La fonderie de canons de Bourges en 1914-1919: carnets de guerre d’un chef de bureau (II). Par Philippe Démeron

 

DEUXIEME PARTIE

LE CLIMAT SOCIAL

Pendant la première guerre, la population de Bourges fait plus que doubler (de 45.000 à 110.000), en raison essentiellement de la concentration d’ouvriers employés dans les fabrications d’armement.
Il est fait appel très largement à une main-d’œuvre d’origine étrangère. François Lanoizelez y fait allusion au printemps 1915 (1)  : je ne puis plus rester prendre un appéritif  (sic) autour de la place Malus, il y a tellement d’étrangers, d’auxiliaires, de Belges un tas de poivrots, remplis de vermine, que ça dégoûte d’aller s’asseoir près d’eux...) et  fin 1918, à l’occasion du départ annoncé des Serbes pour leur pays d’origine  (2) : « Ils sont arrivés à l’A.B.S. le 27 mars 1916, je vois toujours Simowitch lorsqu’il a été amené à mon bureau pour y être employé comme dessinateur, comme il était triste, et impossible de comprendre le moindre mot de français, il s’y est bien mis, aujourd’hui il peut tenir une conversation, peut lire des journaux français. »
Il signale également le recours de plus en plus important à la main-d’œuvre féminine  (3) : « le Colonel Gages m’a fait appeler dans son bureau …: il veut renvoyer sur le front tous les hommes de l’active et de la réserve de l’active et les remplacer par des auxiliaires, cadres territoriaux ou bien par des hommes libérés de tout service militaire, c’est pour cela qu’il a embauché des femmes, et qu’il en embauchera encore d’autres pour lui permettre de renvoyer progressivement sans désorganiser les services tous les hommes qui peuvent être envoyés sur le front. »
Ses jugements sur les ouvrières sont fortement sexistes – pour employer un vocabulaire contemporain  (4) : « Dans une annexe de la Forge, sur mon passage, une bande de femelles [sic], une quinzaine au moins, sont assises en rond…, elles ne font pas pour un centime de travail à l’administration, raccommodent leurs chaussettes, se livrent à toutes sortes de parlotes abominables, mènent des orgies affreuses et pour ce faire, touchent néanmoins de 7 à 8 fr par jour et font une heure supplémentaire comme si le travail était abondant. »

Femmes aux établissements militaires

Son scepticisme sur la nécessité de leur recrutement, ici fondé ou non, renvoie à la stratégie déployée par les autorités pour canaliser une classe ouvrière que l’exemple de la révolution russe et le prolongement du conflit rendent de plus en plus difficilement contrôlable.
A partir de 1918, en effet, les incidents se multiplient. Le 20 janvier, il note que « ce matin a eu lieu à 9 h ½ une réunion au Grand Palais (5), organisée par la bourse du travail; il y a 3 ou 4 jours quelques défaitistes avaient fait courir le bruit en Ville qu’il devait y avoir une manifestation monstre voire même une révolution« . Le 23, lorsque son fils Charles part avec les nouvelles recrues, il observe que le détachement qui les avait emmenés au quartier était en armes, pourtant ils n’avaient pas baïonnette au canon, il faut croire que les autorités militaires n’était pas trop rassurées sur leurs sentiments. Le 1er mars, il se fait l’écho d’une rumeur plus précise : « on parle toujours qu’aux alentours de Bourges il y a beaucoup de troupes, serait-ce que l’autorité militaire redoute des troubles à Bourges ? … il y a en ce moment à l’A.B.S. principalement aux Dardanelles  (6) des gens fort peu recommandables … »
L’indiscipline et l’agitation se développent sur le lieu de travail lui-même : début février, le général Gages, directeur des Établissements, est mal reçu dans un atelier ; on fait appel à des renforts de la gendarmerie ; aux Dardanelles toujours, Fançois Lanoizelez signale le 19 mars une tentative « anarchiste » pour arrêter le travail (7) ; un officier aurait été insulté par les manifestants et un contremaître menacé : « À quand les représailles et les punitions ?« , s’indigne François Lanoizelez. Fin avril, une réunion se tient place Malus, devant la Bourse du travail (et à peu de distance de l’entrée des Établissements) ; une grève est prévue  pour le 1er Mai, alors que la C.G.T. a décrété de ne pas chaumer (8).
Le mois de mai va être particulièrement troublé : le 1er mai, manifestation agitée place Malus, nombreuses arrestations, pressions ouvrières sur les non grévistes, etc. : épisodes assez longuement décrits dans les carnets, avec toujours la même indignation face au peu de réactions de l’administration ; le 5, une réunion avec le député socialiste Longuet, pour commémorer le centenaire de Karl Marx, est interdite ; nouvelles effervescences place Malus le 16, grève « générale » du 17 au 22 ; le nombre de chômeurs est assez considérable (9).

