Billet : le général rhabillé en poète

En tenue d’aviateur il visite une base
Après un tour éclair en Afrique là-bas
La troupe est au désert dans une couleur bise
Manquant de matériel muette elle subit

« Il » c’est le Président patron des vieilles buses
Et des vrais généraux qui ont besoin d’obus
Rares sont les crédits le risque est la thrombose
Bien qu’avec peu d’argent les défilés soient beaux

Le chef d’état-major ne veut pas qu’on le baise
A-t-il dit refusant une armée au rabais
Poète paraît-il et revendicatif

Poète pas vraiment parole regimbeuse
Qui pourfend d’un seul mot brut les grands discours verbeux
Du coup l’exécutif se fait vindicatif

 

Dans le Figaro du 21 juillet 2017, le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, a attaqué l’ex-chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers, après plusieurs péripéties : une semonce du président de la République ne jugeant « pas digne d’étaler certains débats sur la place publique » ; la démission du général pourtant récemment reconduit, et son communiqué : « je considère ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français…» ; son remplacement immédiat par le chef du cabinet militaire du premier ministre ; la visite de la base aérienne d’Istres par le président, tièdement applaudi par les militaires. Selon le porte-parole du gouvernement : « Le chef d’état-major [CEMA] a été déloyal dans sa communication, il a mis en scène sa démission ». Il s’était notamment insurgé, lors de son audition à huis-clos devant la commission de la Défense de l’Assemblée le 12 juillet, contre les économies nouvelles demandées aux armées en 2017, en affirmant qu’il ne se laisserait pas « baiser comme ça » (variante : « baiser par Bercy »). Selon Christophe Castaner, le départ du chef d’état-major « n’a rien à voir » avec cette audition « même si Pierre de Villiers aurait pu s’imaginer que ses propos allaient fuiter, à moins de manquer d’expérience… On n’a jamais vu un CEMA s’exprimer via un blog, ou faire du off avec des journalistes ou interpeler les candidats pendant la présidentielle, comme cela a été le cas. Il s’est comporté en poète revendicatif. On aurait aimé entendre sa vision stratégique et capacitaire plus que ses commentaires budgétaires. » Le général publiait régulièrement des textes sur sa page Facebook (et même en décembre 2016 une tribune dans Les Echos). Les médias ont tous relevé l’expression incongrue de « poète revendicatif ». Poète de misère, peut-être ?

Dominique Thiébaut Lemaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Billet : canicule

Fin juin début juillet de lourds hectopascals
Ont fait pression sur nous subsiste un reliquat
Sous les coups de chaleur frappes de canicule
Il faut que le corps las recharge ses accus

Le soleil installé près de la verticale
Sur la ville fournaise est devenu tracas
Nous attendons l’orage afin que l’air circule
Que la température à la fin s’évacue

Vers des sommets nouveaux s’élève le mercure
Je redoute midi j’aime le crépuscule
Asthénie et langueur m’ont un instant vaincu

Dans le ciel a fondu le vol ailé d’Icare
Vivement que le temps ne soit plus tropical
J’aspire à la fraîcheur en rêvant d’Alaska

 

Trois vagues de chaleur d’une semaine ont submergé la France, fin mai, et surtout fin juin et début juillet. Le mot de canicule, du latin canicula, petite chienne, fait référence à la période de l’année où Sirius, étoile principale de la constellation du chien, et la plus brillante du ciel nocturne, se lève et se couche avec le soleil, du 22 juillet au 23 août. Les trois vagues de chaleur de mai-juin-juillet 2017 ont donc été en avance. Tandis qu’en hiver il nous arrive de subir la froidure des vents du nord et de l’est, polaires ou sibériens, en été les vents venus du sud de la Méditerranée et du Sahara peuvent faire grimper les températures à des niveaux excessifs, nous apportant parfois du sable du désert. Heureusement, entre ces excès de froid et de chaud, les vents dominants, sauf quand les hautes pressions de l’anticyclone des Acores y font momentanément obstacle, nous viennent de l’ouest atlantique. La France, grâce à eux (et grâce au courant océanique du « gulf stream »), est et reste un pays tempéré, sur le trajet du « jet stream » ou « courant-jet » de l’hémisphère nord qui résulte notamment de la rotation de la terre. Ce puissant courant atmosphérique fait le tour du globe aux latitudes moyennes en passant par l’Amérique du Nord, l’Europe, la Chine, le Japon… C’est lui qui fait que les temps de vol entre New York, Paris Canton et Tokyo, par exemple, sont plus courts de l’ouest vers l’est que dans l’autre sens.

