L’Ukraine manque de chef et d’obus

 

Elle n’a pas reçu la quantité d’obus
Que lui avaient promis des alliés ambigus
Après avoir compté sur un vaste arsenal
Offert par les surplus du monde occidental
L’Ukraine ne sait pas quel solde lui revient
Peut-être que pour elle il ne restera rien

Nommé ambassadeur en résidence à Londres
Son général en chef risque de  s’y morfondre
Le président l ‘ayant écarté de l’armée
Et le pays bientôt a lieu de s’alarmer

Si pour dynamiser les soldats des tranchées
Il n’y a plus de chef qui les fasse échapper
A la guerre changée en terrible hachoir
Quand les corps ne sont plus que viande sans victoire

Des mois se sont passés

Des mois se sont passés sans réelle offensive
en donnant l’illusion des actions décisives

Les deux côtés ont pris pour des réalités
Ce qui était surtout des virtualités
La victoire exigeait de plus en plus d’efforts
Dans une volonté tendue comme un ressort
Pour que l’Ukraine obtienne enfin la panoplie
Des armes dont dispose une armée dernier cri

Il faudrait dans ce but donner à Kiev des chars
Et des avions coûtant des millions de dollars
Sachant que par ailleurs il suffirait d’un rien
(Une mine par terre ou un drone aérien)
Pour détruire un engin valant bien davantage
Pour le déchiqueter et le mettre hors d’usage

Chaque camp s’obstinant sur la ligne de front
A poussé vainement des cris de bûcheron
Pour garder vers l’avant sa part de territoire
Ne pouvant faire mieux qu’un progrès dérisoire
Sur un front qui se fige en petites actions
Dont chacune s’annule en contre-réactions
Sans pouvoir obtenir comme un effet de brèche
Ou de percée faisant comme un effet de flèche

Si vu de près le  front paraît être mouvant
Comme un trait de crayon qu’on gomme à tout moment
Les positions de loin paraissent plus durables
Pour peu qu’on étudie les cartes sur la table
Et qu’on juge en fonction de la longue durée
Mais prédire la fin serait prématuré

Billet : Le Dniepr va-t-il devenir une frontière ?

25.11.2022

Dans les espaces de l’est de l’Europe, il n’existe guère de frontières dites « naturelles », sinon celles que dessinent les cours des fleuves, notamment le cours inférieur du Dniepr, fleuve principal de l’ancien Etat cosaque, aujourd’hui jalonné de lacs créés artificiellement dans les vallées par des barrages servant à l’irrigation et au fonctionnement de centrales électriques (telles que la grande centrale de Zaporijjia avec ses cinq réacteurs atomiques). Le Dniepr traverse le territoire de l’Ukraine depuis la frontière de la Biélorussie à partir du nord de Kiev jusqu’à l’embouchure du fleuve qui se jette dans la mer Noire – le Pont-Euxin de l’antiquité – après avoir traversé au sud la plaine semi-aride de la steppe dite pontique. L’Ukraine est un pays composite qui rassemble des morceaux de plusieurs empires, russe, austro-hongrois, byzantin, ottoman. A présent les Russes et les Ukrainiens se combattent, mais ce serait probablement une erreur de croire, d’après ce qu’ils disent, que les seconds ont une fibre patriotique plus forte que les premiers.

Pendant les mois d’hiver durcis de gel tenace
On passait aisément le fleuve sur la glace
Et pour franchir le Dniepr on se passait de ponts
Qui n’auraient pas tenu lorsque la glace fond
Lorsqu’elle se disloque en devenant débâcle
Et qu’elle jette au flot tout ce qui fait obstacle
Aujourd’hui c’est un fleuve au cours domestiqué
Sans rapides rocheux ni tronçons étriqués
Et dans beaucoup d’endroits coupés par des barrages
Les lacs ainsi formés lissent le paysage
Sous une submersion de très vaste étendue
Où l’ancien lit du Dniepr a disparu perdu
L’armée russe a jugé que pour garder sa troupe
Il fallait qu’à l’abri sur la rive on la groupe
Et que l’on interpose entre elle et l’ennemi
La largeur d’un cours d’eau imposant l’accalmie
A toute tentation de forcer le passage
D’intensifier l’assaut d’aller à l’abordage
Pour expliquer l’ardeur des soldats ukrainiens
Qui marcheraient sur l’eau s’il en était besoin
On les dit prêts à tout pour conserver leur terre
Mais je pense d’abord qu’ils sentent qu’à l’arrière
Ils sont très soutenus par les Etats-Unis
Offreurs de liberté contre la tyrannie
Il faudrait cependant que l’Ukraine remarque
Le danger d’un retour aux gangs des oligarques
Quand cessera le temps de la guerre en furie
Et lorsque faiblira l’idée de la patrie
Vivifiée pour l’instant par la lutte commune
Qui unit le pays en butte à l’infortune

De son côté le Russe aime autant sa nation
D’un amour plus ancien qui n’est pas sans passion

Billet : Disparition de la Prusse orientale en 1945

La disparition de la Prusse orientale
11.07.2022

 

On rapporte que la vie de Kant, qui s’est déroulée toute entière de 1724 à 1804 à Königsberg, ville allemande (aujourd’hui Kaliningrad, ville russe), capitale de la Prusse orientale, était une routine de conférences, d’obligations académiques et de séances d’écriture si régulières que ses voisins réglaient leur montre sur sa promenade quotidienne. Outre ses œuvres philosophiques les plus connues, Kant a notamment écrit un bref essai publié en 1784, intitulé « Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique », suivi en 1795 d’un autre essai titré « Vers la paix universelle » (en allemand : « Zum ewiger Frieden »), où il a considéré que les États républicains (de forme démocratique) ne font pas la guerre entre eux. Il y a formulé les conditions qu’il jugeait fondamentales pour une paix perpétuelle par opposition à une cessation provisoire des hostilités, seule paix possible tant que « l’état de nature » continue à régner entre les États. Bien sûr, Kant n’a pas connu de son vivant la paix perpétuelle, ni personne d’autre. Königsberg a même subi de 1939 à 1945 les ravages de la seconde guerre mondiale, déclenchée par l’Allemagne hitlérienne, ravages qui ont arraché brutalement ce territoire à l’espace germanique, et dont les contrecoups se font toujours sentir aujourd’hui. Tout nom allemand y a été effacé, et la ville a reçu le nom de Kaliningrad, ainsi désignée d’après Mikhaïl Ivanovitch Kalinine, président du Praesidium du soviet suprême, mort à Moscou en 1946.

Les vainqueurs de la guerre ont découpé la Prusse
Dantzig à la Pologne et Königsberg aux Russes
L’Allemagne y a perdu des siècles de poussée
Contre les mondes balte et slave un long passé
Où se sont illustrés son ordre monastique
Et sa chevalerie de l’ordre teutonique
Par le fer de l’épée plutôt que par la foi
Par le glaive agressif plutôt que par la croix
Depuis la fin d’Hitler il subsiste une enclave
D’où l’Allemand chassé a laissé place au Slave
Lequel s’est installé dans ces lieux dévastés
Dans la ville teutonne où seul a subsisté
Contre la cathédrale un temple au philosophe
Qui n’avait pas prévu semblable catastrophe
Rêvant qu’après sa mort optimiste défunt
Pourrait durer la paix n’ayant jamais de fin

La ville où Kant jadis faisait sa promenade
Aurait pu recevoir le nom de Kantograd
Une fois relevée des ruines des combats
Une fois nettoyée des restes mis à bas
Mais rien finalement dans l’ancien territoire
Aucun long souvenir aucun nom de mémoire
N’ont dépassé mille ans et toute appellation
Evoquant le passé d’ancienne occupation
A été remplacée dans la cité détruite
Où Kant avait vécu – russifiée reconstruite –

Königsberg après guerre aurait bien mérité
Un nom rappelant mieux tout ce qu’elle a été
Autre que Kalinine après la fin bestiale
Qui n’a guère apaisé la discorde mondiale

Billet : La fin inattendue du croiseur « Moskva »

21.05.2022

Dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine, qualifiée par le premier belligérant d’ « opération spéciale », le croiseur russe lance-missiles « Moskva » de 186 m de long qui semblait détenir la maîtrise de la mer Noire a été coulé, semble-il, par une attaque ukrainienne le 14 avril 2022. Ce qui pourrait apparaître comme un combat entre le grand Goliath russe et le petit David ulkrainien est probablement en réalité un affrontement entre les deux principales puissances militaires, la Russie et les Etats-Unis, ces derniers fournissant tout ce qui est nécessaire, armement et informations, pour permettre à l’Ukraine de résister. Les Etats-Unis toutefois ne veulent pas l’avouer franchement, craignant d’apparaître comme co-belligérants entrés en guerre.

Le croiseur amiral qui suscitait la haine
Commandait le blocus des côtes de l’Ukraine
Il décrivait des ronds au large d’Odessa
Evitait les canons en restant au-delà
Des plus longues portées du moins se croyait-il
En état d’esquiver les pires des missiles
Mais deux impacts fatals l’ont soudain transpercé
Ces frappes sans appel l’ont d’un coup traversé
L’équipage a pensé que ses causes d’alarme
Venaient d’un feu interne et consumant ses armes
Alors qu’il s’agissait d’une attaque de loin
Qui l’a laissé surpris comme un bref coup de poing

Nul n’a rien détecté peut-être était-ce un drone
Volant en altitude et parcourant la zone
Prèt à faire exploser d’en haut ses munitions
– Un tueur scarabée de science-fiction –
Mais il semble plutôt que seules des torpilles
Ont pu faire subir des percements de vrilles
A un blindage épais cela donne à penser
Que des drones légers ont permis de lancer
En dirigeant le tir de plus forts projectiles
Contre des protections devenues inutiles
Grâce aux renseignements certainement précis
Fournis en temps réel par la suprématie
Anglo-américaine experte en espionnage
En faux renseignements ou même en bidonnages

Tous les commentateurs qu’on voit à la télé
Prennent trop au sérieux ces infos distillées
Qui proviendraient dit-on de mouchards satellites
Autour de notre globe éployant leurs orbites
Mais je me souviens bien qu’au sujet de l’Irak
Trois décennies plus tôt les mêmes de leurs sacs
Américains Anglais sortaient des faussetés
Proférées sans vergogne avec autorité

 

Billet : Bref séjour à Kiev il y a trente ans

29.03.2022

 

Je suis allé en Ukraine vers 1990 et j’en ai rapporté un sonnet qui figure dans mon recueil Aérogrammes, résumant mes impressions assez tristes de ce moment-là, qui ne sont pas plus joyeuses aujourd’hui, à cause de la guerre entre Moscou et Kiev. Il n’y a rien de pire que les antagonismes opposant des frères (ou supposés tels) qui en viennent à se déchirer et à se détester. Il n’y a rien de pire que l’autodestruction à laquelle aboutit ce type de conflits.  C’est probablement ce à quoi on a commencé à assister au début de 2022 en voyant la Russie détruire systématiquement l’Ukraine qui risque d’échappe à son emprise. Staline avait déjà fait montre dans les années 1930 d’une brutalité semblable en affamant les paysans ou « koulaks », notamment ukrainiens, qu’il voulait collectiviser. L’occident (Europe de l’ouest et Amérique du nord) a pris d’emblée le parti de l’Ukraine plus occidentalisée, parce que les services secrets américains y ont vu l’occasion d’abattre définitivement ce qui restait de leur ennemi centenaire, l’URSS, dont Vladimir Poutine est resté pour eux l’incarnation, après un siècle de lutte. L’occident européen croit maintenant pouvoir réduire Poutine à sa merci en cessant de lui acheter son gaz, mais de l’avis de beaucoup il risque surtout de se nuire à lui-même en essayant de renoncer à un bien qui lui est indispensable.

J’ai gardé de l’Ukraine une idée d’hiver triste
Lorsque je suis allé quelque peu masochiste
Passer trois jours à Kiev une brève mission
Que dire à ce sujet ma mémoire est de plomb
Je n’en ai retenu qu’à peine quelques bribes
Dont je n’ai pas été ni le scrupuleux scribe
Ni l’auteur inspiré pouvant transfigurer
Ce pays pourquoi donc m’y suis-je aventuré
J’ai vu dans la banlieue qui déroule sa plaine
Des barres d’habitat des lourdeurs suburbaines
Un fleuve qui est né d’anciennes glaciations
Imposant son long cours ses larges dimensions
Sur cette terre noire au sol riche en humus
Auquel aucun relief ne sert de terminus

Jusqu’ici je croyais que le peuple ukrainien
Était frère du russe un peuple mitoyen
Mais depuis que Poutine en tant que nouveau tsar
A lancé dans l’assaut ses avions et ses chars
L’Occident face à lui ne sait où se tourner
Pour percer le secret des volontés cachées
Dans les explications des vieux kremlinologues
Dans les troubles décrits par les criminologues

Chacun à l’est à l’ouest est prêt à s’estropier
En se tirant vengeur des balles dans le pied
Sous le grand parapluie de forces nucléaires
Dans l’interdépendance où l’on peut payer cher
Des sanctions boomerangs qui vont se retourner
Contre celui qui croit qu’il peut les déclencher
Sans subir en retour aucun effet notable
Au point d’imaginer qu’il est inatteignable
Jusqu’à ce qu’il reçoive un coup inattendu
Qu’il s’inflige à lui-même en ce combat tordu

 

Billet : Souvenir de mes études littéraires

Les protagonistes de la révolution romantique dans la poésie et le théâtre en France au début du XIXe siècle étaient des descendants de militaires, nobles de plus ou moins fraîche date. Ils ont délaissé la carrière des armes qui ne leur offrait plus guère de perspective, pour embrasser celle des lettres où ils ont pu s’illustrer de manière plus pacifique sans renoncer aux batailles dont l’exemple le plus célèbre a été la bataille d’Hernani ayant opposé en 1830 les « Jeune-France » comme Nerval et Gautier aux « perruques » néo-classiques. Le romantisme a pris ensuite des directions diverses. Le parcours politique le plus frappant est celui de Victor Hugo dont le père a été anobli par Napoléon, et dont la poésie a commencé par des odes d’inspiration monarchiste (c’était le temps de la Restauration) avant d’évoluer de manière de plus en plus claire vers la célébration de l’épopée napoléonienne. Cela dit, quand la construction de l’arc de l’Etoile a été achevée en 1836 sous la « monarchie de juillet » pour célébrer quelque 660 noms de généraux et de maréchaux de la Révolution et de l’Empire, Victor Hugo y a cherché en vain le nom de son père, général de brigade en 1809 et gouverneur de province en 1810. Dans son recueil Les Voix intérieures publié en 1837 et dédié à son père, comte d’Empire, il a écrit en guise de protestation à la fin de la dédicace : « Non inscrit sur l’arc de l’Etoile ». Par la suite, notamment à partir des Châtiments, opposant pendant tout le Second Empire Napoléon le grand à Napoléon le petit qui l’a proscrit en s’emparant du pouvoir et en détournant à son profit le mythe de l’Empereur, Hugo est devenu républicain (modéré) après Lamartine dirigeant très éphémère du gouvernement bleu-blanc-rouge de la Seconde République. Notre évocation des poètes français de la première moitié du XIXe siècle se termine par quelques vers optimistes imités de « l’Esprit pur », poème final des Destinées de Vigny.

Après Napoléon ce sont quatre poètes
Que l’histoire a placés dans le groupe de tête
Parmi les écrivains dignes d’être nommés
(Que la gloire posthume accepte d’embaumer)
Lamartine Vigny Victor Hugo et même
Le plus jeune -Musset- faisant le quatrième
La particule noble a décoré leur nom
Chacun d’eux l’a porté supplément de renom
Dans une société qui révérait toujours
Les signes de noblesse objets de trop d’amour

Le père du premier dans la cavalerie
A été officier fier de ses armoiries
Et de ses biens fonciers en Bourgogne du sud
Le poète un instant a pris de l’altitude
Chef d’un gouvernement quasi républicain
Le deuxième -Vigny- descendait de marins
Il devait son domaine à un vieux chef d’escadre
Portraituré jadis enchâssé dans un cadre
Alors que le troisième était un plébéien
Le fils d’un général parti de presque rien
Que l’Empire a promu au rang de nouveau comte
Comme Victor Hugo lui-même le raconte
Ensuite vient Musset dans ma liste en dernier
Sa noblesse datait d’un ancêtre officier
Ainsi récompensé par le roi Charles sept
Qui voulait s’acquitter envers lui d’une dette

Chacun des quatre a mis sur son casque hérité
Une plume d’auteur qui n’est pas sans beauté
Ils ont rendu illustre un nom de peu de gloire
Que nous conserverons quant à nous en mémoire
Si l’on en croit Vigny ces enfants de soldats
Pour dominer la force avaient reçu mandat
De célébrer l’esprit plus haut que la matière
Et créer par l’écrit des foyers de lumière

 

Billet : Hommes de pouvoir et séductrices

Dans la vie politique française les rapports entre les hommes et les femmes ont pris un tour relativement nouveau et souvent assez chaotique depuis quelques décennies, où cette évolution ne fait pas forcément honneur aux uns et des autres. Du temps du général de Gaulle, celui-ci se conduisait de manière digne et en tout cas traditionnelle, probablement rangée, en compagnie de son épouse que le peuple appelait « Tante Yvonne ». La situation a changé à partir du président Giscard d’Estaing et de ses escapades nocturnes révélées notamment par un accident de circulation impliquant au petit matin un camion de laitier. Ensuite nous avons eu le président Mitterrand et sa double famille protégée par un secret qui donnait l’impression d’être trop verrouillé pour être honnête, auquel certains reprochaient d’être organisé aux frais de la République ; puis le président Sarkozy et ses démêlés conjugaux en cours de mandat, en particulier un divorce en 2007 suivi d’un remariage moins d’un an après avec la chanteuse et mannequin Carla Bruni au demeurant charmante (sans compter des relations avec une présentatrice de radio et une écrivaine ayant suivi sa campagne électorale) ; puis le président Hollande ayant eu plusieurs enfants hors mariage de Ségolène Royal et dont les amours ont été divulgués, volontairement ou non, impliquant une journaliste politique puis une actrice de gauche que le président véhiculait en scooter. Notre sujet nous impose aussi une allusion au mariage du président Macron en 2007 avec sa professeur de français et de théâtre ayant presque 25 ans de plus que lui, contrairement à la situation habituelle des couples où l’homme est en général plus âgé que la femme (de 2,5 ans en moyenne en France). Quand on passe en revue différents exemples de ces « nouveaux » rapports, on est frappé par leur caractère parfois cocasse (on se souvient de la journaliste de Hollande lui demandant en public : « embrasse-moi sur la bouche »), cocasserie rendue un peu étrange par un grand contraste avec l’autorité qui s’attache en principe au statut de président.

« Du côté de la barbe est la toute-puissance »
Ainsi parle en barbon dépourvu de bon sens
Arnolphe de Molière à – disons – quarante ans
Il croit avoir vécu suffisamment longtemps
Pour pouvoir imposer à une jouvencelle
L’amour impératif qu’il pense avoir pour elle
Au contraire aujourd’hui lorsqu’un adolescent
A peine devenu jeune homme impertinent
Avec sa professeur convole en justes noces
On ne s’étonne plus de ce genre d’Eros
Idem quand une épouse indignée négligée
Contre un mari connu désire se venger
Et qu’elle apparaît nue dans quelque magazine
Soubrette dévêtue qui nettoie ou cuisine
En laissant dépasser de l’étroit tablier
Plutôt dépoitraillée corset entrebaillé
La panoplie variée des rondeurs de son corps
Montrant qu’elle serait digne d’un meilleur sort

On a vu ces temps-ci des hommes succomber
Détenteurs de pouvoir ils étaient bouche bée
Malgré leur dignité devant des meufs hors normes
Au charme différent singulier peu conforme
Mecs importants séduits par le chant sans façons
D’une bouche sachant fredonner des chansons
Sarkozy par exemple au sortir d’un divorce
Qui voulait retrouver une nouvelle force
En présentant à tous le surprenant tableau
D’un fruste tel que lui avec une intello

Son successeur Hollande était un scootériste
Amoureux lui aussi d’une actrice ou artiste
Il circulait ainsi dans les rues de Paris
Parcourait en deux-roues la ville et sa voirie
Avec je le suppose une envie d’être libre
Sur cet engin risqué trouvant son équilibre

Billet : Voeux de nouvel an au temps du coronavirus

Depuis presque deux ans ce coronavirus
Dont le cours fait penser à des montagnes russes
Avec ses hauts et bas de fort mauvais aloi
Se joue des pronostics nous soumet à sa loi
Déjà l’épidémie a franchi plusieurs pics
Et nous pauvres humains en devenons phobiques
Les bons docteurs censés connaître le comment
Sans savoir le pourquoi de l’invisible agent
Pulmonaire nocif en connaissent-ils plus
Que nous pauvres mortels écoutant leurs laïus

Dans cette pandémie nous voyons à regret
Qu’il y a des humains résistant au progrès
Contre ce mal nouveau quoique la médecine
Ait aussitôt trouvé le produit qui vaccine
Pour mieux nous protéger de cette maladie
Certains ont le désir de fuir au paradis
D’autres sont convaincus que ce qu’on inocule
Est un poison d’enfer qui les rend somnambules
D’autres se voient plus forts que la mort ou la vie
Et croient que cette force est un bien qu’on envie

Me plaçant au niveau des personnes moyennes
Je les vois animées dans les rues parisiennes
Par la crainte surtout qui rend obéissant
A la voix d’un seul chef entouré de « sachants »
Auquel souvent la peur nous incite à complaire
Et la peur quelquefois devient de la colère
Quand on est agité par une appréhension
Créant dans le cerveau des imaginations
Plus noires qu’il ne faut dans des accès de trouille
Tels que les esprits sûrs deviennent des gribouilles

Ne nous abritons pas au temps des giboulées
Dans des mares de pluie qui nous trempent les pieds

 

Nous sommes à ce point habitués à la certitude du savoir que nous sommes désorientés lorsque ce savoir nous fait défaut, même de façon provisoire et momentanée. Dans une situation extrême où il s’agit de vie et de mort, l’incertitude nous semble insupportable au point que nous appelons de nos vœux un remède quel qu’il soit, pourvu qu’il remplisse le vide angoissant que nous ressentons. Il se trouve que l’humanité confrontée à une telle situation caractérisée aujourd’hui par l’irruption dans notre monde d’un coronavirus inconnu et menaçant, a trouvé en un temps record, sous la forme de vaccins efficaces, un début de réponse à notre inquiétude. Le vœu que l’on peut formuler en ce début d’année 2022 est qu’en attendant des réponses encore plus efficaces et encore plus adéquates, les humains que nous sommes continuent à avoir l’intelligence et le courage de faire preuve de ces qualités pour faire les bons choix et pour ne pas s’égarer dans de fausses solutions qui pourraient être pires que le mal.

Billet : Une décennie de voyages aériens

J’ai réuni dans deux recueils de sonnets, Aérogrammes (2010) et Courts poèmes long-courriers (2011) – dont les couvertures sont l’œuvre du peintre et graveur Sergio Birga malheureusement décédé en 2021 – les poèmes que j’ai écrits pour l’essentiel pendant les années 1986-1995 au cours desquelles j’ai dirigé les relations internationales, au service de la législation fiscale du ministère des finances à Paris. Cette fonction m’a donné l’occasion de parcourir le monde pour les négociations nécessitées par mon travail. Je résume dans le présent poème cette période de ma vie caractérisée par une certaine boulimie de voyages et de curiosité pour le monde. J’ai fini par comprendre que cette boulimie était une faim qui n’avait pas de fin, sans savoir clairement si je me suis arrêté par sagesse, par lassitude ou par tempérament casanier qui reprenait le dessus. Peut-être me suis-je dit que j’étais une sorte de collectionneur de voyages inépuisables qui risquaient d’épuiser ma vie.

Sous-directeur chargé de l’international
J’ai dirigé dix ans les relations fiscales
Au Louvre tout d’abord et ensuite à Bercy
Dans un poste touchant à la diplomatie
Jalousé par beaucoup mais que les carriéristes
Jugeaient peu digne d’eux car il menait hors piste
Je me suis occupé de multiples dossiers
Complétant le réseau des accords et traités
Que la France a conclus un peu partout au monde
Dans une activité sans doute trop féconde
Impliquant au total pas loin de cent Etats
Dirigés par le peuple ou par un potentat
Certains d’entre eux dotés d’une longue mémoire
D’autres neufs possesseurs d’un vaste territoire
Avant d’être nommé à une autre fonction
J’ai pu tant bien que mal boucler la convention
Franco-américaine embarrassé peu fier
De laisser après moi ce texte dont Molière
Aurait pu se moquer ce langage mêlait
A des mots provenant de l’ancien droit anglais
d’autres qui rappelaient le latin médiéval
Ils me semblaient dater du temps de Perceval
Lorsque prédominait sur l’anglais le français
Sans besoin de traduire entre Douvre et Calais
– A Londres capitale et dans toute ambassade
On a parlé français bien après les croisades –
Notant mes impressions certes non ex aequo
Tantôt à Washington tantôt à Monaco
Ou en tout autre point entre ces deux extrêmes
Je me suis pris au jeu d’adresser à moi-même
Et à mes êtres chers sous forme de sonnets
Des souvenirs notés comme dans un carnet
Qui parlaient de grandeur parfois de petitesse
Je les accumulais porté par l’allégresse
La terre vue de haut j’en ai été content
Pour mes proches pourtant je rêvais trop distant

Billet: Fleuves d’Afrique

Le Niger est par sa longueur le troisième fleuve du continent africain, après le Nil et le Congo, mais avec un débit médiocre de 6 000 m3 par seconde en moyenne, très inférieur à celui du Congo qui déverse à son embouchure 81 000 m3 par seconde d’eau douce dans la mer. Il subit dans son parcours souvent proche du désert une évaporation intense qui n’est pas compensée par les apports en eau des zones équatoriales d’où il provient. Sur ses rives se trouvent en particulier les capitales de deux Etats du sahel, celle du Mali et celle du Niger qui a reçu le même nom que le fleuve. A ces capitales il faut ajouter la ville de Tombouctou, cité interdite aux non-musulmans dans le passé, riche de près de 100 000 manuscrits datant des empires de l’Afrique de l’ouest au Moyen-Age, et ayant subi des déprédations de la part des islamistes radicaux qui ont occupé cette région en 2015. Tombouctou, aujourd’hui menacée d’ensablement par l’avancée des dunes, est située au point où le fleuve Niger se rapproche le plus du Sahara après avoir créé une très vaste zone humide, voire aquatique, qu’on appelle son delta intérieur, situé principalement au Mali, où l’on trouve en particulier une faune d’oiseaux et de reptiles qui rappelle le Nil des pharaons. Après son passage dans la zone semi-aride du sahel, le fleuve Niger infléchit vers l’océan son cours au Nigeria, gros producteur de pétrole, Etat le plus peuplé d’Afrique, dont la capitale économique Lagos située non loin de l’embouchure du Niger aurait dépassé 22 millions d’habitants en 2021 (à comparer à la  mégalopole du Caire non loin de l’embouchure du Nil : plus de 20 millions d’habitants, et à celle de Kinshasa non loin de l’embouchure du Congo : plus de 17 millions d’habitants)..

 

En Afrique j’ai vu deux des plus grands cours d’eau
Drainant ce continent le Nil et le Congo
Mais à mon expérience il manque un autre fleuve
Qui coule en des pays où très rarement pleuvent
Des déluges de pluie inconnus des Maliens
Donnant aux assoiffés plus de mal que de bien

Il s’agit du Niger dont la vaste camargue
Dans la saison humide enfle son cours et nargue
Au passage un sahel calciné desséché
Quelques larmes du ciel n’y font que pleurnicher
Mais le débit venu d’une source lointaine
Située en Guinée est une heureuse aubaine
pour l’herbage flottant qui nourrit les troupeaux
Et cache des sauriens appréciés pour leur peau
Sans oublier non plus les grands oiseaux pensifs
Dont la forme ancestrale évoque un hiéroglyphe
D’oiseaux sacrés du style ibis ou marabout
Avec les pharaons ils se tenaient debout
Puis comme eux momifiés ils affrontaient la mort
Oublieux de la vie et de tous les remords
Echassiers blancs et noirs marcheurs précautionneux
Ils allaient pas à pas sur les bords limoneux
Nettoyeurs de serpents ainsi que de lézards
On nous dit qu’en Egypte ils se sont faits très rares
A l’inverse en Bretagne on trouve désormais
Ces oiseaux religieux qu’on n’y voyait jamais

Le Niger continue à verdir le désert
Qu’il couvre chaque année d’un végétal précaire
Il permet à plusieurs des Etats africains
D’afficher fièrement la couleur des jardins
En mettant en exergue à leur drapeau du vert
Bien que leur sol soit nu largement découvert
Et que l’aridité dont ils sont affligés
S’accroisse avec le temps sans être soulagée

 

Billet : mort de Sergio Birga, peintre et graveur

Sergio Birga, florentin d’origine, peintre et graveur vivant à Paris, est mort brutalement pendant ses vacances à Cannes le jeudi 26 août 2021 à l’âge de 81 ans au milieu de la journée. Il a été inhumé dans un caveau profond le vendredi 3 septembre 2021 au nouveau cimetière de Châtenay-Malabry (92) après la messe célébrée l’après-midi en l’église Saint-Nicolas-des-Champs. Le choeur de cette église est orné d’un retable composé de beaux tableaux de Simon Vouet que Sergio m’avait fait découvrir quelques années auparavant. Je lis dans le livre de Bertrand Dumas, Trésors des églises parisiennes, préfacé par Marc Fumaroli, que ce retable « passé miraculeusement au travers des modes et des révolutions, est l’unique témoin de somptueux décors d’autel parisiens du règne de Louis XIII  » (sous lequel le cercueil de Sergio a été placé pendant la messe de funérailles concélébrée par plusieurs prêtres du diocèse). « Le peintre a tiré profit des deux étages du retable. Vouet relie l’ensemble par le jeu des regards et des gestes et par la cohérence de la couleur et de la lumière. La main levée de saint Pierre conduit le regard du spectateur vers le niveau supérieur ». La lueur du registre terrestre devient apothéose de lumière au registre céleste (Bertrand Dumas).

I
Je roulais vers l’Alsace un coup de téléphone
D’Annie Birga soudain nous laissant comme aphones
S’est frayé non sans mal dans ma tête un accès
Sergio dit-elle est mort l’heure de son décès
Vient d’être constatée par l’hôpital de Cannes
Il nageait dans la mer comme vers la Toscane
En regardant au fond avec masque et tuba
Les eaux ensoleillées qui miroitaient en bas
Je ne sais ce qu’a fait ce petit attirail
De nageur près du bord qui brusquement défaille
– Peut-être une douleur le prenant en tenaille
Au point qu’il a voulu l’écarter de son cou –
Toujours est-il que l’eau qui lui plaisait beaucoup
Mais qui peut devenir un poulpe à tentacules
A dû fermer sur lui sa mâchoire de bulles
Et frapper le baigneur d’une électrocution
Subit arrêt du cœur -mortel sans discussion-
Qui l’a privé de vie dans un flot de lumière
Alors qu’il finissait sa nage coutumière

II
Transporté à Paris sous le retable peint
Par Vouet il gisait dans un cercueil en pin
Avant d’être livré après la messe ultime
A un caveau profond -là le corps se périme-
Nous l’avons escorté vers le bout du trajet
Où la mort l’a réduit en périssable objet
Vers la proche banlieue et vers le cimetière
Etape pour le mort peut-être la dernière
Somnolant pour ma part sur la route bloquée
Par nombre de bouchons qu’on peine à expliquer
Dans la circulation proche de la thrombose
J’ai pensé paradis survie métempsycose
Eternité de l’art qui peut nous consoler
Bien qu’elle soit sans doute un pauvre pis-aller

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : André Breton au hasard de la vie

Quand j’ai passé l’agrégation de lettres classiques en 1971, André Breton figurait au programme de ce concours. Aujourd’hui, cinquante ans après, je me souviens surtout de Nadja qui s’achève par cette phrase où le mot « convulsive » est écrit en majuscules par l’auteur : « La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas ». On m’a fait remarquer récemment que, lorsque Nadja a été enfermée comme folle à « l’asile de Vaucluse » (c’est ainsi que Breton appelle cette institution), le poète ne lui aurait jamais rendu visite. Elle serait morte dans cette institution pendant la guerre de 1939-1945, ce qui m’a rappelé le triste destin de Camille Claudel enfermée par sa famille et morte elle aussi quasiment de faim à l’asile (en 1943). Dans L’Amour fou (1937) qui conclut le cycle de trois œuvres commencé avec Nadja (1928) et continué avec Les Vases Communicants (1932), Breton exprime un souhait adressé à sa fille Aube née à la fin de 1935 de son union avec Jacqueline, la femme aimée de L’Amour fou (« Je vous souhaite d’être follement aimée. ») A la fin de sa vie, le 27 septembre 1966, souffrant d’une insuffisance respiratoire, André Breton est rapatrié de Saint-Cirq-Lapopie, le village du Lot dans lequel il avait acheté en 1951 l’ancienne auberge des mariniers ayant appartenu au peintre postimpressionniste Henri Martin. Il meurt le lendemain à l’hôpital Lariboisière à Paris. Dans les années 2010, lors d’un voyage en voiture dans la région de Toulouse, nous avons visité, Maryvonne et moi, une partie de la région du Lot sans faire attention au fait que Saint-Cirq-Lapopie y était un haut-lieu d’André Breton. Puis, avant l’élection présidentielle, et de nouveau en 2021, je me suis rendu compte que le président Macron manifestait un intérêt particulier pour ce lieu devenu plus touristique que poétique, désigné comme l’un des « villages préférés des Français ». La maison d’André Breton à Saint-Cirq-Lapopie a été transmise à sa fille Aube qui l’a revendue à un couple d’artistes. Après des tergiversations, la commune s’en est portée acquéreuse.

Lorsque j’ai préparé l’agrégation de lettres
J’ai trouvé qu’il fallait pour bien concourir être
-Pas seulement paraître – en face du jury
Sincère avec des mots médités et mûris
Mais bien qu’ayant passé sans encombre l’épreuve
Où le surréalisme était une idée neuve
– Le programme incluait L’Amour fou de Breton –
Ce livre m’a semblé ne pas être d’un ton
Qui pouvait s’accorder à la beauté du titre
Son auteur paraissait trop docte à son pupitre
Ecrivant un essai qui à la poésie
Mêlait l’exaltation dont il était saisi
Quand il se rappelait avoir vu Tenerife
Avec la femme aimée tout était « convulsif »

J’ai découvert plus tard comme un haut nid-de-pie
Les ruelles perchées de Saint-Cirq-Lapopie
Breton en avait fait son rêve le meilleur
– J’ai cessé disait-il de me chercher ailleurs –
Dans un panorama de sauvage beauté
Au pied de ce village où venaient caboter
Jadis au long du Lot suivant leurs attelages
Lentement sûrement les bateaux de halage
Des artisans nombreux travaillaient en ce lieu
En plus des bateliers maints tourneurs ingénieux
Y façonnaient le bois et par la voie des eaux
Expédiaient leurs produits jusqu’au port de Bordeaux

En mil neuf cent cinquante une très vieille auberge
De mariniers devient son bien non loin des berges
Le barde y vient souvent puis le charme se rompt
Le cirque de la vie cesse de tourner rond
Mais la magie d’antan devenue touristique
Alimente toujours la renommée rustique
Du village à présent préféré de Macron
Après avoir été le fief d’André Breton

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : Le Brexit au début de 2021

L’Angleterre a quitté l’Union des vingt-huit membres
– En l’an deux mille vingt à la fin de décembre
Elle a bien confirmé qu’elle coupait les ponts –
Désormais la voici délivrée des tampons
Que l’Europe apposait sur les lois « dura lex »
Sur tous les règlements sur les moindres codex
Il ne restera plus associant Britannia
A ses proches voisins les pays immédiats
Qu’un seul épais traité qu’on dit de libre-échange
Laquelle des parties gagnera donc au change

Entre le continent et la Grande-Bretagne
Qui après s’être unis se séparent s’éloignent
A vrai dire on ne peut parler de ponts coupés
Mais de visions du monde et d’occasions loupées
Il n’y a jamais eu de pont sur le channel
Mais sous ce bras de mer va durer le tunnel
Je ne peux l’oublier car j’ai participé
A ce que les années ne pourront dissiper
A cet ouvrage d’art digne de Jules Verne
Cet indéniable exploit des techniques modernes
J’étais alors chargé des problèmes d’impôts
Face aux autres États brandissant leur drapeau
Comme négociateur du côté de la France
Avec l’Anglais j’ai dû m’entendre en l’occurrence
Pour partager en deux tous les aspects fiscaux
De la nouvelle voie sous la Manche ex aequo
On nous a invités à un repas sous terre
Où se sont rencontrés venus l’un d’Angleterre
Et l’autre de Calais les tunneliers géants
Dans un grand cross-over qui paraissait béant
Thatcher y est venue premier ministre à poigne
Retraitée du pouvoir elle a bu du champagne
Pierre Mauroy comme elle a signé le carton
Me conviant au repas sous la voûte en béton

 

A la suite du Brexit, l’accord de libre-échange conclu fin 2020 entre Bruxelles et Londres m’a rappelé le petit rôle que j’ai joué dans la réalisation du tunnel sous la Manche. A cette date, ce n’est pas la mer qui menaçait le tunnel, ni les fractures de la craie bleue dans laquelle ce tunnel ferroviaire a été creusé, mais la crise causée par la maladie appelée covid-19, qui a réduit fortement le trafic et par conséquent les recettes. Le ministre délégué français chargé des transports a annoncé que l’État allait soutenir Eurostar, la compagnie qui, par le tunnel, assure le transport entre Londres et Paris et entre Londres, Bruxelles et Amsterdam. Le ministre a dit devant la commission compétente de l’Assemblée nationale française : « Nous sommes en train de travailler en lien avec les Anglais à des mécanismes d’aide proportionnés au prorata de l’implication de chacun dans Eurostar », précisant qu’il en discutait « depuis de nombreuses semaines » avec son homologue britannique. Il avait été averti qu’Eurostar risquait de se retrouver bientôt en dépôt de bilan. En 2020, du fait de la crise sanitaire, la compagnie transmanche a perdu 80 % de son chiffre d’affaires. Au début de 2021 ne circulaient plus que des trains presque vides : un seul Paris-Londres par jour, contre plus d’une vingtaine en temps normal, et un seul Londres-Bruxelles-Amsterdam, contre une dizaine en 2019. De son côté, l’organisation patronale London First a adressé un courrier au Chancelier de l’Échiquier (ministre des finances) pour appeler Londres à participer au sauvetage. Le patron de SNCF Voyageurs a expliqué qu’Eurostar souffrait de plusieurs handicaps, à commencer par le cumul des restrictions sanitaires édictées par les quatre pays desservis : l’Angleterre, la France, la Belgique, les Pays-Bas. Autre handicap, la singularité d’Eurostar, ayant son siège à Londres mais détenue à 55 % par la SNCF. « C’est une entreprise française en Angleterre, donc elle n’est pas aidée par les Anglais, et elle n’est pas aidée par les Français parce qu’elle est en Angleterre », a expliqué ce dirigeant.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : « La Marseillaise », chant de résistance

Le citoyen français connaît surtout la strophe
Qu’a écrite un soldat plutôt qu’un philosophe
Au début de ce chant comportant au complet
Plusieurs groupes de vers strophes nommées couplets
Sans compter le refrain dont la scansion de marche
Est celle d’une armée qui passe sous une arche
Sous un arc de triomphe ouvert aux victorieux
Par sa voûte il encadre une partie des cieux

La musique rythmant notre hymne national
Ne peut faire oublier au chanteur machinal
Les paroles sans fard l’amour de la patrie
Et le prix des valeurs dont nous sommes pétris
La haine qui parfois saisit des adversaires
Changés en ennemis que notre vie ulcère
Le goût du sang versé devenant un poison
Chez ceux que fait agir l’oubli de la raison
Ils viennent – dit ce chant – jusque dans nos campagnes
Égorger dans nos bras nos fils et nos compagnes

Naguère on estimait ces termes trop violents
Pour un hymne officiel ils semblaient trop sanglants
Mieux valait pensait-on rechercher la concorde
Éviter de risquer que l’aversion déborde
Mais l’actualité pousse à changer d’avis
Aujourd’hui des vengeurs agressifs pleins d’envie
Sortis de bleds lointains devenus fanatiques
Venus sur notre sol sous couleur pacifique
Prolongent leur destin de délinquants malsains
Se donnant la mission qui va les rendre saints
Celle d’éliminer en leur tranchant la gorge
Tous les blasphémateurs dont la France regorge
Du satiriste au prof nous sommes à leurs yeux
Des injurieux impies des offenseurs de Dieu

 

Le 16 octobre 2019, la France a appris avec stupeur l’égorgement-décapitation d’un enseignant par un jeune réfugié musulman originaire du Caucase. Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie à Conflans-Sainte-Honorine dans la région parisienne, a subi cette mort horrible pour avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet lors d’un cours sur la liberté d’expression. L’assassin a revendiqué son crime dans un message audio en russe où il expliquait avoir « vengé le prophète », en accusant le professeur de l’avoir «montré de manière insultante». Menaçant, il a été abattu peu après par la police. Plusieurs adolescents ont été placés en garde à vue pour avoir désigné le professeur à l’assassin contre rémunération. D’après Le Figaro du 7 décembre 2020 (avec l’AFP), l’assassin Abdoullakh Anzorov a été enterré dimanche 6 décembre à Chalaji, village situé à une quarantaine de kilomètres de la capitale tchétchène Grozny. L’accès au village a été bloqué par les autorités le temps de l’enterrement. La messagerie Telegram a publié des vidéos montrant une petite foule chantant en tchétchène et accompagnant le cercueil sous la neige. Selon Baza, une chaîne Telegram très suivie ayant diffusé l’une de ces vidéos, environ 200 personnes – des parents et amis de la famille Anzorov – ont pris part aux obsèques et des policiers ont été déployés dans le village. Les médias officiels tchétchènes, pro-russes, n’ont parlé ni du rapatriement du corps, ni de l’enterrement. Rappelons qu’il existe un lourd contentieux entre la Tchétchénie musulmane et la Russie orthodoxe qui l’a annexée au XIXe siècle. Le dirigeant tchétchène, Ramzan Kadyrov, a condamné l’assassinat en France, mais aussi vivement critiqué le président français, car, a-t-il dit,  celui-ci poussait les musulmans « vers le terrorisme » en laissant republier des caricatures de Mahomet. Déjà en 2015, lors de leur publication dans Charlie Hebdo, plusieurs centaines de milliers de manifestants avaient protesté à Grozny.

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Mythologie : Les Muses

L’aède Orphée passait pour le fils d’une muse
Mais de laquelle au vrai la légende est confuse
Devait-il tout enfant ses belles euphonies
A la haute Calliope ou bien à Polymnie
A celle qui pouvait chanter comme une reine
Ou bien à l’autre muse à la voix de sirène
Savante en harmonies qu’elle renouvelait
Réinventait sans cesse en prodiguant son lait
Pour nourrir cet enfant l’inciter à grandir
Au rythme de ses chants le faire s’enhardir

Il recevait de plus les leçons d’Érato
Qui chantait caressante avec des vibratos
Experte en poésie d’amour sans rhétorique
Dont le nom évoquait Eros et la musique
Souvent représentée une lyre à la main
Et célébrée par tous par les Grecs Romains

Orphée savait aussi dès son âge précoce
Produire de beaux sons grâce à la flûte « aulos »
Par Euterpe guidé muse des musiciens
Il modulait parfois des airs de magicien
Ayant la faculté de faire agir les corps
Si bien que dans la danse arrivait Terpsichore

Le poète inspiré par la tendre affection
De ces filles de Zeus débordant d’attentions
Loin de s’en contenter réclamait Eurydice
Avec elle il voulait que les muses soient dix
Il avait l’ambition qu’avec elle Uranie
Les placerait au ciel dans l’espace infini
Où l’on verrait toujours quand la nuit tend ses voiles
Eurydice et Orphée ainsi que des étoiles
Brillant de tous leurs feux prolongeant la passion
De l’amour lumineux dans les constellations

 

Orphée était considéré comme le fils d’une des neuf muses et par conséquent comme le neveu aimé des autres. Rappelons que ces neuf muses, inspiratrices des arts, étaient Calliope pour la poésie héroïque ; Clio pour l’histoire ; Érato pour la poésie amoureuse et élégiaque ; Euterpe pour la musique ; Melpomène pour la tragédie ; Polymnie pour les hymnes ; Terpsichore pour la danse ; Thalie pour la comédie ; Uranie pour l’astronomie. Orphée passait généralement pour être le fils de Calliope, la plus haute en dignité de ces neuf sœurs, nées de Zeus et de Mnémosyne personnification de la Mémoire. Certains disaient que sa mère n’était pas Calliope mais Polymnie. Orphée était d’origine thrace. Comme les Muses, il était donc voisin de l’Olympe. Le mythe le plus célèbre des légendes le concernant est celui de sa descente aux Enfers pour l’amour de sa femme Eurydice (voir dans le présent recueil le poème daté du 28.02.2019). Après la mort d’Orphée, sa lyre a été transportée au ciel où elle est devenue une constellation. Son âme elle-même a été transportée aux Champs Elysées où elle continuait ses chants pour les Bienheureux.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Perséphone

Quand le dieu des Enfers Hadès a entraîné
Vers le règne d’en bas pour un sombre hyménée
Sa nièce qu’il aimait la jeune Perséphone
Celle-ci a crié au point d’en être aphone
Sollicitant sa mère et de loin demandant
Qu’on ne la livre pas à un tel prétendant
Tyran qui régentait le noir empire des ombres
Où finissent les morts et leur troupe sans nombre

Déméter a perçu que sa fille implorait
Du secours par des pleurs venant d’un lieu secret
Du levant au couchant elle cherche sa trace
Et malgré la fatigue elle parcourt l’espace
Elle erre sans manger sans boire sans repos
Même si son esprit lui semble moins dispos
Pour suivre son idée qui tourne à l’aventure
Aux abords de l’Etna elle voit la ceinture
Que sa fille portait – le brasier du volcan
Lui permet d’éclairer cet indice éloquent –
Et scrute avec des pins qu’elle allume en torchères
Le gouffre où est tombée celle qui lui est chère

Dès lors elle rechigne à remplir sa mission
D’être la nourricière assurant les moissons
Tant que sa fille est prise en un cachot profond
Où la lumière est faible où la vie se morfond
En Sicile les blés sont devenus des herbes
Qui ne méritent plus d’être liés en gerbes
Zeus qui s’en préoccupe ordonne qu’au printemps
Perséphone revienne et partage son temps
Moitié en compagnie de Déméter sa mère
Et moitié chez Hadès pendant les mois d’hiver

 

Pendant qu’elle cueillait des fleurs, narcisses ou lis, dans la plaine d’Enna en Sicile, Perséphone, fille de Zeus et de Déméter elle-même sœur de Zeus, a été enlevée par Hadès – Pluton pour les Romains – frère de Zeus (en raison du petit nombre des dieux originels qu’il était possible de marier, les unions divines étaient propices aux incestes). C’est principalement dans les régions du monde gréco-latin où poussait le froment, avec pour lieux d’élection les plaines d’Eleusis et la Sicile, que s’est développé le mythe de Déméter, déesse de la terre cultivée, essentiellement divinité du blé, appelée Cérès à Rome où Perséphone était nommée Proserpine (voir Ovide, Les Métamorphoses, livre cinquième, vers 393 et suivants). A partir de l’enlèvement de sa fille par Hadès a commencé pour Déméter la recherche de la disparue. Pendant le temps où Déméter était absente, la terre restait stérile, et l’ordre du monde s’en trouvait bouleversé, de sorte que Zeus a ordonné à Hadès de rendre Perséphone. Un compromis a été trouvé : Déméter reprendrait sa place sur l’Olympe, et Perséphone partagerait l’année entre les Enfers et sa mère. Aussi longtemps que les deux déesses restaient séparées, c’était la saison triste de l’hiver, et le sol demeurait stérile. Puis, chaque printemps, Perséphone s’échappait du séjour souterrain et montait vers le ciel avec les premières pousses sortant des sillons, avant de s’enfouir à nouveau parmi les ombres au moment des semailles. Une autre légende, déjà connue de l’Odyssée (V, vers 125 et suivants), raconte l’amour de Déméter et d’Iasion, qui a donné à la déesse un fils, Ploutos. Quant à Perséphone, on disait, d’après une légende syrienne, qu’elle était devenue amoureuse du bel Adonis, qui, aimé d’Aphrodite-Vénus, a dû partager son temps entre la terre et les Enfers, avant d’être tué à la chasse par un sanglier (Ovide, Les Métamorphoses, livre dixième).

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : écriture de « poèmes antiques »

Je me suis aperçu que sans trop amoindrir
La qualité des vers que je pouvais produire
La rime appelée plate était à ma portée
Pour franchir la distance et me réconforter
Devant la feuille blanche afin que se propage
Le discours intérieur jusqu’au bout de la page
C’est la rime adoptée par de grands écrivains
Dans leurs œuvres passées mais dont on se souvient
Ils étaient raconteurs mais aussi démiurges
Poètes créateurs mais aussi dramaturges
Classiques du grand siècle et deux cents ans après
Romantiques trouvant de nouveau les secrets
Du bel alexandrin qui s’accroche à la lyre
Malgré tous les essais tentés pour l’abolir

Poésie dite antique elle privilégie
Les diverses couleurs de la mythologie
Qui me faisant monter dans une tour d’ivoire
M’a permis d’oublier pour une large part
Le martèlement sourd de l’actualité
Les débordants malheurs de la réalité
Je suis pourtant conscient qu’en dépit du folklore
Des mythes en péplum on peut y voir éclore
Des leçons au présent sur notre humanité
Et sur les apories de la divinité
Sur ce qui est fatal et sur l’accidentel
Sur les deux conditions mortelle et immortelle

Zeus même y apparaît impuissant à conduire
Selon son bon plaisir le soleil qui doit luire
L’Olympien n’y est pas le maître des destins
Et je crois qu’en amour il envie les humains

 

 

Leconte de Lisle, chef de l’école poétique du Parnasse à la fin du romantisme, a donné le titre de Poèmes antiques à l’un de ses recueils. Dans sa préface au Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, de Pierre Grimal, le professeur Charles Picard a évoqué Chateaubriand pour qui le christianisme aurait débarrassé le monde d’un troupeau de « dieux ridicules ». Charles Picard a exprimé aussitôt une désapprobation courtoise envers l’auteur du Génie du christianisme : « Aussi bien ces dieux prétendus chassés sont-ils toujours là parmi nous, et avec eux toutes les allégories de la fable. » Et ils ne sont pas présents seulement dans les musées par la statuaire ou la peinture, ni seulement dans les textes que l’Antiquité nous a transmis. Cette mythologie a inspiré, et continue à inspirer, de nombreuses œuvres artistiques et littéraires. Elle touche également à la philosophie et nous fournit quelques éléments d’une sorte de théologie polythéiste. Par exemple, elle nous permet de comprendre que, dans le mythe de Tithon, l’immortalité n’est rien sans l’éternelle jeunesse en bonne santé (voir Éôs et Tithon ; voir aussi Khiron), ou que, dans le mythe de Phaéton, le Soleil essaie d’enseigner à son fils cette vérité : « Aucun dieu ne peut se tenir sur le char qui porte la flamme, excepté moi. Même le souverain de l’Olympe ne conduira jamais mon char. Pourtant, qu’ai-je de plus grand que lui ? » Dans le même ordre d’idées, Eschyle fait dire à Prométhée : « Zeus ne saurait échapper à son destin ». Les épisodes mythologiques sont en effet nombreux où Zeus est soumis à la fatalité.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Midas

Séparé d’Eurydice aux Enfers disparue
Orphée charmait le monde à ses pieds accouru
Il attirait à lui les animaux sauvages
qui goûtaient le plaisir d’être mis en servage
Par sa voix sa musique aux clairs enchantements
Plus puissants que le bruit de tous les festoiements

Mais le voici pressé par un chœur de ménades
Qui exigeaient de lui plus que des sérénades
Et voulaient se venger de ses trop longs mépris
Elles coupent son corps en multiples débris
Sauf sa tête changée par Apollon en marbre
Et la troupe assassine est transformée en arbres
Enchaînée à ce lieu par Bacchus désolé
Qu’elle ait pu massacrer ce chantre inconsolé

Un jour le roi Midas qui aimait la musique
Du moins celle qui crée le plus d’effet physique
Organise un concours de plusieurs instruments
C’est-à-dire en premier les roseaux du dieu Pan
puis place en second lieu les tambours de Bacchus
Et en troisième enfin les cordes de Phébus
Dans cet ordre douteux sont décernés les prix

Apollon mécontent se déclare surpris
Que l’on classe derniers ses instruments à corde
La lyre et la cithare associées sans discorde
A la voix du poète ainsi que l’a prouvé
Son disciple fameux l’inoubliable Orphée
Capable d’envoûter les êtres doués d’âme
Et les inanimés transportés par ses gammes

Dans son irritation le dieu punit le roi
D’avoir étourdîment imposé un tel choix
Il remplit de poils gris le creux de ses oreilles
qu’il allonge en montrant que l’âne est son pareil

 

 

Ovide raconte la vie et la mort d’Orphée dans les livres X et XI de ses Métamorphoses. Le livre XI dont le début est consacré à la mort d’Orphée relate aussi les mésaventures de Midas (roi de Phrygie en Asie Mineure) dans ses relations avec Dionysos-Bacchus et Apollon. Grâce à Bacchus qui exauce son vœu, Midas obtient de changer en or tout ce que son corps aura touché. Mais il déchante en découvrant qu’il ne peut plus boire ni manger, car il transforme tout en métal précieux. Dégoûté de la richesse, renonçant à son vœu, il  préfère désormais la nature où le dieu Pan a pour séjour les antres des montagnes et en particulier du Tmolus qui se dresse à une grande hauteur au-dessus de la mer en Lydie voisine de la Phrygie. C’est là que Pan vantait aux jeunes nymphes son talent musical et modulait des airs sur ses roseaux enduits de cire. Un jour ce dieu a eu l’audace de prétendre que les accords d’Apollon ne valaient pas les siens. Il a fait résonner sa flûte dont l’harmonie sauvage charmait l’auditoire, au premier rang duquel se tenait le roi Midas. Mais lorsque Phébus Apollon a fait entendre à son tour sa musique, tous ont fini par reconnaître que sa cithare (qui était aussi l’instrument d’Orphée) était victorieuse des roseaux. Tous, sauf Midas. Apollon ne veut pas que les oreilles de ce roi, grossièrement insensibles à son chant, conservent une forme humaine ; il les allonge et les remplit de poils gris ; il leur donne la faculté de se mouvoir en tous sens. Midas a tout le reste d’un homme, il n’est puni que dans cette partie de son corps, désormais coiffé des oreilles de l’âne, qu’il cache sous un bandeau de pourpre. Le serviteur qui a l’habitude de raccourcir les cheveux de son maître n’ose révéler à personne cette difformité, il en murmure le secret à un trou qu’il creuse dans le sol avant de le refermer rapidement. Des roseaux se mettent  à croître en ce lieu. Balancés par le vent, ils répètent les paroles enfouies par le serviteur : « Midas, le roi Midas a des oreilles d’âne. »

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Tirésias

Tirésias – dont la mère avait nom Chariclo
Suivante d’Athéna – n’avait pas les yeux clos
Quand il a vu Pallas à portée de regard
Se baigner toute nue et mis trop peu d’égards
Dans son amour fervent pour ce corps de statue
Aussi pour le punir Athéna dévêtue
A-t-elle ôté la vue à ce voyant voyeur
Qui dès son jeune temps regardait sans frayeur
Des serpents s’accoupler mais un jour séparant
Deux de ces animaux pareils mais différents
Les avait déchirés et tué la femelle
A force de vouloir que leurs corps se démêlent
Changé dès lors en femme à cause du venin
Que lui avait craché l’animal féminin
Il avait retrouvé après sept ans son sexe
dans un aller-retour laissant les dieux perplexes

Ovide sur ce point dit qu’ils ont consulté
Celui qui par sa vie savait la vérité
Et pouvait révéler sans discours dilatoire
Qui de la femme ou l’homme emporte la victoire
D’un plaisir supérieur quand les corps sont unis
– La jouissance en l’homme est moindre en harmonie
Et en intensité a jugé Tirésias
Même quand elle est vive on la sent plus fugace –
Au lieu d’être flattées les divas dépitées
D’être ainsi consacrées reines des voluptés
– Divinités fâchées qu’un aveugle promulgue
Un secret bien gardé que nulle ne divulgue –
Ont voulu le frapper d’un pire aveuglement
Mais Zeus a refusé l’excès du châtiment
Tirésias a gardé toute sa clairvoyance
Combinée aux leçons tirées de l’expérience
Et confirmé que jouir qu’on prétend masculin
Appartient plus encore au sexe féminin

 

Le thébain Tirésias, personnage important de la tragédie de Sophocle, Oedipe-roi, y dévoile les crimes dont le roi s’est rendu coupable à son insu. Il est l’un des nombreux voyants de la mythologie gréco-latine, parmi lesquels figurent les devins de sa descendance, sa fille Manto et son petit-fils Mopsos, fils de Manto. L’anecdote des serpents dont la séparation a fait changer de sexe Tirésias est rapportée par Ovide. Celui-ci a mis en scène un débat entre Zeus et Héra, qui avaient bu, sur les plaisirs comparés du sexe masculin et du sexe féminin dans l’amour (Les Métamorphoses, III, vers 320 et suivants). Dans les légendes d’un autre cycle mythologique, celles de la guerre de Troie, on trouve comme devins Cassandre, fille du roi Priam, dont le nom est devenu un nom commun (on dit « une Cassandre » pour désigner une prophétesse de malheurs), et Hélénos, frère jumeau de Cassandre. Dans le camp adverse, Calchas est le devin officiel de l’expédition grecque. C’est lui qui a annoncé que les vents ne favoriseraient pas la flotte amarrée à Aulis, sauf si la colère d’Artémis, outragée par Agamemnon, chef de l’expédition, était conjurée par le sacrifice d’Iphigénie, fille aînée de celui qui avait provoqué la colère de la déesse. Calchas a été du nombre des guerriers qui ont pris place dans les flancs du « cheval de Troie ». L’oracle avait prédit qu’il mourrait quand il aurait fait la rencontre d’un devin plus expert que lui. Ce cas s’est produit quand au retour de la guerre il a eu l’occasion de connaître Mopsos (voir ci-dessus). Mopsos s’étant révélé plus habile en voyance, Calchas se serait donné la mort de dépit.

Dominique THiébaut Lemaire

Billet : naissance au temps du coronavirus

Au début du printemps mon petit-fils Oscar
A découvert le jour étonné sans fracas
En l’année deux mil vingt lorsque le temps qui court
A congédié l’hiver évincé tout à coup

Par cet enfant la vie m’a paru moins obscure
Elle m’a dit par lui qu’elle était invaincue
Bien que la pandémie ne laissât rien d’équerre
Ni les peurs mal fichues ni les espoirs à quai

Plus forte que le mal rampant vers les vieux corps
Sous un ciel sans avion la vie était d’accord
Avec l’azur tout bleu lui servant de décor

Elle s’est déclarée robuste comme un cœur
Qui bat dans l’allégresse et marche avec bonheur
Comme une poésie dont le rythme est vainqueur

 

 

 

Mon petit-fils Oscar (frère Sacha, six ans et demi, bien connu des lecteurs de Libres Feuillets) est né le 21 mars 2020, au tout début du printemps, en pleine épidémie de coronavirus qui, heureusement, ne fait rien aux enfants. C’est seulement après deux mois de météo généralement radieuse, contrastant avec la contagion de la maladie, que je me suis senti psychologiquement en état de fêter cette naissance par un poème.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Philomèle et Procné

Filles du roi Pandion les deux sœurs – Philomèle
Et sa chère Procné – semblaient être jumelles
Tant elles s’appréciaient et se voulaient unies
Procné s’est donc sentie en exil et bannie
Livrée par son mariage au despote de Thrace
Térée fils d’Arès-Mars un brutal dont la race
Gardait toujours en elle un reste inassouvi
Pandion qui redoutait de finir asservi
Face à ses ennemis voulant abattre Athènes
Avait dû faire alliance avec ce capitaine
Fort de nombreux guerriers puissant par son argent
Qui apportait de l’aide et un secours urgent

Frustrée au bout d’un lustre en manque de douceur
Procné a souhaité voir à nouveau sa sœur
Pour ce faire Térée a lancé un bateau
Qu’il a conduit lui-même et dirigé bientôt
Jusqu’au port du Pirée la porte de l’Attique
Où Pandion l’attendait d’un air diplomatique
En dissimulant mal sa vive appréhension
Mais l’Athénien s’apaise il oublie les tensions
Quand Térée lui donnant l’affectueux message
Envoyé par Procné promet sur un ton sage
De ramener la sœur qui lui sera confiée
Son interlocuteur omet de se méfier
Sur la voie du retour enflammé de désir
Le Thrace  a regardé avec un grand plaisir
Sur le navire étroit Philomèle endormie
Dénuder les appas de son anatomie
Ce violent fils d’Arès la prend pour une gouge
L’assaille sans vergogne à coups de sexe rouge
Procné avec sa sœur veut tuer son mari
Ainsi que son enfant fruit d’un amour tari
Mais un dieu les protège indigné par le viol
Change l’une en aronde et l’autre en rossignol

 

La mythologie gréco-romaine raconte la légende des filles de Pandion (roi d’Athènes), Philomèle et Procné, transformées en oiseaux, rossignol et hirondelle, dont l’histoire a été rapportée longuement par Ovide (Les Métamorphoses, livres VI, vers 424-674). Il existe aussi une version thébaine racontant l’histoire d’Aédon dont le nom est celui du rossignol en grec ancien. Aédon, fille de Pandaréos, est l’épouse de Zéthos, roi de Thèbes. Aédon, jalouse de Niobé, sa belle-sœur dotée d’une postérité nombreuse, veut tuer le fils aîné de cette rivale, mais dans la nuit elle se trompe et immole son propre fils, Itylos, dont le nom est à rapprocher de celui d’Itys, fils de Procné. Zéthos, fou de colère, court après Aédon pour la tuer, mais elle lui échappe car elle s’envole changée en rossignol. Itylos-Itys serait l’onomatopée plaintive que les Anciens reconnaissaient dans le chant de ce passereau. Homère se réfère à ce mythe dans L’Odyssée (chant XIX, vers 519-534) quand Pénélope s’abandonne un moment à la tristesse en écoutant un rossignol : « Fille de Pandareos, la chanteuse verdière se perche au plus épais des arbres refeuillés pour chanter ses doux airs quand le printemps renaît ; ses roulades pressées remplissent les échos ; elle pleure Itylos, l’enfant du roi Zéthos, ce fils qu’en sa folie son poignard immola… » Dans la version racontée par Ovide, l’enfant Itylos-Itys est tué dans une ambiance moins mélancolique et beaucoup plus sauvage, car il y est question du viol de Philomèle par Térée l’époux de Procné, et de l’assassinat du fils de Térée par sa propre mère, infanticide vengeur qui rappelle le meurtre de ses enfants par Médée.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Cassandre

Personne n’écoutait ce que disait Cassandre
Elle annonçait que Troie serait réduite en cendres
Et tous demeuraient sourds à ses divinations
Qui étaient pensaient-ils pure élucubration
Depuis qu’en acquérant le don de clairvoyance
Elle n’inspirait plus qu’une obscure méfiance
Ainsi l’avait voulu le divin Apollon
Faux ange d’innocence avec ses cheveux blonds
Dépité que Cassandre ait refusé son coeur
Fille du roi troyen plus belle que ses sœurs
Ayant reçu du dieu le don de prophétie
Sans l’aimer en retour ni lui dire merci

On aurait dû la croire aux moments fatidiques
Lorsqu’elle prédisait en transe véridique
L’avenir deviné dans le présent brumeux
Quand elle a vu le sort qui deviendrait fameux
De son frère Pâris quand elle a vu Hector
L’aîné de sa fratrie s’approcher de la mort
Et qu’elle a pressenti que le cheval de Troie
Renfermait des guerriers prêts à semer l’effroi
Parmi eux se trouvait le querelleur Ajax
Il savait manier l’arc et bomber le thorax
Et c’est lui qui pendant le saccage d’Ilion
Oubliant excité la noblesse du lion
Sans souci d’héroïsme a violé la princesse
Fille du roi Priam la triste prophétesse
Elle implorait secours à l’autel dans un temple
Auprès d’une Athéna beauté que l’on contemple
Eclatante et sévère en bronze ou marbre blanc
Qui inspirait à tous un sentiment troublant
Unissant dans ses traits la religion et l’art
La déesse offensée a noyé le soudard
Mais a laissé plus tard tuer Agamemnon
Et avec lui Cassandre une tuerie sans nom

 

Dans L’Iliade, Cassandre est considérée comme « la plus belle des filles de Priam » (chant XIII, vers 365) et elle est dite « pareille à l’Aphrodite d’or » (chant XXIV, vers 799). Lors de la chute de Troie elle a été violée par Ajax le Petit, fils d’Oïlée, qui pour ce sacrilège profanateur commis alors qu’elle s’était placée sous la protection d’Athéna, a péri dans une tempête provoquée par la déesse qui a déclenché de surcroît dans le pays du coupable des épidémies et des famines. Lors de son voyage au pays des morts (L’Odyssée, chant XI), Ulysse rencontre Agamemnon qui lui raconte comment Cassandre a été assassinée, avec lui, par Égisthe et Clytemnestre. Le texte est reproduit ci-après  dans la traduction de Victor Bérard, qui présente l’originalité d’avoir été rédigée en alexandrins, sans rimes : « au manoir d’Égisthe, où je fus invité, c’est lui qui me tua, et ma maudite femme ! Voilà de quelle mort infâme j’ai péri ! Ils ont, autour de moi, égorgé tous mes gens, sans en épargner un, tels les porcs aux dents blanches qu’au jour d’un mariage, d’un dîner par écot ou d’un repas de fête, on tue chez un richard ou chez un haut seigneur. Tu ne fus pas sans voir déjà beaucoup de meurtres, soit dans le corps à corps soit en pleine mêlée ; mais c’est à cette vue que ton cœur eût gémi ! Tout autour du cratère et des tables chargées, nous jonchions la grand-salle : le sol fumait de sang ! Et ce que j’entendis de plus atroce encor, c’est le cri de Cassandre, la fille de Priam, qu’égorgeait sur mon corps la fourbe Clytemnestre ; je voulus la couvrir de mes bras ; mais un coup de glaive m’acheva… Et la chienne sortit, m’envoyant vers l’Hadès, sans daigner me fermer ni les yeux ni les lèvres. » Cette tuerie s’explique par le double ressentiment de Clytemnestre contre son époux Agamemnon qui ne s’est pas assez fortement opposé au sacrifice de leur fille Iphigénie, et qui, de plus, s’est épris de Cassandre sa captive troyenne.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Typhon

Lorsque Zeus a chassé les Titans de son ciel
La terrestre Gaia qui n’était pas de miel
A enfanté Typhon dernier de ses enfants
Qui devait la venger de la mort des géants
Ces révoltés déchus souffrant d’un sort amer
Ces monstres mutinés dont elle était la mère

Typhon faisait mouvoir entre ses deux épaules
Distantes comme sont sur un globe les pôles
Cent têtes de serpent d’où jaillissait le feu
D’où s’écoulait le noir d’un liquide suiffeux
Quand il faisait flasher ses yeux sans crier gare
Et que flambait alors chacun de ses regards
Sur ses proies convoitées dans un monde ennemi
Qu’il cherchait à brûler sans aucun compromis

Il détestait ce règne où pesait le pouvoir
De ces divinités qu’il ne voulait plus voir
Celles qui prétendaient créer la nouveauté
En mettant sans piété les Anciens de côté
Tandis que lui voulait reléguer à l’écart
Les nouveaux dominants mettre Zeus au rancart
Attaquer pour cela sa membrure d’humain
En coupant les tendons de ses pieds de ses mains
Que Pallas et Hermès ont pu remettre en place

Les Olympiens vaincus qui s’écriaient « hélas »
Ont pu réafficher leurs visages normaux
Après s’être cachés sous forme d’animaux
Ils ont quitté la peur en sortant de leurs cryptes
Où ils s’étaient plongés dans le désert d’Egypte
Et Zeus revigoré a projeté Typhon
Sous l’Etna qui crachait la lave des tréfonds
Là se trouvait déjà le géant Encelade
Qui secouait la terre à force de ruades

 

