Du mensonge en politique. Par Dominique Thiébaut Lemaire

Les écarts entre espérances, promesses et réalité

La politique est animée par l’espérance, par les attentes que les candidats aux fonctions dirigeantes doivent s’engager à satisfaire pour être élus. Aux espérances des uns répondent plus ou moins sincèrement les promesses des autres.

L’action politique doit aussi prendre en compte la réalité, celle qui lui résiste, la force des choses, « ce qui ne dépend pas de nous » par opposition à « ce qui dépend de nous », pour reprendre une distinction chère aux philosophes (les Stoïciens, ou Descartes, par exemple). Mais il faut avoir cherché préalablement  à bien comprendre sur quoi nous avons prise.

Le mensonge réside dans les écarts entre l’espérance, les promesses et la réalité.
Promettre l’impossible, c’est mentir. Malheureusement, ce mensonge ne déplaît pas, on s’imagine qu’il a de la grandeur : Impossible n’est pas français, dit-on ; soyez  réalistes, demandez l’impossible, a-t-on dit en mai 68.

L’espérance et les promesses

L’espérance est considérée par le christianisme comme l’une des trois vertus théologales. Elle est fortement présente aussi dans le communisme et le socialisme, fondés sur l’espoir d’un monde meilleur. Mais Descartes, dans Les Passions de l’âme, écrit justement qu’elle est une passion avant d’être une vertu. En tant que passion, elle peut être mensongère. Elle naît la plupart du temps du désir plutôt que de la raison. Elle naît aussi de la joie que l’on attend. Or, comme l’a noté le philosophe, les passions qui naissent de la joie sont plus difficiles à maîtriser que celles qui naissent de la tristesse.

Face à l’espérance, il arrive souvent que, selon une formule cynique tirée de l’expérience, « les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent ». On peut distinguer deux sortes de fausses promesses : celles dont le prometteur s’aperçoit ensuite qu’elles ne sont pas tenables, et celles qu’il sait d’emblée ne pouvoir tenir, mensonge délibéré. Cela dit, la distinction entre le mensonge d’une part, l’ignorance ou la bêtise d’autre part, est souvent floue. Ainsi, il peut être facile d’invoquer l’ignorance pour s’exonérer de l’accusation de mensonge. Pour éviter ce travers, mieux vaut essayer de choisir (en refusant que ce soit un vœu pieux) des hommes politiques ayant suffisamment de raison, c’est-à-dire d’intelligence et de savoir.

La force des choses

Certains pensent que l’ordre existant est l’exact reflet de la force des choses, et que, pour reprendre une expression aujourd’hui répandue, « il n’y a pas d’alternative ».
D’autres pensent qu’il faut revenir à un état antérieur plus « naturel », et dénomment réformes (parce que ce mot est toujours pris aujourd’hui dans un sens positif) des programmes et des actions régressives.
D’autres encore considèrent qu’il faut nécessairement aller de l’avant sans arrêt et que, grâce au « progrès », la force des choses n’existe plus. Les avancées des sciences et des techniques tendent à les persuader que presque tout dépend ou dépendra de nous.
Ces trois attitudes simplistes, plaquées a priori sur une réalité complexe, continuent à séduire parce qu’elles font partie du « prêt à penser » qui évite l’effort de réfléchir. Elles sont toutes les trois des sources d’erreur et de tromperie.

Autre source d’erreur et de tromperie communément répandue : croire et faire croire que la vérité et le bien vers lesquels nous devons tendre nous sont révélés par ce que font les autres, c’est-à-dire, dans notre monde, grâce à ce qu’on appelle en franglais le « benchmarking », c’est-à-dire en l’occurrence les comparaisons par rapport aux moyennes internationales.
Or celles-ci ne sont pas assez fines pour permettre de comparer vraiment ce qui est comparable. Ceux qui utilisent ces données – hommes politiques, experts plus ou moins médiatiques ou politisés – trompent leur public en feignant d’en maîtriser la signification. Ils n’ont généralement pas une idée assez précise des réalités étrangères, et de toutes les précautions à prendre pour apprécier avec justesse la portée des chiffres invoqués. Bref, comparaison n’est pas raison.
Aux effets de l’ignorance s’ajoutent dans ce « comparatisme » les effets de la rivalité, de la compétition, de la surenchère, et même de l’envie. Il existe une propension à croire que l’autre est toujours mieux loti que soi, et qu’il faut le suivre pour l’égaler ou le dépasser, alors qu’il serait préférable de penser à se dépasser soi-même.

