Corot : le peintre et ses modèles. Par Annie Birga

Exposition au Musée Marmottan-Monet

2 février-8 juillet 2018

Une telle exposition offre l’occasion rare de connaître et de comprendre mieux l’œuvre de Corot. Car on oublie trop que, si le paysage a été la passion première et jamais désavouée du peintre qui s’exclame : « Je n’ai qu’un but dans la vie que je veux poursuivre avec constance, c’est faire des paysages », celui-ci a tout au long de son existence peint des portraits, des figures et des nus. L’exposition du Musée Marmottan-Monet en présente un choix restreint, une soixantaine d’oeuvres qui vont des premières années d’Italie aux derniers portraits exécutés  en 1874, quelques mois avant sa mort. Le Musée du Louvre a la chance de conserver beaucoup de toiles de Corot ; le commissaire de cette exposition en est le directeur du Département des peintures, Sébastien Allard.

Entre 1825 et 1829 Corot séjourne à Rome et dans les campagnes du Latium, d’où de nombreuses études de paysages. Mais, intéressé par les types humains, il fait parfois entrer dans son atelier des mendiants, des paysans, des bergers (Ciociari en patois romain). Ce qui nous vaut des pochades réalistes et vivaces, comme « Vieillard assis sur une malle appartenant à Corot » (1826). Il peint un moine itinérant avec canne et besace, absorbé dans sa lecture, dont il rend bien la silhouette massive. Il remarque l’élégance  des costumes de paysannes, la variété de leurs couleurs. Bien des années plus tard il demandera à un ami peintre et voyageur de lui rapporter des habits de femmes de Genzano et d’Albano (et aussi un habit de capucin) dont il pourra vêtir ses modèles parisiens.

Dans les années qui suivent son retour à Paris, Corot, à nouveau repris par le paysage, va cependant portraiturer sa famille : sa mère, élégante et énigmatique, et une ribambelle de nièces auxquelles il offre ce cadeau pour leurs seize ans. Ce sont des images simples, immédiates et vivantes. Le portrait le plus connu, réalisé à la manière d’Ingres, est celui de Louise Claire Sennegon, mélancolique, sur un fond crépusculaire (1837). Un beau portrait d’homme (« Toussaint Lemaistre, architecte ») fait  regretter l’absence de modèles masculins.

En 1843 Corot va effectuer son troisième et dernier séjour à Rome. Il possède désormais toute la maîtrise de son métier. Deux tableaux réalisés cette même année nous l’attestent : « Tivoli. Les Jardins de la Villa d’Este », où une petite figure de jeune paysan,  juché sur le mur d’enceinte de la Villa, apporte une touche vivace dans un harmonieux paysage classique d’architectures et d’arbres.  Quant à « Marietta ou l’Odalisque romaine », c’est une huile sur papier marouflée sur toile de très petites dimensions (29 x 44 cm). Corot se revendique de la paternité d’Ingres et en effet son dessin en a la hardiesse. Il est fait sur un lavis rose et les tons sont ocres et gris. Le modèle nu fait face au spectateur avec un regard qui n’est pas sans rappeler celui de l’« Olympia » de Manet. Des Romaines, Corot écrivait à son ami Abel Osmond : «  Ce sont toujours les plus belles femmes du monde que je connais ».

Désormais fixé définitivement à Paris, Corot poursuit une carrière où les Salons tiennent une place importante. Dans des formats plus grands il traite de sujets bibliques ou mythologiques et les personnages qui peuplent les lieux ne sont guère individualisés. Les titres des portraits, donnés a posteriori par ses critiques, peuvent en révéler l’ambiguïté ;  la « Muse de Virgile »(1845) est aussi une « Liseuse couronnée de fleurs ». Son modèle préféré, Emma Dobigny, qui posa aussi pour Degas et Puvis de Chavannes, est représentée en « jeune Grecque ». Ou encore Corot, à force d’idéalisation, dans le portrait commandé  de Berthe Goldschmidt, fait de son modèle une Joconde moderne. Mais on a de belles surprises : une érotique « Belle Gasconne », une « Jeune Femme à la jupe rose », instantanée, qui n’ont rien d’allégorique. Le biographe de Corot, Moreau-Nélaton, évoque ainsi ses modèles : « Des Italiennes de la rue Mouffetard alternaient dans la pose avec les coureuses d’atelier de Montmartre ».

Jeune femme à la jupe roseJeune femme à la robe rose

Dans les années 60-70 Corot a peint des nus allongés, images de Bacchantes. L’exposition en regroupe trois dans une série onirique. Les nus rappellent Giorgione et le Titien. Ils sont mis en valeur par de forts contrastes de lumière. Aucune expression dans les visages féminins. Mais de curieuses mises en scène, en particulier dans « La Bacchante à la panthère », des paysages étranges, plage, mer, buisson, tour lointaine, dans « La Bacchante couchée au bord de la mer » .

Puis dans un infatigable va-et-vient Corot, de retour à l’atelier, montre un peu de son intimité de peintre. Il fait comme souvent une série avec des variantes.  Atelier avec le poêle et entrée d’atelier. Au mur des tableaux. Sur le chevalet un tableau en cours. Filles qui ont délaissé la pose ou qui regardent l’œuvre, une autre tient une mandoline. Elles se ressemblent toutes. De sages jeunes modèles. On pense à des tableaux hollandais et parfois à Vermeer.

Jamais Corot n’a employé du blanc ou du noir pur. Il a beaucoup utilisé le blanc et il a été en ce sens précurseur des Impressionnistes. Berthe Morisot et Pissarro se sont réclamés de lui. Il a été fortement influencé par Manet dans les dernières années de sa création. Les portraits sont devenus plus grands,  les femmes sont représentées à mi-corps, la manière est plus libre, la touche plus épaisse. « La Dame en bleu » (1874) clôt l’exposition. La couleur du bleu franc de la robe, la pose du modèle qui suggère une rêverie, la mise en valeur du bras nu, la présence discrète de l’atelier, tous ces éléments réunis font de ce tableau un chef-d’œuvre.

Corot a peint très peu d’autoportraits. On a décelé dans l’évocation du « Moine jouant du violoncelle » (1874) comme une parenté morale avec le vieux peintre qui ne cesse de peindre et le fera jusqu’au bout.

Annie Birga