La sortie des ouvriers de la Fonderie

François Lanoizelez connaît bien le personnel de la Fonderie, civil ou militaire ; de l’ouvrier à l’officier général, ses carnets recensent plus de cent cinquante noms, membres de son service, supérieurs hiérarchiques ou collègues qu’il côtoie journellement (10). Ses deux fils, Alphonse et Charles, ont fait ou font partie des effectifs ouvriers.
Son carnet abonde en notations sur la vie de bureau, avec les inévitables anecdotes qui l’émaillent. Ce sont des rancœurs contre les collègues, qu’il s’agisse d’avan- cements jugés injustifiés, d’opinions politiques opposées (francs-maçons, socialistes, « défaitistes »…), de tire-au-flanc ou encore des embusqués. Il a ses têtes de turc : Massonneau, Vaizières, Dollet… Cet homme d’ordre porte aussi à l’occasion un retard critique sur sa hiérarchie (ses propres services non reconnus, les rivalités entre officiers supérieurs, des décisions mal venues…) ou sur les jeunes officiers qui se croient tout permis.
Ce petit bourgeois qui a su s’élever socialement est tout naturellement sensible à l’échelle des rémunérations, d’autant plus que la guerre provoque une forte inflation. De 325 francs par mois à la veille du conflit, ce n’est qu’en janvier 1917 qu’il atteint 380 francs ; à la fin de la guerre, il perçoit 410 francs et se livre à d’amères comparaisons avec des collègues de niveau équivalent, des dessinateurs, ou avec les femmes salariées…
Le 12 janvier 1918, il remarque que le Capitaine Clémenceau a quitté la Fonderie aujourd’hui, [il] ne m’a pas fait ses adieux. Il s’agit du frère cadet du Président du Conseil (11), qui fut effectivement un temps affecté aux Établissements militaires de Bourges. L’observation est laconique ; apparemment, il le connaissait et pouvait avoir travaillé avec lui, il l’a peut-être mentionné dans les carnets perdus. Il paraît  déçu que cet officier ne l’ait pas salué avant son départ.

LE PATRIOTE, LA CHRONIQUE DU CONFLIT

François Lanoizelez suit l’évolution du conflit avec une attention passionnée. C’est bien entendu une attitude qu’il partage avec la plupart de ses contemporains, et particulièrement ceux dont la famille se trouve au front, ou qui comptent des morts, des disparus ou des blessés parmi les leurs.
Politiquement, il se situe à droite ; le « bon et vieux » Clemenceau est son idole. Il jubile lorsque celui-ci « rive son clou » à l’opposition. Il n’a pas de mots assez vifs pour qualifier ceux qu’ils considère comme des traîtres, c’est-à-dire l’ensemble de la gauche, parlementaire ou non, des radicaux-socialistes aux anarchistes, en passant par les francs-maçons et les socialistes. Ses invectives s’adressent également, en France, aux syndicats, à l’étranger, aux révolutionnaires russes (trotskystes, maximalistes).
Ces critiques concernent aussi bien les acteurs nationaux, qu’il connaît par la presse, que son environnement immédiat, et d’abord  ses collègues de travail. Les « embusqués » et les défaitistes sont tout un pour lui.
Au niveau national, il est informé comme tout un chacun des événements par les communiqués officiels, affichés quotidiennement sur les murs de la mairie, et par les journaux régionaux ou nationaux qu’il achète, régulièrement comme La Dépêche du Berry, Le Petit Journal et L’Echo de Paris, ou occasionnellement comme Excelsior ou Le Petit Parisien.
Le contenu influence, ou conforte, certainement ses jugements et le style des discours parlementaires lui procure sans doute des figures de rhétorique. Il manifeste quand même un certain scepticisme sur les comptes rendus d’opérations militaires. Peu d’originalité, cependant, dans les informations qu’il reproduit ou commente, sauf à de rares exceptions près – et encore s’agit-il de points techniques – du fait de sa situation professionnelle à la Fonderie.
Il est en revanche un témoin privilégié des incidents survenus dans le premier semestre de 1918 à proximité et dans l’enceinte de la Fonderie (manifestations, échauf- fourées, grèves,) – témoin fiable, car ses observations cadrent bien avec celles du service des renseignements généraux effectuées aux mêmes occasions.