Le grec Hésiode ayant vécu au VIIIe siècle av. J.-C. a consacré les vers 820 à 880 de sa Théogonie, qui en compte un millier, au monstre Typhon, le dernier enfant de Gaïa la Terre, mère de nombreuses divinités primordiales et monstrueuses parmi lesquelles se trouvent les Titans et les Géants, sans parler des Cyclopes et des Hécatonchires (êtres aux cent bras, gigantesques et violents). A cette généalogie se rattachent les dieux grecs « classiques », en particulier Zeus, le plus puissant de leur Panthéon, né de l’union entre le Titan Cronos et la Titanide Rhéa, sa soeur. Dans cette mythologie, les dieux et les monstres ont une même origine, ils descendent tous de Gaïa « aux larges flancs », comme la nomme Hésiode au vers 117 de la Théogonie. Aujourd’hui le nom de Gaïa, pour des raisons écologiques sur lesquelles il n’est pas besoin de s’étendre, a pris une valeur positive, mais l’Antiquité ne le présente pas ainsi, pas plus qu’elle ne flatte les divinités masculines des origines, telles qu’Ouranos et Cronos. Ce dernier a aidé sa mère à tirer vengeance de son père Ouranos, qu’il a castré avec la faucille (harpè) qu’elle lui a donnée. Par la suite Zeus, avec l’aide de ses frères et sœurs, s’est emparé du pouvoir en attaquant Cronos et les Titans (titanomachie). Puis il a dû, avec les Olympiens, lutter contre les Géants, nés du sang d’Ouranos, excités par leur mère Gaïa (gigantomachie). Enfin, il a affronté Typhon ou Typhée, autre fils de Gaïa, qui a d’abord mis en fuite les Olympiens obligés de se réfugier en Egypte et de se dissimuler sous une apparence animale (Ovide, Les Métamorphoses, V, vers 321 et suivants) : Héra-Junon s’est transformée en génisse blanche, Apollon en corbeau, Dionysos en bouc, Artémis-Diane en chatte, Hermès-Mercure en ibis… Typhon a pu désarmer Zeus pourtant aidé par Athéna. Il lui a coupé les tendons des bras et des jambes avec la harpé. Mais Hermès et Pan ont remis les tendons dans le corps de Zeus, qui a réussi à écraser Typhon en jetant sur lui l’Etna.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Hermès

Heredia parnassien le poète savant
A écrit sur Hermès aux semelles de vent
Qu’il présente en berger compagnon des Naïades
Fils de Zeus et Maïa la plus jeune Pléiade
Dernière de sept sœurs au ciel perennisées
Nées d’Atlas le géant toutes divinisées

Mais je le vois plutôt dieu libre comme l’air
Messager qui filait en sandales légères
Ami des chemineaux le long des grands chemins
Vers le but de leur marche il guidait les humains
Et montrait son visage à chaque carrefour
Accompagnait ainsi constamment le parcours
Du voyageur cherchant ainsi qu’un écriteau
Sa tête familière au sommet des poteaux
Sa présence à l’étape était une assistance
Elle indiquait la route et scandait la distance

Il faudrait cependant ne pas perdre de vue
Toute l’habileté dont il était pourvu
Ingénieux qu’il était – parfois même voleur –
Depuis qu’à  sa naissance en inventant des leurres
Il avait dérobé les vaches d’Apollon
Cachées dans une grotte ou au creux d’un vallon

Il obtenait toujours une grande indulgence
Par exemple en ce cas quand par intelligence
Contre les animaux qu’il venait de voler
Il a offert la lyre instrument bricolé
A l’aide de boyaux et d’une carapace
De tortue évidée pour charmer le Parnasse
Créer de l’harmonie et gagner le pardon
Dès lors que son larcin s’achevait par un don

 

José-Maria de Heredia, dans la partie de ses Trophées consacrée à la Grèce et à la Sicile, a dédié un sonnet à Hermès criophore, c’est-à-dire porte-bélier ou porte-agneau: « Il faut lui faire fête et qu’il se sente à l’aise / Sous le toit de roseaux du pâtre hospitalier ; / Le sacrifice est doux au Démon familier [dieu de la maison] /Sur la table de marbre ou sur un bloc de glaise. / » Le surnom de « criophore » a été donné à Hermès en souvenir d’un service rendu à la ville de Tanagra, que le dieu coiffé d’un bonnet de pâtre, revêtu d’un manteau et d’une tunique, avait sauvée de la peste en portant un bélier sous le bras ou sur l’épaule autour de la ville. Hermès passait pour le plus rusé des immortels. On redoutait ses facéties, mais il était généralement au service du bien, agent des dieux, protecteur des héros, quoiqu’ il fût aussi le dieu du commerce et même du vol. Dans la Gigantomachie, il est coiffé du casque d’Hadès qui rend invisible celui qui le porte, ce qui lui permet de tuer le géant Hippolytos. C’est lui qui sauve Zeus pendant la lutte contre Typhon. Souvent, il est le messager de la volonté divine. Dans L’Odyssée il intervient deux fois au bénéfice d’Ulysse, une fois en transmettant à Calypso l’ordre de le relâcher et de l’aider à construire un radeau pour le porter jusqu’à Ithaque, une autre fois, chez Circé, en lui faisant connaître la plante magique qui le protégera des enchantements. Une des aventures d’Hermès les plus connues est la mort d’Argos-Argus aux cent yeux qu’Héra avait posté comme gardien de la belle Iô transformée en génisse. Et c’est lui qui a été chargé d’accompagner les trois déesses Héra, Aphrodite et Athéna en Phrygie sur le mont Ida pour que Pâris désigne la plus belle. Enfin, il avait pour tâche de conduire les âmes des défunts aux Enfers, d’où son surnom de « psychopompe », accompagnateur des âmes.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : la gigantomachie

Pour venger les Titans enfermés au Tartare
– Le cachot des Enfers un terrible mitard –
Gaia la primordiale a lancé les géants
Qui étaient ses enfants brutaux et malséants
Contre Zeus et sa cour afin qu’ils montent grimpent
Progéniture énorme à l’assaut de l’Olympe
Capable en quelques bonds d’escalader les cieux
Et de mettre en danger la cohorte des dieux
En dardant vers le ciel des troncs d’arbre enflammés
Comme s’il s’agissait de vulgaires framées
Catapultant aussi de leur bras des montagnes
Qu’ils saisissaient sans peine en leur énorme poigne

Entre tous remarquable était Alcyonée
Tué par Héraclès d’un trait empoisonné
Ainsi que Damysos qui courait le plus vite
Pas assez néanmoins pour que la mort l’évite
Les flèches décochées par le même héros
– Qui n’était certes pas un galant archerot
Et qui était venu prêter aux dieux main forte
Par l’arc et la massue plus puissant qu’une escorte –
Ont rayé Ephialtès du monde des vivants

Encelade fuyant son divin poursuivant
Se  trouve enseveli sous l’île de Sicile
Jetée sur lui par Zeus écrasant projectile
Le souffle du géant s’échappe par l’Etna
Cependant que Pallas tombe sous Athéna
Qui par un roc massif l’enfonce et le terrasse
Ecorché il devient une peau de cuirasse
Dont elle se revêt on voit sur les frontons
Qu’elle apprécie la guerre autant que la raison
Et qu’elle prend plaisir au cours de la bataille
A saisir aux cheveux les géants pleins d’écailles

 

La Gigantomachie ou lutte des géants et des dieux, était, comme le note Pierre Grimal dans son Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, un thème favori de la sculpture, « en particulier destiné à orner les frontons des temples : les corps des monstres, terminés en serpents, se prêtaient admirablement à remplir les angles et à terminer une composition. » La mythologie nous apprend que les dieux ont été aidés dans leur combat par Héraclès-Hercule. La gigantomachie la plus célèbre est celle de la frise qui ornait l’autel de Pergame en Asie mineure, et qui se trouve depuis la fin du XIXe siècle à Berlin, au « Pergamon museum », où je l’ai vue à la fin de 1989. J’étais alors chargé des relations fiscales internationales au ministère de l’économie et des finances à Paris. J’en ai parlé dans mon livre intitulé Quatre familles dans les guerres (2014) : « Au musée abritant les frises hellénistiques de Pergame, animées de combats opposant aux géants le parti de Zeus, cette gigantomachie aurait pu représenter sur un mode mythologique l’affrontement [de la Guerre froide] entre l’est et l’ouest. Les déesses grecques, athlètes émérites, même les intellectuelles comme Athéna, n’étaient pas les dernières à empoigner l’adversaire… Ce voyage a eu pour principal résultat  la mise au point d’un accord fiscal, l’un des derniers traités, sinon le dernier (jamais appliqué), de l’Allemagne de l’Est avant son effondrement. »

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Ulysse rencontre sa mère et celle d’Œdipe aux Enfers

Dans l’Odyssée chant onze Ulysse a raconté
Qu’il a rencontré ceux dont on ne peut compter
Les jours encore à vivre ils n »étaient que fantômes
Ombres constituées de transparents atomes
Ulysse était venu consulter un défunt
Au bord du monde noir Tirésias le devin
Une vision paraît qui sitôt le désarme
A sa vue la pitié remplit ses yeux de larmes
C’était Anticleia sa mère qui lui dit
D’une voix qui sonnait comme une mélodie
Surprenante venant d’une forme sans corps
« Mon fils j’en suis heureuse ainsi tu vis encore
Voguant à l’aventure après un si long temps
Quel bonheur de savoir que tu vis cœur battant
Quant  à moi je suis morte accablée de tristesse
Mon âme n’avait plus force ni robustesse »
Ulysse aurait voulu mieux regarder ses traits
Se disant que jamais il ne la reverrait

Tandis qu’Anticléia lui tenait ce discours
Des âmes s’assemblaient pour venir à leur tour
Evoquer la noirceur de leurs chagrins passés
Dans la foule il voyait tant de morts se presser
Au premier plan desquels cette belle Epicaste
Que les Tragiques grecs ont appelée Jocaste
Malheureuse elle a fait ce que la loi défend
ayant perdu son homme épouser son enfant
Cause de son veuvage Oedipe parricide
Et dans son désespoir aller jusqu’au suicide
Pour oublier enfin l’inceste ce forfait
La honte le regret le remords l’étouffaient

 

Au chant XI de L’Odyssée, Ulysse atteint l’entrée des Enfers et y rencontre notamment sa mère Anticleia ainsi que la mère d’Œdipe, présentée par Homère comme « cette belle Epicaste [Jocaste chez les Tragiques grecs] qui, d’un cœur ignorant, commit le grand forfait : elle épousa son fils ! Meurtrier de son père et mari de sa mère ! … Affolée de chagrin, elle avait, au plafond de sa haute demeure, suspendu le lacet [pour se pendre].» La douceur émouvante et triste du dialogue entre Ulysse et sa mère contraste avec la violence des forfaits du côté de Jocaste. Cette dernière a eu quatre enfants avec Œdipe : deux fils, Étéocle et Polynice, et deux filles,  Antigone et Ismène. Œdipe roi de Sophocle révèle ce qui s’est réellement passé. Pour sauver Thèbes, en proie à une terrible peste, Œdipe devait découvrir et punir le meurtrier du roi Laïos, premier époux de Jocaste. Au fil de ses recherches, il découvre qu’il est lui-même le meurtrier, que c’est son véritable père qu’il a tué, et qu’il a en outre épousé sa mère. Il se crève les yeux pour ne plus voir ce qu’il a fait. D’après L’Odyssée, il reste à Thèbes, mais d’après les Tragiques, il quitte la ville, soit avant (Sophocle dans Œdipe roi et Œdipe à Colone), soit après la mort de ses deux fils (Euripide dans Les Phéniciennes). Dans les deux cas, avant de mourir, il maudit ses fils, qui ont négligé leur devoir en ne prenant pas soin de lui. C’est cette malédiction qui les amène à se battre et à s’entretuer pour le trône de Thèbes (c’est le sujet des Sept contre Thèbes). Dans cette famille, le crime de fratricide s’ajoute ainsi au parricide, à l’inceste et au suicide.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Jason et Médée

Quand Jason fils d’Eson natif de Thessalie
(Qui est tournée vers l’est et non vers l’Italie)
Est revenu chez lui réclamer face à face
Le trône qu’usurpait le dénommé Pélias
– Le frère de son père – il a vite compris
Que celui-ci cherchait à l’envoyer au diable
Afin de transformer en fait irrémédiable
Une appropriation douteuse à confirmer
En douceur sans léser sa propre renommée
Certain que son neveu ne pourrait que périr
S’il acceptait d’aller si loin pour conquérir
La toison d’or gardée par un serpent dragon
Furieux comme un dément qui sortait de ses gonds

Jason plein de confiance accepte cette épreuve
C’est l’occasion pour lui de voir des terres neuves
Sur son navire Argo cinquante compagnons
partageaient de bon coeur cette même ambition
Manoeuvrant à la rame aussi bien qu’à la voile
Suivant tantôt la côte et tantôt les étoiles
Ils ont réalisé leur périlleux dessein
Celui d’aller chercher au bout du Pont-Euxin
La toison au pays qu’on appelait Colchide
La princesse du lieu magicienne sans bride
Médée l’experte en sucs philtres noirs et poisons
Les a beaucoup aidés par passion pour Jason
Mais elle a égorgé ses enfants nés d’amour
Quand les serments trahis sont devenus discours

Le récit d’aventure aurait l’air incomplet
Si je me dispensais d’ajouter un couplet
Pour préciser qu’Orphée membre de l’équipage
Déployait sa musique au cours de ce voyage
Dès qu’il fallait brouiller par un chant plus puissant
Les appels de sirène au charme ensorcelant

 

Eson a été dépossédé par son frère Pélias du trône d’Iolcos en Thessalie (aujourd’hui Volos, au pied du mont Pélion). Son fils Jason, sauvé des intentions homicides de Pélias par sa mère qui l’a fait passer pour mort, a été recueilli et élevé par le savant centaure Chiron, éducateur aussi d’Actéon, d’Asclépios et d’Achille. Devenu adulte, Jason est venu réclamer le trône d’Iolcos à Pélias qui a promis de le lui rendre à condition que le jeune homme traverse la Mer Noire jusqu’en Colchide pour en rapporter la toison d’or. Ayant pris la tête de l’expédition des Argonautes, Jason est parvenu auprès du roi de Colchide, gardien de la toison, qui l’a soumis à des épreuves dont il a triomphé grâce à la fille du roi, Médée la magicienne, tombée amoureuse de lui. Il s’est emparé de la toison en profitant de l’endormissement du dragon qui veillait sur ce bien, endormissement obtenu par l’effet d’une plante magique jetée sur le monstre par Médée (Ovide, Les Métamorphoses, VII, 1-403). Après un grand circuit de navigation et d’exploration maritime et fluviale passant de la Mer Noire au Danube puis du Danube au Pô et au Rhône, puis de ces fleuves à la Méditerranée, l’expédition à rejoint la Grèce, à Corinthe, où Jason et Médée qui s’étaient mariés ont vécu heureux pendant dix ans. Les choses se sont gâtées quand le roi de Corinthe a poussé Jason à épouser sa fille en répudiant Médée. Celle-ci s’est vengée de manière sauvage en égorgeant les enfants que Jason lui avait donnés et en envoyant à sa rivale une robe de noces qui s’est enflammée dès qu’elle a été revêtue par la destinataire. Comme sources littéraires de l’Antiquité relatives à Jason et Médée, on peut citer, outre les Métamorphoses d’Ovide déjà mentionnées, la Médée d’Euripide et les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes  (poète épique du IIIe siècle av. J.-C., directeur de la fameuse bibliothèque d’Alexandrie…)

 

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Mythologie : Polyphème le Cyclope

Fils de Poséidon le monstre Polyphème
Etait l’un des Yeux-Ronds grands diseurs de blasphèmes
Qui n’avaient à leur front qu’un seul œil menaçant
Hostile coléreux tout injecté de sang
C’est ainsi qu’a paru le cyclope rageur
Devant le sage Ulysse et ses navigateurs
Quand ils ont débarqué sur une île inconnue
Et qu’ils ont essayé d’adoucir leur venue
En invoquant les dieux garants de la coutume
Orale mais sacrée non écrite à la plume
Assurant l’étranger de l’hospitalité
Qu’on doit aux voyageurs même sans qualité
Venus de l’horizon c’est-à-dire du ciel
Au-delà du visible et du superficiel

Le cyclope dont l’œil bizarrement reluit
Répond par un sarcasme adressé à celui
Qui se conduit en chef meneur de petits hommes
Sortis de l’océan comme d’un aquarium
« Tu veux que moi je craigne et respecte les dieux
« Sache que les Yeux-Ronds ne sont pas religieux
« Qu’ils n’ont pas de pitié sous une rude écorce
« Et qu’ils ne croient à rien si ce n’est à la force »
A ces mots il saisit en ouvrant ses deux mains
Deux compagnons d’Ulysse et sans autre examen
Les déchire et les brise il en fait sa mangeaille
Alors se souvenant des combats des batailles
Ulysse prend un pieu qu’il avait préparé
Pour le lancer dans l’œil du monstre sidéré
« N’oublie pas lui crie-t-il que mon nom est Personne »
Polyphème aveuglé dans l’antre qui résonne
par ses éclats de voix bat le rappel des siens
Mais il ne peut leur dire à quel liliputien
A quel mortel chétif imputer sa blessure
Dans son aveuglement plus rien n’est clair ni sûr

 

Le nom de « Cyclope » (Œil-Rond en grec ancien) fait allusion à l’œil unique que ces géants possédaient au front. On a pensé qu’ils personnifiaient les volcans au cratère arrondi, du côté de la Sicile (Etna, Stroboli, Vulcano) et du côté de Naples (Champs Phlégréens, Vésuve qui a causé l’ensevelissement de Pompéi). Le Cyclope le plus connu, immortalisé par Homère (L’Odyssée, IX) est Polyphème, qui vivait du lait et du fromage de ses brebis. Tombé amoureux de la Néréide Galatée (dont le nom signifie « blanche comme le lait ») qui lui préférait le berger Acis, il a écrasé son rival sous un rocher (Ovide, Les Métamorphoses, XIII, 705-897). Il a été l’hôte involontaire d’Ulysse qui, réfugié dans la caverne du monstre à un moment de son errance après la guerre de Troie, lui a crevé l’œil pour se sauver. Polyphème, à qui Ulysse avait prétendu s’appeler Personne, hurlant de douleur et de rage, a ameuté les autres Cyclopes, mais lorsque ceux-ci lui ont demandé qui était responsable de son mal, il n’a su répondre que : « Personne ». Ulysse, le sage mais surtout « aux mille ruses », a pu s’échapper avec ses compagnons encore vivants en se dissimulant sous les bêtes du troupeau qui se pressait pour sortir de l’antre où Polyphème les gardait.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Khiron (Chiron)

Khiron fils de Cronos  et d’une océanide
Semblait une chimère à l’apparence hybride
Mi-homme mi-cheval car il était le fruit
Des amours du titan lequel avait séduit
Par un corps d’étalon portant haut sa crinière
La fille d’Océan fougueuse cavalière
Qui prenait du plaisir dans la vague au galop
Et courait sur les eaux plus vite que les flots
De cette union est née Ocyrhoé la rousse
Dont les membres tremblaient de profondes secousses
Quand elle prévoyait l’avenir incertain
Et qu’elle prédisait les secrets des Destins
Si bien que ces derniers craignant cette rivale
L’ont métamorphosée en muette cavale

Khiron frère de Zeus était d’un plus haut rang
Qu’un centaure ordinaire il était différent
Se montrait supérieur en savoir et sagesse
Dispensait ses leçons avec grande largesse
Précepteur d’Asclépios d’Actéon de Jason
Sur les flancs du Pélion et sous les frondaisons
Il leur communiquait sa science multiple
Achille était du nombre un excellent disciple
Héritier d’une lance incommode à manier
Mais puissante taillée (par le bon façonnier
Qu’était son instructeur) dans un long bois de frêne
Une arme qui volait sans que rien ne la freine
Vers la cible et le but à savoir l’ennemi
Khiron blessé lui-même et tué à demi
-il était immortel sans être invulnérable-
Atteint par accident d’une flèche incurable
Au côté d’Héraclès comprenant que sans fin
Sans mort il souffrirait vivant jamais défunt
A préféré troquer l’existence éternelle
Contre un repos final dans une vie mortelle

 

Dans la mythologie grecque et latine, Khiron (Chiron en français) est un bon centaure, fils de Cronos et de l’océanide Philyra. Contrairement aux autres centaures, il est non seulement immortel mais aussi réputé pour sa sagesse et ses connaissances. On lui a confié l’éducation de nombreux héros qui sont devenus ses disciples, notamment Asclépios, les Dioscures, Jason, sans omettre Achille fils de Pélée. Parmi les cadeaux reçus par Pélée lors de son mariage avec la néréide Thétis figurait une lance de frêne coupée par Chiron sur le mont Pélion (Iliade, XVI, vers 139-144 et XIX, vers 387-391 ; voir aussi Ovide, Les Métamorphoses, XII, vers 70-97), arme longue, lourde et puissante, que seul Achille savait manier. La fin de Chiron fait partie d’un épisode connu sous le nom de Centauromachie. Chiron avait été l’hôte d’Héraclès qui l’aimait et l’estimait. Il a combattu aux côtés de ce héros dans sa lutte contre les centaures lorsqu’il a fallu chercher puis ramener le sanglier d’Érymanthe (le troisième des douze travaux d’Hercule). Dans une mêlée, Héraclès a tiré une flèche qui a atteint par mégarde Chiron au genou. Le blessé a tenté d’appliquer un onguent sur la plaie, mais celle-ci n’était pas guérissable : Héraclès avait trempé les pointes de ses flèches dans le sang empoisonné de l’Hydre de Lerne (le deuxième des travaux d’Hercule). Souffrant de douleurs intolérables, Chiron, bien qu’immortel, a demandé la mort aux dieux. Ceux-ci lui ont accordé d’échanger sa nature avec celle d’un mortel qui était Prométhée. Zeus a aussitôt fait de Chiron la constellation du Centaure, ou du Sagittaire.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Penthée contre Dionysos-Bacchus

Ainsi qu’un champ fertile où lèvent des semailles
Sémélé de Cadmos portait dans ses entrailles
La semence de Zeus mais Héra déguisée
En femme aux cheveux blancs pour mieux s’humaniser
Se montrant sous les traits d’une vieille nourrice
A celle que le dieu tenait sous son caprice
Par des propos trompeurs sans peine la convainc
De voir si cet amour est humain ou divin
L’amant veut bien prouver qu’il commande à l’orage
Au tonnerre à la foudre imprudent il fait rage
Autour de Sémélé de son corps délicat
Elle meurt consumée de feux et de fracas
Son enfant qui n’était qu’un être embryonnaire
Prématuré sauvé du ventre de sa mère
Dans sa cuisse ou son flanc Zeus le met à l’abri
Avant qu’il naisse enfin sautant comme un cabri

Ainsi a commencé le grand Dionysos
Dont le culte violent pouvait être féroce
Dans des festivités finissant en orgies
Où l’hallucination semblait une magie
De ce dieu dénommé chez les Romains Bacchus
Qui avait voyagé au-delà de l’Indus
Souvent ses initiés dans leur sauvagerie
Avaient l’air de sortir de quelque fauverie
Penthée les combattait résolu contempteur
Roi de Thèbes châtié comme profanateur
Démembré par les mains de sa mère en furie
Dans un état second de folle barbarie
Par les mains d’Agavé meneuse de Bacchantes
Ivres d’une boisson volée aux Corybantes
Ou d’un breuvage pire altérant leur vision
Et leur faisant l’effet d’une étrange explosion
Tandis qu’elles couraient vêtues de peaux de bêtes
Comme si dans leur crâne éclataient des tempêtes

Leconte de Lisle a écrit dans ses Poèmes antiques (1886) une « Mort de Penthée » (roi de Thèbes d’après la version la plus courante du mythe) qui se trouvait être un cousin de Sémélé, mère de Dionysos. Penthée, hostile à cette divinité du vin et de l’ivresse dont les sectateurs et sectatrices créaient du désordre, avait essayé d’espionner les mystères de ce culte, mais il a été repéré sur le mont Cithéron proche de Thèbes par des femmes hallucinées soeurs de Sémélé, Autonoé, Ino et Agavé, cette dernière étant la propre mère du roi. Chassé par ses poursuivantes qui le prenaient pour un sanglier, il voulait s’enfuir :
Mais les femmes, nouant leurs longues draperies,
Bondissaient après lui, pareilles aux furies,
La chevelure éparse et l’œil ensanglanté.
-D’où vient que la fureur en vos regards éclate,
Ô femmes ? criait-il ; pourquoi me suivre ainsi ?-
Et de l’ongle et des dents toutes trois l’ont saisi :
L’une arrache du coup l’épaule et l’omoplate ;
Agavé frappe au coeur le fils qui lui fut cher ;
Inô coupe la tête ; et, vers le soir, dans Thèbe,
Ayant chassé cette âme au plus noir de l’Érèbe,
Elles rentraient, traînant quelques lambeaux de chair.
C’est le sujet d’une tragédie d’Euripide : Les Bacchantes, représentée en 405 av. J.C. Ovide a parlé de Penthée aux livres III et IV de ses Métamorphoses. Quand, de la même manière que Penthée, Lycurgue roi de Thrace a voulu traiter Dionysos comme un imposteur étranger, il a été égaré au point de tuer son propre fils. Et contre Argos qui le rejetait, c’est aussi par l’arme du délire que Dionysos a manifesté sa puissance : les Argiennes, frappées de démence, ont dévoré leurs enfants. La répétition de ces épisodes mythologiques conduit à penser que le culte alors récent de Dionysos a rencontré en plusieurs endroits une même opposition, que le dieu a châtiée par la folie furieuse poussant des parents à tuer leurs propres enfants.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : voeu pour 2020

Dire une chose et son contraire
Faire les deux en même temps
C’est désirer que l’on enterre
Ce qui est clair et consistant

Celui qui croit ainsi s’abstraire
De la logique en répandant
La confusion et l’arbitraire
Finalement sera perdant

Il n’est pas bon qu’un dirigeant
Soit attiré par ces errances
Dans le pays qu’on nomme France

Quand on a peur d’être Gros-Jean
Et qu’on se fie à Machiavel
Gare aux retours de manivelle

Il faut rester intelligent
Comprendre agir avec scrupule
Tel est le vœu que je formule

 

Je souhaite pour 2020 moins de philistinisme déguisé en machiavélisme et moins de DRH (directeurs des ressources humaines en entreprise) propulsés au gouvernement pour traiter des questions sociales qui agitent le pays. De petits machiavels qui ne se veulent ni de droite ni de gauche mais « en même temps » des deux côtés, persuadés qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment et que les mots n’engagent que ceux qui les écoutent, sont à l’œuvre dans les palais de la République. Quant aux DRH, typiques d’un certain caporalisme régnant dans le secteur privé, ils sont devenus aujourd’hui ministre du travail et secrétaire d’État chargé des retraites (ce dernier nommé le 18 décembre 2019). Selon L’Express se référant au journal Le Monde du même jour : « pendant que le nouveau secrétaire d’État aux retraites était responsable des ressources humaines dans le magasin Auchan de Béthune, en 2002, une employée du rayon boulangerie, qui est aussi déléguée CFDT, avait été mise à pied à titre conservatoire, selon le syndicat. En cause : une erreur de commande sur deux viennoiseries. La salariée en question aurait été convoquée au commissariat et placée en garde à vue, selon la CFDT, avant d’être finalement réintégrée. » (Voir aussi des variantes peu différentes de la même histoire parues le 18 décembre 2019 par exemple dans La Voix du Nord ou dans l’Obs). Élu député macroniste en 2017, le nouveau secrétaire d’État, « candidat à la présidence de la commission des affaires sociales [de l’Assemblée nationale] en juillet 2019 […] a pourtant été éliminé dès le premier tour », d’après Le Point du 18 décembre 2019. Mais, désormais, il a obtenu sa promotion.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : Noël à l’âge de raison

 

A six ans et demi Sacha n’est plus très sûr
Qu’un vieux père Noël passant à son insu
Dépose des cadeaux fin décembre le soir
Visiteur mystérieux qui se cachant déçoit

Cette histoire est peut-être un conte peu sincère
Bien que tous alentour lui fassent grand succès
Se dit l’enfant cherchant lui-même à l’éclaircir
Lorsqu’en début d’hiver la nuit s’est obscurcie

Des copains certifient avoir vu de leurs yeux
Ce bon distributeur en rouge et barbe blanche
sortir plus d’un paquet de ses poches ses manches

Mais malgré son désir d’un monde merveilleux
– Qui est aussi le lieu des monstres qu’il redoute –
Sacha rentre dans l’âge où l’on raisonne et doute

 

Peu avant le 24 décembre, Sacha qui participait à la décoration du sapin en fixant aux branches des guirlandes lumineuses et une boule décorative marquée à son nom nous a confié ses réflexions au sujet du père Noël. Il nous a dit qu’un de ses camarades de classe était certain d’avoir aperçu cet être mystérieux, mais que lui-même, Sacha, avait des doutes, de même qu’il doutait finalement de l’existence des monstres qui parfois lui faisaient peur, tapis dans l’ombre. En tant que grands-parents respectueux de ce qu’il pensait et de ce que d’autres proches avaient pu lui dire, nous ne l’avons pas exhorté à cesser de « croire au père Noël ». Je me suis toutefois interrogé sur cette croyance qui est probablement surtout le fait des adultes, prêts à rêver de manière nostalgique sur leur propre passé et à se reprocher tout ce qui pourrait désenchanter le monde des enfants, alors même que ceux-ci, en grandissant, demandent de l’aide pour bien exercer leur jugement, y compris le soir de Noël.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : le jugement de Pâris

Lorsque Pâris est né sa mère a vu en songe
Qu’il ferait brûler Troie n’était-ce qu’un mensonge
Ou le rêve était-il héraut de vérité
Le père se méfiant de sa postérité
Superstitieux en diable et soumis aux présages
Croyant que l’avenir n’appartient pas aux sages
Aux flancs du mont Ida laisse le nouveau-né

Des bergers vont sauver l’enfant abandonné
Qui grandit et devient après l’adolescence
Un Troyen séducteur à la belle prestance
Choisi par l’Olympien l’assembleur de nuées
– Non parmi les guerriers avides de tuer
Mais parmi les mortels que leurs amours enflamment –
Pour dire qui des trois est la plus belle femme
Entre Junon Vénus Minerve les divas
Dignes de récolter les plus fervents vivats

Héra-Junon parée de ses boucles d’oreilles
Arbore un vêtement reflétant le soleil
Ses cheveux sont en ordre artistement tressés
Mais Pâris n’a pas l’air de s’y intéresser
Et c’est  aussi d’un œil négligent qu’il observe
Les beaux atours portés par Athéna-Minerve
La déesse aux yeux pers qui les a fabriqués
Sans drapés superflus sans plissés compliqués

Le juge du concours – sa religion est faite –
Préfère la troisième à la beauté parfaite
Et lui tend donc la pomme où Discorde a écrit
Ces mots « A la plus belle » il n’entend pas les cris
Des déesses battues par Vénus-Aphrodite
Qui vont faire de Troie des ruines décrépites
A force de vouloir détruire la cité
Dont est issu cet homme arbitre des beautés

 

 

Aux noces des futurs parents d’Achille, Pélée et la néréide Thétis, Eris la Discorde a lancé parmi les Olympiens une pomme d’or destinée à être offerte à la plus belle des déesses. Aucun invité divin n’ayant voulu s’aventurer à porter un tel jugement, Zeus a prié Hermès de conduire les candidates sur le mont Ida, qui domine la ville de Troie, pour comparaître devant le beau Pâris, fils cadet du roi troyen Priam. Dans l’espoir de l’emporter, Héra a promis à cet arbitre trop humain l’empire de l’Asie, tandis qu’Athéna lui offrait la sagesse et la victoire. Mais Aphrodite lui a proposé l’amour de la plus belle femme qui fût au monde, et elle l’a emporté en gagnant le prix prévu, c’est-à-dire le fruit d’or, la « pomme de Discorde ». La plus belle des femmes était Hélène, épouse de Ménélas le roi de Sparte. Il en est résulté une conflagration générale, celle de la guerre de Troie entre les Troyens d’Asie mineure dont faisait partie Pâris et les Grecs d’Europe dont faisait partie Ménélas, soutenus les premiers par Aphrodite et les seconds par Athéna et par Héra. Les Grecs étaient unis par un pacte, celui de défendre personnellement, si besoin était, l’honneur de l’homme qu’Hélène aurait choisi. Ce pacte était une idée d’Ulysse qui, pour prix de son conseil, a été introduit dans la famille royale de Sparte en recevant la main de Pénélope, nièce de Tyndare (père de Ménélas et d’Agamemnon). C’est notamment de cette manière qu’Ulysse fait le lien entre l’Iliade et l’Odyssée dont il est le héros principal. Pour revenir à Pâris – dont la réputation guerrière était médiocre – Homère ne parle pas de la façon dont il aurait tué Achille. Les Latins Virgile (l’Enéide, VI, 56-58) et Ovide (Les Métamorphoses, fin du livre XII, 598-606) nous racontent que Pâris serait parvenu, avec l’aide d’Apollon, l’archer divin, à blesser mortellement Achille « aux pieds rapides » d’une flèche à l’endroit de son corps le plus vulnérable, la cheville, talus en latin (le « talon d’Achille »). Pâris lui-même aurait été tué par une flèche de Philoctète.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : variations vénusiennes

Au début de ses vers le poète Lucrèce
Pour obtenir de l’aide invoque la déesse
Grâce  à qui tout fleurit dès que vient le printemps
Saison du renouveau celle des cœurs battants
La déesse qui donne aux naissants la lumière
En remplissant leurs yeux d’une clarté première
Par qui les animaux ressentent l’appétit
De propager la vie entre corps assortis
Par qui ce qu’il y a de joyeux et d’aimable
Embellit l’existence avec de l’inflammable
Et par qui la beauté qu’on nomme vénusté
Même chez les mortels parvient à exister

***

Le Soleil attentif se vante de tout voir
Il a surpris Vénus qui dans un lit d’ivoire
Pudique apparemment sans pourtant renâcler
S’abandonnait à Mars à ses ardeurs musclées
L’astre-dieu clairvoyant a rapporté la scène
– La trouvant disait-il peu digne et presque obscène –
A Vulcain le mari trahi par ces ébats
lesquels mimaient plutôt la passion d’un combat
Presque aussitôt Vulcain que la colère anime
Prépare dans sa forge usine avec sa lime
Un fin filet de bronze où il prend les amants
Capturés dans ce piège en plein chevauchement
L’Olympe tout entier convié au spectacle
Est venu voir Vénus qu’on portait au pinacle
Elle a un air honteux prise avec son coquin
Dans le feu de l’action par son boiteux Vulcain
L’assemblée d’immortels en cercle autour du couple
Enserré sous leurs yeux dans des mailles peu souples
Eclate d’un grand rire impossible à celer
A la vue de ces nus drôlement ficelés

 

Aphrodite-Vénus, dont le nom évoquait pour les Grecs celui de l’écume (aphros), est née des flots. Le doux Zéphyr l’a apercue alors qu’elle sortait de l’onde non loin des côtes de Palestine. Il l’a transportée dans une conque de nacre jusqu’à Chypre, ancienne colonie phénicienne. La première passion d’Aphrodite a été le jeune syrien Adonis, mortellement blessé à la chasse. Tous les dieux ont été frappés d’admiration dès l’apparition de la déesse dans l’Olympe, c’est le plus disgracié, le laid et boiteux Héphaïstos-Vulcain, qui l’a obtenue en mariage. La mère d’Héphaïstos, Héra autrement dit Junon, l’aurait engendré sans l’intervention d’aucun mâle, pour montrer à Zeus-Jupiter (qui avait engendré seul Athéna-Minerve) qu’elle pouvait elle aussi se passer de l’autre sexe. Aphrodite, quant à elle, s’est dédommagée de son union mal assortie en devenant l’amante d’Arès-Mars, dieu de la guerre, dont elle a eu de nombreux enfants, en particulier Eros. Ovide raconte dans Les Métamorphoses (livre IV, vers 171-189), en suivant L’Odyssée, VIII, que Vulcain « prépare avec sa lime de minces chaînes de bronze, des filets et des lacets imperceptibles à l’œil, qui ne le cèdent ni aux fils les plus fins, ni aux toiles que l’araignée suspend aux poutres dans les hauteurs […] ; il en entoure le lit et les dispose adroitement ; à peine l’épouse et le dieu adultère se sont-ils réunis dans la même couche que, grâce à l’habileté de l’époux, pris tous les deux dans les liens de cette invention nouvelle, ils sont immobilisés au milieu de leurs embrassements. Aussitôt l’artisan de Lemnos [Vulcain] ouvre les portes d’ivoire et fait entrer les dieux ; les amants sont restés étendus, enchaînés, tout honteux ; parmi les dieux, qui n’étaient point tristes, l’un d’eux souhaita la même honte au même prix ; les immortels se mirent à rire et pendant longtemps ce fut un sujet d’entretien favori dans tout l’espace céleste » (Les Métamorphoses, livre IV, vers 171-189). Ce « rire homérique » apparaît pour la première fois dans l’Iliade, I, 599, précisément au sujet d’Hephaïstos le boiteux.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Persée fils de Danaé

 

Le roi d’Argos pour assurer sa descendance
A consulté l’oracle était-ce par prudence
Ou voulait-il forcer l’avenir incertain
Cherchait-il à contrer les ruses du destin
Il a reçu l’avis qu’il deviendrait grand-père
Mais cette prophétie du genre qu’on espère
Etait en vérité une malédiction
Puisqu’elle prédisait aussi de l’affliction
Dès lors qu’à l’avenir Persée le petit-fils
Dans un concours sportif comme par maléfice
Discobole amateur au lancer imprudent
Tuerait sans le vouloir son royal ascendant

Celui-ci désireux de déjouer l’oracle
Avait emprisonné dans un triste habitacle
– Un réduit sans fenêtre au toit bardé d’airain
Dépendant tout entier des limbes souterrains –
Sa fille Danaé privée de tout contact
Mais Zeus a traversé les voûte et mur compacts
En  se faisant pluie d’or afin que cette ondée
Puisse atteindre la belle ainsi la féconder
C’est alors que Persée dans un sombre séjour
A commencé sa vie et qu’il a vu le jour
Par la suite – exerçant les multiples emplois
D’un héros qui remplit du bruit de ses exploits
L’espace d’ouest en est – il a tué Méduse
Dont la vue pétrifiait contrairement aux muses
Tous ceux qu’elle approchait paralysés d’effroi
Même lorsque Persée l’intrépide à sang froid
Lui a tranché la gorge et brandissant la tête
Frappant les ennemis d’une horreur stupéfaite
Avec la chevelure emmêlée de serpents
Qui se tenaient dressés au lieu d’être rampants
Tandis que le héros conscient de la menace
Evitait avec soin de la saisir de face

 

Acrisios, roi d’Argos, a séquestré sa fille unique Danaé dans un réduit souterrain quand un oracle lui a prédit qu’il deviendrait grand-père mais serait mortellement blessé par son petit-fils. Or Zeus, qui avait été séduit par la beauté de Danaé,  est entré dans cette prison sous la forme d’une pluie d’or, s’est uni à la jeune femme et lui a donné un fils, Persée. Furieux, Acrisios a mis la coupable et l’enfant dans un coffre qu’il a jeté à la dérive dans la mer. Le coffre est parvenu à Sériphos, une île des Cyclades, où le roi Polydecte, tombé amoureux de Danaé, a tenté de la forcer à l’épouser. Pour éloigner Persée, devenu un robuste jeune homme qui pouvait menacer ce projet de mariage, Polydecte l’a envoyé combattre Méduse, la pire des trois Gorgones. Persée en est revenu vainqueur avec la tête de la Gorgone qu’il a décapitée grâce à l’aide d’Athéna. Il s’est servi du pouvoir pétrifiant de cette tête utilisée comme une arme notamment dans ses rencontres à l’ouest de l’Afrique avec Atlas qu’il a changé en montagne et à l’est de l’Afrique avec Andromède qu’il a délivrée d’un monstre marin avant de l’épouser (Ovide, Les Métamorphoses, IV, vers 603-803). Il voyageait porté par des ailes attachées à ses pieds « de la façon qu’on nous peint Mercure », écrit Corneille (voir ci-dessous), qui le présente en « chevalier errant », évoquant ainsi les romans de chevalerie en vogue du temps du dramaturge. De retour en Grèce, Persée a changé en pierre Polydecte qui niait la mort de Méduse (Ovide, Les Métamorphoses, V, vers 236-242). Et comme l’avait annoncé l’oracle, il a tué accidentellement Acrisios. Sa mère Danaé est mentionnée dans les tragédies d’Eschyle, d’Euripide et de Sophocle (on dit qu’elle symbolise la fécondité de la terre sur laquelle descend la pluie fertilisante). Corneille a tiré des Métamorphoses d’Ovide une Andromède avec des parties lyriques, tragédie en cinq actes écrite en 1647 et jouée avec succès en 1650.

Mythologie : Actéon

Petit-fils de Cadmos le fondateur de Thèbes
Actéon le chasseur était un bel éphèbe
Qui courait les forêts et prenait au filet
Des animaux furieux très loin de son palais
Avec ses compagnons et leur troupe canine
Inspirant de la crainte à la gent féminine
Quand ils s’en revenaient heureux comme des rois
Fiers de leur corps musclé trempé du sang des proies

Le jour avait atteint plus qu’à moitié sa course
Dans un lieu retiré fréquenté par les ours
Les sangliers les loups au milieu des cyprès
Et des épicéas qui le gardaient secret
Protecteurs d’une grotte aux légères voussures
Où Diane court vêtue trouvait un abri sûr
Et quittait son carquois son arc son javelot
Son vêtement léger pour se baigner dans l’eau
Qu’une source épanchait au rythme d’un murmure
A peine un chuchotis ténu sous la ramure

Actéon la surprend par hasard en ce lieu
Des nymphes faisaient cercle autour d’elle au milieu
Signalée par sa taille et sa figure altière
Avec pour seul habit la senteur forestière
Ce qui selon certains a causé le trépas
Du héros qui a vu sans voile ses appas
D’autres pensent plutôt que l’implacable Diane
N’a fait qu’éliminer celui qui se condamne
Quand il se dit meilleur que la reine des bois
Quoi qu’il en soit voici dans le bruit des abois
Qu’elle change Actéon le transforme en chevreuil
Aussitôt les limiers font très mauvais accueil
– Surtout les favoris du métamorphosé –
A ce gibier timide à l’air dépaysé
Sans pitié tous les chiens déchirent l’herbivore
Redevenus des loups en meute qui dévorent

 

Fils d’Aristée (lui-même fils d’Apollon) et d’Autonoé (fille de Cadmos), Actéon est élevé par le centaure Chiron et devient un chasseur très habile. Selon la version la plus courante du mythe, il surprend un jour sans le vouloir, après une chasse, la déesse Artémis prenant son bain. Furieuse d’être vue nue, la chasseresse divine le transforme en cerf. « Elle fait naître sur la tête ruisselante du malheureux [auquel elle a jeté de l’eau] les cornes du cerf vivace [vivace car la légende attribuait à cet animal une grande longévité], elle allonge son cou, termine en pointe le bout de ses oreilles, change ses mains en pieds, ses bras en longues jambes et couvre son corps d’une peau tachetée. Elle y ajoute une âme craintive » (Les métamorphoses, III, 194-197). Actéon meurt déchiré par ses propres chiens qui ne le reconnaissent plus. Les mythographes, après les poètes, se sont ingéniés à donner une liste des chiens d’Actéon. Ovide en nomme trente-six. Chacun de leurs noms a en grec un sens qui rappelle leur vitesse, leur sagacité, leur couleur, etc. Les énumérations de noms propres dans la poésie gréco-latine s’inscrivent dans une tradition qui remonte à Homère. D’autres raisons sont données au courroux de la déesse : par exemple Actéon se serait vanté d’être plus habile qu’elle à la chasse. Cette explication est celle d’Euripide dans ses Bacchantes. Selon une tradition minoritaire, Actéon est métamorphosé par Zeus pour avoir poursuivi de ses assiduités Sémélé, princesse thébaine fille de Cadmos et mère de Dionysos. A la fin de « La chose freudienne ou sens du retour à Freud en psychanalyse », texte de 1956 recueilli dans ses Ecrits, Jacques Lacan consacre un étrange quatrain d’alexandrins à Actéon auquel il semble identifier Freud cherchant la déesse Vérité et déchiré par ses disciples : « Actéon trop coupable à courre la déesse,/proie où se prend, veneur, l’ombre que tu deviens,/laisse la meute aller sans que ton pas se presse,/Diane à ce qu’ils vaudront reconnaîtra les chiens… »

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Daphné

Daphné premier amour de Phébus Apollon
N’a pas subi grand mal d’une fléchette en plomb
tirée par Cupidon si l’on en croit Ovide
Au contraire Phébus d’habitude impavide
A été transpercé par une pointe aiguë
Du même qui voulait dessein non ambigu
Lui montrer quel archer est le plus redoutable
Et darde mieux les traits les plus inéluctables
Armés d’un métal dur offensif et doré
Que la douceur d’aimer ne peut édulcorer

Daphné dont les cheveux bouclaient en vaguelettes
A peine retenus par une bandelette
Imitait Artémis et parcourait les bois
Solitaire chassant le gibier aux abois
Souvent son père inquiet lui avait dit ma fille
Tu dois par des enfants prolonger ma famille
Mais elle voulait jouir de sa virginité
Comme Diane-Artémis en toute impunité
Cependant sa beauté semblait y faire obstacle
Ainsi que les désirs et les puissants oracles
Exprimés par les dieux notamment Apollon
Lequel semblait poussé porté par l’aquilon
Pour courir après elle en admirant sa nuque
Et ses cheveux au vent sans voile ni perruque
Ses bras nus dans l’effort qui battaient presque ailés
D’un mouvement rythmé proche de s’envoler
Plus rapide le dieu déjoue toutes les feintes
Stimulé par l’espoir comme elle par la crainte
Il est déjà penché vers elle qui le fuit
Elle sent dans son dos celui qui la poursuit
Elle implore son père et lui dit « si tu l’oses
Toi qui sais pratiquer l’art des métamorphoses
Pour arrêter Phébus change-moi en laurier »
Ainsi finit Daphné craignant de se marier

 

La nymphe Daphné, fille du Pénée qui était un dieu-fleuve de la région grecque de Thessalie, avait pour modèle Artémis-Diane, et, comme elle, « se refusait au joug d’un époux ». Mais, après l’avoir vue, le frère d’Artémis, Apollon, a désiré s’unir à elle. « Il voit ses yeux brillants comme les astres ; il voit sa petite bouche qu’il ne lui suffit pas de voir ; il admire ses doigts, ses mains, ses poignets et ses bras plus qu’à demi nus ; ce qui lui est caché, il l’imagine plus parfait encore » (Ovide, Les Métamorphoses, I, vers 498-502). Il tente un discours pour se faire valoir, mais elle ne veut rien entendre et se lance dans une fuite éperdue, ce qui redouble le désir du dieu. A la fin, à bout de forces, elle implore son propre père : « viens à mon secours, lui dit-elle, si les fleuves comme toi ont un pouvoir divin ; délivre-moi par une métamorphose de cette beauté trop séduisante. A peine a-t-elle achevé sa prière qu’une lourde torpeur s’empare de ses membres ; une mince écorce entoure son sein délicat ; ses cheveux qui s’allongent se changent en feuillage ; ses bras, en rameaux ; ses pieds, tout à l’heure si agiles, adhèrent au sol par des racines incapables de se mouvoir ; la cime d’un arbre couronne sa tête ; de ses charmes il ne reste plus que l’éclat [allusion aux feuilles brillantes du laurier]. Phébus cependant l’aime toujours ; sa main posée sur le tronc, il sent encore le cœur palpiter sous l’écorce nouvelle ; entourant de ses bras les rameaux qui remplacent les membres de la nymphe, il couvre le bois de ses baisers ; mais le bois repousse ses baisers. Alors le dieu : Eh bien, dit-il, puisque tu ne peux être mon épouse, du moins tu seras mon arbre ; à tout jamais tu orneras, ô laurier, ma chevelure, mes cithares, mes carquois »(Ovide, Les Métamorphoses, I, 545-559). Est-il besoin de préciser que « Daphné » signifie « laurier » en grec ?

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Héraclès

Zeus avait résolu pour incarner la force
De produire un héros doté d’un puissant torse
De jambes et de bras tout aussi vigoureux
Régis par une tête aux accès coléreux
Il a donc engrossé la vertueuse Alcmène
Hercule a résulté de ce douteux hymen
A l’insu de l’époux nommé Amphitryon
Un général sérieux sans rien d’un histrion
A partir de ce jour déesse combative
Junon qui se targuait de ses prérogatives
Toujours trompée par Zeus le Jupiter latin
N’a cessé de soumettre aux dangers du destin
Le héros confronté à toutes les chimères
Lion dévorateur hydre des temps primaires
Sanglier monstrueux biche aux cornes dorées
Oiseaux de fer grinçants charognards abhorrés
Bestiaux dont le fumier saturait les étables
Et génisses nourries d’aliments détestables
Attirées par le goût des cadavres humains
Dragon dévastateur écumant les chemins
Géant nommé Géryon riche d’un troupeau rouge
A surveiller de près avec ses bœufs qui bougent
Antée fils de Gaia qu’il fallait embrasser
Pour lui couper le souffle et non le terrasser
Car il reprenait vie quand il touchait la terre

Plus terrible a été la lutte avec Cerbère
D’où notre fils d’Alcmène est sorti sans trépas
Mais ensuite l’amour qu’il ne maîtrisait pas
L’a conduit à la mort dès lors que pour finir
La tunique endossée reçue de Déjanire
Qui croyait bien agir lui a brûlé la peau
Au point qu’il a quitté la vie pour le repos
« Oh quel farouche bruit font dans le crépuscule
Les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule »

 

Héraclès (Hercule chez les Romains), fils de Zeus et d’Alcmène, est le plus fameux héros de la mythologie gréco-latine qui lui prête un grand nombre d’aventures le faisant voyager jusqu’aux Enfers à travers le monde des Grecs avant Alexandre, entre l’est qui commence au Caucase et l’ouest borné par les « Colonnes d’Hercule », autrement dit le détroit de Gibraltar. Il est mentionné dès Homère. En Gaule il a connu une très grande popularité chez les Celtes romanisés. Les plus célèbres de ses exploits sont « Les douze travaux d’Hercule ». Redresseur de torts, personnification de la force physique, dont l’arme est la massue, il est l’ennemi des méchants et l’ami, le conseiller, le protecteur des hommes, en particulier contre les monstres, bien qu’il se laisse parfois emporter violemment par la colère et la vengeance. A la fin (Ovide, Les Métamorphoses, IX, vers 101-272), Hercule est consumé par la « tunique de Nessus » (une expression toujours utilisée pour désigner un cadeau empoisonné), que sa femme Déjanire lui a offerte en pensant que ce vêtement imprégné du sang maléfique mais magique de l’hydre de Lerne assurerait la fidélité amoureuse du héros. Il meurt sur le bûcher qu’il a construit ou fait construire pour mourir, avant d’être accueilli dans l’Olympe. Cette mort a inspiré à Victor Hugo deux vers de son « Tombeau de Théophile Gautier », écrit au décès de ce dernier en 1872 :
« Oh ! Quel farouche bruit font dans le crépuscule
« Les arbres qu’on abat pour le bûcher d’Hercule ! »

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Dédale et Icare

Légendaire ingénieur Dédale a inventé
Plus d’une nouveauté que les Grecs ont vantée
En Crète il a bâti le fameux labyrinthe
Auquel il a laissé sa marque son empreinte
C’est-à-dire son nom quand on y est entré
Le risque que l’on court est d’y rester cloîtré
Bien qu’il ne soit muni d’aucune fermeture
Pour clore les issues c’est une architecture
D’où seuls peuvent sortir les plus malins des rats
Et les plus ingénieux des gens dans l’embarras
Qui savent dérouler perdus dans ces arcanes
Sans le perdre en chemin le fameux fil d’Ariane

Après avoir pu fuir les tortuosités
Compliquant les couloirs où tout fait hésiter
Dédale en lui sentait renaître le désir
De son pays natal avec le déplaisir
D’être sur une terre environnée de flots
Gardé loin de chez lui comme dans un enclos
Il déclare à son fils ne restons pas captifs
Prenons la voie des airs à défaut d’un esquif
Il se fabrique une aile imitant les oiseaux
Attachée à l’épaule avec de fins roseaux
Faite pour chaque bras d’un ensemble de plumes
Collées par de la cire et non par du bitume
Il en dote son fils et s’en revêt aussi
Lui donne des conseils qui montrent du souci
L’exhorte en lui disant « pas d’imprudence Icare
Demeure près de moi évite les écarts »
Mais son fils qui se livre au plaisir de voler
S’élève dans l’espace où il a décollé
Cède à l’attrait du ciel abandonne son guide
S’approche du soleil glissade dans le vide
Et ses ailes de plume et de cire en fondant
Le plongent dans la mer sous les rayons ardents

 

Le dieu de la mer, Poséidon, pour se venger, a éveillé chez Pasiphaé, épouse du roi Minos, une passion monstrueuse pour un taureau que le roi avait refusé de sacrifier à ce dieu. Elle a demandé Dédale de lui créer un simulacre de vache afin qu’elle puisse se glisser à l’intérieur et s’unir avec le taureau grâce à ce subterfuge. De cet accouplement est né le Minotaure que Minos a enfermé dans un labyrinthe construit par Dédale, décidément très sollicité. La seule solution pour en ressortir était de dérouler un fil de laine et de le suivre jusqu’à la sortie. Dédale a donné la solution à une fille de Pasiphaé, Ariane, qui a remis une pelote de laine à Thésée pour qu’il s’en serve afin de s’échapper après y avoir tué le Minotaure (voir « Les Enfants de Pasiphaé » dans le présent recueil). Le mythe du labyrinthe et le mythe d’Icare sont liés par le personnage de Dédale : Icare, fils de ce dernier, s’est tué en essayant de voler avec les ailes fabriquées par son père. L’esprit d’invention s’est manifesté chez d’autres membres de cette famille. La sœur de Dédale avait confié à celui-ci l’instruction de son fils, âgé de douze ans, « capable de bien profiter des leçons d’un maître ». Ce neveu, « ayant remarqué chez les poissons l’arête du milieu et l’ayant prise pour modèle, tailla dans un fer acéré une série de dents et inventa la scie. Il fut aussi le premier qui unit l’un à l’autre par un lien commun deux bras de fer, de sorte que, toujours séparés par la même distance, l’un restait en place, tandis que l’autre traçait un cercle. Dédale, jaloux de lui, le précipita du haut de la citadelle de Minerve [Pallas Athéna en grec], puis il répandit le bruit mensonger d’une mort accidentelle ; mais Pallas, protectrice du génie, le reçut dans ses bras ; elle en fit un oiseau [nommé Perdrix, nom du jeune homme ou de sa mère] et, au milieu même des airs, le couvrit de plumes. La vigueur de son esprit jadis si prompt a passé dans ses ailes et dans ses pieds ; il a gardé son ancien nom. » (Ovide, Les Métamorphoses, livre VIII, vers 236 et suivants).

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Eôs et Tithon

Déesse de l’aurore Eôs aux doigts de rose
Apparaît après l’aube en robe de safran
Séduisante en couleur plus belle en vers qu’en prose
Dans le ciel pâle encore elle a le premier rang

D’elle naît au matin l’étoile Phosphoros
Qui n’est autre le soir que l’étoile Hespéros
Les larmes de ses yeux sont des pleurs de rosée
Que  la mort de Memnon son cher fils a causés
Et causera toujours malgré tous ses amours
Qui la consolent mal quand débute le jour
Malgré son aventure avec Mars le guerrier
Trahison dont Vénus a été contrariée

Sœur du soleil Hélios de Séléné la lune
Toujours jeune attisant de jalouses rancunes
Eôs a enjôlé le beau chasseur Orion
Aimé par Artémis tué par un scorpion
Elle a ravi Tithon dans les deux sens du verbe
Tithon qu’a évoqué le poète Malherbe
Dans sa consolation à Monsieur du Périer
Qui s’affligeait d’un deuil tout de noir colorié
Eôs a obtenu le statut d’immortel
– Oubliant d’ajouter la jeunesse éternelle –
Pour son amant humain lequel a donc vécu
Victorieux de la mort mais le temps l’a vaincu
Dans une longue vie de durée sans égale
Peu à peu desséché transformé en cigale
Voué à supporter son âge à l’infini
Dans un corps consumé peu à peu raccorni
Il endure sans fin les maux de l’existence
Excepté le trépas dont nous faisons des stances

 

Fille des Titans Hypérion et Théia, Eôs qualifiée par Homère de déesse « aux doigts de rose » et « en robe de safran » appartient à la catégorie des divinités gréco-romaines personnifiant la nature, comme son frère Hélios ou Sol le Soleil et sa sœur Séléné ou Luna la Lune. Comme le note Georges Hacquard dans son Guide mythologique de la Grèce et de Rome (1984) : « Essentiel dans la religion primitive, le culte de l’astre solaire perdra de son importance à l’époque classique – au bénéfice notamment d’Apollon, dieu du soleil – mais retrouvera toute sa puissance sous l’Empire, grâce à l’influence des religions orientales […] et tendra de plus en plus vers un monothéisme dont le christianisme recueillera les traditions. » Sa sœur Eôs ou Aurore s’est éprise de nombreux mortels, en particulier du beau Tithon, Troyen frère de Priam, qui lui a donné deux fils, Memnon (tué par Achille) et Emathon. Pour éviter qu’il ne connaisse un sort semblable à celui d’Orion, Eôs a supplié Zeus d’accorder à son amant l’immortalité. Mais elle n’a pas pensé à demander aussi pour lui l’éternelle jeunesse. Impotent et desséché au long d’une vie interminable, bien que nourri d’ambroisie, il est finalement réduit aux dimensions d’une cigale. Au XVIIe siècle, Dans les stances de sa « Consolation à M. Du Périer » qui a perdu sa fille, morte jeune, Malherbe mentionne ce personnage mythologique en disant dans un bel alexandrin que, pour lui, « Tithon n’a plus les ans qui le firent cigale » et que le mérite d’une vie ne se mesure pas à sa longueur  :

Non, non, mon Du Périer, aussitôt que la Parque
Ote l’âme du corps,
L’âge s’évanouit au-deçà de la barque [des Enfers]
Et ne suit point les morts.

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Iô

Lorsque le roi des dieux succombe au charme d’Iô
Il suit comme toujours le même scénario
Une forêt complice entourait le bocage
Et formait alentour en douceur une cage
Où vivaient à l’abri plusieurs divinités
Des nymphes dans la fleur de leur féminité
S’allongeaient alanguies sous l’ombrage des arbres
Et des ondins puissants arrondissaient le marbre
En sculpteurs avisés pour y creuser des lits
Et donner plus de lustre à la roche polie
Dans cette compagnie la plus belle naïade
Iô qui s’est dénudée sans fard pour la baignade
Est remarquée par Zeus aussitôt celui-ci
Libère son désir de tout autre souci
Que celui d’exercer son pouvoir de cuissage
il ne mérite pas qu’on le dénomme sage
Héra pendant ce temps s’étonne des nuées
Qui jettent sur ce lieu de l’ombre accentuée
Connaissant son époux ses petites malices
Et découvrant alors une blanche génisse
Avatar de la nymphe aimée de l’Olympien
Elle dépêche Argus à qui n’échappe rien
Pour garder cette vache et faire le veilleur

Quand Argus est tué sur ordre supérieur
Elle répand ses yeux sur les plumes du paon
L’oiseau qu’elle préfère et elle excite un taon
Derrière la korê changée en animal
Poursuivie jusqu’au Nil par l’insecte anormal
C’est là que Zeus demande indulgence et pitié
Circonvient de ses bras sa jalouse moitié
Héra s’apaise alors et Iô perdant ses cornes
Retrouve une beauté qui dépasse les bornes
Au point de réveiller après un bref répit
Chez la reine des dieux la passion du dépit

 

Zeus-Jupiter s’intéresse beaucoup aux jeunes femmes dans des histoires d’amour subalterne ayant beaucoup de liens avec la race bovine, soit qu’il se déguise lui-même en taureau (voir le mythe d’Europe), soit qu’il transforme en génisse la nymphe qu’il a convoitée comme dans la légende d’Iô pour essayer de dissimuler son aventure (Ovide, Les Métamorphoses, I, vers 624 et suivants). Héra-Junon n’est pas dupe des stratagèmes de son époux et frère, qui se laisse aller à ses désirs. Elle s’en irrite au point d’acquérir une réputation de jalouse qui répond à la réputation de Zeus comme « cavaleur » impénitent, souvent ridicule à nos yeux. Elle surveille la nymphe devenue génisse par l’intermédiaire du géant Argus aux cent yeux que Zeus fait tuer. Dans l’antiquité, les troupeaux étaient synonymes de richesse, ce que montre le mot latin pecunia qui désigne l’argent en général, mais qui signifiait étymologiquement fortune venant du bétail (pecus). La légende d’Iô est le sujet de nombreux tableaux (Corrège, Tintoret, Vélasquez, Rubens, Jordaens…) De même qu’Europe (qui est censée descendre d’Iô par Epaphos, Libye, Agénor : voir ci-dessous) franchit la Méditerranée d’est en ouest, de la Phénicie à la Crète, Iô traverse cette mer du nord au sud. En Egypte, elle aurait donné naissance à Épaphos (identifié par Hérodote au dieu-boeuf Hâpi, Apis en grec) qui a une querelle avec Phaéton, contestant que celui-ci soit fils du Soleil (Hélios) comme il s’en vante. Epaphos devient roi d’Égypte et épouse Memphis, née du Nil, en l’honneur de laquelle il fonde la ville de Memphis et de qui il a une fille, Libye (Apollodore, Bibliothèque, II, 1, 1-4).

