La chatte métamorphosée en femme

Un quidam excessif chérissait trop sa chatte
Qui était fort mignonne et belle et délicate
Et qui miaulait d’un ton si doux
Le pauvre en était presque fou
Comme ensorcelé par son charme
Cet homme donc par supplique et par larmes
Fait tant qu’il obtient du destin
Que cette chatte un beau matin
Devienne femme et le jour même
Désormais fou d’amour extrême
Plus question de douce amitié
Le sot la prend pour sa moitié
Trouvant à cette épouse nouvelle
Plus de charme qu’à la plus belle
Il la caresse elle le flatte
Elle est câline et mieux que chatte
Tandis que lui dans l’erreur jusqu’au bout
La croit femme en tout et partout
Tels sont les mots du fabuliste
Qui n’était pas un catéchiste
Mais les plaisirs de ces récents mariés
Sont vite contrariés
Par un bruit de petits rongeurs
Aussitôt pour chasser les grignoteurs
Qui réveillaient son instinct
Mal éteint
La femme d’un seul bond délaissant les caresses
Est  redevenue chasseresse
Avec d’autant plus de succès
Que nul ne la reconnaissait
Chez les trotte-menu n’ayant plus assez peur
De son aspect trompeur

 

Ce texte s’inspire d’une fable de La Fontaine (Livre II, 18) dont l’origine est un apologue d’Esope intitulé « La chatte et Aphrodite », où une jeune femme, amoureuse d’un jeune homme, demande à Aphrodite-Vénus d’être transformée en chatte pour être près de lui. La déesse exauce cette prière, mais elle met la belle à l’épreuve en lâchant une souris dans la chambre. Cette fable transformée par La Fontaine fait penser à une autre du fabuliste français, « La souris métamorphosée en fille » (Livre IX, fable 7), où la fille en question, laissée libre d’épouser le parti le plus avantageux, finit par donner sa préférence à un rat. Dans « La chatte métamorphosée en femme » et dans « La souris métamorphosée en fille », la morale selon laquelle le « naturel » est le plus fort se rapproche de celle qui conclut « Le loup et le renard » (Livre XII, fable 9) : « Que sert-il qu’on se contrefasse ? / Prétendre ainsi changer est une illusion : / L’on reprend sa première trace / A la première occasion » (vers 61-64).

Dominique Thiébaut Lemaire