujourd’hui remarque en passant que la poussière de verre produite par le polissage n’a pas dû améliorer la santé de Spinoza qui souffrait d’une maladie des poumons. Il se trouve que Descartes, lui aussi, s’est beaucoup intéressé à l’optique et à la recherche des conditions assurant la netteté des images fournies par les instruments, comme en témoignent les essais de mathématique et de physique joints au Discours de la méthode. Les deux philosophes ont donc en commun non seulement leur réflexion philosophique, mais aussi leur intérêt théorique et pratique pour la physique de la lumière.
La connaissance rationnelle des corps devient action sur les passions quand elle donne la possibilité d’exercer un pouvoir sur leurs origines corporelles. Par ailleurs, elle fournit un modèle, celui de l’enchaînement des causes et des effets, qui peut être un moyen de consolation. Chez Spinoza, par exemple, la compréhension de la nécessité causale vient en premier parmi les remèdes à la tristesse : en effet, écrit-il, « nous voyons s’apaiser la tristesse causée par la perte d’un bien sitôt que l’homme qui l’a perdu considère qu’il n’y avait aucune possibilité de conserver ce bien. » Mais surtout, la connaissance des passions donne le moyen de méditer par avance sur elles sans être désemparé par leur caractère soudain qui pousse à agir sans réfléchir. L’exercice des capacités d’anticipation et de distanciation éclairées par le savoir est considéré par Descartes, mais aussi par Spinoza, comme le comportement le plus efficace pour ne pas subir le saisissement passionnel et son caractère inopiné.

Passion et raison aujourd’hui se prolonge par quelques considérations sur la dialectique des passions et de la raison, dans un mouvement où l’excès de passions suscite un désir de raison tandis que l’excès de raison suscite à son tour un désir de passions. Le moteur de cette dialectique est la déception, la désillusion, le désenchantement, formes que prend la passion de l’espérance insatisfaite. Dans ce mouvement, ni la raison ni la passion ne reviennent à leur état antérieur. D’une phase à l’autre, le monde rationnel évolue en fonction des progrès scientifiques et techniques, mais le monde passionnel évolue également, car il a la faculté d’exploiter à son profit les derniers acquis et produits de la rationalité, par exemple, à l’heure actuelle, le développement des réseaux informatiques couplés à la téléphonie.

Le livre se termine par huit annexes. Quatre d’entre elles sont à mentionner plus particulièrement : la première, intitulée « Le mensonge et la sincérité », ajoute un complément par rapport aux Passions de l’âme et à l’Ethique ; une autre est consacrée au sujet d’actualité des « passions dans la religion » ; deux annexes sur « Descartes et la poésie » et sur «  Camus et Descartes » visent à remettre en cause les idées reçues concernant la prétendue froideur du rationalisme cartésien ; la dernière annexe, portant sur « Les passions à la lumière de Freud », ébauche un rapprochement avec la psychanalyse.

Passions et raison aujourd’hui à la lumière de Descartes et de Spinoza (I). Par Dominique Thiébaut Lemaire.

 

9782343141060fCet ouvrage se fonde sur Les Passions de l’âme de Descartes (1649) et sur l’Éthique de Spinoza (1677). Descartes parle de passions de l’âme pour les distinguer des perceptions qui se rapportent à notre corps, comme la soif, la faim, la douleur, ou qui se rapportent aux objets extérieurs, comme les odeurs, les sons, les couleurs. Quant au titre du livre de Spinoza, le dictionnaire définit l’éthique comme la science ou théorie de la morale. Le terme de « morale » venu du latin peut désormais sembler désuet sinon rebutant, mais il n’a pourtant pas une signification très différente de la signification du mot « éthique » qui vient du grec ancien et qui est très en vogue aujourd’hui, au point que les grandes entreprises et de nombreuses autres organisations l’utilisent fréquemment en créant en leur sein des « comités d’éthique ». Ce qui a intéressé l’auteur de cet ouvrage, c’est la description de ce que Descartes appelle des passions et Spinoza des affects. Mais c’est aussi l’analyse des accords et désaccords des passions avec la raison et avec la volonté pratique, celle qui s’affirme par l’exercice persévérant. A la limite de la philosophie, des mathématiques et de la littérature, à la frontière entre la psychologie et la sociologie, Les Passions de l’âme et l’Éthique peuvent être lus comme une galerie de caractères comparables à ceux qu’on trouve chez les moralistes, dramaturges et romanciers depuis le XVIIe siècle. Une spécialiste de la philosophie cartésienne, Geneviève Rodis-Lewis, remarque à ce sujet que Racine gardait dans son cabinet de travail un portrait de Descartes.

Dans le titre Passions et raison aujourd’hui à lumière de Descartes et de Spinoza, l’adverbe aujourd’hui mérite d’emblée un commentaire.

Il existe en effet des liens de proximité entre notre temps et ces philosophes du XVIIe siècle. De même que la langue de Descartes reste compréhensible pour nous, les passions décrites par lui et par Spinoza restent en grande partie actuelles. Les deux philosophes peuvent nous aider à comprendre et bien agir à notre époque : ainsi, l’une de leurs grandes leçons, la lutte contre les idées reçues, n’est pas moins nécessaire aujourd’hui. Par ailleurs, ils ont joué un rôle de précurseurs dans le grand développement de la raison scientifique, et ils ont donc toujours quelque chose à nous dire en ce domaine.

Passions et raison aujourd’hui commence par un chapitre premier intitulé « Présentation générale ».

Dans cette présentation générale sont d’abord évoquées les ressemblances et les différences entre Descartes et Spinoza. Certes, du point de vue de la philosophie théorique, le dualisme cartésien sépare la substance corporelle et la substance pensante, alors que Spinoza les réunit. Mais en dépit de cette différence il existe une unité de temps, de lieu et de préoccupations entre ces philosophes rationalistes ayant vécu tous deux aux Pays-Bas au XVIIe siècle. Le premier livre publié par Spinoza s’intitulait Les Principes de la philosophie de René Descartes. C’est dire que les deux philosophies ne sont pas étrangères l’une à l’autre, et sont parfois très proches.

La particularité de l’éclairage cartésien et spinoziste sur les passions ou affects tient à l’importance de ce qu’on peut appeler la géométrie passionnelle. Dans la préface à la troisième partie de l’Ethique, Spinoza annonce qu’il va traiter de la nature des affects et de leurs forces, et de la puissance de l’esprit sur eux, en considérant les actions et appétits humains comme s’il était question de lignes, de plans ou de volumes. Cette annonce reprend le sous-titre de l’Ethique, que Spinoza présente comme démontrée selon l’ordre géométrique, avec des propositions, des axiomes, des lemmes, des démonstrations, des corollaires, des scolies. Spinoza prend appui sur les éléments d’Euclide et sur Descartes lui-même qui était un génie mathématique autant que philosophique. La présentation générale de Passions et raison aujourd’hui traite de cet aspect dans une sous-partie intitulée « mathématique des relations passionnelles ». L’un des concepts fondamentaux de cette mathématique est la notion de contraire, qui est à la base des oppositions et des symétries étudiées au moins depuis Aristote dans le domaine des passions : par exemple les couples amour et haine, joie et tristesse, estime et mépris… Les mathématiques et la géométrie ne sont pas là pour effrayer le lecteur. Elles font apparaître dans le domaine des sentiments et des émotions un ordre qui donne un plaisir intellectuel voire esthétique en même temps qu’un moyen de mieux  comprendre.

La présentation générale de Passions et raison aujourd’hui aborde aussi la question du lien entre le corps et l’âme ou esprit, et la question de la liberté. Descartes situe les passions à la jonction entre les substances distinctes que sont pour lui le corps et l’esprit. Il considère par ailleurs que l’esprit humain est capable d’acquérir suffisamment de maîtrise sur les passions pour s’en libérer. Sur ces deux points, Spinoza exprime son désaccord philosophique : pour lui, le corps et l’esprit ne sont pas deux substances distinctes, et de plus il juge la volonté impuissante contre les affects.  Le paradoxe de sa position réside dans le fait que, tout en se démarquant fortement de Descartes sur ces questions de principe, il le suit tout de même assez fidèlement dans ses analyses concrètes.

Venons-en au chapitre II dont le titre est « L’analyse des passions ».

Cette analyse commence par l’étude des passions issue de Platon et d’Aristote et reprise par Thomas d’Aquin, qui a voulu réconcilier la foi et la raison au Moyen Age. A côté de Thomas d’Aquin, un peu de place est laissée à saint Augustin, dont la classification a été reprise par Blaise Pascal au XVIIe siècle, et même par Pierre Bourdieu au XXe siècle. Cette typologie distingue trois types de désirs, trois libidos, celles des sens, du pouvoir et du savoir. Cette classification rend compte de plusieurs réalités de notre époque, caractérisée par le désir de savoir qui anime la science, mais aussi marquée par la persistance du désir de dominer qui se combine au désir de savoir, et qui continue à se mêler au désir sensuel dans les rapports entre les sexes.

Cette parenthèse étant refermée, revenons à l’étude des passions faite par Thomas d’Aquin et modifiée par Descartes et Spinoza.

Thomas d’Aquin a suivi une démarche consistant à déterminer les passions auxquelles toutes les autres peuvent se rattacher ou se ramener. Il a distingué onze passions premières ou primitives, réparties en deux catégories : celle de l’appétit dénommé concupiscible, et celle de l’appétit dénommé irascible.  « L’irascible, écrit-il, désire la victoire, comme le concupiscible désire le plaisir ». Dans Les Passions de l’âme, Descartes critique vivement la tradition scolastique issue de Thomas d’Aquin. Il explique pourquoi il supprime la  distinction entre l’irascible et le concupiscible, et il réduit de onze à six les passions primitives, qui sont pour lui l’admiration, le désir, l’amour et la haine, la joie et la tristesse. De son côté Spinoza, en rattachant l’amour à la joie et la haine à la tristesse, et en contestant le caractère premier de l’admiration, réduit les six passions primitives de Descartes à trois seulement, à savoir : le désir, la joie et la tristesse. Descartes n’a pas inventé le concept de passion primitive, mais ce concept est en accord avec les règles qu’il pose dans son Discours de la méthode. Il est conforme en particulier à la troisième règle ou précepte qui recommande de conduire par ordre les pensées, « en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusques à la connaissance des plus composés ». A quoi servent les passions, primitives ou composées ? Descartes répond qu’elles disposent l’âme à vouloir les actions qui nous sont utiles. Il estime que la tristesse et la haine, quand elles nous écartent de ce qui est nuisible, peuvent être plus utiles que la joie et l’amour. Il s’agit alors d’une haine dont le caractère est plus défensif qu’offensif. Spinoza convient avec Descartes que, même si la joie est supérieure à la tristesse, certaines passions joyeuses, par exemple l’orgueil, peuvent nuire davantage que les passions tristes, dans la mesure où elles ont souvent plus de force.

Après avoir distingué les passions ou affects primitifs, Descartes et Spinoza analysent les passions ou affects qui s’y rattachent, que Passions et raison aujourd’hui regroupe en trois catégories : premièrement la colère et les passions connexes ; deuxièmement les passions de l’estime et de la mésestime de soi et d’autrui ; troisièmement les passions mimétiques, à propos desquelles on pourrait parler d’identification comme le fait la psychanalyse. Pour commencer par la colère, celle-ci, ira en latin, a donné son nom à la catégorie des passions irascibles de Thomas d’Aquin. Mais Descartes n’en a pas fait une passion primitive, il la rattache à la haine. Il définit la colère comme la passion violente qui nous affecte en réaction au mal qui nous est fait, tandis que le mal fait aux autres suscite en nous de l’indignation, et que le bien qui nous est fait suscite en nous de la reconnaissance. Dans la deuxième catégorie de passions, celle de l’estime de soi ou d’autrui, on trouve la générosité, l’orgueil et l’humilité, l’amour-propre, le désir de gloire et son contraire la honte. Dans la troisième catégorie, celle des passions mimétiques, se classent la pitié et l’envie, la jalousie, les désirs concurrentiels. En ce qui concerne la pitié et l’envie, lorsqu’un bien ou un mal arrive à d’autres, écrit Descartes, si nous estimons qu’ils ne le méritent pas, le bien excite l’envie, et le mal la pitié. Ce sont les deux faces d’un même sentiment consistant à trouver injuste ce qui arrive à un semblable qui pourrait être nous. Il y a plus encore dans le mimétisme. Comme l’a remarqué Spinoza bien avant René Girard qui a développé au XXe siècle une théorie du désir mimétique : souvent on désire un bien non parce qu’il est désirable en lui-même, mais du seul fait qu’un autre le possède.

Après l’analyse des passions, voir la suite dans: Passions et raison aujourd’hui à la lumière de Descartes et de Spinoza (II).

 

 

Billet : fin de la crise économique de 2008 ?

L’économie repart avec manifs et grèves
Les revendications quand tout va mieux s’aggravent
A la fin de la crise où tous n’ont pas maigri

La paye on veut alors qu’elle soit en progrès
Et que l’os à ronger se garnisse de gras

Le monde d’avant-hier est bonheur qu’on regrette
Le corset de rigueur il ne faut plus qu’il gratte
L’effort mal réparti devient un * mistigri

La paye on veut alors qu’elle soit en progrès
Et que l’os à ronger se garnisse de gras

Au bout du purgatoire oubliera-t-on la Grèce
Pressurée par l’Europe au point de crier grâce
Jalousée par le Nord qui souffre d’un ciel gris

La paye on veut alors qu’elle soit en progrès
Et que l’os à ronger se garnisse de gras

Après dix ans de peine assortie de migraine
Qui n’a pas disparu qui reste en filigrane
Je pense que beaucoup vont en sortir aigris

 

Par un paradoxe apparent, c’est au moment où les crises économiques sont en voie de résolution que les mécontentements s’expriment avec le plus de force. La population prend alors conscience qu’elle peut cesser de plier sous le joug de la contrainte et que l’espoir d’une amélioration renaît. L’espérance est un facteur d’illusion, mais aussi une aide à la modération, comme pourrait le montrer le cas de la Grèce. Celle-ci a emprunté depuis 2010 plus de 200 milliards d’euros auprès de ses partenaires européens. Alors que le plan d’assistance s’achève le 20 août prochain, l’Union européenne, sachant qu’Athènes a besoin de soutien dans cette période délicate, réfléchit à un plan d’allègement « vraiment convaincant » (mais en est-elle capable, cette union ?) qui inciterait les Grecs à cultiver la prudence économique dans la durée et à poursuivre les réformes.

*Mistigri : entre autres significations, désigne « une carte à jouer désavantageuse dont il faut se défausser. Repasser, refiler le mistigri à quelqu’un : se débarrasser d’un problème encombrant  » (dictionnaire Robert).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : le franchissement des Vosges

 

Entre Alsace et Lorraine on traversait les Vosges
En car dans ma jeunesse ou en quatre-chevaux
Aujourd’hui par Bussang les camions lourds s’allongent
Ils freinent l’impatient pressé sur leurs talons

Par le col de Bramont dans des pentes sauvages
Les virages serrés font toujours la java
Les sapins sur leurs bords aux feuillus se mélangent
Pour franchir la montagne on voudrait plus d’élan

Par le col d’Oderen celui que je préfère
La route est plus tranquille et ses tournants moins forts
Quelques-uns seulement en épingle à cheveux

Ses lacets modérés n’exigent des chauffeurs
Qu’une attention moyenne et sans appels de phares
Et sans agacement de conducteur nerveux

 

Entre la vallée alsacienne de la Thur (vallée de Thann/Saint-Amarin) et les vallées lorraines de la Moselotte et de la Moselle, l’automobiliste a le choix entre trois cols routiers : ceux de Bussang  (731 m d’altitude), d’Oderen (884 m d’altitude) ou de Bramont (956 m d’altitude),  ce dernier tout au fond de la vallée de la Thur. La voie mosellane historique qui passe par le col de Bussang aurait pu avoir son tunnel ferroviaire de 8 300 m de long. Mais le percement de ce tunnel, décidé le 11 juillet 1870, a été annulé à cause de la guerre franco-allemande et de l’annexion, pendant presque cinquante ans, de l’Alsace par l’Allemagne. Le creusement a finalement démarré en 1932, mais les coûts ont augmenté rapidement, et la société de forage a fait faillite en 1935. A cette date la plupart des ouvrages d’art côté alsacien étaient construits et le tunnel était foré sur une longueur de presque quatre kilomètres. La poursuite du projet a traîné et la seconde Guerre mondiale l’a stoppée. En 1943, l’ouvrage inachevé a été reconverti en camp de travail, annexe du camp de concentration de Natzwiller-Struthof. Des pièces de moteur d’avion y étaient fabriquées pour le compte de Daimler-Benz. Les déportés, juifs pour la plupart, provenaient des camps de Dachau ou du Struthof. Ils étaient majoritairement russes et polonais. Le chantier du tunnel n’ayant pas été repris après 1945, le col de Bussang est resté indispensable jusqu’à maintenant comme voie de passage la plus directe sur le grand axe de circulation entre le Benelux, la Suisse et l’Italie.

Dominique Thiébaut  Lemaire

 

Corot : le peintre et ses modèles. Par Annie Birga

Exposition au Musée Marmottan-Monet

2 février-8 juillet 2018

Une telle exposition offre l’occasion rare de connaître et de comprendre mieux l’œuvre de Corot. Car on oublie trop que, si le paysage a été la passion première et jamais désavouée du peintre qui s’exclame : « Je n’ai qu’un but dans la vie que je veux poursuivre avec constance, c’est faire des paysages », celui-ci a tout au long de son existence peint des portraits, des figures et des nus. L’exposition du Musée Marmottan-Monet en présente un choix restreint, une soixantaine d’oeuvres qui vont des premières années d’Italie aux derniers portraits exécutés  en 1874, quelques mois avant sa mort. Le Musée du Louvre a la chance de conserver beaucoup de toiles de Corot ; le commissaire de cette exposition en est le directeur du Département des peintures, Sébastien Allard.

Entre 1825 et 1829 Corot séjourne à Rome et dans les campagnes du Latium, d’où de nombreuses études de paysages. Mais, intéressé par les types humains, il fait parfois entrer dans son atelier des mendiants, des paysans, des bergers (Ciociari en patois romain). Ce qui nous vaut des pochades réalistes et vivaces, comme « Vieillard assis sur une malle appartenant à Corot » (1826). Il peint un moine itinérant avec canne et besace, absorbé dans sa lecture, dont il rend bien la silhouette massive. Il remarque l’élégance  des costumes de paysannes, la variété de leurs couleurs. Bien des années plus tard il demandera à un ami peintre et voyageur de lui rapporter des habits de femmes de Genzano et d’Albano (et aussi un habit de capucin) dont il pourra vêtir ses modèles parisiens.

Dans les années qui suivent son retour à Paris, Corot, à nouveau repris par le paysage, va cependant portraiturer sa famille : sa mère, élégante et énigmatique, et une ribambelle de nièces auxquelles il offre ce cadeau pour leurs seize ans. Ce sont des images simples, immédiates et vivantes. Le portrait le plus connu, réalisé à la manière d’Ingres, est celui de Louise Claire Sennegon, mélancolique, sur un fond crépusculaire (1837). Un beau portrait d’homme (« Toussaint Lemaistre, architecte ») fait  regretter l’absence de modèles masculins.

