Billet : le franchissement des Vosges

 

Entre Alsace et Lorraine on traversait les Vosges
En car dans ma jeunesse ou en quatre-chevaux
Aujourd’hui par Bussang les camions lourds s’allongent
Ils freinent l’impatient pressé sur leurs talons

Par le col de Bramont dans des pentes sauvages
Les virages serrés font toujours la java
Les sapins sur leurs bords aux feuillus se mélangent
Pour franchir la montagne on voudrait plus d’élan

Par le col d’Oderen celui que je préfère
La route est plus tranquille et ses tournants moins forts
Quelques-uns seulement en épingle à cheveux

Ses lacets modérés n’exigent des chauffeurs
Qu’une attention moyenne et sans appels de phares
Et sans agacement de conducteur nerveux

 

Entre la vallée alsacienne de la Thur (vallée de Thann/Saint-Amarin) et les vallées lorraines de la Moselotte et de la Moselle, l’automobiliste a le choix entre trois cols routiers : ceux de Bussang  (731 m d’altitude), d’Oderen (884 m d’altitude) ou de Bramont (956 m d’altitude),  ce dernier tout au fond de la vallée de la Thur. La voie mosellane historique qui passe par le col de Bussang aurait pu avoir son tunnel ferroviaire de 8 300 m de long. Mais le percement de ce tunnel, décidé le 11 juillet 1870, a été annulé à cause de la guerre franco-allemande et de l’annexion, pendant presque cinquante ans, de l’Alsace par l’Allemagne. Le creusement a finalement démarré en 1932, mais les coûts ont augmenté rapidement, et la société de forage a fait faillite en 1935. A cette date la plupart des ouvrages d’art côté alsacien étaient construits et le tunnel était foré sur une longueur de presque quatre kilomètres. La poursuite du projet a traîné et la seconde Guerre mondiale l’a stoppée. En 1943, l’ouvrage inachevé a été reconverti en camp de travail, annexe du camp de concentration de Natzwiller-Struthof. Des pièces de moteur d’avion y étaient fabriquées pour le compte de Daimler-Benz. Les déportés, juifs pour la plupart, provenaient des camps de Dachau ou du Struthof. Ils étaient majoritairement russes et polonais. Le chantier du tunnel n’ayant pas été repris après 1945, le col de Bussang est resté indispensable jusqu’à maintenant comme voie de passage la plus directe sur le grand axe de circulation entre le Benelux, la Suisse et l’Italie.

Dominique Thiébaut  Lemaire

 

Corot : le peintre et ses modèles. Par Annie Birga

Exposition au Musée Marmottan-Monet

2 février-8 juillet 2018

Une telle exposition offre l’occasion rare de connaître et de comprendre mieux l’œuvre de Corot. Car on oublie trop que, si le paysage a été la passion première et jamais désavouée du peintre qui s’exclame : « Je n’ai qu’un but dans la vie que je veux poursuivre avec constance, c’est faire des paysages », celui-ci a tout au long de son existence peint des portraits, des figures et des nus. L’exposition du Musée Marmottan-Monet en présente un choix restreint, une soixantaine d’oeuvres qui vont des premières années d’Italie aux derniers portraits exécutés  en 1874, quelques mois avant sa mort. Le Musée du Louvre a la chance de conserver beaucoup de toiles de Corot ; le commissaire de cette exposition en est le directeur du Département des peintures, Sébastien Allard.

Entre 1825 et 1829 Corot séjourne à Rome et dans les campagnes du Latium, d’où de nombreuses études de paysages. Mais, intéressé par les types humains, il fait parfois entrer dans son atelier des mendiants, des paysans, des bergers (Ciociari en patois romain). Ce qui nous vaut des pochades réalistes et vivaces, comme « Vieillard assis sur une malle appartenant à Corot » (1826). Il peint un moine itinérant avec canne et besace, absorbé dans sa lecture, dont il rend bien la silhouette massive. Il remarque l’élégance  des costumes de paysannes, la variété de leurs couleurs. Bien des années plus tard il demandera à un ami peintre et voyageur de lui rapporter des habits de femmes de Genzano et d’Albano (et aussi un habit de capucin) dont il pourra vêtir ses modèles parisiens.

Dans les années qui suivent son retour à Paris, Corot, à nouveau repris par le paysage, va cependant portraiturer sa famille : sa mère, élégante et énigmatique, et une ribambelle de nièces auxquelles il offre ce cadeau pour leurs seize ans. Ce sont des images simples, immédiates et vivantes. Le portrait le plus connu, réalisé à la manière d’Ingres, est celui de Louise Claire Sennegon, mélancolique, sur un fond crépusculaire (1837). Un beau portrait d’homme (« Toussaint Lemaistre, architecte ») fait  regretter l’absence de modèles masculins.

En 1843 Corot va effectuer son troisième et dernier séjour à Rome. Il possède désormais toute la maîtrise de son métier. Deux tableaux réalisés cette même année nous l’attestent : « Tivoli. Les Jardins de la Villa d’Este », où une petite figure de jeune paysan,  juché sur le mur d’enceinte de la Villa, apporte une touche vivace dans un harmonieux paysage classique d’architectures et d’arbres.  Quant à « Marietta ou l’Odalisque romaine », c’est une huile sur papier marouflée sur toile de très petites dimensions (29 x 44 cm). Corot se revendique de la paternité d’Ingres et en effet son dessin en a la hardiesse. Il est fait sur un lavis rose et les tons sont ocres et gris. Le modèle nu fait face au spectateur avec un regard qui n’est pas sans rappeler celui de l’« Olympia » de Manet. Des Romaines, Corot écrivait à son ami Abel Osmond : «  Ce sont toujours les plus belles femmes du monde que je connais ».