Dominique Thiébaut Lemaire

Sergio Birga : xylographies, variations sur Kafka

Exposition du 1er décembre 2016 au 15 janvier 2017

 

vernissage-birga-invitationLa galerie Saphir au Marais présente plus de vingt xylographies de Sergio Birga, inspirées par l’oeuvre de Kafka. Les plus anciennes (sur La Métamorphose, Le Procès, Un rêve) datent de 1963, dix ont été réalisées en 2014-2015, les trois plus récentes en 2016 d’après Le Château de l’écrivain pragois.
L’ensemble de ces xylographies donne une puissante impression d’univers onirique où le fantastique est parfois proche de l’angoisse. Cette impression est renforcée par le nombre d’oeuvres ainsi réunies, et par l’unité et la forte sincérité de l’inspiration.
L’exposition montre aussi quelques toiles de la période néo-expressionniste du peintre graveur.

L’influence de la technique de gravure sur les formes

La gravure sur bois de fil (en l’occurrence du cerisier) a des lignes anguleuses dues à la résistance du matériau. Elle impose une vigoureuse simplification des formes.
Elle a été pratiquée par les expressionnistes allemands, avec lesquels Sergio Birga a noué des liens d’amitié. Il a rencontré en Allemagne les protagonistes encore vivants de ce mouvement dans les années 1960 et 1970, Heckel, Meidner, Kokoschka, et plus particulièrement Otto Dix et Conrad Felixmüller.

Gravure et peinture

Les toiles exposées (de la première période de Sergio Birga) se caractérisent par la vivacité de leur chromatisme et par leurs formes convulsives ou géométriques, en correspondance avec les gravures.
Des huiles sur toile d’une période ultérieure ont servi de modèles aux xylographies intitulées « Un artiste du jeûne » ou le cirque K : tableau de 2005 et gravure de 2006 ; et « Description d’un combat (le pont Charles) » à Prague : tableau de 2005 et gravure de 2006 également. On peut ainsi comparer sur les mêmes thèmes la peinture et la gravure : les huiles permettent la nuance ne serait-ce que par la diversité des couleurs, en même temps leur grand format « en met plein la vue » comme on dit familièrement, et le support de la toile leur promet un avenir probablement plus durable ; les gravures sont par nature plus petites, plus fragiles sur papier, elles se passent le plus souvent de couleur, ce sont des figurations plus épurées qui concentrent la force du dessin.

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Sergio Birga
Description d’un combat (le pont Charles) 114×146 cm
huile sur toile, 2005

Quatre exemples parmi les xylograhies exposées

Les reproductions ci-dessous, reprises du site de l’artiste et du dossier de presse de l’exposition, donnent une idée de la qualité de ces gravures, accompagnées chacune de l’extrait de Kafka qui leur a donné naissance.


Le chevalier du seau I, 30 x 45 cm, 2006
« … Furibond, mais subissant l’éblouissant rayon du commandement : « Tu ne tueras point », le marchand sera obligé de lancer dans mon seau une pleine pelletée de charbon…
… Mais la charbonnière « dénoue son tablier et essaie de me repousser en l’agitant. Malheureusement elle y parvient. Mon seau a toutes les qualités d’une bonne monture ; mais aucune force de résistance ; il est trop léger ; un tablier de femme lui fait déjà quitter le sol. »

L’enseigne « Köhler » en allemand au-dessus de la porte à droite signifie « Charbonnier ».