Dominique Thiébaut Lemaire

Cézanne : portraits. Par Annie Birga

CEZANNE  PORTRAITS1
Musée d’ORSAY 13 JUIN-24 SEPTEMBRE 2017

L’exposition met en lumière  un aspect de l’œuvre de Cézanne que ses natures mortes et ses paysages pourraient laisser dans l’ombre. Mais on aurait tort de négliger le portraitiste qui considère lui-même la figure comme un « aboutissement de l’art ».

Le parcours est chronologique, rythmé par périodes biographiques, il représente plus de quarante années de création. La première décennie montre les tableaux d’un jeune peintre (Cézanne est né en 1849), admirateur de Courbet et de Manet,  qui dessine très nettement les formes et peint au couteau dans des couleurs sombres. Cette originalité lui vaut les refus répétés d’un Salon dominé par l’académisme, mais, sans en être découragé, il multiplie les portraits de sa famille et de ses amis aixois, alternant les séjours entre sa ville natale et la capitale, qui lui permettent de continuer son apprentissage à l’école de dessins d’Aix et à l’Académie suisse. Son oncle Dominique, qui se prête au jeu, lui offre l’occasion  d’exécuter sa première série, de Dominique au bonnet de coton à Dominique à la toque d’avocat, un vrai Daumier. On retiendra « Louis-Auguste Cézanne, père de l’artiste, lisant l’Evénement », « Achille  Emperaire », son ami peintre au corps difforme et au beau visage, le « Portrait d’Antony Valabrègues », son ami poète. Dans l’intention de se démarquer de Manet qui venait de faire le portrait de Zola, il imagine une scène originale, « Paul Alexis lisant à Emile Zola » qui réunit les deux écrivains, mais la guerre interrompt le tableau.  S’il fallait retenir une image de cette période, ce serait celle, frappante, de son premier autoportrait qui date des années 62-64 et montre un jeune révolté, énergique et orgueilleux.

Dans les années qui vont suivre, Cézanne ne cesse d’interroger sa propre image de ce regard intense qui rappelle  le commentaire de Rilke : « Il s’est représenté lui-même, sans le moins du monde  interpréter ou juger son expression, avec une  humble objectivité , avec la foi et la curiosité  impartiale d’un chien  qui se voit dans une glace et se dit : «Tiens, un autre chien ! » (Rainer Maria Rilke, Lettres sur Cézanne, Seuil 1991). Il se peint  dans des intérieurs, au fond rose ou olivâtre. Il a mûri. Il est devenu barbu et bientôt son crâne est chauve. Il porte aussi des coiffures ou des chapeaux qui lui confèrent un aspect de peintre-artisan ou, parfois, de bourgeois. Il se représente de trois-quart. Sa manière a changé sous l’influence de  Pissarro, son aîné, avec qui il séjourne à Pontoise ou à Auvers. Il peint au moyen de touches que des critiques ont appelées « constructives ».  Une lumière prismatique entre ainsi dans la toile. Cézanne expose 3 tableaux à la première exposition impressionniste de 1874, sans appartenir vraiment au mouvement. Il est aussi ami de Renoir qui lui présente un collectionneur de la nouvelle peinture, Victor Chocquet. Celui-ci achètera près de 40 tableaux et aquarelles à Cézanne qui lui fait son portrait d’intellectuel sensible et le représente, assis au milieu de sa collection.

Dans sa partie centrale l’exposition met en valeur celle qui, d’abord compagne, puis épouse, Hortense Fiquet, est devenue son modèle de prédilection. Petit visage aux traits fins, au chignon bien serré, à l’expression boudeuse et parfois revêche, ne souriant jamais. On a rapporté qu’elle supportait mal des séances longues et répétées. Une seule fois elle a dénoué son chignon, elle penche mélancoliquement la tête (le portrait date de 1885-86). C’est à cette même date que Cézanne se représente en peintre dans son « Autoportrait à la palette ».  Déterminé, il regarde une toile dont on ne voit que le châssis.