Désormais fixé définitivement à Paris, Corot poursuit une carrière où les Salons tiennent une place importante. Dans des formats plus grands il traite de sujets bibliques ou mythologiques et les personnages qui peuplent les lieux ne sont guère individualisés. Les titres des portraits, donnés a posteriori par ses critiques, peuvent en révéler l’ambiguïté ;  la « Muse de Virgile »(1845) est aussi une « Liseuse couronnée de fleurs ». Son modèle préféré, Emma Dobigny, qui posa aussi pour Degas et Puvis de Chavannes, est représentée en « jeune Grecque ». Ou encore Corot, à force d’idéalisation, dans le portrait commandé  de Berthe Goldschmidt, fait de son modèle une Joconde moderne. Mais on a de belles surprises : une érotique « Belle Gasconne », une « Jeune Femme à la jupe rose », instantanée, qui n’ont rien d’allégorique. Le biographe de Corot, Moreau-Nélaton, évoque ainsi ses modèles : « Des Italiennes de la rue Mouffetard alternaient dans la pose avec les coureuses d’atelier de Montmartre ».

Jeune femme à la jupe roseJeune femme à la robe rose

Dans les années 60-70 Corot a peint des nus allongés, images de Bacchantes. L’exposition en regroupe trois dans une série onirique. Les nus rappellent Giorgione et le Titien. Ils sont mis en valeur par de forts contrastes de lumière. Aucune expression dans les visages féminins. Mais de curieuses mises en scène, en particulier dans « La Bacchante à la panthère », des paysages étranges, plage, mer, buisson, tour lointaine, dans « La Bacchante couchée au bord de la mer » .

Puis dans un infatigable va-et-vient Corot, de retour à l’atelier, montre un peu de son intimité de peintre. Il fait comme souvent une série avec des variantes.  Atelier avec le poêle et entrée d’atelier. Au mur des tableaux. Sur le chevalet un tableau en cours. Filles qui ont délaissé la pose ou qui regardent l’œuvre, une autre tient une mandoline. Elles se ressemblent toutes. De sages jeunes modèles. On pense à des tableaux hollandais et parfois à Vermeer.

Jamais Corot n’a employé du blanc ou du noir pur. Il a beaucoup utilisé le blanc et il a été en ce sens précurseur des Impressionnistes. Berthe Morisot et Pissarro se sont réclamés de lui. Il a été fortement influencé par Manet dans les dernières années de sa création. Les portraits sont devenus plus grands,  les femmes sont représentées à mi-corps, la manière est plus libre, la touche plus épaisse. « La Dame en bleu » (1874) clôt l’exposition. La couleur du bleu franc de la robe, la pose du modèle qui suggère une rêverie, la mise en valeur du bras nu, la présence discrète de l’atelier, tous ces éléments réunis font de ce tableau un chef-d’œuvre.

Corot a peint très peu d’autoportraits. On a décelé dans l’évocation du « Moine jouant du violoncelle » (1874) comme une parenté morale avec le vieux peintre qui ne cesse de peindre et le fera jusqu’au bout.

Annie Birga

Billet : bise de Russie

Nous attendons transis par un froid de canard
Qu’agisse un dieu clément deus ex machina
Contre le vent trop vif qui porte sur les nerfs
Ce n’est pas le noroît celui que l’on connaît

Rien depuis la taïga n’a pu le retenir
De l’Oural jusqu’à Brest sur la monotonie
Des plaines de l’Europe il souffle et la tournure
Ensoleillée qu’il prend n’est guère bienvenue

Des oiseaux migrateurs des oies de Sibérie
Aimant l’hiver breton dans  la vasière hivernent
Imités cette fois par la bise glaciale

La tiédeur d’un zéphyr venu de l’Ibérie
Les fera repartir tant mieux si le vent tourne
Et tant pis pour le bleu monochrome du ciel

 

Alors que le mois de janvier 2018 a été le plus doux en France depuis 1900, mais aussi l’un des plus humides, février 2018 a été froid. Les 7 et 8 février, des chutes de neige inhabituelles ont touché Paris (voir le billet précédent intitulé  » La ville sous la neige »). A la fin du mois, une vague de froid tardive de 3 ou 4 jours, caractérisée par une bise de nord-est liée à un anticyclone étiré de la Russie à la Bretagne (de l’Atlantique à l’Oural, aurait dit de Gaulle), a touché la France et la plus grande partie de l’Europe. A cette occasion, les médias français ont pris conscience d’un phénomène bien connu dans les pays au climat hivernal rigoureux : la différence entre la température objective mesurée sous abri et la température ressentie, à laquelle d’autres médias ont coutume de se référer par exemple en Amérique du nord. Météo France explique ce phénomène par le fait que dans une atmosphère froide et sèche sans cesse renouvelée par le vent, la peau n’est plus protégée par la mince pellicule d’air chaud et humide qu’elle produit habituellement. Elle s’assèche et réchauffe l’air avec lequel elle est en contact, ce qui refroidit l’organisme. A la fin de l’épisode froid et venteux, le redoux est arrivé par l’Espagne. Il est remonté progressivement vers le nord, avec de violents conflits de neige entre l’air glacial sec et l’air doux humide.

Dominique Thiébaut Lemaire