BOURGES PENDANT LA PREMIÈRE GUERRE

La topographie de Bourges est toujours présente dans les carnets. Au début de la guerre, François Lanoizelez habite boulevard de l’Industrie  (12) et il projette pour la mi- 1915 un déménagement 54 avenue de la Gare, dans un logement appartenant à la comtesse de Bourbon, où il demeurera encore en 1919. Il n’est ainsi jamais très éloigné de son lieu de travail et s’y rend à pied. Le centre ville est peu étendu, il s’approvisionne souvent au marché couvert (place Saint-Bonnet) ou au grand marché et, distraction favorite, va souvent prendre un verre chez Déret, place Cujas, plutôt que place Malus, qu’il juge, on l’a vu, mal fréquentée. Mais ses déplacements le conduisent aussi dans les faubourgs de Bourges, où ce passionné de pêche à la ligne fait ses parties, ou plus loin, du côté de Marmagne (13).
Il note les difficultés d’approvisionnement (nourriture, charbon, tabac…), la cherté, l’inflation. Dans son nouveau logement, il dispose d’un jardin, note soigneusement ses semis, fait des comparaisons avec son voisin. Il se rend aussi à son marais (14), là non plus pas très loin du centre. Il recense ainsi de nombreux commerçants, mais aussi les professions libérales (l’architecte Chauveau, le docteur Milhiet…). Ayant perdu un fils aîné mort de scarlatine (15), lui et sa femme suivent toujours avec inquiétude les maladies du cadet. La grippe ou influenza, connue depuis sous le nom de « grippe asiatique », apparaît dans les carnets en juin 1918 ; il mentionnera plusieurs décès.
Dans cette ville bien éloignée du théâtre des opérations, la guerre est cependant connue autrement que par les journaux et les commandes d’armement. Début 1915 (16), des consignes sont données, on craint des attaques aériennes : un règlement de police… stipule qu’à partir de la nuit tombante, les fenêtres des habitants, tant sur la rue que sur les cours, devront être closes pour éviter que la lumière ne se voie du dehors en cas d’attaque de la Ville par les avions et les Zepelins. Les rues de la Ville même ne seront presque plus éclairées et en cas d’alerte, l’usine à gaz devra fermer son gros robinet. Le tocsin sonnera et le clairon sonnera au feu, sans coup de langue à la fin, les habitants devront tous fermer leur compteur.
Mais le plus visible, ce sont bien sûr les convois de blessés, qu’il mentionne dès le printemps de 1915 : énormément de blessés arrivent à Bourges. Aux uns, il faut amputer un membre, d’autres perdent la vue. Quand on se promène en Ville on ne voit que de pauvres diables qui sont invalides, estropiés, les uns marchent péniblement avec des béquilles ou avec des bâtons. Il critique l’indifférence, voire la méfiance, qui entoure les malheureux après l’armistice (17).
Les militaires se montrent bien sûr hors de la Fonderie lors de manifestations patriotiques : la journée du 75, le retour d’ex-prisonniers, l’exposition de canons français et ennemis ; l’Independence Day est particulièrement célébrée à Bourges en raison de la présence des troupes américaines – dont il déplore par ailleurs l’exubérance et les dégâts causés par les véhicules qui circulent sans grandes précautions en pleine ville. C’est bien sûr la liesse qui s’empare de la ville le jour de l’armistice, le défilé militaire du dimanche suivant, la revue place Séraucourt le 28 novembre 1918 et le service religieux à la cathédrale, les salves de canons pour la signature du traité de paix (23 juin 1919), la ville pavoisée puis le défilé du 14 juillet 1919. Toutes ces réjouissances ne font que rendre plus douloureux, pour le couple, l’absence du fils aîné.
Les voies de chemin de fer, dont l’entretien est délaissé à cause du conflit, sont à l’origine d’un grave déraillement à proximité de Vierzon, qui fait 22 morts et 64 blessés, en juillet 1917.
Enfin, les concerts de plein air, interrompus depuis près de cinq ans, reprennent en juin 1919 : occasion de se rappeler qu’il a dirigé la chorale des Établissements militaires dans les années précédant le conflit.