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : le serpent Python

De l’épaisse alluvion laissée par le déluge
Est sortie une vie qui paraissait transfuge
D’un monde différent né de l’interaction
Entre sol et soleil après la submersion
Lorsque la chaleur moite a fait gonfler la fange
Et qu’elle y a produit non pas des sortes d’anges
Mais d’effrayants dragons à partir de la boue
Certains si monstrueux qu’ils en étaient tabous
Par exemple Python le serpent colossal
Qui sur la terre neuve allongeait sa dorsale
Ainsi qu’une montagne enchaîne les sommets
De sa ligne de crête on croyait qu’il dormait
Pour tout homme il était un objet de terreur
Il maîtrisait ses proies qu’il serrait constricteur
Dans ses nœuds et replis dans ses embrassements
Jusqu’à couper le souffle et arrêter le sang
Des victimes pressées par cet étau mortel
Oxygène bloqué dans leur corps qui pantèle

Apollon a tué cet énorme rampant
Dont le danger tenait tout le monde en suspens
Dès sa prime jeunesse il avait manié l’arc
Désormais sauroctone il en a fait sa marque
En se remémorant sa mère menacée
Qui le portait enfant chasseur alors chassé
Comme elle poursuivi par ce puissant reptile
Que l’épouse de Zeus jalousement hostile
Avait lancé contre eux mais vidant son carquois
Vengeur il a fait feu de ses tirs adéquats
Ses flèches ressemblant à des rayons de flamme
Ont transpercé Python qui poussait de longs brames
Comme n’en pousse pas dans les jours anodins
L’habituel gibier de chevreuils et de daims
C’est ainsi qu’a fini criblé dans la douleur
Ce serpent peau trouée dépourvue de valeur

 

Les humains seraient nés des pierres que Deucalion et Pyrrha ont semées après le déluge. « La terre enfanta d’elle-même les autres animaux sous des formes diverses, lorsque l’humidité qu’elle retenait encore se fut échauffée sous les feux du soleil, lorsque la chaleur eut enflé la fange et les eaux marécageuses, lorsque les germes féconds des choses, nourris par un sol vivifiant, se développèrent comme dans le sein d’une mère. Ainsi quand le Nil aux sept embouchures a quitté les champs inondés et ramené ses flots dans leur ancien lit, quand du haut des airs l’astre du jour a fait sentir sa flamme au limon récent, les cultivateurs, en retournant la glèbe, y trouvent un très grand nombre d’animaux […] En effet, lorsque l’humidité et la chaleur se sont combinées l’une avec l’autre, elles conçoivent ; c’est de ces deux principes que naissent tous les êtres ; quoique le feu soit ennemi de l’eau, un rayonnement humide engendre toutes choses et la concorde dans la discorde convient à la reproduction. Donc, aussitôt que la terre, couverte de boue par le déluge récent, recommença à recevoir du haut des airs la chaleur des rayons du soleil, elle donna naissance à des espèces innombrables […] Ce fut bien contre son gré qu’elle t’enfanta aussi à cette époque, colossal Python ; pour les peuples nouveau-nés, serpent alors inconnu, tu étais un objet de terreur, tant tu occupais d’espace le long de la montagne. L’archer divin, qui jamais auparavant ne s’était servi de ses armes que contre les daims et les chevreuils, l’accabla de mille traits » (Ovide, Les Métamorphoses, I, vers 416-444). Python est mort éliminé par Apollon fils de Zeus et de Léto ou Latone rivale de Junon, mais le python en tant que nom commun existe toujours. Le traducteur du texte latin, le professeur Georges Lafaye, note que la fable de la génération spontanée du vivant produit par la boue, « qui est probablement d’origine égyptienne, a été acceptée sans contrôle par d’autres écrivains de l’antiquité comme l’expression d’un fait réel. »

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Niobé

Niobé se vantait d’être riche de tout
Parée de ses atours fière de ses atouts
Descendante de Zeus et fille de Tantale
Epouse d’un grand roi dont le pouvoir mental
Allait jusqu’à mouvoir les pierres par son chant
Un pouvoir de créer à Thèbes sur le champ
Des remparts et palais pour loger la famille
Issue de son union sept garçons et sept filles
Une fécondité que Niobé tenait
Pour signe du bonheur qui lui appartenait
Pour marque qu’elle était de celles qui étonnent
Pour preuve d’être en tout supérieure à Latone
Autrement dit Léto qui avait seulement
Des jumeaux fils et fille à peine deux enfants
Certes mais quels enfants Phébus et Artémis
Niobé aurait dû se les rendre propices
Plutôt que d’exciter ces dangereux archers
Et leur amour filial prêts à se revancher

Niobé l’excessive enflammée d’un orgueil
Qui l’a bientôt conduite au plus cruel des deuils
Proclame que ses biens font sa sécurité
Qu’elle a plus de grandeur que ces deux déités
Mais celles-ci sans trouble ont ajusté leurs flèches
Avec une rigueur que nul remords n’empêche
En se mettant d’accord pour transpercer de traits
Artémis les sept sœurs comme on chasse en forêt
Et Phébus Apollon les sept frères qui mordent
La terre dès l’instant qu’il fait vibrer sa corde
Désormais Niobé n’est plus objet d’envie
Son visage a perdu la couleur de la vie
Figée par la souffrance elle devient de pierre
Si ce n’est que le roc dessinant ses paupières
Sur le sommet d’un mont fait ruisseler de l’eau
Que le vent des hauteurs change en pleur et sanglot

 

Niobé, qui était d’après la légende une Lycienne originaire du même pays qu’Arachné, en Asie Mineure, était animée d’un orgueil semblable à celui de sa compatriote. Elle avait épousé Amphion, roi musicien de Thèbes, fils de Zeus. Il semble que son histoire, comparée à celle de l’experte tisseuse changée en araignée, reflète le même antagonisme entre la Grèce d’Europe où se trouve Thèbes et la Grèce d’Asie Mineure où se trouve la Lycie. Elle prétendait obtenir pour elle les hommages que les Thébaines avaient l’habitude de rendre à Latone ou Léto, mère des jumeaux Phébus-Apollon et Diane-Artémis. « Pourquoi des autels destinés au culte de Latone, disait-elle, alors que l’encens n’a pas encore été offert à ma divinité ? » (Ovide, Les Métamorphoses, livre VI, vers 146 et suivants). Elle se vantait d’être supérieure en particulier par le nombre de ses fils et filles (douze au total chez Homère, quatorze chez Euripide et Ovide, dix-huit chez Sappho, vingt chez Pindare). C’est la raison pour laquelle, à la demande de leur mère, Apollon et Artémis ont tué de leurs flèches les enfants de Niobé. Celle-ci, pétrifiée par ces meurtres, a été transportée par un vent impétueux de Thèbes jusqu’en Lydie, sur le mont Sypile où régnait son père, et où l’on montrait un roc de marbre qui continuait à verser des larmes. Le sort de ce personnage mythologique a inspiré de nombreux sculpteurs et peintres. Les poètes Théophile Gautier et dans ses Poèmes antiques Leconte de Lisle, ayant gardé quelque chose de l’esprit romantique,  ont consacré chacun une invocation à Niobé. « Niobé sans enfants, mère des sept douleurs… / Quel fleuve d’Amérique est plus grand que tes pleurs ? » se demande Gautier à la fin de son poème. Et Leconte de Lisle termine le sien par ces vers : « Oh ! Qui soulèvera le fardeau de tes jours ? / Niobé ! Niobé ! souffriras-tu toujours ? »

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Arachné

La lydienne Arachné plus experte que sage
Prétendait surpasser en filage et tissage
La déesse des arts la divine Athéna
Qui patronait aussi tous les artisanats
Celle qu’en Italie on appelait Minerve

Arachné aurait dû rester sur la réserve
Au lieu de lui lancer son ambitieux défi
Mais Athéna veut voir cet orgueil déconfit
Après avoir compris que cette tisserande
Sûre d’être des deux l’artiste la plus grande
Dotée d’un beau talent certaine de ses dons
Refuserait toujours d’en demander pardon

Deux métiers sont dressés pour commencer l’épreuve
Entre les fils croisés les navettes se meuvent
Athéna va montrer sur sa pièce tissée
Plus belle qu’une ébauche aux contours esquissés
Des scènes en couleurs illustrant l’infortune
Que réservent les dieux capables de rancune
A tous les insolents à tous les orgueilleux
Qui croient pouvoir braver la puissance des cieux
Arachné pour autant n’en devient pas modeste
Consacre son ouvrage aux abus manifestes
Aux écarts de conduite auxquels se sont livrés
Sans vergogne les dieux trop souvent enfiévrés
Au premier rang desquels se trouve Jupiter
Descendant des hauteurs pour séduire sur terre
Sous ses déguisements de trompeur enjoué
Europe Danaé Léda femmes flouées

Athéna est blessée deux fois par cet ouvrage
Insolence et beauté double motif de rage
Aussi transforme-t-elle en sinistre araignée
Cette Arachné douée qu’il fallait calomnier

 

Arachné, fille d’un teinturier en pourpre, était une jeune tisserande de Lydie (ou Méonie), contrée d’Asie mineure proche de la mer Égée, dont le roi le plus célèbre a été Crésus. Le nom de cette tisserande est celui que les Grecs de l’Antiquité donnaient à l’araignée, qui produit une soie avec laquelle elle tisse sa toile « arachnéenne » et se soutient dans l’air lorsqu’elle se laisse tomber. Experte dans l’art du tissage, elle a osé comparer son talent à celui d’Athéna-Minerve. Un concours ayant été organisé, la déesse illustre sur sa toile la puissance des dieux de l’Olympe tandis qu’Arachné préfère tisser les frasques de Zeus avec ses nombreuses amantes. Athéna irritée à la fois par la beauté et par le sujet de l’étoffe produite par sa rivale pour montrer son talent, la déchire et frappe de sa navette le front d’Arachné. Celle-ci, outragée, veut se pendre (allusion sans doute aux araignées pendues à leur fil), mais Pallas Athéna adoucit ce triste destin de mortelle en la transformant en l’animal aux maigres doigts qui continue jusqu’à nos jours à tisser ses toiles (Ovide, Les Métamorphoses, livre VI, vers 1 et suivants). Peut-être ce mythe fait-il allusion à la rivalité entre la Grèce européenne où se trouve Athènes, ville d’Athéna, et la Grèce d’Asie mineure où se trouve le pays d’Arachné. Celle-ci fait partie des personnages qui, dans la mythologie gréco-latine, font preuve d’hubris ou hybris et subissent le châtiment que leur attire leur prétention à rivaliser avec les divinités.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Prométhée

Du céleste Ouranos et de Gaia la terre
Sont nés Kronos Rhéa parents de Jupiter
Dans un accouplement violent tempétueux
Dans un engendrement d’amour incestueux
Filiation titanesque à laquelle appartiennent
Des êtres surhumains d’époques très anciennes
Atlas est de ce nombre ainsi qu’Epiméthée
Et le voleur de feu leur frère Prométhée
Soutien du globe Atlas porte haut les montagnes
Il aide Jupiter par sa force et sa poigne
Avec sur son épaule un froid manteau neigeux
D’où sa tête dépasse en sommet nuageux

Tandis qu’Epiméthée dans le règne animal
Se plaît à sa mission d’agir tant bien que mal
Pour donner à chacun une aptitude un don
Et pour que nul vivant ne reste à l’abandon
Il distribue des crocs des griffes des mâchoires
Des écailles des pieds des mains ou des nageoires
Et des adaptations aux déserts aux forêts
Des ailes pour certains pour d’autres des jarrets
L’un obtient l’énergie et l’autre la prudence
L’un est prompt à l’attaque et l’autre à la défense
Mais Prométhée comprend que son frère agité
N’a doté les humains d’aucune qualité
Leur permettant de vivre avec plus d’assurance
Car il ne leur échoit que la faible Espérance
Une vertu qui n’est souvent qu’un faux-semblant
Dans le fond de la boîte enfermant les talents
N’importe Prométhée va trouver pour les hommes
Le feu qu’il vole au ciel malgré l’ultimatum
du dieu prêt à punir et c’est finalement
Le courage excédant la peur du châtiment
Le courage associé avec l’intelligence
Qui fait diminuer le manque et l’indigence

 

Les généalogies deviennent facilement complexes dès qu’elles englobent des liens de parenté autres que les liens directs entre parents et enfants. Dans la mythologie grecque, Prométhée (« le Prévoyant » en grec ancien), frère d’Atlas et d’Épiméthée, est un Titan cousin germain de Zeus-Jupiter et père de Deucalion qui a engendré les nouveaux hommes après le déluge. Il est connu pour avoir dérobé le feu sacré de l’Olympe et pour l’avoir donné aux humains. Courroucé par cet acte déloyal, Zeus, avant de renoncer à ce châtiment, a condamné le coupable à être attaché à un rocher sur le mont Caucase, son foie dévoré par un aigle chaque jour, mais repoussant chaque nuit. Prométhée apparaît au VIIe siècle av. J.-C. dans la Théogonie d’Hésiode, puis au Ve siècle av. J.-C. dans Prométhée enchaîné, tragédie attribuée à Eschyle. Au mythe de Prométhée et d’Épiméthée se rattache celui de Pandore, belle jeune femme créée sur l’ordre de Zeus avec l’aide d’Athéna, et qui est devenue l’épouse d’Épiméthée. Pandore apportait dans ses bagages une boîte mystérieuse que le roi des dieux lui a interdit d’ouvrir, sachant qu’elle ne résisterait pas à la curiosité. De cette boîte à peine ouverte se sont échappés et se sont répandus dans le monde tous les maux qu’elle contenait. Dans le présent poème il est imaginé qu’à côté de la « boîte de Pandore » existait une « boîte d’Épiméthée », d’où celui-ci a sorti non pas les maux, mais les qualités à distribuer aux êtres vivants. Dans ce cas, où placer l’espérance? Le mythe la range dans la boîte des maux, parce qu’elle aiguillonne les désirs des humains à la poursuite de vains fantômes, mais peut-être faudrait-il la ranger plutôt dans la boîte des biens, comme le font par exemple la tradition chrétienne et les philosophes rationalistes européens tels que Descartes et Spinoza, parce qu’elle incite à ne pas se résigner mais à dépasser la tristesse pour tendre vers plus de joie.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : châtiments éternels

Il est dans les Enfers un lieu de privilèges
Où des tourments de choix sans rien qui les allège
Durent l’éternité pour ceux que le destin
Condamne à l’ombre épaisse au brouillard indistinct
Après qu’ils ont suivi jusqu’au bas de la pente
Le chemin qui dévale ou qui parfois serpente
Entre l’épine dure et le fruit vénéneux
Vers un lieu près du Styx aux miasmes charbonneux
C’est là que peine en vain le malheureux Sisyphe
Qui ne peut accomplir cet effort décisif
De hisser d’accrocher son rocher au sommet
Qu’il voudrait couronner sans réussir jamais
Le fardeau qu’il élève au moindre faux pas roule
Toute sa pesanteur en contrebas s’écroule
Camus nous dit d’imaginer Sisyphe heureux
Est-ce possible en ce séjour si ténébreux
Lorsque sans cesse échoue son rêve d’acropole
Un rêve dont les dieux gardent le monopole

Non loin Tantale expie le vol des mets divins
Le nectar délicieux plus goûteux que le vin
L’ambroisie surpassant toute autre nourriture
Boire et manger pour lui sont désormais torture
En plus d’avoir volé les aliments des dieux
Le coupable a convié les habitants des cieux
En servant au banquet bonne chère son fils
Qu’ils ont ressuscité car l’odieux sacrifice
Les a tous indignés avant d’autres méfaits
Commis par sa lignée coutumière en forfaits
Famille criminelle où la mort se débride
De Tantale est issu la race des Atrides
Mais revenons à lui rien ne peut étancher
Sa soif l’eau des Enfers est bonne à recracher
Quant aux branches de fruits qu’il trouve dans son bagne
Il voudrait les cueillir un souffle les éloigne

 

Sisyphe, fils d’Éole, est le fondateur mythique de Corinthe. C’est peut-être parce qu’il aurait construit un palais démesuré sur l’Acrocorinthe, que son châtiment dans l’au-delà a consisté à rouler sans cesse un rocher au sommet d’une montagne. En entendant Orphée, Sisyphe se serait assis un moment sur son rocher (Ovide, Les Métamorphoses, X, 44). Lorsque le dieu de la Mort, Thanatos, est venu le chercher, Sisyphe lui a montré l’une de ses inventions : des menottes, avec lesquels il l’a immobilisé. S’apercevant que plus personne ne mourait, Zeus-Jupiter a envoyé le dieu de la guerre délivrer Thanatos afin que celui-ci (ou Hermès-Mercure) emmène de force Sisyphe aux Enfers. Autre transgresseur célèbre, Tantale est à l’origine de la famille des Atrides. Pélops, fils de Tantale, a été tué par son père qui voulait offrir sa chair aux dieux dans un banquet. Ressuscité par Zeus, il a régné sur le Péloponnèse après avoir gagné contre le roi une course de char. Par la suite ses fils Atrée et Thyeste se sont disputé la royauté. Au festin de réconciliation, Atrée a servi les membres et la tête des enfants de son frère à l’exception d’Égisthe. Agamemnon et Ménélas, fils d’Atrée (les différentes versions ne sont pas unanimes sur cette filiation) ont régné l’un sur Mycènes, l’autre sur Sparte. Agamemnon était l’époux de Clytemnestre, Ménélas l’époux de la belle Hélène, sœur de Clytemnestre. Lorsqu’il s’est agi de récupérer Hélène enlevée par le troyen Paris (motif de la guerre de Troie), le devin Calchas a consulté l’oracle de la déesse Artémis-Diane : pour réussir il fallait immoler Iphigénie, fille d’Agamemnon et de Clytemnestre (voir l’Iphigénie de Racine). Agamemnon était d’accord, mais la déesse a remplacé Iphigénie par une biche. Clytemnestre, ayant concu une aversion profonde contre son époux, l’a tué au retour de la guerre de Troie avec l’aide d’Egisthe, fils de Thyeste. Elle a été tuée à son tour par ses propres enfants Electre et Oreste, qui voulaient venger leur père (voir Les Mouches de Sartre).

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : les enfants de Pasiphaé

 

Minos trouvait si beau le taureau que Neptune
Avait fait émerger comme bonne fortune
Des vagues de la mer si beau qu’il a voulu
Garder pour ses troupeaux l’animal né du flux
et reflux de l’écume à son seul bénéfice
Au lieu d’en faire au dieu le juste sacrifice

Neptune par colère a soufflé la passion
De ce taureau si blanc qu’il jetait des rayons
Dans le cœur de la reine épouse de Minos
Mais ce qui plus que tout donnait envie de noces
Contre nature à l’insensée Pasiphaé
C’est le sexe taurin désiré prohibé
dont le fantasme a engendré le minotaure
Etre d’un genre hybride ainsi que les centaures

Cet être à double forme à tête de taureau
Sur un corps de jeune homme il fallait un héros
Pour en débarrasser les Crétois et l’Attique
C’est l’exploit de Thésée d’après le mythe antique
Aidé par une sœur du monstre redouté
Demi-sœur toute humaine on ne peut en douter
Il a suivi le fil au fond du labyrinthe
Edifié par Dédale où l’on ressent la crainte
De rester prisonnier perpétuellement
Sans rencontrer de mur en pierre et en ciment
Mais grâce au fil d’Ariane et au bon horoscope
Thésée a pu tuer l’étrange tauranthrope
En ressortir vivant bien qu’il n’ait pas tenu
Sa promesse d’amour à la belle ingénue
Celle qui l’a aidé d’où les vers de Racine
Quand Phèdre a mieux compris son mal sans médecine
« Ari-ane ma sœur de quel amour blessée
Vous mourûtes au bord où vous fûtes laissée »

 

Pasiphaé, épouse du roi crétois Minos, a donné naissance à des enfants qui se sont laissé aller comme elle à des excès passionnels, en particulier ses filles Phèdre et Ariane, sans oublier le Minotaure lui-même, bête féroce plutôt qu’être humain, qui est ce qu’on pourrait appeler un « tauranthrope », né de l’union de Pasiphaé avec un taureau blanc. Phèdre est le personnage principal de la tragédie de Racine qui lui doit son titre, épouse de l’Athénien Thésée ayant tué le Minotaure dans le labyrinthe crétois construit par Dédale. Elle est devenue passionnément amoureuse d’Hippolyte fils de Thésée, ce qui a conduit finalement Phèdre et Hippolyte à la mort. Quant à Ariane sœur de Phèdre, elle avait aidé précédemment Thésée à se retrouver dans le labyrinthe, grâce à une pelote de fil qu’elle lui a donnée et qu’il a déroulée en y entrant avant de suivre le fil en sens inverse pour sortir. Après avoir accompli sa mission, Thésée, d’après la version la plus connue de cette légende, celle que Racine a retenue, s’est désintéressé de l’intelligente Ariane et l’a abandonnée sur un rivage où elle est morte de chagrin. De ce mythe qui met en exergue la passion féminine interdite et/ou malheureuse, la langue a retenu notamment le mot « dédale », nom propre devenu commun, et l’expression « fil d’Ariane ».

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Atalante et Hippomène

Ovide a raconté le mythe d’Atalante
Plus rapide en courant qu’une étoile filante
Elle se distinguait par ces deux qualités
Sa beauté remarquable et sa vélocité
L’une lui attirait des prétendants en foule
L’autre comme un tapis sous elle se déroule
Lui servait à gagner ses concours dont le prix
Etait pour le vaincu la mort et le mépris
Toujours elle battait l’adversaire à la course
On ne sait d’où ses pieds tiraient cette ressource

Hippomène est venu blâmer les concurrents
Les traiter d’insensés mais bientôt il comprend
Ce qui les fait courir il admire Atalante
Qui foule à pas ailés de manière insolente
Le sol obéissant plus belle qu’Athéna
Tandis que son corps blanc se teinte d’incarnat
Et que sur son épaule ondoient ses cheveux noirs
Flottant comme un drapeau de triomphe et de gloire
Elle pourrait voler sur l’eau sans la troubler
Courir sans les courber sur les épis de blé
Séduit par cette femme il ne touche plus terre
Il invoque Vénus déesse de Cythère
Avec les  mots du cœur la priant de l’aider
Car il a sur le champ mieux que tous décidé
De préférer l’amour plutôt que la victoire
La déesse l’écoute émue par cette histoire
Retarde la championne au point qu’elle est vaincue
Par ce bel Hippomène amoureux convaincu
D’Atalante à laquelle il brûle de s’unir
Amour fort jusqu’au jour où les dieux vont punir
En les changeant tous deux en lions de combat
Ces amants qui osaient abriter leurs ébats
Dans un temple isolé lieu sacré jusqu’alors
Hors d’atteinte gardé par la faune et la flore

 

Atalante, une sorte de Diane, ne voulait d’autre époux que celui qui la vaincrait à la course, mais elle était toujours la plus forte et tuait ou faisait tuer ses concurrents malheureux. Hippomène, ébloui par le spectacle qu’elle donnait en courant, tomba amoureux d’elle. Bien que conscient du risque qu’il prenait, il participa à la compétition, et grâce à la protection de Vénus, il réussit à dépasser la championne, en jetant, pendant la course, des pommes dorées qu’elle s’attardait à ramasser. La pomme était consacrée à Vénus. Celles dont la déesse s’est servie pour favoriser Hippomène provenaient d’un de ses sanctuaires à Chypre, ou du Jardin des Hespérides selon une autre tradition. Hippomène a donc obtenu Atalante. Mais les deux époux, ayant profané par leurs ébats amoureux un temple élevé à la mère des dieux, Cybèle, personnification de la nature sauvage, ont été changés en lions (Ovide, Les Métamorphoses, livre dixième). Atalante apparaît sur des vases grecs décorés de scènes mythologiques : une hydrie à figures noires façonnée et peinte vers 530 avant J.-C. (musée de Munich) ; un lécythe attique à fond blanc datant d’environ 500 avant J.-C. (musée de Cleveland)… Une statue hellénistique de l’héroïne poursuivie par Hippomène a fait l’objet d’une copie par le sculpteur français Pierre Lepautre au début du XVIIIe siècle (conservée dans la cour Marly au Musée du Louvre).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : Notre-Dame de Paris en flammes

Dans les hauteurs du toit l’incendie faisait rage
Un diable de brasier brûlant ex cathedra
Comme un mauvais génie malfaisant jaune et rouge
Crachait vers le ciel sombre et fumait en courroux

Les couleurs mélangées devenaient de l’orange
Et les gens regardaient ce spectacle navrant
Le voyaient perdurer sans que rien ne l’abrège
Dans la charpente à nu la ci-devant « forêt »

Comment oublierait-on la flamme qui s’érige
Au-dessus du transept en substitut de flèche
Quand celle-ci s’effondre en un dernier vertige

A l’instant où le feu jusqu’à la moelle ronge
Cette structure en bois mangée par les flammèches
Qui tombe et troue la voûte au fond de la nef plonge

 

Entre le 15 et le 16 avril 2019 sont partis en fumée le toit de la cathédrale de Paris recouvert de tuiles de plomb et sa charpente du XIIIe siècle appelée « forêt » en raison du très grand nombre de ses poutres multiséculaires, un sinistre tel que le monument n’en avait pas connu en 850 ans d’existence. Dans le passé, plusieurs autres cathédrales ont dû être dotées de nouvelles charpentes : celle de Chartres avec des poutrelles en fonte remplaçant les poutres de châtaignier après l’incendie provoqué en 1836 par la négligence de deux ouvriers plombiers ; celle de Metz avec ses fermes en fer recouvertes de cuivre, construites après l’incendie de 1877 causé par un feu d’artifice tiré depuis le toit pour fêter une visite de l’empereur allemand ; celle de Reims avec ses poutres en béton armé en remplacement de la charpente de chêne incendiée lors d’un bombardement intentionnel de 25 obus allemands en 1914 ; celle de Nantes où le bois a été remplacé également par le béton après un gigantesque incendie dû à la manipulation d’un chalumeau par un couvreur en 1972… Quant à la flèche néogothique en mauvais état de Notre-Dame de Paris, grandement responsable de la catastrophe de 2019 (car l’incendie est probablement parti du chantier entrepris pour sa rénovation, et c’est la chute de cette flèche en feu qui a crevé les voûtes de l’édifice), un éditorial du journal Le Monde daté du vendredi 19 avril 2019 a eu le courage de dire qu’elle a été « rajoutée de façon intempestive au XIXe siècle par Viollet-le-Duc ». Dans l’ordre des responsabilités depuis deux cents ans, le début XXIe siècle n’est pas en reste, par son laisser-aller, sa présomption, son « je-m’en-foutisme » qui ont caractérisé la politique de sécurité et le piètre comportement de ceux qui ont laissé de multiples mégots au niveau de la charpente malgré l’interdiction de fumer. En ce sens, on peut dire que ce sont les vices du monde moderne qui ont failli détruire ce chef-d’œuvre témoin de l’histoire de France.

Dominique Thiébaut Lemaire.

Mythologie : Deucalion et Pyrrha

Le maître de l’Olympe affligé des humains
Décide de frapper sans attendre demain
Devant tous les méfaits commis par cette engeance
Il sent que la colère excite sa vengeance
Contre ceux qu’il voulait traiter en père aimant
Mais dont le cœur de fer a le mal pour aimant
Quand il voit Lycaon tenter le pire crime
Obsédé par l’idée qui sur toute autre prime
Celle d’assassiner les plus puissants des dieux
Pour montrer qu’ils ne sont que des mortels odieux

Jupiter en courroux d’abord lance la foudre
Et les biens du coupable en sont réduits en poudre
Après quoi Lycaon rageur comme un dément
Changé en animal pousse des hurlements
Qui l’éloignent de l’homme et séduisent les louves
Il ne peut plus calmer les passions qu’il éprouve
Il se noie pour finir dans la férocité
D’une eau qui engloutit campagnards et cités

Le déluge envoyé par le dieu de l’éther
Et son frère Neptune a lavé mer et terre
En pleurs dans ce grand vide il reste deux humains
Deucalion et Pyrrha qui sont cousins germains
Thémis leur dit alors voyant leur peine amère
« Jetez derrière vous les os de votre mère »
Ils sont longs à saisir que les os en question
Sont les cailloux à terre extraits des alluvions
Finissant par trouver le sens de cet oracle
Ils jettent derrière eux ces pierres qui miracle
Deviennent des humains qu’ils sèment en marchant
Comme font des semeurs en parcourant leur champ

 

Dans le livre premier de ses Métamorphoses, Ovide nous donne une version gréco-romaine du déluge, qui nettoie la terre des méchants tels que Lycaon assoiffé de carnage, homme tranformé en loup pour avoir fait bouillir et rôtir ses otages et pour avoir voulu tuer Zeus-Jupiter afin de montrer que les dieux sont mortels. Le déluge déclenché par le maître de l’Olympe contre les impies ne laisse subsister que deux humains vertueux, Deucalion fils de Prométhée et Pyrrha fille d’Epiméthée (lui-même frère de Prométhée). Ces deux survivants, dans la tenue des prêtres et des magiciens, tête voilée et ceinture détachée, repeuplent l’humanité, conformément à l’oracle sybillin de la déesse Thémis, en jetant derrière eux les os, c’est-à-dire les pierres, de leur grande mère, la terre. Ces pierres se métamorphosent les unes en hommes quand elles sont jetées par Deucalion et les autres en femmes quand elles sont jetées par Pyrrha. « Voilà pourquoi, conclut Ovide, nous sommes une race dure, à l’épreuve de la fatigue ; nous donnons nous-mêmes la preuve de notre origine première. »

Dominique Thiébaut Lemaire

 

 

 

La chatte métamorphosée en femme

Un quidam excessif chérissait trop sa chatte
Qui était fort mignonne et belle et délicate
Et qui miaulait d’un ton si doux
Le pauvre en était presque fou
Comme ensorcelé par son charme
Cet homme donc par supplique et par larmes
Fait tant qu’il obtient du destin
Que cette chatte un beau matin
Devienne femme et le jour même
Désormais fou d’amour extrême
Plus question de douce amitié
Le sot la prend pour sa moitié
Trouvant à cette épouse nouvelle
Plus de charme qu’à la plus belle
Il la caresse elle le flatte
Elle est câline et mieux que chatte
Tandis que lui dans l’erreur jusqu’au bout
La croit femme en tout et partout
Tels sont les mots du fabuliste
Qui n’était pas un catéchiste
Mais les plaisirs de ces récents mariés
Sont vite contrariés
Par un bruit de petits rongeurs
Aussitôt pour chasser les grignoteurs
Qui réveillaient son instinct
Mal éteint
La femme d’un seul bond délaissant les caresses
Est  redevenue chasseresse
Avec d’autant plus de succès
Que nul ne la reconnaissait
Chez les trotte-menu n’ayant plus assez peur
De son aspect trompeur

 

Ce texte s’inspire d’une fable de La Fontaine (Livre II, 18) dont l’origine est un apologue d’Esope intitulé « La chatte et Aphrodite », où une jeune femme, amoureuse d’un jeune homme, demande à Aphrodite-Vénus d’être transformée en chatte pour être près de lui. La déesse exauce cette prière, mais elle met la belle à l’épreuve en lâchant une souris dans la chambre. Cette fable transformée par La Fontaine fait penser à une autre du fabuliste français, « La souris métamorphosée en fille » (Livre IX, fable 7), où la fille en question, laissée libre d’épouser le parti le plus avantageux, finit par donner sa préférence à un rat. Dans « La chatte métamorphosée en femme » et dans « La souris métamorphosée en fille », la morale selon laquelle le « naturel » est le plus fort se rapproche de celle qui conclut « Le loup et le renard » (Livre XII, fable 9) : « Que sert-il qu’on se contrefasse ? / Prétendre ainsi changer est une illusion : / L’on reprend sa première trace / A la première occasion » (vers 61-64).

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Narcisse et la nymphe Echo

« Enfin soupire-t-il au milieu des roseaux
Je me vois au miroir que me tendent les eaux
Mais pour désaltérer cette passion curieuse
Nymphes ne brouillez pas votre onde mystérieuse
Il ne faut pas mouvoir cet univers dormant
Votre sommeil importe à mon enchantement
Même si des secrets que je crains de savoir
Peuvent paraître ainsi dans le calme du soir
Nymphes de cet étang faites-moi voir mes yeux
Mon front tout mon visage en un reflet précieux
Faut-il qu’à peine aimés la nuit les obscurcisse
Et que la nuit déjà me cache ce Narcisse
Je le vois s’estomper dans un profond regret
Je me penche vers lui plus près de son secret
Sans jamais parvenir à embrasser ce double
Aussitôt disparu dès que l’onde se trouble »

Il aime ce reflet qui renvoie son image
Comme la nymphe Écho reproduit son langage
Et semble lui parler de plus loin que les sons
Répercute sa voix prolonge ses frissons
S’éloigne en ricochet sur le revers d’un songe
Avant de s’arrêter comme une pierre plonge
C’est l’écho redisant au jeune homme l’émoi
Qu’il exprime lui-même en s’approchant de soi
Si près qu’il tombe à l’eau dans un dernier je t’aime
Tandis qu’au bord on voit rustique chrysanthème
Fleurir une jonquille ornée d’un cœur safran
Ses pétales sont blancs couleur d’amour souffrant

 

L’histoire de Narcisse est rapportée dans les Métamorphoses du poète latin Ovide qui s’est inspiré d’auteurs grecs de l’époque alexandrine tels que le poète Parthenios de Nicée, auquel on attribue une version composée vers 50 avant J.-C., redécouverte dans des papyrus à Oxford en 2004. La nymphe Écho, « qui ne sait ni se taire quand on lui parle, ni parler la première », était amoureuse du beau Narcisse et voulait l’aborder avec des paroles caressantes, mais sa nature ne lui permettait pas de commencer. Elle sort de la forêt et veut l’embrasser. Narcisse fuit, et tout en fuyant : « Retire ces mains qui m’enlacent, lui dit-il ; plutôt mourir que de m’abandonner à toi ! » Elle ne répète que la fin de ces paroles : « M’abandonner à toi ! » Honteuse, elle se cache, mais tout le monde l’entend. Une autre nymphe, dédaignée elle aussi, prie la déesse Némésis, personnification de la vengeance : « Puisse-t-il aimer lui aussi, et ne jamais posséder l’objet de son amour ! » La déesse exauce cette prière,  et Narcisse se consume, épris de sa propre image qu’il ne peut embrasser. Même après sa mort, il se mire encore dans l’eau du Styx, le fleuve des Enfers (Ovide, Les Métamorphoses, livre III, vers 356 à 510). Le sujet de Narcisse a hanté Paul Valéry qui l’a abordé à plusieurs reprises, dans « Narcisse parle » (Album de vers anciens), dans « Fragments du Narcisse » (Charmes), puis dans « Cantate du Narcisse ». Le poème ci-dessus s’inspire en partie des « fragments » de Charmes.

Dominique Thiébaut Lemaire

La poésie d’Osama Khalil dans « Figures de l’étreinte romantique ».

Textes et images, le recueil intitulé Figures de l’étreinte romantique, qualifié par Osama Khalil de « Textament » (texte-amant plutôt que testament ?),  nous donne de bons et beaux exemples de cette poésie.

Celle-ci est d’abord langage, en arabe et en français. A son premier niveau, elle est jeu de mots. L’un des sous-titres du recueil s’intitule « Du coq au loup », ce qui fait penser au goût de l’auteur pour les coq-à-l’âne et les calembours, un goût qui, dans la vie courante, l’incite à répondre par plaisanterie « à trois mains » quand on le quitte en lui disant « à demain ». C’est de la même manière qu’il écrit en deux mots « main-tenant», y faisant apparaître l’image de la main tendue et tenue comme un lien entre les êtres humains. En arabe, l’un des principaux jeux de mots, déjà présent dans un précédent recueil, Mes lettres à Elle, porte sur « El », c’est-à-dire Dieu, ce qui nous évoque simultanément l’amour de la femme.

Cette poésie qui s’affirme en premier lieu comme langage est aussi conscience de l’origine. Né en Egypte, Osama Khalil se souvient, comme dans une réminiscence, du glorieux et profond passé de son pays, où domine à ses yeux la figure d’Isis, retrouvée chez les auteurs et artistes des pays de langue allemande au temps du romantisme. Les liens entre ces pays et le culte de la déesse sont mis en évidence. Mozart et les écrivains de la même époque se réfèrent à elle, et Kant lui-même cite cette inscription du temple d’Isis : « Aucun mortel n’a levé mon voile. » D’où l’importance du voile et de ses plis dans les images féminines accompagnant le texte d’Osama Khalil. Ajoutons que, dans un passé plus lointain que le romantisme, une partie des Germains offrait des sacrifices à Isis, d’après l’historien latin Tacite (La Germanie, IX).

Cette poésie est sans doute avant tout célébration de l’amour incarné par la déesse. L’étreinte y apparaît dans son sens physique mais aussi sous une forme spirituelle. Du point de vue philosophique, la principale question posée est celle de l’union, de l’étreinte, entre la matière et l’esprit. Osama Khalil emploie l’expression de « tiers inclus» pour récuser le principe du tiers exclu qui conduit au dualisme séparant l’âme et le corps. Il situe le «tiers inclus » dans un monde quasiment mystique où l’âme et le corps ne sont plus dissociables. On y sent l’espoir, incertain mais merveilleux, que l’amour pourra vaincre la mort.

Dominique Thiébaut Lemaire

***

J’ai aimé la préface de Gianfranco Stroppini de Focara et je partage ce qu’elle dit sur «les énigmatiques accents de paraboles…. », « la fleur bleue d’un imaginaire romantique…»

Ce qui m’a plu, c’est le jeu des quatre « collages », de quatre figures de l’étreinte, présentant des points de vue différents sur une même quête, la recherche du Un dans le multiple ou dans la dualité :
– D’un coup de fil amoureux à l’odyssée dans le romantisme allemand de l’étreinte,
– Ce que représente la voyelle « a » brodée par la voix d’Om Kalthoum par rapport à la racine consonantique du verbe aimer arabe WSL,
– le scribe, le potier du verbe, entre petit homme et Grand Anthropos, tentant de reconstruire la Tour de Babel effondrée.
– Enfin un tissage entre des poèmes inspirés par l’antiquité, biblique ou égyptienne, et des poèmes d’un lyrisme plus personnel.
Le syncrétisme de l’espace et du temps imaginaires (passant du voile d’Isis à l’Immaculée Conception du culte de Marie, du romantisme allemand aux avancées scientifiques sur le tiers inclus) pourrait donner le vertige si nous n’étions pas embarqués dans la barque du scribe, partageant ses belles images (les graines d’amour apportées de loin par les oiseaux), ses néologismes (l’hybrisse et le pathématique), son humour et ses calembours : le Vesoul de Jacques Brel comparé à Ninive, le coup de dé / le coup d’idée.
Le « multiple » du texte en prose, du poème, du tableau, de la photo, de la couleur, du noir et blanc, de la graphie arabe et française résonne avec le textament lui-même.

Maryvonne Lemaire

Mythologie : Philémon et Baucis

Ni l’or ni la grandeur ne peuvent rendre heureux
Ce sont des biens pervers n’accordant à nos vœux
Que du contentement fugace et peu tranquille
Que du souci creusant dans le cœur son asile

On voit chez les humains que le luxe environne
La fortune qui vend ce qu’on croit qu’elle donne
Mais sous son toit sans peur sans destinée funeste
Le sage vit paisible et dédaigne le reste

Philémon et Baucis nous en donnent l’exemple
Au point que leur cabane est transformée en temple
Après qu’ils ont offert le cristal d’une source
A Zeus et à Hermès altérés de leur course

Chercheurs incognito d’une hospitalité
Frugale et cependant de belle qualité
Ces hôtes n’ont réduit ni le pain dans la huche
Ni la boisson non plus contenue dans la cruche

Les époux sont témoins du miracle évident
De l’eau bien que versée jamais ne se vidant
Ils prient les dieux puissants de confier leur autel
A leurs soins de vieux couple aimé des immortels

Au moment de leur mort qu’ils ont sentie prochaine
Pour vivre encore unis Philémon devient chêne
Baucis devient tilleul elle lui tend les bras
Il veut tendre les siens mais il ne le peut pas

Ils voudraient se parler mais ils n’ont plus de voix
Leur corps n’est bientôt plus que feuillage et que bois
Leur parole est trop faible inaudible sans force
Leur bouche s’est fermée dans un nœud de l’écorce

 

Cette légende nous est connue par Les métamorphoses d’Ovide (Livre VIII, vers 615 à 724). Elle raconte qu’il y a dans les collines de Phrygie, à côté d’un tilleul, un chêne entouré d’un petit mur. Jupiter (Zeus) y est venu sous les traits d’un mortel, avec son fils Hermès (Mercure). Ils se sont présentés dans mille maisons, demandant un endroit où se reposer. Dans mille maisons les habitants ont fermé les verrous. Une seule les a accueillis, celle des vieux Philémon et Baucis, qui ont émis le vœu de devenir les prêtres de ce lieu, cabane transformée en temple, et de ne pas être séparés par la mort. C’est ainsi qu’ils sont devenus arbres l’un à côté de l’autre. Le poème s’inspire de la fable que La Fontaine a consacrée à ce sujet (Livre XII, fable 22).

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Orphée et d’Eurydice

Le mythique poète en quête d’Eurydice
A l’entrée des Enfers avec ses mélodies
S’est joué de Cerbère et de manière douce
A dompté l’animal un chien qu’on amadoue

Aède il a montré du cœur et de l’audace
L’amour lui a donné la force d’un soldat
Peut-être a-t-il manqué d’un surcroît de prudence
D’un surplus de patience il était trop ardent

Avec une passion moins proche du pathos
Il aurait pu ravir sa femme à Thanatos
Dans l’ombre où il était pour elle descendu

De même un très beau vers qui nous prend de vitesse
Le temps de le saisir en songe avec prestesse
Disparaît dans la nuit tel un fruit défendu

 

Orphée, poète et musicien, fils de la muse Calliope, aurait inventé la cithare et reçu d’Apollon la lyre à sept cordes qu’il a portée à neuf cordes pour atteindre le nombre des Muses. Son chant charmait les dieux et les mortels, apprivoisait les bêtes sauvages, parvenait même à émouvoir les êtres inanimés. Descendu aux Enfers pour chercher Eurydice, mortellement mordue par un serpent, il a obtenu de la divinité infernale, Hadès en grec, Pluton en latin, le retour à la vie de son épouse disparue, à la condition qu’il sortirait des Enfers devant elle, sans se retourner, et ne la regarderait pas avant d’avoir franchi le seuil de la lumière. Ayant oublié cette condition au moment de regagner le monde des vivants, il a perdu Eurydice pour toujours. Inconsolable, il a été tué par les Bacchantes, furieuses de cet amour exclusif. Aujourd’hui encore, les poètes croient pouvoir sauver la beauté perdue dans ce royaume des ombres qu’est le songe et la rattraper tandis qu’elle miroite à la frontière de la lumière, mais elle échappe bien souvent à ce désir.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : colère et douceur (II)

Les casseurs de la rue grâce à de bons collyres
S’avancent dans les gaz prolongent leur chienlit
Les maîtres des bureaux parcourent les couloirs
Pour mettre sous tension pour imposer leur loi

C’est un monde agressif où le peuple est colère
Je l’aimerais plus beau sans ire ni pamphlets
Le  tableau n’est pas lisse on y voit des coulures
Ce n’est pas du courroux que viendra le salut

Le libretto réglant nos ballets indécis
Où les esprits chauffés sont de piètres danseurs
A des angles trop vifs manquant d’arrondissure

Chacun dans son chemin qui monte ou qui descend
Croit sur son dos porter le chiffre d’un dossard
Mais bien des concurrents voudraient de la douceur

 

Thomas d’Aquin, à la suite d’Aristote, considère que « toutes les causes de la colère se ramènent au mépris […] On se trouve moins lésé quand le dommage subi a une autre cause que le mépris » (Somme théologique, question 47, 2). Cette considération éclaire notre actualité coincée entre la colère des dirigés et le mépris vertical exprimé contre eux par certains dirigeants. Thomas d’Aquin se réfère aussi à l’Éthique à Nicomaque d’Aristote pour appeler « vifs ceux qui s’emportent soudain, amers ceux qui gardent longtemps leur colère, implacables ceux que seule la vengeance peut apaiser » (Somme théologique, question 46, 8). Descartes, quant à lui, distingue deux espèces de colère, l’une, plus extérieure et plus prompte, qui fait rougir, et l’autre, plus intérieure et plus durable, donc plus dangereuse, qui fait pâlir, dont la force est augmentée peu à peu par le désir de se venger. Cette seconde espèce de colère est en particulier celle des orgueilleux, « car les injures paraissent d’autant plus grandes que l’orgueil fait qu’on s’estime davantage » (Descartes, Les Passions de l’âme, article 202). Il faut traverser la colère pour accéder à la douceur, de même qu’il faut avoir peur pour être vraiment courageux, et connaître le pouvoir de mentir pour donner tout son sens à la sincérité. Ce sont des paradoxes de la vertu, mis en évidence par Jankélévitch dans son Traité des vertus, I, Le sérieux de l’intention, mais aussi, bien avant lui, par La Rochefoucauld : « Nul ne mérite d’être loué de bonté, s’il n’a pas la force d’être méchant », et : « Il n’y a que les personnes qui ont de la fermeté qui puissent avoir une véritable douceur » (maximes 237 et 479).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : colère et douceur

Nous voudrions du calme en ce monde de brutes
Où règnent l’esprit dur la violence membrue
Pour atteindre un refuge où la douceur s’abrite
Il faut sur notre route écarter les débris

Nous rêvons de pensées qui soient moins encombrantes
Portées par des espoirs plus légers moins vibrants
Nous voudrions du calme en ce monde de brutes
Où règnent l’esprit dur la violence membrue

Douceur fait souvent mieux que force qui se cabre
Encore que parfois les gens inquiets dans l’ombre
Aient le besoin de se remettre en équilibre
En faisant éclater la colère salubre
Au cœur de leurs désirs en ce monde de brutes

 

Maryvonne m’a suggéré d’écrire un poème sur la douceur. Ce n’est pas un sujet négligeable. Aristote oppose la douceur à la colère et en fait une vertu. « Etre doux veut dire en effet rester imperturbable, et ne pas se laisser emporter par son affect(ion), mais comme le prescrirait la raison, manifester sa mauvaise humeur pour les motifs et pour le temps qu’il faut […] La douceur cependant passe pour une faute qui va plutôt dans le sens du défaut […] En effet, ceux qui ne s’irritent pas pour les motifs qu’il faut passent pour des sots […] Car on donne alors l’impression d’être insensible ou de ne pas être peiné, et faute de manifester sa colère, on donne le sentiment de n’être pas capable de se défendre. Or accepter d’être traîné dans la boue ou détourner les yeux quand ses intimes le sont semblent des attitudes serviles » (Éthique à Nicomaque, IV, 1125 b 25 – 1126 a 10). Dans les évangiles, la douceur fait partie des béatitudes : « Heureux les doux, ils auront la terre en partage », dit Jésus dans le discours sur la montagne (Matthieu, 5, 5-2). « Prenez sur vous mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur », dit-il encore (Matthieu 11, 29). La douceur est liée à l’humilité, mais cette dernière n’est pas toujours vertueuse, si l’on en croit Descartes. Cela dit, plutôt que d’invoquer la philosophie et la spiritualité pour parler de ce sujet, on pourrait se contenter d’adopter le ton familier d’un proverbe cité par le dictionnaire de Littré : « On prend plus de mouches avec du miel qu’avec du vinaigre. »

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : veille de nouvel an

L’année s’estompe à la fin de décembre
En un jour gris mais sans souffle glaçant
Elle s’en va dans le noir elle sombre
Il est trop tôt pour en tirer leçon

Dans la semaine a brillé comme l’ambre
Un soleil pâle avec des rayons lents
L’année s’estompe à la fin de décembre
En un jour gris mais sans souffle glaçant

On ne sait pas s’il faut garder la chambre
Ou s’élargir en se donnant du champ
Ce qui est sûr c’est que dans la nuit sombre
Où l’avenir est malgré tout chanson
L’année s’estompe à la fin de décembre

 

 

Les souhaits et les vœux sont des désirs de voir un évènement s’accomplir. Selon qu’il y a beaucoup ou peu d’apparence qu’on obtienne ce qu’on désire, ce qui nous fait penser qu’il y en a beaucoup excite en nous l’espérance, et ce qui nous fait penser qu’il y en a peu excite en nous la crainte. L’espérance est une disposition de l’âme à se persuader que ce qu’elle désire adviendra, disposition causée par un mouvement de la joie et du désir mêlés ensemble, et la crainte est une autre passion de l’âme, qui tend à la persuader que ce qu’elle désire n’adviendra pas. Bien que ces deux passions soient contraires, on peut néanmoins les avoir toutes deux ensemble, lorsqu’on se représente en même temps diverses raisons, dont les unes font juger que l’accomplissement du désir est facile, tandis que les autres le font paraître difficile. Ainsi parlait René Descartes, je m’en souviens en cette veille de nouvel an.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : premières lectures, dent de lait, chagrin de Noël

Dans ses livres d’enfant où le vocabulaire
A l’image est couplée l’exercice lui plaît
A cinq ans et demi Sacha se met à lire
Comme pour un début de bibliophilie

Il nous dit sa fierté quand sa maman déclare
« Je suis impressionnée » ou quand un chocolat
Lui enlève une dent (de lait) nous fait conclure
Que sa première enfance est bientôt révolue

La boule du sapin – il en a le cœur lourd –
Sur laquelle est inscrit son nom de petit loup
S’est cassée en tombant malgré son soin jaloux
On croit le consoler mais le chagrin redouble

A quelque chose est bon cet enfantin malheur
Qui rend un bref instant ton regard ténébreux
Ne cherche pas Sacha le secret d’être heureux
Dans les objets de rien dont notre esprit se meuble

 

En tant qu’adulte ayant dépassé depuis longtemps l’âge de raison, je crois avoir raison de dire à Sacha : « Ne cherche pas le bonheur dans des objets de rien, et ne te crois pas malheureux s’ils te manquent ». Mais sa Mamie me dit à juste titre que j’ai tort, et que je devrais le savoir en tant qu’ancien enfant, car le charme et la magie du jeune âge  consistent dans les petits malheurs et dans les petits bonheurs causés par ces riens. Une autre magie est d’apprendre à lire et à écrire, et de faire des progrès en grandissant, même s’il faut accepter pour cela de perdre ses premières dents et de s’éloigner peu à peu de la première enfance.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les gilets jaunes

Canons d’eau sous pression grenades fumigènes
Sur les Champs Élysées c’est le premier sujet
D’une actualité qui a pour origine
Le prix des carburants la coûteuse énergie

Il faut y ajouter les gaz lacrymogènes
Les flash-balls dont mieux vaut éviter le trajet
Les groupes de casseurs comme des djinns en jean
Courant dans un brouillard de folle tabagie

Honnêtes provinciaux flanqués d’affreux jojos
C’est le mélange habituel des gilets jaunes
Qui viennent à Paris les samedis dès l’aube

Beaucoup pour qui l’auto demeure un grand enjeu
Voient dans la Société unissant vieux et jeunes
Une autre dimension d’« automobile club »

 

Tous les automobilistes doivent avoir dans leur voiture un gilet jaune fluorescent, imposé par l’Etat depuis 2008, à endosser notamment en cas d’urgence ou de détresse pour être bien visibles, par exemple en cas d’arrêt sur le bord d’une route ou d’une autoroute. A partir d’un mot d’ordre lancé fin octobre 2018, ce vêtement est devenu en quelques semaines un symbole de ralliement incarnant d’abord la contestation des automobilistes contre le prix du carburant, contre la vie chère en général, et par extension contre les injustices sociales et le manque de démocratie directe. Manifestations, blocages, violences parfois : on a retrouvé partout en France (en particulier sur les ronds-points ou carrefours giratoires qui seraient 50 000 aujourd’hui dans notre pays, un record du monde) les porteurs de ce fameux gilet, qui permet d’être à la fois très visible et de rassembler des gens très différents. En le choisissant comme emblème, le mouvement a aussi changé le sens que l’on donne à ce vêtement. Initialement imposé, devenu un symbole de révolte un demi-siècle après mai 1968.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: ma Normandie de 1993 à 2018

J’ai fréquenté longtemps la campagne normande
Où nous avions acquis dans un recoin dormant
Pour un temps qui devait n’être qu’un intermède
Une grande maison fleurie au mois de mai
J’y rêvais de vraies fleurs qui ne fanent jamais

Nous trouvions là de l’air modérément humide
C’étaient près de Paris des instants d’accalmie
Tandis que par métier je parcourais le monde
En respirant la vie qui gonfle les poumons
En survolant de haut l’argile et le limon

J’ai planté des fruitiers produisant en septembre
Des paniers des cageots de pommes parfumées
Mûries dans un verger où l’herbe tiède fume
Dans les matins frisquets que le soleil rallume

Je m’en suis détaché lorsqu’un soir de novembre
En ce lieu j’ai senti ma confiance meurtrie
Par un commencement d’incendie électrique
Noircissant l’intérieur de la maison de brique

 

Après quelques années de location dans le département de Haute-Normandie à 110 km de Paris, Maryvonne et moi avons acheté un peu plus loin en 1993 comme résidence secondaire une solide maison de brique datant sans doute de 1850 (d’après une pierre insérée dans le mur du jardin) près de Forges-les-Eaux dans la région où Flaubert a situé madame Bovary. J’ai acheté de l’autre côté de la place du village un terrain de 2000 m2 qui devait servir de terrain de jeu pour les enfants, où j’ai planté des haies de lauriers-palmes et un verger. Nous avons fait refaire en 1999 le toit d’ardoises de l’habitation puis nous avons subi en 2004 un incendie électrique qui a fait fondre le compteur en plastique d’EDF, brûlé en partie la porte d’entrée et tapissé de suie l’intérieur de la maison. La mutuelle d’assurances a payé les dégâts qui ont été réparés péniblement, mais à partir de cette date j’ai cessé de planter des rosiers et des arbres fruitiers. Je me suis détaché de cette résidence secondaire en y investissant de moins en moins, psychologiquement et matériellement. En 2011, nous avons décidé de mettre en vente la maison et le terrain en accord avec nos enfants auxquels nous en avons fait donation. Cela dit, le moment n’était guère favorable : la crise économique faisait sentir ses effets, et les résidences secondaires étaient passées de mode. Après quelques années de patience dans un marché immobilier atone, des acheteurs normands se sont présentés, à des conditions limitant autant que possible le montant de la moins-value. Le terrain a pu être vendu comme terrain à bâtir, et le dossier a été enfin clos avec la vente de la maison en septembre 2018.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : La francophonie aujourd’hui

Qu’on ne nous vante plus l’espace francophone
Dont l’organisation sonne creux sonne faux
On n’y entend n’y voit que phosphène acouphène
Vient d’y être promu l’anglophone surfait

Kagamé du Rwanda depuis longtemps peaufine
Sa haine du F(f)rançais sa vraie philosophie
A travers sa ministre admiratrice fan
Il pourra sur l’estrade être le mâle alpha

Sa force s’est forgée en un temps de massacre
Où il pensait qu’enfin ses semblables vaincraient
Bien qu’en minorité même tués proscrits

Ce qui paraît hors jeu après ce génocide
C’est la majorité qui a versé leur sang
Pas de démocratie dans ce pays d’excès

 

Le Rwanda, petit pays francophone d’Afrique surpeuplé de 12 millions d’habitants, situé dans la région des grands lacs, continue à nous faire marcher sur la tête. Dans les années 1990 il a connu une guerre civile atroce, où le groupe majoritaire, celui des Hutus soutenus sur place par l’Eglise catholique, a essayé de se débarrasser de la minorité tutsie qui continuait, semble-t-il, à diriger la société. Il en est résulté tout ce qui suit : un génocide, le plus souvent à la machette, qui a fait des centaines de milliers de victimes ; la reprise du pays par les Tutsis exilés notamment dans l’Ouganda voisin et soutenus par l’anglophonie de la région ; l’interposition momentanée, sous mandat de l’ONU, de l’armée française entre les Tutsis et les forces hutues en déroute ; la fuite de ces dernières au Congo voisin (Zaïre devenu RDC, République Démocratique du Congo, le plus grand Etat francophone du monde, peuplé à présent d’au moins 80 millions d’habitants) ; la traque des fuyards par les Tutsis à travers le Congo, traque qui a fait à nouveau un très grand nombre de morts, cette fois chez les Hutus ; les tentatives faites par le chef des Tutsis, Paul Kagamé, pour annexer de facto les zones du Congo oriental limitrophes du Rwanda ; la dictature du même Kagamé dans son pays, qui s’est maintenue pour au moins trois raisons : son « groupe ethnique » a subi un génocide, il assure l’ordre intérieur, il est appuyé par les pays du Commonwealth britannique dont le Rwanda est devenu membre en 2009. Aujourd’hui, la perte de repères s’accentue : Paul Kagamé, président de l’Union africaine jusqu’en janvier 2019, soutenu par le président français bien qu’il n’ait cessé depuis les années 1990 de vilipender la France, vient de faire élire sa ministre des affaires étrangères Louise Mushikiwabo à la tête de la francophonie avec le soutien du président français ! Mais le véritable enjeu, c’est sans doute celui des élections prochaines en RDC.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : navires et avions comparés aux grands animaux

Vingt mille conteneurs sur un même navire
Et huit cents passagers qui vont confier leur vie
Au même gros avion les morceaux de bravoure
Qu’il faut pour en parler j’y renonce j’avoue

Je me contenterai de tourner quelques vers
Sur le transport en mer comme si je pouvais
Agrémenter ici de quelque enjolivure
Des chiffres qui d’abord en semblent dépourvus

La course au gigantisme au début les baleines
En ont lancé l’idée l’homme a pris le relais
Sous ses bateaux géants la houle est vaguelette

Hyperdimensionnés ne chôment ni ne flânent
A travers l’océan sans être jamais las
Ces monstres de métal dont l’armateur se flatte

 

Les plus grands navires d’aujourd’hui sont les porte-conteneurs de quatre-cents mètres de long et cinquante-cinq mètres de large, qui se déplacent à la vitesse moyenne de 20 nœuds (37 km/h). Le transport maritime des passagers et celui des hydrocarbures ont également donné naissance à des navires gigantesques (paquebots, pétroliers et méthaniers). Les avions, comme on le sait, sont nettement moins volumineux mais beaucoup plus rapides. Par exemple, l’Airbus A380 a les caractéristiques suivantes : longueur : 73 m ; envergure : 80 m, supérieure à sa longueur ; masse au décollage : 575 tonnes ; vitesse maximale : 1000 km/h. Dans la nature, on constate des similitudes, selon le milieu, eau, air, terre, avec les moyens de transport fabriqués par l’homme. Parmi ceux-ci, les records de taille sont détenus par les navires, de même que c’est dans les océans que vivent les plus grands animaux. Les baleines bleues ont une vitesse de croisière de 20 km/h, une longueur de trente mètres, un poids de 170 tonnes, alors que les éléphants d’Afrique pèsent au maximum 12 tonnes. Chez les oiseaux, la capacité de voler dépend de la « charge alaire », rapport entre le poids du corps et la surface portante des ailes. Le cygne, oiseau emblématique de Mallarmé et de plusieurs autres poètes, a un poids de 11,5 kg en moyenne et des ailes dont l’envergure est de l’ordre de 2,5 m. Il a besoin d’une course de 8 à 20 m avant de décoller. Dans les airs, il peut atteindre la vitesse de 80 km/h. C’est l’oiseau volant le plus lourd avec l’albatros, oiseau emblématique de Baudelaire, dont l’envergure peut atteindre 3,5 m. « Ses ailes de géant l’empêchent de marcher », écrit Baudelaire (qui voit en lui une figure du poète maladroit à terre mais capable de s’élever haut et d’aller loin). L’albatros a une « finesse aérodynamique » telle que pour chaque mètre descendu, il peut parcourir 22 mètres de distance horizontale.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : effondrement d’un viaduc

La construction des ponts est œuvre délicate
Et leur effondrement ne va pas sans fracas
Gênes l’a constaté lorsque son long viaduc
A brusquement cessé d’être un pont suspendu

Ouvrage d’art usé que le trafic esquinte
Il souffrait de surcroît d’un entretien mesquin
Sans oublier que vu ses faiblesses techniques
Il n’aurait pu durer plus de cinq décennies

En France il est exclu qu’un tel ouvrage craque
Nous dit-on doctement exclu qu’il se disloque
Et que l’ingénierie subisse un tel échec

Mais en parlant ainsi on ne sera pas quitte
Car l’ingénieur français – tendance trop fréquente –
Préfère désormais la finance et les comptes

 

Le viaduc autoroutier de Gênes, pont suspendu d’une longueur de 1100 m, s’est écroulé sur 250 m le 14 août 2018, probablement à cause d’une défaillance de ses haubans. Cet équipement indispensable doit être reconstruit au plus vite. « Le célèbre architecte italien Renzo Piano [architecte du centre Pompidou à Paris] a présenté le 7 septembre à Gênes un projet de nouveau pont pour sa ville natale, après l’effondrement du viaduc Morandi qui a fait 43 morts au mois d’août. A la fin de la conférence de presse, le patron d’ASPI, la compagnie des autoroutes italiennes, Giovanni Castellucci, a examiné un élément de la maquette présentée par le bureau de Renzo Piano et l’a fait tomber par mégarde : le morceau de plastique s’est brisé, provoquant un sourire et un geste d’impuissance de Renzo Piano. « Ça porte chance », a fini par s’exclamer l’architecte devant cet incident malencontreux » (Le HuffPost). Cette information a été publiée en première page du Canard enchaîné daté du 12 septembre 2018 : « Le futur pont de Gênes est calculé, selon son architecte, Renzo Piano, pour durer mille ans, mais sa maquette, elle, s’est effondrée au bout de quelques minutes lors de sa présentation à la presse le 7 septembre dans la capitale ligure. Ce n’est pas sa structure qui est en cause – elle sera en acier, a précisé Piano – mais un geste malheureux de Giovanni Castellucci, patron d’Autostrade per l’Italia, propriétaire du viaduc Morandi… » A l’heure actuelle, les ouvrages d’art sont souvent en mauvais état un peu partout, pas seulement en Italie. C’est un symptôme d’une tendance générale des pouvoirs publics et des jeunes ingénieurs, notamment ceux des ponts et chaussées, à délaisser les routes, le béton et l’acier pour des activités moins lourdement matérielles, plus « à la mode » et apparemment plus rémunératrices comme l’urbanisme, l’écologie, l’informatique, la finance.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : cinquième anniversaire

Sacha cinq ans questionne expérimente observe
C’est l’âge où il comprend après plusieurs essais
L’art de la bicyclette et roule de conserve
Avec ses deux parents nous montre ce qu’il sait

File sous les rayons d’une lumière en verve
Soleil tapant sur l’estivant qui se dévêt
Pas sous la pluie dont Sacha dit qu’elle « s’énerve »
En ruisselant d’un ciel brièvement mauvais

Il vaut mieux éviter piste ou sentier qui servent
A visiter la rive où les oiseaux se plaisent
Le cycliste apprenti ne peut y être à l’aise

Trop de piétons vélos rallient cette réserve
Circulent font du bruit les non-humains se taisent
Dans l’arrière-marais où la chaleur s’apaise

 

 

L’enfance fascine par l’aventure de ses progrès, dont l’une des étapes importantes est la maîtrise de la bicyclette, maîtrise acquise par Sacha peu avant ses cinq ans. Mais qui dit progrès dit nouveaux problèmes. Vers le quinze août à Fouesnant (Finistère) où Sacha a passé quinze jours après l’île de Ré, les sentiers de randonnée et les pistes cyclables dans le « site naturel classé » de Penfoulic sont victimes de leur succès, d’autant qu’une confusion s’est instaurée involontairement (ou peut-être volontairement de la part des responsables du tourisme et des cyclistes) entre ce qui est piétonnier et ce qui est cyclable. J’avais déjà pu constater cette confusion à Quiberon, il y a quelques années, comme si la coexistence des marcheurs plus lents et des deux-roues véloces pouvait être assurée en toute liberté. A Fouesnant, les promeneurs sont sans cesse dérangés par des cyclistes qui piaffent dans leur dos, et les petits comme Sacha qui se lancent sans l’aide de roulettes stabilisatrices ne peuvent pas vraiment profiter de leur nouveau savoir-faire sur ces itinéraires qui seraient pourtant à leur portée. Quant à l’île de Ré, d’après le journal Sud-Ouest (10 juillet 2017), « avec près de 110 km de pistes cyclables, [elle] attire bon nombre d’adeptes de la petite reine. Mais les accidents se multiplient malgré les avertissements des communes […] Sur les pistes certains se prennent à rêver du maillot jaune au milieu des familles en balade » ; des sentiers de l’île sont interdits aux vélos, mais les interdictions sont mal respectées.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les footballeurs français champions du monde

Tant pis si le trophée attestant la prouesse
N’est plus l’ancien calice où l’on boit pétillants
Des breuvages de joie rendant le cœur vaillant
Demi-sphère moulée sur un sein de déesse

A la divinité de la victoire en liesse
Les supporteurs de foot déclarent chauds bouillants
Quand la bière ou le champ’ leur font des yeux brillants
« C’est dans ta coupe en or que nous buvons l’ivresse »

On a vu que le ciel à la fin s’est ouvert
Pour l’ondoiement de ceux qui jouent d’un pied agile
Et d’étoiles soudain l’horizon s’est couvert

Les Bleus redevenus vulnérables fragiles
Se sont montrés en bus encadrés de vigiles
Sur eux la gloire a la couleur des lauriers verts

 

 

Ce poème est parti d’un vers de Nerval qui se trouve dans « Myrtho », sonnet des Chimères : « C’est dans ta coupe aussi que j’avais bu l’ ivresse ». Il est dommage que, matériellement, le trophée de la coupe du monde ne soit plus une coupe, mais une sorte de statuette en or surmontée d’un ballon qui fait l’effet d’une grosse tête. Le 15 juillet 2018 à Moscou, juste avant la pluie, l’équipe de France, appelée « Les Bleus » bien qu’elle n’ait pas l’exclusivité de cette couleur, a gagné cette compétition pour la deuxième fois. On a pu constater à nouveau que les passions affectent non seulement les individus, mais aussi les nations, dans la joie ou dans la tristesse. Dans la tristesse, ce qui s’est manifesté dans les pays concurrents de la France, c’est une forte envie presque naïve dont l’expression a dérapé. Comme l’a noté Ouest France les 18 et 19 juillet 2018, plusieurs médias étrangers ont voulu minimiser le succès de l’équipe française, en insistant sur les origines africaines des joueurs. Cette envie perçait parfois sous une bienveillance ambiguë feignant de vanter la diversité française. Elle trahissait souvent un racisme inconscient ou maladroitement dissimulé. « Merveilleuse impureté de la sélection française », a écrit le journal barcelonais Sport, illustrant son propos par la mention de Griezmann, Pogba et Mbappé, pourtant tous trois nés français. En Italie, le Corriere della Sera a critiqué cette équipe «pleine de champions africains mélangés à de très bons joueurs blancs face à une équipe composée seulement de blancs représentant un pays au centre de trois grandes écoles de football, les écoles slave, allemande et italienne. » Pour le journal allemand Bild, la France ne doit pas s’illusionner : « Les banlieues de Paris peuplées d’immigrés sont souvent le théâtre d’émeutes, Marseille a été péniblement arraché à la mainmise de clans maghrébins et les 30 % d’électeurs FN n’ont pas disparu en une nuit. » C’est beau, l’amitié entre Européens.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : le temps ne fait rien à l’affaire

Les jeunes cons deviennent vieux
Pourvu que Dieu leur prête vie
Brassens l’a dit fort peu gracieux
Mais véridique à mon avis

Qu’importe l’âge auquel sévit
La présomption des prétentieux
Les jeunes cons deviennent vieux
Pourvu que Dieu leur prête vie

De leur ornière ils ne dévient
Que rarement souvent odieux
Dans le chemin qu’ils ont suivi
Blancs-becs d’abord puis sentencieux
Les jeunes cons deviennent vieux

 

Brassens a fait une chanson sur ce thème :
« Le temps ne fait rien à l’affaire,
Quand on est con, on est con.
Qu’on ait vingt ans, qu’on soit grand-père,
Quand on est con, on est con.
Entre vous, plus de controverses,
Cons caducs ou cons débutants,
Petits cons d’la dernière averse,
Vieux cons des neiges d’antan. »
Le premier vers de cette citation peut faire penser à une réplique d’Alceste à son rival Oronte, auteur d’un sonnet du genre précieux, dans Le Misanthrope de Molière.
Oronte (à propos de son sonnet) :
« … Au reste vous saurez
Que je n’ai demeuré qu’un quart d’heure à le faire. »
Alceste :
« Voyons, Monsieur, le temps ne fait rien à l’affaire. »

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Le téléphone mobile

N’appuyez plus geste ringard
Sur un clavier comme naguère
Mais effleurez l’écran tactile
Avec doigté glissons mortels

Penchez sur lui votre figure
Dans un plaisir qui revigore
Caressez donc l’écran tactile
Avec doigté glissons mortels

Il n’est pas bon pour les doigts gourds
Cet appareil tout digital
Fait pour l’image et le bagou
Plus de clavier comme naguère
Effleurez donc l’écran tactile

 

Les réseaux sociaux permettent à ceux qui y participent d’interagir entre eux grâce au téléphone informatisé, « portable » ou « mobile » (la langue française hésite encore entre ces deux adjectifs), notamment en activant sur le petit écran de ces appareils des icônes d’émotion appelées émoticônes, qui donnent la possiblité d’exprimer une réponse minimale à ce qui est publié sur le réseau : un pouce levé ou baissé pour signifier « j’aime bien » ou « je n’aime pas » comme on le faisait dans les amphithéâtres antiques pour décider du sort des gladiateurs ; un cœur pour « j’adore » ; des visages réduits à leurs traits essentiels pour représenter par le dessin de la bouche, des yeux et des sourcils l’étonnement, la joie et le rire, la tristesse, la colère, bref, le répertoire simplifié des passions de l’âme. Il est remarquable que la sophistication incorporée dans ces objets aboutisse finalement à l’expression d’émotions élémentaires, dans un contraste frappant entre la complexité rationnelle du matériel et la communication rudimentaire des passions. L’apparence de ces objets est désormais si lisse que leurs possesseurs ne sont plus conscients de toute la technologie leur permettant de fonctionner. Pour activer les téléphones de nouvelle génération, le glissement du doigt a remplacé la pression sur un bouton. Ce glissement apparente leurs utilisateurs aux patineurs du librettiste Pierre Charles Roy (1683-1764) :
Sur un mince cristal l’hiver conduit leurs pas :
Le précipice est sous la glace ;
Tel est de vos plaisirs la légère surface.
Glissez mortels, n’appuyez pas.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : présidentiel mépris

 

Le président élu par surprise ou méprise
Continue de montrer un étonnant mépris
Contre les gens du peuple un dédain que n’entame
A peu près nul remords c’est le chef de l’Etat

Chez lui les mots vachards et les méchantes phrases
Franchissent librement sans guère d’embarras
La barrière des dents * n’expriment pas d’estime
A l’égard des sans grade aucune modestie

L’ouvrière d’usine encourt ses anathèmes
Le gréviste en teeshirt qui n’a pas de costume
Le pauvre en son logis trop cher et mal foutu

Il nomme zigoto l’homme de la Corrèze
Auquel il doit son poste il recourt à la ruse
Mais croit en la vertu du parler cash et cru

* Formule homérique

 

D’après un récent sondage, 39 % des Français pensent qu’Emmanuel Macron est méprisant, 31 % qu’il ne l’est pas. En tant que ministre de l’économie, en septembre 2014, à propos de la société Gad en difficulté, il avait déclaré que : « il y a dans cette société une majorité de femmes, il y en a qui sont pour beaucoup illettrées… On leur explique : allez travailler à 50 ou 60 km ! Ces gens-là n’ont pas le permis de conduire, on va leur dire quoi ? » Il avait ensuite présenté à l’Assemblée nationale ses « excuses les plus plates » (sic). Par la suite se sont succédé d’autres déclarations à l’emporte-pièce : « Bien souvent, la vie d’un entrepreneur est bien plus dure que celle d’un salarié » (janvier 2016) ; à un gréviste : « vous n’allez pas me faire peur avec votre teeshirt, la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler » (mai 2016) ; en septembre 2017 il s’en est pris aux « fainéants » opposés à la « loi travail » ; en octobre 2017, il a demandé à des salariés licenciés d’aller chercher du travail ailleurs au lieu de « foutre le bordel » en marge d’un de ses déplacements. Dans un documentaire télédiffusé le 7 mai 2018 pour le premier anniversaire de son élection, il s’emporte contre « les petits bourgeois de la pensée » : « Il n’y a plus d’aventure importante parce qu’on ne risque plus sa vie. Et même l’amour a moins de sel parce qu’il est rendu possible. Les histoires amoureuses sont possibles parce qu’il y a des interdits. » Il s’emporte aussi contre « ceux qui pensent que la France est une espèce de syndic[at] de copropriété » et que « le summum de la lutte, c’est les 50 euros d’APL [aide personnalisée au logement], ces gens-là ne savent pas ce qu’est l’histoire de notre pays. L’histoire de notre pays, c’est une histoire d’absolu ». Oui mais pour Descartes, les généreux, libres, égaux et fraternels, « ne méprisent jamais personne. » (Les Passions de l’âme, article 154).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : fin de la crise économique de 2008 ?

L’économie repart avec manifs et grèves
Les revendications quand tout va mieux s’aggravent
A la fin de la crise où tous n’ont pas maigri

La paye on veut alors qu’elle soit en progrès
Et que l’os à ronger se garnisse de gras

Le monde d’avant-hier est bonheur qu’on regrette
Le corset de rigueur il ne faut plus qu’il gratte
L’effort mal réparti devient un * mistigri

La paye on veut alors qu’elle soit en progrès
Et que l’os à ronger se garnisse de gras

Au bout du purgatoire oubliera-t-on la Grèce
Pressurée par l’Europe au point de crier grâce
Jalousée par le Nord qui souffre d’un ciel gris

La paye on veut alors qu’elle soit en progrès
Et que l’os à ronger se garnisse de gras

Après dix ans de peine assortie de migraine
Qui n’a pas disparu qui reste en filigrane
Je pense que beaucoup vont en sortir aigris

 

Par un paradoxe apparent, c’est au moment où les crises économiques sont en voie de résolution que les mécontentements s’expriment avec le plus de force. La population prend alors conscience qu’elle peut cesser de plier sous le joug de la contrainte et que l’espoir d’une amélioration renaît. L’espérance est un facteur d’illusion, mais aussi une aide à la modération, comme pourrait le montrer le cas de la Grèce. Celle-ci a emprunté depuis 2010 plus de 200 milliards d’euros auprès de ses partenaires européens. Alors que le plan d’assistance s’achève le 20 août prochain, l’Union européenne, sachant qu’Athènes a besoin de soutien dans cette période délicate, réfléchit à un plan d’allègement « vraiment convaincant » (mais en est-elle capable, cette union ?) qui inciterait les Grecs à cultiver la prudence économique dans la durée et à poursuivre les réformes.