Si l’on prend pour fil directeur les divers portraits d’Hortense, on ne peut que remarquer l’évolution du style pictural. Les premiers portraits sont presque classiques. Ils se font ensuite très dessinés avec des contours très précis (Cézanne disait que Gauguin l’avait copié) et dans les années  I888-90 les formes deviennent cylindriques, géométriques,  au point que Picasso et Matisse considéreront Cézanne comme un précurseur du cubisme. Les quatre tableaux de Madame Cézanne en rouge (ou au fauteuil jaune) sont impressionnants par leur vigueur et leur forme synthétique.

Quant  au fils du couple, Paul, Cézanne  en donne l’image d’un jeune garçon aux traits purs, avant de  le portraiturer en petit jeune homme au chapeau à la mode, cinq ans plus tard.  Mais l’un des plus beaux portraits d’adolescent réalisés par le peintre est celui  du Musée de l’Orangerie. Cézanne, devenu riche depuis la mort de son père, a loué un appartement Quai d’Anjou. Il y  fait poser un jeune modèle  aux cheveux longs et au visage encore enfantin  dans des attitudes différentes et familières. C’est « Le garçon au gilet rouge » (1888-1890).

Dans la dernière décennie du siècle Cézanne multiplie les allers-retours entre Aix et Paris. A Aix il peint plusieurs versions des « Joueurs de cartes ». Il aime ce type d’hommes du peuple, des paysans, des ouvriers agricoles. Il dessine ses modèles. Il en fait des portraits  qui évoquent les primitifs italiens « L’homme à la pipe » , « Le Fumeur accoudé », autant d’études avant « Les Joueurs de cartes ».  Dans sa ville ce sont des gens simples que Cézanne va chercher, enfants, ménagères, vieille femme au chapelet. Une exception pour son jeune ami, le poète Joachim Gasquet (qui écrira ensuite  les souvenirs de ces années d’amitié avec le  peintre). A Paris,  le succès et la renommée l’ont rejoint. Ambroise Vollard lui offre en 1895 sa première exposition. L’histoire du portrait de Vollard qui n’en finit pas (115 séances de pose) est bien connue, ainsi que l’apostrophe à son modèle : « Il faut vous tenir comme une pomme. Est-ce-que cela remue, une pomme ? ». Le regard absent de Vollard  se porte sur le livre qui l’aide à supporter ce temps de pose. Inversement le critique Gustave Geoffroy est portraituré dans l’action, une bibliothèque pour toile de fond et de multiples documents ouverts sur sa table de travail.

L’autoportrait de 1898-1900, intitulé « Portrait de l’artiste au béret », s’il montre un vieillissement physique, conserve la force du dessin et des couleurs matiériques. La notoriété de Cézanne a franchi les frontières, comme en témoignent les expositions de Berlin, de La Haye,  les achats de  Chtchoukine. Et ne fait que croître en France où une salle entière du Salon d’Automne de 1905 est consacrée à ses œuvres, et où dès 1900 Maurice Denis réalise l’« Hommage à Cézanne » qui regroupe les Nabis et Odilon Redon. Dans l’atelier qu’il fait construire aux Lauves sur les collines d’Aix, Cézanne multiplie les vues de la montagne Sainte Victoire et entreprend les « Baigneuses ». Mais il n’abandonne pas pour autant ses portraits, en deux versions une mystérieuse « Dame en bleu »  et  « Dame au livre »,  qui sera le dernier écho de la bourgeoisie, peu aimée de Cézanne, au demeurant portraits très réussis, où Cézanne travaille la couleur bleue (il n’y a jamais eu de baisse dans la réalisation  de son œuvre peint). Son dernier modèle est le jardinier Vallier, un peu son alter ego par l’âge et le physique. Il le peint dans l’atelier, et aussi en plein air. Il retrouve une palette et un dessin aussi violents qu’ils le furent à ses débuts. En octobre 1906 il travaillait à un portrait de Vallier quand la maladie le terrassa.

On ne quitte pas Cézanne sans  l’écouter dire humblement ce que représente pour lui un portrait : «  Il faut bien voir son modèle et sentir très juste et encore s’exprimer avec distinction et force » .

Annie Birga