L’AUTEUR ET SA FAMILLE

François Lanoizelez était né en 1861 à La Machine, dans la Nièvre, où son père était mineur dans ce centre d’extraction situé non loin de Nevers. Venu travailler, on l’a vu, à la Fonderie, il a gardé des attaches familiales dans sa région d’origine, où il se rend de temps à autre. Il a hérité là-bas d’une petite maison, qu’il a mise en location.
Il a épousé à Bourges, en novembre 1888, Marie Félicité Jeanne Bonnet – appelée Lucie, dans la vie courante comme dans les carnets (18) –, fille d’un affineur (19). Celle-ci était originaire de Guérigny, dans la Nièvre, commune peu distante de La Machine, et avait de la famille à Fourchambault. Au moment du mariage, les parents de l’épouse sont domiciliés à Sully-la-Tour. Les deux jeunes mariés s’étaient ainsi probablement connus avant le départ de François pour la capitale berruyère.
Lucie avait un frère, Théophile Bonnet, confiseur à Paris, dont le nom revient souvent dans les carnets : celui-ci entretient une correspondance fréquente avec sa famille de Bourges, il accueille François, au besoin, quand celui-ci se rend à Paris aux réunions de l’Union des familles de disparus, ou héberge son fils Charles.
Le couple a quatre fils : Raymond (1889-1897), Alphonse, né en 1890, Charles, né en 1893 et Lucien Raymond, dit Raymond, né en 1904 (20).
Bien qu’il ne soit pas pratiquant – il assiste occasionnellement (et sans son épouse) à des cérémonies religieuses, plus par convenance sociale que par conviction – ses opinions le rapprochent des Catholiques. Ayant été à l’école sous le Second Empire, il a pu recevoir une éducation religieuse. Son christianisme constitue à la fois une attitude sociale et sentimentale : il évoque ainsi à l’occasion  (21) ses souvenirs des Rameaux chez sa grand-mère, dans sa province d’origine.
Ce point est sensible en ce qui concerne l’éducation de son cadet, qui fréquente l’école de La Salle, dirigée par les frères des écoles chrétiennes et dont les élèves sont tenus à l’écart des célébrations patriotiques ; il n’hésitera pas, cependant, à aller trouver un enseignant de cette école, pour lui reprocher une attitude brutale envers son fils.