En 1843 Corot va effectuer son troisième et dernier séjour à Rome. Il possède désormais toute la maîtrise de son métier. Deux tableaux réalisés cette même année nous l’attestent : « Tivoli. Les Jardins de la Villa d’Este », où une petite figure de jeune paysan,  juché sur le mur d’enceinte de la Villa, apporte une touche vivace dans un harmonieux paysage classique d’architectures et d’arbres.  Quant à « Marietta ou l’Odalisque romaine », c’est une huile sur papier marouflée sur toile de très petites dimensions (29 x 44 cm). Corot se revendique de la paternité d’Ingres et en effet son dessin en a la hardiesse. Il est fait sur un lavis rose et les tons sont ocres et gris. Le modèle nu fait face au spectateur avec un regard qui n’est pas sans rappeler celui de l’« Olympia » de Manet. Des Romaines, Corot écrivait à son ami Abel Osmond : «  Ce sont toujours les plus belles femmes du monde que je connais ».

Désormais fixé définitivement à Paris, Corot poursuit une carrière où les Salons tiennent une place importante. Dans des formats plus grands il traite de sujets bibliques ou mythologiques et les personnages qui peuplent les lieux ne sont guère individualisés. Les titres des portraits, donnés a posteriori par ses critiques, peuvent en révéler l’ambiguïté ;  la « Muse de Virgile »(1845) est aussi une « Liseuse couronnée de fleurs ». Son modèle préféré, Emma Dobigny, qui posa aussi pour Degas et Puvis de Chavannes, est représentée en « jeune Grecque ». Ou encore Corot, à force d’idéalisation, dans le portrait commandé  de Berthe Goldschmidt, fait de son modèle une Joconde moderne. Mais on a de belles surprises : une érotique « Belle Gasconne », une « Jeune Femme à la jupe rose », instantanée, qui n’ont rien d’allégorique. Le biographe de Corot, Moreau-Nélaton, évoque ainsi ses modèles : « Des Italiennes de la rue Mouffetard alternaient dans la pose avec les coureuses d’atelier de Montmartre ».

Jeune femme à la jupe roseJeune femme à la robe rose

Dans les années 60-70 Corot a peint des nus allongés, images de Bacchantes. L’exposition en regroupe trois dans une série onirique. Les nus rappellent Giorgione et le Titien. Ils sont mis en valeur par de forts contrastes de lumière. Aucune expression dans les visages féminins. Mais de curieuses mises en scène, en particulier dans « La Bacchante à la panthère », des paysages étranges, plage, mer, buisson, tour lointaine, dans « La Bacchante couchée au bord de la mer » .

Puis dans un infatigable va-et-vient Corot, de retour à l’atelier, montre un peu de son intimité de peintre. Il fait comme souvent une série avec des variantes.  Atelier avec le poêle et entrée d’atelier. Au mur des tableaux. Sur le chevalet un tableau en cours. Filles qui ont délaissé la pose ou qui regardent l’œuvre, une autre tient une mandoline. Elles se ressemblent toutes. De sages jeunes modèles. On pense à des tableaux hollandais et parfois à Vermeer.

Jamais Corot n’a employé du blanc ou du noir pur. Il a beaucoup utilisé le blanc et il a été en ce sens précurseur des Impressionnistes. Berthe Morisot et Pissarro se sont réclamés de lui. Il a été fortement influencé par Manet dans les dernières années de sa création. Les portraits sont devenus plus grands,  les femmes sont représentées à mi-corps, la manière est plus libre, la touche plus épaisse. « La Dame en bleu » (1874) clôt l’exposition. La couleur du bleu franc de la robe, la pose du modèle qui suggère une rêverie, la mise en valeur du bras nu, la présence discrète de l’atelier, tous ces éléments réunis font de ce tableau un chef-d’œuvre.

Corot a peint très peu d’autoportraits. On a décelé dans l’évocation du « Moine jouant du violoncelle » (1874) comme une parenté morale avec le vieux peintre qui ne cesse de peindre et le fera jusqu’au bout.

Annie Birga

Billet : bise de Russie

Nous attendons transis par un froid de canard
Qu’agisse un dieu clément deus ex machina
Contre le vent trop vif qui porte sur les nerfs
Ce n’est pas le noroît celui que l’on connaît

Rien depuis la taïga n’a pu le retenir
De l’Oural jusqu’à Brest sur la monotonie
Des plaines de l’Europe il souffle et la tournure
Ensoleillée qu’il prend n’est guère bienvenue

Des oiseaux migrateurs des oies de Sibérie
Aimant l’hiver breton dans  la vasière hivernent
Imités cette fois par la bise glaciale

La tiédeur d’un zéphyr venu de l’Ibérie
Les fera repartir tant mieux si le vent tourne
Et tant pis pour le bleu monochrome du ciel

 

Alors que le mois de janvier 2018 a été le plus doux en France depuis 1900, mais aussi l’un des plus humides, février 2018 a été froid. Les 7 et 8 février, des chutes de neige inhabituelles ont touché Paris (voir le billet précédent intitulé  » La ville sous la neige »). A la fin du mois, une vague de froid tardive de 3 ou 4 jours, caractérisée par une bise de nord-est liée à un anticyclone étiré de la Russie à la Bretagne (de l’Atlantique à l’Oural, aurait dit de Gaulle), a touché la France et la plus grande partie de l’Europe. A cette occasion, les médias français ont pris conscience d’un phénomène bien connu dans les pays au climat hivernal rigoureux : la différence entre la température objective mesurée sous abri et la température ressentie, à laquelle d’autres médias ont coutume de se référer par exemple en Amérique du nord. Météo France explique ce phénomène par le fait que dans une atmosphère froide et sèche sans cesse renouvelée par le vent, la peau n’est plus protégée par la mince pellicule d’air chaud et humide qu’elle produit habituellement. Elle s’assèche et réchauffe l’air avec lequel elle est en contact, ce qui refroidit l’organisme. A la fin de l’épisode froid et venteux, le redoux est arrivé par l’Espagne. Il est remonté progressivement vers le nord, avec de violents conflits de neige entre l’air glacial sec et l’air doux humide.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : la ville sous la neige

A Paris cette année le froid garde la neige
Et pendant quelques jours impose le bonnet
Le piéton pour sortir porte double lainage
C’est un temps qui renvoie aux anciens almanachs

Sous un flocage blanc les marronniers se changent
En arbres de Noël on n’entend plus le chant
Des oiseaux dans le parc mais des envies de luge
Excitent les enfants regardant les talus

Les grilles sont fermées sur leur désir de glisse
Attention le flocon par terre devient glace
Les rues sont menacées d’un reluisant verglas

Le conducteur léger dans la pente ou la rampe
Sans pneus d’hiver patine étourdiment dérape
Et dans l’embouteillage il est fait comme un rat

 

La neige fraîche et veloutée de cette semaine a commencé par être un plaisir pour les enfants, les touristes et les Parisiens qui ont le temps d’avoir une pensée esthétique. Elle a surligné de blanc givré le branchage des marronniers en accentuant leur apparence ébouriffée. Mais au sol elle est vite devenue de la gadoue, mot qui, d’après le dictionnaire Robert, signifie au Canada « neige fondante et salie ». Pas seulement au Canada. La tour Eiffel trop glissante a été fermée. Quand le froid est revenu, le soir et la nuit, la gadoue a durci et gelé au point de faire obstacle à la marche. Les camions ont été interdits. Les boulevards et avenues sont restés dégagés non pas grâce aux chasse-neige, mais grâce au passage ordinaire des voitures roulant sur une épaisseur  de dix ou vingt centimètres de flocons malaxés par les pneus. Pour les piétons, la ville a prévu des bacs de sel, avec une notice disant en substance aux habitants du quartier qu’ils se débrouillent. On sent qu’elle parie sur l’ordinaire bonté du ciel pour faire l’économie d’équipements hivernaux.

Dominique Thiébaut Lemaire

La finition dans les arts et dans l’écriture. Par D.T. Lemaire

La finition des œuvres, plus précisément leur degré de finition, est une question esthétique qui traverse les époques. Elle se pose dans le cas de Léonard de Vinci, dont on sait qu’il lui lui arrivait souvent de ne pas achever ses œuvres, volontairement ou non. Ce sujet du non finito, auquel est attaché également le nom de Michel-Ange, est abordé dans un article de Maryvonne Lemaire, publié en 2012 dans Libres feuillets, intitulé La Sainte Anne de Léonard de Vinci au musée du Louvre : interprétation d’une image de rêve. Léonard de Vinci a fait de nombreuses esquisses de ce tableau, et même le tableau définitif est partiellement une esquisse, car tout le fond intermédiaire entre les montagnes et le premier plan est inachevé, tout comme la robe de Sainte Anne. D’autres exemples de non finito sont fournis par Manet et par les impressionnistes à la suite de Manet. Dans son cours du Collège de France daté du 24 février 1999, qui fait partie d’un ensemble de cours publiés sous le titre Manet, une révolution symbolique (Raisons d’agir/Seuil, 2013), Bourdieu nous livre une réflexion stimulante sur la finition des œuvres, notion complexe à laquelle il applique sa méthode « réflexive » en ayant recours à sa propre expérience dans le domaine de l’écriture.

Un premier aspect de la finition, le plus trivial, mais peut-être aussi le plus préoccupant pour l’auteur d’une oeuvre, au moins dans le cas de l’écriture, concerne le travail par lequel il s’applique à  éliminer les erreurs voyantes, certes dans l’idée de parer à une possible critique du public, mais surtout dans le désir, toujours déçu, d’atteindre un idéal de perfection. D’où le stade des relectures, au pluriel, tâche ingrate : Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. A cet égard, Bourdieu va droit à une conclusion déprimante : « On n’éprouve pas de plaisir avec un livre quand on le fait (c’est très dur), mais le livre achevé c’est encore plus terrifiant parce qu’il a cette espèce de fini qui lui donne un côté fatal – les erreurs sont là, elles ne peuvent pas être corrigées, on les voit tout de suite alors qu’on ne les a pas vues avant, etc. » (Manet, une révolution symbolique, p. 205). Ces remarques ont la vérité du vécu. Après le passage par l’imprimeur, malgré les relectures, il y a en effet quelque chose d’irrémédiable dans la persistance de scories si visibles qu’on ne les a pas vues : redondances non repérées, fautes de frappe, coquilles diverses, d’autant plus difficiles à maîtriser qu’il existe de moins en moins de typographes pour y jeter un regard extérieur. Celui qui relit son propre texte a du mal à le voir tel qu’il est, il en gomme mentalement les erreurs en le relisant dans sa tête, il a tendance à le relire non tel qu’il est mais tel qu’il devrait être. Mais son aveuglement cesse dès le passage par l’imprimeur, comme si un autre l’avait écrit, et les erreurs qui deviennent des fautes lui sautent alors aux yeux, il se met à en exagérer la visibilité et l’évidence, et, pour renchérir sur ce que dit Bourdieu, elles lui apparaissent aussitôt « comme le nez au milieu de la figure » et comme la verrue sur le nez.
Il arrive ainsi que des bévues passent au travers de tous les contrôles jusqu’au stade final : tel a été le cas d’un timbre-poste émis en 1937 à 4,4 millions d’exemplaires, représentant le visage de Descartes imité du célèbre portait de Frans Hals, avec en arrière-plan l’inscription Discours sur la méthode, pour commémorer le trois-centième anniversaire du Discours de la méthode, erreur rectifiée deux semaines plus tard par une nouvelle émission à 5 millions d’exemplaires.

Bourdieu inclut dans la finition la lecture des épreuves de livres, en jouant sur le mot épreuve : « si la lecture des épreuves de livres, par exemple, est une épreuve très angoissante, c’est qu’elle marque cette ligne invisible où la chose cesse d’être privée. » A vrai dire, on peut se demander si le passage crucial se situe entre le privé et le public, ou s’il ne se situe pas plutôt entre le provisoire et le définitif. Bourdieu lui-même en donne un exemple dans le domaine universitaire en comparant la publication d’un article à la soutenance d’une thèse. « Un des effets terribles de la thèse à l’ancienne […] est que ce passage de la ligne devenait quelque chose d’extraordinaire : cela devenait une montagne […] d’autant plus qu’il y avait un interdit académique  –  dont on ne sait pas s’il a jamais été appliqué, mais qui en tout cas fonctionnait dans la tête à la fois des impétrants et des juges – selon lequel on ne devait rien publier avant le moment solennel de la thèse […] Une des manières de contourner, ou au moins de contrôler tant bien que mal ce passage, c’est de monnayer l’absolu, c’est-à-dire, au lieu de faire tout ou rien (« Je ferai le livre ultime, final, définitif », comme on dit souvent quand on est jeune), de faire des tas de petits articles, auxquels on n’attache pas beaucoup d’importance, qui sont des esquisses, et de les publier le plus possible. » Bourdieu fait un parallèle implicite entre ce mode de production universitaire et celui des impressionnistes qui ont initié une manière de peindre telle que « l’on peut faire, en beaucoup moins de temps, des choses qui demandaient des mois. Ils mettent en question la valeur – valeur-travail, valeur d’usage, valeur d’échange – qui est l’objet de grandes discussions et d’interrogations : ils peignent vite, ils bâclent parfois, et pourtant leurs tableaux atteindront des prix importants. » (Manet, une révolution symbolique, p. 148-149).

Cette remarque sur l’économie du non-fini (l’économie, c’est-à-dire la maximisation du résultat obtenu par rapport au travail fourni) donne à penser que le succès de ce mode de production peut être dû à une concordance, voire une connivence,  entre d’une part l’intérêt des producteurs, en l’occurrence les peintres ou certains d’entre eux, et d’autre part l’intérêt de ceux qui « reçoivent » les œuvres (les acheteurs, les spectateurs, tous les amateurs et connaisseurs), qui ont aujourd’hui une prédilection pour ce qui leur apparaît souvent à tort comme le plus précieux, c’est-à-dire la spontanéité du premier geste pictural. Si l’on examine un instant l’intérêt des critiques et des historiens de l’art, on constate qu’ils sont attirés par la possibilité d’entrer dans le processus de création, ce que le non-fini et ses esquisses permettent plus facilement que le fini. Dans l’attrait du non-fini entrent en jeu diverses motivations, par exemple la curiosité suscitée par les repentirs des créateurs. Dans l’exposition de 2012 consacrée par le Louvre à la Sainte Anne de Léonard de Vinci (voir ci-dessus), l’étude des repentirs, rendue possible grâce aux rayons X, tenait une place relativement importante. Plus généralement, par rapport au fini qui donne la primauté au dessin (il primato del disegno) et qui lisse la matière, le non-fini pictural réévalue la touche et à  la couleur. En ce qui concerne la littérature, les critiques professionnels sont désormais séduits par les repentirs que révèlent les manuscrits. Ils élaborent par ailleurs des statistiques sur les répétitions de l’auteur (une approche aujourd’hui vulgarisée au point de s’étendre à l’étude des discours politiques par les politologues), pour réduire la complexité de ce qui est dit à la simplicité élémentaire de quelques mots-clés, censés être plus significatifs que le texte élaboré.

Les artistes, les écrivains, auraient-ils tort de rechercher la perfection du poli et de l’achevé ? C’est ce que semble penser Bourdieu – sans doute trop admiratif de Manet et des impressionnistes – en questionnant « l’esthétique du fini ». Il cite Baudelaire qui, dans le Salon de 1845, voit des artistes « consciencieux », recherchant le « trop bien fait », l’excès de perfection, et qui écrit : « Tout le monde peint de mieux en mieux, ce qui nous paraît désolant » (Manet, la révolution symbolique, p.193-194). Cela dit, n’oublions pas que Baudelaire a dédicacé ses Fleurs du mal à Théophile Gautier, grand adepte de la finition, qui a écrit dans Emaux et camées : « Sculpte, lime, cisèle ; / Que ton rêve flottant / Se scelle / Dans le bloc résistant. » Bourdieu cite Baudelaire et son Salon de 1845, et il prend aussi l’exemple du maître de Manet, Couture (p. 202, 204, 207), tel que le présente un livre intitulé Thomas Couture and the eclectic vision, écrit par l’américain Albert Boime, historien de l’art, reprenant l’hypothèse d’un autre critique américain, Joseph C. Sloane (auteur de French painting between the past and the present. Artists, critics and traditions, from 1848 to 1870, Princeton University Press, 1951). Selon cette hypothèse, la révolution impressionniste « aurait consisté essentiellement à constituer en œuvres achevées les esquisses » que les peintres académiques considéraient comme une première étape. Couture, dit Bourdieu, « accordait beaucoup d’attention à la fraîcheur et à la spontanéité de la première impression », mais  il n’a jamais été capable « de s’abandonner entièrement à l’improvisation dans ses œuvres définitives […] Prisonnier de l’esthétique du fini qui s’imposait à lui quand il arrivait à la phase finale de son travail, en un sens – du point de vue des impressionnistes – il gâchait son travail en le finissant à l’extrême ; il identifiait la liberté à la première esquisse, mais il était désorienté lorsqu’il fallait la projeter à grande échelle pour en faire l’œuvre publique, officielle. » Bourdieu ajoute que « le fini refroidit et, en idéalisant, il rend impersonnel et universel, c’est-à-dire universellement présentable : le fini, c’est comme de s’habiller en dimanche, c’est l’habit endimanché […] » Cette remarque (p. 207) lui fait penser à son livre sur la photographie, intitulé Un art moyen. « J’avais montré que les gens ne se laissent pas photographier au naturel et veulent aussitôt prendre la pose, construire une image d’eux-mêmes, mettre leurs plus beaux vêtements, se rendre plus présentables. »
Ce que Bourdieu ne dit pas, c’est qu’à force de soigner la finition, on peut dépasser l’académisme et « l’art pompier » pour parvenir à quelque chose comme l’hyperréalisme, qui n’est pas forcément démodé ni condamné par l’évolution de l’art.

Généalogie : Emma Greder (Hégenheim 1902-Thann 1991)

 

Cette courte généalogie, consacrée à Emma Greder (grand-mère maternelle de Dominique Thiébaut Lemaire) et à la famille de celle-ci, de religion catholique, originaire de Hégenheim dans le sud de l’Alsace, complète l’article de Libres Feuillets publié le 10 novembre 2012, intitulé « Une famille alsacienne dans les guerres des XIXe et XXe siècles ». Hégenheim est proche de Bâle, de même que les autres communes mentionnées (Brinckheim, Leymen, Wentzwiller…)
Cette généalogie retrace une trajectoire familiale typique de cette période, que l’on trouve dans d’autres régions, lorsque la population a évolué de l’agriculture à l’artisanat et au commerce, puis vers des activités dites intellectuelles.
Les sources utilisées sont l’état civil (archives départementales du Haut-Rhin sur internet) et les inscriptions sur les tombes au cimetière de Hégenheim. Il est à noter qu’au XIXe siècle, avant l’annexion provisoire de l’Alsace par l’Allemagne (de 1871 à 1918), à Hégenheim par exemple, les actes d’état civil, rédigés en français, indiquent qu’ils étaient aussi lus en allemand aux personnes présentes.