*Mistigri : entre autres significations, désigne « une carte à jouer désavantageuse dont il faut se défausser. Repasser, refiler le mistigri à quelqu’un : se débarrasser d’un problème encombrant  » (dictionnaire Robert).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : le franchissement des Vosges

 

Entre Alsace et Lorraine on traversait les Vosges
En car dans ma jeunesse ou en quatre-chevaux
Aujourd’hui par Bussang les camions lourds s’allongent
Ils freinent l’impatient pressé sur leurs talons

Par le col de Bramont dans des pentes sauvages
Les virages serrés font toujours la java
Les sapins sur leurs bords aux feuillus se mélangent
Pour franchir la montagne on voudrait plus d’élan

Par le col d’Oderen celui que je préfère
La route est plus tranquille et ses tournants moins forts
Quelques-uns seulement en épingle à cheveux

Ses lacets modérés n’exigent des chauffeurs
Qu’une attention moyenne et sans appels de phares
Et sans agacement de conducteur nerveux

 

Entre la vallée alsacienne de la Thur (vallée de Thann/Saint-Amarin) et les vallées lorraines de la Moselotte et de la Moselle, l’automobiliste a le choix entre trois cols routiers : ceux de Bussang  (731 m d’altitude), d’Oderen (884 m d’altitude) ou de Bramont (956 m d’altitude),  ce dernier tout au fond de la vallée de la Thur. La voie mosellane historique qui passe par le col de Bussang aurait pu avoir son tunnel ferroviaire de 8 300 m de long. Mais le percement de ce tunnel, décidé le 11 juillet 1870, a été annulé à cause de la guerre franco-allemande et de l’annexion, pendant presque cinquante ans, de l’Alsace par l’Allemagne. Le creusement a finalement démarré en 1932, mais les coûts ont augmenté rapidement, et la société de forage a fait faillite en 1935. A cette date la plupart des ouvrages d’art côté alsacien étaient construits et le tunnel était foré sur une longueur de presque quatre kilomètres. La poursuite du projet a traîné et la seconde Guerre mondiale l’a stoppée. En 1943, l’ouvrage inachevé a été reconverti en camp de travail, annexe du camp de concentration de Natzwiller-Struthof. Des pièces de moteur d’avion y étaient fabriquées pour le compte de Daimler-Benz. Les déportés, juifs pour la plupart, provenaient des camps de Dachau ou du Struthof. Ils étaient majoritairement russes et polonais. Le chantier du tunnel n’ayant pas été repris après 1945, le col de Bussang est resté indispensable jusqu’à maintenant comme voie de passage la plus directe sur le grand axe de circulation entre le Benelux, la Suisse et l’Italie.

Dominique Thiébaut  Lemaire

 

Billet : la ville sous la neige

A Paris cette année le froid garde la neige
Et pendant quelques jours impose le bonnet
Le piéton pour sortir porte double lainage
C’est un temps qui renvoie aux anciens almanachs

Sous un flocage blanc les marronniers se changent
En arbres de Noël on n’entend plus le chant
Des oiseaux dans le parc mais des envies de luge
Excitent les enfants regardant les talus

Les grilles sont fermées sur leur désir de glisse
Attention le flocon par terre devient glace
Les rues sont menacées d’un reluisant verglas

Le conducteur léger dans la pente ou la rampe
Sans pneus d’hiver patine étourdiment dérape
Et dans l’embouteillage il est fait comme un rat

 

La neige fraîche et veloutée de cette semaine a commencé par être un plaisir pour les enfants, les touristes et les Parisiens qui ont le temps d’avoir une pensée esthétique. Elle a surligné de blanc givré le branchage des marronniers en accentuant leur apparence ébouriffée. Mais au sol elle est vite devenue de la gadoue, mot qui, d’après le dictionnaire Robert, signifie au Canada « neige fondante et salie ». Pas seulement au Canada. La tour Eiffel trop glissante a été fermée. Quand le froid est revenu, le soir et la nuit, la gadoue a durci et gelé au point de faire obstacle à la marche. Les camions ont été interdits. Les boulevards et avenues sont restés dégagés non pas grâce aux chasse-neige, mais grâce au passage ordinaire des voitures roulant sur une épaisseur  de dix ou vingt centimètres de flocons malaxés par les pneus. Pour les piétons, la ville a prévu des bacs de sel, avec une notice disant en substance aux habitants du quartier qu’ils se débrouillent. On sent qu’elle parie sur l’ordinaire bonté du ciel pour faire l’économie d’équipements hivernaux.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : « A nous deux Paris »

Le parc en plein hiver privé de chlorophylle
Offre un balcon de ciel d’où jeter un défi
A Paris capitale aux beautés triomphales
Ainsi que Rastignac jadis l’apostropha

Depuis le Panthéon jusqu’à la tour Eiffel
De nuit la ville brille elle déploie ses feux
Vus de ce belvédère ils sont comme une foule
Et le regard s’y perd libre de garde-fou

Quand il ne fait pas beau les nuages défilent
Dans l’ombre le vent noir fait sentir ses rafales
Il imite parfois des colères qui feulent

Si l’on croit percevoir des cloches qui se fêlent
C’est qu’aux bords de la Seine il passe et se défoule
Emportant la rumeur d’une ville un peu folle

 

 

En remontant la rue Piat à la limite du XXe arrondissement de Paris, on accède à un belvédère qui surmonte le parc de Belleville. Ce pourrait être de cette colline que Rastignac, l’ambitieux de Balzac, a lancé son défi : « A nous deux Paris ». Depuis ce lieu, la vue est superbe, du Panthéon à la tour Eiffel, et, plus largement, d’est en ouest, depuis le XIIIe arrondissement jusqu’au mont Valérien et même jusqu’aux tours de la Défense, en passant par Notre-Dame, Beaubourg, l’Opéra, le dôme des Invalides (sans pouvoir effacer l’hypervisible tour Montparnasse)… Les arbres du parc, ayant beaucoup poussé, sont sur le point de cacher en été une partie du paysage, si, comme on peut le pressentir, rien n’est fait pour les discipliner. Ce belvédère idéalement placé souffre d’un aménagement médiocre et négligé. Construit en matériaux bon marché qui se dégradent, couvert d’un affichage sauvage et environné de HLM qui ne brillent pas par la qualité de leur construction, il sert de toit à une « maison de l’air » désertée dont la mairie de Paris ne semble pas savoir quoi faire, après avoir essayé de jucher à son sommet des éoliennes  minuscules en forme de turbo-réacteurs. Le soir, le promeneur, pour accéder au vaste paysage,  rencontre inévitablement un groupe de quatre ou cinq revendeurs de drogue qui se sentent là chez eux.  Durant les soirées d’été, une sono, qui casse les oreilles à toute personne se trouvant dans le voisinage, prend possession du petit amphithéâtre dans la pente au pied du belvédère. La laideur proche, visuelle, auditive et « sociétale », contraste de manière presque douloureuse avec la splendeur du panorama.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : beaux sapins et cadeaux de Noël

 

Sous un ciel immobile et sans enjolivure
Les gens capuchonnés sont à peine entrevus
Il ne fait pas bien froid seulement gris l’hiver
Serait mieux décoré d’une neige en duvet

Les passants ont l’air triste avant de recevoir
Leurs cadeaux de Noël dit Mamie qui les voit
Se hâter dans la rue le regard trop sévère
Comme pour signifier je suis mal je m’en vais

Mais Sacha plein d’espoir le cœur joyeux savoure
L’idée que  les présents seront au rendez-vous
Sans un doute il répond moi je ne suis pas triste

En attendant le soir qui viendra le ravir
Annoncé par décembre et son long préavis
Il rêve à des jouets peu importe leur liste

 

Sacha a pris plaisir à parer avec des guirlandes et d’autres embellissements lumineux et colorés le sapin de Noël dans sa maison, puis celui que ses grands-parents paternels ont installé chez eux après l’avoir acheté un peu tard, si bien que le marchand n’avait plus à vendre que des exemplaires d’un mètre soixante-quinze de haut. Pour le sommet, Sacha a choisi une grande étoile rouge. Au pied il a répandu quelques éléments décoration, des paquets en miniature, à accrocher normalement aux branches, en disant à Mamyvonne : « Comme ça, Papido va penser que ce sont des cadeaux. » Dans la crèche il a déposé à côté du « bébé » qu’il n’a pas envie d’appeler l’enfant Jésus une grosse boule de décoration, rouge et argentée, puis deux autres, en se demandant pourquoi le nourrisson est couché si inconfortablement sur de la paille. Bien que les adultes trouvent Tino Rossi ringard, il aime l’écouter chanter « mon beau sapin » et « vive le vent d’hiver », une chanson apprise à l’école. Il demande à sa Mamie : « pourquoi tu prends des photos au lieu de regarder ? »

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : funérailles du chanteur

Lorsque le Président demande d’applaudir
Le Chanteur mort la foule émue fait ce qu’il dit
Rend hommage au défunt rallie son étendard
Pour la gloire posthume est-ce un bon candidat

Le cercueil blanc rejoint une île à milliardaires
Il emporte le corps de Johnny Hallyday
Le peuple n’ira pas – vieux motards et faux durs –
L’accompagner là-bas dans un exil perdu

Un paradis fiscal où le chanteur fraudeur
Qui gagnait dépensait flambait comme pas deux
Pensait être à l’abri des redditions de comptes

Il était de ces stars que leur public adore
Idole pour toujours de ces anciens ados
Qui cherchent leur jeunesse et qui se la racontent

 

 

Je me suis toujours étonné de la gloire de Johnny Hallyday, rockeur « idole des jeunes » dans les années 1960 bien qu’il n’ait pas été, sauf exception, l’auteur de ses textes ni de ses musiques, contrairement à beaucoup de chanteurs musiciens ou paroliers ou les deux. Il a misé sur l’adaptation et l’interprétation, sur sa voix devenue rauque avec le temps et sur le spectacle de ses concerts qui en mettaient plein les oreilles et les yeux à force de sono et de lumières. Il est mort dans la nuit du 6 décembre 2017 à l’âge de 74 ans, et les pouvoirs publics se sont mobilisés (président de la République, présidents des deux assemblées, premier ministre…) pour lui rendre hommage à la Madeleine, église des artistes de variétés, dans l’espoir de capter à leur profit une part de son étonnante popularité, au risque de contrevenir au principe de séparation entre l’Église et l’État. Ensuite il a été inhumé en présence de ses proches dans le blanc cimetière de l’île caribéenne de Saint-Barthélémy, paradis fiscal cossu mais exposé aux cyclones, au-dessus duquel tournoyait au moment de la cérémonie une frégate, grand oiseau de mer. Il ne portait pas dans son cœur l’administration des impôts : ses démêlés avec celle-ci ont abouti à de lourdes amendes, à des condamnations pour fraude, et ont motivé une bougeotte passant par des lieux fiscalement plus cléments que la France métropolitaine : la Californie ; la Suisse où il n’a pas respecté l’obligation fiscale de résidence pendant au moins la moitié de l’année ; in fine Saint-Barth, territoire français dont on voudrait bien savoir pourquoi la France y maintient, pour les résidents ayant au moins cinq ans de présence, un régime caractérisé par l’absence de TVA, d’impôt sur la fortune, d’impôt sur le revenu, de droits de succession. Fisc mis à part, Johnny s’était fait le chantre de la passion à laquelle doit son titre l’album De l’amour qu’il a sorti fin 2015.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : tout prend de l’âge

En même temps que moi je sens que prend de l’âge
Mon environnement la ville qui est là
Ne va pas rajeunir n’a pas ce privilège
Mais dure plus longtemps que l’humain feu follet

On retape les murs on ravale on prolonge
On change le vitrage et les tuyaux de plomb
Dans ces rénovations passe blanc comme un linge
Un souvenir d’amis happés par le déclin

Je suis tenté de dire après moi le déluge
En espérant rester au nombre des élus
Qu’une arche va sauver de ce monde insalubre

Un choix plus raisonnable encore qu’il m’afflige
Serait de réparer sitôt qu’elle faiblit
La plomberie du corps qui se déséquilibre

 

Quand on prend de l’âge, on finit par se rendre compte que tout vieillit en même temps autour de soi, ce dont on n’avait pas pleinement conscience. Les jeunes peuvent vivre temporairement dans l’illusion de rester jeunes, ce qui donne à certains de l’arrogance, mais ceux qu’on appelle aujourd’hui d’un mot anglo-latin les seniors savent dans leur chair que cet espoir est vain (à l’exception d’une minorité d’addicts en tout genre, vieux beaux soi-disant toujours frais, alcoolodépendants, tabacomanes, qui se croient éternels). « Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait », et « le  diable était beau quand il était jeune », disent les proverbes. L’usure affecte les êtres humains mais aussi le monde matériel, la ville, les rues où se creusent des nids-de-poule, les immeubles dont l’apparence retrouve une jeunesse factice lorsqu’on les ravale. Je suis entré dans un immeuble neuf il y a trente-cinq ans, et j’y suis encore, mais de plus en plus il faut faire un effort désormais permanent pour repeindre, réparer, remplacer, rénover les fermetures des portes et les pièces les plus sollicitées des ascenseurs, des extracteurs de ventilation, des tuyauteries de chauffage et d’alimentation en eau, etc. Quant aux êtres humains, il faut aussi les réparer, combattre l’hypertension ou le diabète, remplacer une articulation, poser une prothèse, opérer une cataracte, ponter des veines ou des artères, bref nous devons rapiécer notre premier vêtement et réhabiliter notre premier logement, le corps, avec lequel nous ne faisons qu’un.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : cyclones des Caraïbes

Entre la Guadeloupe et sa sœur Martinique
Un minuscule Etat que le destin punit
Végète à l’abandon nommé La Dominique
Le nombre de ses plaies forme une litanie

Quand le vent fait souffrir cette île volcanique
L’orgue de l’ouragan n’est que disharmonie
Quand il est surpuissant niveau cinq cyclonique
La tourmente la nuit devient de l’agonie

Le charme tropical à ce moment révèle
Son côté le plus noir trombes d’eau qui dévalent
Rivage ravagé toitures qui s’envolent

Tornades tourbillons bourrasques de déluge
Les mots ne manquent pas peut-être qu’ils soulagent
L’impuissance à guérir les maux qui nous affligent

 

L’ouragan Irma a sévi du 29 août au 12 septembre 2017. Classé en catégorie 5, la plus élevée, avec des vents de plus de 300 km/h, il est le deuxième cyclone le plus puissant enregistré dans l’Atlantique nord après Allen en 1980. Catastrophique dans les îles de Barbuda, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Anguilla et les Iles Vierges, il y a causé des décès et de gros dégâts. Puis l’ouragan Maria, de catégorie 5 lui aussi, a été le plus puissant à frapper Porto Rico depuis 1928. Ses vents ont atteint 280 km/h, ce qui a fait lui le dixième des cyclones les plus intenses jamais enregistrés dans l’Atlantique nord. Il est passé dans la nuit du 18 septembre au 19 septembre 2017 sur La Dominique (Voir ci-après le poème XLV que l’auteur a consacré dans Courts poèmes long-courriers à cette petite île de 754 km2 et de 75.000 h), où Maria a fait quinze morts en s’engouffrant entre La Martinique et La Guadeloupe, et où il a anéanti l’agriculture (manguiers, arbres à pain, avocatiers, cocotiers, champs de banane et de plantains…). Les animaux, bétail et volaille, ont aussi payé un lourd tribut. Les routes, les réseaux d’irrigation et les serres ont également été  détruites. 25 % de la population active de l’île travaille exclusivement dans le secteur agricole et s’est donc trouvée au chômage. Les canots de pêche n’ont plus été en état de sortir en mer. Des millions d’arbres ont été arrachés. Le manque d’ombre a entraîné une forte évaporation et une baisse des cours d’eau. Les citernes pour l’arrosage des pépinières et jardins de la capitale, Roseau, ont été prises d’assaut par les assoiffés. Des commerces ont subi les pillages des affamés. La distribution de l’aide internationale arrivant dans le port de Roseau a été ralentie par l’état des routes. L’urgence la plus pressante a été le ravitaillement des communes reculées par hélicoptère et par bateau.

Le poème XLV de Courts poèmes long-courriers (Le Scribe l’Harmattan, 2011), écrit dans la première moitié des années 1990 à l’occasion d’un voyage dans cette région du monde, parle de Roseau, capitale de La Dominique, et de Castries capitale de l’île de Sainte-Lucie au sud de La Martinique.

XLV

On ne sait trop vous situer sur la planète
Castries Roseau villes perdues des Caraïbes
Offrant pour atterrir des pistes désuètes
L’une en creux l’autre en courbe en un décor qu’imbibe

L’humidité propice à la fièvre aux amibes
Décor où vous reçoit grand-mère sous-préfète
La ministresse en chef à la bonne franquette
Bourrue parlant créole ou vieux français par bribes

On confond le planton et le traîne-savate
Devant la primature où l’ivrogne titube
Et l’ambassadeur lance un juron de pirate

Contre ces faux édens où la chaleur incube
Indolence et violence où vous guettent latents
La bouche soufrière et l’œil de l’ouragan

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Billet : les nouvelles règles de l’insécurité routière

De plus en plus d’engins circulent sur les routes
Autos gonflées motos à double ou triple roue
Le bruyant motocycle excité comme en rut
Pollue aussi la ville en sillonnant les rues

Dératés impatients opérés de la rate
En plein embouteillage au cœur des embarras
Les motards slalomeurs dépassent la charrette
De l’automobiliste immobile à l’arrêt

Sur la piste cyclable au besoin qu’ils empruntent
Parfois à contresens ils ignorent le frein
Prennent des raccourcis de brutes tout terrain

Lorsque sur le périf en rangs serrés poireautent
Les quatre-roues coincés restant sur le carreau
Ils vont s’y faufiler tant pis pour les accrocs

 

La réglementation des voies de circulation tourne à la pagaille. Il faut partager, dit-on, l’espace disponible pour les déplacements, rues en ville et routes ailleurs, entre les piétons, les automobiles, les camions et les diverses variétés de cycles : bicyclettes ou vélos, motocycles de toutes cylindrées (cyclomoteurs, vélomoteurs, motocyclettes ou motos, scooters), qui peuvent être aussi des trois-roues. On voit même passer à toute allure sur les trottoirs des trottinettes motorisées sur lesquelles se tiennent droit, fiers comme Artaban, de grands dadais barbus. Les vélos ont désormais le droit de prendre à contresens les sens uniques. Aux carrefours, ils peuvent aussi passer au feu rouge à condition de respecter la priorité des piétons et des véhicules qui traversent au feu vert. Depuis 2016, dans onze départements (l’Ile de France, la Gironde, le Rhône et les Bouches-du-Rhône) les deux-roues motorisés sont autorisés à circuler entre deux files de voitures circulant dans le même sens sur les chaussées à voies multiples avec terre-plein central. La Sécurité routière explique que cette circulation « inter-file » est de toute manière déjà « massivement pratiquée », et que son autorisation va être « expérimentée à titre exceptionnel » en vue d’une généralisation dès 2020 : bel exemple d’une lâcheté réglementaire qui entérine sa propre impuissance pour faire plaisir à des lobbys bien intentionnés, et qui se déguise en fausse expérimentation. Pendant ce temps, entre 2015 et 2016, la mortalité routière, quasi stable globalement (3477 décès), a augmenté dans certaines catégories de la population : 559 décès de piétons, en hausse de 19 % ; 162 décès de cyclistes, en hausse de 9 %, principalement dans les agglomérations ; 612 décès de motocyclistes, chiffre global stable, en baisse chez les moins âgés, mais en hausse de 23 % chez les 50-64 ans (142 décès).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : feu d’artifice en lutte contre la lune

Sur la côte bretonne elle est mi fée mi clown
Triste car elle est pâle et glisse à pas de loup
Joviale cependant car elle est ronde et pleine
Elle change la vague en multiples reflets

Elle est l’astre d’argent celui des clairs de lune
Que rythment sans faiblir le flux et le reflux
On la sent vulnérable un objet d’opaline
Dont l’apparence invite à la mélancolie

Sacha craint que le bruit nous dit-il ne la brise
Quand le feu d’artifice explose monte et plane
Envol d’oiseaux de nuit brillant de trop d’éclat

Quand la pyrotechnie éparpille ses braises
Dans l’espace étoilé ciel pur d’anticyclone
Sans nébulosité sans vapeur de halo

Après un retour par avion de New York à Paris, Sacha a presque inauguré le quatre août (jour de ses quatre ans) le prolongement, de Paris jusqu’à Rennes, de la ligne de chemin de fer à grande vitesse. Le feu d’artifice estival de la station balnéaire finistérienne où il s’est rendu en train avec ses parents a été tiré le lendemain, hasard du calendrier, comme d’habitude depuis une barge placée à quelque distance du rivage pour le divertissement des spectateurs massés sur la plage. La nuit n’était pas illuminée seulement par ce spectacle pyrotechnique, mais aussi par un clair de lune intense, la lune étant presque pleine – elle l’a été peu de temps après, le sept août. Sacha a donné sa préférence au calme spectacle de la lune en se demandant si le feu d’artifice ne risquait pas de la « casser ».

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : canicule

Fin juin début juillet de lourds hectopascals
Ont fait pression sur nous subsiste un reliquat
Sous les coups de chaleur frappes de canicule
Il faut que le corps las recharge ses accus

Le soleil installé près de la verticale
Sur la ville fournaise est devenu tracas
Nous attendons l’orage afin que l’air circule
Que la température à la fin s’évacue

Vers des sommets nouveaux s’élève le mercure
Je redoute midi j’aime le crépuscule
Asthénie et langueur m’ont un instant vaincu

Dans le ciel a fondu le vol ailé d’Icare
Vivement que le temps ne soit plus tropical
J’aspire à la fraîcheur en rêvant d’Alaska

 

Trois vagues de chaleur d’une semaine ont submergé la France, fin mai, et surtout fin juin et début juillet. Le mot de canicule, du latin canicula, petite chienne, fait référence à la période de l’année où Sirius, étoile principale de la constellation du chien, et la plus brillante du ciel nocturne, se lève et se couche avec le soleil, du 22 juillet au 23 août. Les trois vagues de chaleur de mai-juin-juillet 2017 ont donc été en avance. Tandis qu’en hiver il nous arrive de subir la froidure des vents du nord et de l’est, polaires ou sibériens, en été les vents venus du sud de la Méditerranée et du Sahara peuvent faire grimper les températures à des niveaux excessifs, nous apportant parfois du sable du désert. Heureusement, entre ces excès de froid et de chaud, les vents dominants, sauf quand les hautes pressions de l’anticyclone des Acores y font momentanément obstacle, nous viennent de l’ouest atlantique. La France, grâce à eux (et grâce au courant océanique du « gulf stream »), est et reste un pays tempéré, sur le trajet du « jet stream » ou « courant-jet » de l’hémisphère nord qui résulte notamment de la rotation de la terre. Ce puissant courant atmosphérique fait le tour du globe aux latitudes moyennes en passant par l’Amérique du Nord, l’Europe, la Chine, le Japon… C’est lui qui fait que les temps de vol entre New York, Paris Canton et Tokyo, par exemple, sont plus courts de l’ouest vers l’est que dans l’autre sens.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : l’électorat d’Emmanuel Macron

Avec Macron le jeune elle se voit cougar
L’électrice en retraite entichée de ce gars
Se sent prête à casquer désormais davantage
Au point que sa pension serve à payer l’Etat

Elle y perd mais tant pis ne s’en inquiète guère
Elle se sacrifie et le fait le cœur gai
Croyant contribuer au pouvoir qui protège
Le bon sens de nos jours n’est plus ce qu’il était

Elle choisit la mine et la bonne figure
L’apparence moderne et les choix ambigus
Où sont les protections quand la loi dérégule

Pour ce président neuf qui fait de la voltige
Qui va de gauche à droite elle a des sympathies
Préférant la jeunesse elle se sous-estime

 

D’après un article de l’hedomadaire Le Point daté du 8 juin 2017, qui se réfère à un sondage d’Ipsos :
« Ceux qui ont un minimum de bac + 3 ont voté Macron à 81 %. Marine Le Pen obtient son meilleur score chez ceux qui ont un diplôme inférieur au bac : 45 %. Cette typologie recoupe celle des professions. Les cadres (à 82 %), les professions intermédiaires (à 67 %) et les retraités (à 74 %) constituent le gros des troupes du vote Macron. Marine Le Pen reste la plus forte chez les ouvriers (56 %, contre 44 % pour Macron). Chez les employés, Macron reste en tête (54 %, contre 46 % en faveur de Marine Le Pen).
« Marine Le Pen reste forte dans la ruralité (43 %), tandis que le nombre d’électeurs favorables à Emmanuel Macron est élevé en milieu urbain, pour culminer à 72 % dans les villes de plus de 100 000 habitants.
« Le vote Macron est plus féminin (68 %, contre 62 % des hommes). Le candidat d’ En marche ! est largement en tête chez les 70 ans et plus (78 %), les 60-69 ans (70 %) et les jeunes de 18-24 ans (66 %). Marine Le Pen obtient son meilleur score auprès des 35-49 ans (43 %). »
Dans le programme du nouveau président, l’imposition accrue des retraites par la hausse de la CSG (contribution sociale généralisée) a quelque chose d’indécent : il est question de taxer davantage les retraités, population largement captive qui a beaucoup travaillé pour mériter ce qu’elle gagne, et de détaxer en revanche les grandes fortunes mobilières qui font du chantage à la délocalisation.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : TGV

Le TGV s’élance à très grande vitesse
Coupant dans les reliefs que jadis évitaient
Le vieux chemin de fer et ses locos qui toussent
Anthracite et vapeur elles menaient partout

Pour joindre sans détour la région du pastis
En avalant l’espace avec grand appétit
La ligne électrifiée raccourcit les distances
Mais l’air devant le train se fait plus résistant

L’allure malgré tout reste vive et glissante
L’heure glisse elle aussi l’aventure est succincte
Le paysage en fuite échappe à tout dessin

Le train non loin des Baux d’où provient la bauxite
Bifurque alors vers l’est et le wagon tressaute
(Wagon c’est l’ancien mot) vers des cieux provençaux

 

A l’occasion de l’ouverture le 2 juillet 2017 d’une nouvelle ligne TGV (entre Paris et Bordeaux), la SNCF a présenté un nouveau label pour ses trains à grande vitesse, qui existent en France depuis 1981, et dont on rappelle qu’ils atteignent 300 km/h ou davantage. Le Canard enchaîné a publié à ce sujet, en première page de son édition du mercredi 31 mai 2017, un article intitulé : « SNCF : voyage au bout de l’inouï », qui nous donne les informations suivantes : « Encore des tags qui vont saloper nos beaux trains ! Mais ceux-là sont officiels et les tagueurs n’ont pas de cagoule. Dès le 2 juillet, tous les wagons de TGV seront ornés du nouveau logo « inOui »… réversible de droite à gauche et aussi de bas en haut » [c’est-à-dire avec un premier i écrit à l’envers, puis un n ressemblant à un u renversé, et un gros O central]. Dans Le Parisien du 27 mai, un spécialiste des marques s’est étonné que la SNCF sacrifie pour un simple jeu de mots « ces trois lettres [TGV] qui résonnaient dans le monde entier ». Le Canard enchaîné a cherché des explications. « Pourquoi faire le deuil du TGV ? Pas assez chic, trop low cost, trop technologique, paraît-il, alors que le nouveau label doit incarner au contraire le changement et l’accroissement de la qualité (Les Echos, 30/5). Car la SNCF, en mal de clients, prévoit de former 5 000 cheminots à une nouvelle façon d‘agir, et d’installer la Wi-Fi dans tous ses nouveaux TGV. Avec des oui-contrôleurs ? Guillaume Pepy [président de la SNCF] l’assure : ces nouveaux services se feront sans augmentation de prix, il ne s’agit pas d’en faire un produit de luxe. Oui, si cette promesse était tenue, ce serait vraiment… inoui ! » Par la même occasion, il serait bon d’améliorer la ponctualité de ces trains.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : un château d’herbe en pissenlits

Epars dans le gazon les pissenlits s’étendent
Efflorescence jaune au moment du printemps
Bien que deux fois par mois la machine les tonde
Ils renaissent toujours dans ce jardin breton

Peut-être poussaient-ils jadis dans l’Atlantide
Continent légendaire à l’histoire engloutie
Sans que l’on sache au vrai par quelle latitude
Le vent disséminait leurs semences têtues

Mellifères ces fleurs que l’abeille butine
Montent très vite en graine et forment des aigrettes
Qui s’envolent partout retombent ralenties

Sacha impressionné par la pioche décrète
Que Papido creusant pour sortir les racines
Elève un « château d’herbe » avec ce qu’il extrait

 

Vers Pâques, le gazon de la maison bretonne avait besoin d’être nettoyé. Malgré toutes les qualités qui leur étaient reconnues jadis et naguère (notamment gustatives et médicales, leur nom même témoigne de leur qualité diurétique !), les pissenlits sont aujourd’hui peu appréciés, car leur pousse rapide et anarchique dépare les tapis végétaux entretenus par la tondeuse. On pourrait encore tolérer leurs fleurs jaunes attirant les abeilles, mais non leurs aigrettes qui forment des bulles de semences légères prêtes à s’envoler et à se disséminer au moindre souffle. Certes, ces aigrettes continuent à être représentées sur la couverture des dictionnaires Larousse comme une image du savoir « semé à tout vent ». Mais, dans les jardins, elles sont une menace annonçant la multiplication des mauvaises herbes. Cette plante a un côté souterrain qui n’est pas le moins gênant pour celui qui jardine. Elle enfonce dans le sol des racines profondes qui se cassent lorsqu’on essaie de les tirer pour les extraire à la main. Une plante voisine à fleurs jaunes, la piloselle, a des racines plus superficielles. Sacha (trois ans et demi), à qui il a été demandé de se tenir à distance, a été moins intéressé par la botanique que par la pioche utilisée pour extraire ces indésirables dont son grand-père faisait un tas. L’imagination enfantine y a vu tout de suite la construction d’un château d’herbe.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les châteaux de sable

Sacha ne se plaît guère au bord où l’on patauge
En retrait sur la plage il bâtit un château
De puissants chevaliers dont les remparts protègent
Le rivage marin du pays fouesnantais

Lorsque la marée monte il faut des colmatages
Elle sape les tours et les transforme en tas
Bientôt les murs de sable auront l’air de vestiges
Dilués par la vague et par les clapotis

L’enfant n’en est pas triste et même il prend plaisir
A piétiner le reste il n’y a plus de garde
Opposable à la mer quand celle-ci déborde

Les praires que mamie l’a aidé à choisir
Pour décorer ce fort les coques les palourdes
Les coquilles striées dans le flot se reperdent

 

Sacha a passé les vacances de Pâques au bord de l’Atlantique, à l’île de Ré et en Bretagne. A la plage il a bâti des châteaux de sable avec l’aide de ses grands-parents, soit en creusant, soit en édifiant avec du sable humide des tours et des murs. Le sable est un matériau qui n’est pas si facile à utiliser : quand il est trop sec, il ne tient pas et s’effrite ; quand il est trop mouillé, il ne tient pas non plus. Des coquillages diversement striés dont la mer fournit une grande variété peuvent servir de toits sur les tours.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les rats et les chats de Paris

 

Le fabuliste a dit dans plus d’un apologue
L’aventureuse vie du rat du surmulot
Dans un style enjoué mêlant sagesse et blague
Avec limpidité sans égard au blabla

J’aimerais aujourd’hui m’inspirer de sa langue
Et lui emprunter même un peu de son talent
Pour vous narrer qu’ici réapparaît la ligue
Des rongeurs au poil gris dans la ville en folie

L’homme les craint toujours dans sa mémoire longue
Ils sont aussi présents à New York ou à Londres
Et sortent quelquefois de leurs obscurs filons

L’hygiène sanitaire à Paris se déglingue
On les voit au grand jour on commence à s’en plaindre
Où sont passés les chats tous les petits félins

 

Jean de La Fontaine a écrit plusieurs fables sur les rongeurs qui cohabitent avec les humains : « Le rat de ville et le rat des champs » (Livre I, fable 9), « Conseil tenu par les rats » (livre II, fable 2, apologue dont Eustache Deschamps a fait une ballade), « Le lion et le rat » (Livre II, fable 11), « Le Chat et un vieux rat » (livre III, fable 18), « Le Combat des rats et des belettes » (Livre IV, fable 6), « La Grenouille et le rat » (livre IV, fable 11), « Le rat qui s’est retiré du monde » (Livre VII, fable 3), « Le rat et l’éléphant » (Livre VIII, fable 15), « Le Rat et l’huitre » (livre VIII, fable 9), « Le chat et le rat » (Livre VIII, fable 22), « Les Deux rats, le renard et l’œuf » » (livre X, fable 1), « La Ligue des rats » (fable hors recueil, mais publiée du temps de l’auteur)… Le fabuliste les décrit avec une sympathie surprenante, contrastant avec la crainte suscitée par les épidémies qu’ils ont propagées dans le passé, et dont subsiste un fort écho dans La Peste de Camus. Comme le rappelle l’Institut Pasteur sur internet : « La peste est une maladie des rongeurs, principalement véhiculée par le rat, et transmise à l’homme par piqûres de puces de rongeurs infectés. » On trouve des rats en abondance à Paris, Londres, Chicago ou New York, pour ne parler que du monde occidental. A Paris, la négligence générale, celle de l’administration locale (nettoyage déficient, poubelles inadaptées, service de santé mal « restructuré » c’est-à-dire désorganisé), celle des commerces alimentaires et celle des habitants, se traduit à présent par une prolifération accrue des rats, qui s’épanouissent dans les espaces verts, tandis que leurs prédateurs, les chats, sont confinés en grand nombre dans les appartements. La ville de Paris veut réagir et dératiser, en particulier parce qu’elle craint les effets négatifs de cette situation sur sa candidature aux jeux olympiques et sur son attractivité touristique.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : il n’y a pas d’espoir sans crainte, ni de crainte sans espoir

Il n’y a pas d’espoir sans crainte
Sans inquiétude en souterrain
La crainte rend la joie prudente
Et l’espoir vibre en attendant

Désire-t-il changer les dates
Accélérer les agendas
Il n’y a pas d’espoir sans crainte
Sans inquiétude en souterrain

Dans l’espérance on sent le doute
Moins violent qu’elle et même doux
Que l’avenir parle sanskrit
Ou langue neuve et non écrite
Il n’y a pas d’espoir sans crainte

***

L’espoir se lève au fond des craintes
Il atténue plainte et chagrin
Rend l’affliction moins imprudente
Chez qui se croit perdu perdant

Il attend le report des dates
Qui nous soucient dans l’agenda
L’espoir se lève au fond des craintes
Il atténue plainte et chagrin

Dans la tristesse on voit le doute
Recommander qu’un ton plus doux
S’exprime en mots non pas en cris
La fin n’est pas d’avance écrite
L’espoir se lève au fond des craintes

 

 

« L’espérance est une disposition de l’âme à se persuader que ce qu’elle désire adviendra, laquelle est causée par un mouvement particulier des esprits, à savoir par celui de la joie et du désir mêlés ensemble. Et la crainte est une autre disposition de l’âme, qui lui persuade qu’il n’adviendra pas. Et il est à remarquer que, bien que ces deux passions soient contraires, on les peut néanmoins avoir toutes deux ensemble, à savoir lorsqu’on se représente en même temps diverses raisons, dont les unes font juger que l’accomplissement du désir est facile, les autres le font paraître difficile. » (Descartes, Les Passions de l’âme, article 165).
« L’espérance est une joie inconstante née de l’idée d’une chose future ou passée sur l’issue de laquelle nous avons quelque doute… La crainte est une tristesse inconstante née de l’idée d’une chose future ou passée sur l’issue de laquelle nous avons quelque doute. » (Spinoza, Ethique, III, définitions des affects, définitions XII et XIII). « De ces définitions, il suit qu’il n’y a pas d’espérance sans crainte, ni de crainte sans espérance. Car qui est suspendu à l’espérance et doute de l’issue d’une chose imagine… quelque chose qui exclut l’existence de la chose future ; et par suite on suppose qu’en cela il est attristé, et par conséquent que, tandis qu’il est suspendu à l’espérance, il craint que la chose ne se produise pas. Et qui, au contraire, est dans la crainte, c’est-à-dire doute de l’issue d’une chose qu’il hait, imagine aussi quelque chose qui exclut l’existence de cette chose ; et par suite il est joyeux, et en conséquence en cela il a l’espérance que la chose ne se produise pas. » (Ethique, troisième partie, définitions des affects, explication des définitions XII et XIII).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : rondeau pour la Saint-Valentin

 

C’est une fête où toute rose est rouge
Célébration de la Saint-Valentin
De la tendresse et même du courage
Pour être doux le monde en a besoin

Le coeur et l’âme ont l’amour en commun
Ne veulent pas qu’il cède et qu’il se range
C’est une fête où toute rose est rouge
Célébration de la Saint-Valentin

Pour que l’amour sans vaciller dirige
Nos sentiments sous un ciel incertain
Qu’il soit plus fort que les riens qui l’abrègent
Qu’il ne soit pas un feu de paille éteint
C’est une fête où toute rose est rouge

 

Ce poème est un hommage à Charles d’Orléans (1394-1465), petit-fils, neveu et père de roi, grand poète, qui a écrit plusieurs rondeaux sur la Saint-Valentin, par exemple celui-ci (numéroté CLXI) :

Saint Valentin, quand vous venez
En carême au commencement,
Reçu ne serez pas vraiment
Ainsi qu’accoutumé avez.

Souci, pénitence amenez :
Qui donc vous recevrait gaiement,
Saint Valentin, quand vous venez
En carême au commencement ?

Une autre fois vous avancez
Plus tôt, et alors toutes gens
Vous accueilleront autrement ;
Et dame à choisir amenez,
Saint Valentin, quand vous venez !

Il est à noter que la mère de Charles d’Orléans, fille du duc de Milan, s’appelait Valentine Visconti. La Saint-Valentin, traditionnellement fêtée le 14 février, tombe parfois au début du carême, ce qui n’est pas bon pour la fête, nous dit Charles d’Orléans. Mais en 2017, le carême ne commence que le premier mars. J’ai traduit par « dame » le mot « pair » qui signifie : personne qui fera la paire.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : Macron, Hamon et Mélenchon

 

Descendus dans l’arène ainsi que des Curiaces
La faiblesse les guette avec ses incuries
Peut-être faudrait-il qu’ils aient l’air moins candide
Et le cœur mieux armé ces triples candidats

De concert ils battraient l’adversaire coriace
Et son conservatisme encombré de scories
Mais ils sont divisés leur désunion les bride
Et les oppose entre eux dans cette corrida

Chacun se croit meilleur on connaît cette espèce
Ils auront beau montrer qu’ils ont de la vaillance
La qualité première est d’être clairvoyant

Ils feraient mieux de lire ou relire la pièce
Tragique où nous voyons un trio défaillant
Périr à trois contre un faute de faire alliance

La désunion de ces candidats à l’élection présidentielle fait penser au combat symbolique qui, dans Horace de Corneille (acte IV, scène 2), oppose les trois Curiaces à leur adversaire
Trop faible pour eux tous, trop fort pour chacun d’eux,
[Qui] sait bien se tirer d’un pas si dangereux ;
Il fuit pour mieux combattre, et cette prompte ruse
Divise adroitement trois frères qu’elle abuse.
Chacun le suit d’un pas ou plus ou moins pressé,
Selon qu’il se rencontre ou plus ou moins blessé…
Horace, les voyant l’un de l’autre écartés,
Se retourne, et déjà les croit demi-domptés :
Il attend le premier…
L’autre, tout indigné qu’il ait osé l’attendre,
En vain en l’attaquant fait paraître un grand cœur ;
Le sang qu’il a perdu ralentit sa vigueur.
Albe à son tour commence à craindre un sort contraire ;
Elle crie au second qu’il secoure son frère :
Il se hâte et s’épuise en efforts superflus ;
Il trouve en les joignant que son frère n’est plus…
Son courage sans force est un débile appui ;
Voulant venger son frère, il tombe auprès de lui…
Comme notre héros se voit près d’achever,
C’est peu pour lui de vaincre, il veut encor braver :
 » j’en viens d’immoler deux aux mânes de mes frères ;
Rome aura le dernier de mes trois adversaires,
C’est à ses intérêts que je vais l’immoler,  »
Dit-il ; et tout d’un temps on le voit y voler.
La victoire entre eux deux n’était pas incertaine ;
L’Albain percé de coups ne se traînait qu’à peine…

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : la reconnaissance et l’ingratitude

 

L’ingratitude est un grand vice
Briseur de liens lorsqu’il sévit
Lorsque l’ingrat pense d’avance
Que le bienfait n’est que du vent

Dire merci c’est survivance
Finie pour lui dorénavant
L’ingratitude est un grand vice
Briseur de liens lorsqu’il sévit

Quand tout s’achète et tout se vend
Remerciement c’est redevance
Payée trop cher à son avis
Sentiment brut et dissolvant
L’ingratitude est un grand vice

 

La reconnaissance est une espèce d’amour que nous avons pour celui qui nous a fait quelque bien, ou qui du moins en a eu l’intention. Elle ressemble à la « faveur », définie comme l’amour pour ceux qui font des choses que nous estimons bonnes en général. Mais, de plus, elle est fondée sur une action qui nous touche personnellement et qui nous incite à rendre la pareille. « C’est pourquoi elle a beaucoup plus de force, principalement dans les âmes tant soit peu nobles et généreuses. » (Descartes, Les Passions de l’âme, article 193). « La reconnaissance ou gratitude (gratia seu gratitudo) est le désir ou zèle d’amour par lequel nous nous efforçons de faire du bien à qui, pareillement affecté d’amour envers nous, nous a fait du bien. » (Spinoza, Ethique, troisième partie, définitions des affects, XXXIV). L’ingratitude, au contraire, est « un vice directement opposé à la reconnaissance, en tant que celle-ci est toujours vertueuse et l’un des principaux liens de la société humaine. C’est pourquoi ce vice n’appartient qu’aux hommes brutaux et sottement arrogants, qui pensent que toutes choses leur sont dues ; ou aux stupides, qui ne font aucune réflexion sur les bienfaits qu’ils reçoivent ; ou aux faibles et abjects, qui, sentant leur infirmité et leur besoin, recherchent bassement le secours des autres, et après qu’ils l’ont reçue, ils les haïssent » : en effet, n’ayant pas la volonté de rendre la pareille, ou désespérant de le pouvoir, et s’imaginant que tout le monde est mercenaire comme eux, ils s’imaginent (ou feignent de croire) qu’on ne fait aucun bien que dans un but intéressé, avec l’espoir d’en être récompensé (Descartes, Les Passions de l’âme, article 194).

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : le marché de Noël à Strasbourg

Je me souviens du marché de Noël
Qui se tenait sur la place Broglie
A prononcer comme ce nom s’écrit
On y sentait pain d’épice et cannelle

Vin chaud sucré suivant le rituel
Et sapin frais bonne parfumerie
Je me souviens du marché de Noël
Qui se tenait sur la place Broglie

Mais depuis lors finie la rêverie
Récent bizness partout se multiplient
De faux chalets vendant de l’irréel
Que veut détruire un djihad en folie
Je me souviens du marché de Noël

 

Un marché de Noël berlinois très mal protégé, celui de la Breitscheidplatz, a été attaqué le 19 décembre 2016 vers vingt heures par un djihadiste d’origine tunisienne au volant d’un camion de 38 tonnes qui a tué douze personnes et qui a fait plus de cinquante blessés. La justice allemande a révélé que le camion était équipé de systèmes électroniques de sécurité, caméra et radar, capables de détecter les obstacles. Ces systèmes ont provoqué un freinage d’urgence limitant le nombre de victimes. Après l’attentat, revendiqué par l’organisation Etat islamique, soixante plots en béton armé d’une tonne et demie ont été installés. La police allemande n’a pas pu attraper le meurtrier qui, après une cavale passant par la France, a été contrôlé par hasard près de Milan et tué dans la nuit du 22 au 23 décembre par une patrouille de deux policiers italiens en état de légitime défense. On nous dit (et on veut bien le croire) qu’après le carnage de Nice le 14 juillet 2016 des mesures de protection bien plus sérieuses ont été prises à Strasbourg pour protéger le marché de Noël. Ce qui n’empêche pas de constater qu’en peu d’années, à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, le caractère commercial de ces marchés est devenu excessif ; que l’image de Noël y est abusivement instrumentalisée à des fins lucratives ; et qu’elle draine des foules trop nombreuses pour être réellement en sécurité par les temps qui courent.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : ultime promesse non tenue du président

Notre bon président s’était fait la promesse
D’une réélection le gardant au sommet
Si par bonheur le sort avec plus de clémence
Consentait à réduire un chômage alarmant

D’abord sourde à ses vœux la chance in extremis
A semblé de nouveau lui sourire en amie
Le risque à ce moment pouvait paraître mince
Qu’il perde son pari sorte de son chemin

Oui mais si le chômage a cessé de s’étendre
On a vu cet espoir fatiguer les attentes
Se faire désirer à la fin trop longtemps

La foi présidentielle a fini par s’éteindre
Un regain de faveur devenait hors d’atteinte
Le but était si proche et pourtant si lointain

 

Après la nouvelle de son renoncement à l’élection de 2017, annoncée par le Président de la République (titre qu’il a tendance à prononcer lui-même « Présent de la Réplique » quand il parle vite en avalant les syllabes), Le Canard enchaîné du 28 décembre 2016 a publié en première page un dessin de Lefred-Thouron montrant trois personnages perplexes : l’un reste silencieux, un autre s’interroge : « La courbe du chômage s’inverse, et pourtant, Hollande ne se représente pas… », tandis que le troisième répond : « Ultime promesse non tenue ! »

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : à chaque année suffit sa peine

A chaque jour suffit sa peine
On veut le soir trouver la paix
S’asseoir souffler pauvre bipède
Mais le souci qui nous malmène
S’arrête peu sinon jamais

Malgré l’espoir qu’ils soient en panne
Les vieux tourments ne cessent pas
Ne souffrant pas les escapades
Ils font de nous des monomanes
Il tournent mal dans l’estomac

A chaque année son lot d’épines
On aimerait plus de répit
Des sentiments plus purs limpides
Et que Noël qui s’illumine
Epanouisse une accalmie

 

« Ne vous inquiétez donc pas pour le lendemain : le lendemain s’inquiétera de lui-même. » A la fin de cette parole évangélique se trouve un célèbre octosyllabe en version française : « à chaque jour suffit sa peine » (Matthieu 6.34), dans lequel on peut remplacer « jour » par « année » pour célébrer les douze mois qui se terminent en décembre et les douze qui vont suivre.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : opération du genou

 

Quand on aime les mots la langue médicale
N’est pas sans poésie mais à la condition
D’aimer aussi le corps et ses réparations
D’accepter comme un bien le mal chirurgical

La patiente a reçu un genou en métal
L’arthrose ayant causé d’importantes lésions
La marche en liberté devenait illusion
D’où cette opération d’arthroplastie totale

En titane peut-être ou en chrome cobalt
Avec une rotule en polyéthylène
La prothèse agira comme une force occulte

A la fin des douleurs accompagnées de spleen
Elle sera l’espoir de monter désinvolte
A un plus haut niveau que les surfaces planes

 

 

La pose d’une prothèse remplaçant l’articulation du genou est devenue une opération relativement courante. Elle remédie aux lésions de l’arthrose qui peuvent rendre très douloureux le fonctionnement de cette articulation complexe, essentielle pour la liberté d’aller et de venir. Dans les hôpitaux qui pratiquent ces interventions, celles-ci ont évolué dans le même sens que les autres activités de soin, c’est-à-dire qu’on tend à réduire au minimum la durée des hospitalisations pour faire des économies (et il semble que certains politiciens nous promettent encore pire en voulant que ça saigne !), ce qui ne va pas sans poser des problèmes de suivi post-opératoire, en ce qui concerne par exemple le traitement indispensable de la douleur, l’évolution des oedèmes et hématomes de la cuisse et de la jambe consécutifs à l’opération, le risque de phlébite (inflammation d’une veine)… Bien que la marche soit tout de suite possible, et que le séjour à l’hôpital ne dure que deux ou trois jours, une période de rééducation de plusieurs semaines est ensuite nécessaire, au cours de laquelle le patient doit s’astreindre à des exercices, seul et avec un kinésithérapeute, de manière à pouvoir faire face aux situations de la vie courante : si la marche en terrain plat requiert une (génu)flexion de 60 degrés, dans un escalier la flexion doit atteindre au moins 110 à 120 degrés, et davantage encore dans les transports en commun ou pour faire du sport. Les personnes opérées reçoivent du chirurgien un certificat attestant que leur prothèse articulaire est susceptible de déclencher les alarmes des portiques de sécurité dans les aéroports, les gares ou les grands magasins.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les couleurs de la météo

La météo sa couleur nous alerte
Annonce en rouge un grand coup de balai
L’intempérie colore ainsi les cartes
Même en violet dans le pire des cas

Mais plus souvent le danger reste orange
Lorsque la pluie ne crée pas de torrents
Lorsque le vent ne pousse pas l’orage
Sous les rayons d’une sinistre aura

Des nues chargées de rafales s’agrègent
Dans un gréement d’invisibles agrès
Ne cherchons pas quel démon les dirige
Nul ange noir aucune walkyrie

La dépression qui s’éloigne s’écarte
Entraîne encore un dernier reliquat
Puis laisse place à l’espérance verte
Et c’est le calme après le temps mauvais

 

La vigilance météorologique attire l’attention sur les risques d’une situation de mauvais temps et fait connaître les précautions pour se protéger. Des préalertes (en jaune) sont émises jusqu’à 48 heures à l’avance quand des évènements sont probables mais que des changements dans l’intensité, la trajectoire et/ou la durée peuvent se produire. Quand les météorologues sont sûrs que l’évènement va se produire, une carte de France des alertes, actualisée au moins deux fois par jour, signale le danger menaçant un ou plusieurs départements dans les 24 heures. Chaque département est coloré selon la situation météorologique et le niveau de vigilance nécessaire. En cas de vagues-submersion, le littoral des départements côtiers concernés est également coloré. La gradation des couleurs s’inspire de celle qui est utilisée pour les feux de circulation routière. Le vert indique une situation où aucune vigilance particulière n’est requise, le niveau d’alerte orange un phénomène d’intensité modérée, le niveau rouge un phénomène d’intensité forte et le niveau maximal violet un phénomène très fort. Un pictogramme précise sur la carte le type de phénomène prévu : vent violent, vagues-submersion, pluie-inondation, inondation, orages, neige/verglas, avalanches, canicule, grand froid. La carte est accompagnée de bulletins actualisés aussi souvent que nécessaire, qui précisent l’évolution du phénomène, sa trajectoire, son intensité et sa fin. Un système européen de vigilance, Meteoalarm, utilisant la même symbolique des couleurs, fournit des informations sur les conditions météorologiques attendues partout en Europe.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les chiffres des statistiques et des sondages

Elle est parfois pipeau jouant un air de fifre
En sorte qu’on sait mal ce qu’elle signifie
Partout la statistique à nos oreilles siffle
Et ses dénombrements trompeusement précis
Nous soûlent tous les jours plus qu’ils ne nous enivrent
En nous étourdissant de données infinies

Celui qui veut comprendre est à la peine il souffre
Il aime la justesse or elle se dissout
Dans les marges d’erreur le réel se camoufle
On sonde l’opinion sur des sujets trop mous
Pour la science dure et cet écart entrouvre
Un hiatus où le vrai se perd au fond du trou

Nous vivons dans un siècle envahi par les chiffres
Embrouillant la pensée des humains réfléchis
Quand pour s’en distancier l’esprit douteur persifle
Il voit le professeur le politique aussi
Le journaliste idem désireux de les suivre
Entrer dans le manège et boucler le circuit

Le sceptique aperçoit comme un début de gouffre
Entre la vérité dont il garde le goût
Et les trucs sondagiers qu’on avoue dans un souffle
Il se demande alors ce qu’il y a dessous
Ce que les taux ratios pourcentages recouvrent
Et pour l’entendement quel en sera le coût

 

 

Les chiffres ont avec la vérité un rapport double : tantôt ils la révèlent, tantôt ils la dissimulent. Le premier de ces aspects est celui que l’on retient en général, mais c’est le second qui nous occupe ici. Les chiffres sont trompeurs dans la mesure même où ils semblent être une garantie de précision et d’exactitude mathématiques, alors que l’apparence de sérieux est un moyen de dissimuler plus facilement leur caractère erroné. On se pose trop rarement la question de leurs sources et de leur fabrication. On part du présupposé que les insuffisances ou les faussetés initiales affectant les données de base et leur collecte peuvent être compensées, rectifiées par un traitement scientifique a posteriori. Dans le domaine de l’opinion, des médias d’opinion, des sondages d’opinion, on feint de croire que lorsque dans une enquête on interroge une personne, celle-ci exprime sans ignorance ni mensonge une vérité à laquelle l’enquêteur peut accorder foi. Les marges d’erreur n’intéressent pas grand monde, pas plus que les méthodes de redressement qui consistent en fait, qu’on l’avoue ou non, à manipuler les données dites « brutes ». En France, les « statistiques ethniques » ne sont pas autorisées, mais on entend sans cesse des discours dont les auteurs raisonnent comme s’ils pouvaient dire des choses indéniables à partir de chiffres en principe inexistants. On décompte les immigrés clandestins en faisant comme si « clandestin » ne signifiait pas secret, caché. Lorsque, de manière apparemment vertueuse, les sources sont mentionnées, il arrive qu’elles se réfèrent à d’autres sources dans une chaîne de renvois aboutissant à des chiffres sortis de nulle part.

P.-S. Ce poème accompagné de son texte en prose a été écrit et publié avant que ne soient connus les résultats de l’élection présidentielle américaine du 8 novembre 2016. Ces résultats, comme on le sait, ont fait mentir les sondages et autres prévisions médiatiques.

Dominique Thiébaut Lemaire

DE JOUR EN JOUR, quatrième recueil poétique de Dominique Thiébaut Lemaire

 

Dejouren jour.Diapositive

Illustration de la couverture : gravure de Sergio Birga

 

Le premier poème de ce recueil publié fin décembre 2015 est un sonnet sur le présent apparemment éphémère provoquant en nous des résonances et des échos persistants, dont la fréquente tristesse est quelquefois éclipsée par la joie :

L’éphémère présent les nouvelles du jour
Les grands évènements les drames qui se jouent
Les tragicomédies l’info de circonstance
Qui suscite pourtant des échos persistants

L’incident l’accident qui peut soudain surgir
Et dont le sens échappe à la théologie
Les faits les plus divers le scandale en tout genre
Les abus de la chair du pouvoir de l’argent

Cette actualité qui semble passagère
Que la haute pensée de l’absolu rejette
Fournit à ce recueil ses différents sujets

Elle nourrit le rire ainsi que la tristesse
Dont les prolongements résonnent dans nos têtes
Mais parfois l’affliction devant la joie se tait

Ce poème sert de prologue au recueil, en compagnie du sonnet ci-dessous qui se trouve en tête des Regrets de Du Bellay :

Je ne veux point fouiller au sein de la nature,
Je ne veux point chercher l’esprit de l’univers,
Je ne veux point sonder les abîmes couverts,
Ni dessiner du ciel la belle architecture.

Je ne peins mes tableaux de si riche peinture,
Et si hauts arguments ne recherche à mes vers :
Mais suivant de ce lieu les accidents divers,
Soit de bien, soit de mal, j’écris à l’aventure.

Je me plains à mes vers, si j’ai quelque regret,
Je me ris avec eux, je leur dis mon secret,
Comme étant de mon cœur les plus sûrs secrétaires.

Aussi ne veux-je tant les peigner et friser,
Et de plus braves noms ne les veux déguiser,
Que de papiers journaux, ou bien de commentaires.

Le dernier poème du recueil est un rondeau qui évoque la gravure de Sergio Birga en couverture :

A mon bureau parviennent des échos
Rumeurs du monde ainsi que bruits locaux
Graves parfois mais souvent superflus
Tandis que l’ombre à la fenêtre afflue

Sur mon écran voici que vient d’enfler
L’info du jour faite pour nous gifler
A mon bureau parviennent des échos
Rumeurs du monde ainsi que bruits locaux

Pour tempérer ces voix et ces reflets
Prenant la tête ou même inamicaux
Pour apaiser une envie de pamphlet
J’écris j’essaie de rendre musicaux
Rumeurs du monde ainsi que bruits locaux

 

Couverturet V

 

« Ecrite à l’aventure, comme le dit Du Bellay cité dans le prologue du recueil, cette chronique devient une aventure où se croisent les fils de plusieurs temps : le temps cyclique et souvent apaisant des fêtes, des solstices et des équinoxes ; le temps linéaire de l’enfant qui naît et grandit sous le regard de ceux qui l’aiment ; le temps de rupture, heureux ou malheureux, naissance, départ à la retraite, attentats terroristes, quand après n’est plus pareil qu’avant ; le temps toujours actuel des grands écrivains du passé ; le temps de l’inquiétude devant Chronos dévorateur. Telle est la trame de ce recueil qui va de jour en jour. »
Maryvonne Lemaire

PASSIONS PREMIERES, troisième recueil poétique de Dominique Thiébaut Lemaire

En couverture de ce recueil publié en juillet 2013, une gravure de Sergio Birga représente la tristesse et la joie :

Voir aussi (et écouter), en complément du présent article :
–  les articles de Libres Feuillets du 15 octobre 2012 (Mises en chansons de poèmes de Dominique Thiébaut Lemaire), et du 29 octobre 2012 (Passions premières, poèmes de Dominique Thiébaut Lemaire: vidéo de la soirée de présentation), ainsi que
–  youtube: Dominique Thiébaut Lemaire.

Passions premières (2012) évoque en 121 poèmes ce que les philosophes du XVIIe siècle ont appelé les passions primitives ou fondamentales dont toutes les autres sont composées, c’est-à-dire la joie, la tristesse et le désir, auxquelles on peut ajouter, plus explicitement, l’amour du côté de la joie, et son contraire du côté de la tristesse, mais aussi l’admiration, suivant Les Passions de l’âme de Descartes, admiration qui transparaît dans ce recueil, à l’égard de la grande et belle poésie française du Moyen-Age à nos jours.

Passions premières se subdivise en six thèmes se répondant les uns aux autres: Ecrire, France, Tristesse, Fables et adages, Femmes, Saisons, qui s’ouvrent chacun par un dessin de Sergio Birga.
Ces dessins illustrent des poèmes dont certains peuvent également se trouver dans d’autres parties du recueil.

« Ecrire »

:

 

 

 

 

 

Passions premières, 1.3:

Entends les mots prête l’oreille
Ils sont consonne ils sont voyelle
Où le poète aussi voyait
De la couleur synesthésie
Plaisir de sens et de musique
En vibrations de fond lointain
Sonorités du plus beau timbre

Au gré du rythme et des phonèmes
Dont tu ne sais où ils te mènent
Ecoute naître en ton esprit
Des airs de ronde et de sonnet
Par la syllabe et la métrique
A pas comptés l’écho d’un chant
Qui passe un mur d’orchestre en chambre

Accueille en toi comme leçon
Venue des mots d’abord le son
Tout en aimant mais sans désastre
Aller chercher le clair des astres
En tête garde issu du nombre
Un art moins haut plus près d’une ombre

« France »

 

 

 

 

 

 

 

Passions premières, 2.1

Contrée de pomme où l’on cueille l’espoir
Entre la terre et le champ des étoiles
Entre les flots de l’océan brestois
La mer du sud et les sommets repères
D’une blancheur qu’on espère éternelle
On y tient tant que l’on cherche pourquoi

Pays mondial qui garde étrange empire
Partout sur terre une myriade d’îles
Que tant d’espace et tant de fonds côtoient
Sa métropole aéroports et ports
A mi-parcours entre équateur et pôle
On y tient tant que l’on cherche pourquoi

Peuple d’idées plus nettes qu’une épure
Mais que le temps complique de scrupules
Inventeur d’art de savoir et de lois
Voulant unir la justice et sans peur
La liberté qui ne marche pas seule
On y tient tant que l’on cherche pourquoi

L’humanité de sept milliards de voix
Voterait-elle afin que ce séjour
De France enfin se fonde dans la foule
On y tient tant qu’on ne voit pas pourquoi

Passions premières, 2.12

De vieux tankers et des chimiquiers baltes
Et des vraquiers qu’on enregistre à Malte
En mer passant comme en un lieu d’aisance
Dans leur sillage allongent les dégâts
D’un fioul qui traîne en nappe en agrégats
Sous pavillon de grande complaisance

Plusieurs s’échouent sur le rivage celte
En s’y vautrant ventrus sans rien de svelte
Si différents des bateaux de plaisance
Et bien plus lourds que lorsqu’ils divaguaient
Dans la tempête où ils fuyaient le guet
Sous pavillon de grande complaisance

Leurs noirs déchets vont servir de récolte
Aux gens d’Armor entre peine et révolte
A chaque fois stupéfaits des nuisances
Fuitant sans fin des soutes des cargos
Qu’on ne veut pas frapper d’un embargo
Sous pavillon de grande complaisance

Dans la marée ses vagues son tumulte
Un coeur de tôle -un ferrailleur l’ausculte-
A l’air de battre avec insuffisance
Environné de cris de mouette aigus
Le bateau meurt comme une orque ambiguë
Sous pavillon de grande complaisance

« Tristesse »

Un poème (6.19) de la partie « Saisons », écrit en contrepoint d’un célèbre rondeau de Charles d’Orléans sur le printemps, peut être cité à propos de ce dessin placé en tête de la partie « Tristesse »:

L’Hiver a vêtu son manteau
De nuit de froidure et de neige
Sous les flocons que vent allège
Il sort des glaces d’un château

Il marche seul murmure où vais-je
Dessous sa barbe de cristaux
L’Hiver a vêtu son manteau
De nuit de froidure et de neige

C’est un géant qui sans cortège
Tandis qu’Orion cherche au plus tôt
L’or des soleils orientaux
Médite lui des sortilèges
De nuit de froidure et de neige

« Fables et adages »

Les fables et adages, qui mettent souvent en scène les passions premières, cherchent à les dépasser par une sagesse que l’on croit élémentaire, mais qui donne souvent à réfléchir.

Le rondeau 4.3 de Passions premières met en relation et en scène, dans le gris de l’obscurité où se confondent la présence et l’absence, trois proverbes au sujet d’un animal qui n’est pas aussi familier qu’on l’imagine: « la nuit tous les chats sont gris » (mais Birga a bien vu leurs yeux!); « quand le chat n’est pas là, les souris dansent »; « à bon chat bon rat ».

Tous les chats dans la nuit sont gris
Sont-ils ailleurs les souris dansent
Confiantes dans leur providence
En oubliant le mistigri

Elles font du charivari
Scandant ce refrain redondance
Tous les chats dans la nuit sont gris
Sont-ils ailleurs les souris dansent

Reprennent l’air et en cadence
« A bon chat bon rat » chantent rient
Mais dans l’obscurité plus dense
On ne compte plus leurs absences
Tous les chats dans la nuit sont gris

Passions premières, 4.5

A la baleine et au dauphin
On fixe à présent des balises
A l’albacore et au requin
C’est ainsi qu’on les civilise

Tout en leur parlant franciscain
Pour leur montrer qu’on sympathise
A la baleine et au dauphin
On fixe à présent des balises

C’est pour leur bien qu’on les incise
Qu’on les perce au vilebrequin
Puis comme chasse est mieux que prise
On fait repartir à leur guise
Et la baleine et le dauphin

« Femmes »

 

 

 

 

 

 

Passions premières, 5.2

Les rayons de ses roues l’argentent
En liberté dans le trafic
Portée par l’air des pneumatiques
Inoxydable sur ses jantes

C’est la cycliste voltigeante
Sur un vélo chorégraphique
En liberté dans le trafic
Les rayons de ses roues l’argentent

En esquivant par la tangente
Les conducteurs somnambuliques
Ou dont la course est trop urgente
Equilibriste elle est confiante
En liberté dans le trafic

Passions premières, 5.9

Libre esprit de la genèse au-dessus des eaux
Je flottais planais dans l’apesanteur des dieux
Jubilation d’exister comme glissement
Dans la luminosité des violents cristaux
Mouvants sur la mer ce magma de fusion bleue
Rappelé à l’ordre obstinément par le vent

L’ondoiement formait le diapason de mon corps
Son rythme réglait l’équilibre impondérable
Allégeant mon poids sur la planche à fuselage
De plastique blanc pieds couplés dans un accord
Avec mes mains et la voile aile défroissable
Et qui s’emplit s’amplifie griserie volage

La durée flottait pareillement suspendue
Dans l’exaltation l’exultation dans l’éther
Où m’étourdissait une brève éternité
Puis l’apparition d’une planchiste aux seins nus
Me fit ressentir la friction de l’atmosphère
Et la pesanteur d’un plongeon précipité

« Saisons »

Le dessin de la partie « Saisons » représente la « pierre de Merlin » dans la forêt de Brocéliande, dont parle par ailleurs un rondeau de la partie « France » (2.8).

Passions premières, 2.8

Dans la forêt de Brocéliande
En route vers le Finistère
On voit des ajoncs des bruyères
A la lisière de la lande

Où le gui s’accroche en guirlande
A de grands chênes centenaires
Dans la forêt de Brocéliande
En route vers le Finistère

Ceux qui passent peut-être entendent
La fée chanter une légende
A l’enchanteur d’Apollinaire
Qu’elle a bloqué sous une pierre
Dans la forêt de Brocéliande

Billet : la Commission européenne et la ploutocratie

 

La Commission qui réside à Bruxelles
Remplit sa tâche avec un vrai succès
Pour le profit des lobbys lucratifs
Les gens pour elle ont peu de sympathie
« Ploutocratie » résume son portrait
Le capital est sa grande patrie

Son président a trouvé très facile
De pantoufler sans crainte ni souci
Pas de scrupule en partant qui l’étouffe
Ni même gêne avec légère toux
Mais un dédain des effets désastreux
Le capital est sa grande patrie

Le bien public devient ainsi vassal
Du fric régnant sur le peuple forçat
Dans les fauteuils s’installent des tartuffes
L’hypocrisie est leur seule vertu
La Commission n’est d’aucune contrée
Le capital est sa grande patrie

Son nouveau chef suivra les mêmes traces
Auparavant premier ministre ultra
D’un faux Etat dont la finance triche
Le capital est sa grande patrie

 

Le pantouflage de José Manuel Barroso passe mal. Ancien maoïste ayant rejoint la droite libérale, ancien premier ministre portugais, il a été président (2004-2014) d’une Commission européenne dont les thèmes de prédilection sont la libre circulation et la libre concurrence. Avant sa présidence, il s’était fait connaître pour avoir organisé avec George Bush et Tony Blair le sommet des Açores à la veille de l’invasion de l’Irak.  Il met à présent son carnet d’adresses au service de la banque américaine Goldman Sachs qui a contribué par ses pratiques à la crise économique mondiale de 2008 et au naufrage de la Grèce. La nouvelle recrue sera chargée de gérer depuis Londres les conséquences du Brexit : éventuellement contre Bruxelles ? Une pétition de protestation signée par 150 000 internautes a été remise au successeur de Barroso, Jean-Claude Juncker. Elle a été initiée par des fonctionnaires de la Commission (article du journal Le Monde daté des 16-17 octobre 2016). Ce fait rend invraisemblable le titre cet article, titre qui reproche à M. Barroso d’avoir laissé la technostructure lui imposer ses vues. Drôle de monde où les fonctionnaires se retourneraient donc contre qui est censé leur avoir laissé la bride sur le cou ! Notons l’étrange discrétion de cet article au sujet de Jean-Claude Juncker, qui a fait pire que son prédécesseur : resté des années durant à la tête du Luxembourg dont il a fortement renforcé le caractère de paradis fiscal, il a nui ainsi à tous les efforts de moralisation financière en Europe. Parlons aussi des anciens commissaires de l’ère Barroso, Viviane Reding, par exemple, ancienne commissaire à la justice, aux droits fondamentaux et à la citoyenneté, de 2009 à 2014. Si prompte naguère à donner à la France des leçons de morale politique (en matière d’immigration), elle s’est recasée dans plusieurs conseils d’administration privés en se montrant au moins aussi « pantouflarde » que son ancien patron.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : poème rustique

En cette fin d’été prolifèrent les mouches
Au grenier leur nuée bourdonne de remous
Mais beaucoup sont tombées sur le sol qu’elles jonchent
Tandis que sur le toit roucoulent des pigeons

Elles sont un produit des colonies de vaches
Parsemant ce pays de bocage et calva
Dans la ferme à côté des ruminantes crèchent
Une stabulation presque dans le secret

Dans l’espace des prés s’exercent des pouliches
Où sinueusement le ruisseau fait son lit
Soudain s’en vont sans cavalier qui les chevauche
Regardées d’un œil rond par des broutards ou veaux

Mainte abeille affairée d’on ne sait quelle ruche
Vient butiner les fleurs qui n’ont pas disparu
Le chant du coq résonne et les oiseaux des branches
Laissent dans mes pensées des ramages vibrants

 

A la campagne, on finit par ne plus percevoir l’agitation des animaux ni leurs bruits. A l’aurore on oublie le coq, celui de La Fontaine dont il est question dans la fable de « La vieille et les deux servantes » : « Maudit coq, tu mourras ! » De même qu’on n’est plus réveillé par les volées de cloches à sept heures du matin le dimanche. Si l’on y prête attention de nouveau, tout un monde visuel et sonore réapparaît, où l’homme peut avoir alors la sensation et le sentiment d’être assailli par la rumeur et même le brouhaha de tant de vies diverses autour de lui, au point de ne plus s’entendre lui-même. Ces vies sont pour une bonne part le produit de l’activité humaine, c’est-à-dire de la « domestication » des animaux : mammifères bien sûr, chats, chiens, cochons, ânes, moutons, chevaux, vaches (grosses productrices de lait, de viande et de méthane),  mais aussi oiseaux, insectes – à six pattes – tels que la  mouche, « musca domestica » (on parle de sa relation de commensalisme étroit avec l’homme), et même araignées – à huit pattes – très présentes dans les maisons, par exemple la « tegenaria domestica ». Au bout du compte, la nature animale qui nous environne est, comme la nature végétale, une culture.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les nus antiques, idéalisme, réalisme et liberté

 

Lisses parfaitement dans leur nudité glabre
En marbre de Paros avivant leur éclat
Ces statues magnifient le corps et le célèbrent
On ne peut les voyant dire d’elles c’est laid

Douées de proportions produites par les nombres
Harmonie d’où provient leur durable renom
Aphrodite accroupie ou Vénus qui se cambre
Elles ne sont en rien danseuses de cancan

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les femmes s’épilent
Et le sculpteur jadis éliminait leurs poils
Pour créer des beautés dignes d’une acropole

Hercule quant à lui montre ses testicules
De grosseur inégale au naturel tels quels
Sous la toison pubienne et le pénis tranquille

 

Dans ce monde où la pruderie religieuse est de retour, les statues gréco-romaines semblent militer pour la liberté du corps. Mais si les statues des déesses de l’antiquité sont nues, elles ne sont pas « à poil ». Elles montrent des aisselles et des pubis toujours lisses et polis. Les femmes de cette époque, à l’opposé des hommes, préféraient éliminer leur pilosité, en utilisant pour ce faire le rasoir, les produits dépilatoires, et même la flamme. Aristophane les fait parler sur ce sujet : « Tu ne le verras pas couvert de poils, mais épilé à la lampe »  (Lysistrata, 824-828), dit l’une d’elles à propos de son sexe, son « sakandros », littéralement son « sac pour l’homme » ; une autre fait l’éloge de la lampe : « Seule tu éclaires les secrets recoins de nos cuisses, flambant le poil qui y fleurit » (L’Assemblée des femmes, 12-14). A l’opposé, les statues masculines de la même époque conservent leur pilosité pubienne. Un article du journal Le Monde du 29 août 2016 intitulé « De l’asymétrie chez les valseuses » nous informe que dans son Histoire de l’art de l’antiquité, datant de 1764, l’historien et archéologue allemand Winckelmann a noté : « Les parties naturelles ont aussi leurs beautés particulières dans les figures antiques. En ce qui concerne les testicules, le gauche est toujours plus gros que le droit, ainsi qu’on l’a remarqué dans la nature. » Ce fait a été confirmé par une étude publiée en 1976 par la revue scientifique Nature, sous la signature d’un médecin britannique, Chris McManus, qui a étudié une centaine de statues dans les musées. Il s’avère que les sculpteurs de l’antiquité taillaient effectivement le testicule gauche plus bas et plus gros. Cela dit, une étude hongkongaise publiée en 1960 dans le Journal of Anatomy, fondée sur l’examen de 500 hommes, a conclu que si le testicule de droite est (au moins deux fois sur trois) plus haut chez les droitiers, cette proportion s’inverse chez les gauchers. Bref, le sujet relève de la science !