LE TÉMOIN ET SON RÉCIT

Il semble évident que le début des carnets se situe bien au 1er janvier 1915, date ronde propice à la décision de tenir un journal, et que la fin est bien le 27 octobre 1919 : alors qu’il écrit pendant toute la guerre et le début de l’après-guerre presque journellement, les dates s’espacent progressivement (22), et de manière plus marquée à partir du mois de février 1919, ce dont l’auteur est conscient : je perds l’habitude de tenir au jour le jour mon carnet de guerre et de mentionner les faits intéressants (23).
L’angoisse pour le fils disparu semble aussi, à l’évidence, avoir été le motif essentiel ; j’ai commencé mon année avec la tristesse au cœur, telle est l’une des premières lignes des carnets, et le titre qu’il leur donne participe de sa volonté d’être, lui aussi, à sa manière, un combattant.
Il ne se relit apparemment jamais (sauf pour se remémorer certains détails pratiques) et ne se corrige pas davantage (les ratures ou surcharges sont à peu près inexistantes).
Ce récit fait au fil de la plume est sans prétentions littéraires, le recours à des expressions familières ou locales du langage parlé y est fréquent (24) ; le style en est le plus souvent clair et direct mais, lorsqu’il s’éloigne de la narration factuelle, il a tendance à devenir ampoulé, sans doute sous l’influence de la presse. Il aime à raconter comment il a « rivé leur clou » aux contradicteurs (25). Son ton peut devenir agressif, hargneux, lorsqu’il s’emporte contre les collègues « embusqués » ou «défaitistes » ou, naturellement, lorsqu’il invective l’ennemi. Ce dernier est bien entendu principalement l’Allemand, qu’il désigne comme alors tout un chacun sous les termes de Boches, Bocherie, Bochie, Alleboches (26)…, mais aussi les alliés de l’Allemagne – officiels ou objectifs – ou les ennemis de l’intérieur.
Il est certes regrettable que les carnets intermédiaires aient été perdus. Mais les deux grandes parties conservées (premier semestre 1915 et août 1917 à octobre 1919) forment par le ton, le style, et bien sûr les sujets de préoccupation du rédacteur, un ensemble cohérent et non de simples fragments. Suivant un schéma récurrent, le récit alterne presque quotidiennement les interrogations sur le disparu, les inquiétudes pour le deuxième fils au front, la vie familiale et la vie de bureau, les échos de la vie sociale et du suivi du conflit – avec ses points forts, comme l’agitation ouvrière du  printemps 1918 et les derniers jours de guerre, la liesse populaire à l’annonce de l’armistice –, les événements quotidiens – promenades, conversations au café ou ailleurs, déambulations en ville, parties de campagne… –. Il est constamment sous-tendu par la référence à Alphonse, parfois teintée d’émotion, comme lors de ce défilé commémorant la signature de la paix  (27):  « par la fenêtre et les volets entr’ouverts j’ai regarder passer nos belles troupes qui revenaient de la guerre, après avoir jeté avec des larmes aux yeux de longs regards sur le portrait de mon pauvre Alphonse, parti, lui, le 1er août 1914, pour ne plus revenir« . Les allusions à la fiancée « infidèle », Camille, viennent en contrepoint des évocations du disparu et de l’évolution de la situation politique : la normalisation qui suit le retour à la paix et la fin des conférences internationales coïncide avec l’annonce du remariage.
Ainsi se dessine le portrait d’un individu au parcours social certes modeste, mais dont il peut se sentir fier, et qui l’a mis en contact avec des acteurs importants de la vie militaire.
C’est aussi un individu sensible, qui se remémore à l’occasion les événements marquants de sa vie – son arrivée à Bourges, son enfance nivernaise… –, vit une souffrance partagée avec son épouse, épanche son amertume au sujet de son troisième fils, qu’il juge ingrat (mais qui probablement porte le poids d’une comparaison avec deux aînés disparus et idéalisés), manifeste sa sollicitude pour son fils cadet malade ou incompris de ses maîtres.
Avec cela un caractère sans doute assez vif, plutôt râleur, aisément irrité, qui sait à l’occasion manier un humour bonhomme (28) ou l’ironie, lorsque la comtesse de Bourbon, dont il va devenir le locataire, tient à marquer la distance sociale en lui faisant faire longuement antichambre (28). Il possède une culture musicale : cet ancien directeur de la chorale des Établissements militaires se souvient et est fier d’avoir chanté un chant patriotique au printemps 1914  (34) ; ses fils Alphonse et Charles ont joué ou jouent d’un instrument.
C’est, bien entendu, l’intégralité du document qui a été restituée par la transcription. Le témoignage du déchirement profond de ce jusqu’au-boutiste vient ainsi s’ajouter à de nombreux autres (31), qu’il complète. Malgré l’éloignement du front, l’horreur de la guerre accompagne l’auteur des carnets, en sa double position de victime et d’acteur/auteur du drame.

