Billet : poésie et musique au XIVe siècle

N’oublions pas le poète Deschamps
Dont le prénom n’est plus de mode Eustache
Mais dont le ton est moderne attachant
Il a écrit tant de vers sans relâche
Curieux de tout rhétoriqueur adroit
Théoricien d’un bel art poétique
Et praticien qui n’avait rien de froid
Sensible aux mots qui font de la musique

Il a loué Du Guesclin chevauchant
Contre l’Anglais célébré son panache
Il a décrit les attraits aguichants
De filles fleurs qui jouent à cache-cache
Plein de verdeur bien que lettré courtois
D’inspiration réaliste et lyrique
Aimant la France en serviteur du roi
Sensible aux mots qui font de la musique

Il admirait non-musicien les chants
Du grand Machaut l’Orphée d’un art sans tache
Auquel il rend des hommages touchants
Comme un disciple au maître se rattache
En évoquant tous les instruments cois
Lorsque a péri ce génie mélodique
Il a parlé de ce deuil d’une voix
Sensible aux mots qui font de la musique

Il a connu la Guerre de Cent Ans
Sans tour d’ivoire où survivre amnésique
Mais il était dans le malheur du temps
Sensible aux mots qui font de la musique

 

Dans la seconde moitié du XIVe siècle, Eustache Deschamps s’est voulu le disciple de Guillaume de Machaut, poète et musicien, bien qu’il ait rompu avec la tradition de mise en musique de la poésie lyrique. Théoricien, après Machaut, des poèmes à forme fixe, il a enrichi, en les ouvrant à tous les thèmes, le rondeau et le  virelai tournés vers l’amour courtois, et ajouté un envoi à la fin des ballades. Auteur d’une oeuvre de 82 000 vers (à comparer aux 60 000 de Machaut et aux 35 000 de Froissart), il a mis l’accent sur le plaisir que la poésie sans la musique peut offrir par ses aspects sonores et formels. Dans  L’art de dictier et de faire chansons, oeuvre en prose composée en 1392, premier traité de versification en langue française, il considère que la musique est une science qui s’apprend, alors qu’on naît poète (dans la tradition du «nascitur poeta» des Latins). Il qualifie de musique artificielle celle de la mélodie et des instruments, qu’il oppose à la musique naturelle, celle des vers, que produit « la bouche en proférant paroles métrifiées ». Le développement de cette nouvelle pratique s’explique en partie par le manque de formation musicale des poètes de son époque et par l’augmentation des lectures privées, sans accompagnement de musique. Accompagnement que les autres poètes de cette génération (Froissart, Christine de Pizan, par exemple) ont abandonné eux aussi. Deschamps considère que la poésie a sa place à elle dans la série des sept arts libéraux (grammaire, logique, rhétorique, géométrie, arithmétique, musique, astronomie). Il inaugure ainsi la notion de lyrisme littéraire en rupture avec le lyrisme musical. Paradoxalement, les formes fixes, liées à l’origine à la musique et à la danse comme le disent les noms mêmes de rondeau ou de ballade, tirent alors du fait de n’être plus chantées une importance nouvelle.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les planètes autour du soleil

Près de l’étoile au centre et loin des bords obscurs
Du grand planétarium commençons par Mercure
Où vraisemblablement la vie n’a pas vécu

Moins proche du soleil la brillante Vénus
Que la rime associe à la froide Uranus
Fait paraître un éclat depuis longtemps connu

La planète suivante est en bleu c’est la Terre
Petite comparée à l’astre Jupiter
Que jadis Galilée passionnément scrutait

La Terre sur orbite entre Vénus et Mars
Entraîne dans son cours la Lune sa comparse
Tournant comme une horloge allant du même pas

Corps de gaz plus lointains Jupiter et Saturne
Décrivent leur ellipse au fond d’un ciel nocturne
En manque de clarté la nuit s’y accentue

Après c’est Uranus au-delà c’est Neptune
Corps de glace trouvé non par bonne fortune
Mais grâce aux équations d’un Le Verrier têtu

Puis se sont révélées Pluton Sedna Eris
Dans l’attraction solaire et l’ombre génitrice
Où renaissent les noms des dieux qui ont péri

Par de savants calculs et puissantes lunettes
Il reste à découvrir de nouvelles planètes
Plus d’objets mystérieux qu’on ne l’imaginait

 

On a découvert au-delà de Pluton, à partir de 2003, plusieurs planètes appelées naines (catégorie incluant désormais Pluton), par exemple Sedna, décrivant des orbites dont la similarité peut s’expliquer par l’influence gravitationnelle d’un corps céleste encore inconnu. C’est ce qui a conduit Konstantin Batygin et Mike Brown du California Institute of Technology à proposer dans un article du 20 janvier 2016 l’existence d’une neuvième planète (non naine) perturbant les petits corps analogues à Pluton. Cette planète dix fois plus massive que la Terre doit avoir une orbite très allongée, et sa révolution autour du soleil serait de 10 000 à 20 000 ans. Selon sa position, elle pourrait être atteinte par une sonde spatiale après un voyage de 57 à 343 ans. Le successeur du télescope spatial Hubble à partir de 2018, le télescope James-Webb, pourra probablement en fournir des images. Les équipes françaises de Jacques Laskar et d’Agnès Fienga en ont précisé les positions possibles dans un article du 22 février 2016. Grâce aux données de la sonde Cassini en orbite depuis 2004 autour de Saturne, la distance entre celle-ci et la Terre est connue avec une marge d’erreur inférieure à 100 m. Ces données ont été utilisées pour tester les effets sur le système solaire de la neuvième planète. La simulation a réduit de moitié les directions dans lesquelles peut se trouver la planète en question et de désigner la plus probable, en définissant les zones où son rajout crée des perturbations de Saturne incompatibles avec les observations, et les zones où il améliore au contraire le modèle de prédiction des distances Terre-Saturne. Cela dit, seule l’observation directe pourra confirmer la découverte. C’est de la même façon qu’à partir d’anomalies dans l’orbite d’Uranus a été trouvée Neptune en 1846, grâce aux calculs du français Le Verrier confirmés peu après par les observations de l’allemand Galle.

Dominique Thiébaut Lemaire