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : le blason de l’été

 

Le sable de la plage était presque un désert
Où de la solitude errait en liberté
Mais il suffit pour le peupler qu’un ciel d’azur
Déploie sa profondeur sa hauteur sans mesure
Le blason de l’été bleuit transfiguré

Le corps dès qu’il fait beau se soumet au désir
De prendre des couleurs jusqu’à l’anesthésie
Quand le rayonnement lui prodigue des ors
Et des ultraviolets lumière qu’il adore
Le blason de l’été s’en trouve redoré

Sans penser que la ride et la tache d’usure
Risquent de lui laisser des traces bien cousues
L’estivante somnole insoucieuse des heures
Le soleil lui tatoue faussement caresseur
Ce blason qui la marque au lieu de l’effleurer

 

Le blason, dont la science est l’héraldique, c’est-à-dire l’étude des armoiries, est l’ensemble des signes distinctifs et emblèmes d’un noble ou d’une collectivité, inscrits dans le cadre d’un écu (en forme de bouclier). L’émail est le nom utilisé dans cette discipline pour la couleur : azur, argent, or, gueules (rouge), orangé, pourpre, sable (noir), sinople (vert)… Par exemple, le blason de la ville de Paris a été décrit de la manière suivante à la fin du XVIIe siècle : « De gueules à la nef équipée et habillée d’argent voguant sur des ondes du même mouvant de la pointe, au chef d’azur semé de fleurs de lys d’or ». C’est-à-dire qu’il représente un navire argenté voguant sur des flots de même couleur, dont le dessin est surmonté d’une bande bleue semée de fleurs de lys dorées. L’expression « redorer son blason », qui se disait d’un noble pauvre épousant une riche roturière, est encore en usage de nos jours pour désigner une situation où l’on rétablit son prestige par une réussite. On appelle aussi blason un poème dont Clément Marot (1496-1544) a inventé le genre moderne avec sa louange du « beau tétin » dans ses Épigrammes (1535). A la suite de quoi ont fleuri sur ce modèle les éloges (ou satires) anatomiques. Dans un blason poétique, il s’agit de décrire une partie du corps, principalement du corps féminin, ou, plus largement, les qualités ou défauts d’un être ou d’une chose…

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : troisième anniversaire

Avec un pistolet qui crache inoffensif
De l’eau pour arroser des feuillaisons roussies
L’enfant donnant à boire aux plantes qui ont soif
désaltère les fleurs aux pétales de soie

Buzz L’Eclair est sorti de son aéronef
Pour fêter les trois ans de Sacha garçonnet
Autre cadeau reçu la tenue de triomphe
Que revêt Spiderman volant mieux qu’un avion

Mais le plus beau présent qui s’offre à l’esprit neuf
de Sacha c’est la vie qu’il découvre sans pause
Toujours en mouvement sans vouloir de repos

Côté jardin ou plage ou côté roches creuses
Piscines pour crevette et pour crabes nombreux
Son émerveillement me suggère ces strophes

 

A trois ans, on parle de mieux en mieux. On suit la logique de la langue, en disant « je vas » comme « tu vas », ou encore « ma épée », comme le voudrait normalement le féminin, au lieu de « mon épée » comme disent les adultes. Au bord de la mer, on craint les bernard-l’hermite, modèles réduits qui courent sur le sable avec une coquille d’emprunt sur le dos, abri sous lequel on voit s’agiter les pinces ; on compare les trous d’eau dans les rochers à des piscines pour les crustacés, et on constate que les crevettes y sont beaucoup plus petites que celles que l’on vend « au magasin ». Au jardin, on remplit avec du gravier le camion-benne en plastique, et quand Mamyvonne, l’instant d’après, parle de gravillon, on prétend corriger le mot qu’elle emploie, avant de comprendre, tout étonné, que deux mots différents peuvent dire à peu près la même chose. On aime depuis longtemps les dessins animés (qu’on appelait naguère des « només »), en particulier celui où les voitures vous regardent avec de grands yeux. On aime aussi les super-héros qui combattent les méchants dans les airs. Mais dans le vrai ciel le mouvement et le vacarme d’un hélicoptère qui passe le long de la côte ne sont pas moins intéressants.

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : le massacre du 14 juillet à Nice

Ils n’avaient pas prévu disent-ils qu’une foule
Puisse être percutée par un lourd camion fou
Conduit dans un accès de haine triomphale
Par un furieux qu’on croit suppôt du califat
Nos serviteurs d’Etat sont pris au dépourvu
Prédisant un coup dur ils ne l’ont pas prévu

La foule était venue pour le feu d’artifice
Elle avait envahi sans que nul se méfie
L’avenue promenade et s’offrait en confiance
Au danger devenu tout à coup terrifiant
Nos serviteurs d’Etat sont pris au dépourvu
Prédisant un coup dur ils ne l’ont pas prévu

Il fallait avant tout ne pas gâcher la fête
Ne pas dramatiser le risque d’un méfait
Par trop de précautions telle a été la faute
Qui pèsera sur ceux qui ont raisonné faux
Nos serviteurs d’Etat sont pris au dépourvu
Prédisant un coup dur ils ne l’ont pas prévu

Ils ont beau répéter paroles subterfuges
Qu’on ne pouvait mieux faire et qu’ils en sont confus
Sauront-ils apaiser l’inquiétude profonde
L’insouciance est en berne et l’on atteint le fond
Nos serviteurs d’Etat sont pris au dépourvu
Prédisant un coup dur ils ne l’ont pas prévu

 

 

Ce nouveau massacre suscite cette fois de la colère non seulement contre son ou ses auteurs, mais aussi contre la légèreté des pouvoirs publics. Dans un climat de danger durable reconnu par le gouvernement lui-même, au moment où se déployait et en mettait plein la vue, dans l’esthétisme et l’excès complaisants, un feu d’artifice parisien mobilisant des forces de sécurité importantes, celui de Nice était à peine protégé, par des effectifs très insuffisants, équipés de quelques armes de poing, et par des barrages routiers déficients. Sur la « Promenade des Anglais », ces barrages ont offert un boulevard à un camion de 19 tonnes accélérant sans obstacle pour foncer dans la foule et faire 84 morts et 202 blessés. Ce « modus operandi », expression que répètent désormais à l’envi les journalistes, est bien connu depuis longtemps, et il est expressément préconisé par la propagande des tueurs, ce qui n’a pas empêché le discours médiatique de nous seriner que nous serions confrontés à des méthodes terroristes inédites. Pour revenir à Nice, le ministre de l’intérieur nous a expliqué que le camion, conduit par un Tunisien présumé islamiste, a pris de court les policiers en passant tout simplement par le trottoir pour contourner le barrage. Comme s’il s’agissait d’une excuse, alors qu’il s’agit objectivement d’une critique majeure mettant en évidence l’insuffisance du dispositif de protection.

Dans le même sens que ce qui est dit ci-dessus, voir sur internet l’enquête du journal Libération intitulée : « Sécurité à Nice. 370 mètres de questions », et « Attentat de Nice: la réponse de Libération à Bernard Cazeneuve », enquête publiée les 20 et 21 juillet 2016, postérieurement au présent article.
Quant au nombre des victimes décédées, il est passé de 84 à 86 en août.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : Brexit

Amarrage largué par un référendum
Les Anglais ont voté mais non comme un seul homme
Contre le continent son kaléidoscope
Scruté dans leur lunette ou même au télescope
En reprenant conscience à l’heure du réveil
Ils se sont écriés sans connaître Corneille
« Sur les noires couleurs d’un si triste tableau
« Il faut passer l’éponge ou tirer le rideau »

Marchands et financiers boursiers de Londinium
(C’est ainsi qu’on nommait Londres du temps de Rome)
Et l’Ecosse comme eux dans un désir d’Europe
Voudraient garder le lien mais le reste a dit stop
Le reste a dit courage il faut avoir des couilles
Quitter la compagnie des mangeurs de grenouilles
Sur les noires couleurs d’un si triste tableau
Il faut passer l’éponge ou tirer le rideau

Après avoir cherché le profit maximum
Dans l’union de pays valant mieux que leur somme
Ils quittent cet ensemble où sans cesse on écope
Que des Germains bornés dirigent vers un flop
Et dont on ne sait plus qui tient le gouvernail
Ils se sont exclamés mieux vaut que l’on s’en aille
Sur les noires couleurs d’un si triste tableau
Il faut passer l’éponge ou tirer le rideau

 

 

Le 23 juin 2016 les Britanniques ont voté par référendum pour la sortie du Royaume-Uni hors de l’Union européenne (à une majorité de 51,9 %, face à une forte minorité londonienne et écossaise), une sécession appelée Brexit, contraction des mots « Britain » et « exit », de même qu’il a été question précédemment d’un « Grexit » pour la Grèce. En ce qui concerne l’analyse des votes par tranches d’âge, les chiffres ne sont pas fiables (voir à ce sujet l’article du journal Le Monde daté des 24-28 juin). L’opposition à l’intégration européenne a été accentuée par la crise économique y compris celle de l’euro, puis par la crise des migrants cherchant refuge en Europe. Le débat a porté sur la question de savoir dans quelle situation le Royaume-Uni aurait le plus à gagner : à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union européenne ? Les Anglais ont eu, une fois de plus, un double comportement, caractérisé à la fois par une volonté d’indépendance courageuse, et par une tendance au marchandage de boutiquiers, « illustrée » en son temps par Margaret Thatcher. Après leur acte de courage du 23 juin 2016 – intelligent ou non, l’avenir le dira -, la tendance au marchandage s’est aussitôt manifestée : d’une part, ils ont signifié à l’Europe continentale, très pressée de clarifier la situation, leur intention de prendre tout leur temps pour la mise en œuvre d’un Brexit avantageux ; d’autre part ils ont laissé entendre qu’après leur période d’appartenance à l’Union européenne, où ils avaient le pied droit dedans et le pied gauche dehors, ils pourraient peut-être se limiter à changer de pied. On ne sait donc pas encore si la conclusion définitive de cette affaire (tragédie ou tragicomédie ?) sera celle de ces vers de Corneille cités par Littré dans son dictionnaire : « Sur les noires couleurs d’un si triste tableau, / Il faut passer l’éponge ou tirer le rideau » (Rodogune, II, 3).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : l’amour du livre et des bibliothèques

Ami tu vois l’égarement d’un monde
Poussé toujours par de nouveaux démons
L’amour du livre et des bibliothèques
Sage ferveur n’est plus ce qu’il était

Dans le regret que la numismatique
N’éveille plus passion ni sympathie
Ami tu vois l’égarement d’un monde
Poussé toujours par de nouveaux démons

Cédant la place aux joueurs de pétanque
Les érudits n’ont-ils pas fait leur temps
Les fins lettrés ne sont plus à la mode
Tout est régi par l’offre et la demande
Ami tu vois l’égarement du monde

 

 

Un ami que nous connaissons depuis la khâgne de Strasbourg, longtemps professeur à l’université de Bordeaux, nous a envoyé récemment des nouvelles de lui-même et de ses activités. « La Société des bibliophiles de Guyenne, écrit-il, éditrice de la Revue française d’histoire du livre, est descendue en 150 ans de 400 à 43 adhérents, dont 14 présents. L’Estampe d’Aquitaine vient de tenir son assemblée générale avec deux présents. Le cours d’initiation à la numismatique que j’ai organisé avait un seul auditeur, une prof d’histoire retraitée. Le cercle numismatique Bertrand Andrieu est passé de 24 à 4 membres. L’adjoint aux affaires culturelles… a proposé à la société linnéenne qui remonte au XVIIIe siècle de jeter sa bibliothèque à la benne pour faire place à une bibliothèque enfantine… Où va le monde ? »

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : le remplacement de l’humain par l’automate

La machine à billets de l’agence bancaire
Avale votre carte et vous crache un ticket
« Carte non retirée » prise en otage car
Vous avez trop tardé début d’un long tracas

Vous allez vivre alors l’émotion que procure
Un douloureux effort impatiemment vécu
Pour qu’on vous restitue après plainte et recours
La somme débitée qui semble un mauvais coup

L’automate dit-on jamais ne réalise
Aucun décaissement machine scrupuleuse
Quand le client n’a pas repris sa carte bleue

Pourtant vous constatez malgré tout qu’il vous lèse
Et qu’il paraît faillible au point même qu’il ose
Comme un vulgaire humain tricherie et culot

 

 

Les automates combinant informatique et mécanique ont largement supplanté l’humain dans la vie quotidienne, pour la délivrance des titres de transport (train, métro, tram…), pour le passage aux péages d’autoroute, pour la distribution des billets de banque assurée par les DAB (distributeurs automatiques de billets), etc. Ils effectuent désormais la tâche de divers préposés, poinçonneurs, guichetiers, et même contrôleurs, mais la substitution n’est pas totale, car une partie du travail a été reportée sur le client ou l’usager prié de contribuer activement aux opérations par lesquelles son compte bancaire est débité. Le caractère automatique de la machine fait croire à tort à son infaillibilité, ce qui ne facilite pas la résolution des conflits en cas de réclamation, car les entreprises prestataires de service ont tendance à croire d’emblée que c’est le client humain qui se trompe et qui a tort. Il faudrait parler aussi de la fraude et des fraudeurs face auxquels l’automate est assez démuni, mais les entreprises s’en soucient modérément dans la mesure où elles ont la possibilité d’en répercuter le coût sur le client captif en majorant le prix de la prestation.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : un mois de mai sous les nuages

 

A présent la mésange ou le merle ou la grive
Chantent que les félins n’ont pas assez de griffes
Pour la chasse aux oiseaux quand l’aube claire arrive
En fin de nuit les chats ne sont plus assez gris

Souvent au mois de mai le peuple fait la grève
On voit donc refleurir espérance et grief
Dans les manifs la casse hypothèque le rêve
Ce printemps n’est pas beau mais on pense au progrès

La Seine en grossissant rappelle qu’elle est fleuve
Nourri des affluents son flot qui monte lave
Pont de l’Alma les pieds puis les jambes du Zouave

Gorgés bien saturés de grandes eaux qui pleuvent
Dans l’espoir de décrue et de lumière blonde
Nous attendons qu’enfin le soleil nous inonde

 

En cette année 2016, les inondations ont fait beaucoup de dégâts dans le bassin de la Seine, et le spectre de 1910 a resurgi, celui de la crue centennale. A Paris, du vendredi soir 3 juin au samedi 4 juin, la Seine a atteint la cote 6 m 10 au pont d’Austerlitz et au pont de l’Alma, un niveau cependant un peu inférieur à la crue de 1982 (6, 15 m), et très inférieur à celle de 1910 (8, 62 m). En 1982 et 2016, on a vu que de fortes précipitations peuvent entraîner des débordements majeurs non seulement en hiver comme en 1910, mais aussi au printemps, et que les lacs-réservoirs créés en amont de Paris pour éviter le retour de ce genre de catastrophe ne retiennent plus assez les eaux de la Seine et de ses affluents. Depuis cent ans on a beaucoup construit dans le lit des cours d’eau en région parisienne, ce qui contribue à accroître fortement les risques, notamment à Paris, et nos dirigeants y sont pour beaucoup. En se disant probablement : « après moi le déluge », ils ont ajouté aux sites sensibles au bord du fleuve la Bibliothèque Nationale de France, le ministère de l’économie et des finances quai de Bercy, le musée d’Orsay, le musée du quai Branly, pour ne parler que d’exemples récents….
Le printemps 2016 a été marqué également par de nombreuses grèves de protestation contre une « logique » économique, ou plutôt une antilogique, préconisée par des organisations internationales « hors sol », qui recommandent de faciliter les licenciements pour lutter contre le chômage, et de faire prévaloir la règle particulière sur la règle générale, que ce soit dans les entreprises ou dans l’administration, afin, dit-on, de se rapprocher du terrain ! Mais la démocratie, ce n’est pas cette déraison, c’est au contraire le respect de la raison dont Descartes nous a dit (non sans ironie, si l’on en juge d’après la conduite de nos dirigeants) que c’est la chose du monde la mieux partagée.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : « verba volant » ?

A l’opposé de l’acte scriptural
Qui va garder ce que l’on écrira
Filles de l’air les paroles verbales
Volent au vent plus que tout ici-bas
Bien que parfois ce ne soient pas des bulles
Mais des idées qu’un souffle distribue
Pour mieux saisir le sens du mot parole
Il faut savoir qu’il vient de parabole

Un bruit de fond subsiste intemporel
Né de bien loin se poursuit sans arrêt
Depuis le temps de la tour de Babel
Il se propage au gré des alphabets
Rumeur murmure ou long conciliabule
Il vit toujours et n’est jamais fourbu
Pour mieux saisir le sens du mot parole
Il faut savoir qu’il vient de parabole

Quand se remuent des vocables fébriles
Une pensée peut nous servir d’abri
Contre leur flot labile et volubile
Une pensée maîtresse du débit
Qui réagit si la phrase fabule
Qui veut du vrai du parler sans abus
Pour mieux saisir le sens du mot parole
Il faut savoir qu’il vient de parabole

 

 

« Verba volant, scripta manent », nous dit un proverbe latin : les paroles s’envolent, les écrits restent. On peut citer dans le même ordre d’idées plusieurs proverbes ou expressions opposant les paroles non seulement aux écrits mais aux actes, comme : « c’est un moulin à paroles », « payer quelqu’un de paroles », ou de « belles (bonnes) paroles »… Au contraire, dans la tradition chrétienne par exemple, la parole est souvent valorisée. Dans les langues dites romanes, les mots qui la désignent (parole et parler en français, parola et parlare en italien, palabra en espagnol, palavra en portugais…), dérivent tous de parabole, et l’on sait que celle-ci, en tant qu’elle désigne un récit allégorique porteur d’un enseignement moral et religieux, est l’un des modes d’expression favoris des évangiles. De la même étymologie relèvent « parlement » en français, «parliament » en anglais. On dit aussi « parole d’honneur », « tenir parole ». Le même mot est ainsi valorisé ou dévalorisé selon les circonstances. C’est aussi le cas de «verbe», dont il est question plus haut sous sa forme latine. L’expression « verbe de Dieu » a été courante, en accord avec le début de l’évangile de Jean : « Au commencement était le Verbe » (du moins dans le texte latin, car le texte grec du même évangile nous dit : « Au commencement était le logos »). Plusieurs mots ou expressions dérivés du « verbum » latin sont au contraire péjoratifs : « verbalisme, verbeux, verbosité, « avoir le verbe haut »… Ces ambivalences sémantiques de la parole et du verbe rappellent la formule du fabuliste Esope : « La langue est la meilleure et la pire des choses. »

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : chiens sur la plage

Trop basse est la marée pour que les vagues rincent
Les déchets déposés par les arrière-trains
La mer au bord du sable a dessiné des fronces
Mais n’a pu nettoyer les crottes les étrons

Bien que la préfecture interdise l’errance
Et autres jeux canins sur la plage et l’estran
Passant avec toutou le maître ou la maîtresse
Regardent le panneau d’un œil plus que distrait

Ils sont en infraction mais n’ont pas l’air contrit
Dans l’espace désert en gris sur cette rive
Où l’animal déploie son énergie motrice

Lorsque le lendemain le soleil renaîtra
Faisant place aux humains les chiens que l’on entrave
Essaieront de laisser de nouveau quelques traces

 

Le règlement sanitaire du Finistère interdit les chiens sur les plages. Enhardis par l’absence de gendarme, ceux (ou celles) de leurs propriétaires qui ne veulent pas respecter cette règle, comme s’ils confondaient leur liberté avec celle de leur animal, sont prêts à utiliser n’importe quel argument, par exemple : s’ils sont tenus en laisse, les chiens sont autorisés (ce qui est faux) ; mon chien sait se retenir de faire ses besoins ; je ramasse les déjections (mais le chien s’aventure trop loin devant le maître pour que celui-ci puisse repérer l’endroit d’une excrétion) ; je suis marin-pêcheur, et je sais que l’océan absorbe bien d’autres saletés, alors je me fous des merdes sur la plage ; ou encore : je fais ce que je veux, je suis chez moi ici… En réplique à ce dernier argument, des promeneurs ont répondu, au bord de la plage, non loin d’un panneau d’interdiction, qu’ils étaient bretons eux aussi, et que « même les Bretons savent lire »… Soyons juste, la question des excréments canins ne se pose pas seulement sur les côtes bretonnes, on en sait quelque chose un peu partout en France et ailleurs, par exemple dans les rues des villes. Mais le problème des plages, c’est que les humains qui les fréquentent ont l’habitude de s’y allonger quand il fait beau, au risque de côtoyer une crotte de trop près. Heureusement, la marée nettoie, du moins sur les côtes où elle existe, mais l’eau elle-même ne s’en trouve pas plus propre. Il faudrait aussi parler des mégots jetés en tous lieux, que ce soit sur le sable des côtes ou sur le bitume des trottoirs.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : rondeau des injures et des jurons

 

Cornus cocus couillons et malotrus
Cocards cornards fêtards et durs paillards
Au Moyen Age où ces mots pleuvaient dru
La poésie pleine d’esprit gaillard

Enumérait sans oublier son art
En bruits de langue usant de termes crus
Cornus cocus couillons et malotrus
Cocards cornards fêtards et durs paillards

Insulte injure et jurons  furibards
C’est un passé qui n’a pas disparu
Car de nos jours merde et putain conard
Font aussi bien que les vieux corneculs
Cornus cocus couillons et malotrus

 

 

De nos jours on entend à tout bout de champ des exclamations et invectives telles que merde, putain, conard ou conasse, voire bordel de merde, même de la part de philosophes et autres personnes a priori bien élevées ! Ces mots méritent un rondeau analogue à celui qui a été écrit par le poète médiéval Eustache Morel dit Deschamps (rondeau 45, ou 180 c dans le manuscrit de référence), dont le refrain est tout en allitérations et assonances :
« Cocus, camus, cornus et malotrus,
Cocarts, cornards, fêtards et durs paillards. »
Cocart, qui vient de coq, signifiait coquet prétentieux. Malotru signifiait mal pourvu, mal fait. Faitard, mou, paresseux, résulte de la convergence entre fêtard, dérivé de fêter, et un composé de faire et tard (fait tard). Par égard pour Albert Camus, pour lui éviter un mauvais voisinage, le nom commun homonyme, désignant celui dont l’appendice nasal est court, a été remplacé par un autre…

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : poésie et musique au XIVe siècle

N’oublions pas le poète Deschamps
Dont le prénom n’est plus de mode Eustache
Mais dont le ton est moderne attachant
Il a écrit tant de vers sans relâche
Curieux de tout rhétoriqueur adroit
Théoricien d’un bel art poétique
Et praticien qui n’avait rien de froid
Sensible aux mots qui font de la musique

Il a loué Du Guesclin chevauchant
Contre l’Anglais célébré son panache
Il a décrit les attraits aguichants
De filles fleurs qui jouent à cache-cache
Plein de verdeur bien que lettré courtois
D’inspiration réaliste et lyrique
Aimant la France en serviteur du roi
Sensible aux mots qui font de la musique

Il admirait non-musicien les chants
Du grand Machaut l’Orphée d’un art sans tache
Auquel il rend des hommages touchants
Comme un disciple au maître se rattache
En évoquant tous les instruments cois
Lorsque a péri ce génie mélodique
Il a parlé de ce deuil d’une voix
Sensible aux mots qui font de la musique

Il a connu la Guerre de Cent Ans
Sans tour d’ivoire où survivre amnésique
Mais il était dans le malheur du temps
Sensible aux mots qui font de la musique

 

Dans la seconde moitié du XIVe siècle, Eustache Deschamps s’est voulu le disciple de Guillaume de Machaut, poète et musicien, bien qu’il ait rompu avec la tradition de mise en musique de la poésie lyrique. Théoricien, après Machaut, des poèmes à forme fixe, il a enrichi, en les ouvrant à tous les thèmes, le rondeau et le  virelai tournés vers l’amour courtois, et ajouté un envoi à la fin des ballades. Auteur d’une oeuvre de 82 000 vers (à comparer aux 60 000 de Machaut et aux 35 000 de Froissart), il a mis l’accent sur le plaisir que la poésie sans la musique peut offrir par ses aspects sonores et formels. Dans  L’art de dictier et de faire chansons, oeuvre en prose composée en 1392, premier traité de versification en langue française, il considère que la musique est une science qui s’apprend, alors qu’on naît poète (dans la tradition du «nascitur poeta» des Latins). Il qualifie de musique artificielle celle de la mélodie et des instruments, qu’il oppose à la musique naturelle, celle des vers, que produit « la bouche en proférant paroles métrifiées ». Le développement de cette nouvelle pratique s’explique en partie par le manque de formation musicale des poètes de son époque et par l’augmentation des lectures privées, sans accompagnement de musique. Accompagnement que les autres poètes de cette génération (Froissart, Christine de Pizan, par exemple) ont abandonné eux aussi. Deschamps considère que la poésie a sa place à elle dans la série des sept arts libéraux (grammaire, logique, rhétorique, géométrie, arithmétique, musique, astronomie). Il inaugure ainsi la notion de lyrisme littéraire en rupture avec le lyrisme musical. Paradoxalement, les formes fixes, liées à l’origine à la musique et à la danse comme le disent les noms mêmes de rondeau ou de ballade, tirent alors du fait de n’être plus chantées une importance nouvelle.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les planètes autour du soleil

Près de l’étoile au centre et loin des bords obscurs
Du grand planétarium commençons par Mercure
Où vraisemblablement la vie n’a pas vécu

Moins proche du soleil la brillante Vénus
Que la rime associe à la froide Uranus
Fait paraître un éclat depuis longtemps connu

La planète suivante est en bleu c’est la Terre
Petite comparée à l’astre Jupiter
Que jadis Galilée passionnément scrutait

La Terre sur orbite entre Vénus et Mars
Entraîne dans son cours la Lune sa comparse
Tournant comme une horloge allant du même pas

Corps de gaz plus lointains Jupiter et Saturne
Décrivent leur ellipse au fond d’un ciel nocturne
En manque de clarté la nuit s’y accentue

Après c’est Uranus au-delà c’est Neptune
Corps de glace trouvé non par bonne fortune
Mais grâce aux équations d’un Le Verrier têtu

Puis se sont révélées Pluton Sedna Eris
Dans l’attraction solaire et l’ombre génitrice
Où renaissent les noms des dieux qui ont péri

Par de savants calculs et puissantes lunettes
Il reste à découvrir de nouvelles planètes
Plus d’objets mystérieux qu’on ne l’imaginait

 

On a découvert au-delà de Pluton, à partir de 2003, plusieurs planètes appelées naines (catégorie incluant désormais Pluton), par exemple Sedna, décrivant des orbites dont la similarité peut s’expliquer par l’influence gravitationnelle d’un corps céleste encore inconnu. C’est ce qui a conduit Konstantin Batygin et Mike Brown du California Institute of Technology à proposer dans un article du 20 janvier 2016 l’existence d’une neuvième planète (non naine) perturbant les petits corps analogues à Pluton. Cette planète dix fois plus massive que la Terre doit avoir une orbite très allongée, et sa révolution autour du soleil serait de 10 000 à 20 000 ans. Selon sa position, elle pourrait être atteinte par une sonde spatiale après un voyage de 57 à 343 ans. Le successeur du télescope spatial Hubble à partir de 2018, le télescope James-Webb, pourra probablement en fournir des images. Les équipes françaises de Jacques Laskar et d’Agnès Fienga en ont précisé les positions possibles dans un article du 22 février 2016. Grâce aux données de la sonde Cassini en orbite depuis 2004 autour de Saturne, la distance entre celle-ci et la Terre est connue avec une marge d’erreur inférieure à 100 m. Ces données ont été utilisées pour tester les effets sur le système solaire de la neuvième planète. La simulation a réduit de moitié les directions dans lesquelles peut se trouver la planète en question et de désigner la plus probable, en définissant les zones où son rajout crée des perturbations de Saturne incompatibles avec les observations, et les zones où il améliore au contraire le modèle de prédiction des distances Terre-Saturne. Cela dit, seule l’observation directe pourra confirmer la découverte. C’est de la même façon qu’à partir d’anomalies dans l’orbite d’Uranus a été trouvée Neptune en 1846, grâce aux calculs du français Le Verrier confirmés peu après par les observations de l’allemand Galle.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : La simplification de l’ortografe

Ceux qui veulent en France amender l’orthographe
Changer p-h en f dans ce réexamen
Vont-ils nous unifier des graphies qui diffèrent
Et fondre couleur fard avec lumière phare
Il leur faudrait pour guide un nouveau saint Christophe
Evitant que leur nom finisse en épitaphe
Sur le bord du chemin

Face à eux bec et ongle et par la dent la griffe
Ceux qui veulent garder l’héritage commun
Des mots venus de loin refusent de défaire
Ce qu’a produit le temps peu à peu sans fanfare
Tant de signes créés depuis l’alpha l’aleph
Presque un capharnaüm depuis les hiéroglyphes
Et les Gréco-romains

Les vieux signes doit-on les remiser au greffe
De l’Histoire sur pierre argile parchemins
Papyrus que le Nil nous a jadis offerts
L’i grec s’est estompé sans que nul ne s’effare
En Italie Espagne où l’on est filosofe
Mais chez nous l’orthographe est travail de Sisyphe
Qui semble surhumain

 

D’après Le Figaro du 4 février 2016 : « Vingt-six ans après sa validation par l’Académie française, l’orthographe rectifiée rentre dans les manuels scolaires de la rentrée 2016-2017, à la faveur de la réforme des programmes scolaires… Parmi les principaux points, cette simplification des règles ne rend plus obligatoire l’accent circonflexe sur le « u » et le « i ». «Coût » deviendra « cout », « paraître » « paraitre ». En revanche… le participe passé de devoir restera « dû ». De même, l’adjectif « mûr » restera inchangé pour ne pas le confondre avec « mur ». « Oignon » et « nénuphar »… s’écrivent « ognon » et «nénufar». On pourra désormais écrire « picnic », supprimer le trait d’union des mots composés de « contre », « entre », « extra »… «Evénement» pourra désormais s’écrire avec un accent grave sur son deuxième « e », « réglementaire » change aussi d’accent… Depuis 1990, les deux orthographes – la traditionnelle et la rectifiée – sont tolérées… Mais la réforme qui ne marche pas si mal chez nos voisins suisses et belges n’est mentionnée dans les textes officiels de l’Education nationale qu’en 2008… Pour Danièle Manesse, professeure en sciences du langage à la Sorbonne, auteure de « L’orthographe, à qui la faute ? », la réforme… nécessite paradoxalement « un nouvel effort d’apprentissage… sur des points marginaux… Le vrai problème, ce sont les doubles consonnes et les lettres issues du grec, comme le th», explique-t-elle. »

Billet : la nationalité

La nationalité pour le mieux ou le pire
Dans ce monde multiple émaillé de nations
Nul ne peut s’en passer beaucoup s’en exaspèrent
Et voudraient vainement son élimination

Certains sont satisfaits d’avoir deux passeports
Comme une garantie de pérégrination
Dans le pays d’accueil ils sont parfois campeurs
Installés dans l’instable avec obstination

La patrie d’origine et ses lointains villages
Qu’ils connaissent trop peu mais dont ils font l’éloge
Se parent de couleurs en imagination

Ils désirent garder leur double privilège
Et risquent d’oublier dans un confus mélange
Vers où penchent leur vie et leur inclination

 

Selon l’article 15-1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies : « Tout individu a droit à une nationalité ». Certains Etats, comme Israël et le Maroc, pratiquent une allégeance nationale perpétuelle, qui empêche leurs ressortissants de renoncer à leur nationalité. Aujourd’hui, les cas de plurinationalité se multiplient. Un binational détient deux passeports, ce qui permet notamment le vote dans les deux pays et facilite le passage des frontières. Certains Etats, comme la Chine et le Japon, interdisent cette situation. D’autres, comme la France, l’acceptent, et leur nombre augmente. Mais la portée de cette acceptation est limitée : ainsi, un citoyen français ne peut pas se prévaloir, vis-à-vis de la France, des avantages éventuels de son autre nationalité, et la protection diplomatique de la France ne peut s’exercer dans l’autre Etat dont dépend le binational. La convention du Conseil de l’Europe signée à Strasbourg en 1963 considérait « que le cumul de nationalités est une source de difficultés » et se présentait comme une action commune en vue de le limiter. L’un des principaux problèmes à l’époque était celui des doubles obligations militaires. En vertu de ce traité, l’acquisition d’une nationalité d’un des Etats par un citoyen d’un autre Etat devait conduire à l’abandon automatique de la nationalité d’origine. Mais en 2007 un accord a permis de dénoncer les dispositions en question. C’est ce qu’ont fait la Belgique, le Danemark, la France, l’Italie, l’Espagne, la Suède… L’Allemagne a dénoncé l’ensemble de la convention.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : l’accord de Paris sur le climat

Pour conclure un accord à cent quatre-vingt-quinze
Entre tous les pays de la planète terre
Et sauver l’avenir en sauvant le climat
Dans la crainte et l’espoir avant qu’il soit trop tard
Il a fallu trouver c’est plus qu’un exercice
Le dénominateur d’un langage commun

Pour que l’humanité ne soit pas kamikaze
En se laissant brûler dans la température
Produite par ses gaz et son hyperthermie
Il y faudra l’effort d’autres négociateurs
Capables pour longtemps d’un stable consensus
Dont les mots ne soient pas un écran de fumée

Je ne le nierai pas c’est une juste cause
De vouloir préserver la neige et ses atours
La glace blanche ou bleue du pôle et des sommets
Dont la liquéfaction pourrait nous engloutir
Mais tout serait je crois pire dans l’autre sens
Au cas où surviendrait un refroidissement

 

Dans le cadre des « conférences des parties », les COP, réunissant chaque année les pays qui ont adhéré à la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques (adoptée au sommet de Rio en 1992), la COP 21 a réuni 195 Etats au Bourget près de Paris à la fin de 2015. Elle a abouti le 12 décembre, après douze jours de négociations, à un accord pour contenir « l’élévation de la température moyenne de la planète nettement au-dessous de 2 ° C par rapport aux niveaux préindustriels » et poursuivre l’action menée « pour limiter l’élévation des températures à 1,5 ° C ». Cet accord doit entrer en vigueur en 2020.
Le texte réaffirme que les pays développés doivent réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, et fournir une aide financière croissante aux pays en développement pour modérer les leurs. On sait toutefois que l’essentiel de l’augmentation des émissions est dû désormais à l’essor des grands pays émergents.
On vante le caractère universel de cette négociation internationale sur le climat. Mais les sceptiques, constatant qu’à l’évidence les intérêts des divers pays ne vont pas tous dans le même sens, disent que les négociateurs ont voulu sauver l’accord plus que le climat. On vante le caractère ambitieux de l’objectif, limitant à nettement moins de 2 % la hausse de la température moyenne de la planète. Mais l’ambition est d’autant plus grande que les obligations contraignant les Etats sont plus faibles.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : voeux de fortitude pour 2016

Je nous souhaite à tous plus grande fortitude
C’est-à-dire vaillance et générosité
Autant que le permet l’humaine finitude
Quand l’hiver nous incline à la frilosité

La vaillance est la force oeuvrant sans lassitude
Pour nous donner du coeur dans la morosité
Pour préserver notre être et chasser l’inquiétude
Pour dissiper en nous les nébulosités

Aux jours gris quand le risque a pris de l’amplitude
Elle est la fermeté qui résiste et s’impose
La présence d’esprit sur les voies dangereuses

Elle soutient l’espoir et la sollicitude
La bonne volonté la joie des justes causes
Dans l’accompagnement des actions généreuses

 

Spinoza a écrit dans la troisième partie de son Ethique :
« Parmi tous les affects qui se rapportent à l’esprit en tant qu’il agit, il n’en est point qui ne se rapportent à la joie ou bien au désir. » (Proposition LIX).
« Toutes les actions qui suivent des affects se rapportant à l’esprit en tant qu’il comprend, je les rapporte à la force d’âme, que je divise en vaillance et générosité. Par vaillance, j’entends le désir par lequel chacun s’efforce de conserver son être sous la seule dictée de la raison. Et par générosité, j’entends le désir par lequel chacun, sous la seule dictée de la raison, s’efforce d’aider les autres hommes et de se les lier d’amitié. Et donc, les actions qui visent seulement l’utilité de l’agent, je les rapporte à la vaillance, et celles qui visent aussi l’utilité d’autrui, à la générosité. La frugalité, la sobriété, la présence d’esprit dans les dangers, etc., sont des espèces de la vaillance ; et la retenue, la clémence, etc., des espèces de la générosité. » (Scolie de la proposition LIX).
Les traducteurs traduisent par « force d’âme » le mot latin fortitudo utilisé par Spinoza. Mais le mot « fortitude » (force morale, énergie, courage) existe en français de même qu’en anglais. Chateaubriand, par exemple, l’a employé en écrivant : « Défions-nous de ce mouvement d’amour-propre qui nous fait croire à la fortitude de notre âme ». Spinoza y inclut comme vertu majeure la générosité, à laquelle Descartes, avant lui, a consacré de très belles pages en la reliant à la bonne volonté.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : Noël oriental

L’arbre veillant sur la nativité
Ce n’était pas un résineux du nord
Pas un sapin que des bougies décorent
Mais le palmier de l’hospitalité

Marie pleurait lasse le cœur plombé
Elle avait faim elle entendit alors
Son nouveau-né lui dire en réconfort
Vois ce tronc penche et les fruits vont tomber

Pour fortifier ta confiance fragile
Bois aussi l’eau qui naît en ruisseau vif
Au pied de l’arbre et qui lui donne vie

C’est un récit venant des évangiles
Ceux de l’enfance et qu’on nomme apocryphes
Dans le Coran l’épisode est repris

 

 

L’enfance de Jésus est brièvement racontée par deux des quatre Evangiles canoniques, ceux de Matthieu et de Luc, mais elle est le sujet principal de plusieurs autres textes, les « évangiles de l’enfance », classés comme apocryphes. Le plus ancien est le Protévangile de Jacques, de la seconde moitié du IIe siècle, dont il existe plusieurs versions, en grec, syriaque, copte, éthiopien, arménien, géorgien, arabe…  Ce texte nomme les parents de Marie, Anne et Joachim. Il situe la naissance de Jésus dans une grotte  qui se remplit de clarté. Certains de ses éléments sont repris par le Coran (sourate III). Dans l’Evangile du Pseudo-Matthieu, dont la composition date peut-être du IVe siècle, on trouve par exemple l’âne et le bœuf, ainsi que l’épisode du palmier qu’évoque la sourate XIX du Coran, et dont il est question ici dans ce « Noël oriental ». L’Evangile arménien de l’enfance (Ve ou VIe siècle) nomme pour la première fois les rois mages, Melchior, Balthazar et Gaspard. Dans l’Evangile arabe de l’enfance, de la même époque, originellement en syriaque, ces mages, de retour chez eux, jettent au feu un lange de l’Enfant-Jésus. Le feu qui, selon leurs coutumes, purifie tout ce qui est impur, laisse le lange intact.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : massacre à Paris

Les sauveteurs ont vu l’ampleur de ce massacre
En entrant dans la salle ils ont vu le carnage
Des téléphones vains s’obstinaient dans le vide
Les proches des tués se faisaient un sang d’encre
Et connaîtraient bientôt l’horrible nécrologe
D’une foule sans vie

La tuerie a promu de minables médiocres
Au rang de criminels que tant de haine ronge
Pensant être sauvés par le meurtre ils s’évadent
Ainsi de leur bassesse et d’un sort qu’ils exècrent
En faux martyrs bravant l’agressé qui se venge
Qui réplique à Dieu va

Ils croient leur adversaire adorateur du lucre
A tort ils ont l’idée qu’il est faible et transige
Que pour lui tous les biens sur les marchés se vendent
Qu’il préfère convaincre incapable de vaincre
Ils sont dans l’illusion que la mort les protège
Mais ce n’est que du vent

 

Le vendredi 13 novembre 2015 ont éclaté des fusillades et explosions-suicides qui ont visé le stade de France à Saint-Denis, ainsi que plusieurs lieux dans les 10e et 11e arrondissements de Paris : au croisement des rues Bichat et Alibert, le bistrot Le Carillon et le restaurant Le Petit Cambodge ; rue de la Fontaine-au-Roi, la brasserie Café Bonne Bière ; rue de Charonne, le bar La Belle Equipe ; boulevard Voltaire, le bar Comptoir Voltaire, et le Bataclan, salle de spectacle de 1500 places. Le 18 novembre, lors d’un assaut de la police à Saint-Denis, d’autres terroristes ont été tués, dont le belgo-marocain organisateur des attentats. A la date du 20 novembre 2015, le bilan, du côté des victimes, est de 130 morts (90 au Bataclan) et de 352 blessés (plus de 100 au Bataclan). Du côté des terroristes – venus principalement de Bruxelles – 7 sont morts le 13 novembre (dont 6 ont déclenché leur ceinture d’explosifs) ; et 3 de plus le 18 novembre. A ces évènements en France s’est ajouté un massacre perpétré au Mali à Bamako par d’autres islamistes radicaux le vendredi 20 novembre. L’organisation sunnite dite « Etat islamique » (Daesh) établie dans la région amont de l’Euphrate, et financée par le trafic de pétrole passant par le voisin turc, bombardée par les avions américains, russes et français, a revendiqué les attentats de Paris comme elle avait revendiqué l’explosion en vol, le 31 octobre, d’un Airbus de plus de 200 touristes russes revenant du Sinaï. Les Occidentaux, jusqu’ici, ont semblé entravés, pris entre le désir de frapper Daesh et le souci de ménager les Sunnites, face aux Chiites iraniens et syriens soutenant le dictateur de Damas Bachar El Assad. Les efforts pour expliquer les causes de ces évènements ravivent la tentation, chez certains, de battre leur coulpe en évoquant les péchés commis par la France et par le monde occidental envers les Musulmans, immigrés et autres.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : Charles Péguy, intellectuel mais poète

Charles Péguy revit comme intellectuel
Classé à gauche à droite ou bien non-aligné
Mais c’est comme poète et non conceptuel
Qu’il voulait faire face au jugement dernier

A l’heure où sonnera la remise des prix
Lorsqu’à la fin le bien sera récompensé
Ce n’est pas disait-il un discours balancé
Qui réanimera tous ceux qui ont péri

Aucun épigraphiste ou lecteur d’épitaphes
Ne ressuscitera l’existence perdue
Aucun géostratège ou autre géographe
Ne cartographiera le pays disparu

Quand l’homme relevé de la mort de la tombe
Ecartera la pierre ou les fleurs du hallier
Quand il remontera les ruines d’escalier
Où le pied du silence à chaque pas retombe

Ce n’est pas le regard de ses maîtres charnels
Ce ne sont pas les yeux des professeurs d’histoire
Qui le contempleront à l’interrogatoire
Lorsqu’il ira s’asseoir sur les bancs éternels

Ainsi parlait Péguy contre tout maître logue
Politologue anthropologue idéologue
C’est plus haut qu’il pensait avoir un compte à rendre
Il faut l’aimer poète afin de le comprendre

 

Le centième anniversaire de la mort de Péguy au combat en 1914 a fait prendre conscience d’une sorte de résurrection de l’écrivain après un purgatoire dans la seconde moitié du XXe siècle, une fois passée la guerre mondiale de 1939-1945 qui lui avait donné une forte actualité. Tandis que le pétainisme le revendiquait, le général de Gaulle s’est référé à lui, ainsi que Bernanos. Mais par la suite, on l’a accusé absurdement (Bernard-Henry Lévy dans L’idéologie française en 1981) d’être un des fondateurs d’un national-socialisme à la française. A présent, beaucoup se réclament de lui, des journalistes, des essayistes, des philosophes, des historiens, des écrivains de gauche ou de droite : par exemple Edwy Plenel, Jacques Julliard, Yann Moix, Pierre Manent, et même Michel Houellebecq … Alain Finkielkraut lui a consacré un livre, Le Mécontemporain (1992), et ses deux ouvrages récents parlent aussi de lui (L’Identité mallheureuse en 2013, La seule exactitude en 2015). Le titre du dernier est tiré d’une citation de Péguy : « Etre à l’heure, la seule exactitude », citation explicitée par Finkielkraut : les contemporains, vivant soit dans la répétition du passé, soit dans l’annonce de l’avenir, n’habitent pas tous le présent au même moment. On peut se réjouir de voir Péguy revenir sur le devant de la scène, mais c’est sous une forme tronquée, car c’est en prose qu’on évalue, dans un sens ou dans l’autre, l’itinéraire de cet écrivain depuis son soutien actif à la juste cause dans l’affaire Dreyfus jusqu’à son patriotisme religieux (nationalisme dévot pour certains) à la veille d’un conflit mortel, et on évite de parler du poète qui continue à dépasser la compréhension ordinaire des lecteurs. C’est pourtant la poésie de Péguy qui exprime avec le plus de justesse et de nuance sensible les notions dont il est question dans les essais en prose, qui peuvent paraître contestables quand, pour les lire, on n’est pas « à l’heure ».

Billet: les nouveaux magnats des médias français

Les magnats débutants devenus grands postulent
Pour un grade élevé dans l’ordre des fortunes
Ils ont pour y atteindre une ambition têtue
Censurent si besoin licencient restructurent
Au sens de Machiavel ils ont de la vertu

L’un a pris le pouvoir sans trop de capital
Et il a pu dresser sa tour à Manhattan
Il vend partout du luxe et crée du résultat
Vedette financière avec des produits stars
A présent il se trouve au sommet du gotha

D’autres dans les médias après le minitel
En promouvant le câble ou préférant l’antenne
Ont dépassé de loin le point d’où ils partaient
Souvent la dureté tient lieu de caractère
Dans leur course aux débits et aux mégaoctets

Bien qu’ils soient différents d’apparence et de style
Entre la vigueur brute et l’humeur florentine
Ils ont l’avidité d’un semblable appétit
Ils attirent l’argent et l’argent les attire
Mais quel sera le sort de ce qu’ils ont bâti

 

Ils s’appellent Vincent Bolloré, Xavier Niel, Patrick Drahi, François Pinault, Bernard Arnault. Quant à Serge Dassault (Le Figaro), Martin Bouygues (TF1, Bouygues Telecom), Arnaud Lagardère (télévision, radio, presse, édition), ils ne figurent pas dans cette liste de nouveaux magnats, car ce sont des héritiers.

Vincent Bolloré est aussi un héritier, mais il vient de changer de dimension en prenant le contrôle de Canal + en même temps que de Vivendi (pour cela, 15 % du capital lui a suffi). Il y a  manifesté d’emblée un interventionnisme voyant.
Xavier Niel, après avoir débuté par le minitel, a créé Free, fournisseur d’accès à internet, et Free mobile, opérateur de téléphonie. Avec Pierre Bergé et Mathieu Pigasse, il est co-propriétaire depuis 2010 du quotidien Le Monde et depuis 2014 de l’hebdomadaire Le Nouvel observateur rebaptisé L’Obs. Sa compagne est Delphine Arnault, fille de Bernard Arnault.
Patrick Drahi, actionnaire de Numéricable, ainsi que de SFR et de Libération à partir de 2014, a pu, malgré son endettement, acheter encore en 2015 BFM-TV, RMC et le groupe de l’hebdomadaire L’Express, où son arrivée est marquée par des licenciements.
François Pinault, propriétaire du magazine Le Point depuis 1997, a acquis Gucci contre Bernard Arnault en 1999. Ces deux hommes d’affaires sont aussi rivaux sur le marché de l’art contemporain où ils investissent des sommes considérables.
Bernard Arnault, première fortune française, a commencé par reprendre en 1984 le groupe textile Boussac en déconfiture, bénéficiaire d’aides publiques importantes, et que l’Etat ne voulait pas voir démanteler. Il l’a pourtant découpé pour n’en garder que les meilleurs morceaux en bénéficiant d’un excellent « rapport qualité/prix » ; ce qui lui a donné ensuite les moyens de développer – notamment par l’achat de marques – son groupe actuel LVMH (champagne et spiritueux, mode et maroquinerie, parfums, montres…). LVMH a acquis les journaux Les Echos en 2007, et le Parisien en 2015.

Billet: l’Allemagne et les réfugiés

Mais que fait l’Allemagne elle annonce qu’elle ouvre
Aux Irakiens-Syriens par pitié sa frontière
Dans un premier élan tout le monde l’approuve
Plutôt que des migrants ce sont des réfugiés

Ils fuient nombreux la mort le djihad qui les navre
Ils n’ont chez eux plus rien que ruine et que poussière
Et veulent partir loin jusqu’au nord scandinave
Par bateau par le train par camion même à pied

Ce n’est pas pour autant une histoire de pauvres
Ils connaissent l’anglais le web et les filières
Les tarifs des passeurs pour avoir la vie sauve
Ils sont souvent instruits munis de quoi payer

L’Allemagne apprécie cet afflux de main-d’œuvre
Et fille de pasteur voici la chancelière
Qui voit du bien sortir du mal dans cette épreuve
Economie et compassion moitié moitié

Berlin a dit d’accord signal appel à suivre
Appel d’air provoqué tandis que la Bavière
Proteste submergée par tous ceux qui arrivent
Débarquant dans ce Land chaque jour par milliers

 

L’Allemagne a soudain annoncé, quatre mois avant la fin de l’année, qu’elle aurait à accueillir en 2015 au moins 800.000 migrants. Comment le savait-elle, alors que l’année n’était qu’aux deux-tiers écoulée ? C’est ce que peut appeler une « prédiction créatrice », qui se fonde sur l’intention de celui qui la profère, et qui, par là même, crée les conditions d’une « auto-réalisation ». En effet, cette annnonce – hypocrite parce qu’elle a déguisé en simple prévision une décision sous-jacente – a fortement contribué à accroître le flux vers l’Europe en provenance d’Irak et de Syrie (et même d’Afghanistan) en donnant un signal positif aux candidats à l’émigration. Elle a été faite à peu près sans concertation, comportement habituel à l’Allemagne, et a laissé stupéfaits ses voisins par lesquels peuvent passer les chemins de l’exode, en particulier les pays slaves des Balkans et de l’ancienne zone d’influence soviétique. Berlin ne s’est même pas concerté avec ses propres Länder, et la Bavière ne s’est pas gênée pour le faire savoir. A la suite de quoi la chancelière Merkel a concédé que des contrôles aux frontières seraient effectués. De nombreux pays, à commencer par la Grèce et l’Italie, imitées ensuite par d’autres à l’exception de la Hongrie qui barre le passage (haro sur le baudet !), se sont comportés – de manière non moins hypocrite – en zones de transit se laissant traverser par le flux migratoire à la seule condition que le flux entrant serait aussi un flux sortant. C’est ce qu’on pourrait appeler de la ruse méditerranéenne, bien connue depuis le temps d’Ulysse l’astucieux. Quant à l’Allemagne elle-même, vieillissante (comme la France des années 1920-1930), il y a un certain temps qu’elle espère revitaliser par une immigration jeune et relativement éduquée sa démographie déficiente. Le patronat allemand en manque de main-d’œuvre y est particulièrement favorable.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: quarante-cinq ans de mariage

Si le célibataire est parfois endurci
Peut-on en dire autant des mariés qui renforcent
Avec le temps leur lien au milieu des divorces
Auxquels ont succombé en se désamorçant
Tant d’unions égarées sur un triste versant

Pour échapper au sort des amours en sursis
Entre elle et lui l’accord tient bon serait-ce parce
Qu’elle vient de Vénus et que lui vient de Mars
Qu’ils sont un tout vice-versa recto verso
Ou plutôt que leurs bras sont de vivants arceaux

Qu’ils n’ont pas négligé l’occasion des sursauts
Et que dans leur parcours dans cette longue course
Ils n’ont pas oublié la fraîcheur de la source
Que leur autonomie n’est pas de l’autarcie
Qu’ils ont pu soulever le poids de l’inertie

Ils craignent la vieillesse où le jour s’obscurcit
Dans la fragilité qui fait qu’on tergiverse
Mais l’air de leurs vingt ans dans leur tête les berce
Ils préservent en eux plus que des éclaircies
C’est pour continuer qu’ils se disent merci

 

En ce temps de « mariage pour tous », c’est-à-dire pour les homosexuels comme pour les hétérosexuels, le mariage est en perte de vitesse, comme le montrent les chiffres de la nuptialité en France.  283 000 mariages ont été célébrés en 2005, 241 000 en 2014, dont 10 000 entre personnes de même sexe. Plusieurs autres options sont possibles. La polygamie est bien sûr interdite chez nous, du moins celle qui autoriserait plus d’une épouse – ou plus d’un époux – simultanément. Mais, par le divorce (130 000 chaque année), rien n’empêche  d’avoir plus d’une épouse ou plus d’un époux successivement. Rien n’empêche non plus d’être marié(e) mais d’entretenir une liaison hors des « liens du mariage », les œuvres littéraires ou autres en témoignent surabondamment depuis longtemps. Rien n’empêche non plus d’éviter le mariage, en se contentant d’un pacte civil de solidarité qui peut être rompu sans grande formalité (168 000 pacs ont été contractés en 2013, dont 6 000 entre personnes de même sexe). Et le tout, dans une idéologie ambiante qui célèbre l’amour. L’amour éternel, du moins tant qu’il dure. Dans ce contexte, où les divorces et les séparations sont monnaie courante, et où ceux qui ne peuvent plus s’entendre font de nécessité vertu en vantant le changement de partenaire, il y a des personnes qui, au contraire, font figure d’originaux venus d’une autre époque ou d’une autre planète fêter leurs nombreuses années de mariage. Mais qu’importe la diversité des situations, du moment qu’un bonheur est au rendez-vous.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : l’Europe et la dette grecque en 2015

L’assemblée de l’euro chargée d’aider la Grèce
Tire à hue et à dia dans un triste congrès
Malade d’avarice elle se discrédite
En jouant pauvrement sa tragicomédie
Qui se montre au grand jour c’est un cas de flagrance
Mesquinerie piteuse on n’y voit rien de grand

En proie aux créanciers dont les mâchoires grincent
Le portefeuille grec est en peau de chagrin
Une échéance tombe et l’on passe la date
Bientôt suivie d’une autre au gré des agendas
Le pays s’appauvrit ses richesses maigrissent
Le ciel bleu de l’Hellade aujourd’hui vire au gris

On marchande un paquet aux ficelles trop grosses
Qu’on ne pourra pas vendre au son d’un allegro
Des prêteurs acharnés réaffirment la dette
Allemands Hollandais et même Finlandais
Ne sachant quoi donner coup de main coup de grâce
Prêts à exécuter le débiteur ingrat

 

Le sujet de la dette grecque a déjà été abordé dans un billet du 22 novembre 2012 auquel le lecteur peut se reporter.
Au sommet européen sur la Grèce qui s’est tenu les 11 et 12 juillet 2015, tout s’est répété : mêmes réunions nocturnes à Bruxelles, suivies d’un accord à l’arraché ; même réticence à débloquer des aides promises ; mêmes montants de dette grecque s’élevant aujourd’hui, comme prévu, à plus de 320 milliards d’euros et à 180 % du PIB (140 % en 2010) ; même difficulté à élaborer un plan d’aide, le troisième après ceux de mai 2010 et de février 2012 ; même impuissance à alléger le poids de cette dette insoutenable, qui ne peut être remboursée que grâce à d’autres prêts consentis par les mêmes. En 2012 déjà, le FMI plaidait pour un tel allègement, face au même front du refus dirigé par l’Allemagne. Comme il y a deux ans et demi, ce qui retient d’organiser un « grexit » (« exit » de la Grèce hors de la zone euro), c’est la peur de ses conséquences imprévisibles. Ces constantes montrent l’incapacité de l’Eurogroupe, et disons-le, l’incompétence et la terrible imbécillité de certains de ses dirigeants. L’austérité continuelle imposée à la Grèce par ses créanciers publics a compromis en profondeur l’économie du  pays et les conditions de vie. Cette politique a abouti à une diminution des dépenses publiques grecques, mais, comme c’était prévisible, à une décroissance encore plus rapide du PIB, malgré tous les efforts consentis par la population dont plus de 25 % est au chômage et dont les revenus ont baissé d’un quart. L’arrivée au pouvoir en Grèce, fin janvier 2015, d’un gouvernement plus à gauche que d’habitude a été pour les conservateurs européens dominants l’occasion d’imputer hypocritement à ce nouveau gouvernement les maux anciens dont ils sont eux-mêmes responsables.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: la fête de la musique

Quand le vingt et un juin se fête la musique
Sait-on ce qu’on célèbre est-ce un bel aujourd’hui
Sans souci d’autre chose à moins que nostalgique
On regrette déjà tout ce qui n’a pas lui

On voit à cette date au plus haut magnifique
La lumière éclater mais le temps nous conduit
Vers un fond de ténèbre on connaît sa logique
Sa courbe descendante où l’on n’a pas d’appui

Tandis que le soleil évolue vers l’oblique
On voudrait prolonger le jour qui se réduit
Par des festivités la foule revendique
L’oubli du noir qui gagne oubli du sombre ennui

Sait-on ce qu’on célèbre une fête harmonique
Ou le besoin de faire à grand tapage un bruit
Qui fasse reculer les ombres maléfiques
Démons que chez l’humain l’obscurité produit

Les amplis font gueuler des sons électroniques
Et les nerfs auditifs souffrent de courts-circuits
Quelle est cette musique un vacarme archaïque
Pour chasser les esprits lorsque tombe la nuit

 

 

Cette fête au solstice d’été plaît aux foules qui n’en discernent pourtant pas le sens. Ce n’est peut-être pas de musique qu’il s’agit principalement, si l’on réfléchit à la date choisie pour cet événement de création récente, mais d’une célébration du cycle de la lumière, comme aux temps des cultes astronomiques avant que la science ne les périme. En allant plus loin, il faut réfléchir à une question que se posent tous ceux qui s’interrogent sur un paradoxe : cette fête de la musique qui est censée adoucir les mœurs est en réalité souvent une fête du bruit, qui détruit la musique et qui n’adoucit rien, au contraire. Paradoxe apparent, car le bruit est précisément ce qui est recherché. Il s’agit, là aussi, d’une survivance archaïque expliquant sans doute l’usage d’instruments bruyants pour écarter les mauvais esprits à certains moments importants du cycle astronomique ou du cycle de la vie – instruments de musique, cymbales, tambours ; et instruments de cuisine tels que les casseroles – auxquels s’ajoutent d’autres moyens de tapage comme les pétards. Aujourd’hui, ce rôle est rempli en particulier par les « amplis » réglés à pleine puissance. Ainsi donc, quand les habitants, assaillis par le tapage de la rue, protestent contre cette pollution acoustique, ils se placent du côté des mauvais esprits !

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les cadenas du Pont des Arts

Les gens du monde entier qui sur le Pont des Arts
Accrochaient aux grillage et grille des rambardes
Leurs cadenas d’amour sans souci d’alourdir
Le poids de ces objets en grappes qui débordent
N’auront plus de support pour braver l’interdit

C’était comme un essaim couvrant les garde-corps
Essaim créé par ceux qui en duos s’accordent
A laisser une trace à se ragaillardir
En scellant leur union dans ces lieux dont ils gardent
Une idée romantique au printemps reverdie

Mais la sécurité requiert qu’ils obtempèrent
Finis  les cadenas et leurs clés qui se perdent
En offrande à la Seine un jeu pour s’étourdir
Sur cette passerelle où les piétons musardent
Où l’amour de l’amour aux beaux jours s’enhardit

« Prestement retirés depuis lundi 1er juin par les services de la Ville, les grillages surchargés de 700 000 à un million de verrous (soit un poids de quarante-cinq tonnes !) ont cédé la place à une grande exposition d’arts de la rue sur le thème de l’amour… Un an après l’effondrement d’une partie du grillage, tombée… le 8 juin 2014 en raison du poids des cadenas… Ephémères, les œuvres céderont la place cet automne à des parapets en verre dûment approuvés par les architectes des bâtiments de France et sur lesquels il ne sera évidemment pas possible d’accrocher des verrous. Pour l’heure, le pont des Arts version street art ne laisse pas indifférents les promeneurs. « C’est très bien ! » s’exclame Michèle, pas mécontente de voir que la municipalité a trouvé un remède à « l’overdose de cadenas ». Retraité de Wall Street, Arthur le New Yorkais se montre plus réservé : « Je ne suis pas sûr que le street art ait sa place sur le plus beau pont de Paris, mais si c’est en attendant les panneaux de verre… » (Le Parisien, 5 juin 2015).
« 45 t  de cadenas, et autant de preuves d’amour, ont été délogées des grilles parisiennes du pont des Arts. Le « pont des amours », comme il est rebaptisé, les avait pris sous son aile, perdant des plumes au passage – l’effondrement d’une grille en juin 2014. Avant qu’il ne croule sous le poids de tant de témoignages amoureux, la mairie de Paris a entrepris, lundi 1er juin, une éviction radicale du million d’intrus, à coups de scie et de masse. Si la municipalité a agi pour en finir avec « cette laideur » et préserver son patrimoine historique, les duos voient leurs vœux d’un amour inaliénable finir à la casse. » (le magazine du Monde, 5 juin 2015).

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: nihil novi sub sole ?

 

Rien de nouveau sous le soleil
En mots latins je le redis
C’est plus frappant bien que pareil
En langue ancienne en plus concis

Ces locutions d’anthologie
Nous parlent mieux sous forme vieille
Rien de nouveau sous le soleil
En mots latins je le redis

Mais quand le jour est sans pareil
On en oublie nihil novi
Une étincelle un rien suffit
Tout neuf tout beau pour que s’éveille
La nouveauté sous le soleil

 

« Nihil novi sub sole » (rien de nouveau sous le soleil) est une parole de l’Ecclésiaste (texte de la vulgate, I, 9), à rappeler en ces temps où l’on essaie une fois de plus de reléguer les langues anciennes parmi les vieilleries. Souvent les locutions, les proverbes, les adages, comparés les uns aux autres, expriment une chose et son contraire. Comme en réponse à l’Ecclésiaste, « le soleil est nouveau chaque jour », a dit Héraclite (fragment 6). On comprend habituellement cette formule comme une expression du changement incessant, ainsi que cette autre du même philosophe : « on ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve » (fragments 12 et 91). Cela dit, dans La République (498 b), Platon caractérise ainsi l’ardeur des jeunes gens à philosopher : « … leur ardeur s’éteint bien plus que le soleil d’Héraclite, car elle ne se rallume pas ». On pourrait donc comprendre également que si le soleil est nouveau chaque jour, c’est qu’en permanence, il s’éteint toutes les nuits et se rallume tous les jours. Nous disons aussi : « demain est un autre jour ». Souvent les formules trop évidentes peuvent dissimuler des sens complexes.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: les moulins à vent d’aujourd’hui

Don Quichotte sans peur sans reproche ni plainte
Hidalgo de la Manche à l’assaut des moulins
A dû subir vaincu les moulinets des ailes
Quand le vent a lancé quelques furieux soufflets

S’il revenait sur terre il n’aurait pas de crainte
En devenant soudain notre contemporain
A lutter de nouveau avec autant de zèle
Que jadis quand sa lance au combat se brisait

Je me plais à penser que sa cause est la mienne
Et qu’un espoir survit quand Don Quichotte affronte
Une machinerie excédant la raison

Je le vois qui défie la géante éolienne
Dont la tête est trop haute au mât qu’elle surmonte
Et dont le bras tournant menace à l’horizon

 

« Ils découvrirent trente ou quarante moulins à vent dans cette plaine, et dès que Don Quichotte les vit, il dit à son écuyer : regarde, ami Sancho, voilà devant nous au moins trente géants démesurés, auxquels je pense livrer bataille et ôter la vie, à tous autant qu’ils sont… Prenez garde, répliqua Sancho : ce que nous voyons là-bas, ce ne sont pas des géants, mais des moulins à vent, et ce qui paraît être des bras, ce sont leurs ailes… » Don Quichotte n’écoute pas Sancho. « Bien couvert de son écu, et la lance en arrêt, il se précipite, au plus grand galop de Rossinante, contre le premier moulin qui se trouvait devant lui, mais au moment où il perçait l’aile d’un grand coup de lance, le vent la chasse avec tant de furie qu’elle met la lance en pièces, et qu’elle emporte après elle le cheval et le chevalier, qui s’en alla rouler dans la poussière en fort mauvais état  » (Cervantès, L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, première partie, livre premier, chapitre VIII).
De nos jours, les moulins à vent sont devenus des éoliennes véritablement gigantesques, appelées aussi aérogénérateurs, qui peuvent atteindre plus de 150 m de hauteur en additionnant un mât de 100 à 120 m et des pales de près de 50 m. Ces éoliennes engendrent une pollution visuelle et sonore importante, en particulier dans des sites et paysages à préserver. Comme l’électricité produite, intermittente en fonction du vent, n’est pas rentable par rapport à celle qui peut être obtenue par d’autres moyens de production, elle est fortement subventionnée par la puissance publique. Mais comme ces machines rapportent de l’argent aux communes (par le biais des taxes) et aux propriétaires des terrains où elles sont construites (grâce aux redevances, et à la revente à prix fort à EDF de l’électricité produite), elles sont une aubaine pour tous ceux et celles qui veulent profiter de cet argent sorti principalement de la poche du contribuable. Nous avons besoin de nouveaux Don Quichotte, plus chanceux que lui, pour combattre cette évolution.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : genre et sexe

La grammaire a doté les noms les mots d’un genre
Ce qui d’après certains vaut aussi pour les gens
Et pour différencier du berger la bergère
Le genre primerait sur le sexe hors sujet

Masculin féminin ce ne sont pas toujours
Des attributs virils ou bien des seins bijoux
Qui vont en décider parfois détonent jurent
Corps et psyché entre eux déclenchant des courts-jus

Panthère ou bien souris quelquefois l’animal
S’écrit au féminin qu’il soit femelle ou mâle
Et chez l’homme animus est aussi anima

Mais rien n’empêchera les garçons quand ils pissent
De le faire debout tandis que s’accroupissent
Les filles c’est ainsi on n’y peut rien tant pis

 

« On compte ordinairement cinq universaux, à savoir le genre, l’espèce, la différence, le propre et l’accident » (Descartes, Les Principes de la philosophie, première partie, 59 : « Quels sont les universaux »). La logique scolastique distinguait en effet ces cinq universaux. Le philosophe Ferdinand Alquié a illustré ainsi ce passage de Descartes : « Soit l’espèce humaine. Elle rentre dans une classe dont l’extension est plus grande, celle des animaux. Cette classe est le genre. Mais elle se différencie des autres espèces comprises dans le genre par un caractère spécifique, la raison : c’est la différence. Genre et différence suffisent à caractériser l’espèce : c’est ainsi que l’on peut définir l’homme en disant qu’il est un animal raisonnable. Le propre est un caractère, autre que la différence, mais qui, comme elle, convient à une seule espèce (ainsi le rire est le propre de l’homme). Quant à l’accident, c’est une propriété ne faisant pas partie de l’essence du sujet. » Outre le genre des universaux, on distingue le genre grammatical : masculin, féminin ou neutre ; le genre des classifications scientifiques (en botanique ou en zoologie) ; le genre littéraire ou artistique, par exemple le genre dramatique, ou celui du portrait ; le genre sociologique (par exemple le genre bohème) ; et de manière plus ou moins informelle, le genre qui sert à catégoriser la vie courante, comme chez Proust qui termine Un Amour de Swann par cette phrase de son personnage : « Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre ! » Aujourd’hui, sous l’influence anglo-saxonne, le genre, par extension de son sens grammatical, désigne aussi l’accidentel non biologique (psychologique, social, économique, politique…) qui crée des inégalités entre les hommes et les femmes.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: chute des cours du pétrole

 

Après avoir atteint cent dollars le  baril
Et même vingt de plus voici que s’est tari
Ce renchérissement volatil sans contrôle
Ceux qui l’ont désiré restent sur le carreau

Anticiper les cours l’exercice est stérile
On ne peut pas savoir on est dans l’hystérie
De la spéculation qui joue à tour de rôle
A la hausse à la baisse elle en fait toujours trop

Surtout n’écoutez pas l’homme qui vous déroule
Une courbe de prix crédible peu ou prou
L’ignorance est maîtresse et c’est sous sa férule
Que l’expert doctement bafouille ou tonitrue

Que le prix du pétrole ou s’envole ou s’écroule
Nous sommes dans l’erreur à chaque tour de roue
Le cours monte ou descend mais l’avidité brûle
Et la soif de l’or noir n’est jamais en décrue

On a construit partout des derricks de poutrelles
Pour exploiter de l’huile ou du gaz qu’on extrait
En forant dans la mer très loin du littoral
Et dans le schiste à terre autant que l’on pourra

Que veut dire à présent ressource naturelle
La technique en décide et son douteux progrès
Dont on ne sait jusqu’où ni dans quelle spirale
Ni dans quelle aventure il nous entraînera

 

 

Les cours du brut ont fortement chuté entre l’été 2014 et le début de 2015. Par exemple, le Brent à Londres est passé de 115 dollars à 55 dollars le baril, ce qui s’explique principalement par une révolution technique en Amérique du Nord. Grâce à la « fracturation hydraulique » – très polluante – du schiste, roche dont la structure feuilletée emprisonne l’huile et le gaz, et grâce à d’autres techniques comme le forage horizontal, les Etats-Unis (notamment au Texas et dans le Dakota du Nord) ont contribué pour 80 % à l’augmentation de la production mondiale dans les cinq dernières années. Parallèlement, la demande a faibli, du fait de la stagnation de l’économie en Europe et au Japon, et de son ralentissement en Chine, premier consommateur mondial de pétrole. La chute des cours a commencé à freiner les projets de prospection et de forage. Mais les producteurs pourraient hésiter à fermer les vannes, car la relance ultérieure de l’exploitation serait coûteuse. On peut donc penser que la surabondance va continuer un certain temps et maintenir les prix au plancher. Les importateurs, comme les pays européens, le Japon, la Corée du Sud et la Chine, réaliseraient ainsi des économies substantielles. Au Japon, celles-ci risquent d’être neutralisées par la faiblesse du yen. Le pétrole étant libellé en dollars, comme les autres matières premières, ce pays devra débourser davantage de yens pour chaque dollar de brut acheté sur les marchés internationaux. De leur côté, les exportateurs, la Russie, l’Iran, le Vénézuela, le Nigéria, l’Angola, sont touchés. Quant à l’Arabie Saoudite, principal producteur de l’Opep (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) et dont les coûts de production sont les plus bas, sa décision de continuer à extraire de grandes quantités de brut, notamment pour préserver sa part de marché, met la pression sur les producteurs concurrents.