Bourges – L’avenue de la Gare –

Vers la fin de son journal, François Lanoizelez évoque sa rencontre avec un de ses anciens supérieurs, le colonel Tournier (32) : « je lui ai dit que nous allions fabriquer des canons de 220, des canons comme rechanges – c’est mon dernier enfant m’a t’il dit, un canon reculant dans un manchon moulé sur un petit affût… »

Les inventeurs du canon de 75

ILLUSTRATIONS DU TEXTE

– femmes aux Etablissements militaires (photo site des Archives du Cher, 2013)
– la sortie des ouvriers de la Fonderie (carte postale, vers 1910)
– l’avenue de la Gare (carte postale, vers 1910)
– le canon de 75, couverture d’Excelsior du 7 février 1915

BIBLIOGRAPHIE & REFERENCES

– Miquel P., La Grande Guerre, Fayard 1983

carnets et mémoires

– Borzeix Daniel : Un Berrichon dans la grande guerre, éd. Les Monédières, Le Loubanel 19260 Treignac 1992 (tél. 55 98 02 54), 99 F (vu chez Cathineau)
– Cru Jean-Norton, Témoins, 1929, rééd. 1993 PU de Nancy et Sec. d’Etat chargé des AC et Victimes de guerre / Serge Barcellini, mission permanente aux commémorations et info. hist. auprès du SE etc. (Th. André)
– Paré Nadine et Milliard Jean-Bernard, Le Cher soldat, illustré par les cartes postales (1900-1920), Promo-Cher 1990 (ill. mitrailleurs, 75, artillerie, hôpital militaire…), et lettres de Lucien André ;  Association pour la protection du patrimoine des Etablissements de Fabrication et d’Armement de Bourges
Journal du docteur Antoni Rodiet (1871-1940), in Berry-Magazine, Dun-sur-Auron pendant la grande guerre, 6e et dernier article en février 1994 (n°9)
– Soulcié Jean, Le lieutenant Maurice Tetenoir (1889-1915), d’après sa correspondance et son journal de guerre, 153p., 1997
– journal de Jules Valentin
– colloque de Carcassonne de 1996

Bourges pendant la première guerre, Établissements militaires

–  Lorieux, Clarisse, La mémoire industrielle de Bourges 1789-1850, Alan Sutton 2005
– Babouin Jean-François, Bourgeois Michel, Lebreton Claude, Longuet Edmond, Histoire économique du Cher 1790-1990, Centre de recherches et d’études régionales 1991
– Maillet Claude, Note sur les Établissements militaires de Bourges, in Cahiers d’archéologie et d’histoire du Berry n°112, déc. 1992, pp. 39-71 (AD Cher Per 602)
– Narboux Roland, L’Encyclopédie de Bourges, l’EFAB, devenue GIAT-Industrie, site internet encyclopédie.bourges/ efab-giat.htm, consulté en 2006
– Pennetier Claude, Le socialisme dans le Cher

Presse

Excelsior 31 janvier, 7 février et 11 avril 1915
Journal de la Nièvre, 16 décembre 1917
Le Petit Journal 2 décembre 1917 et 25 mars 1918
– L’Illustration 6 février 1915, extrait p. 137, Histoire du 75, Sauveroche, AD Cher Br 4°368

archives nationales

– F7 13358, ministère de l’intérieur, lettre C, Cher et Bourges, 1er semestre 1918

NOTES

Les trois carnets de F. Lanoizelez, retrouvés dans une décharge à proximité de l’usine de Mazières dans les années 1970, m’ont été communiqués par des personnes de ma famille qui les avaient découverts fortuitement. J’ai procédé à leur transcription en 1997-98.
Cette transcription sera publiée prochainement sur site internet, accompagnée d’un index et de la reproduction de divers documents (photographies…) qui accompagnaient les carnets. Elle a été communiquée en 2013 à l’Historial de Péronne et à plusieurs chercheurs.
Un film est en cours de réalisation (la note d’intention a repris largement, avec mon accord, les éléments de ma présentation)

