Le Douanier Rousseau, l’innocence archaïque. Par Annie Birga

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Il ne s’agit pas de la énième exposition du Douanier Rousseau, mais d’une collaboration entre historiens d’art italiens et français – l’exposition a été montrée en premier lieu au Palazzo Ducale de Venise – qui, en lui donnant ce sous-titre d’ « innocence archaïque », énoncent clairement leur point de vue. Ils ont, au surplus, choisi de montrer des tableaux antérieurs ou postérieurs à ceux de Rousseau ou contemporains, de façon à mieux cerner ses origines, ses cousinages et surtout l’influence qu’il a exercée sur de nombreux peintres du XXème siècle.

Dans le tableau intitulé « Moi-même. Portrait-paysage » (1889-1890), Rousseau se représente avec le béret et l’habit noir du rapin, tenant fièrement un pinceau et une palette. Petit employé à l’Octroi de Paris, il n’a commencé à peindre que dans les années 1883-84 (il a alors 40 ans). Il est autodidacte, mais avide des conseils de ses aînés et surtout il copie les anciens dans les musées. Chaque année il expose quelques tableaux au Salon des Indépendants, animé par des peintres non académiques, Signac, Pissarro, Odilon Redon. Il est mal accueilli par la critique, à de rares exceptions près, et moqué souvent par le public. Mais il ne se décourage pas et continue dans sa voie et revendique sa manière « acquise par un travail opiniâtre ». Son admiration se porte avant tout sur les peintres académiques, Gérôme, Bouguereau, pour leur métier, mais ceux-ci l’encouragent à ne pas se départir de sa « naïveté »

Jusqu’à sa disparition, en 1910 – sa production ne s ‘étend que sur un quart de siècle – il va mener une existence de pauvre retraité, souvent endetté, vivant dans des ateliers minuscules. Cependant son entrée au Salon d’Automne  en 1906 marque un tournant ; il est de plus en plus reconnu. Par Apollinaire et Picasso. Par Wilhem Uhde qui l’expose en 1910 et lui consacre une monographie : « J’ai été frappé par la force d’expression de ce grand poète ». Par Robert Delaunay, l’ami fidèle, qui lui commande « La Charmeuse de Serpents » pour sa mère. Par Kandinsky qui lui a acheté un tableau lors de son séjour à Paris avec Gabriele Münter et qui lui voue une grande admiration ; plus tard, lors de la création du mouvement du Blaue Reiter, le Cavalier bleu, qui souhaite un renouvellement de l’art par un retour à ses origines, il inclut dans l’exposition sept toiles de Rousseau. Le critique et peintre Ardengo Soffici, dans sa revue  « La Voce », fait connaître Rousseau en Italie où il sera revendiqué par des mouvements opposés entre eux, le Futurisme et le retour à l’ordre avec les « Valori Plastici ». Des toiles de Rousseau sont montrées en Russie et un peintre américain, Max Weber, lui obtient une exposition posthume  chez Alfred Stieglitz en 1910.

Dans une mise en scène, où prédominent des couleurs chères à Rousseau, le vert et le rouge, l’exposition se déroule, sans lourdeur didactique, et parfois surprenante par les tableaux convoqués en écho à ceux de Rousseau, mais le Douanier est bien là.

Des « portraits-paysages » :  le « Moi-même », le « Portrait de Monsieur X », Pierre Loti, inoubliable avec son fez, son chat, sa cigarette, «  La Muse inspirant le Poète », tableau de commande d’ Apollinaire, portraituré en compagnie de Marie Laurencin  qui n’a rien de la Nymphe d’Auteuil, son surnom habituel.  Puis des portraits de femmes, stylisés, frontaux et forts, dont celui acheté cinq francs chez un brocanteur par Picasso.  Les nus, on les trouvera dans les jungles, paradis terrestres avec Eve, et la femme  bien réelle, lointaine réplique d’Olympia au canapé, du « Rêve ». Des images de groupe, parfois contrastantes, comme « Les Artilleurs » qui semblent une photographie posée, et « Les Footballeurs », en maillot rayé, dansant dans un paysage automnal, deux tableaux superbes, appartenant au Musée Guggenheim. « La Noce », comme « La carriole du père Junier », immortalisent dans un style primitif des gens du peuple, amis du Douanier qu’on appelait parfois le peintre de Plaisance. La carriole inspirera Carlo Carrà qui en tire une image sèche et dure intitulée « Le fiacre ». Rousseau participait, en vain,  aux concours de décoration de mairies. On a un exemple de tableau officiel, mais typiquement rousseauiste, « Les représentants des puissances étrangères venant saluer la République en signe de paix ». Ses portraits d’enfants sont frappants, énigmatiques au visage fixe, sur un fond de prairies fleuries, « L’enfant à la poupée », et la toile saisissante « Pour fêter Bébé », où l’énorme  bambin tient une marionnette moustachue. Les enfants de Maurice Denis et ceux d’Otto Runge sont bien sages en comparaison, mais aussi bien peints.

Une section est consacrée aux peintures de paysages plutôt urbains, le Douanier stationnant le long des quais de la Seine ou atteignant des périphéries ou banlieues.  Les ciels et les verdures sont travaillés, les formes sont synthétiques, et l’ensemble donne une impression de temps suspendu, qu’on trouve aussi chez Seurat.

 En 1893-94 Rousseau compose une allégorie saisissante et belle, « La Guerre », qu’il commente ainsi : «  Elle passe, effrayante, laissant partout le désespoir, les pleurs et les ruines ».

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Dans les dernières années de peinture, la thématique est moins diversifiée, mais elle s’enrichit par des variations sur thème.  Les tableaux prennent de plus grands formats. Ils évoquent des épisodes de la vie sauvage, des combats d’animaux – Rousseau a bien regardé Delacroix – dans un décor de plantes et d’arbres exotiques et de fleurs parfois gigantales. Il utilise des photographies puisées dans des revues et il visite les serres : « il me semble que j’entre dans un rêve ». Il transmet cette atmosphère onirique par la magie de sa peinture à laquelle les Surréalistes, dont André Breton, dont Max Ernst, seront particulièrement sensibles. Le Musée de l’Orangerie conserve la sublime « Charmeuse de serpents», mais la majorité de ces tableaux appartiennent à de grands musées étrangers. L’exposition montre l’un des plus beaux, « Le Rêve » (MoMA) de 1910, le dernier tableau peint par Rousseau, et le terme de « réalisme magique » employé par un critique allemand Franz Roh en 1925, « magischer Realismus », lui correspond parfaitement.

Annie Birga

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