De 1800 à Emile Greder (1857-1915)

Fridolin Greder, cultivateur, et Anne Marie Riehr (décédée à Hégenheim le 30 avril 1812 à l’âge de 52 ans) sont les parents de Marie Anne et Henry Greder :
— Marie Anne Greder s’est mariée avec Remi Greder, journalier fils de cultivateur ; de ce mariage est née à Hégenheim le 20 juillet 1828 Madeleine Greder (acte sur internet dans les actes de naissance de Hégenheim 1810-1852, photo 227) ; fille de feu Remi Greder et de Marie Anne Greder, survivante, Madeleine Greder, couturière célibataire, est la mère de Jacques Greder (né à Hégenheim le 25 juillet 1850), qui s’est marié avec Anne Schaub ; cette filiation continue jusqu’à nos jours (voir geneanet, arbre de Guy Baeumlin) ;
— Henry Greder (Hégenheim 1er décembre 1799-Bâle 17 avril 1839), cultivateur, par la suite journalier, s’est marié à Hégenheim le 16 janvier 1824, devant le maire Jean Greder, avec Marie Anne Ritti ou Ritty (née à Leymen le 1er janvier 1798), fille de Jacques (maçon décédé à Leymen le 9 mai 1814 à l’âge de 50 ans) et de Catherine Menweg (décédée à Leymen le 22 juillet 1814 au même âge), en présence de deux cultivateurs et de deux journaliers. L’acte de mariage se trouve dans les actes de mariage de Hégenheim 1793-1828 (archives départementales du Haut-Rhin sur internet, photos 300-301). Henri Greder, journalier, est mort à  Bâle où il travaillait.

Fils d’Henry et de Marie Anne Ritti, Henry Greder est né à Hégenheim le 7 mars 1826 à Hégenheim (où il est mort le 24 décembre 1888). Sa naissance a été déclarée par son père, cultivateur, devant le maire Jean Greder, en présence des deux témoins Blaise Stark et George Boesinger, journaliers. Cet acte se trouve dans les actes de naissance de Hégenheim 1810-1852 (archives départementales du Haut-Rhin sur internet, photo 203 du registre). Fils d’Henri, décédé, et de Marie Anne Ritti, sans profession, Henri Greder, maçon, domicilié à Hégenheim, s’est marié à Hégenheim le 22 mai 1854 devant le maire Jean Ulric Frisch avec Anne Marie Bachmann (née à Hégenheim le 29 octobre 1829), fille de Joseph (décédé à Hégenheim le 20 février 1852), tonnelier, et de Christine Frey, domiciliée à Hégenheim, en présence des témoins suivants, domiciliés à Hégenheim :
— François Joseph Mislin âgé de 63 ans, cultivateur, oncle par alliance de la mariée ;
— Jacques Mislin, âgé de 30 ans, charpentier, cousin germain de la mariée;
— Joseph Schmitt, âgé de 49 ans, tisserand, non parent ;
— Jean Mislin, âgé de 33 ans, cordonnier, non parent.
Tous ont signé, sauf la mère de la mariée.
Cet acte se trouve dans les actes de mariage de Hégenheim 1829-1862 (archives départementales du Haut-Rhin sur internet, photos 303 et 304, mariage n° 5 de 1854).
Ont été maçons eux aussi Georges Greder, frère d’Henri Greder, et Jean Fellmann, beau-frère d’Henri Greder :
— Georges Greder (Hégenheim 12 novembre 1827-Hégenheim 5 février 1869) s’est marié à Hégenheim le 29 juin 1864 devant le maire Jean Ulric Frisch avec Catherine Boesinger (née à Hégenheim le 24 avril 1835), sans profession, fille de Georges Boesinger, agent de police ; l’acte se trouve dans les actes de mariage de Hégenheim 1863-1872 (archives départementales du Haut-Rhin sur internet, photo 11) ;
— Jean Fellmann (né à Hégenheim le 18 juillet 1828), maçon comme son père Jean, s’est marié à Hégenheim le 24 mai 1858 devant le maire Jean Ulric Frisch avec Thérèse Greder (Hégenheim 15 décembre 1832-Hégenheim 21 novembre 1866), soeur d’Henri et Georges Greder ; l’acte se trouve dans les actes de mariage de Hégenheim 1829-1862 (archives départementales du Haut-Rhin sur internet, photo 341).

Henri Greder, maçon, et Anne Marie Bachmann sont les parents de :
— Emile Greder (né à Hégenheim le 16 février 1857/acte du 17, décédé en 1915 : date du décès sur sa tombe), commerçant, qui s’est marié deux fois, d’abord avec Rosalie Schmitt, puis avec Rosalie Monique Wanner (voir ci-après) ;
— Marie Anne Greder (née à Hégenheim le 1er octobre 1860) ;
— Madeleine Greder (Hégenheim 21 juin 1862-Hésingue 30 mai 1957) ;
— Rosalie Greder (Hégenheim 24 avril 1865-Hégenheim 6 février 1945) ;
— Joseph Greder (né à Hégenheim le 4 janvier 1868).

Descendance d’Emile Greder (premier mariage)

Emile Greder s’est marié en premières noces à Hégenheim le 15 juillet 1878 (mariage n° 13) avec Rosalie Schmitt, fille de Jacques Schmitt et de Marie-Eve Neuhaus. Du mariage Greder-Schmitt sont nés à Hégenheim :
—  Rosalie Greder (née le 8 septembre 1878 : photo 204 des actes de naissance 1873-1882 sur internet) ;
— Eugène Greder (né le 18 novembre 1882/acte de naissance n°65, décédé à Hégenheim le 4 novembre 1960) ;
— Edouard Greder (né le 19 septembre 1887 : photos 230 et 239 des actes de naissance 1883-1892 sur internet).
Eugène Greder s’est marié avec Joséphine Charron (1885-1953), fille de François Charron (1850-1898) et de Marie-Eve Latschat (1853-1938). Emile et Eugène Greder ont créé à Hégenheim un petit « supermarché » avant la lettre.

Les enfants d’Eugène Greder et de Joséphine Charron sont René, Jeanne, Bernard, Yvonne, Odile, Agnès, Paulette :
— René Greder (1908-1997), négociant en vin avec son frère Bernard, dont l’entreprise subsiste à Hégenheim sous le nom de vinothèque « Les caves Greder », s’est marié avec Rose Perrotin (1917-1995) ; de ce mariage est née en 1946 Colette Greder, chanteuse et comédienne à Bâle (voir sur internet la biographie de Colette Greder par elle-même);
— Jeanne Greder (1909-1997) s’est mariée avec Lucien Eckert (1909-1993), boucher-charcutier, fils d’Adolphe (1875-1951) et de Joséphine Brom (1882-1969) ;
— Bernard Greder (1912-1982), négociant en vin avec son frère René, s’est marié avec Alice Schoeffel (1914-1993) ; de ce mariage est né en 1941 François Greder, qui a été directeur salarié des charcuteries industrielles Maurer, placé à ce poste par le groupe bâlois Bell ; les dirigeants des « Caves Greder » sont aujourd’hui François et Florian Greder ;
— Yvonne Greder (1920-1997) s’est mariée avec Albert Schmitt (1909-1995), secrétaire de mairie à Hégenheim, fils de Joseph Albert (1866-1934) ;
— Odile Greder (Hégenheim 21 avril 1924-Saint-Louis 30 novembre 2011) s’est mariée avec Paul Immelin (1927-2005), entrepreneur en matériaux de construction ;
— Agnès Greder (née en 1927) s’est mariée avec Joseph Boesinger (1924-2013) ; ces époux ont repris la direction de la grande épicerie Greder à Hégenheim ; ils ont eu deux fils médecins, Pascal et Frédéric ; Jacques, fils de Pascal, est diplômé de l’Ecole polytechnique de Lausanne ;
— Paulette Greder (1931-2002) s’est mariée avec Lucien Gutzwiller, dirigeant de l’entreprise familiale du même nom (sanitaire et chauffage), fils de Louis (1899-1975), fondateur de l’entreprise, et de Marie Gasser (1899-1982). Du mariage Gutzwiller-Greder est née le 13 mars 1959 Catherine Gutzwiller, seconde épouse de René Lintzentritt divorcé de Marie-Odile Hillenweck fille d’Emma Greder : voir ci-dessous.

Descendance d’Emile Greder (second mariage)

Emile Greder s’est marié en secondes noces avec Rosalie Monique Wanner (Rose Wanner sur l’inscription funéraire), née à Wentzwiller près de Hégenheim le 4 mai 1876 (douzième naissance de l’année d’après le registre d’état civil), décédée en 1918 (date du décès inscrite sur sa tombe).

Les parents de Rosalie Monique (Rose Monique ou Rose) sont François Joseph Wanner, cultivateur (né à Wentzwiller le 11 juillet 1830, de François Joseph, cultivateur, et de Catherine Heyer) et Thérèse Wanner (née à Wentzwiller le 26 avril 1836 de Joseph Wanner, cultivateur, et de Madeleine Schumacher). Ils se sont mariés à Wentzwiller le 5 mai 1865 (mariage n° 4 sur le registre d’état civil), en présence de quatre témoins, dont Jacques Wanner, charron, oncle du marié, et Joseph Schaeffer, instituteur, le maire étant Joseph Boesinger. Les présents ont tous signé, sauf la mère de la mariée.
François Joseph Wanner et Thérèse Wanner sont les parents de plusieurs autres enfants nés à Wentzwiller :
— François Joseph né le 9 février 1866 ;
— Marie Claude née le 20 mars 1867 ;
— Catherine née le 23 avril 1869 ;
— Jean né le 14 novembre 1870 ;
— Anton ou Antoine né le 26 mars 1874 ;
— Martin (né le 8 mai 1879) qui s’est marié avec Gertrude Stoecklin (née à Brinckheim dans le département du Haut-Rhin le 27 janvier 1888).

Du mariage entre Emile Greder et Rosalie Monique Wanner est née Emma Greder (Hégenheim 29 mars 1902-Thann 22 juillet 1991), qui a épousé à Hégenheim le 11 mai 1923 Thiébaut (César Jean Thiébaut Marie) Hillenweck (Thann 3 août 1894-Mulhouse 16 septembre 1971), fils de Jean Hillenweck, menuisier, et de Catherine Bruckert. Les époux Hillenweck-Greder ont eu trois filles : Monique épouse Lemaire (1924-1983), Léonie épouse Leicher (1927-2017) et Marie-Odile épouse Lintzentritt puis Codiroli (née en 1941).
A la date de son mariage, Thiébaut Hillenweck, titulaire de l’équivalent allemand du baccalauréat, rédacteur (de journal), demeurait à Colmar, après s’être enrôlé dans l’armée française dès 1914 et avoir passé sous le drapeau français les années de guerre principalement en Indochine où il avait été envoyé avec plusieurs autres enrôlés volontaires de Thann. Il a laissé en particulier sur ces années des souvenirs recueillis par sa fille Ninon Leicher et par ses petits-enfants Marie Leicher et Dominique Thiébaut Lemaire (voir en particulier le livre de ce dernier, Quatre familles dans les guerres, publié en 2014 aux éditions L’Harmattan). A la naissance de leur fille aînée, en 1924, Thiébaut Hillenweck et Emma Greder habitaient à Thann 18 rue de la Halle, où demeuraient aussi les parents de Thiébaut Hillenweck. Par la suite, ils ont vécu jusqu’à la fin de leur vie dans cette maison située au bord de la Thur près de l’ancienne halle aux blés, aujourd’hui musée. Après la guerre de 1914-1918, Thiébaut Hillenweck a été journaliste à Colmar et à Thann, commerçant (vente de lait) à Mulhouse, puis comptable, papetier libraire et débitant de tabac à Thann, sous-lieutenant dans l’armée française en 1939. Il a été expulsé d’Alsace par les Allemands en 1940-1945 avec sa famille, et il a trouvé refuge d’abord à Muret près de Toulouse, puis à Ovanches en Haut-Saône. A partir de 1945, il a repris ses activités à Thann avec son épouse.
L’auteur de la présente généalogie se souvient notamment que ses grands-parents maternels, appelés « bon papa » et « bonne maman » par leurs petits-enfants, lui ont offert peu après sa parution un Littré édité en 1967 par Gallimard et Hachette en sept volumes, qu’ils ont offert aussi au filleul d’Emma, Alain Colmerauer (1941-2017), devenu par la suite un informaticien renommé, correspondant de l’Académie des sciences. ils avaient plaisir à faire des cadeaux à leurs proches, et ils aimaient leur métier.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : « A nous deux Paris »

Le parc en plein hiver privé de chlorophylle
Offre un balcon de ciel d’où jeter un défi
A Paris capitale aux beautés triomphales
Ainsi que Rastignac jadis l’apostropha

Depuis le Panthéon jusqu’à la tour Eiffel
De nuit la ville brille elle déploie ses feux
Vus de ce belvédère ils sont comme une foule
Et le regard s’y perd libre de garde-fou

Quand il ne fait pas beau les nuages défilent
Dans l’ombre le vent noir fait sentir ses rafales
Il imite parfois des colères qui feulent

Si l’on croit percevoir des cloches qui se fêlent
C’est qu’aux bords de la Seine il passe et se défoule
Emportant la rumeur d’une ville un peu folle

 

 

En remontant la rue Piat à la limite du XXe arrondissement de Paris, on accède à un belvédère qui surmonte le parc de Belleville. Ce pourrait être de cette colline que Rastignac, l’ambitieux de Balzac, a lancé son défi : « A nous deux Paris ». Depuis ce lieu, la vue est superbe, du Panthéon à la tour Eiffel, et, plus largement, d’est en ouest, depuis le XIIIe arrondissement jusqu’au mont Valérien et même jusqu’aux tours de la Défense, en passant par Notre-Dame, Beaubourg, l’Opéra, le dôme des Invalides (sans pouvoir effacer l’hypervisible tour Montparnasse)… Les arbres du parc, ayant beaucoup poussé, sont sur le point de cacher en été une partie du paysage, si, comme on peut le pressentir, rien n’est fait pour les discipliner. Ce belvédère idéalement placé souffre d’un aménagement médiocre et négligé. Construit en matériaux bon marché qui se dégradent, couvert d’un affichage sauvage et environné de HLM qui ne brillent pas par la qualité de leur construction, il sert de toit à une « maison de l’air » désertée dont la mairie de Paris ne semble pas savoir quoi faire, après avoir essayé de jucher à son sommet des éoliennes  minuscules en forme de turbo-réacteurs. Le soir, le promeneur, pour accéder au vaste paysage,  rencontre inévitablement un groupe de quatre ou cinq revendeurs de drogue qui se sentent là chez eux.  Durant les soirées d’été, une sono, qui casse les oreilles à toute personne se trouvant dans le voisinage, prend possession du petit amphithéâtre dans la pente au pied du belvédère. La laideur proche, visuelle, auditive et « sociétale », contraste de manière presque douloureuse avec la splendeur du panorama.

Dominique Thiébaut Lemaire

La peinture en Bretagne (1920-1940) : exposition à Pont-Aven. Par Maryvonne Lemaire

La Modernité en Bretagne-2 : De Jean-Julien Lemordant à Mathurin Méheut (1920-1940). Exposition au Musée de Pont-Aven
Du 1er juillet 2017 au 7 janvier 2018

Il reste quelques jours pour aller voir au musée de Pont-Aven une exposition stimulante et pittoresque : La Modernité en Bretagne-2.

20171011_160700. EXPO.PONT-AVEN. ModernitéYvonne Jean Haffen (1895-1993)
L’Offrande des fraises ou Cueillette des fraises à Plougastel
Caséine sur panneau, 1933

Le premier volet de l’exposition, La Modernité en Bretagne-1 (de 1870 à 1920), était consacré aux peintres qui, parallèlement à Gauguin, à l’Ecole de Pont-Aven et sa révolution du synthétisme, ont posé leur chevalet en Bretagne : Eugène  Boudin, Claude Monet, Paul Signac  et d’autres, qui ont ainsi inspiré ou influencé le renouvellement de l’art en Bretagne. Cette seconde exposition met l’accent sur  les artistes bretons eux-mêmes, peintres, graveurs, sculpteurs. 95 des 111 œuvres exposées sont des prêts de collectionneurs privés.

L’affiche invitant à l’exposition représente une huile sur toile  de Jean-Julien Lemordant, riche de couleur et de mouvement, dont le titre est : Le grand pardon à Saint-Guénolé ou La Révolte des sardinières ou Le Mont de la révolte. Ce tableau met en évidence par son titre et par la représentation qu’il donne de la Bretagne le paradoxe même que constitue le deuxième volet de l’exposition : des thèmes venant de la tradition, ici un pardon, et l’expression d’un dynamisme qui ne se manifeste pas seulement par la modernité de la facture.

Modernité, le mot fait couler beaucoup d’encre. Faut-il dire que le terme correspond à une époque, fin du XIXe siècle, début du XXe, à une sorte de renouveau de la peinture ? Après le grand genre de la peinture mythologique, historique, religieuse, après la désacralisation de l’art que constituent les scènes de genre du XVIIIe siècle, a lieu l’éclatement de la peinture académique en de nombreux mouvements en –isme, impressionnisme, symbolisme, synthétisme, fauvisme, cubisme, pour ne citer que les plus connus. La priorité de la figuration et du dessin semble s’effacer devant les interrogations sur la lumière, la couleur, la forme, la touche, bref sur les ressources elles-mêmes de l’art de peindre.

La modernité bretonne, elle, est toujours figurative. Faut-il rappeler  que l’abstraction des spirales et des triskells a précédé la représentation figurative en Bretagne ? Cette modernité est le fait d’une vingtaine d’artistes, dont les noms pour certains sont familiers depuis longtemps : René-Marie Quillivic auteur du beau monument aux morts de Fouesnant qui représente une vieille bretonne priant les mains jointes sur le haut de son tablier, Mathurin Méheut, souvent exposé à Quimper, Géo Fourrier, dont les portraits de Bretons, popularisés par des cartes postales, m’impressionnaient par leur dureté. Ces artistes se sont fait connaître par des expositions à Paris : en 1921 au musée des Arts décoratifs en ce qui concerne Mathurin Méheut ; en 1925 dans le pavillon breton de l’exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes (dès 1923, Jeanne Malivel a réuni le mouvement « Ar Seiz Breur », les sept frères, en prévision de cette exposition de 1925 où le groupe obtient la médaille d’or) ; en 1937, dans le pavillon breton de l’exposition internationale des arts et des techniques dans la vie moderne.