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Le Soutier (Amerika), 30 x 45 cm, 2014
« Lorsque Karl Rossmann, jeune homme de dix-sept ans… entra dans le port de New York sur le bateau à l’allure déjà plus lente, il s’aperçut que la statue de la déesse de la Liberté qu’il observait depuis longtemps déjà était baignée par des rayons de soleil soudain plus forts. Le bras qui brandissait l’épée semblait s’être dressé à l’instant, et autour de son grand corps soufflaient les vents libres. »

Il est à noter que Kafka fait brandir à la Liberté un glaive au lieu d’un flambeau.

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Un médecin de campagne, 30 x 45 cm, 2014
« Tu m’accompagnes, dis-je au palefrenier, sinon je renonce à cette course, si urgente soit-elle. Je n’ai pas l’intention de t’abandonner ma servante pour prix de mon trajet. » « Hue !  » dit-il, et il frappe dans ses mains ; la voiture est emportée d’un seul coup, comme une branche par le courant ; j’entends encore la porte de ma maison qui se fend et vole en morceaux sous l’assaut du palefrenier, puis mes yeux et mes oreilles s’emplissent d’un puissant sifflement qui envahit tous mes sens à la fois. »

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Le chevalier du seau II (Dans les montagnes glacées), 30 x 45 cm, 2014
« Je m’élève vers la région des Montagnes glacées où je me perds sans espoir de retour. »

Le seau léger de la première gravure (Le Chevalier du seau I) devient ici un fardeau que le personnage porte avec difficulté, jambes et bras pliés dans l’effort.

Le noir et blanc – et parfois la couleur – dans les gravures de Sergio Birga

Le chevalier du seau  » I et II, et « Un médecin de campagne » montrent tout le parti que l’artiste peut tirer du noir et blanc de la xylographie : le noir devient un ciel nocturne sombre mais constellé, tandis que le blanc devient de la neige glacée.

Parfois, les gravures de Sergio Birga sont rehaussées de couleurs, par exemple dans la série qu’il a consacrée au jazz antérieurement, où le nombre de couleurs peut aller jusqu’à quatre. Deux des xylographies de la série « kafkaïenne » sont colorées. L’une d’elles représente le peintre Titorelli du Procès en train d’achever un tableau en rouge de la justice et du juge ; l’autre, « Les Passants qui courent dans la nuit », reprise d’un dessin de 2002 mais plus élaborée, montre deux personnages qui, dans une rue rectiligne pareille à celle où habite Sergio Birga, semblent fuir éperdument une énorme lune rouge. Il arrive en effet que la lune, éclipsée par l’ombre de notre planète, ne soit plus éclairée directement par le soleil, mais reçoive une lumière solaire diffusée en traversant l’atmosphère terrestre : un phénomène astronomique connu sous le nom de lune rousse, plus spectaculaire encore lorsqu’elle est à son périgée, au point de son orbite le plus proche de la terre.

 

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les couleurs de la météo

La météo sa couleur nous alerte
Annonce en rouge un grand coup de balai
L’intempérie colore ainsi les cartes
Même en violet dans le pire des cas

Mais plus souvent le danger reste orange
Lorsque la pluie ne crée pas de torrents
Lorsque le vent ne pousse pas l’orage
Sous les rayons d’une sinistre aura

Des nues chargées de rafales s’agrègent
Dans un gréement d’invisibles agrès
Ne cherchons pas quel démon les dirige
Nul ange noir aucune walkyrie

La dépression qui s’éloigne s’écarte
Entraîne encore un dernier reliquat
Puis laisse place à l’espérance verte
Et c’est le calme après le temps mauvais

 

