Mythologie : Niobé

Niobé se vantait d’être riche de tout
Parée de ses atours fière de ses atouts
Descendante de Zeus et fille de Tantale
Epouse d’un grand roi dont le pouvoir mental
Allait jusqu’à mouvoir les pierres par son chant
Un pouvoir de créer à Thèbes sur le champ
Des remparts et palais pour loger la famille
Issue de son union sept garçons et sept filles
Une fécondité que Niobé tenait
Pour signe du bonheur qui lui appartenait
Pour marque qu’elle était de celles qui étonnent
Pour preuve d’être en tout supérieure à Latone
Autrement dit Léto qui avait seulement
Des jumeaux fils et fille à peine deux enfants
Certes mais quels enfants Phébus et Artémis
Niobé aurait dû se les rendre propices
Plutôt que d’exciter ces dangereux archers
Et leur amour filial prêts à se revancher

Niobé l’excessive enflammée d’un orgueil
Qui l’a bientôt conduite au plus cruel des deuils
Proclame que ses biens font sa sécurité
Qu’elle a plus de grandeur que ces deux déités
Mais celles-ci sans trouble ont ajusté leurs flèches
Avec une rigueur que nul remords n’empêche
En se mettant d’accord pour transpercer de traits
Artémis les sept sœurs comme on chasse en forêt
Et Phébus Apollon les sept frères qui mordent
La terre dès l’instant qu’il fait vibrer sa corde
Désormais Niobé n’est plus objet d’envie
Son visage a perdu la couleur de la vie
Figée par la souffrance elle devient de pierre
Si ce n’est que le roc dessinant ses paupières
Sur le sommet d’un mont fait ruisseler de l’eau
Que le vent des hauteurs change en pleur et sanglot

 

Niobé, qui était d’après la légende une Lycienne originaire du même pays qu’Arachné, en Asie Mineure, était animée d’un orgueil semblable à celui de sa compatriote. Elle avait épousé Amphion, roi musicien de Thèbes, fils de Zeus. Il semble que son histoire, comparée à celle de l’experte tisseuse changée en araignée, reflète le même antagonisme entre la Grèce d’Europe où se trouve Thèbes et la Grèce d’Asie Mineure où se trouve la Lycie. Elle prétendait obtenir pour elle les hommages que les Thébaines avaient l’habitude de rendre à Latone ou Léto, mère des jumeaux Phébus-Apollon et Diane-Artémis. « Pourquoi des autels destinés au culte de Latone, disait-elle, alors que l’encens n’a pas encore été offert à ma divinité ? » (Ovide, Les Métamorphoses, livre VI, vers 146 et suivants). Elle se vantait d’être supérieure en particulier par le nombre de ses fils et filles (douze au total chez Homère, quatorze chez Euripide et Ovide, dix-huit chez Sappho, vingt chez Pindare). C’est la raison pour laquelle, à la demande de leur mère, Apollon et Artémis ont tué de leurs flèches les enfants de Niobé. Celle-ci, pétrifiée par ces meurtres, a été transportée par un vent impétueux de Thèbes jusqu’en Lydie, sur le mont Sypile où régnait son père, et où l’on montrait un roc de marbre qui continuait à verser des larmes. Le sort de ce personnage mythologique a inspiré de nombreux sculpteurs et peintres. Les poètes Théophile Gautier et dans ses Poèmes antiques Leconte de Lisle, ayant gardé quelque chose de l’esprit romantique,  ont consacré chacun une invocation à Niobé. « Niobé sans enfants, mère des sept douleurs… / Quel fleuve d’Amérique est plus grand que tes pleurs ? » se demande Gautier à la fin de son poème. Et Leconte de Lisle termine le sien par ces vers : « Oh ! Qui soulèvera le fardeau de tes jours ? / Niobé ! Niobé ! souffriras-tu toujours ? »

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Arachné

La lydienne Arachné plus experte que sage
Prétendait surpasser en filage et tissage
La déesse des arts la divine Athéna
Qui patronait aussi tous les artisanats
Celle qu’en Italie on appelait Minerve

Arachné aurait dû rester sur la réserve
Au lieu de lui lancer son ambitieux défi
Mais Athéna veut voir cet orgueil déconfit
Après avoir compris que cette tisserande
Sûre d’être des deux l’artiste la plus grande
Dotée d’un beau talent certaine de ses dons
Refuserait toujours d’en demander pardon

Deux métiers sont dressés pour commencer l’épreuve
Entre les fils croisés les navettes se meuvent
Athéna va montrer sur sa pièce tissée
Plus belle qu’une ébauche aux contours esquissés
Des scènes en couleurs illustrant l’infortune
Que réservent les dieux capables de rancune
A tous les insolents à tous les orgueilleux
Qui croient pouvoir braver la puissance des cieux
Arachné pour autant n’en devient pas modeste
Consacre son ouvrage aux abus manifestes
Aux écarts de conduite auxquels se sont livrés
Sans vergogne les dieux trop souvent enfiévrés
Au premier rang desquels se trouve Jupiter
Descendant des hauteurs pour séduire sur terre
Sous ses déguisements de trompeur enjoué
Europe Danaé Léda femmes flouées

Athéna est blessée deux fois par cet ouvrage
Insolence et beauté double motif de rage
Aussi transforme-t-elle en sinistre araignée
Cette Arachné douée qu’il fallait calomnier

 