Ce qui frappe pourtant le visiteur de « La Modernité en Bretagne-2 » à Pont-Aven,  c’est que les motifs et les thèmes représentés semblent sinon intemporels en tout cas traditionnels. Ils offrent dans leurs redites et leurs variations un résumé des éléments, des paysages et des activités traditionnelles, masculines et féminines :

— pour les éléments, citons par exemple Le vent sur les monts d’Arrée, Maurice Le Scouëzec ; Le Vent, Jean-Julien Lemordant ; Les Récifs, Paul-Auguste Masuy ;

— pour les paysages, La cale noire, Douarnenez, Géo Fourrier ; Sur les quais, Jim Sévellec ; Marché à Pont-Labbé , Pierre de Belay ; Le grand pardon à Saint-Guénolé, Jean-Julien Lemordant ; La fontaine Sainte-Marie du Menez Hom, Ernest Guérin ;

— pour les scènes de la vie, citons Les Filets Bleus, Mathurin Méheut ; Pêcheurs à quai, Yves de Kerouallan ; le chargement des huîtres, René-Yves Creston ; la relève des casiers en baie de Morlaix, Mathurin Méheut ; porteurs de goémon, Jean-Julien Lemordant ;  brûleuse de goémon, Mathurin Méheut ; débarquement des bateaux de pêche, Emile Guillaume ; ravaudeuses de filets, Mathurin Méheut ; Les pêcheurs à Concarneau, Pierre de Belay ; L’offrande des fraises, Yvonne Jean-Haffen ; Bretonne au champ, René-Yves Creston.

Thèmes traditionnels sans doute, animés cependant d’un grand dynamisme et remarquables par leur stylisation, en rapport avec « l’art déco » mais aussi avec une certaine inspiration bretonne. La période de 1920-1940 correspond à un bref répit entre deux guerres. Après les ravages de la Première Guerre Mondiale (le peintre Yves de Kerouallan a  été amputé du bras droit), la vie veut reprendre le dessus. Le non-remboursement de l’emprunt russe a ruiné plus d’un rentier et le travail redevient pour tous une nécessité et une valeur.  Les gouaches de René-Yves Creston, ramassage, chargement, déchargement des huîtres, datés de 1929, se ressentent d’une esthétique militante, presque soviétique, glorifiant le travail collectif du peuple. Enfin certains artistes, révoltés par la disparition dans les chapelles et les églises des belles statues bretonnes d’un réalisme presque gallo-romain,  veulent faire barrage à l’art sulpicien qu’ils associent à Paris et préserver la force de l’inspiration régionale. En témoignent les monuments aux morts de René-Marie Quillivic, ses statues présentées dans l’exposition, les xylographies de Jorj Robin. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, certains des Seiz Breur iront jusqu’à faire le choix du nationalisme breton, d’autres, comme Creston, entreront dans la Résistance.

Ce dynamisme de l’art  de l’entre deux guerres, qui s’exprime parfois par une certaine dureté des formes, des couleurs – je pense à Creston, à Géo Fourrier – ne fait qu’accentuer un trait breton caractéristique. La région est confrontée à la rudesse des éléments, de la mer plus particulièrement mais la pluie et le vent  comptent aussi. Pas moyen d’esquiver les risques, comme le montrent les tableaux de Mathurin Méheut  sur la relève des casiers. Les obliques du corps du pêcheur, de la godille, des fanions de bouées, de l’écume des vagues créent une inquiétude forte que réussit à vaincre l’équilibre dû à l’expérience plus ou moins consciente des lois physiques et du métier. Le jeu tonique des couleurs, le fameux « glaz » de la mer et du ciel (bleu-vert, bleu-gris),  le rouge des fanions, le roux des casiers, le blanc de l’écume qui devient neige accentuent l’effet de force du tableau. Les sculpteurs comme Joseph Savina (Saint Gweltas) ou François Méheut, travaillant le bois ou le bronze, excellent à rendre sensibles les lois physiques de l’équilibre quand hommes ou femmes sont confrontés au vent, à la mer, au travail collectif : Marins à la barre, porteuses de bannière, trois marins poussant une barque avec des casiers. Les situations sont celles de tous les jours, les attitudes sont familières, mais à la différence de l’art japonais qui lui aussi représente les situations quotidiennes et familières et le fait avec les courbes de l’idéalisation, l’art moderne breton a recours au trait oblique, au jeu tonique des taches de couleur pour donner le sentiment d’un équilibre qui n’est pas seulement esthétique et que le visiteur ressent physiquement. Les scènes d’oisiveté sur les quais, après le déchargement de la pêche, ou  les commérages dans la rue, après le travail au champ ou la récolte des fraises à Plougastel, viennent en contrepoint des représentations  du travail et de ses risques. Dans ces scènes de répit, la mer n’est jamais loin. Une sorte d’unanimisme,  comme le souffle du vent de Jean-Julien Lemordant, anime toutes les scènes de pêche, de récolte, de pardon, de marché.

Dans la très belle scène d’Offrande des fraises d’Yvonne Jean-Haffen, l’échange du panier, sur un arrière-plan de mer, entre la mère et la fillette dont les rubans de coiffe flottent au vent évoque une cérémonie sacrée. C’est peut-être cela pour moi l’excellence et en même temps les limites de la modernité bretonne. Une transformation unanimiste du quotidien, loin de l’idéalisation japonaise et du triomphe de l’individualisme associé à la peinture moderne.

Maryvonne Lemaire

Billet : beaux sapins et cadeaux de Noël

 

Sous un ciel immobile et sans enjolivure
Les gens capuchonnés sont à peine entrevus
Il ne fait pas bien froid seulement gris l’hiver
Serait mieux décoré d’une neige en duvet

Les passants ont l’air triste avant de recevoir
Leurs cadeaux de Noël dit Mamie qui les voit
Se hâter dans la rue le regard trop sévère
Comme pour signifier je suis mal je m’en vais

Mais Sacha plein d’espoir le cœur joyeux savoure
L’idée que  les présents seront au rendez-vous
Sans un doute il répond moi je ne suis pas triste

En attendant le soir qui viendra le ravir
Annoncé par décembre et son long préavis
Il rêve à des jouets peu importe leur liste

 

Sacha a pris plaisir à parer avec des guirlandes et d’autres embellissements lumineux et colorés le sapin de Noël dans sa maison, puis celui que ses grands-parents paternels ont installé chez eux après l’avoir acheté un peu tard, si bien que le marchand n’avait plus à vendre que des exemplaires d’un mètre soixante-quinze de haut. Pour le sommet, Sacha a choisi une grande étoile rouge. Au pied il a répandu quelques éléments décoration, des paquets en miniature, à accrocher normalement aux branches, en disant à Mamyvonne : « Comme ça, Papido va penser que ce sont des cadeaux. » Dans la crèche il a déposé à côté du « bébé » qu’il n’a pas envie d’appeler l’enfant Jésus une grosse boule de décoration, rouge et argentée, puis deux autres, en se demandant pourquoi le nourrisson est couché si inconfortablement sur de la paille. Bien que les adultes trouvent Tino Rossi ringard, il aime l’écouter chanter « mon beau sapin » et « vive le vent d’hiver », une chanson apprise à l’école. Il demande à sa Mamie : « pourquoi tu prends des photos au lieu de regarder ? »

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : funérailles du chanteur

Lorsque le Président demande d’applaudir
Le Chanteur mort la foule émue fait ce qu’il dit
Rend hommage au défunt rallie son étendard
Pour la gloire posthume est-ce un bon candidat

Le cercueil blanc rejoint une île à milliardaires
Il emporte le corps de Johnny Hallyday
Le peuple n’ira pas – vieux motards et faux durs –
L’accompagner là-bas dans un exil perdu

Un paradis fiscal où le chanteur fraudeur
Qui gagnait dépensait flambait comme pas deux
Pensait être à l’abri des redditions de comptes

Il était de ces stars que leur public adore
Idole pour toujours de ces anciens ados
Qui cherchent leur jeunesse et qui se la racontent

 

 

Je me suis toujours étonné de la gloire de Johnny Hallyday, rockeur « idole des jeunes » dans les années 1960 bien qu’il n’ait pas été, sauf exception, l’auteur de ses textes ni de ses musiques, contrairement à beaucoup de chanteurs musiciens ou paroliers ou les deux. Il a misé sur l’adaptation et l’interprétation, sur sa voix devenue rauque avec le temps et sur le spectacle de ses concerts qui en mettaient plein les oreilles et les yeux à force de sono et de lumières. Il est mort dans la nuit du 6 décembre 2017 à l’âge de 74 ans, et les pouvoirs publics se sont mobilisés (président de la République, présidents des deux assemblées, premier ministre…) pour lui rendre hommage à la Madeleine, église des artistes de variétés, dans l’espoir de capter à leur profit une part de son étonnante popularité, au risque de contrevenir au principe de séparation entre l’Église et l’État. Ensuite il a été inhumé en présence de ses proches dans le blanc cimetière de l’île caribéenne de Saint-Barthélémy, paradis fiscal cossu mais exposé aux cyclones, au-dessus duquel tournoyait au moment de la cérémonie une frégate, grand oiseau de mer. Il ne portait pas dans son cœur l’administration des impôts : ses démêlés avec celle-ci ont abouti à de lourdes amendes, à des condamnations pour fraude, et ont motivé une bougeotte passant par des lieux fiscalement plus cléments que la France métropolitaine : la Californie ; la Suisse où il n’a pas respecté l’obligation fiscale de résidence pendant au moins la moitié de l’année ; in fine Saint-Barth, territoire français dont on voudrait bien savoir pourquoi la France y maintient, pour les résidents ayant au moins cinq ans de présence, un régime caractérisé par l’absence de TVA, d’impôt sur la fortune, d’impôt sur le revenu, de droits de succession. Fisc mis à part, Johnny s’était fait le chantre de la passion à laquelle doit son titre l’album De l’amour qu’il a sorti fin 2015.

Dominique Thiébaut Lemaire

L’art du pastel au Musée du Petit Palais. Par Annie Birga

L’Art du Pastel : de Degas à Redon, au Musée du Petit Palais
Exposition du 15 septembre 2017 au 8 avril 2018

Le Musée du Petit Palais dispose d’un fonds exceptionnel de 220 pastels dont plus de la moitié sont exposés pour une durée de 6 mois. Ensuite leur fragilité à la lumière leur fera rejoindre les réserves. Mais désormais ils sont restaurés, photographiés, classés, puisque leur Catalogue raisonné vient d’être réalisé. Le Petit Palais, ouvert en 1902, s’est enrichi au cours des années de multiples achats, dons et legs. Si on connaît les pastellistes Maurice Quentin de La Tour et Jean-Baptiste Perronneau, ou encore Elisabeth Vigée-Le Brun, on sait moins qu’après l’époque des Lumières, le XIXe siècle a connu, lui aussi, un âge d’or du pastel avec pour date charnière la fondation de la Société des Pastellistes français en 1885.

L’exposition, qui se veut chronologique, va du pastel d’Elisabeth Vigée-Le Brun, « Portrait de la Princesse Radziwill », daté de 1801, à la  « Scène antique »  de Ker-Xavier Roussel, œuvre des années 1920-25 : c’est dire le chemin parcouru.

A côté des pastels traditionnels qui sont des ébauches de futurs tableaux, le pastel s’inscrit comme une technique à part entière, avec son immédiateté, ce qui convient bien à la représentation de paysages, faite en plein air. L’exposition présente deux pastels de Troyon, de l’Ecole de Barbizon, qui sont plutôt des dessins agrémentés de traits de pastel.

Mais le rendu des lumières, des reflets, des brumes, des nuits, de la neige, est véritablement magique chez des artistes considérés encore comme mineurs et que l’exposition met bien en valeur, Iwill, Alexandre Nozal, François Cachoud, Joseph-Félix Bouchor.

Cette section dite « naturaliste » comprend aussi des portraits. Le fusain avec son noir cerne le trait et dramatise le  sujet. Il s’équilibre avec le pastel ou bien parfois prend nettement le dessus. Les modèles sont des jeunes filles du peuple, Bretonnes de Charles Cottet, mendiante de Bartholomé (celui-ci n’est pas le seul sculpteur, Carpeaux, Bourdelle ont fait eux aussi des pastels rapides), adolescente malingre dans « Retour du marché » de Louise Breslau. A remarquer que les femmes pastellistes ont été nombreuses. Degas admirait cette dernière ainsi que Mary Cassatt et Berthe Morisot. Quant à Léon Lhermitte dont on montre « Les lieuses de gerbes », il se réfère à Millet, et cela lui vaut l’estime de Van Gogh.

Du pastel naturaliste on passe au pastel impressionniste. On peut regretter l’absence de Manet, mais il y a là des œuvres de Berthe Morisot, de Renoir, de Degas, de Mary Cassatt, de Gauguin.  La plus « impressionniste » au sens strict du terme, c’est Berthe Morisot avec « Dans le parc », une belle variation de verts, éclairés d’une douce lumière. Renoir fait le portrait de Berthe Morisot avec sa fille Julie Manet, ébauche pour un tableau plus fini. On sait que Degas, qui avait des problèmes oculaires, fut contraint de pratiquer surtout le pastel en fin de vie. « Madame Alexis Rouart et ses enfants » évoque un litige familial, une vraie scène entre mère et fille ; Degas est incisif, original. A côté des portraits d’enfants où Mary Cassatt excelle, on expose une remarquable figure d’homme,  « Portrait de Moïse Dreyfus ». Un Gauguin  des débuts, un diptyque coloré, représentation d’un père sculpteur et d’un enfant absorbé dans sa lecture. Armand Guillaumin, un marginal de l’impressionnisme, a donné au Musée un grand nombre de dessins et pastels. Il dessine d’un trait vigoureux, emploie des couleurs fortes et ses dernières œuvres sont proches du fauvisme.

Avant d’aborder la catégorie du Pastel mondain, on a plaisir à lire ces lignes poétiques de Judith Gautier qui exaltent les qualités propres au pastel :  « Le pastel, cette matière si souple et si fragile, qui tient du pollen des fleurs et de la cendre brillante qui poudre les ailes des papillons, convient surtout pour reproduire la suavité des chairs féminines et les chiffonnements soyeux des belles étoffes. »

On peut douter que soient mondains ces portraits, si l’on associe à l’adjectif l’idée d’une certaine mièvrerie ou d’un joli conventionnel. Il est plutôt fait référence aux commandes qui émanent d’une riche bourgeoisie.  Mais James Tissot  aussi bien que Jacques-Emile Blanche donnent de la femme une image originale et moderne, Tissot portraiturant son amie lisant un journal, Blanche représentant l’égérie, belle et un peu insolente, de Claude Debussy. Charles Léandre, qui est un peu oublié, est bien représenté par une série d’œuvres très habilement exécutées, il est maître dans l’art du pastel. « Sur champ d’or » qui fait l’affiche de l’exposition, représente une femme de rêve, comme une apparition en contre-jour.  « La suavité des chairs féminines », c’est Pierre Carrier-Belleuse (fils du sculpteur) qui la met en valeur de façon presque photographique  dans l’image d’un corps nu de femme comme échouée sur le sable fin de la dune. Roll, plus dessinateur, privilégie les poses contorsionnées ; avec sa « Démoniaque », cet ami de Rodin va dans le sens d’un romantisme noir.

Le tableau « Sur champ d’or » nous entraînait vers le symbolisme et c’est ce mouvement qui va donner naissance à une floraison de pastels évocateurs et oniriques.  Il y a une nostalgie de l’Arcadie dans ce début de siècle. René Ménard avec un pastel de très grand format, prouesse technique, Osbert, avec ses délicats étangs et sous-bois, tous deux imprégnés du souvenir de Puvis de Chavannes,  nous emmènent dans des mondes imaginaires voisins. Ker-Xavier Roussel aussi, même si son chromatisme est violent et éclatant.

Les dernières salles de l’exposition sont comme une apothéose : elles montrent Odilon Redon et Lévy-Dhurmer.

Lévy-Dhurmer est un virtuose du pastel. Son univers part du réel qu’il transforme par le flou et le vaporeux que sait suggérer cette technique. Ainsi les nus féminins apparaissent comme à travers un miroir. Son « Feu d’artifice à Venise » est une rêverie sur les reflets dans l’eau et le camaïeu bleu sombre. Artiste ami des poètes, de Rodenbach en particulier.

« Fictions », « petite porte ouverte sur le mystère », « les tons ont une joie qui me repose », dit Odilon Redon à propos du pastel : la salle qui lui est consacrée groupe un « Sphinx ailé accoudé sur un rocher », « Le Christ du silence », « La naissance de Vénus », « Anémones dans un vase bleu », et « Anémones et lilas dans un vase bleu ».

Autant de chefs-d’œuvre qui motiveraient à eux seuls la visite de cette collection du musée remarquablement commentée et  mise en valeur.

Annie Birga

Billet : tout prend de l’âge

En même temps que moi je sens que prend de l’âge
Mon environnement la ville qui est là
Ne va pas rajeunir n’a pas ce privilège
Mais dure plus longtemps que l’humain feu follet

On retape les murs on ravale on prolonge
On change le vitrage et les tuyaux de plomb
Dans ces rénovations passe blanc comme un linge
Un souvenir d’amis happés par le déclin

Je suis tenté de dire après moi le déluge
En espérant rester au nombre des élus
Qu’une arche va sauver de ce monde insalubre

Un choix plus raisonnable encore qu’il m’afflige
Serait de réparer sitôt qu’elle faiblit
La plomberie du corps qui se déséquilibre

 

Quand on prend de l’âge, on finit par se rendre compte que tout vieillit en même temps autour de soi, ce dont on n’avait pas pleinement conscience. Les jeunes peuvent vivre temporairement dans l’illusion de rester jeunes, ce qui donne à certains de l’arrogance, mais ceux qu’on appelle aujourd’hui d’un mot anglo-latin les seniors savent dans leur chair que cet espoir est vain (à l’exception d’une minorité d’addicts en tout genre, vieux beaux soi-disant toujours frais, alcoolodépendants, tabacomanes, qui se croient éternels). « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait », et « le  diable était beau quand il était jeune », disent les proverbes. L’usure affecte les êtres humains mais aussi le monde matériel, la ville, les rues où se creusent des nids-de-poule, les immeubles dont l’apparence retrouve une jeunesse factice lorsqu’on les ravale. Je suis entré dans un immeuble neuf il y a trente-cinq ans, et j’y suis encore, mais de plus en plus il faut faire un effort désormais permanent pour repeindre, réparer, remplacer, rénover les fermetures des portes et les pièces les plus sollicitées des ascenseurs, des extracteurs de ventilation, des tuyauteries de chauffage et d’alimentation en eau, etc. Quant aux êtres humains, il faut aussi les réparer, combattre l’hypertension ou le diabète, remplacer une articulation, poser une prothèse, opérer une cataracte, ponter des veines ou des artères, bref nous devons rapiécer notre premier vêtement et réhabiliter notre premier logement, le corps, avec lequel nous ne faisons qu’un.

Dominique Thiébaut Lemaire

Envie et justice en politique

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Dans un entretien publié le 14 octobre 2017 par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, le Président de la République française (dont la photo, en couverture de ce numéro, est encadrée par deux citations tirées de l’entretien : « Ich bin nicht arrogant », je ne suis pas arrogant, et « Ich sage und tue, was ich mag », je dis et fais ce que je veux), a donné une dimension politique à quelques passions, l’orgueil, l’ambition et surtout l’envie (traduite par « jalousie » dans la version française), dans une dénonciation visant « le triste réflexe de l’envie française qui paralyse notre pays », en réponse à une question relative aux réactions négatives suscitées par la suppression de l’impôt français sur la fortune mobilière.

Précisons en passant, parce que beaucoup l’ignorent ou feignent de l’ignorer, que l’impôt sur la fortune a été institué en France notamment parce qu’il existait à cette époque en Allemagne et ailleurs.