[1] 1er carnet, 9 mai 1915.
[2] 3e carnet, 24 décembre 1918.
[3] 1er carnet, 22 avril 1915.
[4] 2e carnet, 21 février 1918 ; même genre d’observations, même ton le 26.
[5]  Salle de spectacle ou cinéma située rue Pellevoysin, près de la place Planchat
[6]  Nom donné à l’un des secteurs de la fonderie.
[7] Deux syndicats se partagent à 40% / 60% 7500 adhérents métallurgistes ; le premier est soutenu par la direction, mais les deux reconnaissent la compétence du directeur, le général Gage ; des propagandistes pacifistes contribuent à entretenir le « mauvais esprit » : pas de surproduction, plus de guerre (note des RG du 22 mars 1918 in AN F7 13358).
[8]  2e carnet, 28 avril 1918.
[9] Voir le rapport de police pour le 16 mai 1918 (A.N. F7 13358, ministère de l’intérieur, lettre C, Cher et Bourges, 1er semestre 1918).
[10] Voir index.
[11] Paul Émile Benjamin Clemenceau (1857-1946), lieutenant d’artillerie territoriale, affecté ensuite au Creusot (A.N. F7 13358) ; il avait été, dans la vie civile, avocat à la cour d’appel de Paris.
[12] Renseignements fournis par l’état-civil : en 1888 il habite 2 rue de Nevers, en 1890 115 avenue de Nevers, en 1893 108 Petite Rue Charlet, en 1897 38 boulevard de la Liberté et à partir de 1904 boulevard de l’Industrie (numéro non connu) ; lors de son décès, en 1944, il habite 54 avenue Jean-Jaurès, nouvelle appellation de cette partie de l’avenue de la Gare.
[13] 2e carnet, 23 septembre 1917, près du moulin de Berry.
[14]  Petite pièce de terre irriguée située dans les « marais » de Bourges, généralement louée, où l’on cultivait potager et jardins.
[15]  Le premier Raymond, décédé en 1897, cf. ci-dessus.
[16]  1er carnet, 16 février 1915.
[17] 3e carnet, 28 novembre 1918
[18] On sait que les prénoms d’appel étaient autrefois souvent différents de ceux de l’état-civil.
[19]  Dans ce contexte, ouvrier travaillant à l’affinage du métal.
[20] Les deux frères cadets sont décédés sans postérité respectivement en 1981 et 1987.[21]  2e carnet, 28 mars 1918.
[22] Une entrée pour 2 jours en moyenne pour l’ensemble des carnets, dont une entrée  pour 1,4 jour calendaire pour le premier carnet, pour 1,9 jour pour le deuxième et pour 2,5 jour pour le troisième.
[23] 3e carnet, 1er avril 1919.
[24] Voir ci-dessous les expressions familières répertoriées.
[25] 3e carnet, 15 octobre 1918.
[26] Sous ses différentes formes, le terme revient dans un jour d’entrée sur quatre des carnets ; autres expressions dérivées, et inventives : Austro-Boches, Austro-boches russo-maximalistes, Austro-Boches-Russo-boche-wick
[27) 3e carnet, 28 juin 1919.
[28] 1er carnet, 8 mars 1915 : C’est peut être encore un inventeur comme on en voit tant
depuis quelques temps ils ont tous inventé des appareils plus ou moins fantastique les uns que les autres,  des inventions bonnes à mettre au panier… enfin on ne veut pas avoir l’air de décourager tout-à-fait ces inventeurs que le bon Dieu a fait de trop.
[29] 1er carnet, 4 mai 1915.
[30] 3e carnet, 27 novembre 1918.
[31] Dans la région, celui du docteur Antoni Rodiet, médecin de Dun-sur-Auron, ou celui du lieutenant Maurice Tetenoir.
[32] 3e carnet, 31 juillet 1919.

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