Arachné, fille d’un teinturier en pourpre, était une jeune tisserande de Lydie (ou Méonie), contrée d’Asie mineure proche de la mer Égée, dont le roi le plus célèbre a été Crésus. Le nom de cette tisserande est celui que les Grecs de l’Antiquité donnaient à l’araignée, qui produit une soie avec laquelle elle tisse sa toile « arachnéenne » et se soutient dans l’air lorsqu’elle se laisse tomber. Experte dans l’art du tissage, elle a osé comparer son talent à celui d’Athéna-Minerve. Un concours ayant été organisé, la déesse illustre sur sa toile la puissance des dieux de l’Olympe tandis qu’Arachné préfère tisser les frasques de Zeus avec ses nombreuses amantes. Athéna irritée à la fois par la beauté et par le sujet de l’étoffe produite par sa rivale pour montrer son talent, la déchire et frappe de sa navette le front d’Arachné. Celle-ci, outragée, veut se pendre (allusion sans doute aux araignées pendues à leur fil), mais Pallas Athéna adoucit ce triste destin de mortelle en la transformant en l’animal aux maigres doigts qui continue jusqu’à nos jours à tisser ses toiles (Ovide, Les Métamorphoses, livre VI, vers 1 et suivants). Peut-être ce mythe fait-il allusion à la rivalité entre la Grèce européenne où se trouve Athènes, ville d’Athéna, et la Grèce d’Asie mineure où se trouve le pays d’Arachné. Celle-ci fait partie des personnages qui, dans la mythologie gréco-latine, font preuve d’hubris ou hybris et subissent le châtiment que leur attire leur prétention à rivaliser avec les divinités.

Dominique Thiébaut Lemaire

Mythologie : Europe

 

Le dieu mythologique est prompt aux coups de foudre
Et comme c’est un dieu nous devons l’en absoudre
En amour par exemple il craque lorsqu’il voit
Du haut de son Olympe une femme de choix
Dans la présente histoire elle s’appelle Europe
Digne de dithyrambe embellie par les tropes
Fille du roi de Tyr elle aime les troupeaux
Pour lui complaire Zeus prend forme de taureau
C’était à une époque où l’attrait du bétail
Etait plus important que celui des batailles
L’animal apparaît comme paré de blanc
Europe se rapproche elle a le cœur tremblant
Mais il a des yeux doux n’inspirant pas de crainte
Sur lui nulle noirceur n’a laissé son empreinte
Et bien qu’il n’ait pas l’air de chercher le combat
Dans son allure noble il n’y a rien de bas
Lorsqu’elle tend vers lui une poignée de fleurs
Il mange ce qu’elle offre et de sa langue effleure
La belle donatrice en lui léchant les doigts
De sorte qu’elle oublie dans le pré qui verdoie
D’être en tout temps princesse et voici qu’elle adorne
De guirlandes la bête en décorant ses cornes
Voici qu’elle s’assoit folâtre sur son dos
Avant de prendre peur dès lors que crescendo
La course du taureau dans sa hâte secrète
L’emporte sur les flots jusqu’à l’île de Crète

Le roi Minos est né de ce dieu ruminant
Qui a couru sur l’eau entre deux continents
Ce mythe est un rappel des migrations humaines
Ayant transmis jadis par la force ou l’hymen
Au monde occidental élevage et culture
Esprit de découverte et goût de l’aventure
En franchissant la mer entre la Phénicie
Et la Grèce crétoise aux fabuleux récits

 

Dans la mythologie gréco-latine, Europe n’est pas encore le nom d’un continent, mais celui d’une étrangère venue du Proche-Orient, fille d’Agénor roi de Phénicie. Il existe plusieurs versions du mythe, et plusieurs interprétations. D’après la plus raisonnable, celle de Boccace (De claris mulieribus), Europe aurait été enlevée par le roi de Crète sur un navire qui portait sur sa proue ou sa voile le dessin d’un taureau. Le poème qui suit s’inspire d’Ovide, selon lequel Europe a plu à Zeus-Jupiter, qui lui est apparu dans une prairie sous la forme d’un taureau blanc, et qui a traversé à la nage ou à la course une partie de la Méditerranée en emportant la jeune fille jusqu’en Crète. Ce poème rajoute que le mythe d’Europe pourrait être une réminiscence d’un temps où se sont produites d’importantes migrations d’éleveurs-agriculteurs venus du Proche-Orient vers l’Europe. « La princesse ose même, ignorant qui la porte, s‘asseoir sur le dos du taureau. Alors le dieu, quittant par degrés le terrain sec du rivage, baigne dans les premiers flots ses pieds trompeurs ; puis il s’en va plus loin et il emporte sa proie en pleine mer. La jeune fille, effrayée, se retourne vers la plage d’où il l’a enlevée ; de sa main droite elle tient une corne ; elle a posé son autre main sur la croupe ; ses vêtements, agités d’un frisson, ondulent au gré des vents » (Ovide, Les Métamorphoses, II, vers 868-875). « Europe paraissait tourner ses regards vers la terre qu’elle avait quittée, appeler ses compagnes et, pour ne pas être touchée par les flots qui l’assaillaient, ramener en arrière ses pieds craintifs. » (Ovide, Les Métamorphoses, VI, vers 104 et suivants). En Crète où elle est arrivée au terme de cette course échevelée, elle a donné naissance à Minos qui est devenu par la suite roi de l’île, père de plusieurs enfants dont Ariane, Phèdre, Deucalion. De nombreux artistes ont peint l’enlèvement d’Europe, entre autres Titien, Véronèse, Rembrandt, et plus récemment Vallotton ou Botero avec moins d’art et plus d’ironie.

Dominique Thiébaut Lemaire