Le Président a expliqué en substance qu’il assume cette mesure de suppression ; qu’il est issu d’une famille n’appartenant pas à l’élite politique ou bancaire, mais à la classe moyenne de province ; qu’il ne serait pas arrivé à la présidence, si on lui avait dit que la réussite est un mal, ou si on avait mis des barrières sur son chemin ; qu’il veut que les jeunes puissent réussir en France, que ce soit dans leur vie familiale, dans l’art ou dans la création d’une entreprise ; qu’on ne peut pas créer d’emplois sans entrepreneurs…

Manifestement, l’envie dont il est question est principalement celle que provoque le succès économique et financier. Mais, comme l’a fait observer Descartes dans les articles 182 et 183 des Passions de l’âme, ce qui est en jeu dans l’envie, c’est moins la question de la richesse que celle du mérite : l’envie étant une tristesse « qui vient de ce qu’on voit arriver du bien à ceux qu’on pense en être indignes », par exemple lorsque ce bien peut se convertir en mal entre leurs mains. Descartes va jusqu’à écrire que cette passion est juste et excusable si la haine qu’elle contient est motivée par la mauvaise distribution du bien qu’on envie à d’autres. En ce sens, elle est liée à la passion de la justice égalitaire particulièrement sensible chez certains peuples ou dans certaines situations.

Freud a bien vu ce lien essentiel, dont il parle dans ses Essais de psychanalyse (deuxième partie : « Psychologie des masses et analyse du moi »), en partant du sentiment de « jalousie » par lequel l’enfant, dans une famille, commence par accueillir l’arrivée d’un plus petit. « La première exigence qui naît de cette réaction, écrit Freud, est celle de justice, de traitement égal pour tous. »

Hormis l’exigence de juste distribution des biens, l’envie est une passion mauvaise, et elle l’est particulièrement lorsqu’elle naît de faux clivages comme celui par lequel on cherche à opposer les générations, comme si les jeunes n’étaient pas destinés à vieillir, comme si les vieux n’avaient pas été jeunes, et comme s’il n’existait entre eux ni amour ni solidarité naturelle et familiale. Elle crée de même un faux conflit entre les fonctionnaires et les salariés du secteur privé, incités à un ressentiment réciproque où chaque catégorie ne voit que les avantages de l’autre et ses propres désavantages. Ceux qui gagnent moins oublient les protections dont ils jouissent en contrepartie, et ceux qui sont moins protégés oublient qu’ils gagnent davantage.

Les acteurs politiques, en principe chargés du bien commun, devraient avoir la sagesse d’apaiser ces antagonismes, mais on en voit qui, au contraire, les attisent, par intérêt personnel, égocentrisme ou méconnaissance.

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Les Citadelles : revue/anthologie de poésie n° 22 (2017)

Le numéro 22 des Citadelles, revue/anthologie annuelle de poésie, a paru au deuxième trimestre 2017.

Le lecteur est invité à se reporter à l’article de Wikipédia intitulé Les Citadelles, qui fait le point sur plus de vingt ans d’existence consacrés à l’amour de la poésie, un amour qui embrasse un vaste cercle d’auteurs, de langues et de pays.

L’article de Wikipédia inclut les apports du numéro 22, caractérisé notamment par  son ouverture à l’Afrique et à la francophonie. Le sommaire reproduit ci-dessous en témoigne.

 

Libres Feuillets

 

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Billet : cyclones des Caraïbes

Entre la Guadeloupe et sa sœur Martinique
Un minuscule Etat que le destin punit
Végète à l’abandon nommé La Dominique
Le nombre de ses plaies forme une litanie

Quand le vent fait souffrir cette île volcanique
L’orgue de l’ouragan n’est que disharmonie
Quand il est surpuissant niveau cinq cyclonique
La tourmente la nuit devient de l’agonie

Le charme tropical à ce moment révèle
Son côté le plus noir trombes d’eau qui dévalent
Rivage ravagé toitures qui s’envolent

Tornades tourbillons bourrasques de déluge
Les mots ne manquent pas peut-être qu’ils soulagent
L’impuissance à guérir les maux qui nous affligent

 

L’ouragan Irma a sévi du 29 août au 12 septembre 2017. Classé en catégorie 5, la plus élevée, avec des vents de plus de 300 km/h, il est le deuxième cyclone le plus puissant enregistré dans l’Atlantique nord après Allen en 1980. Catastrophique dans les îles de Barbuda, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Anguilla et les Iles Vierges, il y a causé des décès et de gros dégâts. Puis l’ouragan Maria, de catégorie 5 lui aussi, a été le plus puissant à frapper Porto Rico depuis 1928. Ses vents ont atteint 280 km/h, ce qui a fait lui le dixième des cyclones les plus intenses jamais enregistrés dans l’Atlantique nord. Il est passé dans la nuit du 18 septembre au 19 septembre 2017 sur La Dominique (Voir ci-après le poème XLV que l’auteur a consacré dans Courts poèmes long-courriers à cette petite île de 754 km2 et de 75.000 h), où Maria a fait quinze morts en s’engouffrant entre La Martinique et La Guadeloupe, et où il a anéanti l’agriculture (manguiers, arbres à pain, avocatiers, cocotiers, champs de banane et de plantains…). Les animaux, bétail et volaille, ont aussi payé un lourd tribut. Les routes, les réseaux d’irrigation et les serres ont également été  détruites. 25 % de la population active de l’île travaille exclusivement dans le secteur agricole et s’est donc trouvée au chômage. Les canots de pêche n’ont plus été en état de sortir en mer. Des millions d’arbres ont été arrachés. Le manque d’ombre a entraîné une forte évaporation et une baisse des cours d’eau. Les citernes pour l’arrosage des pépinières et jardins de la capitale, Roseau, ont été prises d’assaut par les assoiffés. Des commerces ont subi les pillages des affamés. La distribution de l’aide internationale arrivant dans le port de Roseau a été ralentie par l’état des routes. L’urgence la plus pressante a été le ravitaillement des communes reculées par hélicoptère et par bateau.

Le poème XLV de Courts poèmes long-courriers (Le Scribe l’Harmattan, 2011), écrit dans la première moitié des années 1990 à l’occasion d’un voyage dans cette région du monde, parle de Roseau, capitale de La Dominique, et de Castries capitale de l’île de Sainte-Lucie au sud de La Martinique.

XLV

On ne sait trop vous situer sur la planète
Castries Roseau villes perdues des Caraïbes
Offrant pour atterrir des pistes désuètes
L’une en creux l’autre en courbe en un décor qu’imbibe

L’humidité propice à la fièvre aux amibes
Décor où vous reçoit grand-mère sous-préfète
La ministresse en chef à la bonne franquette
Bourrue parlant créole ou vieux français par bribes

On confond le planton et le traîne-savate
Devant la primature où l’ivrogne titube
Et l’ambassadeur lance un juron de pirate

Contre ces faux édens où la chaleur incube
Indolence et violence où vous guettent latents
La bouche soufrière et l’œil de l’ouragan

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Billet : les nouvelles règles de l’insécurité routière

De plus en plus d’engins circulent sur les routes
Autos gonflées motos à double ou triple roue
Le bruyant motocycle excité comme en rut
Pollue aussi la ville en sillonnant les rues

Dératés impatients opérés de la rate
En plein embouteillage au cœur des embarras
Les motards slalomeurs dépassent la charrette
De l’automobiliste immobile à l’arrêt

Sur la piste cyclable au besoin qu’ils empruntent
Parfois à contresens ils ignorent le frein
Prennent des raccourcis de brutes tout terrain

Lorsque sur le périf en rangs serrés poireautent
Les quatre-roues coincés restant sur le carreau
Ils vont s’y faufiler tant pis pour les accrocs

 

La réglementation des voies de circulation tourne à la pagaille. Il faut partager, dit-on, l’espace disponible pour les déplacements, rues en ville et routes ailleurs, entre les piétons, les automobiles, les camions et les diverses variétés de cycles : bicyclettes ou vélos, motocycles de toutes cylindrées (cyclomoteurs, vélomoteurs, motocyclettes ou motos, scooters), qui peuvent être aussi des trois-roues. On voit même passer à toute allure sur les trottoirs des trottinettes motorisées sur lesquelles se tiennent droit, fiers comme Artaban, de grands dadais barbus. Les vélos ont désormais le droit de prendre à contresens les sens uniques. Aux carrefours, ils peuvent aussi passer au feu rouge à condition de respecter la priorité des piétons et des véhicules qui traversent au feu vert. Depuis 2016, dans onze départements (l’Ile de France, la Gironde, le Rhône et les Bouches-du-Rhône) les deux-roues motorisés sont autorisés à circuler entre deux files de voitures circulant dans le même sens sur les chaussées à voies multiples avec terre-plein central. La Sécurité routière explique que cette circulation « inter-file » est de toute manière déjà « massivement pratiquée », et que son autorisation va être « expérimentée à titre exceptionnel » en vue d’une généralisation dès 2020 : bel exemple d’une lâcheté réglementaire qui entérine sa propre impuissance pour faire plaisir à des lobbys bien intentionnés, et qui se déguise en fausse expérimentation. Pendant ce temps, entre 2015 et 2016, la mortalité routière, quasi stable globalement (3477 décès), a augmenté dans certaines catégories de la population : 559 décès de piétons, en hausse de 19 % ; 162 décès de cyclistes, en hausse de 9 %, principalement dans les agglomérations ; 612 décès de motocyclistes, chiffre global stable, en baisse chez les moins âgés, mais en hausse de 23 % chez les 50-64 ans (142 décès).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : feu d’artifice en lutte contre la lune

Sur la côte bretonne elle est mi fée mi clown
Triste car elle est pâle et glisse à pas de loup
Joviale cependant car elle est ronde et pleine
Elle change la vague en multiples reflets

Elle est l’astre d’argent celui des clairs de lune
Que rythment sans faiblir le flux et le reflux
On la sent vulnérable un objet d’opaline
Dont l’apparence invite à la mélancolie

Sacha craint que le bruit nous dit-il ne la brise
Quand le feu d’artifice explose monte et plane
Envol d’oiseaux de nuit brillant de trop d’éclat

Quand la pyrotechnie éparpille ses braises
Dans l’espace étoilé ciel pur d’anticyclone
Sans nébulosité sans vapeur de halo

Après un retour par avion de New York à Paris, Sacha a presque inauguré le quatre août (jour de ses quatre ans) le prolongement, de Paris jusqu’à Rennes, de la ligne de chemin de fer à grande vitesse. Le feu d’artifice estival de la station balnéaire finistérienne où il s’est rendu en train avec ses parents a été tiré le lendemain, hasard du calendrier, comme d’habitude depuis une barge placée à quelque distance du rivage pour le divertissement des spectateurs massés sur la plage. La nuit n’était pas illuminée seulement par ce spectacle pyrotechnique, mais aussi par un clair de lune intense, la lune étant presque pleine – elle l’a été peu de temps après, le sept août. Sacha a donné sa préférence au calme spectacle de la lune en se demandant si le feu d’artifice ne risquait pas de la « casser ».

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : Sacha à New York

Sacha quatre ans a vu Manhattan et Brooklyn
Ce ne sont pas je crois des jours que l’on oublie
Il se rappellera les tours et Central Park
Et les aires de jeux que l’on trouve à New York

Dans un aéronef mieux qu’un aéroplane
L’Atlantique à son âge est presque un coup d’éclat
La Manche à traverser de Calais ou Dunkerque
A côté ce n’est rien c’est le canal de l’Ourq

Bien qu’il n’ait pu gravir à l’intérieur les marches
Ni prendre l’ascenseur la haute Liberté
A fait grande impression sur son esprit d’enfant

Cette statue géante en élevant sa torche
Entre les continents répand une clarté
Que les yeux ne voient pas mais qui brille sans fin

 

Sacha, avec sa mère et sa grand-mère maternelle, a passé une décade (au sens français de ce terme) à New York à la fin du mois de juillet, quelques jours avant son quatrième anniversaire. Il a aimé les jeux dans les parcs ainsi que le spectacle des petits animaux en liberté qui s’y trouvent, canards et tortues en particulier, en regrettant l’obstacle de la langue qui a beaucoup limité ses possibilités de communiquer avec les autres enfants. Très intéressé depuis quelque temps par les dinosaures, il a visité, en face de Central Park, le musée d’histoire naturelle où se trouvent des squelettes de ces grands animaux préhistoriques. Il a été impressionné par la statue de la Liberté (93 m de haut, socle compris) à l’entrée du port de New York. Ses ascendants, du côté maternel comme du côté paternel, sont en partie alsaciens, ce qui n’est pas sans rapport avec cette statue dont le créateur, Auguste Bartholdi, est né à Colmar de Jean Charles Bartholdi, conseiller de préfecture, et d’Augusta Charlotte Beysser, fille d’un maire de Ribeauvillé. De retour en France, il a dû surmonter le malaise du décalage horaire.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : le général rhabillé en poète

En tenue d’aviateur il visite une base
Après un tour éclair en Afrique là-bas
La troupe est au désert dans une couleur bise
Manquant de matériel muette elle subit

« Il » c’est le Président patron des vieilles buses
Et des vrais généraux qui ont besoin d’obus
Rares sont les crédits le risque est la thrombose
Bien qu’avec peu d’argent les défilés soient beaux

Le chef d’état-major ne veut pas qu’on le baise
A-t-il dit refusant une armée au rabais
Poète paraît-il et revendicatif

Poète pas vraiment parole regimbeuse
Qui pourfend d’un seul mot brut les grands discours verbeux
Du coup l’exécutif se fait vindicatif

 

Dans le Figaro du 21 juillet 2017, le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, a attaqué l’ex-chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers, après plusieurs péripéties : une semonce du président de la République ne jugeant « pas digne d’étaler certains débats sur la place publique » ; la démission du général pourtant récemment reconduit, et son communiqué : « je considère ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français…» ; son remplacement immédiat par le chef du cabinet militaire du premier ministre ; la visite de la base aérienne d’Istres par le président, tièdement applaudi par les militaires. Selon le porte-parole du gouvernement : « Le chef d’état-major [CEMA] a été déloyal dans sa communication, il a mis en scène sa démission ». Il s’était notamment insurgé, lors de son audition à huis-clos devant la commission de la Défense de l’Assemblée le 12 juillet, contre les économies nouvelles demandées aux armées en 2017, en affirmant qu’il ne se laisserait pas « baiser comme ça » (variante : « baiser par Bercy »). Selon Christophe Castaner, le départ du chef d’état-major « n’a rien à voir » avec cette audition « même si Pierre de Villiers aurait pu s’imaginer que ses propos allaient fuiter, à moins de manquer d’expérience… On n’a jamais vu un CEMA s’exprimer via un blog, ou faire du off avec des journalistes ou interpeler les candidats pendant la présidentielle, comme cela a été le cas. Il s’est comporté en poète revendicatif. On aurait aimé entendre sa vision stratégique et capacitaire plus que ses commentaires budgétaires. » Le général publiait régulièrement des textes sur sa page Facebook (et même en décembre 2016 une tribune dans Les Echos). Les médias ont tous relevé l’expression incongrue de « poète revendicatif ». Poète de misère, peut-être ?

Dominique Thiébaut Lemaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Billet : canicule

Fin juin début juillet de lourds hectopascals
Ont fait pression sur nous subsiste un reliquat
Sous les coups de chaleur frappes de canicule
Il faut que le corps las recharge ses accus

Le soleil installé près de la verticale
Sur la ville fournaise est devenu tracas
Nous attendons l’orage afin que l’air circule
Que la température à la fin s’évacue

Vers des sommets nouveaux s’élève le mercure
Je redoute midi j’aime le crépuscule
Asthénie et langueur m’ont un instant vaincu

Dans le ciel a fondu le vol ailé d’Icare
Vivement que le temps ne soit plus tropical
J’aspire à la fraîcheur en rêvant d’Alaska

 

Trois vagues de chaleur d’une semaine ont submergé la France, fin mai, et surtout fin juin et début juillet. Le mot de canicule, du latin canicula, petite chienne, fait référence à la période de l’année où Sirius, étoile principale de la constellation du chien, et la plus brillante du ciel nocturne, se lève et se couche avec le soleil, du 22 juillet au 23 août. Les trois vagues de chaleur de mai-juin-juillet 2017 ont donc été en avance. Tandis qu’en hiver il nous arrive de subir la froidure des vents du nord et de l’est, polaires ou sibériens, en été les vents venus du sud de la Méditerranée et du Sahara peuvent faire grimper les températures à des niveaux excessifs, nous apportant parfois du sable du désert. Heureusement, entre ces excès de froid et de chaud, les vents dominants, sauf quand les hautes pressions de l’anticyclone des Acores y font momentanément obstacle, nous viennent de l’ouest atlantique. La France, grâce à eux (et grâce au courant océanique du « gulf stream »), est et reste un pays tempéré, sur le trajet du « jet stream » ou « courant-jet » de l’hémisphère nord qui résulte notamment de la rotation de la terre. Ce puissant courant atmosphérique fait le tour du globe aux latitudes moyennes en passant par l’Amérique du Nord, l’Europe, la Chine, le Japon… C’est lui qui fait que les temps de vol entre New York, Paris Canton et Tokyo, par exemple, sont plus courts de l’ouest vers l’est que dans l’autre sens.

Dominique Thiébaut Lemaire

Cézanne : portraits. Par Annie Birga

CEZANNE  PORTRAITS1
Musée d’ORSAY 13 JUIN-24 SEPTEMBRE 2017

L’exposition met en lumière  un aspect de l’œuvre de Cézanne que ses natures mortes et ses paysages pourraient laisser dans l’ombre. Mais on aurait tort de négliger le portraitiste qui considère lui-même la figure comme un « aboutissement de l’art ».

Le parcours est chronologique, rythmé par périodes biographiques, il représente plus de quarante années de création. La première décennie montre les tableaux d’un jeune peintre (Cézanne est né en 1849), admirateur de Courbet et de Manet,  qui dessine très nettement les formes et peint au couteau dans des couleurs sombres. Cette originalité lui vaut les refus répétés d’un Salon dominé par l’académisme, mais, sans en être découragé, il multiplie les portraits de sa famille et de ses amis aixois, alternant les séjours entre sa ville natale et la capitale, qui lui permettent de continuer son apprentissage à l’école de dessins d’Aix et à l’Académie suisse. Son oncle Dominique, qui se prête au jeu, lui offre l’occasion  d’exécuter sa première série, de Dominique au bonnet de coton à Dominique à la toque d’avocat, un vrai Daumier. On retiendra « Louis-Auguste Cézanne, père de l’artiste, lisant l’Evénement », « Achille  Emperaire », son ami peintre au corps difforme et au beau visage, le « Portrait d’Antony Valabrègues », son ami poète. Dans l’intention de se démarquer de Manet qui venait de faire le portrait de Zola, il imagine une scène originale, « Paul Alexis lisant à Emile Zola » qui réunit les deux écrivains, mais la guerre interrompt le tableau.  S’il fallait retenir une image de cette période, ce serait celle, frappante, de son premier autoportrait qui date des années 62-64 et montre un jeune révolté, énergique et orgueilleux.