 

 

 

Dominique Thiébaut  Lemaire

 

 

Billet: densification de Paris surpeuplé

 

La mairie de Paris veut densifier la ville
Bien qu’elle soit déjà la plus dense du monde
C’est le besoin d’argent toujours inassouvi
Qui l’anime à son tour véritable démon

Elus et promoteurs aimeraient que prévale
Pour que l’offre s’ajuste à la forte demande
Un grand chambardement de chantiers de gravats
D’où sortiraient des tours et des entassements

Dans une hypocrisie qui souvent paraît veule
Ils peignent leurs projets avec de la pommade
On voit sur le Paris de leur carte de vœux
Des tours Eiffel partout faire un joyeux amas

Beaucoup de leurs amis que l’argent décervèle
Pour plus de logements proposent un remède
Que d’après eux les gens ne trouvent pas mauvais
La rehausse des toits par milliers désormais

 

Baudelaire a connu les bouleversements du temps de Napoléon III et du baron Haussmann qui a donné à Paris, dans ses grandes lignes, la physionomie que la Ville a encore aujourd’hui.

Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville
Change plus vite hélas ! que le cœur d’un mortel)…
Paris change ! mais rien dans ma mélancolie
N’a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pout moi devient allégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.
(Les Fleurs du Mal, LXXXIX, Le Cygne)
Fourmillante cité, cité pleine de rêve,
Où le spectre en plein jour accroche le passant !
Les mystères partout coulent comme des sèves
Dans les canaux étroits du colosse puissant …
(Les Fleurs du Mal, XC, Les Sept vieillards)
Dans les plis sinueux des vieilles capitales,
Où tout, même l’horreur, tourne aux enchantements …
(Les Fleurs du Mal, XC, Les Sept vieillards)

L’envers spéculatif des transformations immobilières de Paris à cette époque a été décrit par Zola dans Les Rougon-Macquart. Aujourd’hui, les règles de grande hauteur et de densité (COS) des constructions ayant été supprimées par la majorité socialiste, celle-ci, outre qu’elle préconise des tours, s’attaque malheureusement aux toits de Paris considérés comme un « gisement de m2 », avec la piètre excuse d’une « végétalisation » possible au sommet des immeubles.

Dominique Thiébaut Lemaire

 

La poésie dans le roman (Modiano et Houellebecq).Par Dominique Thiébaut Lemaire

 

 Dans l’actualité littéraire, les œuvres de Patrick Modiano (né en 1945) et de Michel Houellebecq (né en 1956 ou 1958 selon les sources) nous donnent deux exemples de relations entre la poésie et le roman.
Le premier de ces auteurs a reçu pour 2014 le prix Nobel de littérature décerné par l’Académie suédoise, l’autre connaît un grand succès à l’étranger comme en France.

PATRICK MODIANO

Notice rédigée par l’Académie suédoise

« Patrick Modiano est né le 30 juillet 1945 à Boulogne-Billancourt dans la banlieue de Paris. Son père est dans les affaires, sa mère actrice. Raymond Queneau, ami de sa mère, lui donne des leçons particulières de géométrie et jouera un rôle décisif dans son développement. Après le baccalauréat, il intègre le Lycée Henri-IV à Paris. Modiano fait des débuts remarqués en 1968 avec le roman La Place de l’étoile.
« L’œuvre de Modiano gravite autour de thèmes comme la mémoire, l’oubli, l’identité et la culpabilité. La ville de Paris, souvent présente dans le texte, peut presque être considérée comme participant à sa création. Il n’est pas rare que ses romans se construisent sur un socle autobiographique ou à partir d’événements qui se sont produits sous l’Occupation allemande. Le matériau pour ses ouvrages, il le puise dans des interviews, des articles de journaux ou dans ses propres notes, réunies au cours des années. Ses livres révèlent un air de famille les uns avec les autres et des personnages resurgissent dans différents récits, le lien qui les réunit étant souvent sa ville et son histoire. Roman à caractère documentaire, Dora Bruder (1997) relate l’histoire, à Paris, d’une jeune fille de 15 ans, future victime de la Shoah. Parmi les ouvrages qui le plus clairement manifestent une intention autobiographique, on notera Un pedigree de 2005.
« Son dernier ouvrage en date est le roman Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier (2014). Modiano a également écrit des livres pour enfants et s’est consacré à l’écriture de scénarios de film. Ainsi, avec le metteur en scène Louis Malle il a cosigné le film Lacombe Lucien (1974), dont l’action se déroule sous l’Occupation allemande de la France. »

Au sujet de cette période, Modiano précise dans son Discours à l’Académie suédoise prononcé le 7 décembre 2014 et édité par Gallimard en février 2015 : « Je suis comme toutes celles et ceux nés en 1945, un enfant de la guerre, et plus précisément, puisque je suis né à Paris, un enfant qui a dû sa naissance au Paris de l’Occupation »  (p. 13). Et encore : « des amours précaires naissaient à l’ombre du couvre-feu sans que l’on soit sûr de se retrouver les jours suivants. Et c’est à la suite de ces rencontres souvent sans lendemain, et parfois de ces mauvaises rencontres, que des enfants sont nés plus tard. Voilà pourquoi le Paris de l’Occupation a toujours été pour moi comme une nuit originelle. Sans lui je ne serais jamais né » (p. 15).

Roman et poésie d’après le Discours à l’Académie suédoise

« J’ai toujours pensé, dit Modiano, que l’écriture était proche de la musique mais beaucoup moins pure que celle-ci et j’ai toujours envié les musiciens, qui me semblaient pratiquer un art supérieur au roman – et les poètes, qui sont plus proches des musiciens que les romanciers. J’ai commencé à écrire des poèmes dans mon enfance et c’est sans doute grâce à cela que j’ai mieux compris la réflexion que j’ai lue quelque part : « C’est avec de mauvais poètes que l’on fait des prosateurs. » Et puis, en ce qui concerne la musique, il s’agit souvent pour un romancier d’entraîner toutes les personnes, les paysages, les rues qu’il a pu observer, dans une partition musicale où l’on retrouve les mêmes fragments mélodiques d’un livre à l’autre, mais une partition musicale qui lui semblera imparfaite. Il y aura, chez le romancier, le regret de n’avoir pas été un pur musicien et de n’avoir pas composé les Nocturnes de Chopin.» (p. 12)

Dans ce discours de Stockholm, Modiano cite un poème de l’Irlandais W.B. Yeats (p. 16) ; un poème  du Russe Ossip Mandelstam (p. 27) sur Pétersbourg ; un vers de Baudelaire (p. 28)  évoquant « les plis sinueux des grandes capitales ». Il se réfère aussi à Thomas de Quincey (p. 25) à propos de Londres où, dit Modiano, « dans la foule d’Oxford Street, il s’était lié avec une jeune fille, l’une de ces rencontres de hasard que l’on fait dans une grande ville. Il avait passé plusieurs jours en sa compagnie, puis il avait dû quitter Londres pour quelque temps. Ils étaient convenus qu’au bout d’une semaine elle l’attendrait tous les soirs au coin de Titchfield Street. Mais ils ne se sont jamais retrouvés. »

Dans le poème d’Ossip Mandelstam, il est question des numéros de téléphone et des adresses anciennes de Pétersbourg, ce qui plaît à Modiano. « C’est ainsi que dans ma jeunesse, confie ce dernier (p. 26-27), pour m’aider à écrire, j’essayais de retrouver de vieux annuaires de Paris, surtout ceux où les noms sont répertoriés par rues avec les numéros des immeubles. J’avais l’impression, page après page, d’avoir sous les yeux une radiographie de la ville, mais d’une ville engloutie, comme l’Atlantide, et de respirer l’odeur du temps. A cause des années qui s’étaient écoulées, les seules traces qu’avaient laissées ces milliers d’inconnus, c’étaient leurs noms, leurs adresses et leurs numéros de téléphone. Quelquefois, un nom disparaissait, d’une année à l’autre. Il y avait quelque chose de vertigineux à feuilleter ces anciens annuaires en pensant que désormais les numéros de téléphone ne répondraient pas… Oui, il me semble que c’est en consultant ces anciens annuaires de Paris que j’ai eu envie d’écrire mes premiers livres. Il suffisait de souligner au crayon le nom d’un inconnu, son adresse et son numéro de téléphone, et d’imaginer quelle avait été sa vie, parmi ces centaines et ces centaines de milliers de noms. »

MICHEL HOUELLEBECQ

Extraits d’un entretien sur la poésie et la littérature en général

A l’occasion de la sortie de son anthologie poétique (132 poèmes) dans la collection « Poésie/Gallimard », avant que ne soit publiée l’intégralité de sa poésie dans la collection « J’ai lu », Michel Houellebecq a eu avec le journaliste Thierry Clermont un entretien éclairant publié le 24 avril 2014 par Le Figaro. fr sous le titre : « Michel Houellebecq : « Je ne compte pas mourir prochainement ». En voici quelques extraits.


Question : Cet usage quasi systématique de la rime n’aurait-il pas un côté « vieille Parque »?
Réponse : Pour moi, qui dispose d’une certaine sensibilité lyrique, le recours à la rime est sans doute une facilité, d’autant que mes poèmes sont brefs. On a la cadence et la consonance, et le vers est bouclé. Cela m’évite aussi d’avoir à penser : il n’y a pas de poète intelligent. Et pas d’amour intelligent non plus, d’ailleurs… Proust ne disait-il pas : «Chaque jour j’attache moins de prix à l’intelligence»? Ce que j’aime dans la poésie, c’est la place et le rôle du «je», qui peut y devenir perceptif et universel: les pronoms s’équivalent. Alors, le «je» devient tous les autres, et le poète est l’être percevant. L’autre bonheur de la rime, c’est de favoriser les contrastes, les ruptures de ton. Faire rimer «piscine» et «urine»… À propos des rapports entre prose et poésie, je pense que ce que j’ai fait de mieux jusque-là, c’est la troisième partie de La Possibilité d’une île. Et savez-vous pourquoi? J’y fais triompher la poésie ! Et les dernières pages sont émaillées d’alexandrins, ou plutôt d’hémistiches.

Q : Et l’album de Jean-Louis Aubert inspiré des poèmes de Configuration du dernier rivage?
R : C’est troublant et merveilleux d’entendre ses poèmes mis en musique! De pouvoir être entendu par le plus grand nombre et de passer à la radio ! Jean-Louis a raison, la chanson, c’est le seul truc que tu prends dans l’âme. Directement. Et je pense qu’une chanson est capable de réorienter un destin d’homme. Surtout, les morceaux de Jean-Louis m’ont permis de renouer avec l’univers artistique en oubliant l’univers réel. L’écoute des Parages du vide m’a réconcilié avec l’écriture romanesque, tout comme la Messe en si  de Bach avait facilité la gestation et la naissance de La Possibilité d’une île. Depuis quelques mois, j’ai du jus ! Mon nouveau roman va bon train et son titre est déjà trouvé. Et quand je trouve le titre, c’est que c’est bon. (Rires)

 
Q : Qu’avez-vous lu récemment?
R : Récemment, j’ai découvert les romans de l’écrivain allemand Theodor Fontane, admiré par Thomas Mann. C’est une véritable révélation. J’en ai déjà lu cinq, dont Effi Briest. Dans ces histoires de passion situées dans le Nord, vers Hambourg, il y a beaucoup de romantisme et de fraîcheur, ce qui ne peut que séduire le baudelairien que je suis. Fontane a l’art de développer jusqu’à la fin ce qui est annoncé tragiquement dès le début.

Q : Un dernier mot avant de nous quitter?
R : Je pense de plus en plus à mon enfance. Dans l’Yonne, j’ai vécu une scolarité primaire enchantée, avec ses récitations, ses dessins, ses chansons. C’est le temps où l’on chantait encore « Le Chant des partisans » ! Je regarde cet enfant, émotif, capable d’émerveillement. J’adorais réciter par cœur des poèmes, en public. Des vers de Péguy, du symboliste Albert Samain, Ronsard… C’était « le vert paradis » chanté par Baudelaire. Je me souviens d’Apollinaire (il récite): «Dans vos viviers, dans vos étangs,/Carpes, que vous vivez longtemps!/Est-ce que la mort vous oublie,/Poissons de la mélancolie»… Plus tard, durant ma jeunesse, moi qui ai aujourd’hui le souffle court, j’ai écrit de longs poèmes épiques, influencés par Hugo et Tolkien, des récits de batailles, truffés de noms propres. Je les ai tous conservés précieusement. En général, l’enfance, c’est bien. On m’a toujours dit qu’elle revient, par bribes, par épisodes, au temps de la vieillesse. J’ai donc le temps. Je ne compte pas mourir prochainement.

L’intégrale des poèmes : correspondances avec les romans

Michel Houellebecq a rassemblé en un seul livre de 450 pages (collection J’ai lu, décembre 2014), sous le titre Poésie, ses recueils antérieurs : Rester vivant (1991), Le Sens du combat (1996), La poursuite du bonheur (1997), Renaissance (1999), Configuration du dernier rivage (2013).
La quatrième de couverture de ce livre nous livre quelques correspondances entre ces poèmes et les romans de l’auteur.

« Juxtaposant librement prose, versets et versification classique (sous la forme de l’octosyllabe et de l’alexandrin), la poésie de Michel Houellebecq est, tout autant que son œuvre romanesque, fortement ancrée dans le monde contemporain. Elle lui sert d’ailleurs souvent de matrice. Ainsi, plusieurs poèmes du Sens du combat annoncent des scènes des Particules élémentaires, publié deux ans plus tard. « Si calme, dans son coma… » évoque la mort d’Annabelle, tout comme « La Longue route de Clifden » préfigure les chapitres terminaux. Et si « la vie est rare », le bonheur y demeure cependant, dans Renaissance, tout autant que dans Plateforme, un horizon possible. »

Ajoutons à ces correspondances le fait que des poèmes tirés du roman intitulé La Possibilité d’une île (2005) ont été repris dans Configuration du dernier rivage, dans une partie sous-titrée « Les Parages du vide ». Ainsi, le poème qui se termine par ce quatrain d’hexasyllabes (p. 173 du roman dans la collection  « J’ai lu ») :
« Si douce à la caresse,
« Si légère et si fine,
« Entité non divine,
« Animal de tendresse. »
Ou encore (p. 366) celui qui commence par :
« Il n’y a pas d’amour
« (Pas vraiment, pas assez)
« Nous vivons sans secours,
« Nous mourons délaissés. »
Du même roman (p. 398-399) provient le poème de quatre fois quatre octosyllabes qui commence par : « Ma vie, ma vie, ma très ancienne, », et qui finit par : « La possibilité d’une île ».
Ces textes ont été mis en musique et chantés en 2014 par Jean-Louis Aubert (voir plus haut), dans un album très réussi intitulé Les Parages du vide (sous-titre de Configuration du dernier rivage).
S’agissant du dernier poème cité, Carla Bruni l’avait déjà mis en musique dans son album de 2008 Comme si de rien n’était. On peut ainsi comparer les deux chansons, toutes deux fidèles au rythme octosyllabique de l’écrivain : chez Carla Bruni, une voix et une mélodie doucement mélancoliques, avec une émotion très intérieure ; chez Jean-Louis Aubert, un rythme plus fort, avec une belle mise en valeur des rimes ainsi que du dernier vers, comme suspendu à la fin. Vu à travers la musique de ces deux interprètes, Houellebecq apparaît comme un poète dont le romantisme a quelque chose de lyrique, voire d’élégiaque, alors qu’en prose, il prend souvent une tonalité satirique, ironique ou cynique, sur un fond de violence.
A la fin de « Aubert chante Houellebecq. Les parages du vide » sont reproduits les mails échangés entre le chanteur et le romancier poète. Voici ce qu’écrit Jean-Louis Aubert dans l’un de ces mails, daté du 27 juin 2013 :
« Je n’ai pas pu m’échapper de ma première idée de lier « Il n’y a pas d’amour » et « La possibilité d’une île » sur une base assez rythmique… Je sais que ça peut paraître un peu anachronique, mais j’ai plus ressenti dès le départ la certitude jubilatoire et la quête haletante, que la résilience de l’accostage et la suavité du séjour. Bref, plus la possibilité que l’île… Il faut dire que la rythmique de la poésie est très réussie (comme ailleurs) et entraînante : ma vie, ma vie, ma première, ma première, il a fallu, il a fallu… Pour la langueur, la version de Carla que j’ai écoutée depuis est très belle (et m’a fait bien douter). »

Quant à la place de la poésie dans le dernier roman publié de Houellebecq, Soumission (janvier 2015), voir dans Libres  Feuillets l’article du 5 février 2015 intitulé : « Soumission, de Michel Houellebecq : roman, poésie, politique ».

 

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Billet: à dix-huit mois

 

Malicieux chahuteur et riant des chatouilles
Petit Sacha Noël qui s’intéresse à tout
Contemplait le sapin d’un regard qui pétille
Et s’immobilisait un instant ralenti

Plus tard à dix-huit mois il a juste la taille
Sur la pointe des pieds certain du résultat
Pour atteindre actionner juché sur les orteils
Becs-de-cane poignées clenches qui résistaient

Une porte qu’il ferme une porte qu’il ouvre
Expriment le oui non que savent bien ses lèvres
Et pourraient être aussi les pages d’un grand livre

Assis près de Mamie entre les bras d’un siège
il prend plaisir à lire en tournant les images
Nommant boua-boua le chien pin-pon le camion rouge

 

 

Le jeu de la porte répétitivement ouverte et fermée par Sacha quand ses parents sont partis pourrait être analogue, selon Mamie Maryvonne, au jeu du  » fort-da  » que Freud (Essais de psychanalyse, « Au-delà du principe de plaisir ») a observé chez son petit-fils. Celui-ci, à partir d’un an et demi, lançait loin de lui – « fort » – une bobine reliée à un fil, et la ramenait  » da  » – pour la lancer à nouveau. Sacha scande à chaque fois la fermeture de la porte par l’exclamation « aurouar » (au revoir), en manifestant qu’il a la maîtrise physique et langagière de ce jeu entre l’intérieur et l’extérieur, entre présence et absence.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: le jour de la Saint-Valentin

 

Dans ses rondeaux Charles d’Orléans prince
Parle souvent de la Saint-Valentin
Mais qu’on la fête en français ou latin
Il ne veut pas que rime et rythme grincent

Ne croyez pas que la tâche soit mince
Il faut s’y mettre au plus tôt le matin
Dans ses rondeaux Charles poète et prince
Parle souvent de la Saint-Valentin

Jour où l’amour amasse un grand butin
De tous les cœurs qui sont en sa province
Où l’amoureux pour l’amoureuse en pince
Jour que célèbre en mots proches-lointains
Dans ses rondeaux Charles poète et prince

 

Charles d’Orléans (Paris 1391-Amboise 1465), fait prisonnier par les Anglais à la bataille d’Azincourt en 1415 et libéré seulement vingt-cinq ans plus tard, père du roi de France Louis XII, a écrit plusieurs poèmes sur la Saint-Valentin, par exemple le rondeau numéroté 248 dont la première strophe est la suivante:
A ce jour de saint Valentin
Venez avant, nouveaux faiseurs :
Faites de plaisirs ou douleurs
Rimes en français ou latin !
(Traduction du deuxième vers: Avancez-vous, nouveaux auteurs.)

Dominique Thiébaut Lemaire

 

 

 

Billet : argument ontologique

 

Je ne puis concevoir sans vallée la montagne
Une topologie qui s’accorde au constat

Que le mont et le val vont de pair s’accompagnent
Et pour leur existence on n’en disconvient pas

Je peux imaginer que des chevaux atteignent
A tire-d’aile un ciel où la raison se tait
Mais ce n’est que chimère irréelle on le sait
C’est ce que le bon sens et l’expérience enseignent

L’idée d’un Dieu parfait suprêmement insigne
Est d’une autre nature et sa suprématie
Aurait sans l’existence un manque et un faux pli
Serait contradictoire et pourtant je rechigne

Et je doute pourtant car mon esprit se cogne
A l’enclos qui le borne à ses murs verticaux
Il chancelle et titube il est comme un ivrogne
Soûlé par l’infini entre tout et zéro

 

 

 

 « Il n’y a pas moins de répugnance de concevoir un Dieu (c’est-à-dire un être souverainement parfait) auquel manque l’existence (c’est-à-dire auquel manque quelque perfection), que de concevoir une montagne qui n’ait point de vallée.
Mais encore qu’en effet je ne puisse pas concevoir un Dieu sans existence, non plus qu’une montagne sans vallée, toutefois, comme de cela seul que je conçois une montagne avec une vallée, il ne s’ensuit pas qu’il y ait aucune montagne dans le monde, de même aussi, quoique je concoive Dieu avec l’existence, il semble qu’il ne s’ensuit pas pour cela qu’il y en ait aucun qui existe ; car ma pensée n’impose aucune nécessité aux choses ; et comme il ne tient qu’à moi d’imaginer un cheval ailé, encore qu’il n’y en ait aucun qui ait des ailes, ainsi je pourrais peut-être attribuer l’existence à Dieu, encore qu’il n’y eût aucun Dieu qui existât… »

Mais « de cela seul que je ne puis concevoir Dieu sans existence, il s’ensuit que l’existence est inséparable de lui, et partant qu’il existe véritablement : non pas que ma pensée puisse faire que cela soit de la sorte, et qu’elle impose aux choses aucune nécessité ; mais, au contraire, parce que la nécessité de la chose même, à savoir de l’existence de Dieu, détermine ma pensée à le concevoir de cette façon. Car il n’est pas en ma liberté de concevoir un Dieu sans existence (c’est-à-dire un être souverainement parfait sans une souveraine perfection), comme il m’est libre d’imaginer un cheval sans ailes ou avec des ailes » (Descartes, Méditations métaphysiques, méditation cinquième).

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Billet: c’est la faute à Voltaire

 

L’idée que les humains innocents au berceau
Sont par nature bons c’est la faute à Rousseau
L’idée de critiquer mais sans esprit sectaire
L’excès de religion c’est la faute à Voltaire

Les jeunes destructeurs c’est la faute aux parents
Aux père et mère absents impuissants transparents
C’est la faute à l’école à ses mauvaises notes
Suggérant que l’élève est tête de linotte

C’est la faute aux prisons qui créent des enragés
– C’est du moins ce qu’on dit – prêts à tout saccager
C’est la faute au marxisme ou au capitalisme
C’est la faute au laxisme à l’autoritarisme

Mais lorsque des voyous se réclamant de Dieu
Dont l’un des adjectifs est miséricordieux
Mitraillent sans pitié l’équipe d’un journal
Dans un déchaînement de violence infernale

Dans un massacre fou de libres journalistes
Armés du seul stylo des caricaturistes
Lorsque la tuerie frappe en réponse aux dessins
Ne cherchez plus d’excuse au crime aux assassins

 

 

Dix-sept victimes ont perdu la vie au cours de trois journées sanglantes qui ont endeuillé la France les 7, 8 et 9 janvier 2015 : douze personnes lors d’un attentat perpétré contre le journal Charlie Hebdo (dont les dessinateurs Cabu, Charb, Honoré, Tignous, Wolinski, la psychanalyste Elsa Cayat et l’économiste Bernard Maris), plus une policière municipale abattue à Montrouge, et quatre hommes exécutés lors de la prise d’otages dans un supermarché cacher…

Les auteurs de ces tueries ont été rapidement identifiés. Il s’agit de trois Français musulmans : les frères Saïd et Chérif Kouachi nés de parents algériens, et Amedi Coulibaly d’origine malienne. Ces terroristes ont été tués le vendredi 9 janvier 2014 dans des affrontements avec le « Raid » de la police et le « GIGN » de la gendarmerie.

A la suite de ces événements, des millions de manifestants partout en France ont réaffirmé leur attachement aux valeurs du pays : liberté, égalité, fraternité, mais aussi laïcité.

A Paris le 10 janvier, la manifestation a rassemblé entre un million et deux millions de personnes, et plus de quarante dirigeants de pays étrangers. Le cortège principal, parti de la place de la République, a rejoint par le boulevard Voltaire la place de la Nation.

Voltaire est l’un des grands hommes des combats contre le fanatisme et pour la liberté, en particulier pour la liberté d’expression face à ce que prétendent nous dicter les religions.

Dans Les Misérables de Victor Hugo, Gavroche, avant d’être tué sur une barricade, chante cette chanson :
Je suis tombé par terre
C’est la faute à Voltaire
Le nez dans le ruisseau
C’est la faute à Rousseau.

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Billet: rondeau pour 2015

Aux amis

L’année nouvelle est derrière la porte
Qui peut s’ouvrir sur un flou d’inquiétude
Rien n’est certain sinon l’incertitude
Mais l’espérance est la plus forte

Ce que les mois à venir nous apportent
Sera du neuf ou bien de l’habitude
Rien n’est certain sinon l’incertitude
Mais l’espérance est la plus forte

Dans l’amitié les voeux nous réconfortent
Ils nous font part d’une sollicitude
En nous parlant de ce qui nous importe
Santé bonheur et même incomplétude
Mais l’espérance est la plus forte

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: cadeaux de Noël

 

Sous un ciel scintillant dont ils scrutaient le dôme
Trois mages sont venus présenter leurs cadeaux
L’encens la myrrhe et l’or une royale dîme
Après les quelques dons de bergers enhardis

La mère de l’enfant n’avait pas de diadème
Des toiles d’araignée s’étendaient comme un dais
Sur celle qui plus tard deviendrait Notre Dame
Sur Joseph sur Jésus que cherchaient les soldats

Les mages sont venus guidés par une étoile
Qui les a précédés à travers le désert
En les accompagnant jusqu’à ce pauvre toit

Ils préféraient au jour la nuit qui se constelle
Quand elle naît du fond d’un firmament d’azur
Et qu’elle chante à l’âme alors que tout se tait

 

 

Emaux et camées, recueil de poèmes de Théophile Gautier (1811-1872), contient un Noêl d’une belle simplicité dont les deux premières strophes sont les suivantes :

Le ciel est noir, la terre est blanche ;
-Cloches, carillonnnez gaîment ! –
Jésus est né, la Vierge penche
Sur lui son visage charmant.

Pas de courtines festonnées
Pour préserver l’enfant du froid ;
Rien que les toiles d’araignées
Qui pendent des poutres du toit.

A mon sens, le ciel de la Nativité, loin d’être noir, était rempli d’étoiles rimant avec toiles (d’araignée), rime chère à Victor Hugo. Cette remarque n’enlève rien aux mérites de Théophile Gautier, aujourd’hui sous-estimé, mais admiré par les plus grands.
Baudelaire lui a dédié Les Fleurs du Mal en des termes extrêmement élogieux :
« Au poète impeccable
« Au parfait magicien ès lettres françaises
« A mon très cher et très vénéré
« Maître et ami… »
Hugo lui a écrit en 1872 un « tombeau » célèbre (que j’ai choisi de commenter il y a bien longtemps à l’écrit du baccalauréat) :
« Oh ! quel farouche bruit font dans le crépuscule
« Les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule !…
« Ce siècle altier, qui sut dompter le vent contraire,
« Expire… Ô Gautier ! toi, leur égal et leur frère,
« Tu pars après Dumas, Lamartine et Musset… »
Mallarmé lui aussi, dans l’hommage collectif rendu à Théophile Gautier qui venait de mourir, a écrit à cette occasion un impressionnant « Toast funèbre », qui ne doit pas assombrir la joie de Noël.


Dominique Thiébaut Lemaire

 

 

Billet: vaccinations

Souvenir indistinct le premier de l’enfance
Je crois me rappeler que presque triomphant
J’étais à trente mois maître dans la charrette
La carriole à deux roues mais qui donc me tirait

Non pas l’éléphanteau aux naissantes défenses
Qui pourraient devenir matière d’olifant
Mais un humain qui donc silhouette pas nette
Emergeant du passé quand celui-ci renaît

Non pas le gros Babar qui hors de la béance
De l’oubli me revient jeune petit géant
Mais un être plus cher qui gratte une allumette
Au plus profond du noir et me manque à jamais

J’avais un sentiment de fière préséance
Et d’être en ce charroi tel un roi fainéant
Parcourant le pavé comme sur des roulettes
Peut-être pas un roi du moins un  roitelet

Illusion d’être ainsi content plein d’insouciance
Non
je n’aurais pas dû me sentir si confiant
Une vaccination ce n’était plus la fête
M’attendait et j’ai cru que c’était un méfait

Ce lointain souvenir j’en ai repris conscience
Quand à six fois onze ans j’ai supporté patient
Un rappel de vaccin dont ma mémoire inquiète
Exagérait l’effet mais à tort se méfiait

 

 

 

Dans le cahier où elle a noté les faits et gestes et les paroles de ma prime enfance, ma mère a relaté ainsi une histoire de vaccination :

« Vaccination anti-diphtérique et anti-tétanique associée.
Trois piqûres : 5 juin 1950, 19 juin, 2 juillet.
A partir de ces dates mémorables la « mairie » devient le lieu du cauchemar. Il ne faut plus l’approcher de près, Dominique résiste de toutes ses forces et ne veut plus avancer. Affreux souvenir que celui du gros monsieur qui maintient de force les petits enfants sur ses genoux pendant que le docteur fait la piqûre ! »

Il me semble qu’il s’agit là de mon plus ancien souvenir, à l’âge de deux ans et demi. Je ne me rappelle pas les personnages ni le lieu de cette scène, mais seulement le petit trajet en carriole pour m’y rendre.

 

Billet: immigrés ou immigrants

 

On préfère en français le terme d’immigré
Cependant que l’anglais nous parle d’immigrants
Participe présent dont le sens est actif
Au contraire immigré
semble au passé passif

 

Chassés par l’indigence ou la guerre amaigris
Ils entrent dans un monde où les gens sont trop gros
Ils ont franchi des eaux de tempête et de soif
Où les a négligés la mort sans épitaphe

 

Au lieu d’eldorados c’est la portion congrue
Qui les attend au nord dans un climat chagrin
Leur allant peut survivre au bout des catastrophes
Mais rarement le mal rend saint ou philosophe

 

Dans les contrées d’accueil entre espoir et regret
Déçus doutant du bien portés à être ingrats
Ils voudraient repartir dans un aéronef
Entre deux univers douloureuse est la greffe

 

L’immigration par la Méditerranée a battu un record en 2014. Sur un total de plus de 207.000 migrants, plus de 3400 y ont perdu la vie principalement entre la Libye et l’Italie (trois fois plus de morts qu’en 2011, année du précédent record), d’après l’agence des Nations Unies pour les réfugiés.

On parle beaucoup d’immigration, mais principalement du point de vue du pays d’accueil, et on ne réfléchit guère aux pays d’origine, ni au point de vue des immigrés ou immigrants eux-mêmes.

Sont-ils passifs, sont-ils actifs et volontaires ? Entraînés par leur propre désir, ou totalement contraints par leur environnement de départ ? Qu’est-ce qui déclenche la migration ? Rarement des décisions individuelles, contrairement à la vision naïve de l’homme de la rue en France. S’il s’agit de rechercher des avantages matériels, c’est souvent sous la pression des familles qui incitent les jeunes à partir « chercher fortune » pour envoyer ensuite de l’argent à leurs proches restés sur place. Autre cause des migrations : la fuite de la guerre, par exemple celle qui sévit actuellement au Moyen-Orient (Syrie) et en Afrique (Erythrée). Ces mouvements sont accentués par la cupidité des réseaux de passeurs, et par les mirages que répandent les médias des pays développés.

Psychologiquement, pour comprendre l’état d’esprit du migrant, il faudrait creuser les notions d’espoir, de regret, de déception, d’ingratitude. Par exemple, Descartes nous dit que « du bien passé vient le regret » (Les Passions de l’âme, article 67). Mais le regret peut même venir d’un passé dépourvu de bien.

Du point de vue des habitants du pays d’accueil, il importe d’approfondir la compréhension de la compassion, qui, pour Spinoza, est un affect triste et non une vertu (Ethique, quatrième partie, proposition L), ce que Descartes avait suggéré avant lui au sujet de la pitié ressentie par ceux qui se représentent le mal d’autrui comme pouvant leur arriver, et qui sont ainsi émus par l’amour qu’ils se portent à eux-mêmes plutôt que par celui qu’ils ont pour les autres (Les Passions de l’âme, article 186).

Dominique Thiébaut Lemaire

 

 

 

Billet: la ministre de la culture et le prix Nobel de littérature

 

Chargée de la culture et privée de loisir
Elle avoue à présent que sa vraie poésie
C’est notes textos mails pour uniques lectures
Articulets de lois sur des sujets pointus

Quand elle a exprimé récemment son plaisir
Que le jury Nobel ait à nouveau choisi
Un écrivain français qui croit en l’écriture
Elle semblait tenir des propos moins obtus

La ministre devrait montrer plus de désir
Pour l’univers du livre ou plus d’hypocrisie
Vice qui décorant du moins la devanture
Tient parfois en réserve une ombre de vertu

Le franc-parler brutal qui paraît la saisir
A détruit l’illusion de fausse courtoisie
Mais l’une des leçons de la littérature
Est le mensonge vrai des mots non rebattus

Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, a félicité Patrick Modiano pour son prix Nobel de littérature dans un communiqué de presse du 9 octobre 2014 :
« C’est un jour heureux pour la littérature française, une très grande émotion et une immense fierté pour la France et pour l’ensemble de nos concitoyens.
« Le Jury du prix Nobel a décidé de distinguer cette année un auteur français dont les romans, traduits en 36 langues, ont bouleversé et passionné des générations de lecteurs à travers le monde.
« De La Place de l’Étoile à son dernier roman Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, son œuvre empreinte d’une douce mélancolie s’aventure avec une infinie poésie dans les replis de la mémoire et les méandres du souvenir. Écrivain d’un Paris occupé, des visages oubliés et des enfances retrouvées, il s’empare des destins individuels pour redonner vie à toute une époque.
« … Il ne manquait que cette ultime consécration à Patrick Modiano qui représente aujourd’hui aux yeux du monde la vitalité et le rayonnement de la littérature française.
Je lui adresse mes plus chaleureuses félicitations. »

Mais, interrogée le 26 octobre par une présentatrice de télévision (de Canal +), sur son livre préféré de Modiano, Fleur Pellerin s’est montrée incapable de citer un seul livre de l’auteur, pas même ceux que mentionne son communiqué. Elle a alors déclaré: « J’avoue, sans aucun problème, que je n’ai pas du tout le temps de lire depuis deux ans ».
Sans aucun problème, et sans se soucier de la cohérence de ses propos, torpillant du même coup sa crédibilité à la fois comme ministre de la culture et comme ministre de la communication.

Dominique Thiébaut  Lemaire

 

Billet: le président face au mauvais temps

 

Président capitaine il est dans la tourmente
A la proue de la France il oublie ses tourments
Dans la bourrasque et le gros temps dans la tempête
On dirait qu’il recherche une sorte de paix

Préférant aux manifs cette forme d’émeute
Que font autour de lui des embruns écumeux
Comme Chateaubriand quand l’averse crépite
Il désire l’orage en guise de répit

Mais comme il ne veut pas sembler imperméable
Et se sentir blâmé d’ouvrir le parapluie
Et se voir accusé de ne pas se mouiller

Trempé sans couvre-chef au vent désagréable
Impavide il discourt on voudrait qu’il s’essuie
Lunettes embuées le regard embrouillé

 

 

Sur l’île de Sein (Finistère) pour commémorer les 70 ans de la Libération, François Hollande a prononcé un long discours sous une pluie battante. Les services de l’Élysée ont préféré ne pas faire appel au garde du corps équipé d’un parapluie, présent au côté du chef de l’État… En quelques minutes, l’image d’un président de la République, trempé, les lunettes pleines de buée, a fait le tour des chaînes d’information et des réseaux sociaux… Les internautes ont multiplié les railleries, certains s’interrogeant sur les compétences des communicants de François Hollande (Le Figaro, 25 août 2014).

C’est sous une pluie battante que François Hollande s’est exprimé, lundi 25 août… Le jour même où Manuel Valls a déposé la démission du gouvernement, le chef de l’Etat s’est abstenu de commentaires. Il a rendu hommage à la résistance contre le régime nazi, à l’occasion du 70e anniversaire de la Libération. Dans son discours, le président de la République n’a pas souhaité évoquer la principale actualité gouvernementale, préférant retracer l’histoire de la résistance de cette île du Finistère. « Je tenais à être présent aujourd’hui dans le cadre du 70e anniversaire de la libération de notre pays (…)ici sur l’île de Sein. Je n’y aurais renoncé à aucun prix, même si la pluie nous accompagne aujourd’hui et même si ce n’est pas l’intempérie que nous redoutons le plus. » (Le Monde, 25 août 2014).

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Billet: les phobies d’après Descartes

 

 

L’union dit le penseur entre âme et corps est telle
Que si l’enfant a joint dans son premier état
Quelque fait corporel aux frayeurs qu’il sentait
Dès l’âge du berceau ou dès la vie fœtale

Il a créé un lien qui n’est pas volatile
Et va rester en lui hors mémoire et têtu
C’est l’araignée d’antan quand il était petit
Changée en aversion devenue tarentule

C’est l’étourdissement de la senteur des roses
Qui lui sera montée à la tête en intruse
Ou c’est les yeux d’un chat luisant comme des braises

Certains ont prétendu surprenante méprise
Que le grand philosophe aurait fait table rase
Du sensible inconscient mais leur critique est creuse

… Il y a telle liaison entre notre âme et notre corps que, lorsque nous avons une fois joint quelque action corporelle avec quelque pensée, l’une des deux ne se présente point à nous par après que l’autre ne s’y présente aussi…Cela suffit pour rendre raison de ce que tout un chacun peut remarquer de particulier, en soi ou en d’autres, touchant cette matière … Et, pour exemple, il est aisé de penser que les étranges aversions de quelques-uns, qui les empêchent de souffrir l’odeur des roses, ou la présence d’un chat, ou autres choses semblables, ne viennent que de ce qu’au commencement de leur vie ils ont été fort offensés par quelques pareils objets, ou bien qu’ils ont compati au sentiment de leur mère qui en a été offensée étant grosse. Car il est certain qu’il y a du rapport entre tous les mouvements de la mère et ceux de l’enfant qui est en son ventre, en sorte que ce qui est contraire à l’un nuit à l’autre. Et l’odeur des roses peut avoir causé un grand mal de tête à un enfant lorsqu’il était encore au berceau; ou bien un chat le peut avoir fort épouvanté, sans que personne y ait pris garde, ni qu’il en ait eu après aucune mémoire : bien que l’idée de l’aversion qu’il avait alors pour ces roses, ou pour ce chat, demeure imprimée en son cerveau jusqu’à la fin de sa vie (Descartes, Les Passions de l’âme, article 136).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: utilité pour le corps des principales passions

 

Notre âme contribue à préserver le corps
Par le ressentiment qu’elle a de la douleur
Ce qui produit d’abord la passion de tristesse
Puis la détestation des causes de souffrance
Et le désir actif d’en être délivré

De même elle ressent ce qui profite au corps
Par un chatouillement qui crée de la chaleur
Faisant monter aux joues la joie ou l’allégresse
Et suscite en nos coeurs l’amour en conséquence
Puis le désir enfin qu’on n’en soit pas sevré

Désir amour et joie bénéficient au corps
Mais souvent la tristesse est première et meilleure
Parfois la haine aussi quoiqu’elle nous abaisse
Quand il importe plus d’éloigner les nuisances
Que d’embrasser le bien qui peut nous enivrer

Quand il importe moins d’élever l’existence
Que d’écarter le mal qui pourrait nous navrer

 

« Après avoir donné les définitions de l’amour, de la haine, du désir, de la joie, de la tristesse, et traité de tous les mouvements corporels qui les causent ou les accompagnent, nous n’avons plus ici à considérer que leur usage. Touchant quoi il est à remarquer que selon l’institution de la nature elles se rapportent toutes au corps et ne sont données à l’âme qu’en tant qu’elle est jointe avec lui : en sorte que leur usage naturel est est d’inciter l’âme à consentir et contribuer aux actions qui peuvent servir à conserver le corps, ou à le rendre en quelque façon plus parfait. Et en ce sens, la tristesse et la joie sont les deux premières qui sont employées. Car l’âme n’est immédiatement avertie des choses qui nuisent au corps que par le sentiment qu’elle a de la douleur, lequel produit en elle premièrement la passion de la tristesse, puis ensuite la haine de ce qui cause cette douleur, et en troisième lieu le désir de s’en délivrer. Comme aussi l’âme n’est immédiatement avertie des choses utiles au corps que par quelque sorte de chatouillement, qui, excitant en elle de la joie, fait ensuite naître l’amour de ce qu’on croit en être la cause, et enfin le désir d’acquérir ce qui peut faire qu’on continue en cette joie, ou bien qu’on jouisse encore après d’une semblable. Ce qui fait voir qu’elles sont toutes cinq très utiles au regard du corps; et même que la tristesse est en quelque façon première et plus nécessaire que la joie, et la haine que l’amour : à cause qu’il importe davantage de repousser les choses qui nuisent, et peuvent détruire, que d’acquérir celles qui ajoutent quelque perfection sans laquelle on peut subsister » (Descartes, Les Passions de l’âme, article 137).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: les conflits du Proche-Orient

 

Irak Syrie Liban Palestine s’agitent
et des peuples entiers y sont pris en otages
Aux crimes des tyrans mortellement s’ajoute
Une guerre des Dieux dont nul ne nous protège

Drapés dans leur bon droit vêtus de fausses toges
Israël Ismaël en lutte intransigeante
Invoquent leurs Très-Hauts pour cibler sans vertige
L’adversaire à tuer dans les foules sujettes

Pris dans l’ébullition des fureurs qui voient rouge
Sunnite ou bien Chiite aucun n’a de refuge
La bonne volonté n’essuie que des refus

Ce ne sont que chaudrons où la passion mijote
Et se met à bouillir où  se remuent des juntes
L’affamé de justice attend toujours à jeun

 

Bien que les Chrétiens n’aient guère de leçon à donner, les conflits actuels du Moyen-Orient incitent à citer les évangiles: « Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté », et: « heureux les doux, car ils auront la terre en partage; heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu; heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés » (béatitudes du sermon sur la montagne, dans les évangiles de Matthieu et de Luc). Il ne s’agit pas seulement de religion, mais quasiment de morale politique sous une forme paradoxale déniant aux belliqueux la possession du monde.
Le Christ a poussé très loi la subversion de l’ancienne conception, celle du talion, présente dans la Bible et dans le Coran, et apparemment toujours à l’oeuvre dans les événements d’aujourd’hui :
– Matthieu, 5, 38-4: « Vous avez appris qu’il a été dit: oeil pour oeil, dent pour dent. Et moi je vous dis: … si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tend-lui aussi la gauche »;
– Luc, 6, 29: « Si quelqu’un te frappe sur une joue, présente-lui aussi l’autre. Si quelqu’un prend ton manteau, ne l’empêche pas de prendre encore ta tunique ».
Il s’agit d’une opposition radicale à la loi du talion, mais qui ne peut pas non plus, à elle seule, rendre viables et vivables les sociétés.

 

Dominique Thiébaut  Lemaire

 

 

Billet: premier anniversaire

 

Sacha trotte partout véloce à quatre pattes
Se met aussi debout pour essayer des pas
Depuis le bord d’un siège on le voit qui chaloupe
Qui s’avance hardiment dans une marche floue

Atterrit en douceur comme en légère pente
Fier d’avoir dépassé l’étape du rampant
Se hausse de nouveau grâce au pied d’une chaise
Et réussit son coup quand hier il trébuchait

Il rit se fâche explore et manoeuvre les portes
Appelle ada mama lorsque ses parents partent
Cherche à tourner les clés de ses mains inexpertes

C’est son anniversaire en un an quel parcours
En douze mois à peine et tant d’autres encore
Vont le faire grandir de corps d’esprit de coeur

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Billet: le clair et l’obscur en philosophie

 

Il fait partie de ceux qui se déclarent
Dans la clarté d’un style ayant l’éclat
De la lumière et dont le beau discours
N’a pas perdu sa force qui secoue

C’est un penseur qui demeure d’équerre
Vivant et vif non réduit aux acquêts
Il fustigeait les tenants de l’obscur
Finalement ne les a pas vaincus

Ils restent fous de phrases jargonnesques
Ces mal voyants qui dans l’ombre s’embusquent
Et dans l’abscons propice à toute esquive

Craignant le jour où se dissout le masque
Ils continuent à se croire sans risque
En attirant le voyant dans leur cave

 

« L’obscurité des distinctions et des principes dont ils se servent est cause qu’ils peuvent parler de toutes choses aussi hardiment que s’ils les savaient, et soutenir tout ce qu’ils en disent contre les plus subtils et les plus habiles sans qu’on ait moyen de les convaincre. En quoi ils me semblent pareils à un aveugle qui, pour se battre sans désavantage contre un qui voit, l’aurait fait venir dans le fond de quelque cave fort obscure ; et je puis dire que ceux-ci ont intérêt que je m’abstienne de publier les principes de philosophie dont je me sers : car étant très simples et très évidents, comme ils sont, je ferais quasi le même, en les publiant, que si j’ouvrais quelques fenêtres dans cette cave, où ils sont descendus pour se battre » (Descartes, Discours de la méthode, sixième partie).

« Avoir paralysé totalement l’esprit de toute une génération de lettrés, avoir rendu celle-ci incapable de toute pensée, l’avoir menée jusqu’à lui faire prendre pour de la philosophie le jeu le plus pervers et le plus déplacé à l’aide de mots et d’idées, façonnées par le verbiage le plus vide sur les thèmes traditionnels de la philosophie avec des affirmations sans fondement ou absolument dépourvues de sens, ou encore par des propositions reposant sur des contradictions – c’est en cela qu’a consisté l’influence tant vantée de Hegel » (Schopenhauer, Contre la philosophie universitaire, 1851). Schopenhauer a dit aussi: «Hegel met les mots, le lecteur doit trouver le sens », et : « encore un rêve de dément, issu de la langue et non de la tête » (cité par Karl Popper, dans La société ouverte et ses ennemis, tome 2).

« J’ai eu plus d’une fois envie d’employer, contre la violence symbolique qui s’exerce souvent, et d’abord sur les philosophes eux-mêmes, au nom de la philosophie, les armes les plus communément employées pour contrecarrer les effets de cette violence – ironie, pastiche ou parodie. Comment ne pas envier la liberté des écrivains (Thomas Bernhard évoquant le kitsch heideggerien ou Elfriede Jelinek les nuées fuligineuses des idéalistes allemands)… » (Bourdieu, Méditations pascaliennes, introduction).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: la coupe du monde de football

Sur l’herbe du Brésil plus tendre que du chaume
Dans le grand stade ovale où le public s’échauffe
Les joueurs de football parfois nommés manchots
Car ils jouent sans les bras pourtant non estropiés
Ne marquent pas de but et les spectateurs piaffent
Chacun désire voir son équipe championne

Comme en long et en large aucun sportif ne chôme
Chacun sur les gradins croit à de grandes choses
Les nombreuses groupies aux côtés des machos
Voudraient que les meilleurs s’échappant du guêpier
Sur l’échiquier du jeu par leur forme olympienne
S’emparent du terrain sur l’adversaire empiètent

Dans la compétition l’ambiance devient chaude
On sent qu’il serait temps que l’un des sportifs chausse
Des ailes de géant pour le plaisir du show
Oubliant les crampons qui dans le gazon piochent
Mais rien n’aboutira sans invocation pieuse
A la règle à la chance au départ du bon pied

 

 

 

La vingtième Coupe du monde de football a eu lieu au Brésil du 12 juin au 13 juillet 2014, avec 32 participants qualifiés, et a vu la victoire de l’Allemagne. Les suivantes auront lieu en Russie en 2018 puis au Qatar en 2022. Ce dernier choix reste controversé pour plusieurs raisons, notamment le climat très chaud du Qatar et les accusations de corruption.

La FIFA (Fédération Internationale de Football Association), fondée à Paris en 1904, ayant déménagé à Zurich en 1932, a organisé en 1930 en Uruguay la première Coupe du Monde, créée par le Français Jules Rimet. Le choix de l’Uruguay a été critiqué, à une époque où l’Europe traversait alors une grave crise économique. De plus, la participation à une telle compétition outre-Atlantique impliquait une longue traversée maritime, qui obligeait les clubs européens à se passer de leurs meilleurs joueurs pendant deux mois.

La première Coupe du Monde a réuni 13 équipes (quatre européennes, huit sud-américaines et celle des Etats-Unis), et a opposé en finale l’Argentine à l’Uruguay, première nation tenante du titre.

De 1930 à 2014 inclusivement, les épreuves se sont déroulées en Europe ou en Amérique latine, à l’exception des Etats-Unis en 1994, de la Corée et du Japon en 2002, de l’Afrique du Sud en 2010.

Le vainqueur a toujours été un pays européen ou un pays d’Amérique latine. Seules huit nations ont remporté la Coupe. Le Brésil détient le record avec cinq succès. L’Italie et l’Allemagne en comptent quatre. L’équipe victorieuse de la première édition, l’Uruguay, a gagné deux fois l’épreuve tout comme l’Argentine. Enfin, la France, l’Angleterre et l’Espagne ont gagné chacune une Coupe du monde.
La configuration de la finale de 2014 opposant l’Argentine et l’Allemagne n’est donc pas fortuite, elle s’inscrit dans une longue histoire.

Au lieu de voir dans la victoire de l’Allemagne un événement principalement sportif, certains dans la presse française semblent accepter sans prendre de recul le lien qui est fait dans les média allemands avec le « modèle allemand » et avec « l’Allemagne décomplexée » (« A Berlin, une Allemagne décomplexée fête sa victoire en Coupe du monde »,  » et: « Lassée d’être montrée du doigt en Europe, l’Allemagne voit dans sa victoire une preuve de l’efficacité de son modèle »: d’après Le Monde daté de jeudi 17 juillet 2014, p.3).

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Billet: la place de la République

 

La mairie de Paris a transformé la place
Où claquent désormais des planches sans souplesse
A roulette en zigzags sur un sol trop complice
Attention garez-vous

Les ré-aménageurs se creusant les méninges
Ont banni la voiture aux incessants manèges
Mais aussi supprimé presque tout jardinage
Et les squares d’avant

Pour dégager l’espace ils ont exclu les plantes
A hauteur de regard ce n’est que pierre plate
Et cette table rase est sujet de complainte
Naguère est en gravats

Le dallage massif qui s’étend tout d’un bloc
En gris sous la statue de notre République
Est à peine égayé par un miroir de flaque
Humectant ce pavé

De timides jets d’eau sur l’aire en faux granit
Ont des hoquets sans force et sans tenir la note
Pourquoi n’avoir pas fait carrément place nette
Pour créer du nouveau

Il faudra quand la chauffe ensoleillée s’annonce
Pouvoir la rafraîchir et même en permanence
Eviter que partout des zonards ne traînassent
En quête de leur vie

 

Les deux articles suivants, polémiques mais intéressants, ont été publiés lors de l’inauguration de la place rénovée dans les journaux Le Figaro et Libération.

Dominique Thiébaut Lemaire

***

Lefigaro.fr 19-20 juin 2013 (Chronique d’Adrien Goetz)

Le débat est ouvert après l’inauguration de la nouvelle «place de la République » par Bertrand Delanoë et Anne Hidalgo dimanche: la banalité esthétique est criante, mais le plus grave est surtout la négation de la dimension historique de ce lieu de mémoire national. Baptisée en 1889, la place de la République répondait, en miroir, à la place de la Concorde: devant deux immenses façades rectilignes, les frères Léopold et Charles Morice avaient élevé une statue dédiée à la France nouvelle – la République triomphale, accompagnée de trois allégories, Liberté, Égalité, Fraternité -, entourée symboliquement de deux fontaines aux dauphins, images du pays entre ses rivages, faites pour répondre aux fontaines des Fleuves et des Mers qui encadrent l’obélisque. Sur cette place, le général de Gaulle, le 4 septembre 1958, proclama la Ve République… Ce lieu de mémoire associé aussi à tant de grandes manifestations et de combats à la fin du XXe siècle, s’était bien dégradé. Il était possible d’en restaurer le sens en restituant un superbe état XIXe, agréable, joyeux, festif, qui aurait été une des cartes postales de Paris les plus populaires dans le monde entier: sans voitures, avec les fontaines remises en eau et les hauts mâts portant les drapeaux tricolores, éliminés en 1988. Au lieu de cela, les dauphins ont été remisés au dépôt d’Ivry, le cimetière des éléphants du patrimoine parisien, les margelles de pierre jetées à la benne, la place livrée aux bulldozers.
Le résultat des travaux … est consternant de banalité. La place, avec ses petites dalles grises, ressemble à un centre-ville de métropole industrielle allemande de seconde catégorie: une esplanade sans âme, comme on en voit partout. Au centre, l’immense statue est entourée d’un étroit bassin ponctué de ridicules geysers de dix centimètres. Une sorte de pédiluve de piscine municipale où viennent se salir les enfants a été installé, mais d’un seul côté, pour surtout briser la symétrie de ce lieu qui n’est justement que symétrie.
Face à ce désastre, un maire d’arrondissement, Patrick Bloche, a eu le bon réflexe … de faire voter par son conseil municipal la reconstruction, sur une place ou dans un jardin, d’une des deux fontaines aux dauphins. Reste à savoir quand. Mais le problème va bien au-delà de la démolition de deux petites fontaines anciennes. Le propos n’est pas de plaider pour la restitution d’un état d’autrefois. L’erreur tragique est aussi d’avoir conçu un parvis qui n’est pas relié à un quartier: les voitures passent encore du côté le plus commerçant, et l’axe «rendu aux piétons» est, de manière absurde, celui qui longe la caserne. Les rues voisines, qui ne verront pas venir les promeneurs de la place, ne vont pas profiter de ce faux centre tape-à-l’œil qui n’est le centre de rien.
Triomphe ici une vision parcellaire de l’urbanisme, sans idée, sans réflexion pratique, sans esprit. Anne Hidalgo … menace de ravager ainsi la Bastille et la Nation. La recette est simple: un budget important – ici 24 millions d’euros -, un «modernisme » d’il y a vingt ans et, surtout, aucun sens de la grandeur historique de ces sites, qui ne peuvent pas être traités comme n’importe quelles places. La République, la Nation, la Bastille, c’est la France – avant d’être un enjeu municipal…

***

 

Libération 27 juin 2013. (Auteur : Pierre Marcelle)
Et ça tournait, oui ça tournait… Des bagnoles, des bus, des deux-roues, des tramways jadis, des vélibs naguère et des piétons aussi, tout autour de la vieille place de la République, moche, assurément, mais d’une mocheté vivante. Peu de bancs, deux fontaines (dites «des dauphins»), quelques quadrilatères de pelouse, des esquisses de squares et des bouches de métro organisaient sur l’ilôt traversé par la chaussée, autour de la statue massive des frères Morice, une déambulation en forme de raccourci ; sauf bien sûr aux jours de grandes manifs-rassemblement ou dispersion, au long cours de la trilogie Répu-Bastille-Nation, c’était selon. Mais ça, donc, tout ça, cette mémoire de la rue et du pavé, c’était avant…
Avant, les voitures tournaient sur et à travers la place, irriguant comme une onde de métal son terre-plein central. Depuis le 16 juin, triste dimanche inaugural de sa rénovation, elles la traversent à double sens sur trois côtés seulement (dans l’axe du faubourg du Temple, le nord est perdu à la circulation), dans des hoquets de trafic que régulent une quarantaine de feux de signalisation. Les encombrements sont à l’avenant, assez dissuasifs pour constituer le dernier cauchemar capital de la corporation des taxis. Et ainsi le premier objectif de la Ville – écœurer le roulant – se trouve-t-il accompli.
L’écœurer est une chose, l’éradiquer une autre. De cet étrange partage de territoires plus que jamais frontiérisés, de ce compromis en forme de « on se supporte mais on ne se mélange plus », de cette ghettoïsation de tout l’espace, évoquant brutalement le Parvis des droits de l’homme ajouté à la place du Trocadéro, ne préjugeons pas le devenir, mais craignons la généralisation du concept de places de stationnement pour piétons comme il en est pour les véhicules.
On serait passé sur ça, si seulement l’aménagement du terre-plein central avait embelli l’ensemble, mais la beauté n’était pas inscrite au cahier des charges de l’agence d’archis Trévelo & VigerKohler (TVK), et le citoyen alibi, mi-incrédule, mi-frustré, se demande encore si l’affaire est vraiment achevée. Des mois durant à imaginer que quelque chose se conçoive derrière ces palissades qui, des mois durant, ont contrarié ses cheminements, et tout ça pour ça ?… pour découvrir, une fois tombées les barrières, une esplanade d’une infinie platitude, une dalle lisse pavée de trois nuances de gris minéral, avec pour seul relief, sur un seul flanc, une huitaine de marches, comme pour rattraper le niveau …
Le propos de cette chronique est de dire une stupéfaction devant le néant inauguré l’autre semaine, qui aurait pu relever d’une esthétique revendiquée, n’était son immobilier de furoncles. Car que faire sur une place à moins que l’on s’y pose – sur de rares bancs de bois (assez beaux, ma foi), sur la margelle du bassin qui ceint la statue centrale (petites éjaculations aqueuses en décoration), sur un plateau de planches (un solarium ?) – en regardant passer des cyclistes …
Alors, à l’enfant-roi, si cher à la ville, fut dévolue une «R (comme République ?) de jeux» en forme de très laide boutique où se distribuent quelques peluches, jeux de cartes et de société, imprimés et gadgets divers dont on usera assis sur des chaises rouges très laides aussi. Pour y faire pendant, à l’Ouest, et achever l’infantilisation des lieux, la promesse d’un « café Monde et Médias », dont l’appellation proclame la médiocre ambition électorale de séduire l’air du temps avec les classes moyennes. Un « miroir d’eau » la reflète et la jouxte, sorte de flaque à vocation de pédiluve qui affleure là et dont la municipalité semble très fière.
Ce jour-là qu’on l’a visitée, l’esplanade de la République, mal arborée, mal ombragée, s’échauffait à sa nouvelle et aseptisante fonction sous un soleil terne qui faisait craindre déjà un hypothétique cagnard estival. Ce qui l’écrasait, ce n’était pas le monument de bronze érigé en son centre et que sa solitude soudaine magnifiait si abstraitement ; ni même, sur quelque 300 mètres de flanc nord, l’immensité sublimée de la caserne de la garde, aux façades monolithiques. C’était, de l’une et de l’autre, la cohabitation minérale sillonnée de skateboards criards, et devenue soudain incompréhensible.

Billet: la diérèse

 

Pour éclairer le sens du terme diérèse
La diction syllabique est d’un grand intérêt
On peut dire le mot comme on le fait en prose
Ou comme en poésie d’une voix sans accroc

Mais « i » devant voyelle enrichissant la phrase
D’une syllabe en plus devient un embarras
Dans un vers mesuré quand la scansion scabreuse
Omet d’en tenir compte et fausse un rythme heureux

La même boiterie peut aussi se produire
Quand la récitation voudrait qu’on sonorise
Par exemple le « ou » du verbe réjoui

Parfois la diérèse apparaît comme ruse
Pour mieux remplir le vers mais elle a belle allure
En sauvant un langage à demi disparu

 

Il y a diérèse lorsque, dans un mot, la prononciation dissocie les éléments d’une diphtongue en deux voyelles autonomes – ou fait entendre séparément, chacune dans sa syllabe, sans les fondre en une diphtongue, deux voyelles contiguës, comme dans ces alexandrins :
– « Une dévo-ti-on à nulle autre pareille » (Molière, Le Tartuffe, 1664) ;
– « A la poste d’hi-er tu télégraphieras » (Desnos, 1923, Destinée arbitraire);
– « Bivou-ac à cent mille au bord du ciel et l’eau
« Prolonge dans le ciel la plage de Malo  » (Aragon, Les Yeux d’Elsa, 1942).

Au contraire il y a synérèse lorsque, dans un mot, la prononciation fond en une diphtongue deux voyelles contiguës, la première faisant fonction de semi-voyelle ou semi-consonne, les deux étant réunies en une seule syllabe.

La diérèse peut se produire dans les groupes de voyelles dont la première est i, ou, u, c’est-à-dire susceptible de devenir semi-voyelle. Ces groupes doivent-ils être comptés pour deux syllabes ou pour une seule ? Les règles classiques à ce sujet sont empiriques et flottantes.

Dans un  livre de 1937 intitulé Le Vers français, Maurice Grammont donne plusieurs exemples de ce flottement pour le même mot chez le même poète :
Hugo :
« Le sud, le nord, l’ou-est et l’est et Saint-Mathieu », mais :
« A cause du vent d’ouest tout le long de la plage » ;
Hugo encore :
« Sur la terre où tout jette un miasme empoisonneur », mais :
« Mêlé dans leur sépulcre au mi-asme insalubre »
Musset :
« Oh ! l’affreux su-icide !Oh ! si j’avais des ailes », mais :
« Mon enfant, un suicide ! Ah ! Songez à votre âme ».

On peut ajouter aux exemples de Maurice Grammont ces vers de Théophile Gautier :
« Et l’enfant hier encor chérubin chez les anges », mais :
« Je suis le spectre d’une rose
« Que tu portais hi-er au bal ».

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: le solstice et la science antique

 

Au solstice à midi homme de science illustre
Eratosthène expert en calculs tombant juste
Savait que l’ombre alors était réduite à rien
Du côté d’Assouan que les rayons de l’astre
En feu sans clair obscur et sans aucun contraste
Y tombaient verticaux dans le ciel égyptien

Comparant Assouan dans ses rouleaux registres
Avec Alexandrie cité rationaliste
Où il était chercheur du pourquoi du combien
Par la longueur de l’ombre en ces deux lieux terrestres
En arpenteur du globe et des grandeurs célestes
Il a pu mesurer l’immense méridien

 

Ératosthène (environ 273-192 avant J.-C.), savant universel, philosophe et poète grec du IIIe siècle avant notre ère, fondateur de la géographie mathématique, a fait ses études à Athènes et a été nommé à la tête de la bibliothèque d’Alexandrie à la demande de Ptolémée III, pharaon d’Égypte, descendant d’un général macédonien d’Alexandre le Grand. Eratosthène a succédé à ce poste au poète Callimaque (originaire comme lui de Cyrène, dans ce qui est aujourd’hui la région de Benghazi en Libye) et au poète Apollonios de Rhodes. Il a été précepteur de Ptolémée IV.
Il a calculé la circonférence de la Terre, et donné la valeur de 47°42′ à l’arc de méridien compris entre les deux tropiques ; vingt siècles après lui, l’Académie française des sciences a retrouvé à peu près la même mesure. Il reste de lui un fragment de poème didactique intitulé L’Hermès. Il se serait laissé mourir de faim parce que, devenu aveugle, il ne pouvait plus regarder les étoiles.
Jules César, dans sa Guerre des Gaules (livre sixième chapitre XXIV), mentionne expressément son nom, en précisant, à propos de la forêt hercynienne en Germanie: « je vois qu’ Eratosthène et certains auteurs grecs en avaient entendu parler » (nous savons aujourd’hui que « forêt hercynienne » signifie forêt de chênes en langue celtique).
Le géographe Strabon, qui vivait à l’époque d’Auguste au tout début de notre ère, indique dans le livre premier de sa Géographie que la circonférence terrestre mesurée par Eratosthène et admise par Hipparque était celle qui, en dépit des critiques, faisait autorité.

On attribue en général l’idée de la sphéricité terrestre à l’école pythagoricienne ou à Parménide dès le VIe siècle avant J.-C. La Terre a été considérée comme sphérique par Platon puis par Aristote (IVe siècle avant J.-C.).
La méthode utilisée par Ératosthène pour mesurer la circonférence de la Terre est décrite par Cléomède (au 1er siècle de notre ère) dans De motu circulari (Du mouvement circulaire). Ératosthène a comparé les ombres à Syène (ville située à peu près sur le tropique du Cancer, aujourd’hui Assouan) et à Alexandrie, à peu près sur le même méridien, le 21 juin (solstice d’été) au midi solaire local.
Ératosthène savait qu’au solstice il n’y avait aucune ombre dans un puits à Syène ; ainsi, en cet instant précis, le Soleil était à la verticale et sa lumière éclairait directement le fond du puits. Cependant que le même jour à la même heure, un obélisque situé à Alexandrie faisait une ombre, et que le Soleil n’y était donc pas à la verticale. En comparant la longueur de l’ombre et la hauteur de l’obélisque, il était facile d’en déduire l’angle entre les rayons solaires et la verticale, 1/50e de 360 degrés, soit 7,2 degrés.
Eratosthène a évalué par ailleurs la distance entre Syène et Alexandrie en faisant appel à un « bématiste » (arpenteur de pas) qui s’est basé sur le temps en journées de marche de chameau entre les deux villes : la distance obtenue était de 5 000 stades.
A partir de ces données, il a proposé une figure explicative simple, un cercle représentant le globe, où les rayons lumineux du Soleil sont parallèles en tout point ; où, géométriquement, les rayons verticaux sont ceux qui passent par le centre du cercle ; et où un angle au centre de 7,2 degrés (égal, d’après la géométrie des parallèles, à celui que font avec la verticale les rayons solaires du solstice à Alexandrie) intercepte un arc de 5000 stades, distance entre Syène et Alexandrie. La circonférence de la terre peut donc être évaluée à 250 000 stades si 1/50e de cette circonférence mesure 5 000 stades.
Mais quelle était exactement la longueur du stade utilisé par Eratosthène ? Si l’on admet que les Grecs comptaient 2 pieds et demi pour un pas, et 240 pas pour un stade, on a, pour un pas de 0 m 70, un stade de 168 m, soit 42 000 km pour la circonférence terrestre. En réduisant le pas à 0 m 67, on obtient 40 000 km, circonférence très proche des mesures actuelles.
(Voir sur internet Louis Gallois : « L’œuvre géographique d’Eratosthène », Annales de géographie, année 1922, volume 31, numéro 172).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: Courbet et L’Origine du monde

Les musées sont remplis de nudités de toutes sortes, mais en général on trouve cela normal.

