La poésie d’Osama Khalil dans « Figures de l’étreinte romantique ».

Textes et images, le recueil intitulé Figures de l’étreinte romantique, qualifié par Osama Khalil de « Textament » (texte-amant plutôt que testament ?),  nous donne de bons et beaux exemples de cette poésie.

Celle-ci est d’abord langage, en arabe et en français. A son premier niveau, elle est jeu de mots. L’un des sous-titres du recueil s’intitule « Du coq au loup », ce qui fait penser au goût de l’auteur pour les coq-à-l’âne et les calembours, un goût qui, dans la vie courante, l’incite à répondre par plaisanterie « à trois mains » quand on le quitte en lui disant « à demain ». C’est de la même manière qu’il écrit en deux mots « main-tenant», y faisant apparaître l’image de la main tendue et tenue comme un lien entre les êtres humains. En arabe, l’un des principaux jeux de mots, déjà présent dans un précédent recueil, Mes lettres à Elle, porte sur « El », c’est-à-dire Dieu, ce qui nous évoque simultanément l’amour de la femme.

Cette poésie qui s’affirme en premier lieu comme langage est aussi conscience de l’origine. Né en Egypte, Osama Khalil se souvient, comme dans une réminiscence, du glorieux et profond passé de son pays, où domine à ses yeux la figure d’Isis, retrouvée chez les auteurs et artistes des pays de langue allemande au temps du romantisme. Les liens entre ces pays et le culte de la déesse sont mis en évidence. Mozart et les écrivains de la même époque se réfèrent à elle, et Kant lui-même cite cette inscription du temple d’Isis : « Aucun mortel n’a levé mon voile. » D’où l’importance du voile et de ses plis dans les images féminines accompagnant le texte d’Osama Khalil. Ajoutons que, dans un passé plus lointain que le romantisme, une partie des Germains offrait des sacrifices à Isis, d’après l’historien latin Tacite (La Germanie, IX).

Cette poésie est sans doute avant tout célébration de l’amour incarné par la déesse. L’étreinte y apparaît dans son sens physique mais aussi sous une forme spirituelle. Du point de vue philosophique, la principale question posée est celle de l’union, de l’étreinte, entre la matière et l’esprit. Osama Khalil emploie l’expression de « tiers inclus» pour récuser le principe du tiers exclu qui conduit au dualisme séparant l’âme et le corps. Il situe le «tiers inclus » dans un monde quasiment mystique où l’âme et le corps ne sont plus dissociables. On y sent l’espoir, incertain mais merveilleux, que l’amour pourra vaincre la mort.

Dominique Thiébaut Lemaire

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J’ai aimé la préface de Gianfranco Stroppini de Focara et je partage ce qu’elle dit sur «les énigmatiques accents de paraboles…. », « la fleur bleue d’un imaginaire romantique…»

Ce qui m’a plu, c’est le jeu des quatre « collages », de quatre figures de l’étreinte, présentant des points de vue différents sur une même quête, la recherche du Un dans le multiple ou dans la dualité :
– D’un coup de fil amoureux à l’odyssée dans le romantisme allemand de l’étreinte,
– Ce que représente la voyelle « a » brodée par la voix d’Om Kalthoum par rapport à la racine consonantique du verbe aimer arabe WSL,
– le scribe, le potier du verbe, entre petit homme et Grand Anthropos, tentant de reconstruire la Tour de Babel effondrée.
– Enfin un tissage entre des poèmes inspirés par l’antiquité, biblique ou égyptienne, et des poèmes d’un lyrisme plus personnel.
Le syncrétisme de l’espace et du temps imaginaires (passant du voile d’Isis à l’Immaculée Conception du culte de Marie, du romantisme allemand aux avancées scientifiques sur le tiers inclus) pourrait donner le vertige si nous n’étions pas embarqués dans la barque du scribe, partageant ses belles images (les graines d’amour apportées de loin par les oiseaux), ses néologismes (l’hybrisse et le pathématique), son humour et ses calembours : le Vesoul de Jacques Brel comparé à Ninive, le coup de dé / le coup d’idée.
Le « multiple » du texte en prose, du poème, du tableau, de la photo, de la couleur, du noir et blanc, de la graphie arabe et française résonne avec le textament lui-même.

Maryvonne Lemaire

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