Dans les années qui vont suivre, Cézanne ne cesse d’interroger sa propre image de ce regard intense qui rappelle  le commentaire de Rilke : « Il s’est représenté lui-même, sans le moins du monde  interpréter ou juger son expression, avec une  humble objectivité , avec la foi et la curiosité  impartiale d’un chien  qui se voit dans une glace et se dit : «Tiens, un autre chien ! » (Rainer Maria Rilke, Lettres sur Cézanne, Seuil 1991). Il se peint  dans des intérieurs, au fond rose ou olivâtre. Il a mûri. Il est devenu barbu et bientôt son crâne est chauve. Il porte aussi des coiffures ou des chapeaux qui lui confèrent un aspect de peintre-artisan ou, parfois, de bourgeois. Il se représente de trois-quart. Sa manière a changé sous l’influence de  Pissarro, son aîné, avec qui il séjourne à Pontoise ou à Auvers. Il peint au moyen de touches que des critiques ont appelées « constructives ».  Une lumière prismatique entre ainsi dans la toile. Cézanne expose 3 tableaux à la première exposition impressionniste de 1874, sans appartenir vraiment au mouvement. Il est aussi ami de Renoir qui lui présente un collectionneur de la nouvelle peinture, Victor Chocquet. Celui-ci achètera près de 40 tableaux et aquarelles à Cézanne qui lui fait son portrait d’intellectuel sensible et le représente, assis au milieu de sa collection.

Dans sa partie centrale l’exposition met en valeur celle qui, d’abord compagne, puis épouse, Hortense Fiquet, est devenue son modèle de prédilection. Petit visage aux traits fins, au chignon bien serré, à l’expression boudeuse et parfois revêche, ne souriant jamais. On a rapporté qu’elle supportait mal des séances longues et répétées. Une seule fois elle a dénoué son chignon, elle penche mélancoliquement la tête (le portrait date de 1885-86). C’est à cette même date que Cézanne se représente en peintre dans son « Autoportrait à la palette ».  Déterminé, il regarde une toile dont on ne voit que le châssis.

Si l’on prend pour fil directeur les divers portraits d’Hortense, on ne peut que remarquer l’évolution du style pictural. Les premiers portraits sont presque classiques. Ils se font ensuite très dessinés avec des contours très précis (Cézanne disait que Gauguin l’avait copié) et dans les années  I888-90 les formes deviennent cylindriques, géométriques,  au point que Picasso et Matisse considéreront Cézanne comme un précurseur du cubisme. Les quatre tableaux de Madame Cézanne en rouge (ou au fauteuil jaune) sont impressionnants par leur vigueur et leur forme synthétique.

Quant  au fils du couple, Paul, Cézanne  en donne l’image d’un jeune garçon aux traits purs, avant de  le portraiturer en petit jeune homme au chapeau à la mode, cinq ans plus tard.  Mais l’un des plus beaux portraits d’adolescent réalisés par le peintre est celui  du Musée de l’Orangerie. Cézanne, devenu riche depuis la mort de son père, a loué un appartement Quai d’Anjou. Il y  fait poser un jeune modèle  aux cheveux longs et au visage encore enfantin  dans des attitudes différentes et familières. C’est « Le garçon au gilet rouge » (1888-1890).

Dans la dernière décennie du siècle Cézanne multiplie les allers-retours entre Aix et Paris. A Aix il peint plusieurs versions des « Joueurs de cartes ». Il aime ce type d’hommes du peuple, des paysans, des ouvriers agricoles. Il dessine ses modèles. Il en fait des portraits  qui évoquent les primitifs italiens « L’homme à la pipe » , « Le Fumeur accoudé », autant d’études avant « Les Joueurs de cartes ».  Dans sa ville ce sont des gens simples que Cézanne va chercher, enfants, ménagères, vieille femme au chapelet. Une exception pour son jeune ami, le poète Joachim Gasquet (qui écrira ensuite  les souvenirs de ces années d’amitié avec le  peintre). A Paris,  le succès et la renommée l’ont rejoint. Ambroise Vollard lui offre en 1895 sa première exposition. L’histoire du portrait de Vollard qui n’en finit pas (115 séances de pose) est bien connue, ainsi que l’apostrophe à son modèle : « Il faut vous tenir comme une pomme. Est-ce-que cela remue, une pomme ? ». Le regard absent de Vollard  se porte sur le livre qui l’aide à supporter ce temps de pose. Inversement le critique Gustave Geoffroy est portraituré dans l’action, une bibliothèque pour toile de fond et de multiples documents ouverts sur sa table de travail.

L’autoportrait de 1898-1900, intitulé « Portrait de l’artiste au béret », s’il montre un vieillissement physique, conserve la force du dessin et des couleurs matiériques. La notoriété de Cézanne a franchi les frontières, comme en témoignent les expositions de Berlin, de La Haye,  les achats de  Chtchoukine. Et ne fait que croître en France où une salle entière du Salon d’Automne de 1905 est consacrée à ses œuvres, et où dès 1900 Maurice Denis réalise l’« Hommage à Cézanne » qui regroupe les Nabis et Odilon Redon. Dans l’atelier qu’il fait construire aux Lauves sur les collines d’Aix, Cézanne multiplie les vues de la montagne Sainte Victoire et entreprend les « Baigneuses ». Mais il n’abandonne pas pour autant ses portraits, en deux versions une mystérieuse « Dame en bleu »  et  « Dame au livre »,  qui sera le dernier écho de la bourgeoisie, peu aimée de Cézanne, au demeurant portraits très réussis, où Cézanne travaille la couleur bleue (il n’y a jamais eu de baisse dans la réalisation  de son œuvre peint). Son dernier modèle est le jardinier Vallier, un peu son alter ego par l’âge et le physique. Il le peint dans l’atelier, et aussi en plein air. Il retrouve une palette et un dessin aussi violents qu’ils le furent à ses débuts. En octobre 1906 il travaillait à un portrait de Vallier quand la maladie le terrassa.

On ne quitte pas Cézanne sans  l’écouter dire humblement ce que représente pour lui un portrait : «  Il faut bien voir son modèle et sentir très juste et encore s’exprimer avec distinction et force » .

Annie Birga

Billet : l’électorat d’Emmanuel Macron

Avec Macron le jeune elle se voit cougar
L’électrice en retraite entichée de ce gars
Se sent prête à casquer désormais davantage
Au point que sa pension serve à payer l’Etat

Elle y perd mais tant pis ne s’en inquiète guère
Elle se sacrifie et le fait le cœur gai
Croyant contribuer au pouvoir qui protège
Le bon sens de nos jours n’est plus ce qu’il était

Elle choisit la mine et la bonne figure
L’apparence moderne et les choix ambigus
Où sont les protections quand la loi dérégule

Pour ce président neuf qui fait de la voltige
Qui va de gauche à droite elle a des sympathies
Préférant la jeunesse elle se sous-estime

 

D’après un article de l’hedomadaire Le Point daté du 8 juin 2017, qui se réfère à un sondage d’Ipsos :
« Ceux qui ont un minimum de bac + 3 ont voté Macron à 81 %. Marine Le Pen obtient son meilleur score chez ceux qui ont un diplôme inférieur au bac : 45 %. Cette typologie recoupe celle des professions. Les cadres (à 82 %), les professions intermédiaires (à 67 %) et les retraités (à 74 %) constituent le gros des troupes du vote Macron. Marine Le Pen reste la plus forte chez les ouvriers (56 %, contre 44 % pour Macron). Chez les employés, Macron reste en tête (54 %, contre 46 % en faveur de Marine Le Pen).
« Marine Le Pen reste forte dans la ruralité (43 %), tandis que le nombre d’électeurs favorables à Emmanuel Macron est élevé en milieu urbain, pour culminer à 72 % dans les villes de plus de 100 000 habitants.
« Le vote Macron est plus féminin (68 %, contre 62 % des hommes). Le candidat d’ En marche ! est largement en tête chez les 70 ans et plus (78 %), les 60-69 ans (70 %) et les jeunes de 18-24 ans (66 %). Marine Le Pen obtient son meilleur score auprès des 35-49 ans (43 %). »
Dans le programme du nouveau président, l’imposition accrue des retraites par la hausse de la CSG (contribution sociale généralisée) a quelque chose d’indécent : il est question de taxer davantage les retraités, population largement captive qui a beaucoup travaillé pour mériter ce qu’elle gagne, et de détaxer en revanche les grandes fortunes mobilières qui font du chantage à la délocalisation.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : TGV

Le TGV s’élance à très grande vitesse
Coupant dans les reliefs que jadis évitaient
Le vieux chemin de fer et ses locos qui toussent
Anthracite et vapeur elles menaient partout

Pour joindre sans détour la région du pastis
En avalant l’espace avec grand appétit
La ligne électrifiée raccourcit les distances
Mais l’air devant le train se fait plus résistant

L’allure malgré tout reste vive et glissante
L’heure glisse elle aussi l’aventure est succincte
Le paysage en fuite échappe à tout dessin

Le train non loin des Baux d’où provient la bauxite
Bifurque alors vers l’est et le wagon tressaute
(Wagon c’est l’ancien mot) vers des cieux provençaux

 

A l’occasion de l’ouverture le 2 juillet 2017 d’une nouvelle ligne TGV (entre Paris et Bordeaux), la SNCF a présenté un nouveau label pour ses trains à grande vitesse, qui existent en France depuis 1981, et dont on rappelle qu’ils atteignent 300 km/h ou davantage. Le Canard enchaîné a publié à ce sujet, en première page de son édition du mercredi 31 mai 2017, un article intitulé : « SNCF : voyage au bout de l’inouï », qui nous donne les informations suivantes : « Encore des tags qui vont saloper nos beaux trains ! Mais ceux-là sont officiels et les tagueurs n’ont pas de cagoule. Dès le 2 juillet, tous les wagons de TGV seront ornés du nouveau logo « inOui »… réversible de droite à gauche et aussi de bas en haut » [c’est-à-dire avec un premier i écrit à l’envers, puis un n ressemblant à un u renversé, et un gros O central]. Dans Le Parisien du 27 mai, un spécialiste des marques s’est étonné que la SNCF sacrifie pour un simple jeu de mots « ces trois lettres [TGV] qui résonnaient dans le monde entier ». Le Canard enchaîné a cherché des explications. « Pourquoi faire le deuil du TGV ? Pas assez chic, trop low cost, trop technologique, paraît-il, alors que le nouveau label doit incarner au contraire le changement et l’accroissement de la qualité (Les Echos, 30/5). Car la SNCF, en mal de clients, prévoit de former 5 000 cheminots à une nouvelle façon d‘agir, et d’installer la Wi-Fi dans tous ses nouveaux TGV. Avec des oui-contrôleurs ? Guillaume Pepy [président de la SNCF] l’assure : ces nouveaux services se feront sans augmentation de prix, il ne s’agit pas d’en faire un produit de luxe. Oui, si cette promesse était tenue, ce serait vraiment… inoui ! » Par la même occasion, il serait bon d’améliorer la ponctualité de ces trains.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : un château d’herbe en pissenlits

Epars dans le gazon les pissenlits s’étendent
Efflorescence jaune au moment du printemps
Bien que deux fois par mois la machine les tonde
Ils renaissent toujours dans ce jardin breton

Peut-être poussaient-ils jadis dans l’Atlantide
Continent légendaire à l’histoire engloutie
Sans que l’on sache au vrai par quelle latitude
Le vent disséminait leurs semences têtues

Mellifères ces fleurs que l’abeille butine
Montent très vite en graine et forment des aigrettes
Qui s’envolent partout retombent ralenties

Sacha impressionné par la pioche décrète
Que Papido creusant pour sortir les racines
Elève un « château d’herbe » avec ce qu’il extrait

 

Vers Pâques, le gazon de la maison bretonne avait besoin d’être nettoyé. Malgré toutes les qualités qui leur étaient reconnues jadis et naguère (notamment gustatives et médicales, leur nom même témoigne de leur qualité diurétique !), les pissenlits sont aujourd’hui peu appréciés, car leur pousse rapide et anarchique dépare les tapis végétaux entretenus par la tondeuse. On pourrait encore tolérer leurs fleurs jaunes attirant les abeilles, mais non leurs aigrettes qui forment des bulles de semences légères prêtes à s’envoler et à se disséminer au moindre souffle. Certes, ces aigrettes continuent à être représentées sur la couverture des dictionnaires Larousse comme une image du savoir « semé à tout vent ». Mais, dans les jardins, elles sont une menace annonçant la multiplication des mauvaises herbes. Cette plante a un côté souterrain qui n’est pas le moins gênant pour celui qui jardine. Elle enfonce dans le sol des racines profondes qui se cassent lorsqu’on essaie de les tirer pour les extraire à la main. Une plante voisine à fleurs jaunes, la piloselle, a des racines plus superficielles. Sacha (trois ans et demi), à qui il a été demandé de se tenir à distance, a été moins intéressé par la botanique que par la pioche utilisée pour extraire ces indésirables dont son grand-père faisait un tas. L’imagination enfantine y a vu tout de suite la construction d’un château d’herbe.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les châteaux de sable

Sacha ne se plaît guère au bord où l’on patauge
En retrait sur la plage il bâtit un château
De puissants chevaliers dont les remparts protègent
Le rivage marin du pays fouesnantais

Lorsque la marée monte il faut des colmatages
Elle sape les tours et les transforme en tas
Bientôt les murs de sable auront l’air de vestiges
Dilués par la vague et par les clapotis

L’enfant n’en est pas triste et même il prend plaisir
A piétiner le reste il n’y a plus de garde
Opposable à la mer quand celle-ci déborde

Les praires que mamie l’a aidé à choisir
Pour décorer ce fort les coques les palourdes
Les coquilles striées dans le flot se reperdent

 

Sacha a passé les vacances de Pâques au bord de l’Atlantique, à l’île de Ré et en Bretagne. A la plage il a bâti des châteaux de sable avec l’aide de ses grands-parents, soit en creusant, soit en édifiant avec du sable humide des tours et des murs. Le sable est un matériau qui n’est pas si facile à utiliser : quand il est trop sec, il ne tient pas et s’effrite ; quand il est trop mouillé, il ne tient pas non plus. Des coquillages diversement striés dont la mer fournit une grande variété peuvent servir de toits sur les tours.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les rats et les chats de Paris

 

Le fabuliste a dit dans plus d’un apologue
L’aventureuse vie du rat du surmulot
Dans un style enjoué mêlant sagesse et blague
Avec limpidité sans égard au blabla

J’aimerais aujourd’hui m’inspirer de sa langue
Et lui emprunter même un peu de son talent
Pour vous narrer qu’ici réapparaît la ligue
Des rongeurs au poil gris dans la ville en folie

L’homme les craint toujours dans sa mémoire longue
Ils sont aussi présents à New York ou à Londres
Et sortent quelquefois de leurs obscurs filons

L’hygiène sanitaire à Paris se déglingue
On les voit au grand jour on commence à s’en plaindre
Où sont passés les chats tous les petits félins

 

Jean de La Fontaine a écrit plusieurs fables sur les rongeurs qui cohabitent avec les humains : « Le rat de ville et le rat des champs » (Livre I, fable 9), « Conseil tenu par les rats » (livre II, fable 2, apologue dont Eustache Deschamps a fait une ballade), « Le lion et le rat » (Livre II, fable 11), « Le Chat et un vieux rat » (livre III, fable 18), « Le Combat des rats et des belettes » (Livre IV, fable 6), « La Grenouille et le rat » (livre IV, fable 11), « Le rat qui s’est retiré du monde » (Livre VII, fable 3), « Le rat et l’éléphant » (Livre VIII, fable 15), « Le Rat et l’huitre » (livre VIII, fable 9), « Le chat et le rat » (Livre VIII, fable 22), « Les Deux rats, le renard et l’œuf » » (livre X, fable 1), « La Ligue des rats » (fable hors recueil, mais publiée du temps de l’auteur)… Le fabuliste les décrit avec une sympathie surprenante, contrastant avec la crainte suscitée par les épidémies qu’ils ont propagées dans le passé, et dont subsiste un fort écho dans La Peste de Camus. Comme le rappelle l’Institut Pasteur sur internet : « La peste est une maladie des rongeurs, principalement véhiculée par le rat, et transmise à l’homme par piqûres de puces de rongeurs infectés. » On trouve des rats en abondance à Paris, Londres, Chicago ou New York, pour ne parler que du monde occidental. A Paris, la négligence générale, celle de l’administration locale (nettoyage déficient, poubelles inadaptées, service de santé mal « restructuré » c’est-à-dire désorganisé), celle des commerces alimentaires et celle des habitants, se traduit à présent par une prolifération accrue des rats, qui s’épanouissent dans les espaces verts, tandis que leurs prédateurs, les chats, sont confinés en grand nombre dans les appartements. La ville de Paris veut réagir et dératiser, en particulier parce qu’elle craint les effets négatifs de cette situation sur sa candidature aux jeux olympiques et sur son attractivité touristique.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : il n’y a pas d’espoir sans crainte, ni de crainte sans espoir

Il n’y a pas d’espoir sans crainte
Sans inquiétude en souterrain
La crainte rend la joie prudente
Et l’espoir vibre en attendant

Désire-t-il changer les dates
Accélérer les agendas
Il n’y a pas d’espoir sans crainte
Sans inquiétude en souterrain

Dans l’espérance on sent le doute
Moins violent qu’elle et même doux
Que l’avenir parle sanskrit
Ou langue neuve et non écrite
Il n’y a pas d’espoir sans crainte

***

L’espoir se lève au fond des craintes
Il atténue plainte et chagrin
Rend l’affliction moins imprudente
Chez qui se croit perdu perdant

Il attend le report des dates
Qui nous soucient dans l’agenda
L’espoir se lève au fond des craintes
Il atténue plainte et chagrin

Dans la tristesse on voit le doute
Recommander qu’un ton plus doux
S’exprime en mots non pas en cris
La fin n’est pas d’avance écrite
L’espoir se lève au fond des craintes

 

 

« L’espérance est une disposition de l’âme à se persuader que ce qu’elle désire adviendra, laquelle est causée par un mouvement particulier des esprits, à savoir par celui de la joie et du désir mêlés ensemble. Et la crainte est une autre disposition de l’âme, qui lui persuade qu’il n’adviendra pas. Et il est à remarquer que, bien que ces deux passions soient contraires, on les peut néanmoins avoir toutes deux ensemble, à savoir lorsqu’on se représente en même temps diverses raisons, dont les unes font juger que l’accomplissement du désir est facile, les autres le font paraître difficile. » (Descartes, Les Passions de l’âme, article 165).
« L’espérance est une joie inconstante née de l’idée d’une chose future ou passée sur l’issue de laquelle nous avons quelque doute… La crainte est une tristesse inconstante née de l’idée d’une chose future ou passée sur l’issue de laquelle nous avons quelque doute. » (Spinoza, Ethique, III, définitions des affects, définitions XII et XIII). « De ces définitions, il suit qu’il n’y a pas d’espérance sans crainte, ni de crainte sans espérance. Car qui est suspendu à l’espérance et doute de l’issue d’une chose imagine… quelque chose qui exclut l’existence de la chose future ; et par suite on suppose qu’en cela il est attristé, et par conséquent que, tandis qu’il est suspendu à l’espérance, il craint que la chose ne se produise pas. Et qui, au contraire, est dans la crainte, c’est-à-dire doute de l’issue d’une chose qu’il hait, imagine aussi quelque chose qui exclut l’existence de cette chose ; et par suite il est joyeux, et en conséquence en cela il a l’espérance que la chose ne se produise pas. » (Ethique, troisième partie, définitions des affects, explication des définitions XII et XIII).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : rondeau pour la Saint-Valentin

 

C’est une fête où toute rose est rouge
Célébration de la Saint-Valentin
De la tendresse et même du courage
Pour être doux le monde en a besoin

Le coeur et l’âme ont l’amour en commun
Ne veulent pas qu’il cède et qu’il se range
C’est une fête où toute rose est rouge
Célébration de la Saint-Valentin

Pour que l’amour sans vaciller dirige
Nos sentiments sous un ciel incertain
Qu’il soit plus fort que les riens qui l’abrègent
Qu’il ne soit pas un feu de paille éteint
C’est une fête où toute rose est rouge

 

Ce poème est un hommage à Charles d’Orléans (1394-1465), petit-fils, neveu et père de roi, grand poète, qui a écrit plusieurs rondeaux sur la Saint-Valentin, par exemple celui-ci (numéroté CLXI) :

Saint Valentin, quand vous venez
En carême au commencement,
Reçu ne serez pas vraiment
Ainsi qu’accoutumé avez.