Le journal Le Monde rapporte qu’au musée d’Orsay, jeudi 29 mai, jour de l’Ascension, une « artiste plasticienne » vêtue d’une robe dorée censée rappeler le cadre du tableau de Gustave Courbet « a écarté les cuisses devant L’Origine du monde … », œuvre qui montre en gros plan le pubis touffu d’une femme dont on ne voit pas la tête.
La police arrive et évacue tout le monde.
La femme qui a causé ce petit scandale explique qu’elle est dans une démarche artistique où elle cherche à « prendre la position de l’objet du regard pour à (son) tour regarder ». Selon elle, ce jour-là, ce n’est pas le dévoilement de son anatomie qu’il fallait prendre pour œuvre mais la salle, les réactions du public, les gardiens, la scène dans son ensemble. « Mon œuvre – baptisée « Miroir de l’Origine » – ne reflète pas le sexe, mais l’œil du sexe, le trou noir. C’est pour rendre visible cet œil, explique-t-elle, que j’ai tenu mon sexe ouvert avec mes deux mains, pour révéler ce qui n’est pas visible sur le tableau d’origine. »  (Le Monde daté du 6 juin 2014)

La direction du musée « évoque un « geste gynécologique » plutôt « trash et violent » qui dévoilait « bien plus que ce que montre l’œuvre de Courbet ». La « plasticienne » a choisi le jeudi de l’Ascension pour son « happening », date à laquelle la fréquentation était deux fois plus élevée que d’habitude, avec 13 000 visiteurs en une journée. La direction a porté plainte, en même temps que des agents du personnel, pour « exhibitionnisme sexuel ». La plainte a été classée sans suite, après un passage au commissariat de police et un rappel à la loi (lefigaro.fr du 6 juin 2014)

 

Cette touffe de brune en relief sur un mont
De Vénus toison dense obscure on se demande
Quelle chair s’y replie attraction des amants
C’est l’œuvre de Courbet L’Origine du monde

Posant sous le tableau vivante anatomie
Tenant son sexe ouvert triangle des Bermudes
Une femme aimerait que les gens soient émus
Par son exhibition qui pourrait être humide

Se disant plasticienne elle montre sa vulve
Les jambes écartées pour mieux la mettre en vue
Gymnaste sans culotte osant cette figure

Ses lèvres d’entrecuisse et de forme bivalve
Sont celles de toute Eve elle n’est pas diva
Qui par on ne sait quoi changerait le regard

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Billet: Maryvonne au temps de la Pentecôte

 

Après sept fois sept jours voici la Pentecôte
A la suite de Pâque et lui faisant écho
Journée en grec ancien numérotée cinquante
Un dimanche où l’Esprit nous éclaire éloquents

L’enfant née le lundi n’y trouvait pas son compte
Elle voulait qu’au ciel du haut de son balcon
Marie sainte patronne intercède et l’écoute
Pour qu’un souffle de feu l’illumine après coup

L’avenir l’a montré Marie son avocate
Avec messire Yvon s’est penché sur son cas
La candide plaideuse a gagné sa requête
Ayant reçu la flamme et des dons en bouquet

 

« Le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble dans le même lieu. Tout à coup il vint du ciel un bruit comme celui d’un vent impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis. Des langues, semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, et se posèrent sur chacun d’eux. Et ils furent tous remplis du Saint Esprit, et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer. » (Actes des apôtres, 2:1-4)

Dominique Thiébaut Lemaire

 

 

Billet: fromages et villages

 

La France nous dit-on compte plus de fromages
Que de jours dans l’année de formes de formats
Et coloris divers que les habitants mangent
Orangés blancs ou bleus travaillés de ferments

Comment donc voulez-vous qu’un gouvernant dirige
Ce pays si varié si vieux qui se récrie
Contre le changement virant au sacrilège
Quand pour le camembert on fait bouillir le lait

S’y trouvent plus qu’ailleurs tant et tant de communes
Dont nous a gratifiés l’ère gallo-romaine
Sous leur calme apparent bien des siècles remuent

Dans ce nombre étonnant qui semble un patrimoine
La taille trop petite est ce qui prédomine
Mais on n’y touche pas de peur d’un grand émoi

Le président de la République et le gouvernement ont annoncé une réforme mettant l’accent sur la réduction du nombre des régions françaises qui passerait de 22 à 14 en métropole. Il est question de réduire le coût et la complexité de l’organisation territoriale.

Cette annonce laisse dubitatif. Mis à part quelques cas, le découpage des régions actuelles n’est pas irrationnel, du point de vue de l’histoire, de la culture et de l’économie. Et il est fort douteux que les regroupements régionaux prévus, portant sur un petit nombre d’entités, permettent par eux-mêmes d’atteindre les objectifs recherchés.

Les vrais problèmes sont ailleurs : dans la superposition des interventions – financières et autres – entre les régions, les départements, les ensembles supra-communaux (le « millefeuille » territorial), ainsi que dans l’émiettement extrême des communes, qui sont plus de 36 000, un record (dans les autres pays européens de populations approximativement comparables, elles sont  environ 12 000 en Allemagne, 8 000 en Italie, 10 000 au Royaume-Uni…)

Depuis les années 1970, les gouvernements français, dans l’idée de réduire ce nombre, ont suscité des structures intercommunales possédant de plus en plus de compétences, tout en laissant subsister les communes. Ils ont ainsi créé un niveau supplémentaire d’administration et de gestion, avec un coût total de fonctionnement plus élevé qu’auparavant.

Une autre caractéristique n’est pas sans rapport avec la question de la diversité territoriale : la production de fromages, qui a inspiré au général de Gaulle un mot célèbre : « Comment voulez-vous gouverner un pays où il existe 246 variétés de fromage ? » Ce dernier chiffre est d’ailleurs sous-évalué, car on estime que la France en produit au total entre 350 et 400 au début du XXIe siècle.

*

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: Victor Hugo et les élections européennes aujourd’hui

 

Au milieu de son siècle en tenant bon la rampe
Ignorant l’ironie et les récalcitrants
Hugo voyait grandir comme un astre qui grimpe
Au-delà de la vue des vieux esprits chagrins
Cette brillante idée l’unité de l’Europe

Il ne se doutait pas que ces pays en troupe
Iraient aveuglément se battre dans des trous
Il rêvait d’un réel que l’idéal rattrape
En faisant scintiller sur leur agglomérat
Cette brillante idée l’unité de l’Europe

S’il n’y a plus de guerre où ces pays s’étripent
Il existe toujours différentes patries
Cent soixante ans plus tard et les croyants se trompent
Quand ils pensent que vite ils réaliseront
Cette brillante idée l’unité de l’Europe

Le continent demeure un kaléidoscope
Et comme en notre temps le droit aux différences
A la diversité se veut prépondérant
On peut se demander si va rester vibrante
Cette brillante idée l’unité de l’Europe

 

Victor Hugo a utilisé l’expression « Etats-Unis d’Europe », à l’occasion du Congrès international de la paix à Paris en 1849. Dans son discours, il s’est exprimé ainsi :
« Un jour viendra où la guerre paraîtra aussi absurde et sera aussi impossible entre Paris et Londres, entre Pétersbourg et Berlin, entre Vienne et Turin, qu’elle serait impossible et qu’elle paraîtrait absurde aujourd’hui entre Rouen et Amiens, entre Boston et Philadelphie.
« Un jour viendra où la France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l’Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France.
« Un  jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées.
« Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d’un grand sénat souverain qui sera à l’Europe ce que le parlement est à l’Angleterre, ce que la diète est à l’Allemagne, ce que l’Assemblée législative est à la France.
« Un jour viendra où l’on montrera un canon dans les musées comme on y montre aujourd’hui un instrument de torture, en s’étonnant que cela ait pu être. »

Cette idée des États-Unis d’Europe, premier échelon d’une entreprise universelle, devait aboutir à une concorde planétaire. Selon Hugo :
« Elle s’appellera l’Europe, au XXe siècle, et, aux siècles suivants, plus transfigurée encore, elle s’appellera l’Humanité. »

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Voyage en poésie française dans le pays andalou

 

Victor Hugo

Les Orientales « Grenade » (extraits)

L’Alhambra ! l’Alhambra ! palais que les Génies
Ont doré comme un rêve et rempli d’harmonies,
Forteresse aux créneaux festonnés et croulants,
Ou l’on entend la nuit de magiques syllabes,
Quand la lune, à travers les mille arceaux arabes,
Sème les murs de trèfles blancs !

Grenade a plus de merveilles
Que n’a de graines vermeilles
Le beau fruit de ses vallons ;
Grenade, la bien nommée,
Lorsque la guerre enflammée
Déroule ses pavillons,
Cent fois plus terrible éclate
Que la grenade écarlate
Sur le front des bataillons.

Grenade efface en tout ses rivales ; Grenade
Chante plus mollement la molle sérénade ;
Elle peint ses maisons de plus riches couleurs ;
Et l’on dit que les vents suspendent leurs haleines
Quand par un soir d’été Grenade dans ses plaines
Répand ses femmes et ses fleurs.

L’Arabie est son aïeule.
Les maures, pour elle seule,
Aventuriers hasardeux,
Joueraient l’Asie et l’Afrique,
Mais Grenade est catholique,
Grenade se raille d’eux ;
Grenade, la belle ville,
Serait une autre Séville,
S’il en pouvait être deux.

 

Les Feuilles d’automne, « Laissez. – Tous ces enfants sont bien là » (extrait)

Moi, quel que soit le monde et l’homme et l’avenir,
Soit qu’il faille oublier ou se ressouvenir,
Que Dieu m’afflige ou me console,
Je ne veux habiter la cité des vivants
Que dans une maison qu’une rumeur d’enfants
Fasse toujours vivante et folle.

De même, si jamais enfin je vous revois,
Beau pays dont la langue est faite pour ma voix,
Dont mes yeux aimaient les campagnes,
Bords où mes pas enfants suivaient Napoléon,
Fortes villes du Cid ! ô Valence, ô Léon,
Castille, Aragon, mes Espagnes !

Je ne veux traverser vos plaines, vos cités,
Franchir vos ponts d’une arche entre deux monts jetés,
Voir vos palais romains ou maures,
Votre Guadalquivir qui serpente et s’enfuit,
Que dans ces chars dorés qu’emplissent de leur bruit
Les grelots des mules sonores.

 

Théophile Gautier

España, « Perspective »

Sur le Guadalquivir, en sortant de Séville,
Quand l’oeil à l’horizon se tourne avec regret,
Les dômes, les clochers font comme une forêt:
A chaque tour de roue il surgit une aiguille.

D’abord la Giralda, dont l’angle d’or scintille,
Rose dans le ciel bleu darde son minaret ;
La cathédrale énorme à son tour apparaît
Par-dessus les maisons, qui vont à sa cheville.

De près, l’on n’aperçoit que des fragments d’arceaux :
Un pignon biscornu, l’angle d’un mur maussade
Cache la flèche ouvrée et la riche façade.

Grands hommes, obstrués et masqués par les sots,
Comme les hautes tours sur les toits de la ville,
De loin vos fronts grandis montent dans l’air tranquille !

 

Charles-Marie Leconte de Lisle (1818-1894)

Poèmes barbares, « La fille de l’émyr » (extrait)

D’un ciel attiédi le souffle léger
Dans le sycomore et dans l’oranger
Verse en se jouant ses vagues murmures ;
Et sur le velours des gazons épais
L’ombre diaphane et la molle paix
Tombent des ramures.

C’est l’heure où s’en vient la vierge Ayscha
Que le vieil Émyr, tout le jour, cacha
Sous la persienne et les fines toiles,
Montrer, seule et libre, aux jalouses nuits,
Ses yeux, charmants, purs de pleurs et d’ennuis,
Tels que deux étoiles.

Son père qui l’aime, Abd-El-Nur-Eddin,
Lui permet d’errer dans ce frais jardin,
Quand le jour qui brûle au couchant décline
Et, laissant Cordoue aux dômes d’argent,
Dore, à l’horizon, d’un reflet changeant,
La haute colline.

Allant et venant, du myrte au jasmin,
Elle se promène et songe en chemin.
Blanc, rose, à demi hors de la babouche,
Dans l’herbe et les fleurs brille son pied nu ;
Un air d’innocence, un rire ingénu
Flotte sur sa bouche.

Le long des rosiers elle marche ainsi.
La nuit est venue, et, soudain, voici
Qu’une voix sonore et tendre la nomme.
Surprise, Ayscha découvre en tremblant
Derrière elle, calme et vêtu de blanc,
Un pâle jeune homme.*

*il s’agit de Jésus

 

Louise de Vilmorin

(L’Alphabet des aveux [1954],
Paris, Gallimard, Le Promeneur, 2004, page 139. Illustrations de Jean Hugo.)

 

« Accords doux
Décors d’août
C’est tôt, beys zélés
À Cordoue.

Lâchant son silence
La chanson s’y lance :

« Cette eau baise ailée,
À Cordoue
Sept obèses et les
Accords d’août
Des corps doux. »

Et le vent
Oscille en silence
Élevant
Oh ! si lent, six lances

À Cordoue
Bais et laids,
Beys zélés, maintenant,
Baisez les mains tenant
Baies et lait
Accords doux. »

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Courts poèmes long-courriers (2011), LXXII (sonnet sur Séville)

 

J’ai rêvé que l’espace était un oranger
Quand il a commencé quand il a prolongé
Ses bras donnant pour fruits des miniatures d’astres
Encore enveloppés d’une écorce terrestre

Il portait des soleils orange un abrégé
De ciel planétarium encore tout gorgé
De si close clarté que rien ne l’enregistre
Avant qu’elle n’éclate en vive étoile illustre

A côté du transept où quatre hommes figés
Portent Colomb défunt qui ne peut plus bouger
Pour donner à ce monde un plus vaste cadastre

Au jardin près de toi j’étais dans un verger
D’astres luminescents dont le rouge ombragé
Devient lumière sphère en un immense orchestre

 

Billet: l’indignation et la colère

Mis en avant

 

Indignez-vous c’est à quoi nous exhorte
Un petit livre au ton réconfortant
Paru naguère il nous lance une alerte
A grand tirage en nous avertissant
De résister ce n’est pas une charte
C’est un appel non pas un aparté
Qu’importe au fond que ses pages soient courtes
Sans épaisseur il nous apprend beaucoup

Cet opuscule est d’une étrange sorte
Livret léger il est moins important
Que son beau titre et ce fait déconcerte
Ceux qui voudraient du texte appétissant
Son apostrophe est comme une pancarte
Manifestant qu’on ne peut l’écarter
Qu’importe alors que ses pages soient courtes
Sans épaisseur il nous apprend beaucoup

Impératif sans phrases pour escorte
Est-il simplet pour l’esprit bien portant
Non ce qu’il dit ne laisse pas inerte
Il vise au cœur succès retentissant
Son verbe en tête est un mot que Descartes
A éclairé d’une vive clarté
Qu’importe enfin que ses pages soient courtes
Sans épaisseur il nous apprend beaucoup

 ***

Le mal subi par autrui nous indigne
Et quelquefois nous laisse résignés
Mais pris à cœur il nous met en colère
Brutalement nous saisit au collet

Courte folie on passe de la rogne
A la fureur à l’envie de cogner
L’ire qui croît fait changer de couleur
Epidermique on la voit affleurer

Celui qui rage emporté devient rouge
Ou bien tremblant blêmissant de courroux
Se change en marbre et cesse de bouger

Ardent ou froid c’est une erreur de croire
Que l’indigné n’est plus dans son bon droit
Quand de colère il s’en va guerroyer

L’indignation

« … Le mal fait par d’autres, n’étant point rapporté à nous, fait seulement que nous avons pour eux de l’indignation ; et lorsqu’il y est rapporté, il émeut aussi la colère (Descartes, Les Passions de l’âme, article 65).
« L’indignation est une espèce de haine ou d’aversion qu’on a naturellement contre ceux qui font quelque mal, de quelle nature qu’il soit. Et elle est souvent mêlée avec l’envie ou avec la pitié; mais elle a néanmoins un objet tout différent. Car on n’est indigné que contre ceux qui font du bien ou du mal aux personnes qui n’en sont pas dignes, mais on porte envie à ceux qui reçoivent ce bien, et on a pitié de ceux qui reçoivent ce mal. Il est vrai que c’est en quelque façon faire du mal que de posséder un bien dont on n’est pas digne. Ce qui peut être la cause pourquoi Aristote et ses suivants, supposant que l’envie est toujours un vice, ont appelé du nom d’indignation celle qui n’est pas vicieuse (Descartes, Les Passions de l’âme, article 195).
« C’est aussi en quelque façon recevoir du mal que d’en faire; d’où vient que quelques-uns joignent à leur indignation la pitié, et quelques-uns autres la moquerie, selon qu’ils sont portés de bonne ou de mauvaise volonté envers ceux auxquels ils voient commettre des fautes. Et c’est ainsi que le ris de Démocrite et les pleurs d’Héraclite ont pu procéder de même cause (Descartes, Les Passions de l’âme, article 196).
« L’indignation est souvent aussi accompagnée d’admiration. Car nous avons coutume de supposer que toutes choses seront faites en la façon que nous jugeons qu’elles doivent être, c’est-à-dire en la façon que nous estimons bonne. C’est pourquoi, lorsqu’il en arrive autrement, cela nous surprend, et nous l’admirons. Elle n’est pas incompatible aussi avec la joie, bien qu’elle soit plus ordinairement jointe à la tristesse. Car, lorsque le mal dont nous sommes indignés ne nous peut nuire, et que nous considérons que nous n’en voudrions pas faire de semblable, cela nous donne quelque plaisir; et c’est peut-être l’une des causes du ris qui accompagne quelquefois cette passion (Descartes, Les Passions de l’âme, article 197).
« C’est être difficile et chagrin que d’avoir beaucoup d’indignation pour des choses de peu d’importance. C’est être injuste que d’en avoir pour celles qui ne sont point blâmables, et c’est être impertinent et absurde de ne restreindre pas cette passion aux actions des hommes, et de l’étendre jusqu’aux œuvres de Dieu ou de la nature, ainsi que font ceux qui, n’étant jamais contents de leur condition ni de leur fortune, osent trouver à redire en la conduite du monde et aux secrets de la Providence » (Descartes, Les Passions de l’âme, article 198).

La colère

« La colère est aussi une espèce de haine ou d’aversion que nous avons contre ceux qui ont fait quelque mal, ou qui ont tâché de nuire, non pas indifféremment à qui que ce soit, mais particulièrement à nous. Ainsi elle contient tout le même que l’indignation, et cela de plus qu’elle est fondée sur une action qui nous touche et dont nous avons désir de nous venger. Car ce désir l’accompagne presque toujours; et elle est directement opposée à la reconnaissance, comme l’indignation à la faveur. Mais elle est incomparablement plus violente que ces trois autres passions, à cause que le désir de repousser les choses nuisibles et de se venger est le plus pressant de tous. C’est le désir joint à l’amour qu’on a pour soi-même qui fournit à la colère toute l’agitation du sang que le courage et la hardiesse peuvent causer. Et la haine fait que c’est principalement le sang bilieux qui vient de la rate et des petites veines du foie qui reçoit cette agitation et entre dans le cœur, où, à cause de son abondance et de la nature de la bile dont il est mêlé, il excite une chaleur plus âpre et plus ardente que n’est celle qui peut y être excitée par l’amour ou par la joie (Les Passions de l’âme, article 199).
« Et les signes extérieurs de cette passion sont différents, selon les divers tempéraments des personnes et la diversité des autres passions qui la composent ou se joignent à elle. Ainsi on en voit qui pâlissent ou qui tremblent lorsqu’ils se mettent en colère, et on en voit d’autres qui rougissent ou même qui pleurent. Et on juge ordinairement que la colère de ceux qui pâlissent est plus à craindre que n’est la colère de ceux qui rougissent. Dont la raison est que lorsqu’on ne veut ou qu’on ne peut se venger autrement que de mine et de paroles, on emploie toute sa chaleur et toute sa force dès le commencement qu’on est ému, ce qui est cause qu’on devient rouge. Outre que quelquefois le regret et la pitié qu’on a de soi-même, parce qu’on ne peut se venger d’autre façon, est cause qu’on pleure. Et, au contraire, ceux qui se réservent et se déterminent à une plus grande vengeance deviennent tristes de ce qu’ils pensent y être obligés par l’action qui les met en colère. Et ils ont aussi quelquefois de la crainte des maux qui peuvent suivre de la résolution qu’ils ont prise, ce qui les rend d’abord pâles, froids et tremblants. Mais, quand ils viennent après à exécuter leur vengeance, ils se réchauffent d’autant plus qu’ils ont été plus froids au commencement, ainsi qu’on voit que les fièvres qui commencent par le froid ont coutume d’être les plus fortes (Les Passions de l’âme, article 200).
« Ceci nous avertit qu’on peut distinguer deux espèces de colère: l’une qui est fort prompte et se manifeste fort à l’extérieur, mais néanmoins qui a peu d’effet et peut facilement être apaisée; l’autre qui ne paraît pas tant à l’abord, mais qui ronge davantage le cœur et qui a des effets plus dangereux. Ceux qui ont beaucoup de bonté et beaucoup d’amour sont les plus sujets à la première. Car elle ne vient pas d’une profonde haine, mais d’une prompte aversion qui les surprend, à cause qu’étant portés à imaginer que toutes choses doivent aller en la façon qu’ils jugent être la meilleure, sitôt qu’il en arrive autrement ils l’admirent et s’en offensent, souvent même sans que la chose les touche en leur particulier, à cause qu’ayant beaucoup d’affection, ils s’intéressent pour ceux qu’ils aiment en même façon que pour eux-mêmes. Ainsi ce qui ne serait qu’un sujet d’indignation pour un autre est pour eux un sujet de colère; et parce que l’inclination qu’ils ont à aimer fait qu’ils ont beaucoup de chaleur et beaucoup de sang dans le cœur, l’aversion qui les surprend ne peut y pousser si peu de bile que cela ne cause d’abord une grande émotion dans ce sang. Mais cette émotion ne dure guère, à cause que la force de la surprise ne continue pas, et que sitôt qu’ils s’aperçoivent que le sujet qui les a fâchés ne les devait pas tant émouvoir, ils s’en repentent (Les Passions de l’âme, article 201).
« L’autre espèce de colère, en laquelle prédominent la haine et la tristesse, n’est pas si apparente d’abord, sinon peut-être en ce qu’elle fait pâlir le visage. Mais sa force est augmentée peu à peu par l’agitation qu’un ardent désir de se venger excite dans le sang, lequel, étant mêlé avec la bile qui est poussée vers le cœur de la partie inférieure du foie et de la rate, y excite une chaleur fort âpre et fort piquante. Et comme ce sont les âmes les plus généreuses qui ont le plus de reconnaissance, ainsi ce sont celles qui ont le plus d’orgueil et qui sont les plus basses et les plus infirmes qui se laissent le plus emporter à cette espèce de colère. Car les injures paraissent d’autant plus grandes que l’orgueil fait qu’on s’estime davantage, et aussi d’autant qu’on estime davantage les biens qu’elles ôtent, lesquels on estime d’autant plus qu’on a l’âme plus faible et plus basse, à cause qu’ils dépendent d’autrui » (Les Passions de l’âme, article 202).

 

 

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Billet: satire et cithare

 

Manière aimable ou bien manière forte
C’est tout un art de doser la satire
Qui ne doit pas cibler un homme à tort
Ad hominem et se voir démentie

Ni rabaisser quelqu’un plus bas que terre
Ni lui prêter une pensée qui heurte
Hurler non plus avec les loups menteurs
Flairant du mal chez l’autre qui se tait

Fausse à coup sûr est la caricature
Quand le mot frappe aveugle ou trop pointu
Quand son auteur montre de l’amertume

Plus salvateur est l’art de la cithare
Plus sûrs les airs de la dolce vita
Souvent meilleurs les chants baume ou dictame

 

 

La satire est un genre que la poésie a aujourd’hui presque abandonné au profit du lyrisme. Elle a pourtant donné des chefs-d’œuvre depuis l’antiquité (à Rome Lucilius, Horace, Perse, Juvénal…), mais, dans la littérature française, elle a continué plutôt en prose et/ou au théâtre, sauf quelques exceptions comme La Fontaine et Boileau. Pourquoi cette désaffection des poètes ?
Il est plus agréable pour le lecteur d’être transporté dans un monde de pensées positives que dans une atmosphère pouvant colorer négativement son appréciation sur l’œuvre qu’il lit, et même l’appréciation qu’il porte sur lui-même au cours de sa lecture. Certes, la bonne littérature n’est pas faite de bons sentiments, mais en poésie la louange et la célébration paraissent souvent meilleures que la critique.
L’un des risques de la satire est celui qu’évoque La Rochefoucauld dans sa maxime 377 : « Le plus grand défaut de la pénétration n’est pas de n’aller point jusqu’au but, c’est de le passer ».
Un autre risque  est celui que Descartes a excellemment caractérisé (article 140 des Passions de l’âme) à propos de l’amour et de la haine: « nous ne sommes incités à aucune action par la haine du mal que nous ne le puissions être encore plus par l’amour du bien auquel il est contraire ». Mais on peut citer aussi le proverbe latin apparemment banal: « qui bene amat bene castigat » (qui aime bien châtie bien).

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Billet: ciels de Pâques sur l’Atlantique

Semaine sainte en bleu tranquille
Même le jour du saint trépas
Puis les nuées pressant le pas
Dans un climat jamais acquis
Sont revenus la nuit de Pâques

Après un temps presque utopique
De radieuse héliothérapie
L’envol du ciel en mode opaque
Couleur gris mouette ou noir choucas
Sur la Bretagne a fait escale

On aurait dit qu’un souffle impie
Contrecarrait l’ordre pascal
Mais la lumière a reconquis
Comme un bienfait qu’on n’attend pas
La mer les caps et les presqu’îles

Sur les rivages de l’Atlantique, l’opiniâtreté des hommes et leurs certitudes ont souvent du mal à compenser le caractère changeant de la nature.
Cela dit, la date de Pâques est elle-même changeante. Le concile de Nicée réuni par l’empereur Constantin l’a définie en 325: « Pâques est le dimanche qui suit le 14e jour de la Lune qui atteint cet âge le 21 mars ou immédiatement après. » Ainsi, Pâques est le premier dimanche après la première pleine lune advenant pendant ou après l’équinoxe de printemps. Ce qui donne souvent un jour différent pour les Églises occidentales (calendrier grégorien) et les orthodoxes (calendrier julien).
Les valeurs extrêmes que peut prendre la date de Pâques, au plus tôt et au plus tard en calendrier julien comme en calendrier grégorien, sont les suivantes:
– Si le quatorzième jour de la Lune de mars se produit le 21 mars et que ce jour est un samedi, le dimanche qui suit est le 22 mars, et Pâques tombe le 22 mars ;
– Si le quatorzième jour de la Lune de mars est le 20 mars alors le prochain quatorzième jour de la Lune pascale se produit le 18 avril. Si le 18 avril est un dimanche, Pâques tombe le dimanche suivant, c’est-à-dire le 25 avril.
La date de Pâques est donc comprise entre le 22 mars et le 25 avril (inclus).
Elle permet de déterminer non seulement le jour de Pâques mais aussi celui de nombreuses célébrations telles que l’Ascension (sixième jeudi, 39 jours après Pâques) ; la Pentecôte (septième dimanche, 49 jours après Pâques ; la fête de la Sainte Trinité (dimanche après Pentecôte, 56 jours après Pâques) ; la Fête-Dieu (60 jours après Pâques).

Dominique Thiébaut Lemaire

 

 

Billet: les tours à Paris après les élections de mars 2014

 

Précédemment chargée de l’urbanisme
Elle est élue maire des Parisiens
Mais son discours marqué d’imprécisions
N’a pas vraiment suscité l’enthousiasme

Elle voudrait montrer son modernisme
Outrepasser l’interdit malthusien
Dresser des tours car selon sa vision
Le passéisme est proche du marasme

Or l’électeur craint que le dynamisme
Immobilier soit surtout pharisien
Les gens d’argent prenant les décisions
Fric et pouvoir devenant pléonasme

Il ne faut pas laisser à l’affairisme
Aux promoteurs aux anti-cartésiens
Le beau Paris leur donner l’occasion
D’y implanter des gratte-ciel fantasmes

 

L’urbanisme a été, de manière peu bruyante, l’un des thèmes importants de cette campagne électorale qui a vu la victoire de la socialiste Anne Hidalgo. Lors du mandat du précédent maire, Bertrand Delanoë, le conseil de Paris avait déjà relevé jusqu’à 200 m et davantage les limites de hauteur des bâtiments fixée en 1977 à 37 m dans Paris « intra muros ». Cette modification est restée jusqu’ici sans conséquence – la « crise » étant passée par là – au grand soulagement de beaucoup de citoyens et d’amoureux de Paris, qui trouvent déplorables les expériences d’immeubles de grande hauteur dans le passé : le 13e arrondissement, la tour de Jussieu laborieusement « rhabillée », la sombre tour Montparnasse (qui offre  l’un des plus beaux points de vue sur Paris car, au moins, quand on se trouve à son sommet, on ne la voit pas).

Les promoteurs et leurs architectes complices reviennent sans cesse à la charge avec des mots d’une poésie primaire vantant leurs projets de gratte-ciel : « Tour totem », « Tour Apogée », « Tour Sans Fin », « Tour Signal, « Tour Phare » … Professionnels de la « com » plus que de l’architecture, ils savent bien que ces bâtiments sont ingérables, notamment pour le logement (quant aux tours de bureaux, on doit les refaire tous les trente ans), mais ils continuent à en vanter les mérites en les pimentant de développement durable et d’écologie. L’une de leurs récentes percées conceptuelles est la (re)découverte de l’escalier entre les étages. Ils essayent d’impressionner les politiques, en les taxant d’immobilisme, de passéisme, en les appelant à l’imagination et à l’audace ! Ils décrètent que, faute d’obtempérer, Paris est dépassé dans la « compétition » internationale.
Alors même que le quartier des tours de La Défense, le plus important d’Europe, se trouve juste à côté. Il est vrai que La Défense est tenue politiquement par la droite, alors que Paris est à gauche.

Dominique Thiébaut Lemaire

 

La revue de poésie Les Citadelles numéro dix-neuf (2014). Par Dominique Thiébaut Lemaire

La revue de poésie Les Citadelles 2014 est parue (voir aussi l’article de Libres Feuillets intitulé : Les Citadelles : revue de poésie numéro 20).
Ainsi se poursuit la belle aventure de cette revue fondée en 1996 par Philippe Démeron et par Roger Lecomte (auquel est consacré un article de Libres Feuillets publié le 7 juillet 2013, intitulé  » Roger Lecomte, auteur de Mémoires d’asphalte, recueil de poèmes  » ).

 

Commandes et correspondance à adresser à
Philippe Démeron (Les Citadelles) 85 rue de Turbigo 75003 Paris

 

QUELQUES MOTS SUR LE NUMERO DE 2014

 Lorsqu’on se propose de rendre compte d’un nouveau numéro des Citadelles, on se sent comme d’habitude un peu dépassé face à la richesse de ce qu’il apporte.

Le numéro de 2014 se caractérise comme les précédents par un esprit de découverte qui permet au lecteur de faire connaissance avec de nombreux poètes d’autres pays, grâce à un remarquable effort de recherche et de traduction.
Le monde entier est présent, avec des poètes s’exprimant en yiddish; en anglais (Angleterre et Irlande); en italien (y compris en napolitain); en espagnol (Mexique).

En 2014, les poètes que Les Citadelles mettent à l’honneur sont principalement les Italiens (six poètes au total), en particulier Arnaldo Zambardi, en tête du numéro, et Eliana Debora Langiu. Dans la rubrique intitulée « Brèves Chroniques », Philippe Démeron explique p.161 comment ceux qui se retrouvent cette année dans la revue se sont réunis à Rome en juin 2013.

Les poèmes en langue étrangère sont présentés généralement en version bilingue, ce qui est particulièrement bien venu en poésie où le passage d’une langue à l’autre entraîne une déperdition plus forte que pour les autres genres littéraires.
Nombre de problèmes posés par cette déperdition se résument dans l’expression « belle infidèle » que l’on utilise pour caractériser une traduction trop libre.
Cette expression ne s’applique pas, par exemple, à la traduction par Jacques Chuto des textes du poète irlandais Derek Mahon dans le numéro 19 des Citadelles. Mais on y trouve néanmoins une sorte d’infidélité qui conduit le lecteur à s’interroger lorsqu’à plusieurs reprises  l’ordre des mots est inversé par rapport au texte original (« dikes and bikes » dans le poème « Ses énergies radieuses »; « from onshore and offshore » dans le poème « Vents et vagues », et « into a clean and infinite/source of power and light » dans le même poème;  » higher and lower levels » dans le poème « Etoile et sable »…) Par ailleurs, dans un ensemble agréable à lire, le sens et l’euphonie laissent au lecteur un peu d’insatisfaction (« serial rebirth » traduit par « renaissances sérielles », avec plusieurs  san, se, sé qui se suivent; « old night » traduit par « ancienne nuit », avec un redoublement ne-nuit; et, dans l’un et l’autre cas, une interrogation sur le sort du e dit « muet »…)

Puisque nous en sommes à des réflexions de critique littéraire, exprimons aussi, pour ce qui est de Derek Mahon lui-même, un doute sur le procédé peut-être humoristique – dans un sujet moderne sur les éoliennes, les panneaux photovoltaïques et les kilowattheures –  consistant à apostropher la « nature  » comme l’aurait fait un poète de la première moitié du XIXe siècle, avec des invocations au soleil (glorieux soleil, envoie-nous chaleur et lumière), à Gaia (noble Gaïa, tu as tant fait pour nous), au vent (souffle, vent, et saisis les pales qui luisent)…

En ce qui concerne les autres poèmes de la revue, deux textes en yiddish (traduits par Henri Lewi) font suite à des poèmes écrits dans cette langue et publiés dans le numéro de 2013, avec le même traducteur. L’un de ces poèmes évoque les dégâts causés par un obus allemand de la « Grosse Bertha » dans le quartier parisien de Belleville à la fin de la guerre  de 1914-1918.

Le millésime 2014 de Philippe Démeron poète est vigoureux et triste : « La route s’inverse nous marchons tête en bas sur/un papier tue-mouche » (La route) ; « Il fait plus froid qu’avant dans les cafés » (Grand hyver) ; le dictateur « dit qu’il regrette, il veut rembourser et ressusciter les morts » (Que faire?).

A l’occasion du centenaire du déclenchement de 1914-1918, de beaux poèmes d’Armelle Leclercq évoquent cette guerre qui « ne se déroulait pas en filtre bleu, ni marron ».

Sur un ton beaucoup moins grave, Pedro Sin Cerebro (Mexique) définit la jalousie:
« Qu’est-ce que la jalousie?
« Des poils sur la langue
« arrachés un à un
« jusqu’à la minutieuse calvitie
« d’un pénis amoureux ».

Les « Brèves chroniques », à la fin de la revue, nous entretiennent de sujets divers relatifs à la poésie, sous la plume de Philippe Démeron et d’Armelle Leclercq, avec notamment des comptes rendus de livres, de revues…

RAPPEL DES NUMEROS  DE 2012 ET 2013

Le numéro de 2012

En 2012, le poète à l’honneur a été Kenneth White, avec un court « manifeste » (« Le grand champ de la géopoétique »), et des poèmes intitulés « Chant de chamane » (la mer des Tchouktches), « Novembre » (la baie de Lannion), « Méditation méditerranéenne » (San Remo).

 La rubrique de la revue intitulée « Poètes pour nos jours » donne à lire des poètes français contemporains. Dans le numéro 17 de 2012, il s’agit d’une vingtaine d’auteurs dont beaucoup contribuent de manière régulière à la revue.
L’un des poèmes (dont l’auteur est François Coudray) est accompagné d’une partition musicale (de Matthieu Lemennicier).

Les poèmes en langue étrangère sont ceux du poète cubain José Lezama Lima (1910-1976) et de la rubrique intitulée « D’Europe/D’Amérique latine ».
Il convient de noter l’important effort de traduction qui est pour une large part celui de Philippe Démeron (anglais, espagnol, italien), notamment en association avec Anne Sophie Lecharme et Gilbert D’Alto pour l’anglais (Montague) et Mauricio Hernandez pour l’espagnol, et avec la participation de Jean-Paul Buttoudin et Cheryl Kanzler pour l’anglais (Rod Mengham) et de Sergio Birga pour l’italien…

Comme les années précédentes, la revue témoigne d’un intérêt marqué pour les poètes irlandais, mais aussi écossais et anglais (Ken Cockburn & Alec Finlay ; Rod Mengham, poète et professeur de littérature anglaise à Cambridge…)
Les Citadelles ont continué à nous faire connaître un poète déjà présenté en 2009 et en 2011, Derek Mahon, irlandais né en 1941, auteur d’une œuvre saluée par de nombreux prix littéraires. En 2012, la revue a reproduit un poème de Dereck Mahon intitulé « Autobiographies », composé de vingt strophes de six vers, traduits en français par Jacques Chuto, professeur honoraire de langue et littérature anglaises à l’université Paris 12. Citons à titre d’exemple une partie de la dernière strophe évoquant le souvenir d’un vélo :
« But its wheels still sing
“In the memory, stars that turn
“About an eternal center,
“The bright spokes glittering.”
(Mais ses roues chantent toujours
Dans ma mémoire, étoiles qui tournoient
Tout autour d’un centre éternel,
Et leurs rayons étincellent sans fin.)

Autre poète irlandais, John Montague, auquel la revue a consacré en 2007 un recueil à part, réunissant les textes de lui qu’elle a publiés de 2002 à 2007. Dans le numéro 13 (2008), John Montague a évoqué en quelques poèmes son ami Samuel Beckett. Dans le numéro 14, à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire, il a confié à la revue deux inédits, auxquels s’est ajouté un poème que Derek Mahon lui a dédié. Présent en 2011 par des textes que Philippe Démeron a traduits avec son concours, John Montague a été encore présent en 2012 avec trois poèmes dont « Silences » où l’on peut lire, au sujet de la poésie :
“It is a prayer before an unknown altar,
“A spell to bless the silence”.
(C’est une prière devant un autel inconnu,
Un charme pour bénir le silence).

Le numéro de 2012 a présenté aussi des textes de Stefania Asimakopoulou (Grèce) ; Ferruccio Brugnaro (Italie); William Cliff (Belgique) ; Mauricio Hernandez (Mexique) ; Eliana Deborah Langiu (Italie) ; José Lezama Lima (Cuba) ; Pedro Sin Cerebro (Mexique) ; Arnaldo Zambardi (Italie)…

Dans la partie « magazine » de ce numéro, Dominique Thiébaut Lemaire a analysé l’œuvre poétique du Suédois Tomas Tranströmer, prix Nobel 2011. Sous le titre « Illustration du vers et de la rime » (voir à ce sujet l’article de Libres Feuillets: « Obsolescence de la rime et du vers ? « , publié le 29 mai 2012), il a livré un ensemble de réflexions ayant pour thème commun la question de l’usure réelle ou supposée des formes poétiques dans le temps.

Parmi les illustrations, une belle gravure expressionniste de Sergio Birga, datant de 1973, est à signaler, sur les rapports entre le monde ancien (figuré par la Fonte San Paolo au premier plan), et le monde moderne représenté par une grue à l’arrière-plan.

Pour conclure ces quelques commentaires sur le numéro de 2012, voici deux extraits de poèmes ayant pour auteurs Philippe Démeron et Roger Lecomte.

 « L’esprit du vent joue près de la fenêtre
Voulant embrasser les rideaux
Ou débusquant des jalousies
Bien accrochées au fond du cœur »
(Philippe Démeron, « Les quatre esprits », première strophe, fondée sur le double sens des mots « embrasse » et « jalousie »).

« Je me souviens d’avoir porté, tout enfant, des barboteuses – culottes bouffantes rappelant un peu les hauts-de-chausses du temps de Charles IX – et bien plus tard, des pantalons de golf…
Je me souviens aussi d’un long monologue de Georges Pérec pendant lequel le comédien Sami Frey égrène ses souvenirs, juché tout au long de la pièce sur une bicyclette… »
(Roger Lecomte, début et fin d’un poème anaphorique commençant vingt-huit fois par « Je me souviens », et intitulé « Brèves de mémoire in memoriam Georges Pérec »).

Le numéro dix-huit (2013)

Dans la partie intitulée « Cahier de diverses langues », on trouve des poèmes écrits par des auteurs originaires de pays tels que l’Autriche, la Colombie, la Grèce, l’Italie, le Mexique, la Suède…

 Parmi les langues et auteurs de ce Cahier, on peut noter les textes en yiddish de Yankev Fridman (1910-1972), traduits par Henri Lewi. Comme Les Citadelles présentent au lecteur les textes en langue originale en regard de leur traduction, nous entrons plus avant dans ces poèmes dont la langue est assez proche de l’allemand.

Quelques auteurs sont mis à l’honneur: Luigi Celi (Dialogue poétique avec T.S. Eliot), Marcel Riera (L’Irlande en Catalogne)… Ce dernier fait entendre des accents irlandais dans une langue catalane que Philippe Démeron s’est donné – avec succès – le défi de traduire en français.

En ce qui concerne les auteurs de langue française, Les Citadelles de 2013 font une place particulière à Christophe Manon et à deux femmes: la franco-libanaise Vénus Khoury-Ghata (née en 1937), et Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859).

 La rubrique « Poètes pour nos jours » donne à lire comme à l’accoutumée une vingtaine de poètes français contemporains, dont un certain nombre contribuent de manière régulière à la revue. La rubrique « Brèves chroniques» présente les recueils publiés récemment par plusieurs d’entre eux.

En ce qui concerne les fondateurs de la revue, ce numéro a publié un poème de souvenir et de mélancolie, de Roger Lecomte,  sur les couleurs du thé (noir à la liqueur d’ambre, bleu de Formose, blanc aux notes fleuries…) et un poème plein de charme de Philippe Démeron sur les pieds de la femme aimée: « Tes doux pieds ceux qui t’accompagnent / L’expression te fait sourire… »

 La partie « Magazine » comporte deux textes, l’un d’Arnaldo Zambardi : Quelle poésie pour nos jours ?, l’autre de Dominique Thiébaut Lemaire : Poésie et recitatio, qui élargit au monde gréco-romain le tour d’horizon de ce numéro des Citadelles.

Les auteurs des « illustrations » sont en particulier Philippe Démeron, Mauricio Hernandez, et Sergio Birga dont on peut lire par ailleurs, sur Florence, dans le « Cahier de diverses langues », un poème de jeunesse en italien sur la crue de l’Arno dans la décennie 1960, qui rappelle la révolte expressionniste du peintre et graveur.

 Libres Feuillets.

 

Billet: la pollution de l’air à Paris

La pollution de fines particules
Que d’ordinaire un vent d’ouest évacue
S’aggrave en gris dans cet anticyclone
En fin d’hiver sous un ciel à huis-clos

Tous les diesels de l’aube au crépuscule
Crachent leurs gaz et trop peu convaincus
Les conducteurs continuent dans l’ozone
En s’asphyxiant les bronches les naseaux

Quel autre choix pour se véhiculer
Ce sera pire en temps de canicule
A des niveaux qu’on n’a jamais vécus

N’y a-t-il rien de meilleur à prôner
Dans l’air toxique oxydant les neurones
Que le vélo ou l’oppressant métro

 

Paris a connu un « pic de pollution » vers la mi-mars 2014, lors d’une période de soleil sans vent.
Le parc automobile français se compose désormais principalement de voitures dotées d’un moteur diesel. Cette motorisation anormalement répandue dans notre pays à cause d’une moindre taxation du carburant est la plus polluante de toutes, depuis que les moteurs à essence fonctionnent sans plomb.
Certes les voitures à essence produisent davantage de gaz carbonique (CO2), mais au moins celui-ci n’est pas nocif pour la santé, contrairement au diesel qui évacue par les pots d’échappement des particules d’hydrocarbures imbrûlés se combinant avec l’oxygène de l’air (O2) pour produire sous l’action du rayonnement solaire des gaz tels que l’ozone (O3) et les oxydes d’azote (NOx), corrosifs pour les organismes.
Pour limiter les émissions de gaz carbonique à effet de serre (mais le principal gaz à effet de serre n’est-il pas la vapeur d’eau ?), on a donc laissé se développer en France de manière irréfléchie et irresponsable, y compris sous des gouvernements mettant en avant des préoccupations écologiques – et incluant même des « écologistes » – des poisons gazeux beaucoup plus toxiques pour l’être humain.
On fait croire aux gens qu’il est possible d’y remédier par les pots  d’échappement dits catalytiques et par les « filtres à particules ». Mais les premiers  ne sont efficaces qu’à partir de 400 °C. Les trajets courts et les parcours en ville ne leur laissent pas le temps de chauffer suffisamment. Quant aux seconds, leur efficacité diminue avec la taille des particules. Or, les plus petites, celles de moins d’un micromètre, sont les plus nocives pour la santé en pénétrant plus profondément dans l’appareil  respiratoire.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: la retraite

 

L’âge est venu l’âge de la retraite
Et j’ai l’espoir qu’il aura des attraits
Sans perclusion d’arthrose ni d’arthrite
Sans gériatrie soignant le corps meurtri

Dans mon esprit s’accumulent par strates
Et quelquefois dans un certain fatras
Nombre d’années de travail et d’astreinte
Egalement de plaisance et d’entrain

N’est-il pas temps qu’enfin je me retire
Pour mieux goûter même sans garantie
Des jours des ans bien que minoritaires
Beaux comme ceux qui jadis miroitaient

Allons plus loin chassons les mots « trop tard »
Dit mon amour laissons les errata
Dépassons donc les années sans retour
La vie qui reste est le meilleur atout

 

Le mot « retraite » a principalement trois sens, d’après le dictionnaire : action de se retirer ; lieu où l’on se retire ; état d’une personne qui a quitté une fonction, un emploi, et qui a droit à une pension. Le troisième sens est désormais le plus courant, mais ce sont les deux premiers sens qui étaient employés dans le passé. Par jeu, les textes poétiques où ce mot apparaît peuvent être lus avec le sens qu’il a aujourd’hui (voir les trois exemples qui suivent).

 

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Florian: « Le voyage », Fables

Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte,
Sans songer seulement à demander sa route ;
Aller de chute en chute, et, se traînant ainsi,
Faire un tiers du chemin jusqu’à près de midi ;
Voir sur sa tête alors s’amasser les nuages,
Dans un sable mouvant précipiter ses pas,
Courir, en essuyant orages sur orages,
Vers un but incertain où l’on n’arrive pas ;
Détrempé vers le soir, chercher une retraite,
Arriver haletant, se coucher, s’endormir :
On appelle cela naître, vivre et mourir.

 

Lamartine: « Le Golfe de Baya », Méditations poétiques

Horace, dans ce frais séjour,
Dans une retraite embellie
Par le plaisir et le génie,
Fuyait les pompes de la cour…

 

Victor Hugo: « La pente de la rêverie », Les Feuilles d’automne

Paris, les grands ormeaux, maison, dôme, chaumière,
Tout flottait à mes yeux dans la riche lumière
De cet astre de mai dont le rayon charmant
Au bout de tout brin d’herbe allume un diamant !
Je me laissais aller à ces trois harmonies,
Printemps, matin, enfance, en ma retraite unies ;
La Seine, ainsi que moi, laissait son flot vermeil
Suivre nonchalamment sa pente, et le soleil
Faisait évaporer à la fois sur les grèves
L’eau du fleuve en brouillards et ma pensée en rêves !

Billet: les temps modernes

 

Bureaux à l’ouest et logements à l’est
Entre les deux l’express bondé s’enfonce
Trisyllabique acronyme RER
Dans les tunnels qui traversent Paris

En regagnant la firme esclavagiste
Et le quartier dénommé La Défense
Les galériens n’ont pas le cœur à rire
Leur cas est grave il ne fait qu’empirer

On leur promet plus de wagons plus vastes
A double pont l’annonce paraît fausse
Le matériel rénové reste rare
Trains moins fréquents que ce qu’ils espéraient

Trop comprimés dans les rames vétustes
Ils sont pressés de refaire surface
Mais dans les tours à la haute carrure
Le stress est là qui n’a pas disparu

Ils bossent dur attachés à leur poste
Le bénéfice est fait de sacrifices
Ils ne voient pas le couchant ni l’aurore
La paye au bout ce n’est pas le Pérou

 

Sur le RER A (métro est-ouest dénommé Réseau Express Régional qui traverse la région parisienne en passant par Paris), deux nouvelles rames inaugurées par Nicolas Sarkozy ont fait un premier aller-retour le 5 décembre 2011. Dans un discours à La Défense, Nicolas Sarkozy s’est félicité du confort et de la sécurité de ce matériel, tout en reconnaissant que des difficultés demeuraient et en suggérant de modifier la co-exploitation des RER A et B par la RATP et la SNCF.
La ligne A, l’une des lignes les plus fréquentées du monde, assure quotidiennement le transport de plus d’un million de voyageurs. L’augmentation de son trafic global, de 20 % sur les dix dernières années, est l’un des principaux aspects de la saturation des réseaux régulièrement dénoncée par les usagers. Il a été prévu qu’à partir de 2014, 60 à 70 rames à deux niveaux et dotés de caméras de vidéosurveillance vont remplacer des trains simples, faisant passer le nombre de places assises de 432 à 948 et la capacité de 1 684 à 2 600 personnes par train. La disparition totale des trains à un seul niveau du RER A étant programmée pour 2017.
Au sujet de cette opération, un rapport très sévère de la Cour des comptes a été révélé fin novembre 2012 par Le Monde. Au cœur des critiques : la pratique de la RATP  pour attribuer le marché du renouvellement de 130 rames du RER A. La commande passée en avril 2009 par la Régie à Alstom-Bombardier n’a pas permis de faire jouer la concurrence, d’après le rapport.  En cause : la volonté de la RATP de commander un matériel aussi proche que possible des trains déjà en service, et construits par le groupement Alstom-Bombardier, pour respecter la promesse présidentielle de livrer en un temps record 65 trains. Ce qui a pu favoriser ce groupement au détriment de concurrents potentiels, dont aucun n’a présenté d’offre alternative. La Cour des comptes a critiqué également la méthode de négociation de la RATP qui a dissimulé la vérité des prix à son conseil d’administration en diffusant « des coûts prévisionnels très inférieurs à l’estimation réelle», et ce « en toute connaissance de cause ».  Un leurre qui, selon la direction de l’entreprise, était censé dissuader les industriels de présenter des offres trop chères. Mais la Cour des comptes a considéré que le bas niveau de l’estimation a pu dissuader les industriels autres qu’Alstom-Bombardier de déposer une offre. Dans la lettre jointe au rapport, datée du 30 août et destinée à Gilles Carrez, président (UMP) de la commission des finances de l’Assemblée nationale, le premier président de la Cour a observé que cette absence de concurrence largement prévisible n’a pas été propice à l’obtention de conditions financières favorables à la RATP, qui, avec l’offre d’une seule entreprise, n’était pas en position de force pour négocier.
Alors que l’estimation établissait le coût par train à 20 millions d’euros, l’offre réelle d’Alstom a atteint plus de 25,8 millions d’euros par train lors de la signature du marché en 2009. Après s’être engagé à payer la moitié du marché sur la base du coût prévisionnel annoncé par la RATP en 2008, c’est-à-dire à verser 650 millions d’euros, le STIF (le Syndicat des Transports d’Ile-de-France, autorité organisatrice des transports dans la région), qui avait « pour la première fois accepté de cofinancer un programme majeur d’acquisition de matériel », a refusé de revoir sa contribution à la hausse quand le prix réel total a été réévalué à 2 milliards d’euros en 2012 et que l’offre réelle d’Alstom a atteint plus de 25,8 millions d’euros par train. La RATP a tenté d’obtenir une participation paritaire du STIF sur la base du coût réel. Elle a essuyé un refus, et s’est vue contrainte de prendre à sa charge190 millions d’euros supplémentaires.
Finalement, la RATP a confirmé fin juin 2012 l’acquisition auprès du groupement Alstom-Bombardier de 70 nouvelles rames pour la  ligne A du RER pour un milliard d’euros. « L’acquisition de ces 70 éléments supplémentaires va permettre, d’ici 2017, de remplacer le plus vieux matériel en service sur la ligne », a indiqué la RATP dans un communiqué, en précisant que cet achat s’inscrit dans un programme d’acquisition de 130 rames identiques représentant un coût total de plus de 2 milliards d’euros. Ce programme est financé à hauteur de 1,35 milliard d’euros par la RATP et pour 650 millions d’euros par le STIF.
Les informations qui précèdent sont tirées de plusieurs articles, publiés par le journal 20 minutes des 6 décembre 2011, 29 juin 2012 et 27 décembre 2012, et par le journal Le Monde sur internet (daté du 27 novembre 2012, mis à jour le 19 décembre 2012).
Le traitement de ce dossier donne l’impression que les autorités publiques, notamment celles qui sont responsables des transports en Ile-de-France, ont du mal à comprendre la gravité du problème.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: mieux vaut aimer le bien que détester le mal

Sans phrase accentuant les mots de la chanson
Ni phrase alourdissant le sens et la leçon
Mieux vaut chérir le vrai que haïr le mensonge
Non dans l’ostentation mais dans l’anonymat
Mieux vaut aimer le bien que détester le mal

Au lieu de consumer son esprit en pamphlets
Dénonçant à l’envi le brillant des reflets
Mieux vaut trouver du beau sous l’apparence laide
Chercher la qualité masquée par le défaut
Préférer le bienfait au blâme de la faute

Heureux celui qui sait en suivant ce penchant
Plutôt que fustiger le mauvais le méchant
Rendre justice aux bons à ceux qui portent chance
En élevant notre âme à leur niveau pourvu
Que nous en ayons une en vrai pas en gravure

Je m’exhorte moi-même en cette plaidoirie
Mieux vaut l’admiration qui laisse le mépris
S’égarer dans le fond des erreurs des méprises
Pour devenir meilleur il est sûr qu’il vaut mieux
Renoncer au plaisir des fiertés dédaigneuses

Pour se plaire au bonheur et non pas au chagrin
Prendre  part à la joie qui rend l’autre serein
Plutôt qu’à la douleur la colère ou la crainte
Et dans ce monde brut redire que les doux
Posséderont le ciel et la terre sans doute

La haine, y compris celle que l’on ressent contre le mal, « ne saurait être si petite qu’elle ne nuise ; et elle n’est jamais sans tristesse. Je dis qu’elle ne saurait être trop petite, à cause que nous ne sommes incités par la haine du mal que nous ne le puissions être encore mieux par l’amour du bien auquel il est contraire… » (Descartes, Les Passions de l’âme, article 140).
« Dans les rencontres de la vie, où nous ne pouvons éviter le hasard d’être trompés, nous faisons toujours beaucoup mieux de pencher vers les passions qui tendent au bien que vers celles qui regardent le mal, encore que ce ne soit que pour l’éviter » (Descartes, Les Passions de l’âme, article 142).

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: rondeau pour le nouvel an

 

La poésie est comme une oraison
Souvent louange et quelquefois demande
Au jour de l’an cette comparaison
Donne à mes voeux le rythme qui les scande

Ces quelques vers ne sont pas de commande
J’exprime ici quelle en est la raison
La poésie est comme une oraison
Souvent louange et quelquefois demande

En mes souhaits j’aimerais qu’on entende
L’espoir la vie la joie des floraisons
L’enfance tendre et qui devient plus grande
Les mots plus beaux lorsque dans leur offrande
La poésie est comme une oraison

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: les sapins de Noël

La pépinière en nombre a déstocké
Les plants sur pied cultivés en lopins
Dont la récolte ébauche des clairières

Comme toujours Noël a convoqué
Chez les humains l’assemblée des sapins
Mais on attend la neige costumière

Les persistants sont là prêts à troquer
Leur habit vert contre un brillant pourpoint
Fait de grésil par une dentelière

L’hiver délivre un souvenir bloqué
Dans un passé que la saison repeint
De fraîche date et d’impressions premières

Décorer l’arbre est façon d’évoquer
Les froids d’antan les vosgiens les alpins
Tantôt poudrés d’une blanche poussière

Tantôt glacés certains font suffoquer
Parés de gui dans un air cristallin
Scintillant tous de givre et de lumière

Pour ceux qui aiment les sapins de Noël, en particulier parce qu’ils évoquent des souvenirs d’enfance, le choix de l’arbre met en jeu plusieurs critères : les qualités aromatiques, la forme (avec des branches bien réparties et une flèche au sommet), la tenue des aiguilles lorsque l’arbre est coupé…  Jusqu’à une date récente, le «sapin» de Noël était majoritairement, non pas un sapin (abies alba), arbre européen le plus haut qui peut atteindre plus de cinquante mètres et vivre jusqu’à cinq cents ans, mais un épicéa (picea abies), à croissance rapide. Le sapin de Nordmann (abies nordmanniana), apparu plus récemment sur le marché et en constante progression, proche d’abies alba, garde ses aiguilles plus longtemps que l’épicéa. Il paraît qu’il faut entre six et huit ans pour qu’il acquière la taille d’un sapin de Noël. Au Canada, on utilise le sapin baumier qui dégage une odeur balsamique (abies balsamea). Dans ce pays, une autre essence est aussi utilisée, le sapin Fraser (abies fraseri), qui n’est pas parfumé mais conserve mieux sa «parure», comme dit la chanson.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: le travail du dimanche

 

 

 

Les jours ouvrés quand bourdonne la ruche

Guêpier parfois de la ville et des rues

Le travailleur turbine bosse ou buche

Dans les efforts il en est tant qui bronchent

Qui prennent l’eau qui ne tournent pas rond

 

Il est des soirs où celui qui se couche

Espère en rêve un réveil sans à-coups

Sans café noir trop amer dans la bouche

Tous les matins c’est à nouveau l’embauche

Et le turbin n’est pas forcément beau

 

Celui qui veut travailler le dimanche

Pour gagner plus va très étourdiment

Laisser son chef  lui retrousser les manches

Et les clients n’en seront pas plus riches

Ceux qui le croient mieux vaudrait qu’ils en rient

 

Il faut un jour pour faire un peu relâche

Et ralentir les corps et les cœurs las

Qui s’exténuent sous les coups de cravache

Ne pas toujours s’échiner sur la brèche

Mais prendre l’air dans une roseraie

 

***

 

Il est question de réformer à nouveau le régime applicable au travail du dimanche, pourtant déjà remanié en 2009. Un rapport sur ce sujet a été remis au premier ministre le 3 décembre 2013. L’idée serait, dit-on, de trouver un juste milieu entre trois objectifs:

          surcroît de souplesse pour répondre aux attentes des commerces et des consommateurs, y compris les touristes ;

          amélioration de la situation des salariés par l’octroi de contreparties au travail du dimanche et par la suppression des inégalités de traitement ;

     clarification afin de mettre fin à la confusion résultant de la grande diversité des régimes applicables…

 

Vaste programme, sachant que :

          les consommateurs favorables au travail du dimanche (pour les autres) sont aussi des salariés favorables au repos dominical (pour eux-mêmes);

  les salariés et les syndicats veulent des contreparties (salaire plus élevé, repos compensateur….), mais les employeurs ne veulent pas qu’elles mettent en difficulté les commerces ;

          le volontariat est posé en principe, mais on sait bien que dans les rapports inégaux entre employeurs et employés, le volontariat devient vite une obligation de fait.

 


Pour l’éditorial du Monde daté du 4 décembre, les groupes de pression risquent fort d’aggraver l’« imbroglio dominical », et le Parlement ne sera pas en reste : « quand il sera appelé à appelé à examiner le texte annoncé, nul doute qu’il sera, comme en 2009, le théâtre d’un intense lobbying ».

 Pour le journal Les Echos du 3 décembre 2013, « le principe du repos dominical est réaffirmé, mais le rapport veut étendre les zones où le travail sera autorisé ».

 

Bref, les exceptions vont confirmer la règle, et des dérogations encore plus larges vont la confirmer encore davantage !

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: ballade des putains de Paris

 

 

 

Fille de peine ou de joie mais putain

Belle escorteuse ou péripatétique

Faisant la ronde autour du libertin

Soi disant tel mais d’humeur putassière

Grand amateur de leurs corps élastiques

Il est douteux qu’elles soient jacassières

La vérité ne sera pas publique

 

Elles tiendraient le mac entre leurs mains

En dévoilant ses mœurs proxénétiques

Aucune hélas ne prendra ce chemin

Les mots rapport performance boursière

Vont prudemment rester anatomiques

Dans le déni des dessous pécuniaires

La vérité ne sera pas publique

 

Désir plaisir ne sont que baratin

La liberté prétexte pathétique

Aux transactions prestations de catins

Achats de sexe et de rondeurs fessières

Ventes de chairs aux formes pneumatiques

Traite trafics de putes sans frontières

La vérité ne sera pas publique

 

L’amour vénal est un mal vénérien

Mais on prétend qu’il peut être hygiénique

Et le client le pauvre galantin

Qui se croit mec se frotte à la misère

Du sexe usé dans ce commerce antique

Ce sont des faits dont nul ne sera fier

La vérité ne sera pas publique

 

 

Les journalistes Christophe Deloire et Christophe Dubois ont publié en 2006 aux éditions Albin Michel un livre intitulé Sexus Politicus qui a eu sans doute un certain nombre de lecteurs, mais beaucoup trop peu si l’on en juge par les péripéties qui ont agité depuis cette date la vie politique française. En particulier, on peut trouver ahurissante la campagne médiatique menée en faveur du pré-candidat DSK et les sondages obtenus par lui, alors que Sexus Politicus, même  pour un lecteur peu averti, annonçait clairement une catastrophe en cas d’élection.

Depuis cette affaire DSK, on a redécouvert la prostitution et le proxénétisme dans les hôtels, ainsi que l’hypocrisie glauque d’un  prétendu « libertinage ».

 

Il est question à présent d’une proposition de loi visant à sanctionner les clients des prostituées (sans interdire formellement la prostitution!).

Le journal Causeur (dans son numéro de novembre) et son site internet causeur.fr à partir du 30 octobre se sont « mobilisés » contre cette proposition de loi. Il a publié un manifeste des 343 « salauds » (« Touche pas à ma pute ») inspiré notamment par F. Beigbeder de Lui, et lancé une pétition, en utilisant les mots de précédentes campagnes pour l’avortement et contre le racisme. Causeur prétend que « sous couvert de protéger les femmes, c’est une guerre contre les hommes, considérés comme des délinquants sexuels en puissance, qui a été ouverte » par la proposition de loi. Il affirme : « Nous ne défendons pas la prostitution, nous défendons la liberté ».

 

Touche pas à ma pute!

Texte du « manifeste des 343 salauds »

 

« En matière de prostitution, nous sommes croyants, pratiquants ou agnostiques.

Certains d’entre nous sont allés, vont, ou iront aux « putes » – et n’en ont même pas honte.

D’autres, sans  avoir été personnellement clients (pour des raisons qui ne regardent qu’eux), n’ont jamais eu et n’auront jamais le réflexe citoyen de dénoncer ceux de leurs proches qui ont recours à l’amour tarifé.

Homos ou hétéros, libertins ou monogames, fidèles ou volages, nous sommes des hommes. Cela ne fait pas de nous les frustrés, pervers ou psychopathes décrits par les partisans d’une répression déguisée en combat féministe. Qu’il nous arrive ou pas de payer pour des relations charnelles, nous ne saurions sous aucun prétexte nous passer du consentement de nos partenaires. Mais nous considérons que chacun a le droit de vendre librement ses charmes – et même d’aimer ça. Et nous refusons que des députés édictent des normes sur nos désirs et nos plaisirs.

Nous n’aimons ni  la violence, ni l’exploitation, ni le trafic des êtres humains. Et nous attendons de la puissance publique qu’elle mette tout en œuvre pour lutter contre les réseaux et sanctionner les maquereaux.

Nous aimons la liberté, la littérature et l’intimité. Et quand l’Etat s’occupe de nos fesses, elles sont toutes les trois en danger.

Aujourd’hui la prostitution, demain la pornographie : qu’interdira-t-on après-demain ?

Nous ne céderons pas aux ligues de vertu qui en veulent aux dames (et aux hommes) de petite vertu. Contre le sexuellement correct, nous entendons vivre en adultes.

Tous ensemble nous proclamons :

Touche pas à ma pute ! »

 

***

 

En mettant de côté les soupçons d’intérêts mercantiles (faire vendre les journaux Causeur et Lui), on comprend l’idée de départ, qui est de s’opposer au conformisme moral et au politiquement correct. Mais le conformisme moral n’aurait-il pas changé de camp ? Il est de bon ton, désormais, de se poser en esprit libre, en détournant la formule de saint Augustin « dilige et quod vis fac » (aime et fais ce que voudras).

 

Causeur cause en proclamant : « Nous défendons la liberté ». Il faut mettre en cause, à ce sujet, le mythe de la « geisha », cultivée, libre de disposer d’elle-même, un mythe qui encombre la tête de beaucoup de « salauds ». S’il y a un domaine où la liberté n’existe pas, c’est bien celui de la prostitution. C’est évident pour la prostituée qui vit sous la contrainte, c’est vrai aussi pour le client, prisonnier du désir de fric qui anime la putain et son souteneur.

 

Quant à l’intimité (« Nous aimons la liberté, la littérature et l’intimité »), ce n’est que littérature, effectivement. La prostitution, loin de relever de l’intime, se déploie dans l’espace public, comme on le voit aujourd’hui à Paris, par exemple. Le comble, c’est que beaucoup de bien-pensants demandent qu’elle reste dans les rues et les espaces verts, et même qu’elle s’y étende, sous prétexte qu’elle doit rester visible pour que leurs associations compatissantes (qui sont aussi des « lobbies ») puissent mieux s’en occuper !

 

Donc, les pouvoirs publics ont bien raison d’intervenir. Mais ils devraient le faire plus vigoureusement contre une activité oppressive accaparant l’espace public.

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: espionnage tous azimuts

A ce qu’on dit les murs ont des oreilles
Pas vu pas pris l’agent reste secret
Que cherche-t-il à mener des enquêtes
Manipuler des clés codes loquets

Percer à jour l’épaisseur des murailles
Mais sans prévoir ce qu’il y trouvera
L’indélicat des missions délicates
Voilà comment je définis son cas

L’ordinateur qui brouille et qui débrouille
Qui fait sauter n’importe quel verrou
Sert de cerveau pour gérer les écoutes
Qu’il analyse on ne sait pas jusqu’où

La fibre optique et toutes ses fibrilles
Livrent nos vies et nul n’est à l’abri
L’argos au ciel ne nous tient jamais quitte
Le satellite épie n’importe qui

L’électronique en masse en vrac recueille
Tant d’éléments mais sans tête ni queue
Sous le fardeau de données si nombreuses
L’espion de tout reste-t-il dangereux

 

***

Depuis la fin du mois d’octobre, la presse parle abondamment de l’espionnage électronique que les Etats-Unis pratiquent vis-à-vis de leurs alliés. Un espionnage de masse, mais aussi au sommet, dont se plaignent notamment les dirigeants allemands et français, et qui peut faire penser aux nouvelles manières de pêche consistant à ramasser tout ce qui peut se trouver à la portée d’énormes filets, en raclant même les grands fonds.

Cela dit, à première vue, on pourrait être rassuré par quelques anecdotes qui montrent l’efficacité persistante d’anciennes méthodes encore en usage, d’où il ressort que l’électronique dernier cri à grande échelle est loin de suffire: par exemple l’utilisation des ambassades comme nids d’espions proches des cibles à espionner,  comme aux beaux jours de la guerre froide; ou encore l’usage de procédés rustiques comme le recours aux simples oreilles humaines pour écouter les conversations dans les moyens de transport collectifs, trains ou avions, où, bizarrement, même les plus avertis se sentent suffisamment en confiance pour s’épancher. On apprend aussi que dans leur nouveau monde sophistiqué, les nouveaux espions utilisent leurs moyens, de manière classique mais ridicule, pour espionner les appels téléphoniques et les courriers électroniques de leurs conjoints. Bref, « tout ça pour ça ! »

Plus sérieusement, en fin de compte, la question fondamentale qui se pose, au-delà de l’indignation facile, est de savoir si l’espionnage électronique de masse porte ou non en lui son propre étouffement par l’excès de données collectées mais impossibles à digérer tant leur volume est énorme.