La vigilance météorologique attire l’attention sur les risques d’une situation de mauvais temps et fait connaître les précautions pour se protéger. Des préalertes (en jaune) sont émises jusqu’à 48 heures à l’avance quand des évènements sont probables mais que des changements dans l’intensité, la trajectoire et/ou la durée peuvent se produire. Quand les météorologues sont sûrs que l’évènement va se produire, une carte de France des alertes, actualisée au moins deux fois par jour, signale le danger menaçant un ou plusieurs départements dans les 24 heures. Chaque département est coloré selon la situation météorologique et le niveau de vigilance nécessaire. En cas de vagues-submersion, le littoral des départements côtiers concernés est également coloré. La gradation des couleurs s’inspire de celle qui est utilisée pour les feux de circulation routière. Le vert indique une situation où aucune vigilance particulière n’est requise, le niveau d’alerte orange un phénomène d’intensité modérée, le niveau rouge un phénomène d’intensité forte et le niveau maximal violet un phénomène très fort. Un pictogramme précise sur la carte le type de phénomène prévu : vent violent, vagues-submersion, pluie-inondation, inondation, orages, neige/verglas, avalanches, canicule, grand froid. La carte est accompagnée de bulletins actualisés aussi souvent que nécessaire, qui précisent l’évolution du phénomène, sa trajectoire, son intensité et sa fin. Un système européen de vigilance, Meteoalarm, utilisant la même symbolique des couleurs, fournit des informations sur les conditions météorologiques attendues partout en Europe.

Dominique Thiébaut Lemaire

Billet : les chiffres des statistiques et des sondages

Elle est parfois pipeau jouant un air de fifre
En sorte qu’on sait mal ce qu’elle signifie
Partout la statistique à nos oreilles siffle
Et ses dénombrements trompeusement précis
Nous soûlent tous les jours plus qu’ils ne nous enivrent
En nous étourdissant de données infinies

Celui qui veut comprendre est à la peine il souffre
Il aime la justesse or elle se dissout
Dans les marges d’erreur le réel se camoufle
On sonde l’opinion sur des sujets trop mous
Pour la science dure et cet écart entrouvre
Un hiatus où le vrai se perd au fond du trou

Nous vivons dans un siècle envahi par les chiffres
Embrouillant la pensée des humains réfléchis
Quand pour s’en distancier l’esprit douteur persifle
Il voit le professeur le politique aussi
Le journaliste idem désireux de les suivre
Entrer dans le manège et boucler le circuit

Le sceptique aperçoit comme un début de gouffre
Entre la vérité dont il garde le goût
Et les trucs sondagiers qu’on avoue dans un souffle
Il se demande alors ce qu’il y a dessous
Ce que les taux ratios pourcentages recouvrent
Et pour l’entendement quel en sera le coût

 

 

Les chiffres ont avec la vérité un rapport double : tantôt ils la révèlent, tantôt ils la dissimulent. Le premier de ces aspects est celui que l’on retient en général, mais c’est le second qui nous occupe ici. Les chiffres sont trompeurs dans la mesure même où ils semblent être une garantie de précision et d’exactitude mathématiques, alors que l’apparence de sérieux est un moyen de dissimuler plus facilement leur caractère erroné. On se pose trop rarement la question de leurs sources et de leur fabrication. On part du présupposé que les insuffisances ou les faussetés initiales affectant les données de base et leur collecte peuvent être compensées, rectifiées par un traitement scientifique a posteriori. Dans le domaine de l’opinion, des médias d’opinion, des sondages d’opinion, on feint de croire que lorsque dans une enquête on interroge une personne, celle-ci exprime sans ignorance ni mensonge une vérité à laquelle l’enquêteur peut accorder foi. Les marges d’erreur n’intéressent pas grand monde, pas plus que les méthodes de redressement qui consistent en fait, qu’on l’avoue ou non, à manipuler les données dites « brutes ». En France, les « statistiques ethniques » ne sont pas autorisées, mais on entend sans cesse des discours dont les auteurs raisonnent comme s’ils pouvaient dire des choses indéniables à partir de chiffres en principe inexistants. On décompte les immigrés clandestins en faisant comme si « clandestin » ne signifiait pas secret, caché. Lorsque, de manière apparemment vertueuse, les sources sont mentionnées, il arrive qu’elles se réfèrent à d’autres sources dans une chaîne de renvois aboutissant à des chiffres sortis de nulle part.

P.-S. Ce poème accompagné de son texte en prose a été écrit et publié avant que ne soient connus les résultats de l’élection présidentielle américaine du 8 novembre 2016. Ces résultats, comme on le sait, ont fait mentir les sondages et autres prévisions médiatiques.

Dominique Thiébaut Lemaire