Souci, pénitence amenez :
Qui donc vous recevrait gaiement,
Saint Valentin, quand vous venez
En carême au commencement ?

Une autre fois vous avancez
Plus tôt, et alors toutes gens
Vous accueilleront autrement ;
Et dame à choisir amenez,
Saint Valentin, quand vous venez !

Il est à noter que la mère de Charles d’Orléans, fille du duc de Milan, s’appelait Valentine Visconti. La Saint-Valentin, traditionnellement fêtée le 14 février, tombe parfois au début du carême, ce qui n’est pas bon pour la fête, nous dit Charles d’Orléans. Mais en 2017, le carême ne commence que le premier mars. J’ai traduit par « dame » le mot « pair » qui signifie : personne qui fera la paire.

Dominique Thiébaut Lemaire

Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme. Par Annie Birga

Exposition au Musée d’Orsay
Du 15 novembre 2016 au 5 mars 2017

Une exposition consacrée à Bazille, qui vient de Montpellier, le Musée Fabre conservant bon nombre de ses toiles et études, et qui a toute sa place à Orsay, musée par excellence de l’Impressionnisme, avant de partir à la National Gallery of Art de Washington, l’un des musées américains qui, dans les années 1960, se sont enrichis de chefs-d’œuvre d’un peintre peu défendu par nos institutions.

Frédéric Bazille (1841-1870), une vie trop courte, une mort au front après un engagement volontaire dont les motivations sont demeurées énigmatiques. Il subsiste de son œuvre une soixantaine de tableaux, rassemblés dans cette exposition.  Pour permettre de mieux dégager l’originalité de son inspiration, les organisateurs ont mis en regard avec les siennes des toiles de ses contemporains, Delacroix, Courbet, Manet, Monet, Renoir, Fantin-Latour, Guigou, Scholderer, Cézanne.

Bazille a toujours voulu devenir peintre. Pour cela il lui faut quitter ses parents, qui font partie de la grande bourgeoisie commerçante de Montpellier, continuer mollement, à Paris, des études de médecine, mais, vite, s’inscrire dans un atelier pour étudier et progresser.  Ce sera celui de Charles Gleyre, où sont aussi élèves Auguste Renoir et Claude Monet. Il lie amitié avec eux et bientôt partage atelier, voyages et idées. Ces jeunes gens veulent traiter  des sujets proches de la vérité, faire des paysages en plein air dont on étudie la lumière, et, pourquoi pas, comme l’écrit Zola, à propos de Manet,  « mettre des figures de grandeur naturelle dans un paysage ». Les immédiats précurseurs que Bazille admire et qui vont dans cette direction anti-académique, sont Corot, Millet, les peintres de l’école de Barbizon. En 1863 le tableau de Manet « Le Déjeuner sur l’herbe » qui fait scandale, est refusé au Salon officiel, régenté par l’Académie des Beaux-Arts. Bazille admire Manet et des liens se nouent : dans « L’atelier de la Rue de la Condamine » (1869), c’est Manet qui  intervient dans le tableau où il est représenté : il prend le pinceau pour esquisser lui-même le portrait  de son ami Bazille.

Dès 1864, Bazille peint « La Robe rose » : une jeune fille dont on ne voit pas le visage, assise sur le parapet du chemin de ronde, contemple le village de Castelnau-le-Lez.  Subtilité des couleurs et de la lumière, immobilité du temps. Ce sont les qualités des tableaux inspirés par son pays languedocien que Bazille rapporte quelquefois de son séjour estival et qui alternent avec les tableaux urbains de l’hiver. Mais Bazille, contrairement à ses amis, ne peint pas les rues de Paris. La « Petite Italienne, chanteuse des rues » (1866), inscrit son visage fermé et son geste arrêté devant un rempart d’immeubles gris.  L’apprenti-peintre, de plus en plus peintre à part entière, aborde tous les genres, où il affirme sa maestria : la nature morte, avec des portraits de gibier à la Oudry, la représentation florale et c’est la profusion des fleurs de la serre familiale avec leurs couleurs et leur variété. Il peint des autoportraits, dont un « Autoportrait à la palette » (1865), retenu et sobre, des portraits d’amis, Renoir à plusieurs reprises, Monet, et son ami musicien, Edmond Maître, dilettante raffiné entre livre et fumée du cigare. Chacun de ses ateliers successifs, rue Visconti, rue Furstenberg, rue de la Condamine, est évoqué avec le matériel de travail, le fauteuil vert qui suivra partout le peintre, les tableaux appuyés au mur ou par terre, le poêle. Le plus spectaculaire, dans le bon sens du mot, est celui de la rue de La Condamine, qu’il a qualifié d’immense, où il rassemble ses amis, depuis Maître assis dans un coin au piano jusqu’à Monet, Renoir, Sisley et, on l’a mentionné, Manet lui-même. Tableau auquel fait écho l’historique « Un atelier aux Batignolles »(1870) de Fantin-Latour.

Les chefs d’œuvre arrivent surtout du midi languedocien. Que  le Salon retienne ou non les tableaux du peintre, nous considérons les refus comme révélateurs de l’étroitesse de goût des officiels. Citons les sublimes « Portraits de la famille » (1867), « Scène d’été » (1869-70), « Négresse aux pivoines »(1870), « Paysage au bord du Lez »(1870), tableaux nourris par son regard sur ses parents, dignes et guindés, sur l’Eden de l’adolescence dans la campagne ensoleillée, sur la beauté du geste  et du regard féminin au milieu des fleurs brillantes, sur le calme serein d’une campagne sans histoire sinon un sentier et un peu d’eau.
Frédéric Bazille atteint le classicisme. Le mot est dit, et où serait alors l’impressionnisme ? Il n’’est pas dans le rendu, ni dans la touche, mais dans l’intensité de l’impression et du ressenti.

Annie Birga

Billet : Macron, Hamon et Mélenchon

 

Descendus dans l’arène ainsi que des Curiaces
La faiblesse les guette avec ses incuries
Peut-être faudrait-il qu’ils aient l’air moins candide
Et le cœur mieux armé ces triples candidats

De concert ils battraient l’adversaire coriace
Et son conservatisme encombré de scories
Mais ils sont divisés leur désunion les bride
Et les oppose entre eux dans cette corrida

Chacun se croit meilleur on connaît cette espèce
Ils auront beau montrer qu’ils ont de la vaillance
La qualité première est d’être clairvoyant

Ils feraient mieux de lire ou relire la pièce
Tragique où nous voyons un trio défaillant
Périr à trois contre un faute de faire alliance

La désunion de ces candidats à l’élection présidentielle fait penser au combat symbolique qui, dans Horace de Corneille (acte IV, scène 2), oppose les trois Curiaces à leur adversaire
Trop faible pour eux tous, trop fort pour chacun d’eux,
[Qui] sait bien se tirer d’un pas si dangereux ;
Il fuit pour mieux combattre, et cette prompte ruse
Divise adroitement trois frères qu’elle abuse.
Chacun le suit d’un pas ou plus ou moins pressé,
Selon qu’il se rencontre ou plus ou moins blessé…
Horace, les voyant l’un de l’autre écartés,
Se retourne, et déjà les croit demi-domptés :
Il attend le premier…
L’autre, tout indigné qu’il ait osé l’attendre,
En vain en l’attaquant fait paraître un grand cœur ;
Le sang qu’il a perdu ralentit sa vigueur.
Albe à son tour commence à craindre un sort contraire ;
Elle crie au second qu’il secoure son frère :
Il se hâte et s’épuise en efforts superflus ;
Il trouve en les joignant que son frère n’est plus…
Son courage sans force est un débile appui ;
Voulant venger son frère, il tombe auprès de lui…
Comme notre héros se voit près d’achever,
C’est peu pour lui de vaincre, il veut encor braver :
 » j’en viens d’immoler deux aux mânes de mes frères ;
Rome aura le dernier de mes trois adversaires,
C’est à ses intérêts que je vais l’immoler,  »
Dit-il ; et tout d’un temps on le voit y voler.
La victoire entre eux deux n’était pas incertaine ;
L’Albain percé de coups ne se traînait qu’à peine…

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : la reconnaissance et l’ingratitude

 

L’ingratitude est un grand vice
Briseur de liens lorsqu’il sévit
Lorsque l’ingrat pense d’avance
Que le bienfait n’est que du vent

Dire merci c’est survivance
Finie pour lui dorénavant
L’ingratitude est un grand vice
Briseur de liens lorsqu’il sévit

Quand tout s’achète et tout se vend
Remerciement c’est redevance
Payée trop cher à son avis
Sentiment brut et dissolvant
L’ingratitude est un grand vice

 

La reconnaissance est une espèce d’amour que nous avons pour celui qui nous a fait quelque bien, ou qui du moins en a eu l’intention. Elle ressemble à la « faveur », définie comme l’amour pour ceux qui font des choses que nous estimons bonnes en général. Mais, de plus, elle est fondée sur une action qui nous touche personnellement et qui nous incite à rendre la pareille. « C’est pourquoi elle a beaucoup plus de force, principalement dans les âmes tant soit peu nobles et généreuses. » (Descartes, Les Passions de l’âme, article 193). « La reconnaissance ou gratitude (gratia seu gratitudo) est le désir ou zèle d’amour par lequel nous nous efforçons de faire du bien à qui, pareillement affecté d’amour envers nous, nous a fait du bien. » (Spinoza, Ethique, troisième partie, définitions des affects, XXXIV). L’ingratitude, au contraire, est « un vice directement opposé à la reconnaissance, en tant que celle-ci est toujours vertueuse et l’un des principaux liens de la société humaine. C’est pourquoi ce vice n’appartient qu’aux hommes brutaux et sottement arrogants, qui pensent que toutes choses leur sont dues ; ou aux stupides, qui ne font aucune réflexion sur les bienfaits qu’ils reçoivent ; ou aux faibles et abjects, qui, sentant leur infirmité et leur besoin, recherchent bassement le secours des autres, et après qu’ils l’ont reçue, ils les haïssent » : en effet, n’ayant pas la volonté de rendre la pareille, ou désespérant de le pouvoir, et s’imaginant que tout le monde est mercenaire comme eux, ils s’imaginent (ou feignent de croire) qu’on ne fait aucun bien que dans un but intéressé, avec l’espoir d’en être récompensé (Descartes, Les Passions de l’âme, article 194).

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : le marché de Noël à Strasbourg

Je me souviens du marché de Noël
Qui se tenait sur la place Broglie
A prononcer comme ce nom s’écrit
On y sentait pain d’épice et cannelle

Vin chaud sucré suivant le rituel
Et sapin frais bonne parfumerie
Je me souviens du marché de Noël
Qui se tenait sur la place Broglie

Mais depuis lors finie la rêverie
Récent bizness partout se multiplient
De faux chalets vendant de l’irréel
Que veut détruire un djihad en folie
Je me souviens du marché de Noël

 

Un marché de Noël berlinois très mal protégé, celui de la Breitscheidplatz, a été attaqué le 19 décembre 2016 vers vingt heures par un djihadiste d’origine tunisienne au volant d’un camion de 38 tonnes qui a tué douze personnes et qui a fait plus de cinquante blessés. La justice allemande a révélé que le camion était équipé de systèmes électroniques de sécurité, caméra et radar, capables de détecter les obstacles. Ces systèmes ont provoqué un freinage d’urgence limitant le nombre de victimes. Après l’attentat, revendiqué par l’organisation Etat islamique, soixante plots en béton armé d’une tonne et demie ont été installés. La police allemande n’a pas pu attraper le meurtrier qui, après une cavale passant par la France, a été contrôlé par hasard près de Milan et tué dans la nuit du 22 au 23 décembre par une patrouille de deux policiers italiens en état de légitime défense. On nous dit (et on veut bien le croire) qu’après le carnage de Nice le 14 juillet 2016 des mesures de protection bien plus sérieuses ont été prises à Strasbourg pour protéger le marché de Noël. Ce qui n’empêche pas de constater qu’en peu d’années, à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, le caractère commercial de ces marchés est devenu excessif ; que l’image de Noël y est abusivement instrumentalisée à des fins lucratives ; et qu’elle draine des foules trop nombreuses pour être réellement en sécurité par les temps qui courent.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : ultime promesse non tenue du président

Notre bon président s’était fait la promesse
D’une réélection le gardant au sommet
Si par bonheur le sort avec plus de clémence
Consentait à réduire un chômage alarmant

D’abord sourde à ses vœux la chance in extremis
A semblé de nouveau lui sourire en amie
Le risque à ce moment pouvait paraître mince
Qu’il perde son pari sorte de son chemin

Oui mais si le chômage a cessé de s’étendre
On a vu cet espoir fatiguer les attentes
Se faire désirer à la fin trop longtemps

La foi présidentielle a fini par s’éteindre
Un regain de faveur devenait hors d’atteinte
Le but était si proche et pourtant si lointain

 

Après la nouvelle de son renoncement à l’élection de 2017, annoncée par le Président de la République (titre qu’il a tendance à prononcer lui-même « Présent de la Réplique » quand il parle vite en avalant les syllabes), Le Canard enchaîné du 28 décembre 2016 a publié en première page un dessin de Lefred-Thouron montrant trois personnages perplexes : l’un reste silencieux, un autre s’interroge : « La courbe du chômage s’inverse, et pourtant, Hollande ne se représente pas… », tandis que le troisième répond : « Ultime promesse non tenue ! »

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : à chaque année suffit sa peine

A chaque jour suffit sa peine
On veut le soir trouver la paix
S’asseoir souffler pauvre bipède
Mais le souci qui nous malmène
S’arrête peu sinon jamais

Malgré l’espoir qu’ils soient en panne
Les vieux tourments ne cessent pas
Ne souffrant pas les escapades
Ils font de nous des monomanes
Il tournent mal dans l’estomac

A chaque année son lot d’épines
On aimerait plus de répit
Des sentiments plus purs limpides
Et que Noël qui s’illumine
Epanouisse une accalmie

 

« Ne vous inquiétez donc pas pour le lendemain : le lendemain s’inquiétera de lui-même. » A la fin de cette parole évangélique se trouve un célèbre octosyllabe en version française : « à chaque jour suffit sa peine » (Matthieu 6.34), dans lequel on peut remplacer « jour » par « année » pour célébrer les douze mois qui se terminent en décembre et les douze qui vont suivre.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : opération du genou

 

Quand on aime les mots la langue médicale
N’est pas sans poésie mais à la condition
D’aimer aussi le corps et ses réparations
D’accepter comme un bien le mal chirurgical

La patiente a reçu un genou en métal
L’arthrose ayant causé d’importantes lésions
La marche en liberté devenait illusion
D’où cette opération d’arthroplastie totale

En titane peut-être ou en chrome cobalt
Avec une rotule en polyéthylène
La prothèse agira comme une force occulte

A la fin des douleurs accompagnées de spleen
Elle sera l’espoir de monter désinvolte
A un plus haut niveau que les surfaces planes

 

 

La pose d’une prothèse remplaçant l’articulation du genou est devenue une opération relativement courante. Elle remédie aux lésions de l’arthrose qui peuvent rendre très douloureux le fonctionnement de cette articulation complexe, essentielle pour la liberté d’aller et de venir. Dans les hôpitaux qui pratiquent ces interventions, celles-ci ont évolué dans le même sens que les autres activités de soin, c’est-à-dire qu’on tend à réduire au minimum la durée des hospitalisations pour faire des économies (et il semble que certains politiciens nous promettent encore pire en voulant que ça saigne !), ce qui ne va pas sans poser des problèmes de suivi post-opératoire, en ce qui concerne par exemple le traitement indispensable de la douleur, l’évolution des oedèmes et hématomes de la cuisse et de la jambe consécutifs à l’opération, le risque de phlébite (inflammation d’une veine)… Bien que la marche soit tout de suite possible, et que le séjour à l’hôpital ne dure que deux ou trois jours, une période de rééducation de plusieurs semaines est ensuite nécessaire, au cours de laquelle le patient doit s’astreindre à des exercices, seul et avec un kinésithérapeute, de manière à pouvoir faire face aux situations de la vie courante : si la marche en terrain plat requiert une (génu)flexion de 60 degrés, dans un escalier la flexion doit atteindre au moins 110 à 120 degrés, et davantage encore dans les transports en commun ou pour faire du sport. Les personnes opérées reçoivent du chirurgien un certificat attestant que leur prothèse articulaire est susceptible de déclencher les alarmes des portiques de sécurité dans les aéroports, les gares ou les grands magasins.

Dominique Thiébaut Lemaire

Du mensonge en politique. Par Dominique Thiébaut Lemaire

Les écarts entre espérances, promesses et réalité

La politique est animée par l’espérance, par les attentes que les candidats aux fonctions dirigeantes doivent s’engager à satisfaire pour être élus. Aux espérances des uns répondent plus ou moins sincèrement les promesses des autres.

L’action politique doit aussi prendre en compte la réalité, celle qui lui résiste, la force des choses, « ce qui ne dépend pas de nous » par opposition à « ce qui dépend de nous », pour reprendre une distinction chère aux philosophes (les Stoïciens, ou Descartes, par exemple). Mais il faut avoir cherché préalablement  à bien comprendre sur quoi nous avons prise.

Le mensonge réside dans les écarts entre l’espérance, les promesses et la réalité.
Promettre l’impossible, c’est mentir. Malheureusement, ce mensonge ne déplaît pas, on s’imagine qu’il a de la grandeur : Impossible n’est pas français, dit-on ; soyez  réalistes, demandez l’impossible, a-t-on dit en mai 68.

L’espérance et les promesses

L’espérance est considérée par le christianisme comme l’une des trois vertus théologales. Elle est fortement présente aussi dans le communisme et le socialisme, fondés sur l’espoir d’un monde meilleur. Mais Descartes, dans Les Passions de l’âme, écrit justement qu’elle est une passion avant d’être une vertu. En tant que passion, elle peut être mensongère. Elle naît la plupart du temps du désir plutôt que de la raison. Elle naît aussi de la joie que l’on attend. Or, comme l’a noté le philosophe, les passions qui naissent de la joie sont plus difficiles à maîtriser que celles qui naissent de la tristesse.