Dominique Thiébaut Lemaire

 

 

 

 

 

 

 

Billet: l’admiration et l’étonnement

 

 

L’enfant tout jeune encore est intrigué se tait

Ne sachant qu’en penser la chose est incertaine

Il regarde attentif l’appareil de photo

Cet objet mystérieux dont l’objectif l’étonne

 

Il trouvera plus tard les secrets incompris

De ce noir instrument qui reste une surprise

Il voit posés sur lui des regards chaleureux

Remue alors les mains dans une ambiance heureuse

 

Il se sent rassuré quand ses parents l’admirent

Et que ses grands-parents de même s’émerveillent

Dans un contentement qui vaut une alchimie

 

Je me dis en tout cas que face au nouveau monde

Pour comprendre il est bon que l’enfant qui s’éveille

Apprenne en s’étonnant plus que par des sermons

 

***

 

L’admiration est la première des six passions fondamentales distinguées par Descartes, avant le désir, la tristesse et la joie, la haine et l’amour. C’est, d’après le philosophe, la passion qui mène à la connaissance. Suivant le vieux sens du mot, Descartes estime qu’elle n’a pas le bien comme objet, contrairement au sens actuel (joie devant ce qui est jugé grand ou beau).


***

« Lorsque la première rencontre de quelque objet nous surprend, et que nous le jugeons être nouveau, ou fort différent de ce que nous connaissions auparavant, ou bien de ce que nous supposions qu’il devrait être, cela fait que nous l’admirons et en sommes étonnés » (Les Passions de l’âme, article 53).

« Et cette passion a ceci de particulier qu’on ne remarque point qu’elle soit accompagnée d’aucun changement qui arrive dans le cœur et le sang, ainsi que les autres passions. Dont la raison est que, n’ayant pas le bien ni le mal pour objet, mais seulement la connaissance de la chose qu’on admire, elle n’a point de rapport avec le cœur et le sang, desquels dépend tout le bien du corps, mais seulement avec le cerveau, où sont les organes des sens qui servent à cette connaissance » (Les Passions de l’âme, article 71).

« Ce qui n’empêche pas qu’elle n’ait beaucoup de force à cause de la surprise, c’est-à-dire de l’arrivement subit et inopiné de l’impression qui change le mouvement des esprits: laquelle surprise est propre et particulière à cette passion » (Les Passions de l’âme, article 72).

« Et on peut dire en particulier de l’admiration qu’elle est utile, en ce qu’elle fait que nous apprenons et retenons dans notre mémoire les choses que nous avons auparavant ignorées…Et les autres passions peuvent servir pour faire qu’on remarque les choses qui paraissent bonnes ou mauvaises: mais nous n’avons que l’admiration pour celles qui paraissent seulement rares. Aussi voyons-nous que ceux qui n’ont aucune inclination naturelle à cette passion sont ordinairement fort ignorants » (Les Passions de l’âme, article 75).

***

Dominique Thiébaut Lemaire

Apologues cartésiens. Par Dominique Thiébaut Lemaire

 

LA METHODE

Sans esbroufe il n’est pas de ceux qui se rengorgent
D’être dans l’exception c’est un être médian
L’inconnu citoyen c’est rare qu’il diverge
De la masse moyenne et qu’il plaise aux médias

On croit qu’il fait partie des moutons de Panurge
Il ne se montre pas soucieux d’y remédier
Ni de se mesurer sur ceux qui sont en marge
Le démuni le riche ou l’astucieux l’idiot

C’en est fini dit-on des grands hommes démiurges
La grandeur n’est plus rien qu’une vieille formule
N’aimez que ceux d’en bas ceux que la vie submerge

Mais sourd à ce conseil le bon sens informel
Ne craint pas de choisir pour les plus hautes charges
Un homme ayant raison de se vouloir normal

« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes; et ainsi, que la diversité de nos opinions ne vient pas que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices, aussi bien que des plus grandes vertus; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage, s’ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, et qui s’en éloignent. » (Descartes, Discours de la méthode, première partie)

***

Raccommodés dans d’étroites murailles
Et rapiécés sur plusieurs fondations
Mal ordonnés parfois même en pagaille
Serrant les rues dans leurs complications

Les bâtiments résultant du travail
De plus d’un maître ont moins de perfection
Que ceux d’un seul en grand comme en détail
Doués par lui d’uniques proportions

De même on voit laissant les ombres vieilles
De ceux qui font du neuf avec l’ancien
Le philosophe oser sans qu’il s’effraye

Sans compromis poète et logicien
Suivant le plan d’un seul esprit le sien
Dans sa maison faire entrer le soleil

« … Souvent il n’y a pas tant de perfection dans les ouvrages composés de plusieurs pièces, et faits de la main de divers maîtres, qu’en ceux auxquels un seul a travaillé. Ainsi voit-on que les bâtiments qu’un seul architecte a entrepris et achevés ont coutume d’être plus beaux et mieux ordonnés que ceux que plusieurs ont tâché de raccommoder, en faisant servir de vieilles murailles qui avaient été bâties à d’autres fins. Ainsi ces anciennes cités qui, n’ayant été au commencement que des bourgades, sont devenues par succession de temps de grandes villes, sont ordinairement si mal compassées, au prix de ces places régulières qu’un ingénieur trace à sa fantaisie dans une plaine, qu’encore que, considérant leurs édifices chacun à part, on y trouve souvent autant ou plus d’art qu’en ceux des autres, toutefois, à voir comme ils sont arrangés, ici un grand, là un petit, et comme ils rendent les rues courbées et inégales, on dirait que c’est plutôt la fortune que la volonté de quelques hommes usant de raison, qui les a ainsi disposés…Et ainsi je pensai que les sciences des livres, au moins celles dont les raisons ne sont que probables, et qui n’ont aucunes démonstrations, s’étant composées et grossies peu à peu des opinions de plusieurs diverses personnes, ne sont point si approchantes de la vérité que les simples raisonnements que peut faire naturellement un homme de bon sens touchant les choses qui se présentent…. » (Discours de la méthode, deuxième partie)

 

***

Le penseur expliquant sa démarche et méthode
Evoque un voyageur dans les signes codés
D’une forêt perdue ses repentirs prudents
Son errance qui tourne en pleine solitude

Avance fermement sans aucune incartade
Lui dit-il droit devant sans vouloir t’évader
De ta résolution sans pause en attendant
Qu’une clairière en clair devant tes pas s’étende

Encore que ce soit le hasard ou le doute
Qui t’ait donné ce cap continue de bon gré
Quand la vie ne veut pas que l’on tarde et médite

C’est la règle qu’il donne aux hommes pérégrins
Incertains du chemin du lieu et de la date
La règle abolissant les remords et regrets

 « Ma seconde maxime était d’être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pourrais, et de ne suivre pas moins constamment les opinions les plus douteuses, lorsque je m’y serais une fois déterminé, que si elles eussent été très assurées. Imitant en ceci les voyageurs qui, se trouvant égarés en quelque forêt, ne doivent pas errer en tournoyant, tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, ni encore moins s’arrêter en une place, mais toujours marcher le plus droit qu’ils peuvent vers un même côté, et ne le changer point pour de faibles raisons, encore que ce n’ait peut-être été au commencement que le hasard seul qui les ait déterminés à le choisir: car, par ce moyen, s’ils ne vont justement où ils désirent, ils arriveront à la fin quelque part, où vraisemblablement ils seront mieux que dans le milieu d’une forêt. Et ainsi, les actions de la vie ne souffrant souvent aucun délai, c’est une vérité très certaine que, lorsqu’il n’est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opinions… nous devons néanmoins nous déterminer à quelques-unes, et les considérer après, non plus comme douteuses, en tant qu’elles se rapportent à la pratique, mais comme très vraies et très certaines…Et ceci fut capable dès lors de me délivrer de tous les repentirs et remords… » (Discours de la méthode, troisième partie)

 

***

Rien n’est moins sûr que ce monde où les sages
Du haut d’un moi se dégageant du ça
Cherchent l’appui qui ne soit pas du songe
Evanescent comme un air de chanson

Un doute noir leur passe le message
Que dans ce monde où ils sont en deçà
Des vérités tout n’est que du mensonge
Dans le non-être et la contrefaçon

Mais pour penser que toute chose est fausse
Il faut quelqu’un qui réfléchisse il faut
Une âme au moins pour qu’un penseur existe

Un argument si clair et si distinct
Qu’il apparaît sans un défaut sans faute
Comme une idée parente des cristaux


 « J’avais dès longtemps remarqué que, pour les mœurs, il est besoin quelquefois de suivre des opinions qu’on sait fort incertaines, tout de même que si elles étaient indubitables, ainsi qu’il a été dit ci-dessus; mais, parce qu’alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu’il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse, comme absolument faux, tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute afin de voir s’il ne resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui fût entièrement indubitable…Considérant que toutes les mêmes pensées, que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir, quand nous dormons, sans qu’il y en ait aucune, pour lors, qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m’étaient jamais entrées en l’esprit n’étaient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité :je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais.
Puis, examinant avec attention ce que j’étais, et voyant que je pouvais feindre que je n’avais aucun corps, et qu’il n’y avait aucun monde, ni aucun lieu où je fusse; mais que je ne pouvais pas feindre, pour cela, que je n’étais point; et qu’au contraire, de cela même que je pensais à douter de la vérité des autres choses, il suivait très évidemment et très certainement que j’étais; au lieu que, si j’eusse seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que j’avais jamais imaginé eût été vrai, je n’avais aucune raison de croire que j’eusse été : je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui, pour être, n’a besoin d’au­cun lieu, ni ne dépend d’aucune chose matérielle…
Après cela, je considérai en général ce qui est requis à une proposition pour être vraie et certaine; car, puisque je venais d’en trouver une que je savais être telle, je pensai que je devais aussi savoir en quoi consiste cette certitude. Et ayant remarqué qu’il n’y a rien du tout en ceci : je pense, donc je suis, qui m’assure que je dis la vérité, sinon que je vois très clairement que, pour penser, il faut être : je jugeai que je pouvais prendre pour règle générale, que les choses que nous concevons fort claire­ment et fort distinctement sont toutes vraies; mais qu’il y a seulement quelque diffi­culté à bien remarquer quelles sont celles que nous concevons distinctement. » (Discours de la méthode, quatrième partie)

***

Comme on voit dans un arbre à partir de son pied
Monter vers le sommet liane grimpante un lierre
Plus haut qu’une glycine habiller le houppier
Plus haut jusqu’à vouloir se passer de matière

Sans pouvoir pour autant dépasser le cimier
De cet arbre porteur sa tête et sa crinière
Sans pouvoir dans le ciel devenir plus altier
Vers la culmination de la clarté première

Ainsi l’admirateur d’une œuvre singulière
S’il n’invente à son tour après l’avoir copiée
Ne pourra s’élever plus près de la lumière

S’il n’a sa propre cime et sa hauteur faîtière
D’où prenne son envol fût-elle de papier
L’aile de ses idées jusqu’alors buissonnières

 

 « …Je ne m’étonne aucunement des extravagances qu’on attribue à tous ces anciens Philosophes, dont nous n’avons pas les écrits, ni ne juge pas, pour cela, que leurs pensées aient été fort déraisonnables, vu qu’ils étaient les meilleurs esprits de leur temps, mais seulement qu’on nous les a mal rapportées. Comme on voit aussi que presque jamais il n’est arrivé qu’aucun de leurs sectateurs les ait surpassés ; et je m’assure que les plus passionnés de ceux qui suivent maintenant Aristote se croiraient heureux, s’ils avaient autant de connaissance de la nature qu’il en a eu, encore même que ce fût à condition qu’ils n’en auraient jamais davantage. Ils sont comme le lierre, qui ne tend point à monter plus haut que les arbres qui le soutiennent, et même souvent qui redescend, après qu’il est parvenu jusques à leur faîte ; car il me semble aussi que ceux-là redescendent, c’est-à-dire qu’ils se rendent en quelque façon moins savants que s’ils s’abstenaient d’étudier, lesquels, non contents de savoir tout ce qui est intelligiblement expliqué dans leur auteur, veulent, outre cela, y trouver la solution de plusieurs difficultés, dont il ne dit rien, et auxquelles il n’a peut-être jamais pensé. » (Discours de la méthode, sixième partie)

LES PASSIONS

L’admiration et l’étonnement

L’enfant tout jeune encore est intrigué se tait
Ne sachant qu’en penser la chose est incertaine
Il regarde attentif l’appareil de photo
Cet objet mystérieux dont l’objectif l’étonne

Il trouvera plus tard les secrets incompris
De ce noir instrument qui reste une surprise
Il voit posés sur lui des regards chaleureux
Remue alors les mains dans une ambiance heureuse

Il se sent rassuré quand ses parents l’admirent
Et que ses grands-parents de même s’émerveillent
Dans un contentement qui vaut une alchimie

Je me dis en tout cas que face au nouveau monde
Pour comprendre il est bon que l’enfant qui s’éveille
Apprenne en s’étonnant sans besoin de sermons

L’admiration est la première des six passions fondamentales distinguées par Descartes, avant le désir, la tristesse et la joie, la haine et l’amour. C’est, d’après le philosophe, la passion qui mène à la connaissance. Suivant le vieux sens du mot, il estime qu’elle n’a pas le bien pour objet, contrairement au sens actuel (joie devant ce qui est jugé grand ou beau).

« Lorsque la première rencontre de quelque objet nous surprend, et que nous le jugeons être nouveau, ou fort différent de ce que nous connaissions auparavant, ou bien de ce que nous supposions qu’il devrait être, cela fait que nous l’admirons et en sommes étonnés » (Descartes, Les Passions de l’âme, article 53).

« Et cette passion a ceci de particulier qu’on ne remarque point qu’elle soit accompagnée d’aucun changement qui arrive dans le cœur et le sang, ainsi que les autres passions. Dont la raison est que, n’ayant pas le bien ni le mal pour objet, mais seulement la connaissance de la chose qu’on admire, elle n’a point de rapport avec le cœur et le sang, desquels dépend tout le bien du corps, mais seulement avec le cerveau, où sont les organes des sens qui servent à cette connaissance » (Les Passions de l’âme, article 71).

« Ce qui n’empêche pas qu’elle n’ait beaucoup de force à cause de la surprise, c’est-à-dire de l’arrivement subit et inopiné de l’impression qui change le mouvement des esprits: laquelle surprise est propre et particulière à cette passion » (Les Passions de l’âme, article 72).

« Et on peut dire en particulier de l’admiration qu’elle est utile, en ce qu’elle fait que nous apprenons et retenons dans notre mémoire les choses que nous avons auparavant ignorées…Et les autres passions peuvent servir pour faire qu’on remarque les choses qui paraissent bonnes ou mauvaises: mais nous n’avons que l’admiration pour celles qui paraissent seulement rares. Aussi voyons-nous que ceux qui n’ont aucune inclination naturelle à cette passion sont ordinairement fort ignorants » (Les Passions de l’âme, article 75).


 L’amour et la haine

Sans phrase accentuant les mots de la chanson
Ni verbe alourdissant le sens et la leçon
Mieux vaut chérir le vrai que haïr le mensonge
Non dans l’ostentation mais dans l’anonymat
Mieux vaut aimer le bien que détester le mal

Au lieu de consumer son esprit en pamphlets
Dénonçant à l’envi le brillant des reflets
Mieux vaut trouver du beau sous l’apparence laide
Chercher la qualité masquée par le défaut
Préférer le bienfait au blâme de la faute

Heureux celui qui sait en suivant ce penchant
Plutôt que fustiger le mauvais le méchant
Rendre justice aux bons à ceux qui portent chance
En élevant notre âme à leur niveau pourvu
Que nous en ayons une en vrai pas en gravure

Je m’exhorte moi-même en cette plaidoirie
Mieux vaut l’admiration qui laisse le mépris
S’égarer dans le fond des erreurs des méprises
Pour devenir meilleur il est sûr qu’il vaut mieux
Renoncer au plaisir des fiertés dédaigneuses

Pour se plaire au bonheur et non pas au chagrin
Prendre  part à la joie qui rend l’autre serein
Plutôt qu’à la douleur la colère ou la crainte
En ce monde brutal redire que les doux
Posséderont le ciel et la terre sans doute

La haine, y compris celle que l’on ressent contre le mal, « ne saurait être si petite qu’elle ne nuise ; et elle n’est jamais sans tristesse. Je dis qu’elle ne saurait être trop petite, à cause que nous ne sommes incités par la haine du mal que nous ne le puissions être encore mieux par l’amour du bien auquel il est contraire… » (Descartes, Les Passions de l’âme, article 140).
« Dans les rencontres de la vie, où nous ne pouvons éviter le hasard d’être trompés, nous faisons toujours beaucoup mieux de pencher vers les passions qui tendent au bien que vers celles qui regardent le mal, encore que ce ne soit que pour l’éviter » (Les Passions de l’âme, article 142).

 

L’envie et la pitié

Mieux vaut bien sûr la pitié que l’envie
Qui peut aller très loin dans les sévices
L’envie tantôt belliqueuse ou servile
Que l’on verra se réjouir volontiers
Du mal d’autrui sans faire de quartier

Souvent cachée bien qu’elle se devine
Face au bonheur elle est l’inimitié
De la tristesse au fond de l’âme avide
On ne saurait là non plus l’amnistier
Mieux vaut bien sûr la pitié que l’envie

Les cœurs humains partagent cet avis
La compassion les flatte et les chavire
Mais le penseur au caractère entier
Reste distant quant à moi je m’avise
Qu’on aime mieux faire envie que pitié


 « Lorsqu’un bien ou un mal nous est représenté comme appartenant à d’autres hommes, nous pouvons les en estimer dignes ou indignes; et lorsque nous les en estimons dignes, cela excite en nous la joie, en tant que c’est pour nous quelque bien de voir que les choses arrivent comme elles doivent. Il y a seulement cette différence que la joie qui vient du bien est sérieuse, au lieu que celle qui vient du mal est accompagnée de rire et de moquerie. Mais si nous les en estimons indignes, le bien excite l’envie, et le mal la pitié, qui sont des espèces de tristesse… » (Descartes, Les passions de l’âme, art. 61 et 62).
« Ceux qui se sentent faibles et sujets aux adversités de la fortune semblent être plus enclins à cette passion que les autres, à cause qu’ils se représentant le mal d’autrui comme leur pouvant arriver ; et ainsi ils sont émus à la pitié plutôt par l’amour qu’ils se portent à eux-mêmes que par celle qu’ils ont pour les autres » (Les Passions de l’âme, article 186).

 

L’orgueil et l’humilité

Sur son visage un homme plein d’orgueil
Montre la joie de s’être trouvé mieux
Qu’un tabouret son trône est un fauteuil
Environné d’un murmure élogieux

Triste au contraire on la croirait en deuil
L’humilité marche en baissant les yeux
D’un air contrit d’un air qui se recueille
Mais sa vertu ne lui vient pas des cieux

L’un se voit grand l’autre se mésestime
Recto verso l’épaisseur d’une feuille
Nous fait passer de l’humble à l’orgueilleux

Ils ont tous deux le même manque intime
De l’un à l’autre il n’y a pas de seuil
La clairvoyance est absente au milieu

Descartes, Les Passions de l’âme:
« art. 155. En quoi consiste l’humilité vertueuse.
… L’humilité vertueuse ne consiste qu’en ce que la réflexion que nous faisons sur l’infirmité de notre nature et sur les fautes que nous pouvons autrefois avoir commises ou sommes capables de commettre, qui ne sont pas moindres que celles qui peuvent être commises par d’autres, est cause que nous ne nous préférons à personne, et que nous pensons que les autres ayant leur libre arbitre aussi bien que nous, ils en peuvent aussi bien user. »
« Art. 159. De l’humilité vicieuse.
… Elle consiste principalement en ce qu’on se sent faible ou peu résolu, et que, comme si on n’avait pas l’usage entier de son libre arbitre, on ne se peut empêcher de faire des choses dont on sait qu’on se repentira par après; puis aussi en ce qu’on croit ne pouvoir subsister par soi-même ni se passer de plusieurs choses dont l’acquisition dépend d’autrui. Ainsi elle est directement opposée à la générosité ; … au lieu que ceux qui ont l’esprit fort et généreux ne changent point d’humeur pour les prospérités ou adversités qui leur arrivent, ceux qui l’ont faible et abject ne sont conduits que par la fortune, et la prospérité ne les enfle pas moins que l’adversité les rend humbles. Même on voit souvent qu’ils s’abaissent honteusement auprès de ceux dont ils attendent quelque profit ou craignent quelque mal, et qu’au même temps ils s’élèvent insolemment au-dessus de ceux desquels ils n’espèrent ni ne craignent aucune chose.»
«.…Le vice vient ordinairement de l’ignorance, et …ce sont ceux qui se connaissent le moins qui sont les plus sujets à s’enorgueillir et à s’humilier plus qu’ils ne doivent » (Les Passions de l’âme, art.160).

Billet: le retour des saisons et la vie sans retour

 

 

 

Lorsqu’au printemps l’optimisme chantonne

Le cœur nouveau bat sans monotonie

Croit en un feu qui ne crée pas de cendre

Et son aurore est plus rose que sang

 

Lorsqu’en été le bref déluge étonne

Par sa vigueur dans l’orage tonnant

Surgit l’éclair faisant parler la poudre

On sent la foudre accélérer le pouls

 

Puis la saison des nuages d’automne

Etend parfois des voiles cotonneux

Mais forme aussi de puissantes escadres

Où le gris noir se teint de bleu muscat

 

Ce ne sont pas des nuées autochtones

Quelle énergie pourrait les cantonner

Comme exhalées par le souffle d’une hydre

Hors de la mer dans un cycle infini

 

Porteuses d’eau par vagues qui moutonnent

Il y a mieux pour emplir les tonneaux

C’est la vendange où loin de se morfondre

On oubliera que les jours se défont

 

S’en vient l’hiver dans la nature atone

Que la verdure aux beaux jours festonnait

La brume pâle et le froid semblent feindre

Une extinction mais ce n’est pas la fin

 

 

***

 

Ce poème est fondé en partie sur des mots qui riment avec automne, mais permettent d’évoquer aussi d’autres saisons. Les poètes du 19e siècle associent fréquemment à l’automne l’adjectif monotone dans lequel, phoniquement, le nom de cette saison se trouve inclus:

 

Victor Hugo dans « Oceano nox » (Les Rayons et les ombres) :

 

Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre

Dans l’étroit cimetière où l’écho nous répond,

Pas même un saule vert qui s’effeuille à l’automne,

Pas même la chanson naïve et monotone

Que chante un mendiant à l’angle d’un vieux pont !

 

Baudelaire dans « Chant d’automne » I (Les Fleurs du mal):

 

Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !

J’entends déjà tomber avec des chocs funèbres

Le bois retentissant sur le pavé des cours.

Il me semble, bercé par ce choc monotone,

Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.

Pour qui ? – C’était hier l’été ; voici l’automne !

Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

 

Verlaine dans «Nevermore » (Poèmes saturniens) :

 

Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone,

Et le soleil dardait un rayon monotone

Sur le bois jaunissant où la bise détone.

 

Verlaine dans « Chanson d’automne » (Poèmes saturniens) :

 

Les sanglots longs
Des violons

De l’automne

Blessent mon cœur

D’une langueur

Monotone.

 

Verlaine encore dans « Le son du cor s’afflige vers les bois » (Sagesse) :

 

Et l’air a l’air d’être un soupir d’automne,
Tant il fait doux par ce soir monotone

Où se dorlote un paysage lent.

 

Heredia dans « Tranquillus » (Les Trophées) :

 

C’est dans ce doux pays qu’a vécu Suétone ;
Et de l’humble villa voisine de Tibur,

Parmi la vigne, il reste encore un pan de mur,

Un arceau ruiné que le pampre festonne.

 

C’est là qu’il se plaisait à venir, chaque automne,
Loin de Rome, aux rayons des derniers ciels d’azur,

Vendanger ses ormeaux qu’alourdit le cep mûr.

Là sa vie a coulé tranquille et monotone.

 

Au-delà de son apparence métaphorique, le parallèle entre les saisons de la nature et celles de la vie humaine fait réfléchir à deux sortes de temps: celui de l’écoulement linéaire et celui de l’éternel retour.

Le temps cyclique des saisons a inspiré des méditations religieuses probablement très anciennes. On peut se demander si un thème tel que celui de la résurrection aurait pu apparaître et se développer dans des régions du globe dépourvues de saisons bien marquées. Il est banal de noter que, dans le christianisme, la naissance du Christ est placée au moment où les jours recommencent à s’allonger, et sa résurrection au moment où la végétation revit, tandis que la Toussaint et le jour des morts se trouvent au milieu de l’automne.

 

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: l’équinoxe

Entre fructidor et vendémiaire

 

Lorsque la nuit devient égale au jour
Que l’équinoxe en prélude rejoue

L’air de l’automne on ne sait de quel genre
Sera le ciel doux et calme ou changeant

L’astre soleil dans sa course horlogère
Fidèle suit l’horaire et le trajet
Mais quelquefois le climat fait surgir
Un temps fantasque et sans analogie

Communément vendémiaire majore
L’éclat voilé des plus beaux rayons jaunes
Comblant de fruits les hottes les cageots

La grive l’aime il plaît au vendangeur
Ce mois n’est pas une saison de jeûne
Entre lumière et tulle nuageux

 

Lune et soleil attirent l’océan

 

Lune et soleil attirent l’océan
De notre Terre où les deux équinoxes
Créent des marées laissant parfois béant

Le littoral qui ne reste pas fixe

Petite proche et lointain feu géant
L’une plus l’autre en tournant sur les axes
de cet ensemble aux mouvements complexes
Lune et soleil aspirent l’océan

Nés d’un secret détenu par quel sphinx
Ils ne sont pas retombés au néant
Depuis les mots du début fiat lux

Lune et soleil animent l’océan

 


***

 

L’équinoxe, du latin æquinoctium, de æquus (égal) et nox (nuit), est, comme on le sait, le moment où jour et nuit ont une durée égale, et où le soleil passe le même temps, douze heures, au-dessus et au-dessous de l’horizon pour tous les points de la surface terrestre. Le soleil se lève alors presque exactement à l’Est et se couche presque exactement à l’Ouest.

Deux équinoxes se produisent dans l’année, en mars (le 20 en 2013 et en 2014) et en septembre (le 22 en 2013, le 23 en 2014).

Les dates des équinoxes sont liées par convention aux débuts du printemps et de l’automne.

Dans le calendrier républicain français, ayant commencé le 22 septembre 1792, mis en place le 6 octobre 1793 et utilisé entre 1793 et 1805, l’année commençait lors de l’équinoxe de septembre, avec le début du mois de vendémiaire qui suivait le mois de fructidor. Le hasard avait fait que l’institution de la République, le lendemain de l’abolition de la royauté le 21 septembre 1792, ait lieu le jour de l’équinoxe d’automne.

Dans le phénomène des « marées d’équinoxe », il faut distinguer d’une part l’effet de l’alignement Lune-Terre-Soleil, qui a lieu toutes les deux semaines à la pleine lune et à la nouvelle lune, et d’autre part l’effet des équinoxes deux fois par an, lorsque le soleil se trouve à la verticale de l’équateur, alors qu’il est au-dessus du tropique du Cancer lors du solstice de juin et au-dessus du tropique du Capricorne lors du solstice de décembre.

Les marées les plus faibles de l’année se produisent normalement aux solstices, et les plus fortes aux équinoxes.

Lors de la pleine lune et de la nouvelle lune, c’est-à-dire lorsque la Lune et le Soleil sont alignés avec la Terre (on parle de « syzygie »), leurs attractions sur les masses liquides de notre planète s’additionnent et les marées sont de plus grande amplitude (vives-eaux). Au contraire, lors du premier et du dernier quartier, lorsque les trois « astres » sont en quadrature, l’amplitude est plus faible (mortes-eaux).

La Lune est beaucoup plus proche de la Terre que le Soleil, mais elle a une masse beaucoup plus petite, de telle sorte que les attractions ont des ordres de grandeur comparables : celle du Soleil est environ la moitié de celle de la Lune.

Le mouvement de marée n’est pas limité aux eaux, il affecte -bien que dans une moindre mesure – toute la croûte terrestre soulevée au passage (on parle de « marées crustales»). Ce qui est perçu sur les côtes est en fait la différence entre la marée crustale et la marée océanique.

 

 

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: au musée du Louvre, délinquance contre culture


De jeunes Danubiens dans le musée du Louvre
Entre les visiteurs se glissent pour la fouille
Bandes téléguidées rôdeurs à pas de loup

Ces voyous pickpockets qui se moquent des œuvres
Alias piqueurs-en-poche aiment les portefeuilles
Epluchés tels des fruits au contenu juteux

Dans ce temple de l’art qui devrait être un havre
On a vu les gardiens arrêter le travail
Excédés par les vols et parfois les crachats

Quelle est la politique enfin qu’il faudrait suivre
Afin d’arrêter ça faut-il qu’on embastille
Les  mineurs endurcis délit après délit

Narguant les surveillants dont la riposte est pauvre
Un mineur ne paie rien fût-il petit cow-boy
Il peut entrer gratis et piller le troupeau

Mais toujours la Joconde un fin sourire aux lèvres
Attire à elle en foule émus par la merveille
Ses dévots trop confiants dans un si beau palais

***

Depuis le début de 2012, au musée du Louvre, les voleurs à la tire, pour la plupart originaires d’Europe de l’est, en bandes organisées, ont été de plus en plus entreprenants contre les touristes et de plus en plus agressifs contre le personnel. Les visiteurs, concentrés sur les grandes œuvres, sont en général peu conscients d’être guettés par des groupes de jeunes aguerris à ce type de larcins.

Un article du journal Le Parisien, daté du 22 juillet 2012, avait dès cette date lancé l’alerte : « Au cours de la seule journée du 12 juillet, pas moins de 56 portefeuilles vides ont été retrouvés cachés dans le musée.»
« Il ne faut pas sombrer dans le catastrophisme », a répondu imprudemment la direction du Louvre en réponse à une question du journal. « Les équipes de sécurité ont été renforcées, notamment à proximité des files d’attente », et « nous travaillons chaque jour avec la préfecture de police. » Mais, parmi les employés, le malaise était sensible, assorti d’un désagréable sentiment d’impuissance : « Même si on repère ces jeunes, comment leur interdire l’accès ? s’interrogeait un employé. Un agent de sécurité qui a tenté de le faire a été frappé à coups de ceinture. » La direction du Louvre a fini par déposer plainte auprès du parquet de Paris, qui aurait ouvert une enquête en octobre 2012.

Un nouvel article du Parisien, publié le mercredi 10 avril 2013, a permis de mesurer la dégradation de la situation, dont toute la presse a rendu compte, en France et à l’étranger, car le Louvre, mesure exceptionnelle, a dû carrément fermer ce jour-là. Sur le millier d’agents qui travaillent au musée, et les 470 présents quotidiennement, beaucoup ont exercé leur « droit de retrait ».
D’après cet article, les agents d’accueil sont de plus en plus victimes d’agressions de la part de voleurs en bandes, que rien n’arrête, ont dénoncé les syndicats. Très souvent, ils sont encore mineurs, et peuvent entrer gratuitement dans le musée, ce qu’ils font «à 20 ou 30». Plusieurs membres du personnel ont fait état de violences verbales et même physiques. Ils évoquent par ailleurs des «visiteurs dévalisés qui se retrouvent sans papiers, déboussolés, dont les agents doivent s’occuper auprès des instances consulaires afin de les aider, ce qui n’est pas leur mission».
Après une assemblée générale, et une rencontre de l’intersyndicale (CGT-FO-SUD) avec la direction du musée, une délégation a été reçue au ministère de la culture. La ministre de la Culture s’est engagée à contacter immédiatement son homologue de l’Intérieur, «afin de mettre en place un dispositif de sécurité adapté… et des moyens policiers supplémentaires à l’extérieur du musée». La ministre devait aussi «sensibiliser le ministère de la Justice» au sujet de plusieurs plaintes classées sans suite, déposées par les agents et les visiteurs.
La préfecture de police de Paris a rapidement annoncé une série d’arrestations. Les policiers auraient procédé dès l’après-midi du 10 avril au contrôle de 21 individus aux abords du musée et interpellé 11 d’entre eux, arrêtés pour « escroquerie à la charité publique » et « vente à la sauvette ».
Le Louvre a rouvert le lendemain en présence d’une vingtaine de policiers en uniforme. Comme l’a dit l’administrateur général du Louvre Hervé Barbaret, la recrudescence des vols à la tire dans le musée « est totalement contradictoire avec ce qu’est un musée, un lieu de sérénité, de plaisir. »

Dans le même sens que Le Parisien, Le Monde.fr  a publié le 13 avril  2013 (mise à jour du 11 septembre 2013) un article intitulé « Le « ras-le-bol » des agents du Louvre face aux vols des mineurs roumains ». Cet article présente plusieurs témoignages. « Nous sommes dépassés par les événements, à bout de nerfs », souligne un représentant du personnel (CGT). « Certains collègues, notamment femmes, viennent travailler la peur au ventre », ajoute une déléguée syndicale SUD. Les agents racontent que … lorsqu’ils interviennent, ils s’exposent à des crachats, des bousculades, des griffures, des insultes ou des intimidations. L’un d’eux évoque des tentatives de corruption. « On m’a déjà dit: Je te file 20 euros et tu me laisses travailler… » Un autre donne l’exemple de jeunes filles qui relèvent leur tee-shirt pour déstabiliser et faire diversion.
A force de fréquenter le musée, les pickpockets finissent par connaître les horaires, les noms et les matricules des salariés grâce aux badges. « Certains agents ont peur de les croiser à l’extérieur et demandent à être raccompagnés au métro après une nocturne », raconte la secrétaire de la section CGT au Louvre.
Les pickpockets n’hésitent pas à manger et fumer dans certaines salles. « Tout ce qui est règlement est bafoué », résume un représentant  du personnel, qui déplore se retrouver « dans un rôle de flicage et de secourisme… Nos fonctions premières d’accueil des visiteurs et de présentation des œuvres passent à la trappe. » Pour les syndicats, entre 30 et 50 pickpockets arpentaient chaque jour les salles du musée avant la journée de grève. Selon la police, ces bandes organisées, qui comptent de nombreuses filles, sont constituées de personnes originaires de Roumanie et vivant en Seine-Saint-Denis.

Il est difficile de savoir combien de visiteurs sont victimes de vols. Souvent asiatiques, ils ont l’habitude de garder sur eux des sommes importantes en espèces. Ils ne portent pas toujours plainte au commissariat et se contentent de signaler le méfait à l’accueil du musée. Les plaintes pour vol recensées ne reflètent donc pas la réalité de la situation, et peu d’interpellations ont des conséquences judiciaires. Les voleurs sont souvent mineurs, ou du moins le prétendent. Au-dessous de 13 ans, impossible de les poursuivre.

A la suite de la journée du 10 avril 2013, une vingtaine de policiers ont surveillé les abords et l’entrée du musée. « Ce dispositif doit être pérennisé », ont demandé conjointement syndicats et direction. Pour l’administrateur général du Louvre, qui dit avoir fait de ce dossier sa priorité, il faut « accompagner » les agents, par le biais de formations, et réfléchir à une organisation différente, « peut-être en faisant travailler les agents de façon moins isolée. » En accord avec le parquet, des mesures d’interdiction temporaire d’entrée ont été appliquées aux personnes raccompagnées de manière répétée à la sortie pour non respect du règlement.
Depuis avril 2013, la préfecture de police de Paris a déployé 200 policiers supplémentaires sur les zones touristiques les plus touchées de Paris. L’augmentation des patrouilles de police, la présence de policiers roumains, la sécurisation des points de dépose des touristes voyageant par autocar ou Roissy-Bus ainsi que la coopération avec les hôteliers et les commerçants ont permis de diminuer un peu le nombre de victimes, sur l’ensemble des zones touristiques de Paris. Au Louvre, les plaintes auraient fortement baissé.

Mais on ne s’est pas attaqué à la racine du mal. D’après la secrétaire de la section CGT, citée par Le Monde,  » quand on met quelqu’un dehors, il peut revenir un quart d’heure plus tard. Dans ces conditions, à quoi bon aller passer une demi-journée au commissariat pour signaler une agression ?… Les agents ont besoin d’une assise juridique pour leur tranquillité. Il n’est pas normal qu’un voleur pris en flagrant délit mis à la porte du musée par un agent revienne quelques minutes plus tard parce que son billet est valable toute la journée. »

Espérons que cette situation ne préfigure pas celle de la France dans son ensemble, qui doit éviter le destin d’un pays-musée impuissant entre culture et délinquance.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: été en Bretagne

L’or et le bleu rayonnent sur la plage
Et sans nuage une rêverie plane
La saison peint ses couleurs en aplats

Sauf le soleil il n’est rien qui surplombe
Cette journée rien dans l’ombre ne plonge
Un grand beau temps s’installe avec aplomb

Dans cette baie qui abrite les plantes
Nageur l’été le surfeur fait la planche
La brise est douce et la vague est en plan

Bien tempérés ce sont des jours qui plaisent
Hôtellerie et crêperies sont pleines
Pour le mois d’août le bonheur est complet

Lorsque la terre et la mer sont complices
Et que l’horaire admet l’indiscipline
Sous l’azur clair qui ne fait pas un pli

***

Comme l’indiquent les bilans de l’été 2013 publiés sur internet par Météo France et par La Chaîne Info, après un mois de juin très frais et peu ensoleillé, l’été s’est rattrapé en juillet et août (troisième mois de juillet le plus chaud depuis 1900, après 2006 et 1983).

Les hautes pressions du fameux anticyclone des Açores se sont maintenus tout au long de juillet sur la France, garantissant chaleur et soleil (+ 1,9°C par rapport aux normales en ce qui concerne les températures et + 20 % en ce qui concerne l’ensoleillement), avec toutefois de forts orages. Si, au cours de ce mois, aucun record de chaleur absolu n’a été enregistré (35°C à Paris contre près de 40°C en août 2003), une vague de chaleur s’est produite du 15 au 27 juillet, d’intensité relativement modérée, mais qui a duré treize jours, ce qui la situe parmi les événements de ce type les plus longs sur l’ensemble de l’historique disponible (depuis 1947). A Paris, on a dénombré 7 journées d’affilée (du 17 au 23 juillet) où la température a atteint ou dépassé 30°C, ce qui n’était plus arrivé depuis juillet 2006, dernière vague de chaleur en date avant celle de cette année. Depuis 1991, début des mesures par capteur électronique, juillet 2013 a été le mois de juillet le plus ensoleillé.

Au mois d’août, les conditions sont restées excellentes, avec un soleil globalement généreux (+11%) et des températures légèrement supérieures aux moyennes saisonnières (+0,2°C). L’excédent d’ensoleillement a dépassé 20 % de la Basse-Normandie au sud de la Bretagne et à la région Poitou-Charentes. Contrairement à l’été 2006 et à celui de 1983 où après la chaleur de juillet, le mois d’août avait été frais et humide, un tel contraste ne s’est pas produit cette année, d’où un important déficit de pluies (-25% à l’échelle nationale, -60 % voire plus en Basse Normandie, en Bretagne, dans les pays de la Loire). Quelques orages ont tout de même éclaté, notamment entre les 6 et 9 août dans le Sud-est; et de fortes pluies se sont abattues entre la Picardie, le nord de l’Île-de-France et la Haute-Normandie les 7 et 8 et surtout les 24 et 25 août dernier où la température est devenue très provisoirement automnale.

Cet été 2013 restera dans les annales comme le plus « estival » depuis celui de 2003, qui avait culminé en août avec une canicule historique. Avant l’été, la presse avait pourtant cité des prévisionnistes annonçant un été maussade, en se fondant sur l’idée (mais est-elle confirmée par des statistiques ?) selon laquelle, après un printemps frais, il est rare d’avoir un bel été.

Le site internet de Météo France présente une mise au point sur les limites de la prévision saisonnière qui consiste à prévoir la moyenne trimestrielle (température, précipitations) pour les mois à venir, à l’échelle d’une zone comme la France.
Il ne s’agit pas de prévisions classiques (limitées à 7 jours) décrivant dans le détail des situations météorologiques : le type de temps, la température minimale et maximale, la force et la direction du vent. La prévision saisonnière exprime seulement le plus probable parmi trois scénarios: proche, en dessous ou au-dessus de la moyenne. Ce qui donne pour la température « chaud », « normal » ou «froid », et pour les précipitations, « humide », « normal » ou «sec».
Les performances de ces prévisions sont très variables selon le lieu, la saison et le paramètre météorologique concerné. Elles sont meilleures pour la température que pour les précipitations, et pour la température, meilleures en hiver qu’en été. Elles sont très « informatives » dans la ceinture inter-tropicale, sur le pourtour du Pacifique. En revanche, la prévisibilité de la température en Europe de l’Ouest reste faible, ce qui est dû aux caractéristiques de la circulation générale de l’atmosphère au-dessus de l’atlantique aux latitudes tempérées.

Cela dit, on aura beau affiner les chiffres, la perception du temps qu’il fait restera très diverse selon les individus et leurs conditions de vie. Selon que les locaux où l’on se trouve sont bien ou mal climatisés ou chauffés, selon qu’on travaille ou que l’on est en vacances. Pour ma part, à Paris, je suis toujours agacé, prêt à « zapper », quand je vois à la télévision les présentateurs ou présentatrices de la météo prendre des airs réjouis de circonstance dès que la température dépasse 25 C, seuil à partir duquel les immeubles, les espaces publics, les transports en commun commencent à surchauffer désagréablement comme des radiateurs à accumulation. Ce phénomène ne peut que s’accentuer à l’avenir, si l’on continue, à Paris et ailleurs, à bétonner et à recouvrir tous les espaces publics de ces dallages en pierre épaisse et moche, importée d’on ne sait où (de Chine ?), trop chaude l’été, trop froide l’hiver, qui semble être actuellement le fin du fin de l’aménagement urbain, transformant les places en lieux où « la nature a horreur du vide ». Je pense alors au sable d’une  plage.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: palmarès des nations (sport et universités)

On ne saisit qu’une ombre d’apparence
Quand on compare et que l’on met en rangs
Tous les pays pour un grand palmarès
Nous égarant dans l’illusion du vrai

Et derechef la presse fait chorus
Elle commente en long le dernier cru
Des classements aux finesses trop grosses
Où chaque Etat devient un numéro

Palmes lauriers récompenses de princes
Et de tous ceux qu’on aimerait sereins
Sportifs chercheurs la manie notatrice
Fait le total des médailles des prix

Dans ces concours au coude à coude aux trousses
Rivale en peine ou figure de proue
Chaque nation veut imprimer sa trace
Et gagne quoi malin qui le dira

***

Nous venons d’être informés du classement mondial des universités établi chaque année -en ce mois d’août 2013 pour la dixième fois- par l’université Jiao Tong de Shanghaï. Nous avons aussi eu droit à un championnat mondial d’athlétisme à Moscou, après les jeux olympiques de Londres l’an dernier.

Comme précédemment (voir le billet de Libres Feuillets du 19 août 2012 intitulé « Les résultats des JO de 2012 »), le palmarès sportif est faussé par le fait qu’on ne sait pas comment décompter les médailles, ou qu’on préfère ne pas en décider, peut-être à cause d’un scrupule hérité de l’ancienne idée selon laquelle l’important n’est pas de gagner mais de participer. Combien vaut une médaille de bronze ou d’argent par rapport à une médaille d’or? Sans réponse à cette question, à quoi bon présenter un classement?
D’après les seules médailles d’or de 2013, la Russie est première (7 médailles d’or, 4 d’argent, 6 de bronze), les Etats-Unis deuxièmes (6 médailles d’or, 14 d’argent, 5 de bronze), la Jamaïque troisième, où le contrôle anti-dopage est faible voire inexistant (6 médailles d’or, 2 d’argent, 1 de bronze), la France dixième (1 médaille d’or, 2 d’argent, 1 de bronze)…

S’agissant du palmarès universitaire mondial, dans l’ensemble des 500 établissements classés, on en compte 149 pour les Etats-Unis; 42 pour la Chine (mais aucun chinois dans les 100 premiers); 38 pour l’Allemagne; 37 pour le Royaume-Uni; 23 pour le Canada; 20 pour la France; 20 pour le Japon; 19 pour l’Italie.
Les défauts fondamentaux de ce palmarès restent obstinément les mêmes (voir le billet de Libres Feuillets publié le 19 août 2012 sous le titre « Universités, le classement de Shanghai »). En ce qui concerne la France et plusieurs autres pays, une part très importante de la production de recherche est escamotée, car il n’est pas tenu compte des résultats obtenus par les organismes autres que les universités: par exemple, en France, le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), pourtant au premier rang mondial pour les publications dans les domaines des sciences.
En outre, ce palmarès dépend beaucoup de la taille des entités classées (en fonction du nombre d’universitaires, du nombre d’articles publiés, du nombre d’articles cités …) C’est pourquoi plusieurs universités françaises se sont regroupées récemment: à Aix-Marseille, à Bordeaux, en Lorraine, à Strasbourg, grâce à quoi elles ont obtenu un rang meilleur, démontrant ainsi (par l’absurde?) l’importance de l’un des biais majeurs de ce classement.
Dans la mesure où celui-ci aurait l’ambition d’éclairer un étudiant désireux de faire le meilleur choix possible entre les universités de par le monde, il importerait de fournir des éléments sur le coût des études. De ce point de vue, les universités placées en tête du classement de Shanghai sont aussi bien souvent les plus chères, notamment celles d’Amérique du  Nord et du Royaume-Uni.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: naissance d’un enfant

Le quatre août deux mil treize est apparu Sacha
Dans le petit matin la nuit dormait encore
A la maternité rue du Sergent Bauchat
Sur la photo du jour il est beau comme un cœur

Les grands-parents dont moi dès que possible accourent
Il parle avec les doigts s’étire en petit chat
Quand on le voit ainsi la vie n’est plus précaire
Main menue sur le ventre il dort comme un pacha

Je me suis souvenu de quelques mots écrits
Lorsque son père est né même lieu temps solaire
Signe astral du lion bien que son premier cri

Fût doux comme un soupir de rauque délivrance
Accueilli lionceau par nos voix tutélaires
Qu’il écoutait tout neuf d’un air de souvenance

 

***

 

Dans ce sonnet, j’ai emprunté à l’une des grands-mères l’expression « il est beau comme un cœur », et à l’autre grand-mère la rime entre le prénom Sacha, diminutif d’Alexandre, et le nom de la rue du Sergent Bauchat, adresse de la maternité.

Les enfants qui viennent de naître ont une période pendant laquelle leurs sens sont particulièrement en éveil, notamment pour la reconnaissance des sons. Je me suis rappelé quelques vers écrits il y a plus de trente ans pour noter l’attention avec laquelle, à sa naissance, le père de Sacha a écouté nos voix qu’il reconnaissait à l’évidence, les ayant probablement mémorisées quand il était encore dans le ventre maternel. Sacha a manifesté la même capacité.

En parcourant L’Art d’être grand-père de Victor Hugo, j’ai noté quelques vers du poème V du début, intitulé « L’Autre »:
« … Ah ! les fils de nos fils nous enchantent.
Ce sont de jeunes voix matinales qui chantent…
Ils ramènent notre âme aux premières années ;
Ils font rouvrir en nous toutes nos fleurs fanées ;
Nous nous retrouvons doux, naïfs, heureux de rien ;
Le cœur serein s’emplit d’un rêve aérien ;
En les voyant on croit se voir soi-même éclore… »

 Les parents et grands-parents ont été eux aussi des enfants !

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: le dominicain et le jésuite

 

Frais débarqué dans la ville éternelle
-Il n’est pas dit d’où cet homme venait-
L’été à Rome un révérend jésuite

Qui s’échauffait dans d’étranges circuits
Cherchait Saint Pierre à travers les venelles

Où semblait fuir le but de sa poursuite


De guerre lasse il interroge un frère
Dominicain l’air ouvert mais discret

Lui demandant c’est presque une supplique
De bien vouloir éviter l’homélie

Pour expliquer par quel itinéraire
On peut trouver la grande basilique

 

L’autre répond ravi de l’intermède
Mon père hélas finirez-vous jamais
Votre recherche errante infructueuse

Vous aimez trop les parcours sinueux
J’en ai bien peur le mal est sans remède

Car c’est tout droit sans marche tortueuse

 

C’était le jour de la Saint Dominique
Fête changée presque en catimini
Quatre août naguère et maintenant le huit

Qu’on nous l’explique est-ce un coup des Jésuites

 

 

***

 

La fête de Saint Dominique, fixée au 4 août à partir de 1234, et au 8 août depuis le concile de Vatican II, donne l’occasion d’évoquer les dominicains, ainsi que les jésuites auxquels ils se sont souvent opposés.

Les dominicains (de l’ordre des frères prêcheurs, fondé en 1214 par l’espagnol Dominique de Guzman à Toulouse) et les jésuites (clercs réguliers de la Compagnie de Jésus, fondée en 1537 par l’espagnol Ignace de Loyola, saint fêté le 31 juillet) ont la réputation de ne pas faire bon ménage. Entre ces deux grands ordres, la rivalité n’a guère cessé depuis des siècles… Cette concurrence a atteint des sommets notamment aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Ce qui oppose finalement le plus les deux ordres, c’est qu’ils œuvrent sur le même terrain, celui de la formation et de la réflexion intellectuelles. De nos jours, la concurrence est plus policée. Mais le petit sourire qui naît sur les lèvres, lorsqu’on évoque les confrères d’en face, confirme la persistance d’une émulation bien réelle.

La Compagnie de Jésus aurait une propension plus marquée pour l’enseignement, domaine dans lequel son modèle a été reproduit dans de nombreux pays à partir du 16e siècle. Mais leur influence dans l’enseignement français, par exemple, est devenue très faible, malgré une réputation demeurée forte dans certains milieux où on se targue d’avoir été « élève des Jésuites ». Leur établissement français le plus connu est actuellement le lycée Sainte Geneviève à Versailles (classes préparatoires aux grandes écoles).

En philosophie et en théologie, les dominicains ont donné des auteurs aussi éminents que saint Thomas d’Aquin (dont le tombeau se trouve à Toulouse) et saint Albert le Grand. Ils ont contribué par ailleurs au développement de l’art religieux avec des peintres prestigieux, en particulier Fra Angelico.

Ils professaient l’idéal de pauvreté et, à la différence des ordres monastiques plus anciens, refusaient même la possession de biens communs. Ils ont été au départ un ordre mendiant, à l’image des franciscains.

Veillant à la pureté de l’enseignement de l’Église catholique romaine, ils ont combattu les dérives doctrinales par le prêche, l’enseignement et l’érudition, et se sont vu confier le contrôle peu glorieux de l’Inquisition tant qu’elle est demeurée une institution ecclésiastique.

Les jésuites se sont adressés de préférence aux milieux aisés et instruits, avec des méthodes qui leur ont valu des qualificatifs dépréciatifs. Le jésuite est devenu dans le langage courant un personnage recourant à des astuces hypocrites, d’après la définition du dictionnaire, confirmée par le sens des mots « jésuitisme » et « jésuitique ».

Très contestés au cours de l’histoire, interdits dans de nombreux pays, en particulier en France sous la royauté (en 1764 Louis XV les expulse) puis sous la Troisième République, les jésuites ont rencontré de sérieux problèmes dans la période récente, mais paradoxalement, souvent en opposition à leur image traditionnelle. A la fin du 20e siècle, un conflit d’autorité les a opposés à Jean Paul II, au début du pontificat. La destitution de Pedro Arrupe, leur « général », en 1981, ou l’admonestation papale au père Ernesto Cardenal, ministre sandiniste (d’extrême gauche) du Nicaragua, en 1983, ont laissé des traces. Plus près de nous, l’assassinat de Mgr Claverie, évêque d’Alger et dominicain, a conféré aux dominicains, aux yeux du public français, le lustre du martyr.

Du point de vue démographique, les frères prêcheurs français (de la province de France, au Nord, et de la province de Toulouse, au Sud) ont accentué leur avantage. En 2013, ils sont 550 contre 400 jésuites, ce qui  ne reflète pas le rapport de force planétaire entre les deux ordres. Au niveau mondial, les jésuites comptent aujourd’hui 18.000 membres dont 13.000 prêtres environ, et les dominicains 6.000 dont 4.500 prêtres.

Les uns et les autres ont leurs revues qui sont, en France: Vie spirituelle, Revue des sciences philosophiques et théologiques pour les dominicains; Études, Christus, Projet pour les jésuites. Les éditions dominicaines du Cerf accueillent, de manière œcuménique, les auteurs des deux ordres.

Le concile de Vatican II a mis en lumière, parmi les théologiens, les dominicains Marie-Dominique Chenu et Yves Congar, et le jésuite Henri de Lubac.

L’habit traduit, dans chaque ordre, une façon différente de gérer la « communication ». On a beaucoup disserté sur la bure que les dominicains aiment arborer dans leur couvent, et même à l’extérieur. Vêtus d’un long manteau muni d’un capuchon noir recouvrant une tunique de laine blanche, ils étaient parfois appelés « frères noirs » dans le monde anglo-saxon. En France, on les nommait « jacobins » par référence à leur couvent parisien situé rue Saint Jacques, jusqu’à la suppression de l’ordre pendant la Révolution. Les jésuites, eux, préfèrent depuis longtemps se fondre dans le paysage.

Les dominicains ont occupé d’importantes fonctions dans l’Église. Quatre papes (Innocent V, Benoît XI, Pie V et Benoît XIII) et plus de soixante cardinaux sont issus de leurs rangs.
En mars 2013 est devenu pape pour la première fois un jésuite, l’argentin Jorge Mario Bergoglio, archevêque de Buenos Aires, nommé cardinal en 2001. Ce chimiste de formation, philosophe et théologien, a été le maître des novices, puis le provincial de la Compagnie en Argentine dans les années 1970. Elu pape, il a pris le nom de François, et affirmé des positions qui font penser que, jésuite d’origine, il a aussi des ambitions franciscaines.

 

 

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: le centième tour de France

 

 

Dans le cyclisme  il y a ceux qui roulent
A vive allure accélèrent s’ébrouent
Pour s’échapper du peloton en grappe
Dans la campagne au bord d’herbages gras
Où les chevaux d’un élan naturel
Suivent la course en lui courant après

Dans le cyclisme il y a ceux qui grimpent
En supportant l’épreuve sans chagrin
Mais non sans mal sous le soleil qui brûle
Entre deux haies de public accouru
Tantôt danseurs tantôt lourds ils s’agrippent
A leur guidon le visage amaigri

Plein d’une ardeur qui surmonte les crampes
A travers France en décor sur l’écran
De la télé faisant fi des contrôles
Dopé dit-on le champion passe au trot
Puis au galop sans que rien l’interrompe
Tant l’énergie dans ses roues tourne rond

Quand vient la fin de ce centième tour
D’hommes-vélos je vois cette aventure
Comme un rappel de l’âge des centaures

 

***

 

Le centième tour de France à vélo s’est terminé à Paris le dimanche 21 juillet 2013. C’est le premier après que l’américain Lance Armstrong a été déchu en 2012 pour dopage, par l’Agence américaine antidopage et par l’Union cycliste internationale, de ses sept titres de vainqueur du tour.

Au total, de 1999 à 2011, neuf victoires sur 14 ont été annulées dans le tour de France: les sept d’Armstrong, plus la disqualification de l’américain Floyd Landis en 2006 et l’annulation de la victoire remportée par l’espagnol Contador en 2009.

Le tour 2013 a offert aux spectateurs, comme d’habitude, le beau spectacle des paysages traversés et de l’effort humain, mais la suspicion a été permanente, notamment à l’égard du vainqueur, le britannique Christopher Froome de l’équipe Sky. D’après les calculs auxquels se livrent certains observateurs depuis quelques années, la puissance (mesurée en watts !) du vainqueur de l’année semble surhumaine, supérieure aux capacités d’un homme non dopé, au point d’atteindre ou de dépasser parfois les performances de ses prédécesseurs déchus.

Pour défendre Froome, le propriétaire de l’équipe Sky, Rupert Murdoch, a fait publier dans le Sunday Times dont il est est également propriétaire un article élogieux d’un contempteur de Lance Armstrong. L’auteur de l’article affirme sans sourciller qu’à la différence du septuple vainqueur éliminé du palmarès, Froome est « clean » à 100 %.

Les exploits réalisés, bien que douteux, ont néanmoins quelque chose de mythologique par leur démesure, et font penser aux centaures de l’antiquité grecque, êtres fabuleux, moitié hommes et moitié chevaux. Dans la mythologie d’aujourd’hui, qui, pas plus que celle de l’antiquité, n’a pour souci premier la vertu, on peut trouver une ressemblance entre les centaures de jadis et nos coureurs cyclistes, mi hommes mi vélos.

Dominique Thiébaut Lemaire

 

Billet: liberté, égalité, fraternité

 

A l’occasion de la fête du 14 juillet, voici une petite célébration de la devise « liberté, égalité, fraternité » inscrite dans la Constitution française, et dont les trois principes ont été placés par l’Organisation des Nations Unies en tête de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

***

La liberté consiste à pouvoir faire
Ce que l’on veut excepté ce qui nuit

Au corps social à soi-même à autrui

Le bon plaisir profondément diffère

Ma liberté a pour borne la sphère
Où l’autre a droit de se sentir chez lui

Elle n’est pas le passe ou sauf-conduit

Menant trop loin parfois même en enfer

Celui qui suit tous les vents d’aujourd’hui
Plane sans but n’a pas les pieds sur terre
En se croyant affranchi comme l’air

A l’opposé l’homme libre est celui
Qui ne craint pas que la loi légifère
Non pour brider mais pour être un appui

 

***

Souvenez-vous du texte qui déclare
Les droits de l’homme et fonde avec éclat

L’égalité sujet qu’on ne peut clore

Que n’usent pas tant de discours folklos

Le texte est beau mais que peut-on conclure
Ai-je pensé lorsque je l’ai relu
Quand il prétend par ses formules claires

Etre un écho de l’Esprit paraclet

La loi dit-il fait de tous des égaux
L’égalité qui passionne les Gaules
Permet partout de plus vastes dialogues

Dans ce bas monde où tout se dérégule
Mais où beaucoup préfèrent l’exigu
Sa règle tient s’étend même et subjugue

***

La République inclut dans sa devise
Fraternité celle-ci nous convie
A refuser l’antipathie mauvaise

Obtiendrons-nous pour autant son brevet

Réponse non car l’empathie s’envase
Paralysée par l’abstention s’en va
Se dissiper dans l’inertie rêveuse

Quand les actions ne suivent pas les vœux

Pour la sacrer principe cardinal
Il faut se dire et comprendre que rien
N’est à gagner dès lors que l’autre perd

Pour l’agrandir en vertu fraternelle
Il faudra faire aux autres tout le bien
Qu’on aimerait recevoir de leur part

 ***

 

L’Assemblée Nationale a publié le 26 août 1789 la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui fait partie aujourd’hui de la Constitution française. Dans le préambule de cette Déclaration, elle reconnaît et déclare les droits de l’homme et du citoyen, « en présence et sous les auspices de l’Etre suprême ». Deux ans plus tard, lorsqu’elle a publié la Constitution de 1791, elle a estimé que la Déclaration de 1789, placée en tête de cette Constitution, avait acquis « un caractère religieux » et qu’il n’était plus possible de la modifier.

On connaît en particulier la première phrase de la Déclaration: « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».
Citons aussi son article 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui: ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »

C’est à la liberté que sont consacrés les articles les plus nombreux de la Déclaration de 1789, huit sur dix-sept (les articles 1, 4, 5, 7, 8, 9, 10, 11). L’égalité est inscrite dans les articles 1, 6, 13.
La Déclaration traite aussi d’autres droits, tels que la propriété (articles 2 et 17), qui, d’une certaine manière, peut se rattacher à la liberté, et elle complète les droits de l’homme par ce que certains ont appelé les droits de la Nation: la souveraineté, le droit de faire les lois, d’organiser la force publique, de voter les contributions, d’avoir une représentation, de demander des comptes à ses agents, de bénéficier d’une séparation des pouvoirs …

La Constitution de l’an I (1793), qui a succédé à celle de 1791 mais, pour cause de guerre, n’a jamais été appliquée, a été précédée d’une déclaration des droits et devoirs de l’homme et du citoyen, selon laquelle les droits naturels et imprescriptibles sont l’égalité, la liberté, la sûreté, la propriété; et dont l’article 6 reprend la définition de la liberté donnée par la Déclaration de 1789 (le pouvoir de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui) en y ajoutant que la limite morale de la liberté est dans cette maxime : « Ne fais pas à un autre ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait ».

Après la Constitution 1793, celle de l’an III (1795-1799) a été précédée elle aussi d’une déclaration des droits et devoirs, qui énumère les mêmes droits. L’article 2 des devoirs a été ainsi rédigé : « Tous les devoirs de l’homme et du citoyen dérivent de ces deux principes, gravés par la nature dans tous les cœurs: Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît. Faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en recevoir. » Le second de ces principes, exprimant d’une manière positive ce que le premier exprime en négatif, peut être considéré comme une définition de la fraternité, dont le mot n’est cependant pas mentionné.
Selon cette même déclaration de l’an III: « Ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché », et « nul ne peut être contraint de faire ce qu’elle n’ordonne pas ».

Par la suite, dans le préambule de la Constitution de 1848 (1848-1851), il a été précisé que la République française « a pour principe la Liberté, l’Egalité et la Fraternité ». Ces mots ont été inscrits par la Troisième République (1875-1940) aux frontons des institutions publiques.

La Constitution de la IVe République (1946-1958) a réaffirmé  que « la devise de la République est « Liberté, Egalité, Fraternité », et la Constitution actuelle, celle de la Ve République, a repris cette formulation.

Le 10 décembre 1948, les 58 États Membres qui constituaient alors l’Assemblée générale de l’ONU ont adopté à Paris la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont l’article premier, considérant l’humanité comme formée d’êtres libres, égaux et fraternels, déclare: « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

 

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: le solstice d’été et la Saint-Jean

A la fin juin voici donc le solstice
Commencement de la saison d’été
Victor Hugo l’associe à justice
Parce qu’il est au summum de clarté

Après des mois c’est à lui qu’aboutissent
De longs progrès de luminosité
Quand il unit dans un bref armistice
Deux tiers de jour un tiers d’obscurité

Pour que le jour ait plus de persistance
Pour qu’il s’allonge et dure encore un peu
A la Saint-Jean sont allumés des feux

Leur flamme danse avec fougue et prestance
Telle Hérodiade elle est libre sans voiles
Mais n’atteint pas le niveau des étoiles

***

La date du solstice d’été a été le 21 juin en 2013 (le 20 juin en 2012). La saint Jean est le 24 juin.

Victor Hugo fait rimer solstice avec justice :

Pas plus que le soleil ne renonce au solstice,
Nous n’oublions l’honneur, le droit et la justice…
(Les Quatre vents de l’esprit)

Mallarmé a consacré au solstice la première strophe de son poème intitulé « Cantique de saint Jean » (Hérodiade III). La strophe, divisée en deux par les rimes, et se terminant par un vers de quatre syllabes après des vers de six, évoque de cette manière le contraste entre les deux phases – presque stationnaire puis descendante-  du soleil:

Le soleil que sa halte
Surnaturelle exalte
Aussitôt redescend
Incandescent

« Exalte » (venant du latin « altus », haut) s’explique par la position au plus haut du soleil au solstice d’été, et « halte » par le fait que, comme l’indique l’étymologie du mot solstice (du latin « sol », soleil, et « sistere », s’arrêter), l’angle mesurant la direction du soleil à son lever et à son coucher semble rester constant pendant quelques jours à cette période de l’année, avant de se rapprocher à nouveau de l’est au lever et de l’ouest au coucher.

D’autres strophes du même poème, en particulier la deuxième, évoquent Jean-le-Baptiste et sa décapitation à la demande de Salomé (fille d’Hérodias ou d’Hérodiade, souvent appelée elle-même Hérodiade) après qu’elle eut séduit le roi Hérode en dansant devant lui, obtenant ainsi la promesse qu’il lui donnerait ce qu’elle demanderait (voir les Evangiles de Marc et de Matthieu) :

Je sens comme aux vertèbres
S’éployer des ténèbres
Toutes dans un frisson
A l’unisson

Mallarmé a évoqué cette femme fatale dans d’autres poèmes sous le titre d’Hérodiade, ainsi que dans « Les Fleurs »:

L’hyacinthe, le myrte à l’adorable éclair
Et, pareille à la chair de la femme, la rose
Cruelle, Hérodiade en fleur du jardin clair,
Celle qu’un sang farouche et radieux arrose !

Salomé a beaucoup inspiré les artistes. En ce qui concerne les écrivains français de la seconde moitié du XIXe siècle, on peut citer Hérodias, l’un des trois contes de Flaubert (1821-1880), et en poésie -outre Mallarmé (1842-1898)- Théodore de Banville (1823-1891) qui a écrit dans Les Princesses un sonnet intitulé « Hérodiade », et Albert Samain (1842-1898), auteur d’un poème intitulé « Hérode » dans Symphonie héroïque (voir le site internet poesie.webnet.fr : les grands poèmes classiques). Par la suite, Apollinaire a consacré à Salomé un poème d’ Alcools, en suggérant, sur le ton de l’humour et même de la dérision, que sa mère et elle étaient perversement amoureuses de saint Jean.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet: le cycle des vêtements

 

Les vêtements circulent dans un cycle
Où le gaspi leur accorde un sursis
Quand un donneur les laisse en bon état
Bien généreux dans de grands réceptacles

Au coin des rues jetant de bons articles
Offerts au vol et qu’un chef répartit
Quand les enfants sans peur des cadenas
Les ont extraits de ces faux tabernacles

Au chef de bande un mari ou un oncle
Elle obéit sans oser dire non
Celle qui vend le butin de ces fouilles

Et l’acheteur qui referme la boucle
Acquiert content sans qu’elle vaille un clou
Sur le trottoir l’une de ces dépouilles

 

***

Au sujet des dons d’habits et des conteneurs où ils peuvent être déposés au profit des associations caritatives, le journal gratuit Direct Matin n° 1314 du jeudi 13 juin 2013 a publié le petit article suivant :

 « L’association « Le Relais » espère avoir mis au point un conteneur inviolable. Pour lutter contre le pillage de certains des bacs dans lesquels les donneurs déposent des vêtements, l’association installe en ce moment un nouveau modèle en région parisienne, a révélé hier France Bleu 107.1. Ces conteneurs de nouvelle génération fonctionnent « un peu comme un camembert : on met le sac d’un côté, on tourne, et il tombe de l’autre côté », explique Pierre Duponchel, le président-fondateur du « Relais ». Un système censé empêcher les voleurs, souvent des enfants membres de bandes organisées, de s’infiltrer à l’intérieur et d’en extraire les vêtements en bon état. M. Duponchel espère que, dans les mois à venir, les voleurs n’auront pas déjà « trouvé le moyen de contourner » ce système, sur lequel un salarié de l’association a travaillé pendant trois mois. Il estime que l’association en est déjà à son « cinquième, sixième, voire septième » modèle de conteneurs ».

France Bleu 107.1 (du groupe Radio France) a effectivement diffusé le mercredi 12 juin
2013 à 11 h 30, à la radio et sur internet, l’information que voici :

« Les conteneurs qui permettent au « Relais » de récolter des vêtements sont devenus une cible privilégiée de bandes organisées qui obligent des enfants à s’y introduire pour en ressortir les habits. Pour mettre fin à ce vol de dons, l’association installe en ce moment un nouveau modèle en région parisienne.
Sur les 3.000 conteneurs de la région parisienne, plusieurs sont régulièrement victimes de pillages. Les collecteurs s’en rendent facilement compte : quand ils viennent récolter les dons, les habits en meilleur état ont disparu, il ne reste plus que les plus abîmés. Et puis certains donneurs leur ont raconté les techniques de ces bandes organisées.
Elles interviennent à plusieurs adultes et un enfant. L’enfant est introduit dans le conteneur par l’orifice qui permet de déposer les sacs de vêtements. Une fois à l’intérieur, il choisit les meilleurs habits et les fait ressortir, toujours par le même système. Avant de lui-même ressortir par ce tourniquet.
Pour mettre fin à ce pillage, un salarié du « Relais » travaille exclusivement depuis trois mois à étudier les techniques de ces bandes organisées pour mieux les contrer. Avec des écoles ingénieurs, il a mis au point un nouveau modèle de conteneur qui est en train d’être installé en région parisienne. Un conteneur tout blanc, en hauteur, avec un tourniquet vertical à l’ouverture réduite et aux portes renforcées. Le « Relais » espère
que cela mettra fin à ces vols et évitera un drame. Une fois déjà un collecteur a retrouvé une adolescente dans un conteneur. »

 ***

 L’auteur de ce billet a lui-même assisté à une scène analogue