Voyage en poésie française dans le pays andalou

 

Victor Hugo

Les Orientales « Grenade » (extraits)

L’Alhambra ! l’Alhambra ! palais que les Génies
Ont doré comme un rêve et rempli d’harmonies,
Forteresse aux créneaux festonnés et croulants,
Ou l’on entend la nuit de magiques syllabes,
Quand la lune, à travers les mille arceaux arabes,
Sème les murs de trèfles blancs !

Grenade a plus de merveilles
Que n’a de graines vermeilles
Le beau fruit de ses vallons ;
Grenade, la bien nommée,
Lorsque la guerre enflammée
Déroule ses pavillons,
Cent fois plus terrible éclate
Que la grenade écarlate
Sur le front des bataillons.

Grenade efface en tout ses rivales ; Grenade
Chante plus mollement la molle sérénade ;
Elle peint ses maisons de plus riches couleurs ;
Et l’on dit que les vents suspendent leurs haleines
Quand par un soir d’été Grenade dans ses plaines
Répand ses femmes et ses fleurs.

L’Arabie est son aïeule.
Les maures, pour elle seule,
Aventuriers hasardeux,
Joueraient l’Asie et l’Afrique,
Mais Grenade est catholique,
Grenade se raille d’eux ;
Grenade, la belle ville,
Serait une autre Séville,
S’il en pouvait être deux.

 

Les Feuilles d’automne, « Laissez. – Tous ces enfants sont bien là » (extrait)

Moi, quel que soit le monde et l’homme et l’avenir,
Soit qu’il faille oublier ou se ressouvenir,
Que Dieu m’afflige ou me console,
Je ne veux habiter la cité des vivants
Que dans une maison qu’une rumeur d’enfants
Fasse toujours vivante et folle.

De même, si jamais enfin je vous revois,
Beau pays dont la langue est faite pour ma voix,
Dont mes yeux aimaient les campagnes,
Bords où mes pas enfants suivaient Napoléon,
Fortes villes du Cid ! ô Valence, ô Léon,
Castille, Aragon, mes Espagnes !

Je ne veux traverser vos plaines, vos cités,
Franchir vos ponts d’une arche entre deux monts jetés,
Voir vos palais romains ou maures,
Votre Guadalquivir qui serpente et s’enfuit,
Que dans ces chars dorés qu’emplissent de leur bruit
Les grelots des mules sonores.

 

Théophile Gautier

España, « Perspective »

Sur le Guadalquivir, en sortant de Séville,
Quand l’oeil à l’horizon se tourne avec regret,
Les dômes, les clochers font comme une forêt:
A chaque tour de roue il surgit une aiguille.

D’abord la Giralda, dont l’angle d’or scintille,
Rose dans le ciel bleu darde son minaret ;
La cathédrale énorme à son tour apparaît
Par-dessus les maisons, qui vont à sa cheville.

De près, l’on n’aperçoit que des fragments d’arceaux :
Un pignon biscornu, l’angle d’un mur maussade
Cache la flèche ouvrée et la riche façade.

Grands hommes, obstrués et masqués par les sots,
Comme les hautes tours sur les toits de la ville,
De loin vos fronts grandis montent dans l’air tranquille !

 

Charles-Marie Leconte de Lisle (1818-1894)

Poèmes barbares, « La fille de l’émyr » (extrait)

D’un ciel attiédi le souffle léger
Dans le sycomore et dans l’oranger
Verse en se jouant ses vagues murmures ;
Et sur le velours des gazons épais
L’ombre diaphane et la molle paix
Tombent des ramures.

C’est l’heure où s’en vient la vierge Ayscha
Que le vieil Émyr, tout le jour, cacha
Sous la persienne et les fines toiles,
Montrer, seule et libre, aux jalouses nuits,
Ses yeux, charmants, purs de pleurs et d’ennuis,
Tels que deux étoiles.

Son père qui l’aime, Abd-El-Nur-Eddin,
Lui permet d’errer dans ce frais jardin,
Quand le jour qui brûle au couchant décline
Et, laissant Cordoue aux dômes d’argent,
Dore, à l’horizon, d’un reflet changeant,
La haute colline.

Allant et venant, du myrte au jasmin,
Elle se promène et songe en chemin.
Blanc, rose, à demi hors de la babouche,
Dans l’herbe et les fleurs brille son pied nu ;
Un air d’innocence, un rire ingénu
Flotte sur sa bouche.

Le long des rosiers elle marche ainsi.
La nuit est venue, et, soudain, voici
Qu’une voix sonore et tendre la nomme.
Surprise, Ayscha découvre en tremblant
Derrière elle, calme et vêtu de blanc,
Un pâle jeune homme.*

*il s’agit de Jésus

 

Louise de Vilmorin

(L’Alphabet des aveux [1954],
Paris, Gallimard, Le Promeneur, 2004, page 139. Illustrations de Jean Hugo.)

 

« Accords doux
Décors d’août
C’est tôt, beys zélés
À Cordoue.

Lâchant son silence
La chanson s’y lance :

« Cette eau baise ailée,
À Cordoue
Sept obèses et les
Accords d’août
Des corps doux. »

Et le vent
Oscille en silence
Élevant
Oh ! si lent, six lances

À Cordoue
Bais et laids,
Beys zélés, maintenant,
Baisez les mains tenant
Baies et lait
Accords doux. »

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Courts poèmes long-courriers (2011), LXXII (sonnet sur Séville)

 

J’ai rêvé que l’espace était un oranger
Quand il a commencé quand il a prolongé
Ses bras donnant pour fruits des miniatures d’astres
Encore enveloppés d’une écorce terrestre

Il portait des soleils orange un abrégé
De ciel planétarium encore tout gorgé
De si close clarté que rien ne l’enregistre
Avant qu’elle n’éclate en vive étoile illustre

A côté du transept où quatre hommes figés
Portent Colomb défunt qui ne peut plus bouger
Pour donner à ce monde un plus vaste cadastre

Au jardin près de toi j’étais dans un verger
D’astres luminescents dont le rouge ombragé
Devient lumière sphère en un immense orchestre

 

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