Face à l’espérance, il arrive souvent que, selon une formule cynique tirée de l’expérience, « les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent ». On peut distinguer deux sortes de fausses promesses : celles dont le prometteur s’aperçoit ensuite qu’elles ne sont pas tenables, et celles qu’il sait d’emblée ne pouvoir tenir, mensonge délibéré. Cela dit, la distinction entre le mensonge d’une part, l’ignorance ou la bêtise d’autre part, est souvent floue. Ainsi, il peut être facile d’invoquer l’ignorance pour s’exonérer de l’accusation de mensonge. Pour éviter ce travers, mieux vaut essayer de choisir (en refusant que ce soit un vœu pieux) des hommes politiques ayant suffisamment de raison, c’est-à-dire d’intelligence et de savoir.

La force des choses

Certains pensent que l’ordre existant est l’exact reflet de la force des choses, et que, pour reprendre une expression aujourd’hui répandue, « il n’y a pas d’alternative ».
D’autres pensent qu’il faut revenir à un état antérieur plus « naturel », et dénomment réformes (parce que ce mot est toujours pris aujourd’hui dans un sens positif) des programmes et des actions régressives.
D’autres encore considèrent qu’il faut nécessairement aller de l’avant sans arrêt et que, grâce au « progrès », la force des choses n’existe plus. Les avancées des sciences et des techniques tendent à les persuader que presque tout dépend ou dépendra de nous.
Ces trois attitudes simplistes, plaquées a priori sur une réalité complexe, continuent à séduire parce qu’elles font partie du « prêt à penser » qui évite l’effort de réfléchir. Elles sont toutes les trois des sources d’erreur et de tromperie.

Autre source d’erreur et de tromperie communément répandue : croire et faire croire que la vérité et le bien vers lesquels nous devons tendre nous sont révélés par ce que font les autres, c’est-à-dire, dans notre monde, grâce à ce qu’on appelle en franglais le « benchmarking », c’est-à-dire en l’occurrence les comparaisons par rapport aux moyennes internationales.
Or celles-ci ne sont pas assez fines pour permettre de comparer vraiment ce qui est comparable. Ceux qui utilisent ces données – hommes politiques, experts plus ou moins médiatiques ou politisés – trompent leur public en feignant d’en maîtriser la signification. Ils n’ont généralement pas une idée assez précise des réalités étrangères, et de toutes les précautions à prendre pour apprécier avec justesse la portée des chiffres invoqués. Bref, comparaison n’est pas raison.
Aux effets de l’ignorance s’ajoutent dans ce « comparatisme » les effets de la rivalité, de la compétition, de la surenchère, et même de l’envie. Il existe une propension à croire que l’autre est toujours mieux loti que soi, et qu’il faut le suivre pour l’égaler ou le dépasser, alors qu’il serait préférable de penser à se dépasser soi-même.

Dominique Thiébaut Lemaire

Sergio Birga : xylographies, variations sur Kafka

Exposition du 1er décembre 2016 au 15 janvier 2017

 

vernissage-birga-invitationLa galerie Saphir au Marais présente plus de vingt xylographies de Sergio Birga, inspirées par l’oeuvre de Kafka. Les plus anciennes (sur La Métamorphose, Le Procès, Un rêve) datent de 1963, dix ont été réalisées en 2014-2015, les trois plus récentes en 2016 d’après Le Château de l’écrivain pragois.
L’ensemble de ces xylographies donne une puissante impression d’univers onirique où le fantastique est parfois proche de l’angoisse. Cette impression est renforcée par le nombre d’oeuvres ainsi réunies, et par l’unité et la forte sincérité de l’inspiration.
L’exposition montre aussi quelques toiles de la période néo-expressionniste du peintre graveur.

L’influence de la technique de gravure sur les formes

La gravure sur bois de fil (en l’occurrence du cerisier) a des lignes anguleuses dues à la résistance du matériau. Elle impose une vigoureuse simplification des formes.
Elle a été pratiquée par les expressionnistes allemands, avec lesquels Sergio Birga a noué des liens d’amitié. Il a rencontré en Allemagne les protagonistes encore vivants de ce mouvement dans les années 1960 et 1970, Heckel, Meidner, Kokoschka, et plus particulièrement Otto Dix et Conrad Felixmüller.

Gravure et peinture

Les toiles exposées (de la première période de Sergio Birga) se caractérisent par la vivacité de leur chromatisme et par leurs formes convulsives ou géométriques, en correspondance avec les gravures.
Des huiles sur toile d’une période ultérieure ont servi de modèles aux xylographies intitulées « Un artiste du jeûne » ou le cirque K : tableau de 2005 et gravure de 2006 ; et « Description d’un combat (le pont Charles) » à Prague : tableau de 2005 et gravure de 2006 également. On peut ainsi comparer sur les mêmes thèmes la peinture et la gravure : les huiles permettent la nuance ne serait-ce que par la diversité des couleurs, en même temps leur grand format « en met plein la vue » comme on dit familièrement, et le support de la toile leur promet un avenir probablement plus durable ; les gravures sont par nature plus petites, plus fragiles sur papier, elles se passent le plus souvent de couleur, ce sont des figurations plus épurées qui concentrent la force du dessin.

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Sergio Birga
Description d’un combat (le pont Charles) 114×146 cm
huile sur toile, 2005

Quatre exemples parmi les xylograhies exposées

Les reproductions ci-dessous, reprises du site de l’artiste et du dossier de presse de l’exposition, donnent une idée de la qualité de ces gravures, accompagnées chacune de l’extrait de Kafka qui leur a donné naissance.


Le chevalier du seau I, 30 x 45 cm, 2006
« … Furibond, mais subissant l’éblouissant rayon du commandement : « Tu ne tueras point », le marchand sera obligé de lancer dans mon seau une pleine pelletée de charbon…
… Mais la charbonnière « dénoue son tablier et essaie de me repousser en l’agitant. Malheureusement elle y parvient. Mon seau a toutes les qualités d’une bonne monture ; mais aucune force de résistance ; il est trop léger ; un tablier de femme lui fait déjà quitter le sol. »

L’enseigne « Köhler » en allemand au-dessus de la porte à droite signifie « Charbonnier ».

*****


Le Soutier (Amerika), 30 x 45 cm, 2014
« Lorsque Karl Rossmann, jeune homme de dix-sept ans… entra dans le port de New York sur le bateau à l’allure déjà plus lente, il s’aperçut que la statue de la déesse de la Liberté qu’il observait depuis longtemps déjà était baignée par des rayons de soleil soudain plus forts. Le bras qui brandissait l’épée semblait s’être dressé à l’instant, et autour de son grand corps soufflaient les vents libres. »

Il est à noter que Kafka fait brandir à la Liberté un glaive au lieu d’un flambeau.

*****


Un médecin de campagne, 30 x 45 cm, 2014
« Tu m’accompagnes, dis-je au palefrenier, sinon je renonce à cette course, si urgente soit-elle. Je n’ai pas l’intention de t’abandonner ma servante pour prix de mon trajet. » « Hue !  » dit-il, et il frappe dans ses mains ; la voiture est emportée d’un seul coup, comme une branche par le courant ; j’entends encore la porte de ma maison qui se fend et vole en morceaux sous l’assaut du palefrenier, puis mes yeux et mes oreilles s’emplissent d’un puissant sifflement qui envahit tous mes sens à la fois. »

*****


Le chevalier du seau II (Dans les montagnes glacées), 30 x 45 cm, 2014
« Je m’élève vers la région des Montagnes glacées où je me perds sans espoir de retour. »

Le seau léger de la première gravure (Le Chevalier du seau I) devient ici un fardeau que le personnage porte avec difficulté, jambes et bras pliés dans l’effort.

Le noir et blanc – et parfois la couleur – dans les gravures de Sergio Birga

Le chevalier du seau  » I et II, et « Un médecin de campagne » montrent tout le parti que l’artiste peut tirer du noir et blanc de la xylographie : le noir devient un ciel nocturne sombre mais constellé, tandis que le blanc devient de la neige glacée.

Parfois, les gravures de Sergio Birga sont rehaussées de couleurs, par exemple dans la série qu’il a consacrée au jazz antérieurement, où le nombre de couleurs peut aller jusqu’à quatre. Deux des xylographies de la série « kafkaïenne » sont colorées. L’une d’elles représente le peintre Titorelli du Procès en train d’achever un tableau en rouge de la justice et du juge ; l’autre, « Les Passants qui courent dans la nuit », reprise d’un dessin de 2002 mais plus élaborée, montre deux personnages qui, dans une rue rectiligne pareille à celle où habite Sergio Birga, semblent fuir éperdument une énorme lune rouge. Il arrive en effet que la lune, éclipsée par l’ombre de notre planète, ne soit plus éclairée directement par le soleil, mais reçoive une lumière solaire diffusée en traversant l’atmosphère terrestre : un phénomène astronomique connu sous le nom de lune rousse, plus spectaculaire encore lorsqu’elle est à son périgée, au point de son orbite le plus proche de la terre.

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les couleurs de la météo

La météo sa couleur nous alerte
Annonce en rouge un grand coup de balai
L’intempérie colore ainsi les cartes
Même en violet dans le pire des cas

Mais plus souvent le danger reste orange
Lorsque la pluie ne crée pas de torrents
Lorsque le vent ne pousse pas l’orage
Sous les rayons d’une sinistre aura

Des nues chargées de rafales s’agrègent
Dans un gréement d’invisibles agrès
Ne cherchons pas quel démon les dirige
Nul ange noir aucune walkyrie

La dépression qui s’éloigne s’écarte
Entraîne encore un dernier reliquat
Puis laisse place à l’espérance verte
Et c’est le calme après le temps mauvais

 

La vigilance météorologique attire l’attention sur les risques d’une situation de mauvais temps et fait connaître les précautions pour se protéger. Des préalertes (en jaune) sont émises jusqu’à 48 heures à l’avance quand des évènements sont probables mais que des changements dans l’intensité, la trajectoire et/ou la durée peuvent se produire. Quand les météorologues sont sûrs que l’évènement va se produire, une carte de France des alertes, actualisée au moins deux fois par jour, signale le danger menaçant un ou plusieurs départements dans les 24 heures. Chaque département est coloré selon la situation météorologique et le niveau de vigilance nécessaire. En cas de vagues-submersion, le littoral des départements côtiers concernés est également coloré. La gradation des couleurs s’inspire de celle qui est utilisée pour les feux de circulation routière. Le vert indique une situation où aucune vigilance particulière n’est requise, le niveau d’alerte orange un phénomène d’intensité modérée, le niveau rouge un phénomène d’intensité forte et le niveau maximal violet un phénomène très fort. Un pictogramme précise sur la carte le type de phénomène prévu : vent violent, vagues-submersion, pluie-inondation, inondation, orages, neige/verglas, avalanches, canicule, grand froid. La carte est accompagnée de bulletins actualisés aussi souvent que nécessaire, qui précisent l’évolution du phénomène, sa trajectoire, son intensité et sa fin. Un système européen de vigilance, Meteoalarm, utilisant la même symbolique des couleurs, fournit des informations sur les conditions météorologiques attendues partout en Europe.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les chiffres des statistiques et des sondages

Elle est parfois pipeau jouant un air de fifre
En sorte qu’on sait mal ce qu’elle signifie
Partout la statistique à nos oreilles siffle
Et ses dénombrements trompeusement précis
Nous soûlent tous les jours plus qu’ils ne nous enivrent
En nous étourdissant de données infinies

Celui qui veut comprendre est à la peine il souffre
Il aime la justesse or elle se dissout
Dans les marges d’erreur le réel se camoufle
On sonde l’opinion sur des sujets trop mous
Pour la science dure et cet écart entrouvre
Un hiatus où le vrai se perd au fond du trou

Nous vivons dans un siècle envahi par les chiffres
Embrouillant la pensée des humains réfléchis
Quand pour s’en distancier l’esprit douteur persifle
Il voit le professeur le politique aussi
Le journaliste idem désireux de les suivre
Entrer dans le manège et boucler le circuit

Le sceptique aperçoit comme un début de gouffre
Entre la vérité dont il garde le goût
Et les trucs sondagiers qu’on avoue dans un souffle
Il se demande alors ce qu’il y a dessous
Ce que les taux ratios pourcentages recouvrent
Et pour l’entendement quel en sera le coût

 

 

Les chiffres ont avec la vérité un rapport double : tantôt ils la révèlent, tantôt ils la dissimulent. Le premier de ces aspects est celui que l’on retient en général, mais c’est le second qui nous occupe ici. Les chiffres sont trompeurs dans la mesure même où ils semblent être une garantie de précision et d’exactitude mathématiques, alors que l’apparence de sérieux est un moyen de dissimuler plus facilement leur caractère erroné. On se pose trop rarement la question de leurs sources et de leur fabrication. On part du présupposé que les insuffisances ou les faussetés initiales affectant les données de base et leur collecte peuvent être compensées, rectifiées par un traitement scientifique a posteriori. Dans le domaine de l’opinion, des médias d’opinion, des sondages d’opinion, on feint de croire que lorsque dans une enquête on interroge une personne, celle-ci exprime sans ignorance ni mensonge une vérité à laquelle l’enquêteur peut accorder foi. Les marges d’erreur n’intéressent pas grand monde, pas plus que les méthodes de redressement qui consistent en fait, qu’on l’avoue ou non, à manipuler les données dites « brutes ». En France, les « statistiques ethniques » ne sont pas autorisées, mais on entend sans cesse des discours dont les auteurs raisonnent comme s’ils pouvaient dire des choses indéniables à partir de chiffres en principe inexistants. On décompte les immigrés clandestins en faisant comme si « clandestin » ne signifiait pas secret, caché. Lorsque, de manière apparemment vertueuse, les sources sont mentionnées, il arrive qu’elles se réfèrent à d’autres sources dans une chaîne de renvois aboutissant à des chiffres sortis de nulle part.

P.-S. Ce poème accompagné de son texte en prose a été écrit et publié avant que ne soient connus les résultats de l’élection présidentielle américaine du 8 novembre 2016. Ces résultats, comme on le sait, ont fait mentir les sondages et autres prévisions médiatiques.

Dominique Thiébaut Lemaire

DE JOUR EN JOUR, quatrième recueil poétique de Dominique Thiébaut Lemaire

 

Dejouren jour.Diapositive

Illustration de la couverture : gravure de Sergio Birga

 

Le premier poème de ce recueil publié fin décembre 2015 est un sonnet sur le présent apparemment éphémère provoquant en nous des résonances et des échos persistants, dont la fréquente tristesse est quelquefois éclipsée par la joie :

L’éphémère présent les nouvelles du jour
Les grands évènements les drames qui se jouent
Les tragicomédies l’info de circonstance
Qui suscite pourtant des échos persistants

L’incident l’accident qui peut soudain surgir
Et dont le sens échappe à la théologie
Les faits les plus divers le scandale en tout genre
Les abus de la chair du pouvoir de l’argent

Cette actualité qui semble passagère
Que la haute pensée de l’absolu rejette
Fournit à ce recueil ses différents sujets

Elle nourrit le rire ainsi que la tristesse
Dont les prolongements résonnent dans nos têtes
Mais parfois l’affliction devant la joie se tait

Ce poème sert de prologue au recueil, en compagnie du sonnet ci-dessous qui se trouve en tête des Regrets de Du Bellay :

Je ne veux point fouiller au sein de la nature,
Je ne veux point chercher l’esprit de l’univers,
Je ne veux point sonder les abîmes couverts,
Ni dessiner du ciel la belle architecture.

Je ne peins mes tableaux de si riche peinture,
Et si hauts arguments ne recherche à mes vers :
Mais suivant de ce lieu les accidents divers,
Soit de bien, soit de mal, j’écris à l’aventure.

Je me plains à mes vers, si j’ai quelque regret,
Je me ris avec eux, je leur dis mon secret,
Comme étant de mon cœur les plus sûrs secrétaires.

Aussi ne veux-je tant les peigner et friser,
Et de plus braves noms ne les veux déguiser,
Que de papiers journaux, ou bien de commentaires.

Le dernier poème du recueil est un rondeau qui évoque la gravure de Sergio Birga en couverture :

A mon bureau parviennent des échos
Rumeurs du monde ainsi que bruits locaux
Graves parfois mais souvent superflus
Tandis que l’ombre à la fenêtre afflue

Sur mon écran voici que vient d’enfler
L’info du jour faite pour nous gifler
A mon bureau parviennent des échos
Rumeurs du monde ainsi que bruits locaux

Pour tempérer ces voix et ces reflets
Prenant la tête ou même inamicaux
Pour apaiser une envie de pamphlet
J’écris j’essaie de rendre musicaux
Rumeurs du monde ainsi que bruits locaux

 

Couverturet V

 

« Ecrite à l’aventure, comme le dit Du Bellay cité dans le prologue du recueil, cette chronique devient une aventure où se croisent les fils de plusieurs temps : le temps cyclique et souvent apaisant des fêtes, des solstices et des équinoxes ; le temps linéaire de l’enfant qui naît et grandit sous le regard de ceux qui l’aiment ; le temps de rupture, heureux ou malheureux, naissance, départ à la retraite, attentats terroristes, quand après n’est plus pareil qu’avant ; le temps toujours actuel des grands écrivains du passé ; le temps de l’inquiétude devant Chronos dévorateur. Telle est la trame de ce recueil qui va de jour en jour. »
Maryvonne Lemaire

PASSIONS PREMIERES, troisième recueil poétique de Dominique Thiébaut Lemaire

En couverture de ce recueil publié en juillet 2013, une gravure de Sergio Birga représente la tristesse et la joie :

Voir aussi (et écouter), en complément du présent article :
–  les articles de Libres Feuillets du 15 octobre 2012 (Mises en chansons de poèmes de Dominique Thiébaut Lemaire), et du 29 octobre 2012 (Passions premières, poèmes de Dominique Thiébaut Lemaire: vidéo de la soirée de présentation), ainsi que
–  youtube: Dominique Thiébaut Lemaire.

Passions premières (2012) évoque en 121 poèmes ce que les philosophes du XVIIe siècle ont appelé les passions primitives ou fondamentales dont toutes les autres sont composées, c’est-à-dire la joie, la tristesse et le désir, auxquelles on peut ajouter, plus explicitement, l’amour du côté de la joie, et son contraire du côté de la tristesse, mais aussi l’admiration, suivant Les Passions de l’âme de Descartes, admiration qui transparaît dans ce recueil, à l’égard de la grande et belle poésie française du Moyen-Age à nos jours.

Passions premières se subdivise en six thèmes se répondant les uns aux autres: Ecrire, France, Tristesse, Fables et adages, Femmes, Saisons, qui s’ouvrent chacun par un dessin de Sergio Birga.
Ces dessins illustrent des poèmes dont certains peuvent également se trouver dans d’autres parties du recueil.

« Ecrire »

:

 

 

 

 

 

Passions premières, 1.3:

Entends les mots prête l’oreille
Ils sont consonne ils sont voyelle
Où le poète aussi voyait
De la couleur synesthésie
Plaisir de sens et